22/02/2022

Quels poissons reviennent après suppression d'ouvrages en rivières intermittentes? (Kukuła et Bylak 2022)

Etudiant une rivière à truite de tête de bassin, devenue intermittente au fil du 20e siècle, des chercheurs montrent que la suppression des obstacles n'y a pas permis la recolonisation amont par les espèces originellement présentes. Les sécheresses créent des discontinuités hydriques sur le lit et une qualité de l'eau insuffisante en été pour des espèces sensibles. Si ces chercheurs estiment malgré tout que la restauration de continuité a des avantages pour la circulation des poissons en période de hautes eaux, leur travail montre que les gains de ces chantiers sont modestes et loin d'une "restauration de la nature" telle qu'elle nous est vantée pour justifier de tout casser, y compris des sites d'intérêt patrimonial. Un peu de réserve et de recul serait bienvenu chez les gestionnaires de rivières.


Les sites arasés ou aménagés de l'étude, extrait de Kukuła et Bylak 2022, art cit.

Le ruisseau Hołubla (5,89 km de long, bassin versant de 8,68 km2) est situé dans les contreforts des Carpates polonaise, dans le bassin de la rivière San et de la Vistule. En raison du drainage de la rivière San et de l'abaissement du niveau des eaux souterraines, la plupart des petits affluents comme le Hołubla se sont vidés pendant les saisons sèches. Selon les données historiques, jusqu'aux années 1930, le ruisseau était pérenne. Dans les années 1970, un déversoir en pierre de 3 m de haut et quatre gués en dalles de béton ont été construits sur le lit du ruisseau. Avec le temps, du fait d'une augmentation de l'érosion en aval des gués, des chutes d'eau se sont créées. En 2013, ces barrières ont été supprimées. Deux gués en béton ont été reconstruits en pierre naturelle, avec de larges passages  permettant aux poissons de se déplacer en amont. Les deux autres gués ont été remplacés par des ponceaux à voûte métallique. En aval de ces gués et ponceaux, le fond du chenal a été stabilisé par construction de rapides en pierres à pente douce. 

Les chercheurs ont voulu savoir l'effet de ces travaux de continuité longitudinale. Voici le résumé de leur examen des poissons avant et après l'intervention sur les ouvrages.

"Les effets de barrière observés en présence de seuils sont exacerbés par les faibles niveaux d'eau. Nous avons mené une étude de 10 ans pour évaluer les effets écologiques de la restauration des cours d'eau tout en analysant la possibilité d'un manque saisonnier de continuité hydrologique, avec de multiples mesures avant et après la restauration de la continuité structurelle des cours d'eau. L'hypothèse de recherche suppose que dans les cours d'eau intermittents, il y aurait peu ou pas de changement dans la communauté de poissons en aval de la barrière avant vs. après l'enlèvement de l'obstacle, et un changement significatif en amont de la barrière avant vs. après. 

Nos résultats indiquent qu'en supprimant les petites barrières, leurs effets néfastes sur le passage longitudinal des poissons et des assemblages de poissons peuvent être corrigés. Pendant la saison des pluies, des poissons migrants du cours principal de la rivière sont apparus dans la section aval du cours d'eau. L'intermittence des cours d'eau, cependant, a placé un filtre d'habitat sur l'assemblage. Ainsi, après le retrait de la barrière, seules deux espèces de poissons de petite taille qui tolèrent des carences périodiques en oxygène et la hausse des températures de l'eau se sont progressivement déplacées vers l'amont et ont formé des populations stables. 

Nous soulignons qu'il ne faut pas s'abstenir de restaurer la continuité longitudinale des cours d'eau intermittents, car ils fournissent périodiquement des refuges précieux pour les poissons et peuvent également être une source de nouvelles générations et renforcer les populations de poissons dans le cours principal."

Ce graphique montre les densités de poisson (par 100 m2) observées dans le temps sur le tronçon, avant (grisé)et après la suppression de l'obstacle. On notera les très faibles valeurs absolues à l'amont (1 à 3 individus par 100 m2).


L'infographie ci-dessous montre la tendance longue : la rivière devient intermittente en raison de changement de climat et d'usages humains de l'eau, avec populations fractionnées (a, b) puis l'obstacle supprimé aboutit à un double régime avec la colonisation amont réservée en saison sèche à quelques espèces supportant une eau plus rare et plus chaude (c, d). Aucune espèce ne s'installe complètement à l'amont.


Discussion
Le bassin versant étudié K. Kukuła et A. Bylak est représentatif des programmations publiques de continuité écologique dans d'autres pays d'Europe et notamment en France, où l'insistance a été portée sur les petites rivières de tête de bassin, en large partie à cause de leur population de salmonidés (truites) et de l'usage pêche dans ces rivières.

Ce travail permet de relativiser les discours pour le moins déplacés sur la "restauration de la nature" par suppression d'ouvrages. En réalité, on modifie la dynamique locale de populations de poissons, mais on ne revient pas à l'état antérieur des cours d'eau, qui sont généralement modifiés par d'autres impacts que des obstacles. On conçoit sans peine que si le changement climatique vient à s'intensifier et à imposer des épisodes plus fréquents et plus intenses de sécheresse (ce que prévoient les chercheurs du climat), l'intermittence du ruisseau Hołubla sera aggravée et sa colonisation amont par des espèces d'eau froide, abondante et oxygénée encore plus improbable.

Par ailleurs et comme trop souvent, les chercheurs n'ont regardé ici que la dynamique des poissons, et en particulier ils n'ont pas examiné avant / après l'écosystème nouveau que formait le plan d'eau du principal ouvrage. On aimerait pourtant savoir si des amphibiens, reptiles, invertébrés, oiseaux, mammifères s'étaient adaptés à ces modifications, et ce qu'ils sont devenus quand l'écosystème aménagé a disparu. Ce serait la moindre des choses de systématiser ces observations avant les chantiers, afin que le retour d'expérience sur les gains écologiques et biologiques ne soit pas biaisé

Enfin concernant les truites de la partie amont, il aurait été intéressant de documenter si leur disparition était liée aux seuils ou si elle était associée à la fin du caractère permanent de l'écoulement du chenal. En effet, eu égard aux nombreux témoignages qui attestent de l'abondance de truites en tête de basin jusque dans les années 1960 même quand il y avait de petits ouvrages hydrauliques (voir cet exemple sur la tête de bassin Seine et Ource), on doit s'interroger sur les facteurs qui ont réellement impacté l'hydrologie et la qualité de l'eau au cours des dernières décennies. 

4 commentaires:

  1. Conclusion : l'étude ne va pas dans notre sens, bien au contraire mais on va quand même s'arranger pour dire que si. Encore du mensonge. On va contacter les chercheurs de cette étude et on va voir ce qu'ils en disent. Comme avec votre dossier de 100 études sans 100 études.

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    1. Ce que les chercheurs en disent est dans le résumé de leurs travaux, qui est traduit. Avons-nous écrit que cette recherche concluait contre les aménagements des ouvrages? Non.

      Vous avez un petit problème avec le rapport des citoyens à la science, vous semblez parfois confondre cette dernière avec une sorte de religion d'ancien régime. Nous vous conseillons la lecture de ces deux articles :

      Les sciences de la nature doivent-elles dicter leurs choix aux citoyens?
      http://www.hydrauxois.org/2021/06/les-sciences-de-la-nature-doivent-elles.html

      "Les experts sont formels"... mais quels experts? Au service de quels pouvoirs, quelles idéologies, quels intérêts?
      http://www.hydrauxois.org/2020/06/les-experts-sont-formels-mais-quels.html

      Puisque vous "contactez" des chercheurs, n'hésitez pas d'ailleurs à leur transmettre ces textes aussi, afin de nourrir leur réflexion sur l'avenir. Comme ils ne l'ignorent pas, dans tous les domaines de recherche appliquée qui ont in fine des impacts sur la vie des gens, le rapport de la société à la science (et au pouvoir inspiré par la science) est en train de changer. C'est un progrès de la démocratie que de conjurer une attitude passive du citoyen, d'avoir au contraire une approche active et participative de ce sur quoi la science doit appliquer ses méthodes (collectes de données, constructions de modèles, etc.) afin que la description du réel soit la plus complète et cohérente possible, la plus fidèle à l'ensemble des observables d'un côté, des préférences d'observateurs de l'autre côté.

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    2. Au non ça va, moi ça va bien. je sais lire, vous avez écrit que cette étude est parcellaire et que cela a peu de résultat d'effacer un ouvrage. Ce que vous dite est faux, ce n'est pas ce que dit l'étude bien bien au contraire, Quel est le rapport avec le citoyen dans cette histoire ? Vous présentez une étude de manière mensongère. Le rapport entre la science et le citoyen doit être le mensonge ? Drôle de rapport. Oui oui je contacte, avec un petit mail pas besoin de mettre des guillemet, je fais déjà mieux que vous. J'ai cru comprendre que dans votre dossier sans 100 études, beaucoup de chercheurs étaient scandalisés par l'utilisation de leur étude dans ce sens car c'était mensonger, vous devriez les contacter plus souvent. Les gens deviennent actif et c'est heureux, peut être pourrons t'ils voir à travers votre réalité alternative et vos mensonges. Mais je doute quand même qu'ils en viennent à conseiller les chercheurs sur la construction d'un modèle, chacun son métier. Mais le peuple peut très bien orienter les recherches et se sera avec plaisir. Mais comment allez vous faire quand l'étude sera la plus complète possible pour encore mentir dessus ! Pensez à votre avenir !

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    3. Allons, allons, remettez vos lunettes, ou lisez plus lentement. Nous écrivons des choses comme "on modifie la dynamique locale de populations de poissons, mais on ne revient pas à l'état antérieur des cours d'eau" ou "la suppression des obstacles n'y a pas permis la recolonisation amont par les espèces originellement présentes" et vous prétendez que c'est faux eu égard aux résultats présentés? On montre un graphique indiquant les densités d'individus par 100 m2 dont on parle et vous prétendez qu'il est faux d'observer que ces chiffres montrent 1 à 3 ?

      Après vous savez, on connaît des tas de chercheurs dans des tas de domaines qui disent que leurs travaux sont absolument essentiels et que les observations sont absolument décisives. :-D D'une part, la science elle-même fait le tri à long terme dans ce qui est robuste ou non, important ou pas. C'est son travail et il est tout à fait nécessaire. D'autre part, le citoyen fait de son côté le tri sur ce qui lui paraît à lui important, dans un ordre non scientifique mais néanmoins établi sur les faits mesurés par la science. Par exemple, savoir si quelques variations locales de poissons sur un ruisseau devenant sec en été est LE truc de première importance pour sa vie, et pour une politique publique payée par ses impôts. Parce que bon, au bout du bout, c'est ce que vous espérez nous vendre. Et nous on n'a pas forcément envie d'acheter cela.

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