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06/04/2017

Le CGEDD appelle à une réforme complète de la politique de continuité écologique

Le CGEDD (conseil général de l'environnement et du développement durable) est une instance administrative en charge  de procéder à des audits des politiques publiques. Suite à la demande de la ministre de l'Ecologie en décembre 2015, deux inspecteurs ont enquêté pendant une année sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. Leur rapport vient d'être rendu public. Dans ce premier article, nous publions les 15 recommandations avec un rapide commentaire. Dans l'ensemble, si le CGEDD souligne que certaines opérations de restauration sont des succès, il constate et appelle à dépasser les nombreuses carences que nous avons exposées depuis 5 ans : mauvaise prise en compte de l'énergie, du patrimoine, du paysage et des usages riverains par la politique de l'eau ; nécessité d'un bilan rigoureux des opérations de continuité et d'une veille scientifique aujourd'hui quasi-inexistante ; intégration des représentants des moulins dans l'ensemble des instances de concertation et délibération, dont ils sont exclus ; changement d'orientation de la politique des ouvrages lors des renouvellements des SAGE et des SDAGE. Dont acte. Certaines recommandations sont discutables, et une en particulier est tout à fait inacceptable pour le monde des moulins (annulation automatique des droits d'eau fondés en titre en cas de non usage). Quoiqu'il en soit, l'enseignement le plus évident et le plus massif de ce rapport est que la continuité écologique a besoin de réformes de fond. Le déni de cette réalité par la direction de l'eau et de la biodiversité, les agences de l'eau, les syndicats et établissements de bassin ou les lobbies FNE-FNPF n'est plus tenable. Tous les députés et sénateurs devront être informés des conclusions de ce rapport pour la révision (déjà lancée au Sénat) de la loi sur l'eau de 2006.

Les textes ci-dessous en caractère gras sont extraits de la synthèse du rapport CGEDD. Nous reviendrons dans plusieurs articles à paraître sur des détails intéressants du rapport complet.

Orientation globale du CGEDD

"La notion de bon état écologique, trop souvent présenté comme un concept scientifique, ne relève pas que de la science écologique. C'est à la société de lui donner une déclinaison opérationnelle. La notion de bon état, comme celle de bon potentiel, incite à se poser les questions : bon état pour quoi ? Bon état pour qui ? Pour la santé humaine ou pour celle des poissons ? Pour produire de la biomasse ou pour satisfaire des besoins ludiques ? Pour contribuer à l'économie industrielle ou pour satisfaire les mouvements militants ? Pour répondre aux exigences de Bruxelles ou pour améliorer notre cadre de vie ? Ce qui renvoie, selon le cas, à des questions relatives soit au fonctionnement écologique, soit aux usages des systèmes, soit encore à des considérations éthiques ou esthétiques."
Christian Lévêque

Cette citation est extraite de l'ouvrage récent de Christian Lévêque, dans lequel les cours d'eau sont examinés avec une vision scientifique élargie aux aspects historiques, patrimoniaux, économiques, culturels et sociologiques. La continuité écologique y est présentée comme l'une des composantes d'une politique de l'eau. C'est justement une telle approche que la mission propose de promouvoir.
A l'issue de ses travaux et après avoir rencontré une large variété de cas, entendu un grand nombre et une forte diversité d'interlocuteurs, la mission a pu faire la part entre les réussites, les difficultés et les blocages rencontrés dans les opérations de restauration de la continuité écologique qui concernent les moulins.
La mission a constaté que ces blocages ne se réduisaient pas aux deux seules questions patrimoniales et énergétiques, mais qu'ils touchaient aussi les fondements même de la restauration de la continuité écologique.
C'est pourquoi la mission souscrit à la nécessité d'une vision renouvelée et élargie de cette politique. L'application, en synergie, des trois lois structurantes pour ce dossier et relatives à la biodiversité, au patrimoine et à la transition énergétique doit trouver un terrain d'application et de convergence sur le cas des moulins : une fois que services, propriétaires et associations s'en seront approprié les objectifs ils pourront définir, dans les spécificités de chaque situation, des solutions conciliant les différents enjeux, sous le signe du développement durable et dans une logique "gagnant-gagnant".
Il paraît en effet aujourd'hui souhaitable de rechercher − et possible d'obtenir ‒ un meilleur équilibre entre les trois objectifs de continuité écologique, de valorisation du patrimoine lié à l'eau et de développement des énergies renouvelables.
C'est dans ce sens et cet état d'esprit que la mission a établi ses propositions et recommandations, afin de contribuer à l'atteinte de cette nouvelle ambition.
Une telle approche nécessitera très certainement du temps, ainsi que des amendements complémentaires aux outils de la politique de l'eau, qui sortent du champ de la présente mission. Sa mise en œuvre requiert, au-delà des recommandations de la mission, un signal politique fort de la part de l'État mais aussi un engagement important des collectivités territoriales.


Nous partageons le constat, et nous nous réjouissons que le point de vue équilibré de Christian Lévêque en anime la philosophie. En effet, la continuité écologique ou plus largement la restauration de cours d'eau n'a pas besoin d'une réforme cosmétique, mais d'une refondation démocratique sur la base d'une vision élargie et ouverte de la rivière. Notre association a toujours souligné que la continuité écologique est un outil légitime de gestion des cours d'eau et de leur biodiversité, à la condition expresse qu'elle ne soit pas dogmatique ou précipitée dans sa mise en oeuvre, partielle dans ses objectifs ni irréaliste dans ses coûts.

Un "signal fort" de l'Etat, c'est ce que nous attendons, mais n'obtenons pas (autrement que dans des déclarations non suivies d'effet de telle ou telle personnalité politique). Le contenu de ce signal est pourtant simple : la reconnaissance explicite par l'administration que le patrimoine hydraulique est un élément légitime des rivières françaises, et que ces rivières n'ont pas vocation à être systématiquement "renaturées" dans l'ignorance de leur évolution historique, sociale et économique. Un peu plus qu'un signal, c'est donc un changement de paradigme qui est nécessaire, fondé sur la réalité des dimensions multiples de la rivière.

1. En préalable à tout nouveau projet de restauration écologique, mettre en place une démarche territoriale concertée de type SAGE, grâce à laquelle, à l'issue d'un diagnostic approfondi, les objectifs et les moyens de la restauration à l'échelle d'un axe ou d'un bassin versant seront établis de manière partagée. Ces diagnostics territoriaux devront intégrer la perspective du changement climatique et comprendre:
- un volet consacré aux paysages et au patrimoine lié à l'eau, dont celui des moulins,
- une analyse du potentiel de petite hydroélectricité sur le territoire,
- une analyse des autres usages des seuils,
- un volet consacré à la problématique de franchissabilité des seuils pour les pratiquants d'activités nautiques non motorisées (dont canoë-kayak),
- une réflexion sur les pollutions agricoles diffuses.

Nous sommes d'accord avec cette proposition, le fait qu'elle soit formulée signale combien les SAGE (ou contrats globaux) actuels sont incomplets. C'est aussi vrai pour les SDAGE. Nous demandons que les attendus de cette révision soient inscrits dans les parties législatives et réglementaires du code de l'environnement, afin d'être opposables aux établissements publics en charge de l'eau et de signer l'engagement durable de l'Etat dans une approche pluraliste de la rivière.

2. Sur la base des propositions de la mission et du groupe de travail national sur les moulins patrimoniaux, transmettre aux préfets une méthodologie de reconnaissance d'un "moulin patrimonial" validée par le ministère de la culture et de la communication et le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Leur demander de prendre en compte le statut patrimonial ainsi défini, voire sa labellisation à terme, lors de la programmation, de la conduite et du suivi des opérations, ainsi que dans le mode de financement.

Pourquoi pas, mais une telle méthodologie doit être concertée avec les associations. Nous n'accepterons pas davantage l'arbitraire administratif dans l'évaluation patrimoniale que nous ne le tolérons aujourd'hui dans l'évaluation écologique, avec des "moulins à deux vitesses", ceux qui auraient un intérêt et ceux qui n'en auraient pas. Il existe de très nombreuses expériences de moulins (ou forges) ayant un piètre aspect au moment de leur achat, mais qui ont été remarquablement restaurés par leurs propriétaires. On doit donc avant tout encourager cette restauration patrimoniale, sans se contenter de "muséifier" un panel de moulins d'ores et déjà restaurés.

3. Lorsque le diagnostic territorial aura fait apparaître un réel potentiel mobilisable, qu'une orientation en faveur de l'équipement des seuils pour la production hydroélectrique aura été donnée par le maître d'ouvrage de la démarche territoriale et que le propriétaire aura décidé de s'engager dans l'étude d'un projet de mise en service de son seuil pour l'hydroélectricité, alors les études de projets individuels de restauration de la continuité écologique devront intégrer un volet consacré à l'hydroélectricité, de manière à rendre cohérentes les deux démarches.

Nous sommes d'accord avec cette proposition (voir notre article sur la nécessité de travailler sur le taux d'équipement des rivières). Mais nous mettons une réserve : si le "potentiel" de quelques kW des moulins est souvent jugé négligeable par les autorités en charge de l'eau ou de l'énergie, il ne l'est nullement pour le propriétaire qui peut assurer tout ou partie de sa consommation d'énergie. Le point de vue macro-économique seul ne doit pas prévaloir pour les moulins de faible puissance, pas plus qu'il ne prévaut au demeurant pour toutes les autres solutions individuelles de transition énergétique (pompe à chaleur, panneau solaire, chauffage bois, etc.)  Là encore, nous refuserons tout régime inégal où les "bons" moulins seraient uniquement ceux qui disposent de plusieurs dizaines ou centaines de kW de puissance et où tous les autres (bien plus nombreux) seraient classés comme sans intérêt, comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui.

4. Développer, à l'initiative de chaque agence de l'eau et pour chaque bassin, un programme pluriannuel de suivi des milieux concernés par les opérations de restauration de la continuité écologique, à l'échelle d'axes de cours d'eau ou de bassins versants, avec un nombre représentatif de la diversité des cours d'eau du bassin et un protocole minimal défini à l'échelle du bassin. Ce suivi devra inclure la réalisation d'un état initial des milieux aquatiques avant travaux et d'un état après travaux, puis être poursuivi au fil du temps avec une évaluation écologique.

C'est une urgente nécessité, le CGEDD acte ici notre constat : les retours d'expériences sur la continuité sont aujourd'hui insuffisants, souvent sélectifs et non pas choisis aléatoirement (pour éviter tout biais de confirmation), sans méthodologie transparente et réplicable, etc. Mais attention au protocole de suivi, qui doit être construit en concertation, cohérent à travers les agences de bassin et bancarisé pour ses résultats : ce protocole ne saurait concerner uniquement la présence ou l'absence de migrateurs, ni une estimation (peu normalisée à date) de l'attractivité morphologique. Il faut que l'ensemble des scores de qualité écologique pertinents (et intervalidés en Europe) soient suivis, que l'échantillonnage avant chantier soit spatialement et temporellement représentatif, que les résultats soient détaillés (nature exacte des évolutions densité, biomasse, richesse spécifique, etc.), que les typologies théoriques anciennes et non mises à jour scientifiquement soient abandonnées, que la pollution chimique avant / après soit aussi étudiée et, dans certains cas témoins, qu'une analyse complète de biodiversité avant /après soit menée. En face, il faut bien sûr mettre les coûts économiques directs et indirects de la restauration de continuité, si possible une évaluation avant / après en service rendus aux citoyens par les écosystèmes. Le rapport du CGEDD est trop imprécis sur ces exigences.

5. Associer les propriétaires de moulins par une représentation dans les comités de pilotage des programmes territoriaux de restauration de la continuité mis en place par les collectivités et prévoir de les entendre lorsque leur projet est examiné par ce comité.
Assurer un pilotage et réaliser une évaluation des programmes et projets de restauration de la continuité écologique des cours d'eau au niveau de chaque bassin, par une instance existante du comité de bassin, associant pour l'occasion les représentants des propriétaires de moulins ainsi que les DRAC ou leur représentant.
Élargir la commission administrative de bassin à la DRAC du bassin qui serait désignée à cet effet.

Nous sommes évidemment d'accord avec cette proposition, qui reconnaît l'absence actuelle de concertation et de représentation des principaux concernés par la continuité, ainsi que l'indifférence manifestée par l'administration de l'eau envers les questions culturelles.

6. Organiser une véritable veille scientifique en matière de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, à l'intention de tous les acteurs.
Solliciter un avis des conseils scientifiques du CSPNB, de l'AFB et des comités de bassin qui en sont dotés, afin d'orienter la stratégie de restauration de la continuité écologique au niveau national et au niveau des bassins.
Veiller à ce que les conseils scientifiques de l'AFB et des comités de bassin soient davantage pourvus dans les disciplines des sciences humaines, du paysage, de l'histoire et du patrimoine.

S'il faut organiser une "véritable" veille, c'est que celle aujourd'hui menée est très insuffisante. C'est notre cheval de bataille avec plus de 100 recensions d'articles scientifiques sur la restauration physique ou sur les ouvrages hydrauliques (nous reviendrons dans le détail sur le désaccord entre le CGEDD et Hydrauxois à propos de Van Looy et al 2015, point assez mineur au demeurant). Mais là encore, nous serons très vigilants dans la mise en oeuvre : il est notoire que les chercheurs en écologie ne développent pas tous les mêmes paradigmes scientifiques, que les travaux publiés ont des robustesses très variables dans leur méthodologie, leurs outils statistiques et l'évaluation de leurs incertitudes, qu'une bonne part de la littérature est "grise" donc à fiabilité assez faible, etc. Nous sommes très favorables à une expertise scientifique collective, que nous avons demandée aux agences de l'eau (le conseil scientifique de l'Agence de l'eau RMC a décliné), mais à condition qu'elle soit faite dans des conditions comparables à ce que pratiquent dans d'autres domaines le monde de la recherche et les établissements scientifiques (Inserm, CNRS, etc.). Ainsi par exemple, le travail récent mené par l'Agence de l'eau RMC (cité par le CGEDD) ne répond pas du tout à ce cahier des charges : nous avons montré que la littérature scientifique disponible sur l'impact des ouvrages est loin d'y être analysée en totalité, voire d'y être correctement interprétée pour certains résultats (cf cette recension). Produire de tels travaux incomplets ou imprécis ne restaure pas la confiance, mais suggère qu'il existe toujours un biais de lecture où l'on préfère minimiser voire évacuer des résultats scientifiques qui ne coïncident pas avec la doxa administrative. Par ailleurs, puisque l'essentiel de la continuité longitudinale (comme de sa contestation) concerne des petits ouvrages et non des grands barrages, c'est sur cette dimension que doivent se concentrer la veille et l'analyse scientifiques, sauf à répondre encore à coté de la question et ne pas éclairer le décideur sur la réalité des enjeux (voir cet exemple sur les retenues, où l'on évoque des barrages de 15 à 195 m sans pertinence réelle pour comprendre l'effet des étangs, moulins ou retenues majoritaires de plus petites dimensions).

7. Constituer au niveau départemental un groupe de travail au sein de la CDNPS, instance de médiation, de validation et d'arbitrage du volet patrimonial, pour suivre le processus de mise en conformité des "moulins patrimoniaux".

Même réserve que pour la proposition n°2.

8. Demander à la DEB, au titre de la politique de l'eau, d'organiser un pilotage intra et interministériel du programme de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, dont le champ se verra élargi, en renforçant la coordination avec la DGEC (hydroélectricité), la DHUP (sites et paysages), la DGPR (risques naturels) et la DGITM (cours d'eau navigables) au sein du MEEM et en la développant avec la DGPAT (architecture et patrimoine) du ministère de la culture et de la communication (MCC).

Entièrement d'accord avec ce pilotage élargi, qui reflète la diversité des dimensions de la rivière et de ses ouvrages.

9. Actualiser les instructions aux préfets sous la forme d'une circulaire interministérielle tenant compte d'un élargissement du champ de la politique de restauration de la continuité écologique.
Sans attendre, préciser les modalités de mise en œuvre du nouveau délai de cinq ans prévu par la loi sur la biodiversité, en abordant en outre les modalités de contrôle et les suites à donner aux situations non conformes et en insistant sur le contrôle des obligations d'entretien des ouvrages.

Nous attendons de lire la circulaire en question. Après 10 ans de dérive, il va sans dire que l'on est sceptique sur la capacité de la direction de l'eau et de la biodiversité à modifier ses vues et à interpréter de bonne foi la volonté manifeste des parlementaires de protéger désormais les moulins. Mais nous ne demandons qu'à être contredit !

10. Adapter et faire converger les règles de financement des agences de l'eau en matière de restauration de la continuité écologique des cours d'eau.

En ce domaine, le rapport CGEDD insiste insuffisamment sur le problème n°1, l'insolvabilité de la réforme par les charges exorbitantes pesant sur des particuliers ou petits exploitants (dizaines à centaines de milliers d'euros pour chaque chantier, ce qu'aucune loi n'a jamais demandé à une classe de citoyens!). Nous refusons totalement la prime actuelle à 100% de financement pour l'effacement des ouvrages, choix idéologique (et de notre point de vue contraire au texte comme à l'esprit de la loi de continuité). Poser a priori un régime financier incitatif vers les solutions les plus radicales, c'est avancer des positions dogmatiques selon lesquelles un effacement serait toujours bon pour la biodiversité (ce qui n'est pas démontré au-delà des seuls migrateurs et ce qui est manifestement faux sur certains sites), sans compter l'indifférence totale aux dimensions non-écologiques dont le CGEDD lui-même rappelle l'importance. Cette posture est totalement incompatible avec la prétention à faire du "cas par cas" (puisqu'on décide à l'avance que la destruction est préférable), donc elle ruine la crédibilité de la parole publique et la possibilité même d'une concertation. Nous appelons d'ores et déjà les associations à saisir tous les élus des comités de bassin pour que le 11e programme 2019-2024 des Agences de l'eau abolisse une fois pour toutes cette clause scélérate de la prime à la casse, qui est un casus belli symbolique pour les moulins, mais surtout l'expression manifeste d'un parti-pris indigne d'une politique publique de la rivière et incompatible avec une réussite de la continuité.

11. Étudier un élargissement de l'action de labellisation de la Fondation du patrimoine permettant aux propriétaires de moulins reconnus comme patrimoniaux de bénéficier de déductions fiscales pour les travaux de restauration de la continuité écologique, assorties d'une ouverture au public.

Nous sommes favorables à cette proposition, même réserve que les points 2 et 7.

12. À l'occasion du prochain renouvellement des comités de bassin (2020), assurer une représentation des associations de valorisation des moulins au sein du collège des usagers non économiques de l'eau.

Nous sommes bien sûr favorables à cette proposition, voir le point 5.

13. Dans la perspective de la troisième génération de schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) pour 2022-2027, réfléchir dès à présent à une prise en compte accrue des patrimoines liés à l'eau dans leurs orientations.
Établir une note méthodologique pour les services traitant de l'articulation entre la Directive cadre sur l'eau, la Directive européenne sur les énergies renouvelables et la Convention européenne sur les paysages.
Expertiser et, si nécessaire, faire évoluer la portée des SAGE en termes patrimonial et énergétique.

Nous sommes favorables à cette proposition.

14. Mettre à l'étude, dans le cadre de la préparation des XIes programmes d'intervention des agences de l'eau, une modification de la redevance "obstacle" comme levier supplémentaire de la politique de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, afin de rendre cette redevance plus incitative et plus juste en répartissant mieux les efforts.

Il s'agit d'étendre la redevance obstacle (perçue aujourd'hui pour les ouvrages de plus de 5 m) à tous les ouvrages de plus de 1 m. Nous avons plusieurs réserves sur le principe : pourquoi lever une taxe alors que désormais, les agences et les syndicats refusent le plus souvent de cofinancer les travaux d'entretien des ouvrages et vannages (ce qu'ils faisaient encore jusque dans les années 1990), donc que le propriétaire en assume seul le coût d'entretien? Pourquoi les propriétaires devraient payer une taxe sur les ouvrages dont le revenu fiscal sert à détruire d'autres ouvrages, finalité que nous dénonçons fermement comme contraire à l'intérêt général? Combien coûtera la collecte de cette taxe, vu le nombre d'ouvrages, et sera-t-elle seulement à bilan positif vu les équivalents temps-plein nécessaires? La condition préalable de discussion de cette évolution fiscale paraît que l'Etat s'engage formellement à respecter les ouvrages au lieu de les détruire, tout en considérant que l'aide publique à leur entretien participera à l'avenir d'une bonne gestion de la rivière. Mais globalement, il faut mener une réflexion critique et chiffrée sur les effets pervers du régime taxe-subvention, qui a montré en de nombreux domaines son inefficacité (et qui a abouti si souvent au détournement progressif de sa finalité d'origine). Au regard des résultats médiocres de la politique française sur la qualité écologique et chimique de l'eau, malgré plus de 2 milliards d'euros dépensés chaque année par les Agences de bassin, nous sommes davantage en situation d'exiger l'évaluation par la Cour des comptes de l'efficacité de la dépense publique sur les rivières qu'à signer un blanc-seing à l'expansion de la fiscalité qui la nourrit…

15. Instaurer une procédure de déchéance des droits fondés en titre qui ne seraient pas utilisés à compter d'un certain délai, par exemple le second délai de cinq ans après publication des classements des cours d'eau, et rendre ces droits non transmissibles.

Nous sommes en absolue opposition avec cette mesure, et nous saisirons l'ensemble des élus pour repousser toute évolution législative en ce sens. D'abord, le CGEDD reconnait in fine que l'intérêt des moulins ne se limite plus aujourd'hui à l'énergie comme jadis, donc le droit d'eau s'est trouvé investi d'autres significations avec le temps (il est le droit de conserver une certaine consistance légale des écoulements attachés au génie civil hydraulique d'un bien, que ces écoulements servent pour l'énergie, mais aussi pour l'agrément, le patrimoine, le paysage, les usages, etc.). Au-delà des moulins, étangs, piscicultures et ouvrages d'irrigation dépendent parfois de ce régime. Ensuite et surtout, s'il n'y avait pas eu la protection juridique des droits d'eau fondés en titre ou sur titre, rien n'aurait pu s'opposer efficacement à la politique arbitraire et brutale de destruction des ouvrages par l'Etat. Car une chose est claire à la suite de la séquence 2006-2017 dont le CGEDD fait le bilan : des fonctionnaires centraux ou territoriaux sont prêts à appuyer froidement sur des boutons pour harceler les maîtres d'ouvrage, détruire leurs propriétés et faire disparaître le patrimoine hydraulique de nos rivières. Il faudra davantage qu'un rapport pour apaiser la défiance et la colère des propriétaires et riverains, et la violence institutionnelle de l'Etat n'incite en rien à abandonner la seule vraie protection juridique dont bénéficient leurs ouvrages. Nous utiliserons donc tous les moyens à notre disposition pour conserver le droit à l'existence des moulins comme garantie ultime face aux dérives administratives.

Conclusion : et maintenant ?
Constatant que sur les 11 recommandations de son premier rapport en 2012, neuf n'ont pas été réellement suivies d'effets (voir notre article à ce sujet), le CGEDD déplore cette inertie de l'Etat et observe : "Il est regrettable que quatre années aient ainsi été perdues, ce qui, à n'en pas douter, a contribué à aggraver ces difficultés".

On ne saurait mieux dire. Non seulement 4 années ont été perdues, mais dans leurs interventions les plus récentes, les hauts fonctionnaires du Ministère continuent d'appeler à la destruction sans discernement des retenues (voir cet article), signe que le même aveuglement dogmatique perdure au sein de la tutelle administrative, en totale indifférence aux oppositions que suscite cette politique sur le terrain.

Du même coup, on s'inquiète évidement du destin de ce nouveau rapport, publié par le ministère de l'Ecologie en pleine période de transition politique. Est-ce à dire qu'une fois de plus, les autorités administratives en charge de l'eau choisiront les seules recommandations qui les avantagent, se gardant bien de mettre en oeuvre celles qui dérangent leur routine ou déplaisent à leurs convictions? Que le travail du CGEDD sera pour l'essentiel enfermé dans un tiroir, afin de persister dans la confrontation avec les ouvrages, d'opposer encore et toujours aux riverains le dogme si peu partagé de la renaturation des rivières, de privilégier outrageusement les positions de quelques lobbies de la casse?

La réponse à ces questions tiendra notamment dans la capacité des représentants des moulins, riverains, étangs, forestiers, hydro-électriciens, protecteurs du patrimoine et du paysage à saisir leurs élus pour leur faire partager les principaux constats du CGEDD et pour aller plus avant dans l'adaptation nécessaire de la continuité écologique aux réalités de terrain.

Les plus importantes réformes sont devant nous : restons unis, fermes et solidaires!

06/01/2016

Recommandations CGEDD 2012: le Ministère de l'Ecologie n'a pas tenu ses engagements essentiels sur la continuité écologique

En décembre 2012, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a rendu un rapport sur la mise en oeuvre du Plan de restauration de la continuité écologique. Ce document attestait déjà, avant le classement de 2012-2013, des problèmes rencontrés ainsi que des rapports détériorés entre moulins et services de l'Etat. Le CGEDD a émis 11 recommandations: deux ont été en partie réalisées mais pas dans les termes prévus, deux ont avancé sans encore se matérialiser, les sept autres sont au point mort, dont certaines pourtant fondamentales pour l'existence d'une concertation digne de ce nom. Pour les moulins et riverains, la conclusion est simple : le Ministère de l'Ecologie n'a aucune envie réelle de progresser sur le dossier car sa Direction de l'eau et de la biodiversité s'est enfermée dès le départ dans l'horizon dogmatique d'un effacement préférentiel des ouvrages hydrauliques et d'un découragement de leur équipement. A quoi bon faire des efforts pour une réalité qu'on souhaite voir disparaître? Sans changement de doctrine et sans avancée réelle de la part du Ministère, la tension ne fera que croître au bord des rivières. D'autant qu'aux 11 recommandations du CGEDD s'ajoutent 8 attentes complémentaires issues de l'expérience de terrain et des travaux de recherche des dernières années. 

Le rapport du CGEDD peut être téléchargé à cette adresse (lien pdf). Les recommandations figurent dans l'annexe finale.

Les 11 recommandations et l'indifférence du Ministère
Ce rapport avait pour origine les problèmes déjà rencontrés dans la mise en oeuvre du Plan d'actions pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau (Parce 2009) qui avait occasionné la désignation de 1300 ouvrages prioritaires dits Grenelle, devant théoriquement être aménagés avant fin 2012.

Démarche de qualification-certification des bureaux d'études
Des déclarations, aucune avancée concrète. Nota : nous ne sommes guère favorables à cette mesure. Le problème n°1 des travaux de continuité écologique n'est pas la complexité du chantier, mais son coût. Or, la certification va augmenter les coûts des prestataires (et en diminuer le nombre, donc la compétition déjà faible sur le marché). Cela ne peut jouer qu'en faveur de l'inflation et de l'inertie. Voir infra le vrai besoin, qui est en amont des bureaux d'études, au niveau de la modélisation des bassins versants et de la motivation des classements.

Analyse de faisabilité de la gestion concertée et garantie des vannages
Des tests épars, pas de programmation ni de retour d'expérience scientifique. On a vu sur certains bassins des initiatives préfectorales d'ouverture des vannes. Mais les modalités de mises en oeuvre (qui peuvent nuire à certains exploitants ou aux tiers) n'ont pas été débattues à l'amont des décisions et la programmation scientifique d'évaluation de ces initiatives paraît inexistante (si elle existe, elle a été non débattue sur son protocole et ses objectifs).

Définir des critères d'appréciation partagée des ouvrages d'intérêt patrimonial ou à usages méritant d'être préservés
Aucune avancée. Le point est pourtant essentiel, aussi bien la Ministre de l'Ecologie que la Ministre de la Culture se sont alarmées de la destruction du patrimoine français. Mais apparemment, le gouvernement n'est plus capable d'autorité sur les décisions de sa propre administration, dont une partie poursuit son agenda idéologique propre sur les rivières.

Mise au point d'une grille multicritère d'évaluation de l'intérêt des ouvrages
Aucune avancée. Le point est également essentiel, car la plupart des aménagements de continuité écologique bâclent les analyses des enjeux non-écologiques, les études des effets environnementaux délétères, les informations sur la valeur du droit d'eau, les simulations des sites à l'étiage, etc. Quand il est reconnu qu'il y a des usages locaux ou des dimensions intéressantes, cela ne change pas grand chose puisque dans la majorité des cas, le seul financement public presque intégral est réservé à l'effacement. De manière absurde, certaines destructions conservent un pan de mur, un bajoyer ou un pertuis pour attester d'un usage ancien (aucun intérêt écologique ni patrimonial).

Intégration des représentants des moulins dans les instances nationales et régionales de l'eau
Aucune avancée. Les textes réglementaires fixant les compositions des comités de bassin des SDAGE et des commissions locales de l'eau des SAGE n'ont pas changé, les représentants des moulins ne sont pas intégrés en routine dans les commissions de travail eau ou énergie au plan national, les comités de pilotages des projets de continuité écologique évitent dans la plupart des cas d'inviter les associations départementales ou riveraines, préférant isoler soigneusement chaque maître d'ouvrage et éviter des débats démocratiques qui tournent généralement au désavantage des effacements. On ne peut évidemment pas demander à des associations et fédérations de soutenir une politique publique dont elles sont à la fois les premières exclues dans la délibération et les premières victimes dans l'exécution!

Etude sur la pico-hydroélectricité, son potentiel, ses risques
Aucune avancée. Le travail de consensus mené au Ministère avec l'UFE a concerné les sites de plus de 100 kW et le potentiel résultant est contesté car ne prenant en compte 80% des ouvrages en rivière (qui ont entre 5 et 100 kW de puissance brute). Pour les mêmes raisons, les études de potentiels hydro-électriques des SDAGE sont contestées.

Partenariat plus institutionnel de l'Onema avec les fédérations de moulins
Une avancée avec la FMDF, qui est en train de finaliser un accord pour l'étude de sites problématiques. Rien sur le reste.

Signature rapide du classement des rivières L-214-17 CE avec formation des personnels le mettant en oeuvre (y compris les aspects sociologiques, patrimoniaux, paysagers)
Les classements ont été signés, mais sans formation des personnels de mise en oeuvre. Les innombrables problèmes dans l'exécution du classement ont motivé l'appel à moratoire. Nota : il était peu logique de demander un classement rapide de plus de 10.000 ouvrages alors que le retour d'expérience des 1300 ouvrages Grenelle montrait déjà des problèmes importants et un retard manifeste dans l'exécution (peu d'ouvrages aménagés en 3 ans 2010-2012)

Action envers les notaires pour un transfert correct des propriétés de moulins incluant rappel des droits et devoirs
Aucune avancée. Ce point est important, agents immobiliers et notaires continuent de vendre des moulins comme des maisons au bord de l'eau sans accomplir les formalités nécessaires (signalement au préfet du transfert d'autorisation), sans alerter les nouveaux propriétaires de leurs devoirs et servitudes, sans s'assurer que le maître d'ouvrage comprend les enjeux hydrauliques.

Desserrer les délais de mise en conformité prévus par la loi
Les délais ont été desserrés de fait sur le Parce 2009 (ouvrages Grenelle). Pour le classement des rivières 2012-2013, c'est l'objet de la demande de moratoire.

Formaliser de manière concertée des modalités pratiques de mise en oeuvre de la loi et du Parce
Aucune avancée sérieuse. C'est l'objet théorique de la "Charte des moulins", mais on observe un dialogue de sourds, la Direction de l'eau veut simplement imposer son texte, sans tenir compte des attentes et propositions de ses interlocuteurs (voir nos articles sur le sujet).



Nouvelles attentes issues des retours d'expériences 2012-2015
Les trois années écoulées depuis la parution du rapport CGEDD 2012 ont confirmé l'ampleur des difficultés, ce qui fait évidemment regretter l'inertie quasi-totale du Ministère de l'Ecologie sur les recommandations les plus importantes qui avaient été formulées. La publication des arrêtés de classement des rivières (2012 et 2013) suivie des premières mises en oeuvre de la continuité écologique sur le territoire a permis à un plus grand nombre d'acteurs de se confronter aux choix publics, pour souvent exprimer des réserves et des critiques. Dans le même laps de temps, la recherche scientifique a progressé, notamment à la lumière des mesures de surveillance homogénéisées de la DCE 2000 et des retours critiques (aux Etats-Unis, puis en Europe) des premières vagues de restauration écologique de rivière. La liste de 8 recommandations ci-dessous s'inspire de ces retours de terrains et/ou exploration de la littérature savante.

Moratoire sur la mise en oeuvre du classement L214-17 CE
La nécessité du moratoire s'alimente à deux constats. D'une part, le nombre de dossiers traités chaque année par les services instructeurs (DDT-Onema) et les Agences de l'eau dépasse difficilement la dizaine d'ouvrages effectivement aménagés par département, ce qui est notoirement insuffisant, en particulier dans les bassins où le classement liste 2 a été le plus étendu en linéaire (voir exemple). D'autre part, une frange non négligeable des propriétaires est hostile à la manière dont la continuité écologique est mise en oeuvre, ce qui se traduit de diverses manières : absence de réponse aux lettres d'information DDT, refus des prescriptions faites par bureaux d'études, demande à l'Etat de motiver les obligations d'équipement, etc. Le délai de 5 ans n'est donc pas réaliste. Il faut ajouter un enjeu de gouvernance : le choix d'un moratoire serait de nature à apaiser la situation de plus en plus tendue entre les associations, les élus locaux et l'Etat, condition d'une reprise des échanges dans un climat plus calme et constructif. Sans moratoire, les contentieux juridiques seront nombreux dès 2017 car d'éventuelles mises en demeure préfectorales seraient contestées devant les tribunaux administratifs pour non respect des motivations complètes et procédures contradictoires impliquées par le L 214-17 CE (voir ce point).

Rappel du caractère exceptionnel de l'effacement et de ses conditions de mise en oeuvre
Le choix a été opéré par le Ministère de l'Ecologie de favoriser la solution de destruction des ouvrages (Circulaires de 2010 et 2013). Les services de l'Etat ont également appuyé cette proposition dans les commissions de certaines Agences de l'eau en charge d'élaborer les programmes de mesures (subvention maximale à l'effacement, minimale aux dispositifs de franchissement non destructifs). La légalité de ce choix est contestée, car les notions d'effacement (arasement, dérasement) sont absentes de la LEMA 2006 et de la loi de Grenelle 2009, qui demandent au contraire des aménagements et équipements. Il est démontré sans conteste que les députés et sénateurs ont volontairement exclu la mention de l'effacement dans les textes de loi relatifs à la continuité écologique. Outre la légalité douteuse des injonctions à effacer, plusieurs problèmes écologiques se posent, qui sont actuellement mal gérés en cas d'effacement : bilan chimique des nutriments, bilan de pollution des sédiments, risques d'espèces invasives, tenue des berges et fondations, garanties sur les crues et étiages, absence d'évaluation des services rendus par les écosystèmes aménagés, etc. Enfin, ce choix est perçu comme une provocation symbolique par les associations, et fait apparaître la réforme de continuité écologique comme une entreprise punitive, excessive et autoritaire. Il ne paraît pas possible d'obtenir une adhésion à la réforme sans commencer par formaliser un rappel du caractère exceptionnel de l'effacement, l'urgence de l'entourer de toutes les précautions environnementales nécessaires s'il est la seule option souhaitée et la nécessité de le proscrire dès lors que le maître d'ouvrage, ou les tiers ayant-droit dans l'influence du remous s'y opposent. Une instruction formelle devra être donnée aux services préfectoraux en ce sens, afin que chaque maître d'ouvrage comme chaque tiers dans l'influence du site puisse s'en prévaloir et se prémunir d'une interprétation locale tendancieuse de la loi.

Faisabilité économique des aménagements de continuité
Les bureaux d'études coûtent entre 5 et 50 k€ selon la complexité du site. Les travaux prescrits coûtent en moyenne 50 k€ du mètre de chute. Il en ressort que le maître d'ouvrage désireux de faire des aménagements de franchissement doit (en moyenne et hors financement exceptionnel) affronter des coûts allant de dizaines à centaines de milliers d'euros, même après subvention des Agences. Ces sommes excèdent parfois la valeur foncière du bien. Elles sont hors de portée des particuliers, et elles mettent en danger les petites exploitations (particulièrement s'il faut y ajouter des aménagements d'ichtyompatibilité et diverses autres pressions réglementaires concomitantes aux exigences de continuité écologique). Sont nécessaires sur ce plan : une analyse plus détaillée des structures de coûts et une sélection des solutions les plus abordables ; un choix prioritaire des solutions les moins coûteuses (primat du réalisme économique indispensable à la réussite de la réforme) ; une révision de la politique de financement des Agences avec un taux plus élevé pour les passes à poissons et autres dispositifs de franchissement ; une recherche de financeurs complémentaires aux Agences et/ou de ménanismes publics de soutien ou indemnisation.

Audit scientifique de la continuité écologique (objectifs, méthodes, résultats)
Au cours des 5 années écoulées, de nombreux travaux de recherche français, européens et internationaux ont concerné l'influence relative de barrages sur la qualité biologique / chimique des rivières, ainsi que des analyses critiques des protocoles ou des résultats des opérations de restauration écologique. Ces travaux tendent à conclure, de manière convergente, que l'impact des ouvrages est modeste, que la probabilité d'obtenir des résultats rapides sur des critères de qualité de type DCE 2000 est faible et que les réhabilitations hydromorphologiques doivent être programmées avec soin, notamment en tenant compte de l'ensemble des impacts du bassin comme des capacités de résilience des milieux. D'autres travaux, relatifs à l'histoire de l'environnement ou à la modélisation des bassins, suggèrent que les petits ouvrages déjà présents au XIXe siècle ont eu des impacts faibles sur l'évolution des migrateurs et exercent des pressions très modestes. Pour finir, la recherche scientifique met aussi à jour des effets positifs des ouvrages, comme le rôle auto-épurateur des retenues vis-à-vis des nutriments (ce qui n'est pas négligeable en France au regard du problème de pollution des eaux). L'ensemble de ces recherches doit mener à une audit scientifique des politiques de continuité, qui ont été conçues et formalisées sur la base de connaissances plus anciennes. Cet audit doit inclure un comparatif avec les choix des autres pays européens (cet exemple) et avec les retours d'expérience nord-américains, ainsi qu'une analyse coût-efficacité des aménagements déjà réalisés et faisant l'objet d'un suivi.

Etude scientifique de l'impact spécifique des petits ouvrages
La littérature scientifique internationale sur la continuité écologique – concept développé à partir des années 1980 – concerne pour l'essentiel des ouvrages de dimension importante (plus de 5 m), et en particulier les effets sur la rivière des grands barrages de production ou de régulation. Cela ne correspond pas à la réalité du patrimoine hydraulique français : dans le ROE de l'Onema, les ouvrages moins de 2 m forment environ 90% des obstacles à l'écoulement, et les moins de 1 m environ 50%. Il est indispensable de procéder à une étude scientifique (impliquant nos laboratoires de recherche) de l'impact spécifique des petits barrages (sachant que les travaux existants sur le taux d'étagement n'ont pas le rigueur suffisante pour informer le gestionnaire). La variabilité des indicateurs de qualité DCE (écologie, particulièrement diatomées, invertébrés et poissons) doit y être rapportée à la hauteur des ouvrages, aux taux d'étagement / fractionnement des tronçons, aux indicateurs de pollution chimique ou physico-chimique, aux autres pressions du bassin versant (usages des sols notamment) et bien sûr aux conditions naturelles (écorégions, pente, température, etc.). Le protocole de cette recherche doit permettre d'évaluer la variance totale de qualité écologique ainsi que la dépendance de cette variance à la hauteur / la densité des ouvrages. Ses résultats doivent avoir une visée applicative : définir des priorités d'aménagement en fonction de la nature des ouvrages hydrauliques. La notion d'obstacle à l'écoulement à partir de 20 cm de hauteur est bien trop vague pour informer une politique à échelle des bassins.

Révision des classements, méthodologie de diagnostic par rivière et priorisation par bassin versant
Dans sa mise en oeuvre actuelle, la continuité écologique est déficiente au plan des diagnostics appuyés sur des connaissances, et elle conduit donc à des dépenses publiques inutiles ou non-optimales. Typiquement, on finance des bureaux d'études qui analysent de manière très partielle des sites ou (au mieux) des groupes de sites sur un tronçon. Ces BE font généralement un travail correct d'ingénieur, mais ils ne disposent pas des méthodes ni des outils de la recherche : ils se contentent donc d'un diagnostic superficiel local, ne tiennent pas compte des dynamiques de la rivière et du bassin versant (pression-réponse), ne sont pas capables de modéliser des trajectoires sédimentaires ou piscicoles (biotiques en général) donc de garantir des résultats, etc. A cela s'ajoute que les opérations de restauration ne sont pas priorisées par enjeu écologique (très mal estimé à échelle des bassins et des rivières), mais par opportunité politique locale (maître d'ouvrage consentant), d'où parfois des options douteuses (voir cet exemple sur le chabot, cet effacement en zone à IPR bon, ce bilan coût-bénéfice d'un aménagement, etc.). Comme l'avait rappelé le directeur de l'eau dans la Circulaire de 2013, la réforme de continuité écologique ne consiste pas à restaurer de l'habitat local, mais à rétablir des fonctionnalités de transit et franchissement là où elles sont nécessaires. Il est donc impossible de dire qu'un aménagement ou un effacement serait toujours une opération "sans regret" car on a supprimé une retenue : ce n'est pas le texte ni l'esprit de la loi, ce n'est pas la nature de nos obligations européennes DCE 2000, ce n'est pas non plus le besoin prioritaire des milieux. Il faut donc repenser, avec l'appui de la recherche académique, les méthodologies et les modèles pour réviser en conséquence les classements (zonage géographique, espèces-cibles, etc.). Les financements des agences dédiés aux connaissances et à l'acquisition de données sont totalement insuffisants aujourd'hui, ce qui conduit à des actions décidées en déficit d'information fiable sur les bassins versants.

Simplification des règles IOTA, harmonisation des interprétations des services instructeurs et gel de toute incertitude supplémentaire sur les évolutions réglementaires
Le droit de l'eau a été modifié dans sa partie législative par les lois de 2006 et 2009, et plus encore dans sa partie réglementaire. L'activité normative et prescriptive ne faiblit pas (comme en témoignent le décret de 01/07/2014 et l'arrêté du 11/09/2015), elle se mène généralement sans concertation ou sans prise en compte des objections des parties prenantes entendues, elle aboutit à une complexité illisible. A cela s'ajoute que les services instructeurs (DDT-Onema) et les Agences de l'eau n'ont pas les mêmes règles d'interprétation, de recommandation ou de subvention, donnant un fort sentiment d'inégalité devant les charges publiques et d'arbitraire dans les évaluations administratives. Les propriétaires d'ouvrages se trouvent en situation d'insécurité réglementaire permanente et doivent affronter des coûts de plus en plus élevés pour des travaux d'entretien courant. Le résultat est évidemment très négatif : défiance envers les services instructeurs, tentation de faire des travaux sans déclaration au regard du risque de demandes exorbitantes, inertie et absence d'entretien du bien face à la difficulté de faire des dossiers et au coût de les déléguer à des entreprises, etc. Il est nécessaire de stopper cette suractivité réglementaire transformant le droit de l'environnement en maquis inaccessible, de publier un guide clair sur les régimes (libre-déclaration-autorisation) relatifs à chaque action d'entretien (curage bief, curage retenue, changement vanne, relance turbine, etc.), de définir des pratiques raisonnables au plan de l'exécution et économiquement acceptables (sur l'analyse des sédiments en cas de curage, sur les pêches électriques de sauvegarde, etc.) au regard des enjeux environnementaux qui sont souvent très modestes.

Etudes in situ de mortalité en turbines de petites puissances
Outre l'estimation du potentiel en petite hydro-électricté (moins de 100 kW) déjà demandée par le CGEDD, il convient de mener une étude spécifique sur la mortalité en turbines de petites puissances. Les positions actuelles de l'Onema (comme les modélisations plus récentes menées en Loire-Bretagne) sont fortement contestées car elles s'appuient sur des modèles de mortalité n'ayant rien à voir avec des petits sites de 5 à 250 kW (et sur des protocoles ne correspondant pas au comportement naturel du poisson à l'approche d'une chambre d'eau). Des propriétaires de petites centrales hydro-électriques sont volontaires pour participer à des études in situ de mortalité, à condition que le protocole de ces études reflète les conditions réelles d'exploitation et permette des conclusions robustes suivies d'effets en terme d'évolution réglementaire. L'enjeu n'est pas négligeable puisque les services de l'Etat demandent par principe des mesures d'ichtyompatibilité (grille fine, goulotte de dévalaison, passe, contrôle de mortalité, etc.) qui sont coûteuses et qui rendent non-rentables la remise en service de beaucoup de petites puissances – alors que dans le même temps, on a vu arriver sur le marché des équipements énergétiques permettant de relancer tout site, y compris très modeste, de manière relativement simple. Le frein à l'équipement des petites puissances hydro-électriques est essentiellement dans la complexité réglementaire inadaptée à des sites très modestes, et dans le coût économique qu'induisent des demandes disproportionnées aux enjeux écologiques.

En conclusion
Les problèmes de mise en oeuvre de la continuité écologique ne viennent pas des moulins et riverains, mais de l'incapacité du Ministère de l'Ecologie à construire une vraie concertation avec eux, à admettre que l'effacement massif des ouvrages hydrauliques n'est pas une solution recevable sur ce compartiment de la rivière et à produire des demandes réalistes au plan économique. L'inertie du Ministère sur les recommandations CGEDD 2012 témoigne hélas! amplement de sa mauvaise volonté. Ces recommandations étaient valables : elles doivent être appliquées, et non écartées. S'y ajoutent 8 propositions qui sont fondées sur des retours empiriques du terrain et des analyses de la littérature scientifique. Leur motivation est raisonnable, leur examen est indispensable. Il est d'ores et déjà acquis que le délai de 2017-2018 pour l'exécution des aménagements de continuité écologique est intenable, et que la persistance à imposer ce délai se traduirait par des contentieux pour les nombreux maîtres d'ouvrage refusant les termes qui leur sont aujourd'hui imposés. Nous appelons donc à prononcer en premier lieu un moratoire sur l'exécution de cette réforme. C'est le préalable nécessaire à tout examen de fond des questions sans réponses depuis 3 ans.