Une pétition lancée par L214, Sea Shepherd, les Fondations Brigitte Bardot et 30 Millions d'amis est mise en ligne pour interdire la pêche récréative à Paris, une autre pour interdire la pêche du saumon en France, tandis que des associations naturalistes mettent en garde sur les effets délétères des déchets de pêche pour la faune sauvage. L'ouverture de la pêche 2018 se fait sur fond d'une contestation inédite de ce loisir, qui soulevait jusque là une certaine indifférence bienveillante de l'opinion, voire parfois la sympathie de milieux écologistes. Quelques réflexions sur ce sujet, où la première étape nous semble déjà de considérer la pêche comme un impact et de ne plus lui confier le diagnostic écologique des milieux aquatiques, dont les enjeux excèdent l'approche halieutique et ses intérêts particuliers.
Voici deux ans tout juste, nous avions publié une tribune où, observant que le milieu des pêcheurs donne volontiers des leçons d'usage de la rivière à tout le monde, il ne saurait s'abstenir d'un recul sur ses propres pratiques, et travailler à les améliorer avant de critiquer celles des autres. Car eux aussi subiront le regard social. Ce temps semble arriver.
L214, Sea Shepherd, les Fondations Brigitte Bardot et 30 Millions d'amis ont lancé une pétition associée à une campagne affichage, en vue d'interdire la pêche récréative dans les départements où la consommation de poisson est interdite, donc où aucune finalité alimentaire ne peut être mise en avant. Une demande en ce sens va être déposée au Conseil de Paris.
La demande se fonde sur la souffrance animale : "Retirés brutalement de leur milieu, les poissons sont angoissés et souffrent de suffocation. Toute forme de pêche est potentiellement mortelle pour les poissons (…) A cela s'ajoutent les souffrances physiques liées aux lésions provoquées par l'hameçon, en particulier ceux qui possèdent un ardillon. Utilisée pour éviter un décrochage de l'hameçon, cette pointe provoque d'importants dégâts anatomiques lors de son retrait. Les lésions peuvent s'infecter et empêcher un poisson remis à l'eau de s'alimenter, causant son agonie". Les auteurs de l'appel réfutent l'idée que le "no kill" ou "catch and release" (remettre l'animal vivant à l'eau) serait une solution, car il ne règle pas le problème de la souffrance animale et provoque par ailleurs des lésions qui réduisent l'espérance de vie des poissons.
Outre cette capacité à souffrir, c'est le respect de l'animal comme disposant d'une vie pouvant être vécue qui est invoqué : "Comme les animaux vertébrés terrestres, les poissons ont un système nerveux central ; ils possèdent également des structures cérébrales homologues à celles présentes chez les mammifères pour le ressenti de la douleur. Il est donc aujourd'hui largement accepté que les poissons éprouvent la souffrance physique. Par ailleurs, ils ont des relations sociales complexes et peuvent communiquer entre eux de façon très élaborée. Ils possèdent une personnalité et sont capables de comportements et d'apprentissages sophistiqués : contrairement aux idées reçues, ils sont dotés d'une mémoire à long terme. Ils sont victimes d'un préjugé sur leurs capacités à éprouver des émotions car ils ne possèdent pas d'expression faciale et ne s'expriment pas vocalement, ce qui rend la lecture de leurs émotions difficile pour un humain".
Une autre motivation est la protection des espèces : "ces animaux peuvent aussi être menacés d'extinction : 15 espèces de poissons d'eau douce de France métropolitaine sont en danger, dont le Brochet et l'Anguille européenne".
Le Fédération nationale de la pêche en France (FNPF) a répondu en saisissant à son tour le Conseil de Paris (voir leur courrier). Elle met en cause "une campagne de déstabilisation visant à interdire la pratique de la pêche depuis début mars", qui est "orchestrée par un groupement d’associations de protection animale". Le ton est plutôt belliqueux. Son argument pour la pêche récréative : "Au-delà de la pratique d’un loisir, il s’agit d’une profession de foi envers les milieux aquatiques et leur biodiversité". La FNPF met en avant le rôle social de la pêche, son poids économique, son partenariat historique avec le ministère de l’écologie. Il est à noter que la fédération de pêche évite toute mention des principaux arguments des opposants, à savoir la question morale de la souffrance volontairement infligée à un animal sensible.
Que faut-il en penser?
La souffrance animale reste une question discutée dans le cas des poissons, même si la "balance des preuves" penche plutôt vers sa réalité. La biologiste Victoria Braithwaite a écrit un livre entier sur ce sujet rassemblant l'ensemble des expérimentations et observations suggérant que les poissons ressentent de la souffrance (Braithwaite 2010, sur le bien-être des poissons voir Braithwaite 2017). D'autres chercheurs ont objecté que les poissons ne ressentent pas l'équivalent humain de la souffrance, la détection inconsciente de stimuli nocifs (nociception) n'étant pas la douleur consciente au plan neurobiologique et psychologique (Rose et al 2014). Une équipe scientifique a défini 17 critères biologiques et comportementaux permettant d'évaluer l'existence d'une douleur chez les différents règnes, observant que les poissons remplissent la plupart des critères, au même titre que les mammifères ou les oiseaux (Sneddon et al 2014).
La science établit des faits, mais elle n'a de toute façon aucune autorité pour définir des morales et émettre des jugements de valeur (même si certains écologues ou biologistes tendent parfois à l'oublier, comme le relevait Christian Lévêque). Le rapport de l'être humain à l'animal est une question de civilisation qui excède la caractérisation neurobiologique de la douleur, laquelle apporte un élément d'information mais non de décision. On pourrait choisir de tolérer la pêche même si elle provoque une souffrance chez l'animal, ou au contraire de l'interdire même si elle provoque une douleur bénigne : ce sont les usages sociaux, les héritages culturels, les réflexions éthiques et les débats démocratiques qui en décident.
Les approches éthiques de la nature sont parfois séparées en vision biocentriste (le vivant a une valeur intrinsèque dont le respect s'impose à l'homme) ou anthopocentriste (l'homme reste l'arbitre de ses choix moraux sur le vivant selon ses intérêts, goûts ou valeurs). Les positions biocentristes se montrent en général soucieuses de la condition animale, ce qui peut inclure la condamnation de la pêche parmi d'autres activités de prédation. Ces positions posent quand même un problème de logique : ceux qui parlent au nom de la nature non humaine le font toujours à partir de leur vision (humaine) de cette nature. Ils n'échappent donc pas en dernier ressort à une fondation anthroposourcée de leur morale. (Le spectacle le plus étrange en ce domaine est certainement donné par certains pêcheurs spécialisés de saumons ou truites qui d'un côté affirment défendre la vie sauvage, des positions radicales en écologie voire une empathie avec les poissons, mais d'un autre côté réclament une sorte d'exception pour leur pratique, comme activité tolérée au sein de cette nature interdite à d'autres humains. Il n'est cependant pas nouveau que chacun voit midi à sa porte et que les pratiques marginales produisent parfois d'étranges constructions intellectuelles…)
Nombre de pratiques sont accompagnées de la souffrance et de la mort animales (élevage, chasse, pêche, corrida, expérimentation scientifique, etc.). Certaines sont très contestés, d'autres mieux acceptées. Nos sociétés modernes se montrent de plus en plus attentives à la question. Le débat est souvent celui de l'intérêt que l'on accorde à la pratique provoquant la souffrance, le stress ou la mort de l'animal. Par exemple, mener une expérience sur des souris en vue de mettre au point un médicament n'est pas la même chose qu'organiser des combats de chiens en vue de récolter l'argent des paris.
S'il existe une longue histoire de la réflexion philosophique sur l'animal, les débats sociétaux sur sa sensibilité et sa souffrance sont néanmoins assez récents. Sur le sujet, chacun peut déjà se construire une morale personnelle, par réflexion sur les rapports qu'il a envie d'avoir avec les animaux au regard des connaissances dont nous disposons. Mais avoir une répugnance personnelle envers telle ou telle pratique n'autorise pas à fonder son interdiction, ce qui rendrait nos sociétés peu vivables. Il paraît assez précoce de réclamer une position publique en la matière, qui suppose un certain consensus social à ce jour inexistant, tant sur la pêche que sur d'autres pratiques.
Considérer la pêche comme un impact et l'autonomiser de la gestion écologique des rivières
En revanche, les prises de position des associations ayant lancé l'appel à interdire la pêche rappellent une évidence qui avait été oubliée : les pêcheurs sont avant tout des usagers de la rivière, qui exploitent ses peuplements de poissons au bénéfice d'un loisir.
Cela pose un problème quand, jouissant de leur agrément public, les fédérations de pêche sont parfois chargées des diagnostics de rivière et promeuvent la "protection des milieux aquatiques" en centrant l'essentiel de leur réflexion sur les dimensions halieutiques et piscicoles. Or, ces dernières n'expriment pas tous les enjeux de biodiversité, et leur sont parfois contraires : introduction d'espèces étrangères au bassin, alevinage et déversement d'espèces d'élevage avec risque d'introgression génétique, diffusion de certains pathogènes par les matériels de pêche, destruction de milieux lentiques d'intérêt au nom d'une continuité centrée sur quelques espèces cibles de la pêche, etc.
Confie-t-on aux chasseurs le diagnostic et la gestion écologiques des forêts et des prairies? Le fait d'accorder parfois ces prérogatives aux pêcheurs pour les rivières et étangs est un héritage dépassé. Et désormais contesté.
Il faut y ajouter des problèmes de gouvernance : représentation automatique des pêcheurs dans des instances de concertation et décisions dont d'autres usagers ou d'autres associations (dont les naturalistes) sont exclus, conflit d'intérêt quand des élus locaux sont aussi dans les instances de pêche et doivent prendre des décisions au sein des syndicats de rivière, etc.
Pour toutes ces raisons, on doit autonomiser l'évaluation écologique des rivières de la pêche dans les années à venir et analyser l'impact de la pêche de manière indépendante, au même titre que les autres usages. Concrètement, il s'agira notamment d'exposer le problème aux élus et de donner désormais des avis défavorables à toute délégation d'études de rivière aux fédérations de pêche dans le cadre des SAGE, des contrats bassin ou des études GEMAPI. De même, la pêche est le seul usage qui n'avait jamais fait l'objet d'une évaluation scientifique de son impact par l'Onema (office biaisé par sa sympathie pour la pratique), et l'Agence française pour la biodiversité devrait mettre un terme à cette anomalie en étudiant la question. De ce point de vue, la campagne de L214, Sea Shepherd, Fondations Brigitte Bardot et 30 Millions d'amis a le mérite de mettre en évidence l'absence de consensus social sur la pêche et la nécessité d'une analyse critique de ses pratiques.
19/03/2018
18/03/2018
Remarques sur l'instruction législative des 12-20 août 1790
Les droits d'eau fondés en titre des moulins et autres ouvrages hydrauliques ne sont pas nés en antériorité de l'abolition des privilèges par les décrets des 4-11 août 1789, comme on le croit parfois, mais par leur existence avant l'instruction législative des 12-20 août 1790, qui instaure l'obligation d'une autorisation départementale pour créer un ouvrage en cours d'eau non domanial. La lecture de cette instruction montre que les moulins et écluses étaient accusés d'inonder les parcelles du lit majeur - ce qui, aujourd'hui, équivaudrait plutôt à limiter le risque d'inondation aval et à favoriser l'émergence de zones humides!
L'instruction législative des 12-20 août 1790 est à l'origine de la distinction entre les droits fondés en titre et les droits fondés sur titre (c'est-à-dire sur autorisation administrative). L'abolition des privilèges et la vente des biens nationaux laissent une période de flottement après 1789 : les ouvrages hydrauliques ne sont pas collectivisés, mais relèvent désormais de la propriété privée. Il est présumé que leur droit est établi pour ceux qui existent, d'où la notion de droit fondé en titre pour tous les ouvrages présents au moment des décisions de l'assemblée constituante.
En revanche, à compter de le prise d'effet de l'instruction des 12-20 août 1790, la création d'un nouvel ouvrage hydraulique sur les cours d'eau ni flottables ni navigables est réglementée : son autorisation est désormais confiée à la police des eaux et forêts officiant dans chaque département sous l'autorité du préfet.
De là procède qu'un moulin (ou tout autre ouvrage) créé après le 20 août 1790 n'est plus fondé en titre, mais relève d'une autorisation formelle délivrée par la préfecture. Par suite des évolutions de la loi et de la jurisprudence, cette autorisation est sans limite de temps si elle été accordée entre 1790 et 1919 pour les puissances inférieures à 150 kW.
Si l'on revient à l'instruction législative des 12-20 août 1790, son chapitre 6 sur la question des ouvrages énonce :
On observe ensuite que le risque d'inondation des parcelles à l'amont des retenues est dans les esprits. C'était une accusation régulièrement portée contre les ouvrages, comme le montrent de nombreux contentieux de riveraineté sous l'Ancien Régime. Ce rappel est intéressant à l'heure où l'on parle de prévention des crues par expansion dans le lit majeur... tout en supprimant des ouvrages pour que l'eau retrouve un cours plus rapide (voir cet article)! Ou encore de favoriser les zones humides, une préoccupation que n'avaient certes pas les acteurs de la Révolution puisqu'ils ont pris un décret d'assèchement des étangs (voir ce livre d'Abad 2006), en conformité à une tendance ancienne au draingage des marais, marécages et autres zones jugées peu favorables à la santé comme à l'agriculture (voir ce livre de Derex 2017 et des éléments dans Lévêque 2016).
On remarque enfin que la pensée des constituants est utilitariste : c'est le "but d'utilité générale" qui doit guider "toutes les eaux du territoire". Et en cette époque où famines et crises frumentaires sont encore fréquentes, l'usage agricole ("irrigation") compte parmi les priorités.
Illustration : paysage avec moulin à eau par François Boucher (1703-1770).
L'instruction législative des 12-20 août 1790 est à l'origine de la distinction entre les droits fondés en titre et les droits fondés sur titre (c'est-à-dire sur autorisation administrative). L'abolition des privilèges et la vente des biens nationaux laissent une période de flottement après 1789 : les ouvrages hydrauliques ne sont pas collectivisés, mais relèvent désormais de la propriété privée. Il est présumé que leur droit est établi pour ceux qui existent, d'où la notion de droit fondé en titre pour tous les ouvrages présents au moment des décisions de l'assemblée constituante.
En revanche, à compter de le prise d'effet de l'instruction des 12-20 août 1790, la création d'un nouvel ouvrage hydraulique sur les cours d'eau ni flottables ni navigables est réglementée : son autorisation est désormais confiée à la police des eaux et forêts officiant dans chaque département sous l'autorité du préfet.
De là procède qu'un moulin (ou tout autre ouvrage) créé après le 20 août 1790 n'est plus fondé en titre, mais relève d'une autorisation formelle délivrée par la préfecture. Par suite des évolutions de la loi et de la jurisprudence, cette autorisation est sans limite de temps si elle été accordée entre 1790 et 1919 pour les puissances inférieures à 150 kW.
Si l'on revient à l'instruction législative des 12-20 août 1790, son chapitre 6 sur la question des ouvrages énonce :
"Elles [les administrations départementales] doivent aussi rechercher et indiquer les moyens de procurer le libre cours des eaux, d'empêcher que les prairies ne soient submergées par la trop grande élévation des écluses des moulins et par les autres ouvrages d'art établis sur les rivières, de diriger enfin, autant qu'il sera possible, toutes les eaux de leur territoire vers un but d'utilité générale, d'après les principes de l'irrigation."On note d'abord que le "libre cours des eaux", et donc une certaine "continuité" avant la lettre, est valorisée par le législateur. Le libre cours de l'époque n'est pas tellement pensé en lien direct aux poissons - même s'il existe déjà diverses interventions du pouvoir monarchique pour réglementer la pêche et la gestion d'ouvrages sur certaines rivières. D'autres usages de l'eau sont aussi à l'esprit des constituants, comme par exemple le flottage, qui connaît son maximum historique au moment de la Révolution et dont Paris dépend pour son approvisionnement en bois de chauffage.
On observe ensuite que le risque d'inondation des parcelles à l'amont des retenues est dans les esprits. C'était une accusation régulièrement portée contre les ouvrages, comme le montrent de nombreux contentieux de riveraineté sous l'Ancien Régime. Ce rappel est intéressant à l'heure où l'on parle de prévention des crues par expansion dans le lit majeur... tout en supprimant des ouvrages pour que l'eau retrouve un cours plus rapide (voir cet article)! Ou encore de favoriser les zones humides, une préoccupation que n'avaient certes pas les acteurs de la Révolution puisqu'ils ont pris un décret d'assèchement des étangs (voir ce livre d'Abad 2006), en conformité à une tendance ancienne au draingage des marais, marécages et autres zones jugées peu favorables à la santé comme à l'agriculture (voir ce livre de Derex 2017 et des éléments dans Lévêque 2016).
On remarque enfin que la pensée des constituants est utilitariste : c'est le "but d'utilité générale" qui doit guider "toutes les eaux du territoire". Et en cette époque où famines et crises frumentaires sont encore fréquentes, l'usage agricole ("irrigation") compte parmi les priorités.
Illustration : paysage avec moulin à eau par François Boucher (1703-1770).
16/03/2018
Les amphibiens et leur protection en France, un enjeu pour les moulins, étangs et plans d'eau
L'administration française et certaines fédérations de pêche essaient de promouvoir un peu partout la destruction ou l'assèchement des étangs, lacs, plans d'eau, biefs et leurs zones humides attenantes. Ces choix, favorables à certaines espèces (poissons migrateurs), sont défavorables à d'autres. En particulier les amphibiens, qui sont des espèces menacées et protégées. Rappel de droit et quelques conseils à ce sujet.
Les amphibiens (grenouilles, crapauds, salamandres, tritons) sont des espèces menacées par la disparition et la fragmentation de leurs habitats depuis plusieurs siècles, ainsi que par la pollution, le changement climatique et l'expansion des pathologies liées à des espèces exotiques. Le drainage des zones humides et l'artificialisation des sols ont considérablement réduit les sites favorables à ces espèces.
Selon l'IUCN et ses listes rouges construites avec le Muséum d'histoire naturelle, la France compte 35 espèces d'amphibiens endémiques en métropole. Huit espèces d'amphibiens sont considérées comme menacées (soit 23%)
Ces espèces se rencontrent souvent dans des sites aujourd'hui à risque de destruction ou d'assèchement dans le cadre de la restauration de continuité longitudinale des rivières : étangs, biefs, zones humides annexes de ces sites (sur l'intérêt de ces milieux, voir par exemple Chester et Robson 2013, Wezel et al 2014, Kirchberg et al 2016).
La continuité latérale (inondation du lit majeur) davantage que longitudinale est un enjeu de premier plan pour les amphibiens (pour la biodiversité en général). Il faut toutefois mener une réflexion à ce sujet aussi, car un facteur défavorable est la présence de poissons. Le reprofilage systématique des annexes hydrauliques comme frayères à brochet (souvent promu aujourd'hui) ne sera ainsi pas optimal pour les amphibiens. Il faut donc favoriser également au long des cours d'eau des annexes intermittentes dont les entrées ne sont pas conçues pour favoriser le passage des poissons.
Il appartient aux propriétaires, riverains et associations de demander au gestionnaire et à l'administration de réaliser des campagnes d'observation et d'inventaire de ces espèces dans tout chantier mettant en péril des habitats favorables aux amphibiens. Le cas échéant de les réaliser eux-mêmes, les amphibiens étant observables à compter de la sortie de l'hiver (vers février mars). Par ailleurs, les maîtres d'ouvrage peuvent créer facilement des micro-habitats favorables aux amphibiens, en usant avec discernement de la présence de l'eau sur leurs propriétés.
La protection juridique des amphibiens
Au plan du droit, l'arrêté du 19 novembre 2007 a fixé les listes des amphibiens et des reptiles protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection.
Article 2
Pour les espèces d'amphibiens et de reptiles dont la liste est fixée ci-après :
I. - Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l'enlèvement des oeufs et des nids, la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel.
II. - Sont interdites sur les parties du territoire métropolitain où l'espèce est présente ainsi que dans l'aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants, la destruction, l'altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s'appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l'espèce considérée, aussi longtemps qu'ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l'altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques.
Urodèles
Salamandridés :
Euprocte des Pyrénées (Euproctus asper) (Dugès, 1852). Euprocte corse (Euproctus montanus) (Savi, 1838). Salamandre noire (Salamandra atra) (Laurenti, 1768). Salamandre de Lanza (Salamandra lanzai) (Nascetti, Andreone, Capula et Bullini, 1988). Triton crêté italien (Triturus carnifex) (Laurenti, 1768). Triton crêté (Triturus cristatus) (Laurenti, 1768). Triton marbré (Triturus marmoratus) (Latreille, 1800).
Plethodontidés :
Spélerpès brun (Speleomantes [Hydromantes] ambrosii) (Lanza, 1955). Spéléomante de Strinati (Speleomantes [Hydromantes] strinatii) (Aellen, 1958).
Anoures
Discoglossidés : Crapaud accoucheur (Alytes obstetricans) (Laurenti, 1768). Crapaud sonneur à ventre jaune (Bombina variegata) (Linné, 1758). Discoglosse corse (Discoglossus montalentii) (Lanza, Nascetti, Capula et Bullini, 1984). Discoglosse peint (Discoglossus pictus) (Otth, 1837). Discoglosse sarde (Discoglossus sardus) (Tschudi, 1837).
Pélobatidés : Pélobate cultripède (Pelobates cultripes) (Cuvier, 1829). Pélobate brun (Pelobates fuscus) (Laurenti, 1768).
Bufonidés : Crapaud calamite (Bufo calamita) (Laurenti, 1768). Crapaud vert (Bufo viridis) (Laurenti, 1768).
Hylidés : Rainette verte (Hyla arborea) (Linné, 1758). Rainette méridionale (Hyla meridionalis) (Boettger, 1874). Rainette corse (Hyla sarda) (De Betta, 1857).
Ranidés : Grenouille des champs (Rana arvalis) (Nilsson, 1842). Grenouille agile (Rana dalmatina) (Bonaparte, 1840). Grenouille ibérique (Rana iberica) (Boulenger, 1879). Grenouille de Lessona (Rana lessonae) (Camerano, 1882).
Article 3
Pour les espèces d'amphibiens et de reptiles dont la liste est fixée ci-après :
I. - Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l'enlèvement des oeufs et des nids, la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel.
Urodèles
Salamandridés : Salamandre de Corse (Salamandra corsica) (Savi, 1838). Salamandre tachetée (Salamandra salamandra) (Linné, 1758). Triton alpestre (Triturus alpestris) (Laurenti, 1768). Triton de Blasius (Triturus blasii) (de l'Isle, 1862). Triton palmé (Triturus helveticus) (Razoumowski, 1789). Triton ponctué (Triturus vulgaris) (Linné, 1758).
Anoures
Pélodytidés : Pélodyte ponctué (Pelodytes punctatus) (Daudin, 1803).
Bufonidés : Crapaud commun (Bufo bufo) (Linné, 1758).
Ranidés : Grenouille de Berger (Rana bergeri) (Günther, 1985). Grenouille de Graf (Rana grafi) (Crochet, Dubois et Ohler, 1995). Grenouille de Perez (Rana perezi) (Seoane, 1885). Grenouille des Pyrénées (Rana pyrenaica) (Serra-Cobo, 1993). Grenouille rieuse (Rana ridibunda) (Pallas, 1771).
A lire :
Guide ASPAS de protection des amphibiens
UICN, liste rouge des amphibiens et reptiles en France
Illustration : petite zone humide en contrebas d'un bief de moulin, hébergeant des amphibiens. Les propriétaires d'ouvrage hydraulique doivent se montrer attentifs aux espèces profitant des écoulements et de leurs annexes. Il est aussi possible de réaliser des optimisations favorables aux amphibiens (création de mares et plans d'eau séparés des poissons, creusement de sillons servant de zones humides et régulièrement alimentés en pied de bief). Les amphibiens cherchent des zones fraîches et humides, une faible profondeur en eau suffit à la reproduction pour la plupart.
Les amphibiens (grenouilles, crapauds, salamandres, tritons) sont des espèces menacées par la disparition et la fragmentation de leurs habitats depuis plusieurs siècles, ainsi que par la pollution, le changement climatique et l'expansion des pathologies liées à des espèces exotiques. Le drainage des zones humides et l'artificialisation des sols ont considérablement réduit les sites favorables à ces espèces.
Selon l'IUCN et ses listes rouges construites avec le Muséum d'histoire naturelle, la France compte 35 espèces d'amphibiens endémiques en métropole. Huit espèces d'amphibiens sont considérées comme menacées (soit 23%)
Ces espèces se rencontrent souvent dans des sites aujourd'hui à risque de destruction ou d'assèchement dans le cadre de la restauration de continuité longitudinale des rivières : étangs, biefs, zones humides annexes de ces sites (sur l'intérêt de ces milieux, voir par exemple Chester et Robson 2013, Wezel et al 2014, Kirchberg et al 2016).
La continuité latérale (inondation du lit majeur) davantage que longitudinale est un enjeu de premier plan pour les amphibiens (pour la biodiversité en général). Il faut toutefois mener une réflexion à ce sujet aussi, car un facteur défavorable est la présence de poissons. Le reprofilage systématique des annexes hydrauliques comme frayères à brochet (souvent promu aujourd'hui) ne sera ainsi pas optimal pour les amphibiens. Il faut donc favoriser également au long des cours d'eau des annexes intermittentes dont les entrées ne sont pas conçues pour favoriser le passage des poissons.
Il appartient aux propriétaires, riverains et associations de demander au gestionnaire et à l'administration de réaliser des campagnes d'observation et d'inventaire de ces espèces dans tout chantier mettant en péril des habitats favorables aux amphibiens. Le cas échéant de les réaliser eux-mêmes, les amphibiens étant observables à compter de la sortie de l'hiver (vers février mars). Par ailleurs, les maîtres d'ouvrage peuvent créer facilement des micro-habitats favorables aux amphibiens, en usant avec discernement de la présence de l'eau sur leurs propriétés.
La protection juridique des amphibiens
Au plan du droit, l'arrêté du 19 novembre 2007 a fixé les listes des amphibiens et des reptiles protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection.
Article 2
Pour les espèces d'amphibiens et de reptiles dont la liste est fixée ci-après :
I. - Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l'enlèvement des oeufs et des nids, la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel.
II. - Sont interdites sur les parties du territoire métropolitain où l'espèce est présente ainsi que dans l'aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants, la destruction, l'altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s'appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l'espèce considérée, aussi longtemps qu'ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l'altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques.
Urodèles
Salamandridés :
Euprocte des Pyrénées (Euproctus asper) (Dugès, 1852). Euprocte corse (Euproctus montanus) (Savi, 1838). Salamandre noire (Salamandra atra) (Laurenti, 1768). Salamandre de Lanza (Salamandra lanzai) (Nascetti, Andreone, Capula et Bullini, 1988). Triton crêté italien (Triturus carnifex) (Laurenti, 1768). Triton crêté (Triturus cristatus) (Laurenti, 1768). Triton marbré (Triturus marmoratus) (Latreille, 1800).
Plethodontidés :
Spélerpès brun (Speleomantes [Hydromantes] ambrosii) (Lanza, 1955). Spéléomante de Strinati (Speleomantes [Hydromantes] strinatii) (Aellen, 1958).
Anoures
Discoglossidés : Crapaud accoucheur (Alytes obstetricans) (Laurenti, 1768). Crapaud sonneur à ventre jaune (Bombina variegata) (Linné, 1758). Discoglosse corse (Discoglossus montalentii) (Lanza, Nascetti, Capula et Bullini, 1984). Discoglosse peint (Discoglossus pictus) (Otth, 1837). Discoglosse sarde (Discoglossus sardus) (Tschudi, 1837).
Pélobatidés : Pélobate cultripède (Pelobates cultripes) (Cuvier, 1829). Pélobate brun (Pelobates fuscus) (Laurenti, 1768).
Bufonidés : Crapaud calamite (Bufo calamita) (Laurenti, 1768). Crapaud vert (Bufo viridis) (Laurenti, 1768).
Hylidés : Rainette verte (Hyla arborea) (Linné, 1758). Rainette méridionale (Hyla meridionalis) (Boettger, 1874). Rainette corse (Hyla sarda) (De Betta, 1857).
Ranidés : Grenouille des champs (Rana arvalis) (Nilsson, 1842). Grenouille agile (Rana dalmatina) (Bonaparte, 1840). Grenouille ibérique (Rana iberica) (Boulenger, 1879). Grenouille de Lessona (Rana lessonae) (Camerano, 1882).
Article 3
Pour les espèces d'amphibiens et de reptiles dont la liste est fixée ci-après :
I. - Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l'enlèvement des oeufs et des nids, la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel.
Urodèles
Salamandridés : Salamandre de Corse (Salamandra corsica) (Savi, 1838). Salamandre tachetée (Salamandra salamandra) (Linné, 1758). Triton alpestre (Triturus alpestris) (Laurenti, 1768). Triton de Blasius (Triturus blasii) (de l'Isle, 1862). Triton palmé (Triturus helveticus) (Razoumowski, 1789). Triton ponctué (Triturus vulgaris) (Linné, 1758).
Anoures
Pélodytidés : Pélodyte ponctué (Pelodytes punctatus) (Daudin, 1803).
Bufonidés : Crapaud commun (Bufo bufo) (Linné, 1758).
Ranidés : Grenouille de Berger (Rana bergeri) (Günther, 1985). Grenouille de Graf (Rana grafi) (Crochet, Dubois et Ohler, 1995). Grenouille de Perez (Rana perezi) (Seoane, 1885). Grenouille des Pyrénées (Rana pyrenaica) (Serra-Cobo, 1993). Grenouille rieuse (Rana ridibunda) (Pallas, 1771).
A lire :
Guide ASPAS de protection des amphibiens
UICN, liste rouge des amphibiens et reptiles en France
Illustration : petite zone humide en contrebas d'un bief de moulin, hébergeant des amphibiens. Les propriétaires d'ouvrage hydraulique doivent se montrer attentifs aux espèces profitant des écoulements et de leurs annexes. Il est aussi possible de réaliser des optimisations favorables aux amphibiens (création de mares et plans d'eau séparés des poissons, creusement de sillons servant de zones humides et régulièrement alimentés en pied de bief). Les amphibiens cherchent des zones fraîches et humides, une faible profondeur en eau suffit à la reproduction pour la plupart.
14/03/2018
Casser les ouvrages hydrauliques sans aggraver le risque d'inondation? Nos décideurs vont devoir prendre leurs responsabilités
A Kerguinoui, les riverains du Léguer se plaignent que les modifications des ouvrages hydrauliques en lien à la continuité écologique ont aggravé les inondations. On leur dit qu'ils ont tort. A Poilley, le maire du village s'inquiète de l'effet des crues si les barrages de la Sélune venaient à être détruits. On lui dit qu'il a tort. Mais est-ce si sûr? La destruction d'ouvrages au nom de la continuité écologique aura-t-elle des effets négligeables et l'argent public est-il dépensé à bon escient? Ce n'est pas du tout l'avis de René Autelet, ingénieur conseil, dont nous publions une tribune avec son aimable autorisation. Détruire ou assécher un peu partout les retenues, les étangs, les canaux, les biefs, les plans d'eau alors que l'on vante les stratégies de rétention et d'expansion des eaux de crue lui paraît une complète contradiction de la part de nos décideurs. Car ces ouvrages ont aussi une fonction de gestion de l'eau, en crue comme à l'étiage, dont les Anciens usaient avec sagesse. Aucune étude n'a jamais simulé les variations d'inondation à échelle d'un bassin entier selon les hypothèses retenues pour la continuité écologique : il serait temps de le faire... avant de défaire!
Qui n'a jamais entendu dire par certains esprits chagrins que les politiques agricoles étaient incohérentes ?
À une certaine époque, nous nous gaussions entre étudiants du fait que tel ou tel agriculteur ait pu toucher, la même année bien sûr, une prime à l''abattage de ses pommiers et une autre à la replantation… de pommiers. Une blague semblable circulait sur la "prime à la vache", qui aurait financé en même temps l'abattage et la reconstitution du troupeau. Si notre jeunesse a pu excuser la propagation de telles allégations, sans les vérifier c'est bien normal, j'ai pu les répéter, pour rire, sans vraiment y croire.
Et pourtant, en cette deuxième année d'inondations catastrophiques, un article local paru dans l'une des régions les plus touchées, vient d'attirer mon attention et semer un doute affreux dans mon esprit. L'Eclaireur du Gâtinais dans son édition du mercredi 24 janvier 2018, sous le titre "Face au tumulte des eaux boueuses" annonce "qu'il faudra attendre deux ans avant que les premières actions soient entreprises et financées pour aménager des zones d'expansion des eaux en terres agricoles (afin de réduire l'impact des crues sur les zones habitées)".
Aménager des zones d'expansion des eaux en terres agricoles! C'est sidérant! Devons-nous rappeler que, depuis l'antiquité jusqu'au 19e siècle en passant par le moyen âge, des seuils, chaussées et moulins ont été aménagés tout au long des rivières du monde occidental, pour capter l'énergie d'une part, et indirectement pour réguler les crues ?
Devons-nous rappeler que depuis la transposition de La directive européenne 2000/60/ CE du 23 octobre 2000 en droit français, les services publics s'appliquent, au nom d'une interprétation abusive de la "continuité écologique", à détruire et à effacer toute retenue d'eau, travaux dantesques appliqués sur la plupart de nos rivières de France ?
Un observateur attentif pourra facilement remarquer que les ouvrages de retenue de l'ensemble de nos vieux moulins sont aménagés sur le même niveau que les prairies environnantes et souvent les surplombant légèrement. La moindre crue, concrétisée par un passage de l'eau au-dessus des murs provoque immanquablement le déversement sur les terres alentour, répertoriées de ce fait sous le nom de "prairies inondables".
La carte de Cassini, établie sur ordre de Louis XV au 18e siècle, fait l'inventaire des moulins de cette époque. Le 19e siècle fut riche de créations et nous pouvons constater que la grande majorité de nos rivières était parsemée de moulins à eau. A raison d'une retenue en moyenne tous les 2 km, voire 1,5 km sur certaines rivières, capable d'inonder ne serait-ce que 2 à 4 hectares, ne serait-ce encore que de 25 à 50 cm d'eau, et compte tenu du nombre de kilomètres de nos cours d'eau, il est facile de calculer que les 2 mètres d'eau qui ont sinistré Nemours en juin 2016 auraient été largement épongés… si du Betz à la Bezonde en passant par l'Ouanne, le Solin, le Puiseaux, le Vernisson, la Cléry ou le Loing, nos cours d'eau n'avaient été la proie des idéologues et de leur folie destructrice. Surtout si l'on ajoute à cela qu'une coordination aurait pu permettre de vider préventivement toutes les retenues existantes à l'annonce de fortes pluies.
Dans le concours de circonstances à l'origine des crues exceptionnelles de ces deux dernières années, c'est à cette cause déterminante que nous pouvons attribuer la grande part de responsabilité. C'est la raison pour laquelle face à l'omerta des services publics et au silence des médias, nous avons publié dans notre bulletin SITMAFGR n°106 de juillet-août 2016 l'article "Petits ruisseaux font grandes rivières…".
De même, dans l'excellent article de Loup Francart, publié dans La Propriété Privée Rurale n°415 de février 2012, nous pouvons lire : "L'administration, en imposant massivement les destructions d'ouvrages, va reproduire les mêmes erreurs (…). En imposant des mesures sans avoir connaissance de l'impact qu'elles produiront, elle laisse les usagers (…) contraints de faire face (…) aux inconvénients générés par cette politique (…). Dans 20, 30, voire 50 ans, la France reconstruira sans aucun doute ces ouvrages...".
L'auteur ne pensait pas si bien dire, ni d'avoir raison si tôt. Les projets d'aménagements de zones d'expansion des eaux en terres agricoles sont déjà sur la table… et on en cherche le financement… en oubliant qu'il faudra et c'est normal indemniser aussi ces nouvelles terres agricoles que l'on prévoit de rendre inondables. Avec quel argent justement? Une "taxe inondation" sera-t-elle instaurée? Certaines communautés de communes y pensent sérieusement (l'Eclaireur du Gâtinais : article "Solidaires pour lutter contre les crues").
Pendant ce temps, des dizaines voire des centaines de milliers d'euros sont engloutis pour chaque ouvrage joyeusement détruit, somme à multiplier par des dizaines de chantiers sur chaque cours d'eau, à multiplier par le chiffre impressionnant de nos kilomètres de rivière, supérieur à 500 000!
Cette débauche d'incohérences dans l'utilisation de l'argent public est suffocante. Elle l'est également pour les propriétaires de moulins qui se défendent pour sauver leurs aménagements, sous le harcèlement permanent des techniciens de rivière et leurs commissions en tout genre.
"Faire et défaire, c'est toujours travailler", ce dicton populaire ne s'applique pas dans notre cas, car ce "défaire et faire" est totalement contre-productif, avec de l'argent public qui fait cruellement défaut par ailleurs. Une incitation à l'aménagement énergétique des moulins était possible, à l'instar de ce qui a été fait pour les capteurs photovoltaïques. Des solutions rationnelles répondant aux exigences de la continuité écologique existent. Détruire les obstacles, de façon irréversible, correspond à la pire des orientations.
L'histoire de "la prime à la vache", si elle n'est pas certaine, peut toujours faire rire, mais il y a bien plus grave et inquiétant…
Illustration : lors d'une crue, le bief d'un moulin (au premier plan) se remplit, puis commence à déborder sur la prairie d'inondation en contrebas. Ce mécanisme contribue à ralentir et diffuser l'onde de crue. Il a par ailleurs de l'intérêt pour la biodiversité. L'administration française a classé 20 000 ouvrages hydrauliques à traiter en 5 ans, avec comme solution de première intention la destruction de ces ouvrages, donc des équilibres hydrauliques en place. Aucune simulation à grande échelle n'a jamais été produite pour vérifier les effets cumulés de ces choix. Et dans le même temps, l'administration vante les mérites des champs d'expansion de crue en lit majeur... qu'elle incite justement à détruire sur argent public! On nage en pleine contradiction pour cette politique dogmatique, précipitée et décriée.
Cette tribune est originellement parue dans Sitmafgr Liaison n°115 - janvier-février 2018
Qui n'a jamais entendu dire par certains esprits chagrins que les politiques agricoles étaient incohérentes ?
À une certaine époque, nous nous gaussions entre étudiants du fait que tel ou tel agriculteur ait pu toucher, la même année bien sûr, une prime à l''abattage de ses pommiers et une autre à la replantation… de pommiers. Une blague semblable circulait sur la "prime à la vache", qui aurait financé en même temps l'abattage et la reconstitution du troupeau. Si notre jeunesse a pu excuser la propagation de telles allégations, sans les vérifier c'est bien normal, j'ai pu les répéter, pour rire, sans vraiment y croire.
Et pourtant, en cette deuxième année d'inondations catastrophiques, un article local paru dans l'une des régions les plus touchées, vient d'attirer mon attention et semer un doute affreux dans mon esprit. L'Eclaireur du Gâtinais dans son édition du mercredi 24 janvier 2018, sous le titre "Face au tumulte des eaux boueuses" annonce "qu'il faudra attendre deux ans avant que les premières actions soient entreprises et financées pour aménager des zones d'expansion des eaux en terres agricoles (afin de réduire l'impact des crues sur les zones habitées)".
Aménager des zones d'expansion des eaux en terres agricoles! C'est sidérant! Devons-nous rappeler que, depuis l'antiquité jusqu'au 19e siècle en passant par le moyen âge, des seuils, chaussées et moulins ont été aménagés tout au long des rivières du monde occidental, pour capter l'énergie d'une part, et indirectement pour réguler les crues ?
Devons-nous rappeler que depuis la transposition de La directive européenne 2000/60/ CE du 23 octobre 2000 en droit français, les services publics s'appliquent, au nom d'une interprétation abusive de la "continuité écologique", à détruire et à effacer toute retenue d'eau, travaux dantesques appliqués sur la plupart de nos rivières de France ?
Un observateur attentif pourra facilement remarquer que les ouvrages de retenue de l'ensemble de nos vieux moulins sont aménagés sur le même niveau que les prairies environnantes et souvent les surplombant légèrement. La moindre crue, concrétisée par un passage de l'eau au-dessus des murs provoque immanquablement le déversement sur les terres alentour, répertoriées de ce fait sous le nom de "prairies inondables".
La carte de Cassini, établie sur ordre de Louis XV au 18e siècle, fait l'inventaire des moulins de cette époque. Le 19e siècle fut riche de créations et nous pouvons constater que la grande majorité de nos rivières était parsemée de moulins à eau. A raison d'une retenue en moyenne tous les 2 km, voire 1,5 km sur certaines rivières, capable d'inonder ne serait-ce que 2 à 4 hectares, ne serait-ce encore que de 25 à 50 cm d'eau, et compte tenu du nombre de kilomètres de nos cours d'eau, il est facile de calculer que les 2 mètres d'eau qui ont sinistré Nemours en juin 2016 auraient été largement épongés… si du Betz à la Bezonde en passant par l'Ouanne, le Solin, le Puiseaux, le Vernisson, la Cléry ou le Loing, nos cours d'eau n'avaient été la proie des idéologues et de leur folie destructrice. Surtout si l'on ajoute à cela qu'une coordination aurait pu permettre de vider préventivement toutes les retenues existantes à l'annonce de fortes pluies.
Dans le concours de circonstances à l'origine des crues exceptionnelles de ces deux dernières années, c'est à cette cause déterminante que nous pouvons attribuer la grande part de responsabilité. C'est la raison pour laquelle face à l'omerta des services publics et au silence des médias, nous avons publié dans notre bulletin SITMAFGR n°106 de juillet-août 2016 l'article "Petits ruisseaux font grandes rivières…".
De même, dans l'excellent article de Loup Francart, publié dans La Propriété Privée Rurale n°415 de février 2012, nous pouvons lire : "L'administration, en imposant massivement les destructions d'ouvrages, va reproduire les mêmes erreurs (…). En imposant des mesures sans avoir connaissance de l'impact qu'elles produiront, elle laisse les usagers (…) contraints de faire face (…) aux inconvénients générés par cette politique (…). Dans 20, 30, voire 50 ans, la France reconstruira sans aucun doute ces ouvrages...".
L'auteur ne pensait pas si bien dire, ni d'avoir raison si tôt. Les projets d'aménagements de zones d'expansion des eaux en terres agricoles sont déjà sur la table… et on en cherche le financement… en oubliant qu'il faudra et c'est normal indemniser aussi ces nouvelles terres agricoles que l'on prévoit de rendre inondables. Avec quel argent justement? Une "taxe inondation" sera-t-elle instaurée? Certaines communautés de communes y pensent sérieusement (l'Eclaireur du Gâtinais : article "Solidaires pour lutter contre les crues").
Pendant ce temps, des dizaines voire des centaines de milliers d'euros sont engloutis pour chaque ouvrage joyeusement détruit, somme à multiplier par des dizaines de chantiers sur chaque cours d'eau, à multiplier par le chiffre impressionnant de nos kilomètres de rivière, supérieur à 500 000!
Cette débauche d'incohérences dans l'utilisation de l'argent public est suffocante. Elle l'est également pour les propriétaires de moulins qui se défendent pour sauver leurs aménagements, sous le harcèlement permanent des techniciens de rivière et leurs commissions en tout genre.
"Faire et défaire, c'est toujours travailler", ce dicton populaire ne s'applique pas dans notre cas, car ce "défaire et faire" est totalement contre-productif, avec de l'argent public qui fait cruellement défaut par ailleurs. Une incitation à l'aménagement énergétique des moulins était possible, à l'instar de ce qui a été fait pour les capteurs photovoltaïques. Des solutions rationnelles répondant aux exigences de la continuité écologique existent. Détruire les obstacles, de façon irréversible, correspond à la pire des orientations.
L'histoire de "la prime à la vache", si elle n'est pas certaine, peut toujours faire rire, mais il y a bien plus grave et inquiétant…
Illustration : lors d'une crue, le bief d'un moulin (au premier plan) se remplit, puis commence à déborder sur la prairie d'inondation en contrebas. Ce mécanisme contribue à ralentir et diffuser l'onde de crue. Il a par ailleurs de l'intérêt pour la biodiversité. L'administration française a classé 20 000 ouvrages hydrauliques à traiter en 5 ans, avec comme solution de première intention la destruction de ces ouvrages, donc des équilibres hydrauliques en place. Aucune simulation à grande échelle n'a jamais été produite pour vérifier les effets cumulés de ces choix. Et dans le même temps, l'administration vante les mérites des champs d'expansion de crue en lit majeur... qu'elle incite justement à détruire sur argent public! On nage en pleine contradiction pour cette politique dogmatique, précipitée et décriée.
Cette tribune est originellement parue dans Sitmafgr Liaison n°115 - janvier-février 2018
13/03/2018
Invertébrés en rivières: comment mesurer les effets des pressions humaines et des échelles spatiales (Villeneuve et al 2018)
Des chercheurs français publient les résultats d'un modèle conçu à partir de 643 sites et de plus de 2400 campagnes d'échantillonnage d'invertébrés aquatiques. Ce travail montre que si la pollution par les nutriments reste le premier effet direct sur les populations d'invertébrés, l'évaluation des pressions change quand on prend en compte les effets indirects et latents des autres facteurs du bassin. La morphologie et les usages des sols prennent alors un poids plus important, de même que les échelles spatiales larges du tronçon et bassin versant par rapport à l'échelle très locale du site. L'étude montre aussi que les rivières ne répondent pas tout à fait de la même manière selon leur dimension et leur substrat géologique calcaire ou non. Si le modèle ne détaille pas chaque impact morphologique, il apparaît que les usages agricoles et urbains des lits, des berges et du lit majeur ont un poids conséquent sur la qualité écologique vue à travers les invertébrés. Cela suggère que la reconquête d'un bon état écologique des rivières au sens de la DCE sera complexe, longue et coûteuse. Raison de plus pour que l'argent public soit dépensé sur la base d'analyses rigoureuses, non au hasard des modes ou lobbying du moment. Et pour que les finalités de cette action soient mieux exposées aux citoyens qui les financent : s'il s'agit de revoir l'ensemble des usages des bassins versants, le caractère massif de l'investissement devra justifier de services écosystémiques proportionnés à l'effort demandé.
Bertrand Villeneuve et ses collègues (UR MALY, Irstea, Laboratoire d'hydro-écologie quantitative ; Laboratoire interdisciplinaire des environnements continentaux, UMR 7360 CNRS—Université de Lorraine) viennent de publier une nouvelle recherche à propos des impacts des différentes pressions sur les invertébrés aquatiques en rivière. Leur problématique est ainsi énoncée : "Le but de notre approche était de prendre en compte les échelles spatiales imbriquées pilotant le fonctionnement des rivières dans la description des liens pressions / état écologique, en analysant les résultats d'un modèle hiérarchique. Le développement de ce modèle nous a permis de répondre aux questions suivantes: La prise en compte des liens indirects entre les pressions anthropiques et l'état écologique des cours d'eau modifie-t-elle la hiérarchie des types de pression impactant les invertébrés benthiques? Les différentes échelles imbriquées jouent-elles des rôles différents dans la relation pressions anthropiques / statut écologique? Ce modèle permet-il de mieux comprendre le rôle spécifique de l'hydromorphologie dans l'évaluation de l'état écologique des cours d'eau?"
Les chercheurs ont sélectionné des hydro-écorégions de plaines et piémont (moins de 450 m), en divisant l'échantillon en deux critères géologiques : calcaire (roches sédimentaires) ou non calcaire. Une autre division, hydrologique, distingue les cours d'eau de petite dimension (ordre 1 à 3 de Strahler) et de moyenne dimension (ordre 4 à 6). Au final, quatre groupes sont analysés à partir de mesures réalisées sur 5 ans (2007-2012) : petites rivières non calcaires (160 sites, 638 échantillonnages), moyennes rivières non calcaires (127, 492), petites rivières calcaires (228, 817) et moyennes rivières calcaires (128, 460). Soit 643 sites et plus de 2400 campagnes d'échantillonnage.
La donnée biologique étudiée est l'indice invertébrés I2M2 (Mondy et al 2012), qui mesure les macro-invertébrés benthiques par la taxonomie et les traits des espèces, produisant un score de qualité en comparant des zones à faible et fort impact humain.
Les données de contexte et pression sont réparties en 3 échelles spatiales emboitées: le bassin versant (8 descripteurs, par exemple urbanisation, agriculture intensive, érosion, irrigation, etc.), le tronçon (13 descripteurs, par exemple digues, barrages, rectification, densité d'arbre en ripisylve), le site (8 descripteurs dont les données physico-chimiques type nitrates et phosphores, les matières en suspension, la mosaïques des substrats du lit).
La méthode statistique utilisée est l'approche PLS (Partial Least Squares, régression partielle moindres carrés), une modélisation qui cherche à mettre en correspondance des données manifestes et des données latentes, en tenant notamment en compte les influences indirectes (quand une variable A modifie une variable B par une action intermédiaire sur une variable C).
Le modèle est décrit par ce schéma ci-dessus, où l'on voit les différentes pressions (cadres rectangulaires) concourant à produire le résultat à expliquer (score I2M2), ou plus exactement ses variations. On notera que la notion de pression hydromorphologique est vaste : elle inclut érosion, drainage, irrigation, retenues (au niveau du bassin versant), ainsi que barrages, digues, routes en bord de rive, zones urbaines, état de la forêt rivulaire, rectification, changement de largeur (au niveau du tronçon).
Le schéma ci-dessus montre le poids relatif des grands facteurs causaux sur les variations de l'I2M2, selon les types de rivière. Le modèle distingue l'effet direct de l'effet total, ce dernier ré-ajustant l'effet observé en tenant compte des co-influences des facteurs. Le principal enseignement est que l'impact direct de la pollution (nutriments) sur site tend à se réduire si l'on prend en compte les effets indirects, au profit notamment des usages des sols et de l'hydromorphologie. Une autre observation est que ces variations sont plus ou moins marquées selon la dimension et la géologie de la rivière.
Les chercheurs soulignent : "En se focalisant sur l'effet total (direct + indirect) des variables latentes sur les valeurs I2M2, si les variables à impact majeur restent les concentrations en nutriments et en matière organique pour les petits cours d'eau non calcaires, les contributions relatives des effets indirects modifient l'ordre hiérarchique des impacts des autres variables latentes pour les autres types de flux. En effet, pour les petits cours d'eau non calcaires, la contribution décroissante à la variation des valeurs I2M2 expliquée par le modèle sont: nutriments et matière organique (42%), usages des sols du bassin versant (21%), altérations hydromorphologiques à l'échelle du bassin versant (16%), les mosaïques du substrat (15%) et les altérations hydromorphologiques à l'échelle du tronçon (6%). En revanche, dans les cours d'eau de taille moyenne non calcaire, l'ordre décroissant d'importance des impacts a été modifié en: usages des sols du bassin versant (29%), altérations hydromorphologiques à l'échelle du tronçon (29%), nutriments et matière organique (18%), mosaïques (17%) et altérations hydromorphologiques à l'échelle du bassin (7%). Pour les petits cours d'eau calcaires, cet ordre était: usages es sols du bassin hydrographique (33%), mosaïques du substrat (25,0%), nutriments et matières organiques (19%), altérations hydromorphologiques du tronçon (15%) et bassin versant (8%). Pour les cours d'eau de taille moyenne, il s'agissait de: usage des sols (35%), nutriments et matière organique (24%), mosaïque de substrat (18%), altérations hydromorphologiques du tronçon (18%) et du bassin (5%)".
Concernant l'hydromorphologie, les chercheurs observent : "le total des contributions directes des variables hydromorphologiques, aussi bien à l'échelle du bassin versant que du tronçon, représentait de 13% à 23% de la variance totale des valeurs I2M2 expliquées par les modèles. Ces contributions sont passées de 6% (cours d'eau de petite taille) à 13% (cours d'eau de taille moyenne non calcaire) en tenant compte également des effets indirects du bassin versant et de l'hydromorphologie sur les caractéristiques physico-chimiques et les mosaïques des sites, fournissant des contributions totales de 22% à 36% (selon les types de rivière) de la variance expliquée dans les valeurs I2M2."
Ce nouveau schéma ci-dessus montre le poids relatif du site, du tronçon ou du bassin versant. Le principal enseignement est que la prise en compte de l'effet total met en valeur l'influence des grandes échelles spatiales (tronçons et bassin versants). En d'autres termes, quand on analyse plus finement l'influence réciproque des impacts, on s'aperçoit qu'une partie des influences attribuées au site relève plutôt du tronçon ou du bassin versant.
Discussion
Concernant le modèle proposé dans cette publication, plusieurs points nous sembleraient intéressants à approfondir :
Ce modèle de Bertrand Villeneuve et ses collègues montre la complexité et la difficulté d'une étude d'impact sur les bassins versants. Certains lecteurs nous demandent parfois pourquoi nous jugeons les documents de la littérature grise (comme les états des lieux des SDAGE) insuffisants comme outils de décision : cette étude leur apportera un début de réponse. Une politique écologique commence par des mesures in situ et des modélisations pour comprendre le bassin versant sur lequel on investit de l'argent public. Par exemple, dépenser beaucoup d'argent à échelle de sites sans prendre en compte des altérations à échelle supérieure (tronçon, bassin) risque de produire des résultats modestes ou nuls, ce qui est d'ailleurs souvent observé en analyse avant-après d'interventions sur la morphologie (voir par exemple Morandi 2014, Lorenz et al 2018 en Allemagne, cette synthèse 2005-2015). Comme les variations de populations d'insectes aquatiques ne sont pas vraiment la priorité des citoyens, le choix d'interventions peu sensées et le risque de résultats insignifiants vont altérer un consentement à payer déjà assez modeste.
On notera à ce sujet que l'I2M2, comme tous les indicateurs DCE fondés sur l'état de référence, souffre d'une certaine circularité dans sa construction. On s'attend à ce qu'une rivière et un bassin modifiés par l'homme ne produisent pas les mêmes assemblages d'espèces que d'autres très peu modifiés. Le fait de nommer "dégradation" ce changement est un jugement de valeur davantage qu'un jugement scientifique, et il revient in fine à dire (par des moyens un peu complexes) qu'une "bonne" rivière serait une rivière sur laquelle l'homme intervient un minimum (paradigme de la "nature sans l"homme" comme référence idéalisée). Il reste encore à expliquer pourquoi, c'est-à-dire en vertu de quel jugement social partagé certains assemblages d'insectes (dans le cas de l'I2M2) sont préférables à d'autres. On peut douter que l'ovoviviparité ou le polyvotinisme d'une métapopulation d'invertébrés motive en soi un grand nombre de riverains à agir ! Si l'insecte témoigne d'une pollution également dommageable à l'être humain, sa variation a davantage de sens. S'il témoigne d'une évolution physique ou chimique de l'eau sans effet notable sur l'homme, l'enjeu paraît plus difficile à justifier en coût des politiques publiques. Les scores plus aisés à partager seraient certainement la biomasse et la biodiversité (perçues comme signes d'une nature diverse et en bonne santé), mais ils n'apparaissent plus dans le score unique agrégé des indices composites de type I2M2. Dans l'étude ici commentée, les variations des sous-scores composant l'I2M2 ne sont pas détaillées, ce qui est dommage.
Enfin, bien qu'il s'adresse au gestionnaire dans sa conclusion, ce travail apporte surtout des éléments d'intérêt à une théorie de l'évolution écologique des communautés aquatiques, selon une approche systémique. Il est en cela très utile, puisqu'il améliore l'intelligibilité de la dynamique des écosystèmes sous influence anthropique. Sa valeur restera en revanche limitée pour informer les débats très locaux, qui concernent l'écologie de sites particuliers. Par exemple, notre association fait régulièrement observer aux syndicats ou autres gestionnaires que la disparition des ouvrages hydrauliques transversaux (comme suppression d'un impact morphologique en lit mineur) fait dans le même temps disparaître divers micro-habitats secondaires, aquatiques ou humides, qui profitent eux aussi à certaines espèces, dont des invertébrés. Le score I2M2 de la station en lit mineur et la réalité de la biodiversité du site avant-après ne sont pas les mêmes mesures (en l'occurrence, la biodiversité ordinaire perçue par les riverains n'est pas celle de l'I2M2). Les modèles hiérarchisés de bassin versant peuvent donc nourrir des réflexions pour les politiques publiques répondant à des objectifs cadres (comme ceux de la DCE), mais ils ne permettront pas l'économie d'échanges bien plus précis sur la rivière et la biodiversité que veulent les riverains. Et cela ne se décide pas dans les bureaux de Bruxelles...
Référence : Villeneuve B et al (2018), Direct and indirect effects of multiple stressors on stream invertebrates across watershed, reach and site scales: A structural equation modelling better informing on hydromorphological impacts, Science of the Total Environment, 612, 660–671
Bertrand Villeneuve et ses collègues (UR MALY, Irstea, Laboratoire d'hydro-écologie quantitative ; Laboratoire interdisciplinaire des environnements continentaux, UMR 7360 CNRS—Université de Lorraine) viennent de publier une nouvelle recherche à propos des impacts des différentes pressions sur les invertébrés aquatiques en rivière. Leur problématique est ainsi énoncée : "Le but de notre approche était de prendre en compte les échelles spatiales imbriquées pilotant le fonctionnement des rivières dans la description des liens pressions / état écologique, en analysant les résultats d'un modèle hiérarchique. Le développement de ce modèle nous a permis de répondre aux questions suivantes: La prise en compte des liens indirects entre les pressions anthropiques et l'état écologique des cours d'eau modifie-t-elle la hiérarchie des types de pression impactant les invertébrés benthiques? Les différentes échelles imbriquées jouent-elles des rôles différents dans la relation pressions anthropiques / statut écologique? Ce modèle permet-il de mieux comprendre le rôle spécifique de l'hydromorphologie dans l'évaluation de l'état écologique des cours d'eau?"
Les chercheurs ont sélectionné des hydro-écorégions de plaines et piémont (moins de 450 m), en divisant l'échantillon en deux critères géologiques : calcaire (roches sédimentaires) ou non calcaire. Une autre division, hydrologique, distingue les cours d'eau de petite dimension (ordre 1 à 3 de Strahler) et de moyenne dimension (ordre 4 à 6). Au final, quatre groupes sont analysés à partir de mesures réalisées sur 5 ans (2007-2012) : petites rivières non calcaires (160 sites, 638 échantillonnages), moyennes rivières non calcaires (127, 492), petites rivières calcaires (228, 817) et moyennes rivières calcaires (128, 460). Soit 643 sites et plus de 2400 campagnes d'échantillonnage.
La donnée biologique étudiée est l'indice invertébrés I2M2 (Mondy et al 2012), qui mesure les macro-invertébrés benthiques par la taxonomie et les traits des espèces, produisant un score de qualité en comparant des zones à faible et fort impact humain.
Les données de contexte et pression sont réparties en 3 échelles spatiales emboitées: le bassin versant (8 descripteurs, par exemple urbanisation, agriculture intensive, érosion, irrigation, etc.), le tronçon (13 descripteurs, par exemple digues, barrages, rectification, densité d'arbre en ripisylve), le site (8 descripteurs dont les données physico-chimiques type nitrates et phosphores, les matières en suspension, la mosaïques des substrats du lit).
La méthode statistique utilisée est l'approche PLS (Partial Least Squares, régression partielle moindres carrés), une modélisation qui cherche à mettre en correspondance des données manifestes et des données latentes, en tenant notamment en compte les influences indirectes (quand une variable A modifie une variable B par une action intermédiaire sur une variable C).
Les données du modèle utilisé par Villeneuve et al 2018, art cit, droit de courte citation. Cliquer pour agrandir.
Poids direct et indirect des facteurs de variation de l'I2M2, selon les types de rivière, art cit, droit de courte citation. Cliquer pour agrandir.
Les chercheurs soulignent : "En se focalisant sur l'effet total (direct + indirect) des variables latentes sur les valeurs I2M2, si les variables à impact majeur restent les concentrations en nutriments et en matière organique pour les petits cours d'eau non calcaires, les contributions relatives des effets indirects modifient l'ordre hiérarchique des impacts des autres variables latentes pour les autres types de flux. En effet, pour les petits cours d'eau non calcaires, la contribution décroissante à la variation des valeurs I2M2 expliquée par le modèle sont: nutriments et matière organique (42%), usages des sols du bassin versant (21%), altérations hydromorphologiques à l'échelle du bassin versant (16%), les mosaïques du substrat (15%) et les altérations hydromorphologiques à l'échelle du tronçon (6%). En revanche, dans les cours d'eau de taille moyenne non calcaire, l'ordre décroissant d'importance des impacts a été modifié en: usages des sols du bassin versant (29%), altérations hydromorphologiques à l'échelle du tronçon (29%), nutriments et matière organique (18%), mosaïques (17%) et altérations hydromorphologiques à l'échelle du bassin (7%). Pour les petits cours d'eau calcaires, cet ordre était: usages es sols du bassin hydrographique (33%), mosaïques du substrat (25,0%), nutriments et matières organiques (19%), altérations hydromorphologiques du tronçon (15%) et bassin versant (8%). Pour les cours d'eau de taille moyenne, il s'agissait de: usage des sols (35%), nutriments et matière organique (24%), mosaïque de substrat (18%), altérations hydromorphologiques du tronçon (18%) et du bassin (5%)".
Concernant l'hydromorphologie, les chercheurs observent : "le total des contributions directes des variables hydromorphologiques, aussi bien à l'échelle du bassin versant que du tronçon, représentait de 13% à 23% de la variance totale des valeurs I2M2 expliquées par les modèles. Ces contributions sont passées de 6% (cours d'eau de petite taille) à 13% (cours d'eau de taille moyenne non calcaire) en tenant compte également des effets indirects du bassin versant et de l'hydromorphologie sur les caractéristiques physico-chimiques et les mosaïques des sites, fournissant des contributions totales de 22% à 36% (selon les types de rivière) de la variance expliquée dans les valeurs I2M2."
Poids direct et indirect des échelles spatiales du site, du tronçon ou du bassin, art cit, droit de courte citation. Cliquer pour agrandir.
Discussion
Concernant le modèle proposé dans cette publication, plusieurs points nous sembleraient intéressants à approfondir :
- les scores I2M2 viennent en général du réseau de surveillance de la directive européenne sur l'eau, dont les sites d'implantation ne sont pas représentatifs de tout leur bassin. Il peut y avoir un biais d'échantillonnage (de même qu'il existe une marge d'erreur dans le calcul des scores invertébrés, voir la thèse Wiederkehr 2015 dont l'impact sur la significativité des variations est peu étudiée en général). Des travaux sur un moins grand nombre de rivières, mais avec des mesures plus réparties sur leurs cours pourraient affiner les résultats du modèle;
- une absente dans les entrées du modèle reste la pollution des cours d'eau par les substances autres que les nutriments. Il a été montré par la recherche que les populations européennes d'invertébrés terrestres sont en déclin tendanciel depuis plusieurs décennies, parfois prononcé, avec en ce cas de fortes suspicions sur le rôle des pesticides de synthèse. Mais bien d'autres micropolluants terminent dans les eaux, sans que l'on connaisse leur impact. Ce critère est certes approché par les taux d'urbanisation et d'agriculture, mais les pratiques d'épuration et les types d'agriculture sont assez variables. On soulignera à ce sujet que si le modèle prédit bien la direction de variation des scores I2M2, il est loin d'expliquer toute la variance observée (le R2 est de 33% pour les petits cours d'eau non calcaires, 50% pour les cours d'eau non calcaires, 44% pour les petits cours d'eau calcaires et 40% pour les cours d'eau calcaires);
- le modèle donne une photographie instantanée des bassins. Il serait intéressant de développer une approche plus dynamique où, pour les scores invertébrés dont on dispose de séries pluridécennales et homogènes, l'évolution observée des insectes est mise en lien avec celle des pressions (voir le travail de Van Looy et al 2016). Comme il s'agit ici d'écologie appliquée, avec des avis donnés aux gestionnaires, cette approche dynamique contribuerait à séparer plus efficacement les mesures qui risquent d'avoir peu d'effets (voire des effets négatifs) et les autres;
- enfin, une attente forte réside dans l'évaluation détaillée de l'impact morphologique. Cette catégorie regroupe beaucoup de pressions différentes, comme on l'a vu ci-dessus dans la description du modèle. Le gestionnaire tient depuis une quinzaine d'années un discours sur l'égale importance de la pollution et de la morphologie. Cela peut s'entendre, mais le problème est que la morphologie désigne en réalité l'usage des eaux, des berges et des sols sur toutes les échelles (site, tronçon, bassin) : à ce niveau de généralité, on n'est guère avancé dans la décision! Il faudrait donc hiérarchiser plus finement le poids des pressions morphologiques, tant pour l'atteinte problématique des objectifs DCE 2027 que pour la bonne information du débat démocratique sur la rivière.
Ce modèle de Bertrand Villeneuve et ses collègues montre la complexité et la difficulté d'une étude d'impact sur les bassins versants. Certains lecteurs nous demandent parfois pourquoi nous jugeons les documents de la littérature grise (comme les états des lieux des SDAGE) insuffisants comme outils de décision : cette étude leur apportera un début de réponse. Une politique écologique commence par des mesures in situ et des modélisations pour comprendre le bassin versant sur lequel on investit de l'argent public. Par exemple, dépenser beaucoup d'argent à échelle de sites sans prendre en compte des altérations à échelle supérieure (tronçon, bassin) risque de produire des résultats modestes ou nuls, ce qui est d'ailleurs souvent observé en analyse avant-après d'interventions sur la morphologie (voir par exemple Morandi 2014, Lorenz et al 2018 en Allemagne, cette synthèse 2005-2015). Comme les variations de populations d'insectes aquatiques ne sont pas vraiment la priorité des citoyens, le choix d'interventions peu sensées et le risque de résultats insignifiants vont altérer un consentement à payer déjà assez modeste.
On notera à ce sujet que l'I2M2, comme tous les indicateurs DCE fondés sur l'état de référence, souffre d'une certaine circularité dans sa construction. On s'attend à ce qu'une rivière et un bassin modifiés par l'homme ne produisent pas les mêmes assemblages d'espèces que d'autres très peu modifiés. Le fait de nommer "dégradation" ce changement est un jugement de valeur davantage qu'un jugement scientifique, et il revient in fine à dire (par des moyens un peu complexes) qu'une "bonne" rivière serait une rivière sur laquelle l'homme intervient un minimum (paradigme de la "nature sans l"homme" comme référence idéalisée). Il reste encore à expliquer pourquoi, c'est-à-dire en vertu de quel jugement social partagé certains assemblages d'insectes (dans le cas de l'I2M2) sont préférables à d'autres. On peut douter que l'ovoviviparité ou le polyvotinisme d'une métapopulation d'invertébrés motive en soi un grand nombre de riverains à agir ! Si l'insecte témoigne d'une pollution également dommageable à l'être humain, sa variation a davantage de sens. S'il témoigne d'une évolution physique ou chimique de l'eau sans effet notable sur l'homme, l'enjeu paraît plus difficile à justifier en coût des politiques publiques. Les scores plus aisés à partager seraient certainement la biomasse et la biodiversité (perçues comme signes d'une nature diverse et en bonne santé), mais ils n'apparaissent plus dans le score unique agrégé des indices composites de type I2M2. Dans l'étude ici commentée, les variations des sous-scores composant l'I2M2 ne sont pas détaillées, ce qui est dommage.
Enfin, bien qu'il s'adresse au gestionnaire dans sa conclusion, ce travail apporte surtout des éléments d'intérêt à une théorie de l'évolution écologique des communautés aquatiques, selon une approche systémique. Il est en cela très utile, puisqu'il améliore l'intelligibilité de la dynamique des écosystèmes sous influence anthropique. Sa valeur restera en revanche limitée pour informer les débats très locaux, qui concernent l'écologie de sites particuliers. Par exemple, notre association fait régulièrement observer aux syndicats ou autres gestionnaires que la disparition des ouvrages hydrauliques transversaux (comme suppression d'un impact morphologique en lit mineur) fait dans le même temps disparaître divers micro-habitats secondaires, aquatiques ou humides, qui profitent eux aussi à certaines espèces, dont des invertébrés. Le score I2M2 de la station en lit mineur et la réalité de la biodiversité du site avant-après ne sont pas les mêmes mesures (en l'occurrence, la biodiversité ordinaire perçue par les riverains n'est pas celle de l'I2M2). Les modèles hiérarchisés de bassin versant peuvent donc nourrir des réflexions pour les politiques publiques répondant à des objectifs cadres (comme ceux de la DCE), mais ils ne permettront pas l'économie d'échanges bien plus précis sur la rivière et la biodiversité que veulent les riverains. Et cela ne se décide pas dans les bureaux de Bruxelles...
Référence : Villeneuve B et al (2018), Direct and indirect effects of multiple stressors on stream invertebrates across watershed, reach and site scales: A structural equation modelling better informing on hydromorphological impacts, Science of the Total Environment, 612, 660–671
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