Le conseil d'Etat estime dans une décision récente que l'altération de l'habitat aquatique d'espèces protégées ne justifie pas une dérogation pour un projet de petite hydro-électricité. Cette décision pose la question de la protection légale des projets contribuant à la transition énergétique. Elle souligne aussi la nécessité de relancer les sites existants, qui n'engagent aucun changement morphologique ou hydrologique, donc ne peuvent être attaqués au motif de la création d'une nouvelle perturbation. Enfin, elle suggère que l'association FNE, à l'origine de la plainte qui concernait des bouvières et des vandoises, contribue désormais aux émissions carbone de la France par son entrave systématique à des projets énergétiques alternatifs au fossile et au nucléaire. Les élus doivent en être informés.
L'association France Nature environnement et l'association Nature Midi-Pyrénées ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 28 avril 2014 par lequel le préfet du Tarn avait autorisé la société Energies Services Lavaur pays de Cocagne à perturber et détruire des spécimens d'espèces animales protégées ainsi que leurs habitats de reproduction, dans le cadre de la réalisation de la centrale hydro-électrique d'Ambres-Fonteneau (communes d'Ambres et de Lavaur). Par un jugement du 2 mars 2017, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Par un arrêt du 30 avril 2019, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif et l'arrêté du préfet du Tarn du 28 avril 2014. Le ministère de la transition écologique et solidaire a demandé au Conseil d'Etat d'annuler la décision de la cour d'appel. Le conseil d'Etat donne raison aux plaignants.
Le conseil d'Etat note : "un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économique et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur. En présence d'un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle".
Les conseillers valident le jugement d'appel : "Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la production annuelle de la centrale hydro-électrique projetée était évaluée à 12 millions de kilowattheures, soit la consommation électrique d'environ 5 000 habitants, permettant d'éviter le rejet annuel dans l'atmosphère de l'ordre de 8 300 tonnes de gaz carbonique, 38 tonnes de dioxyde de souffre, 19 tonnes de dioxyde d'azote et de 1,2 tonnes de poussières. Après avoir souverainement procédé à ce constat, la cour administrative d'appel a retenu qu'il n'était pas établi que ce projet de centrale hydroélectrique serait de nature à modifier sensiblement en faveur des énergies renouvelables l'équilibre entre les différentes sources d'énergie pour la région Occitanie et pour le territoire national et que le projet ne pouvait être regardé comme contribuant à la réalisation des engagements de l'Etat dans le développement des énergies renouvelables. En statuant ainsi, alors qu'il n'était pas établi devant elle que le projet, quoique de petite taille, s'inscrivait dans un plan plus large de développement de l'énergie renouvelable et notamment de l'hydroélectricité à laquelle il apporterait une contribution utile bien que modeste, la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en refusant de reconnaître, en l'état de l'instruction devant elle, que le projet répondait à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement."
Commentaire :
- les députés et sénateurs ne doivent pas seulement voter des lois favorisant le développement de l'hydro-électricité, ils doivent aussi réécrire clairement les ordres de priorité environnementale, sans quoi les investisseurs se décourageront et la France accumulera du retard. Nous l'avons écrit souvent, la doctrine publique de la rivière ne doit pas osciller dans des approches incohérentes;
- la relance des sites hydrauliques existants (sans création de nouveaux impacts) doit être prioritaire. Hélas, l'administration publique à la demande de lobbies minoritaires encourage la casse et non l'équipement de ces ouvrages;
- puisque les conseillers d'Etat sont sensibles à la perturbation des espèces, tout projet d'assèchement permanent de retenue, d'étang, de plan d'eau, de bief, de canal dont on peut démontrer qu'il nuit à l'habitat en place d'une espèce protégée doit lui aussi être attaqué en justice;
- l'association France Nature Environnement, comme d'autres, contribue à la dégradation du bilan carbone de la France par ce genre d'action. Il faut poser ce sujet dans le débat public et demander aux élus du pays de choisir leur vision de l'écologie.
Source : Conseil d'Etat, arrêt n°432158, 15 avril 2021