20/10/2015

Exemplarité? Pédagogie? La France sacrifie son potentiel hydraulique à l'heure de la COP21

Alors que la France sacrifie la plus propre et la mieux répandue de ses énergies renouvelables – hydro-électricité –, Ségolène Royal parle de pédagogie et d'exemplarité dans la lutte contre le réchauffement climatique.  Mme la Ministre serait crédible si elle exigeait une refonte complète de la politique de continuité écologique, conçue pour détruire et non équiper le potentiel énergétique de nos rivières.


Nous lisons dans la communication du Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie que Ségolène Royal mobilise les grandes institutions rattachées au Ministère, en vue de la COP 21. Il y est écrit que "la Ministre souhaite poursuivre la pédagogie sur les enjeux liés au changement climatique : démontrer l’exemplarité de la France et son engagement en faveur de la transition énergétique et du climat ; mobiliser la société autour des enjeux de la COP21 et des changements climatiques." 

Avec surprise, on observe que les Agences de l'eau et l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) font partie des institutions concernées par l'initiative de Mme Royal.

Ces deux institutions organisent depuis plusieurs années la destruction programmée du potentiel hydro-électrique français.
  • Les Agences de l'eau (en particulier Loire-Bretagne et Seine-Normandie) financent prioritairement l'effacement des seuils et barrages de France, équipement qui permettrait de tirer profit de la source d'énergie ayant le meilleur bilan carbone des ENR. 
  • L'Onema conçoit puis impose des demandes exorbitantes pour tous les projets hydro-électriques (passes à poissons, grilles fines, goulottes de dévalaison, programmes de surveillance, mesures compensatoires, etc.), traitant de la même manière le moulin modeste de 5 ou 50 kW et l'usine de 500 ou 5000 kW, ce qui a pour effet de décourager la plupart des porteurs de projet en rendant excessivement coûteuse et inutilement complexe la relance d'activité sur les petites puissances, lesquelles représentent 83% des sites présents sur nos cours d'eau.
Le bilan carbone de cette politique des pelleteuses en rivière et des règlementations kafkaïennes est évidemment un désastre, d'autant que l'on efface des infrastructures déjà en place ne demandant qu'à fonctionner de nouveau sans avoir à couler des tonnes de béton ni à perturber l'équilibre actuel des hydrosystèmes.

A qui profite le crime? Il faut le demander aux nombreux lobbies de l'eau et de l'énergie qui militent pour cette destruction ou qui la tolèrent sans mot dire. Ce qui est sûr, c'est que cela ne profite pas au climat, dont le changement est pourtant considéré comme menace de premier ordre pour les milieux, y compris les milieux aquatiques continentaux et océaniques.

Illustrations : effacements sur l'Arnon, Nouvelle République, DR.

A lire pour comprendre les enjeux à l'heure de la COP 21

Découvrir la petite hydraulique
Les moulins à eau et la transition énergétique: faits et chiffres 2015

18/10/2015

Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques"

Au coeur des politiques de continuité écologique, on trouve l'idée que les seuils des moulins et les barrages ont un impact de premier plan sur la qualité écologique et chimique des rivières. Seule cette conviction – notoirement portée par certains lobbies ayant l'oreille de la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie, comme FNE et FNPF – permet de justifier un classement massif de rivière à fin de continuité écologique et un effacement non moins massif d'ouvrages pour restaurer des habitats que l'on suppose "dégradés". Mais la science est meilleure conseillère que les lobbies. Et ses travaux récents ne confortent absolument pas l'idée d'une influence majeure des ouvrages hydrauliques (particulièrement les moulins) sur la qualité de l'eau et sur la biodiversité. Brève synthèse pour remettre les idées à l'endroit et combattre les manipulations. 


Avant toute chose, rejetons une idée fausse : les seuils de moulin n'auraient aucune influence sur la rivière et son peuplement. C'est évidemment inexact. N'importe quel obstacle (y compris naturel comme une cascade, un embâcle barrant une petite rivière ou encore un barrage de castor) a des effets sur la morphologie et la biologie du cours d'eau. A fortiori des constructions humaines pérennes. Sur une rivière fragmentée, on s'attend à des phénomènes comme une réduction de diversité génétique de certaines populations, un moindre accès vers l'amont de grands migrateurs remontant depuis la mer, un changement dans la fréquence relative d'espèces au sein des assemblages biotiques (poissons, invertébrés, macrophytes, unicellulaires, etc.),  une modification de la ligne d'énergie donc du processus érosion-sédimentation, une apparition de faciès calmes ou stagnants (lentiques) par rapport à des écoulements vifs (lotiques), un changement de substrat sur le linéaire directement modifié (remous des ouvrages), un réchauffement estival au moins superficiel de l'eau de retenue, etc. Il existe de nombreux articles et monographies à ce sujet dans la littérature scientifique (cf une synthèse partielle chez Souchon et Malavoi 2012).

En première réserve, il faut d'abord noter que cette littérature française ou internationale concerne au premier chef l'examen de la grande hydraulique c'est-à-dire des ouvrages de génie civil dépassant les 10 m ou 20 m de hauteur. Or, ces conditions d'observation n'ont rien à voir avec l'essentiel du patrimoine hydraulique français, formé de petits ouvrages. Sur la version documentée en hauteur du Référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema (échantillon de plus de 14.000 ouvrages), il apparaît que 83,36% des seuils ont moins de 2 m de hauteur, 51,48% moins de 1 m. C'est donc une dominante de très petite hydraulique, différentes des grands barrages construits pour l'essentiel au XXe siècle. Une équipe de chercheurs américains a souligné la nécessité de cette distinction dans la politique de gestion écologique et a comparé l'impact de la petite et ancienne hydraulique à celui des barrages de castors (Hart et al 2002).

En seconde réserve, et de loin la plus importante, l'existence d'un impact quelconque est un résultat trivial car attendu (l'homme change en permanence les milieux depuis le début de son évolution et au long de son expansion sur Terre, particulièrement depuis la Révolution industrielle cf Steffen et al 2015), et un résultat neutre sur le point essentiel : savoir si les effets des seuils et barrages sont importants ou modestes pour la qualité de l'eau et des milieux qu'elle abrite. 

Les grands facteurs tendant à détériorer la qualité de l’eau et des milieux aquatiques sont assez bien identifiés dans la littérature scientifique internationale (par exemple des revues de synthèse chez Dudgeon et al 2006, Stendera et al 2012). Ces facteurs agissent sur le temps long (plusieurs décennies voire davantage) et certains interagissent. On peut citer:
  • le changement climatique (hausse des tempértaures moyennes, fréquence accrue des événements extrêmes) ;
  • la hausse des prélèvements quantitatifs de la ressource en eau ;
  • la pêche (dont surpêche, pêche illégale, braconnage) ;
  • les espèces invasives / indésirables (dont les pathogènes et parasites affectant les espèces patrimoniales) ;
  • les pollutions (dont l’eutrophisation par excès de matières azotées / phosphorées, les molécules issues de la chimie de synthèse comme les biocides, les résidus médicamenteux, les polymères non dégradables, etc.) ;
  • la dégradation des habitats (dont l’hydrogéomorphologie, incluant la fragmentation des continuités longitudinales et latérales).
On voit que la question des seuils et barrages est très loin de concentrer toute l'attention de la recherche en rivière. Quelle est l'importance de chacun de ces impacts que nous venons d'énumérer? Aucun modèle scientifique n'est actuellement capable de les prendre tous en compte pour produire une estimation du poids relatif de chacun d'eux dans la variation de biodiversité (plus généralement l'évolution des peuplements biologiques de la rivière). D'une part, les données quantitatives de long terme manquent (sur les peuplements comme sur les impacts) ; d'autre part, les milieux aquatiques couplés à leurs influences physiques, biologiques, chimiques sont des systèmes complexes et non-linéaires qui défient encore la modélisation. La science des rivières est jeune et en construction : vouloir lui faire produire des conclusions définitives ou des orientations robustes est une erreur. Combien de fois le gestionnaire a-t-il prétendu développer une politique éclairée pour reconnaître ensuite, et trop tard, qu'elle était précipitée?

Il existe toutefois des travaux scientifiques permettant d'estimer certains impacts des seuils ou barrages sur des variables biologiques, et de comparer ces impacts à ceux d'autres pressions humaines. En particulier, l'obligation de mesure de qualité chimique, physique, morphologique et biologique des eaux superficielles, imposée par la Directive cadre européenne 2000, commence à produire des données à grande échelle, exploitables par des modèles descriptifs et prédictifs.

En France, dans le bassin de Loire, une analyse de 17.000 km de linéaire, divisés en 4930 segments homogènes avec plus de 5500 obstacles à l'écoulement présents sur le linéaire étudié, ne révèle qu'un impact modeste de la densité de barrage sur la qualité écologique, plus marqué sur l'amont que sur l'aval. Le score global de qualité piscicole (IPR) ou invertébrés (I2M2) ne montre aucune corrélation significative avec la densité locale de barrages, la corrélation n'apparaissant qu'avec l'échelle supérieure (sur le bassin versant). La variance globale des scores n'est que minoritairement associée à la densité des barrages : 25% pour les macro-invertébrés, mais 12% seulement pour les poissons. Au sein des indices, les métriques de la biodiversité (NTE et DTI pour l'IPR, indice de Shannon et richesse taxonomique pour l'I2M2) ne répondent pas à la présence des barrages par des variations significatives (Van Looy et al 2014).

Une deuxième étude récente a collecté sur 1100 sites répartis dans les 22 hydro-éco-régions françaises des mesures de qualité biologique : macro-invertébrés (I2M2), diatomées (IBD) et poissons (IPR+). La densité de barrage n'est qu'en 13e position des facteurs explicatifs de la variance des indicateurs piscicoles, et aucune corrélation n'est trouvée avec les diatomées. La réponse des invertébrés est plus forte (l'I2M2, qui a remplacé l'IBGN, répond plus fortement à la morphologie). En terme d'intensité de la réponse, les variables physicochimiques (nitrate, phosphate) ont les plus hauts coefficients, suivi par les variables d'usages des sols et, en dernier ressort seulement, les variables hydromorphologiques (Villeneuve et al 2015).

Ces deux études convergent pour montrer que l'effet des seuils et barrages sur les indicateurs biologiques de qualité de l'eau comme sur la biodiversité est faible, en particulier s'il est comparé à d'autres pressions. Ces recherches sont loin d'être isolées. Un précédent travail en France sur 301 sites avait montré que la qualité biologique des rivières avait comme premier prédicteur à échelle du bassin versant les usages des sols (agriculture, forêt) et non pas la morphologie, dont les seuils ne sont qu'un élément. Les seuils influencent en revanche les métriques de qualité à échelle du tronçon, mais l'ensemble des impacts humains confondus n'explique au total qu'un tiers de la variation des peuplements biologiques, ce qui suggère une forte variabilité naturelle de fond, à prendre en compte avant toute action sur une rivière (Marzin et al 2013, voir aussi Marzin et al 2012).

Ces travaux français sont rejoints dans leurs conclusions par d'autres études scientifiques européennes ou internationales. Un travail sur 2302 sites de mesure en Allemagne et en Autriche a permis l'analyse des populations de poissons (n=713), de macro-invertébrés (n=1753) et de diatomées (n=808) en fonction de quatre impacts : hydromorphologie, qualité physico-chimique, occupation des sols en rive, usage des sols sur le bassin versant. Il en ressort que l'excès de nutriment et l'occupation des sols sur le bassin versant sont les deux facteurs de stress discriminant pour tous les groupes d'organisme, dépassant les effets du stress hydromorphologique à l'échelle des sites – l'hydromorphologie recouvrant de nombreuses pressions autres que les seuils et barrages (Dahm et al 2013). En Allemagne toujours, un modèle pour mieux comprendre la distribution des poissons en rivières, en fonction des habitats disponibles, des capacités de dispersion des espèces et des barrières à la migration a été développé et testé sur une rivière : pour 17 espèces de poissons, il ne trouve aucune influence des obstacles à l'écoulement (Radinger et Wolter 2015). Au Portugal, l'analyse des distributions de 7 espèces de poissons sur 196 sites de 3 bassins ne parvient pas à trouver une influence significative des obstacles à l'écoulement sur les peuplements piscicoles (Branco et al 2012). Au Canada, un travail montre que l'influence de la connectivité (seuils et barrages) sur les assemblages piscicoles existe localement mais qu'elle diminue et devient peu significative quand on analyse l'ensemble du bassin versant (Mahlum et al 2014). Aux Etats-Unis, une étude menée sur 1227 tronçons de rivière comportant 5215 barrages conclut que la variance expliquée des populations piscicoles est de 16% pour l'intégrité biotique et 19% pour les préférences d'habitat. Ce résultat est plutôt à considérer comme un maximum car les auteurs ont choisi d'exclure les tronçons ayant des impacts anthropiques fort en urbanisation et agriculture, ce qui augmente le poids relatif des ouvrages sur les assemblages piscicoles (Wang et al 2011)

Un autre moyen d'analyser l'influence des obstacles à l'écoulement est de considérer l'histoire des peuplements piscicoles. C'est en particulier utile pour comprendre l'impact des petits ouvrages de moulins, qui étaient pour la plupart déjà présents au XVIIIe siècle. Les données historiques relatives à l'anguille dans la zone ibérique montre que les seuils et barrages anciens, présents de l'époque romaine jusqu'au XIXe siècle, n'ont pas empêché la colonisation de tous les bassins de la Péninsule, et que l'intervention sur un faible nombre de barrages permet de restaurer 40 à 80% du territoire historique (Clavero et Hermoso 2015). En France, des travaux déjà classiques sur l'histoire du saumon en tête de bassin Loire ou Seine parviennent à des résultats similaires : le saumon n'a régressé qu'à partir du milieu du XIXe siècle avec l'apparition d'ouvrages de navigation sur les fleuves ou de barrages de plus hautes dimensions sur les rivières, alors qu'il circulait jusqu'en tête de bassin à l'âge des moulins (Bachelier 1963, Bachelier 1964, Beslagic 2013, Roule 1920). Certains de ces travaux montrent aussi que les peuplements de poissons changent par l'introduction d'espèces exotiques davantage que par des extinctions.

Remettons donc les idées à l'endroit : les travaux les plus récents de la recherche montrent que les seuils et barrages (plus largement la morphologie) sont très loin d'être les premiers facteurs de dégradation des indicateurs biologiques de qualité des rivières. Leur influence sur ces indicateurs, comme sur la biodiversité, est faible voire nulle selon les hydrosystèmes étudiés. Des travaux préliminaires suggèrent en particulier que la petite hydraulique des moulins (qui représente plus de 80% des obstacles à l'écoulement en rivière) représente un impact très faible à l'époque historique et contemporaine. Cela ne signifie pas que les seuils et barrages n'ont aucun effet sur la biologie ni la morphologie : simplement que cet effet n'a nullement la gravité que d'aucuns lui accordent dans le débat public et dans les choix de gestion. A effets modestes doivent répondre des aménagements modestes, certainement pas des effacements d'ouvrages à grande échelle ni des dépenses d'équipement exorbitantes par rapport à leur résultat.


Quelles conclusions peut-on tirer ?
  • La recherche scientifique est un processus ouvert de consolidation progressive de nos connaissances et, dans le domaine des rivières (hydro-écologie, hydromorphologie, histoire de l'environnement, écologie évolutive et moléculaire, etc.), elle est encore en pleine phase de construction. Les débats y sont nombreux, comme les incertitudes. Une communication correcte de la science vers le grand public et vers le décideur exige d'en faire mention au lieu de mettre en avant des croyances et des pseudo-certitudes . 
  • La continuité longitudinale est un angle légitime d'analyse, gestion et parfois amélioration du fonctionnement d'une rivière, ou de restauration d'axes migrateurs. Mais la politique française de continuité visant à classer massivement des rivières et tous leurs ouvrages est disproportionnée aux enjeux écologiques au regard de nos connaissances actuelles. Elle est de surcroît erronée au plan de la méthode, car tous les travaux scientifiques insistent sur la nécessité d'agir sur la rivière après avoir pris la mesure exacte de l'ensemble des pressions sur le bassin versant, faute de quoi les choix de restauration auront des effets faibles à nuls (voire négatifs, nous y reviendrons dans une autre idée reçue).
  • La politique de restauration des grands axes migrateurs doit distinguer la petite de la grande hydraulique, déployer d'abord une analyse à grande échelle de l'histoire des peuplements piscicoles et cibler les interventions avec une analyse coût-avantage. L'histoire de l'environnement est aussi indispensable pour comprendre la variabilité naturelle des peuplements de rivière, qui est semble-t-il bien plus forte que ne laissaient penser des anciennes biotypologies développées au XXe siècle.
  • Le choix radical de l'effacement du plus grand nombre d'ouvrages, privilégié par les gestionnaires, n'a ni légitimité démocratique ni base scientifique : il doit être combattu avec la plus grande vigueur en raison de la dépense indue d'argent public mais aussi de ses nombreux effets négatifs sur les autres dimensions de la rivière et de son patrimoine hydraulique (histoire, culture, énergie, irrigation, pisciculture, activité récréative, etc.).
  • La recherche publique et l'acquisition de données sur les rivières doivent faire l'objet d'un effort national conséquent (ce que permet notamment le budget des Agences de l'eau, dont une part est dépensée dans des actions sans intérêt) car elles sont à la base de toute politique éclairée de l'eau et de la biodiversité. De nombreux facteurs – y compris de premier ordre comme le changement climatique – sont encore trop mal connus, alors qu'il est indispensable de faire les bons choix à l'échelle du siècle. 
Pour aller plus loin : les travaux de recherche cités dans cette page sont pour la plupart recensés en détail dans notre rubrique science.

Précision méthodologique : nous ne citons ici que des articles scientifiques parus dans la littérature "revue par les pairs". Les débats sur l'eau produisent en abondance ce que l'on appelle la "littérature grise", c'est-à-dire des rapports d'agences, de bureaux d'études, de techniciens, d'associations, etc. Ces travaux sont souvent informatifs, mais ils ne sont pas à proprement parler scientifiques. Par ailleurs, ces travaux sont parfois commandés et financés par le gestionnaire, ou rédigés par une partie prenante de l'objet d'étude, ce qui implique un biais. Par construction, la publication scientifique est conçue pour minimiser de tels travers et c'est à elle qu'il faut se référer en priorité.

Illustration : seuil sur le Serein, à Toutry, datant du Moyen Âge ; barrage d'alimentation du canal de Bourgogne sur la Brenne, à Grosbois-en-Montagne, datant du XIXe siècle. 

17/10/2015

Idée reçue #01 : "Le propriétaire n'est pas obligé d'effacer son barrage, il est entièrement libre de son choix"

Nous inaugurons une nouvelle rubrique dédiée aux idées reçues sur les moulins et usines à eau, ainsi que sur les politiques publiques de l'eau. La première idée reçue (entendue encore à titre d'exemple cette semaine à la dernière réunion syndicale du SICEC) consiste à laisser croire que rien n'est fait en France pour imposer l'effacement des ouvrages hydrauliques et que les propriétaires sont parfaitement libres de choisir d'autres solutions. Au mieux, c'est une ignorance du terrain ; au pire, une hypocrisie et une tromperie.  Voici comment les choses se passent réellement au bord des rivières.

En réunion publique ou dans les médias, on lit parfois de la part des syndicats de rivière ou des représentants de l'Etat que "les propriétaires ne sont nullement contraints d'effacer leur ouvrage en rivière". Cette phrase est formellement exacte, et à dire vrai la loi n'a même jamais prévu l'effacement (ni la LEMA 2006 ni la loi de Grenelle 2009, ni la DCE 2000 ni sa transposition par la loi de 2004), de sorte que le caractère légal des nombreuses destructions d'ouvrage en cours sur nos rivières reste un point à éclaircir devant le juge.

Mais en réalité, toutes les associations travaillant la question savent ce qui se passe sur le terrain. Les syndicats de rivière et les administrations le savent aussi, de sorte que leur affirmation est parfaitement hypocrite – et cette hypocrisie creuse un peu plus le fossé avec les propriétaires et riverains, la concertation étant évidemment impossible avec des personnes qui nient la réalité et trompent le public.



Que se passe-t-il donc en rivière classée au titre de l'article L 214-17 C env, c'est-à-dire classée pour la continuité écologique ?

Si vous acceptez d'effacer (araser ou déraser) votre ouvrage hydraulique :
  • la DDT et l'Onema font le service minimum en dossier d'instruction, ce qui a pour effet d'accélérer le chantier – au risque de le bâcler – et de minimiser les coûts (par exemple ils n'exigent pas systématiquement d'inventaire complet de biodiversité du système hydraulique avant intervention, d'analyse chimique complète des sédiments, d'enquête patrimoniale auprès des services culturels STAP / DRAC, de modélisation avant/après de crues et étiages, etc. ) ;
  • pour féliciter le "bon élève" de la destruction du patrimoine hydraulique, le syndicat propose fréquemment avec accord de l'administration des aménagements complémentaires à l'effacement (restauration paysagère des berges, pose grâcieuse de clôtures, etc.)
  • l'Agence de l'eau propose un financement à 80% et, par des montages avec d'autres sources de financements publics, vous parvenez généralement à 95%, 98% voire 100% des frais couverts.
En clair : vous effacez, vous êtes aidé au plan réglementaire et financier.

Si vous refusez d'effacer et demandez le respect de la consistance légale de votre ouvrage (ce qui est la loi!), les choses se passent beaucoup plus mal :
  • la DDT et l'Onema exigent que vous leur fassiez des propositions à vos frais (coût d'un bureau d'étude entre 5 et 50 k€ selon la complexité du site ; si vous demandez une subvention Agence de l'eau pour l'étude, l'Agence impose son cahier des charges orienté vers l'effacement ou vers des solutions "ambitieuses" c'est-à-dire coûteuses. Autant dire qu'accepter la subvention Agence pour l'étude consiste à s'imposer à l'avance des frais futurs bien plus élevés que le montant de la subvention) ;
  • les aménagements demandés sont exorbitants, en particulier pour des ouvrages modestes présents depuis des siècles comme les moulins ou usines de petite puissance : passes à poissons ou autres dispositifs de franchissement, intégration d'enjeux sur des poissons non migrateurs (au contraire de ce que dit la loi), modernisation des vannes, grilles fines et goulotte de dévalaison, analyse d'impact des solutions proposées, procédure de suivi des impacts et preuve du résultat positif de l'aménagement, etc. (coût de ces travaux : des dizaines à des centaines de milliers d'euros selon les sites) ;
  • contrairement à l'effacement, l'Agence de l'eau oppose une fin de non-recevoir à vos demandes de subvention pour les travaux : 0% si votre ouvrage est considéré comme "sans usage structurant", entre 20 et 50% dans les autres cas. Le restant dû représente évidemment des sommes très élevées, alors même que le propriétaire ne retire aucun profit personnel des travaux exigés, et que ceux-ci lui imposent une servitude à vie d'entretien et surveillance.
Sur l'ensemble de la procédure d'aménagement (hors effacement donc), vous êtes entièrement abandonné à l'arbitraire des agents administratifs : DDT, Onema, Agence de l'eau apprécient selon leur bon vouloir les enjeux locaux. C'est la raison pour laquelle, dans des cas relativement similaires, on peut trouver des prescriptions très différentes d'une rivière à l'autre. L'inégalité des citoyens face à l'exécution de la loi est patente, et chacun est entretenu dans l'incertitude complète de ce qui sera exigé pour son bien (moyen de pression psychologique supplémentaire pour pousser à l'effacement).

En clair : vous ne voulez pas effacer votre seuil ou barrage, on vous matraque au plan réglementaire et financier, en espérant que votre insolvabilité vous poussera à accepter à contrecoeur le dogme de l'effacement.

Donc voici la vérité rétablie : "Le propriétaire n'est pas obligé d'effacer son barrage, il est entièrement libre de son choix ; mais refuser l'effacement peut conduire à la ruine, car les services administratifs (DDT, Onema) usent de tous les moyens de pression dont ils disposent pour empêcher cette issue. Qui veut garder son bien se trouve exposé à des dépenses exorbitantes, qui sont non ou très peu subventionnées par les Agences de l'eau. Cette politique déséquilibrée est très consciemment imposée par la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie, sans aucune sanction démocratique de choix décidés en petit comité et en opposition à l'esprit de la loi sur l'eau. Les syndicats de rivière sont tout à fait informés de cette réalité et certains participent hélas! aux pressions en délivrant une information biaisée, partiale ou incomplète"

A signaler : par le coup de force du décret du 1er juillet 2014 et de l'arrêté du 11 septembre 2015, alors même que les retours d'expérience montraient la tension sur le terrain et que les rencontres au Ministère tiraient la sonnette d'alarme, l'administration prétend imposer ces pratiques arbitraires non seulement sur les cours d'eau classés au titre de la continuité écologique, mais sur tout ouvrage en rivière, à la seule discrétion du Préfet ! Ces textes font l'objet de requête en annulation devant le tribunal, tout comme le classement des rivières de 2012-2013.

Quelles solutions pour sortir du blocage ? 
  • Financement public bien plus élevé des aménagements (et non de la seule destruction)
  • Révision des classements dans un sens économiquement réaliste et conforme aux résultats scientifiques les plus récents sur l'optimisation des restaurations écologiques (inutilité d'aménager la plupart des seuils dont l'impact sur les milieux est minime par rapport aux autres pressions, voire dans certains cas à effet positif)
  • Moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, car la situation est totalement figée. Le dialogue avec l'administration est devenu quasi-impossible, tant avec les services déconcentrés en département qu'avec la Direction de l'eau au Ministère, tandis qu'un nombre croissant d'élus locaux, de parlementaires et même de ministres expriment leur incompréhension sur cette impasse et la manière dont on y est parvenu.
Illustration : source, Université Drexel, DR

16/10/2015

L'anguille et les obstacles à sa migration à travers les âges (Clavero et Hermoso 2015)

Miguel Clavero et Virgilio Hermoso, deux chercheurs espagnols, se sont penchés sur les données historiques relatives à l'anguille dans la zone ibérique. Leurs principales conclusions : les seuils et barrages anciens, présents de l'époque romaine jusqu'au XIXe siècle, n'ont pas empêché la colonisation de tous les bassins de la Péninsule ; il suffit de rendre franchissables 12 barrages pour ouvrir 40% des bassins à l'anguille, et d'en aménager 76 pour retrouver 80% du territoire historique de l'anguille. Ce travail après bien d'autres montre la nécessité pour le gestionnaire de distinguer la petite de la grande hydraulique, l'utilité d'une analyse à grande échelle de l'histoire des peuplements piscicoles et l'intérêt d'un ciblage intelligent des opérations de restauration.

Les stocks d'anguille européenne (Anguilla anguilla) se sont effondrés en Europe à partir du début des années 1980, avec des rendements dans les pêcheries situés à moins de 10% des prises anciennes. L'espèce est considérée comme menacée sur le continent, ce qui a amené les Etats-membres à adopter un règlement européen (RCE 1100/2007) imposant des mesures de connaissance, de protection et gestion de l'anguille. En 2010, l'anguille a été classée comme espèce menacée en danger d'extinction.

Mais que sait-on au juste de la répartition ancienne de l'anguille, antérieure à cet effondrement? Miguel Clavero et Virgilio Hermoso ont cherché à répondre à cette question par une analyse historique de l'espèce dans la Péninsule ibérique.

Des sources d'information remontant jusqu'au XVIe siècle
Les auteurs observent qu'il existe plusieurs hypothèses en discussion dans la communauté scientifique concernant la chute récente des stocks d'anguille (nous y reviendrons plus bas), notamment des changements de circulation océaniques dans l'Atlantique. Ils écrivent: "En combinant les hypothèses récentes sur l'effondrement des anguilles, il paraît plausible que l'impact significatif des barrages construits en Espagne depuis les années 1950 et au Maroc depuis les années 1980 puisse avoir empêcher les anguilles de compenser des fluctuations de leur recrutement déterminées par des phénomènes naturels".

Pour examiner cette question, Clavero et Hermoso ont recours à une analyse historique. Ils observent: "Les perspectives à long terme sont indispensables pour comprendre les systèmes écologiques contemporains. Pourtant, les données historiques relatives à la distribution de la biodiversité n'ont été que rarement utilisées dans les sciences environnementales appliquées". Ce constat est tout à fait important quand on s'intéresse aux ouvrages hydrauliques : ceux-ci existent depuis l'époque antique, mais ont connu des évolutions qualitatives et quantitatives notables à l'âge médiéval, classique, moderne et finalement contemporain. Désigner "l'obstacle à l'écoulement", "l'étagement" ou "le fractionnement" comme un problème uniforme qu'il s'agirait de lever par sa suppression n'a guère de sens, car c'est une approche aussi irréaliste sur le plan gestionnaire que grossière sur le plan de la compréhension des écosystèmes aux temps historiques.

Plus de 10.000 informations ont été extraites par les chercheurs espagnols de deux sources historiques: l'une du XVIe siècle, le Relaciones Topogra ficas, un questionnaire distribué aux villages espagnols entre 1574 et 1582 durant le règne de Philippe II ; l'autre du XIXe siècle, le dictionnaire Madoz en 16 volumes, publié entre 1845 et 1865, pour lequel plus de 1400 informateurs locaux ont notamment renseigné les ressources halieutiques.

Les données contemporaines sur l'anguille sont quant à elles extraites du Global Biodiversity Information Facility (2677 fiches d'information sur l'anguille dans l'Inventaire national de biodiversité concernant l'Espagne).



A partir de ces données, les chercheurs ont construit des modèles probabilistes tournant sur 19.706 tronçons de rivières ibériques. Ils ont intégré 5 variables essentiellement relatives à la topographie et à distance à la mer, ainsi qu'une liste des barrages. L'évolution de la distribution est représentée dans les schémas ci-dessus (en haut, probabilité d'occurrence de l'anguille de 0 à 1 entre le XIXe siècle et le présent ; en bas présence en noire et absence en rouge de l'espèce).

Les auteurs tirent deux conclusions importantes.

La première concerne le faible impact anthropique sur l'anguille jusqu'au XIXe siècle : "Il est remarquable que les anciennes structures de retenues d'eau présentes en Espagne et au Portugal, telles que les barrages depuis la période romaine ou arabe (Hooke 2006) ne constituent pas des obstacles importants à la circulation des anguilles dans les bassins de rivières. Par exemple le barrage d'époque arabe de Xerta dans le chenal principal de l'Ebre aval (Prats et al. 2011) n'a pas empêché la pénétration de l'anguille dans l'ensemble du bassin". Pour cette raison, les auteurs considèrent que la carte de répartition de l'anguille au XIXe siècle forme un état initial représentatif d'un impact anthropique faible (et d'un objectif de reconquête raisonnable).

La seconde conclusion vise le ciblage des interventions possibles. "Nous avons trouvé qu'il serait nécessaire de rendre 12 barrages perméables à la migration de l'anguille dans 2 bassins pour permettre la restauration d'un accès de l'espèce à au moins 40% de sa répartition de base dans la Péninsule ibérique. Retrouver un accès à 60% de l'habitat original impliquerait d'agir sur 20 barrages alors qu'une restauration d'habitat de 80% concernerait la modification de 76 barrages". Les auteurs soulignent que la suppression de barrage n'est pas indispensable et qu'il existe diverses solutions pour les rendre franchissables.

Discussion
Le modèle de Clavero et Hermoso n'utilise pas certaines données connues pour avoir une influence sur les stocks d'anguille comme la surpêche, le braconnage, la pollution des eaux et des sédiments, l'effet de long terme du changement climatique. Dans le compartiment principalement étudié de la morphologie et de la continuité longitudinale des rivières, le travail des deux chercheurs montre surtout qu'il faut distinguer entre la petite hydraulique présente jusqu'au XIXe siècle et la grande hydraulique construite depuis cette époque.

Ajoutons quelques informations sur la France. Le graphique ci-dessous, extrait du Plan national de gestion de l'anguille (2010, pdf), montre la courbe de tendance des populations d'anguille en Loire, Adour, Garonne. Il est estimé que le bassin Manche a la même tendance.


Il est manifeste que le recrutement des jeunes anguilles est stable voire en hausse entre 1960 et 1980, puis plonge à partir de cette date avec une forte pente, de l'ordre de 8% / an. Il n'existe aucune corrélation avec la petite hydraulique des moulins, qui est présente dans neuf cas sur dix dès avant la Révolution, et dont la pression a plutôt diminué tout au long du XXe siècle (ruine et abandon d'ouvrages, fermeture tendancielle des petites unités hydro-électriques ou hydromécaniques entre 1918 et 1980).

Dans le cas français, il serait indispensable d'examiner les causes chimiques du déclin de l'espèce, compte tenu de notre occupation des sols et de nos activités en bassin versant différentes de celles de la Péninsule ibérique. L'anguille présente une longue phase continentale de croissance, une durée de vie importante, un comportement benthique, un régime carnassier et une rétention de graisse au cours de son développement. Elle accumule donc les expositions aux contaminations chimiques : pesticides, herbicides, PCB, retardateurs de flammes, perturbateurs endocriniens, etc. L'ensemble de ces substances est en forte croissance dans les cours d'eau et les sédiments depuis les années 1950-1960.

En outre, la variation des courants océaniques – due aux oscillations naturelles de l'Atlantique et/ou au forçage anthropique associé au changement climatique moderne – est une des premières causes à modéliser puisque c'est le recrutement des civelles en arrivée sur les côtes qui est en baisse. Il faut ajouter aux thématiques d'intérêt l'introduction d'espèces invasives et pathogènes, au premier rang desquels l'Anguillicola crassus, ver nématode originaire d'Asie. Cet endoparasite issue d'anguilles japonaises importées colonise l'abdomen de l'animal puis se fixe dans sa vessie natatoire, affectant la survie et la reproduction de l'espèce. Signalons pour finir sur le cas français que l'anguille a été traquée comme "nuisible" sur les rivières salmonicoles jusque dans les années 1980 (interdiction de remise à l'eau des pêches), ce qui rappelle combien les prescriptions soi-disant éclairées du gestionnaire changent avec les époques...

Conclusion
Le travail de Miguel Clavero et Virgilio Hermoso montre tout l'intérêt d'une approche historique de l'évolution des milieux aquatiques sous influence anthropique. En France, il serait souhaitable que les gestionnaires de l'eau engagent :
- une mission scientifique visant à dresser un état piscicole des bassins français à partir des sources disponibles entre l'époque médiévale et le XIXe siècle, puis une évolution la plus précise possible au cours du XXe siècle ;
- une analyse des obstacles à l'écoulement selon leurs indices spécifiques de franchissabilité, cette dernière n'ayant rien à voir avec le seuil arbitraire de 20 cm ou 50 cm posé dans la règlementation (pour l'anguille, mais aussi pour le saumon et d'autres espèces ayant des bonnes capacités de nage ou de saut) ;
- un ciblage des véritables points noirs de la colonisation anadrome, et non une dépense d'argent public inutile sur la totalité des ouvrages d'une rivière classée, dont des seuils historiquement et actuellement franchissables ;
- une programmation des ré-ouvertures de bassin pour l'anguille conforme à nos engagements européens, réaliste en terme économique, progressive et concertée dans sa mise en oeuvre.

Référence : Clavero M, V Hermoso (2015), Historical data to plan the recovery of the European eel, Journal of Applied Ecology, 52, 4, 960–968

Nous remercions Miguel Clavero de nous avoir envoyécopie de son travail.

A lire : Eric Feunteun (2012), Le rêve de l'anguille, Buchet-Castel. Un des meilleurs spécialistes internationaux de l'anguille expose nos connaissances sur l'espèce, ainsi que les enjeux de sa protection. Sur Hydrauxois également : Protéger l'anguille pour mieux la pêcher... l'incohérence du Ministère de l'Ecologie a-t-elle une limite?

15/10/2015

Anne-Catherine Loisier (sénatrice Côte d’Or): "Les politiques de l’eau ont besoin d’un choc de simplification !"

Anne-Catherine Loisier, sénatrice de la Côte-d’Or, s’inquiète de la mise en œuvre sur le terrain du principe de continuité écologique. Elle a interpellé la Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie sur ce principe, introduit en 2006 par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques. « Huit ans se sont écoulés depuis l’adoption de cette loi qui a malheureusement donné lieu à une application aveugle et précipitée » déplore la sénatrice.

Barrages, écluses, buses, déversoirs, chaussées, seuils... plus de 80 000 ouvrages barrent les cours d’eau français. Ils produisent des transformations locales des milieux en modifiant la vie aquatique et le transfert des sédiments. Pour autant, la sénatrice rappelle que les rivières souffrent de nombreuses pressions : changement climatique, prélèvements excessifs d'eau, pollutions... «Il est réducteur d'imputer toute la responsabilité aux moulins, présents pour la plupart depuis plus de deux siècles!»

Pour Anne-Catherine Loisier, «la restauration des continuités écologiques s'impose sur le terrain, sans concertation, dans un contexte budgétaire difficile pour tous les propriétaires d'ouvrages situés sur les cours d'eau, qu'ils soient publics ou privés». «Nous assistons ainsi à une destruction du patrimoine des territoires ruraux, sans parler de la perte de potentiel hydroélectrique pour les barrages ou les installations qui contribuent pourtant aux objectifs de transition énergétique» souligne la sénatrice.

Entre l'arasement complet de ces ouvrages ou l'obligation d'équipement, il existe pourtant d'autres options respectueuses de l'intérêt collectif. Anne–Catherine Loisier évoque par exemple l'abaissement de seuil ou l'ouverture de vanne.

Les propriétaires font face à un empilement de contraintes réglementaires. «Les acteurs locaux sont inquiets, d'autant plus que les investissements peuvent être particulièrement lourds et plutôt faiblement financés par l'État», dénonce la sénatrice. Des études scientifiques démontrent que la continuité écologique n'a qu'un poids très faible sur les obligations de bon état chimique et écologique : «Sans remettre en cause ce principe, il est légitime de s'interroger sur sa réelle efficacité en matière de qualité des milieux. La dépense d'argent public doit aujourd'hui être justifiée par des bénéfices environnementaux avérés.»

Un certain nombre de sites présentent un risque de catastrophe réel alerte la sénatrice citant l'ouvrage hydraulique de la Bèze : «Fissures, risque d’effondrement des habitations riveraines liés à la rétraction des argiles et à l'assèchement des sites, qui paiera en cas de préjudice immobilier pour les propriétaires ?» s’interroge la sénatrice.

Anne-Catherine Loisier appelle à «un choc de simplification pour les politiques de l’eau» et demande une plus grande concertation avec les acteurs locaux afin de parvenir «à des projets réalistes, partagés, s'inscrivant dans un développement durable et global des territoires». La sénatrice a annoncé qu’elle restera attentive au travail engagé par le gouvernement : «Il est important que le Gouvernement étudie ce sujet transversal, qui concerne à la fois l'écologie, mais aussi notre patrimoine architectural. Il est essentiel que les décisions prises soient fondées sur les réalités du terrain et fassent l'objet d'un engagement de la part des acteurs locaux, afin que nous puissions réellement avancer vers une meilleure prise en compte de notre environnement».

13/10/2015

Vade-mecum du propriétaire d'ouvrage hydraulique en rivière classée L2 (continuité écologique)

La Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie a engagé depuis le Plan de restauration de la continuité écologique de 2009 une campagne systématique visant à casser les droits d'eau des moulins, à imposer de façon arbitraire des équipements très coûteux malgré leur faible effet sur les milieux, à décourager la relance de la petite hydro-électricité, à user de l'ensemble de ces pressions pour pousser les propriétaires au désespoir et effacer ainsi le maximum d'ouvrages hydrauliques en rivière. Cette politique est dénoncée aujourd'hui par la campagne nationale du moratoire sur la continuité écologique, et elle le sera demain par le probable contentieux contre plusieurs SDAGE. Mais elle peut et doit aussi être combattue sur chaque seuil et chaque rivière. Voici quelques principes de base pour les moulins les plus exposés (en rivière classée L2 avec aménagement obligatoire d'ici 2017 ou 2018).

Ce mémo s'adresse aux propriétaires (et surtout aux associations de propriétaires) de moulin en rivière classée en liste 2 au titre l'article L 214-17 C env., qui souhaitent préserver leur ouvrage, sa consistance légale et son droit d'eau. Il importe de connaître quelques règles  pour éviter les problèmes et pour amener l'administration à remplir l'ensemble de ses obligations. Nous vous conseillons en cas de doute sur des questions concrètes de vous inscrire sur le Forum de la petite hydro, où les propriétaires partagent des conseils librement (Hydrauxois participe à l'animation de ce Forum). Et surtout de ne pas rester isolé, l'organisation des moulins sur une rivière, un bassin versant, un département étant toujours le moyen le plus efficace de défendre collectivement ses droits.


§1 Principes généraux - Vous devez assurer l'ensemble de vos devoirs de gestion et d'entretien des ouvrages hydrauliques, seuls les propriétaires irréprochables pourront se défendre efficacement. Dans la situation actuelle, compte-tenu de la politique inacceptable de l'Etat, vous ne devez contacter les services instructeurs (DDT-M, Onema, Dreal) qu'en cas de stricte nécessité. En invitant DDT-M et Onema dans votre propriété, vous vous exposez à des critiques, des constats voire des procédures n'ayant rien à voir avec vos questions, vos projets ou vos besoins. Tant que l'action publique sur les ouvrages hydrauliques n'a pas été strictement recadrée, et au vu des excès observés, il n'existe aucune raison d'avoir confiance dans les intentions d'un service de l'Etat en charge de l'eau. Exemple vécu : un propriétaire de bonne foi demande à une DDT comment installer une roue sur le moulin qu'il vient d'acheter, on lui envoie un agent Onema qui fait un constat de ruine et demande l'annulation du droit d'eau. C'est parti pour 5 ans de contentieux. Tant que de telles pratiques existent, un a priori de défiance s'impose. C'est désolant, mais nécessaire. Il n'empêche que l'on doit entretenir des rapports courtois avec les personnes, malgré les désaccords sur le fond. Donc, si vous ne pouvez éviter de contacter DDT-M ou Onema, faites-le après avoir pris conseil d'une association et/ou d'un conseil juridique. Ne soyez pas seul lors de la visite des agents administratifs. Enregistrez au besoin les échanges.

§2 LRAR, conserver la preuve de tout échange important - Tout échange écrit avec une administration (ou un syndicat) se fait par courrier recommandé avec accusé de réception (LRAR). Le récépissé et le contenu doivent être conservés en deux formats (papier et électronique). Il sera parfois utile d'exploiter ces échanges plusieurs années après leur réalisation, donc l'archivage doit être rigoureux et les pièces doivent être facilement accessibles pour votre avocat, votre conseil juridique ou votre association.

§3 Exigence de documents écrits sur tout point stratégique - Les déclarations orales de la DDT-M, de l'Onema, de l'Agence de l'eau sont sans valeur. Vous devez si nécessaire exiger des réponses écrites de ces organismes à toutes vos demandes ou bien encore la communication des rapports écrits de ces organismes (par exemple après une visite de site cf §1). Il en va de même pour certains arguments mentionnés dans des courriers administratifs. Si un document écrit comporte des inexactitudes, il faut en faire état en LRAR. Exemple n°1 : la DDT-M affirme dans un courrier que l'Onema refuse votre analyse de la rivière ou votre projet d'aménagement. Cette simple et vague mention d'un refus de l'Onema n'est pas acceptable, il faut requérir à la DDT-M la communication du rapport écrit intégral de l'Onema afin de juger de la validité de son contenu. L'Onema (comme conseil de la DDT-M) est tenu de démontrer ses évaluations par des références techniques et scientifiques pertinentes, non par des jugements subjectifs et oraux. Si le document n'est pas communiqué, la position de l'administration sera attaquable au tribunal administratif (ou pourra être ignorée). Exemple n°2 : un représentant de l'Agence de l'eau vous dit en visitant votre moulin que l'Agence ne finance pas les passes à poissons dans votre cas (ou que la subvention sera faible). Même chose, il faut que l'agent précise par écrit son refus de financement et les motifs complets de son refus. Les paroles s'envolent, les écrits restent : or, ce sont les écrits que jugent les tribunaux en cas de contentieux. Tout agent administratif est tenu de répondre aux demandes des administrés sur son domaine de compétence et s'expose à poursuite s'il refuse de le faire (d'où la nécessité du LRAR §2).

§4 Cas des rivières classées L2 au titre du L 214-17 C env., nécessité de manifester une intention d'appliquer la loi - Le classement des rivières est paru sur tous les bassins et, à ce jour, il n'a pas été annulé dans le cadre de l'examen de la requête en ce sens déposée par les fédérations et syndicats. Vous devez vous manifester avant échéance du classement (2017 ou 2018, date exacte de la publication du classement au JO à vérifier sur votre bassin). Sans cela, vous courez le risque d'une mise en demeure et vous vous exposez au fait répréhensible d'avoir ignoré la loi (ce que nul ne doit). Il faut néanmoins vous manifester au strict minimum, et comme la requête en annulation est toujours à l'examen, il convient de ne pas le faire trop tôt (attendre par exemple la dernière année du délai légal). Vous n'avez aucune obligation de manifester une intention d'aménager dès 2015 ou 2016. Vous n'avez aucun intérêt à vous engager de façon trop précoce hors les seuls cas où vous avez reçu assurance complète et écrite que votre seuil ne sera ni arasé ni dérasé et que vous ne sera pas soumis à dépenses exorbitantes (voir §8). La procédure pour manifester votre intention de respecter le classement sans pour autant mettre en danger votre bien est précisée au §6.

§5 Cas des études de rivière par syndicat dans le cadre du L 214-17 C env - Certains syndicats proposent de faire analyser par bureau d'études plusieurs moulins sur des tronçons de rivières classées à fin de continuité écologique, sur financement Agence de l'eau et en vue de proposer des solutions. Vous n'avez nulle obligation de payer pour cette étude (contrairement à la pratique plus ou moins illégale répandue en Adour-Garonne). Vous n'avez nulle obligation d'accepter que votre ouvrage soit étudié. Si vous souhaitez être intégré malgré tout dans l'étude, vous devez rappeler au syndicat et au bureau d'étude (BE) que la solution d'effacement n'est pas prévue par la loi. Nous avons conçu un questionnaire spécial pour les BE, que vous devez leur transmettre (lien pour le télécharger). Personne ne doit accepter un rapport de BE incomplet, partial, biaisé, manifestement rédigé pour faire un procès à charge des moulins et sans informations complètes sur les autres impacts de la rivière. Le rapport du BE doit intégrer la totalité des informations nécessaires à un aménagement proportionné aux enjeux (données écologiques, chimiques, culturelles, patrimoniales, juridiques, économiques, etc.). Attention, car les rapports incomplets ou biaisés d'un BE seront ensuite utilisés par l'administration pour prétendre que votre site a été analysé et que vous êtes contraint à des aménagements coûteux (voir §6). Il sera plus difficile et plus long d'apporter la preuve contraire devant un tribunal. C'est la raison pour laquelle, au vu des positions de l'Etat et si vous ne vous sentez pas capable d'argumenter avec le BE sur les points techniques à contrôler, il est préférable de refuser purement et simplement ce genre d'étude proposée par les syndicats de rivière.

§6 Courrier à la DDT-M : demande de motivation des mesures de police relatives à la continuité - Dans la dernière année du délai légal du classement, vous écrivez à la DDT-M de votre département en lui demandant, conformément à l'article L 214-17 C env, de proposer des solutions d'entretien, équipement et gestion de votre ouvrage ; de produire tous les documents permettant de motiver cette proposition administrative dans le respect de la procédure contradictoire ; d'établir que les propositions faites sont conformes aux enjeux écologiques de la rivière, qu'elles n'aggravent pas l'état chimique des eaux, que leur coût est proportionné à leur résultat ; que les droits des tiers sont préservés de même que la consistance de votre ouvrage légalement autorisé. Vous rappelez à la DDT-M que le texte de l'article L 214-17 C env exclut la solution d'effacement des ouvrages. L'ensemble de ces points est expliqué dans le modèle de questionnaire ad hoc que nous avons conçu (lien pour le télécharger, nous contacter pour obtenir la version traitement de texte modifiable). Il est donc important d'envoyer ce questionnaire avant échéance du classement : si la DDT-M n'y répond pas ou fait une réponse dilatoire, elle se met en tort. Vous n'avez pas à aménager votre ouvrage tant que la procédure contradictoire n'a pas été pleinement respectée par une motivation complète des mesures de police de l'administration. Si la DDT-M engage une mise en demeure d'aménagement sans avoir respecté cette procédure contradictoire, ou après y avoir répondu de manière dilatoire, l'arrêté de mise en demeure serait attaqué au tribunal administratif.

§7 Courrier à l'Agence de l'eau : demande de précision sur les financement exacts des dispositifs de continuité écologique - Dans la dernière année du délai légal, vous écrivez à l'Agence de l'eau dont vous dépendez en précisant que vous envisagez d'aménager votre ouvrage selon les prescriptions qui seront proposées par la DDT-M puis concertées par échange avec elle (cf §6), que la solution d'effacement total ou partiel est exclue (en conformité à la loi et au respect de la consistance légale de votre ouvrage autorisé), que vous souhaitez connaître avec précision le niveau de subvention accordé par l'Agence aux aménagements de continuité (changement de vanne, passe à poisson, rivière de contournement). Il est probable que l'Agence vous répondra qu'elle ne finance qu'entre 0% et 50% ce type de travaux. Si l'Agence fait une réponse dilatoire du type "nous décidons au cas par cas après examen", insistez en posant que vous ne sauriez engager aucune étude ni réflexion tant que vous ne connaissez pas à l'avance le barème précis des subventions accordées par l'Agence selon les divers types d'aménagement (ce barème est fixé par le conseil d'administration ou le comité de bassin de chaque Agence). Conservez la réponse écrite, qui servira si nécessaire à démontrer le caractère exorbitant de la dépense demandée pour l'aménagement et en dernier ressort à justifier des demandes d'indemnités à hauteur de la part non subventionnée par l'Agence. Le cas échéant, le contenu de la réponse pourra également servir à d'autres contentieux préparés par vos associations contre les Agences.

§8 Cas pour lesquels un accord est possible - Les seuls cas d'un accord possible sont ceux où l'on vous propose un financement public quasi-intégral d'un aménagement non destructif (à condition qu'il n'implique aucune autre servitude que l'entretien de l'aménagement, charge déjà lourde, ni aucun changement de la consistance légale de votre ouvrage), ou bien encore les constats par la DDT-M que votre ouvrage ne représente pas de problème de continuité écologique et n'appelle pas de travaux d'aménagement au titre du L 214-17 C env.

§9 Conclusion : répondre au harcèlement par le harcèlement, nécessité de l'unité - Les moulins sont victimes de harcèlement réglementaire au nom de réformes absurdes sur le plan des besoins réels pour la qualité de l'eau. Ils sont contraints de répondre au harcèlement par le harcèlement, et si nécessaire à l'absurde par l'absurde. Puisque l'administration est pointilleuse, il faut être pointilleux avec elle. Puisque l'administration prétend détenir les "preuves" que chaque ouvrage hydraulique pose un problème grave aux milieux, il faut lui demander de produire l'ensemble de ces preuves. Si des milliers de propriétaires d'ouvrages en rivière classée L2 agissent comme il est indiqué ci-dessus, les services de l'Etat et des agences seront débordés. Ils comprendront que toute tentative d'imposer un effacement (contraire à la loi) ou un aménagement coûteux sans indemnité (également contraire à la loi) sera vaine et ils feront remonter le problème à leur hiérarchie. La défense efficace des moulins dépend dans une très large mesure de leur capacité à se coordonner et à construire une stratégie cohérente de défense. A l'inverse, rester isolé et croire que vous arriverez à une solution amiable est le meilleur moyen de perdre vos droits, de dévaloriser votre bien et/ou de mettre le doigt dans l'engrenage de dépenses exorbitantes.

PS : bien entendu, si le Ministère de l'Ecologie reconnaît les excès de sa Direction de l'eau et produit une circulaire corrigeant les pratiques intenables des services instructeurs et des représentants de l'Etat dans les Agences de l'eau, le présent vade-mecum sera caduc et les moulins pourront reprendre une attitude plus ouverte dans la gestion commune et équilibrée de la rivière. Ce qui est notre souhait. Nous savons très bien que nombre de fonctionnaires en charge de l'eau, tenus par leur devoir de réserve, connaissent les difficultés du terrain, la complexité croissante de la réglementation, la disproportion entre le très faible impact des moulins et l'obsession de leur contrôle permanent, voire de leur disparition, par la Direction de l'Eau du Ministère. Rappelons que de nombreux moulins agrémentent le paysage des vallées, entretiennent le patrimoine historique et technique français, font vivre par les travaux de restauration l'artisanat des territoires ruraux, participent au tourisme local, gèrent les niveaux d'eau au bénéfice des riverains et de certains usagers tirant avantage de la retenue, donnent l'alerte en cas de pollution aiguë, retirent les déchets de la rivière pris dans leur grille, produisent une énergie locale bas-carbone qui limite le réchauffement climatique, ont généralement de bons rapports avec les pêcheurs et autres parties prenantes, ouvrent leurs portes aux écoles et aux curieux lors des journées nationales du patrimoine, des moulins ou de l'énergie. Le refus de reconnaître ces réalités, la volonté maladive de détruire les ouvrages hydrauliques, l'omission des droits des propriétaires et la tromperie organisée sur les causes réelles de dégradations des rivières sont à l'origine d'une rupture de confiance sans précédent entre les riverains et les représentants de l'Etat (ainsi qu'avec les syndicats de rivière, victimes indirectes de l'obligation de mettre en oeuvre des politiques décriées car infondées et disproportionnées).

12/10/2015

L'introuvable influence des seuils et barrages sur les peuplements piscicoles (Radinger et Wolter 2015)

La distribution des poissons dans une rivière est généralement discontinue : il y a des zones où les espèces sont présentes ou absentes, avec des densités variables. De nombreux facteurs peuvent expliquer ce phénomène. Johannes Radinger et Christian Wolter travaillent à l'Institut Leibniz d'écologie des eaux douces et des pêches intérieures (Berlin, Allemagne). Les deux chercheurs ont développé un modèle pour mieux comprendre la distribution des poissons en rivières, en fonction des habitats disponibles, des capacités de dispersion des espèces et des barrières à la migration. Une de leurs principales conclusions : aucun effet discernable des obstacles à l'écoulement sur les distributions des 17 espèces analysées. Subsidiairement, les auteurs rejoignent notre lecture de Van Looy et al 2014

On sait que la disponibilité des habitats, le potentiel de dispersion propre à chaque espèce et la fragmentation du cours d'eau par des obstacles influence la distribution des poissons en eaux courantes. Mais l'influence relative de chacun de ces facteurs et leurs éventuelles interactions restent pour le moment très peu documentées dans la littérature scientifique. De cette compréhension encore très embryonnaire peuvent résulter des mauvais choix de gestion pour la restauration des hydrosystèmes et la conservation des espèces.

17 espèces échantillonnées sur 81 sites
L'étude de Radinger et Wolter part du cas empirique de la Treene, rivière de plaine d'Allemagne du Nord à substrat sableux. La rivière a une longueur de 77 km, le bassin versant une superficie de 760 km2. On compte 52 obstacles à l'écoulement (seuils, déversoirs, barrages) sur le linéaire étudié. Cf image ci-dessous, le bassin étudié et les points de mesure.


Entre 2004 et 2011, 81 sites bien répartis ont été échantillonnés sur le bassin versant. Il en a résulté une base de 17 espèces dont la présence est attestée au moins dix fois. On retrouve bien sûr dans ces espèces nombre de celles qui occupent les gestionnaires français dans le domaine de la continuité écologique et de la restauration morphologique (anguille, brochet, truite commune, lamproie fluviatile, lamproie de Planer, etc.).

Les données sur les poissons ont été ramenées à un choix binaire : présence ou absence sur le tronçon du bassin versant. C'est donc la variable à expliquer.

Pour les variables explicatives, la disponibilité des habitats a été analysée selon le modèle d'Elith et al 2011 (un outil prédictif de niche écologique fondé sur la maximisation d'entropie MaxEnt, avec un calcul des densités de probabilité de présence d'une niche écologique, selon les 17 espèces avec 35 prédicteurs d'habitat et 3 prédicteurs topologiques). La dispersion des espèces a été analysée selon le modèle GRASS GIS FIDIMO (Radinger et al 2014), initialement paramétré à partir de 160 bases de données sur 62 espèces. Ce modèle calcule une probabilité de dispersion. Enfin, l'outil FIMIDO a été exploité pour modéliser les 52 obstacles à l'écoulement, en intégrant notamment le niveau de franchissabilité vers l'amont (la dévalaison était paramétrée comme libre).

Par la suite, des modèles linéaires généralisés ont été utilisés pour explorer les relations entre la présence / absence des espèces et les résultats modélisés des trois prédicteurs (habitat, dispersion, barrière). Dans ce type de travail, on retient les relations statistiques qui collent le plus fidèlement à la réalité des observations.

Pas d'effet des obstacles à l'écoulement, importance des capacités propres de dispersion des espèces
Résultat ? "La présence et l'absence des 17 espèces avec une fréquence d'occurrence ≥10 ont pu être correctement modélisées. Comme on s'y attendait, aussi bien la qualité de l'habitat à échelle locale que la capacité de dispersion propre à l'espèce ont contribué de manière significative à la distribution discontinue des poissons dans les réseaux de rivières."


Autre résultat du modèle quand on le fait itérer dans le temps : au départ, la capacité de dispersion est le premier prédicteur de répartition d'une espèce, mais le poids de ce facteur diminue dans le temps, ce qui augmente l'importance relative de la disponibilité de l'habitat (dont le poids reste stable dans l'absolu, cf image ci-dessus.

La principale "surprise" est venu du facteur des barrières à la migration : "l'hypothèse d'impact des barrières à la migration est partiellement rejetée. Aucun effet significatif des obstacles à la migration n'a pu être observé sur la distribution des 17 espèces modélisées. Il existait une tendance à une plus forte probabilité de présence en fonction d'une plus forte connectivité, cependant cette tendance n'était pas significative".

Pour expliquer ce manque d'effet, les auteurs font plusieurs hypothèses : espèces principalement anadromes (la seule catadrome, anguille, était analysée dans sa phase non migratrice de croissance en eau douce) ; possibilité que le modèle trouve des effets des barrières pour des espèces plus rares (≤ 10 occurrences), qui étaient exclues de l'analyse ; incertitude sur la position géographique des populations-sources des migrations (aval ou amont) ; possibilité que des longues périodes de temps, certains événements (crues, travaux, etc.) rendent franchissables la plupart des barrières.

Les auteurs prennent le soin de préciser : "Pour ce qui est de la réhabilitation des rivières, les métriques globales de fragmentation comme le nombre d'obstacles par kilomètre de rivière ou le nombre / la dimension des tronçons déconnectés (eg Van Looy et al 2014) peuvent ne pas être significatives, parce que ces statistiques sommaires échouent à rendre compte de la répartition spatiale des groupes d'habitats, le potentiel de dispersion directionnelle ou l'influence non-uniforme des obstacles (Jager et al 2001)". Radinger et Wolter ajoutent que leur travail ne se prononce pas sur des effets indirects de la fragmentation, comme une réduction de diversité génétique.

Discussion
Comme toujours quand on parle de résultats scientifiques sur un site grand public, il faut d'abord rappeler que la science est un processus ouvert, réfutable et jamais achevé, chaque résultat apportant une contribution modeste à la construction des théories et modèles des phénomènes observés. Ici le modèle de Radinger et Wolter a tourné sur une rivière particulière avec un peuplement particulier, sans préjuger de ses résultats avec d'autres hydrosystèmes variant par la pente, le substrat, la température, l'enjeu migrateur, etc. Par ailleurs, comme dans tout modèle, il existe des paramétrisations semi-empiriques (des valeurs fixées par le modélisateur dans certaines équations) qui sont susceptibles de faire débat ou d'évoluer à mesure que s'affinent les tests du modèle.

Cela étant posé, les résultats de ce travail ne surprendront pas les lecteurs de notre site : un nombre relativement important de travaux récents ont montré que l'effet des impacts morphologiques en général, et des obstacles au franchissement en particulier, est complexe à décrire et prédire. D'autant que les peuplements de poissons changent assez rapidement à échelle des temps historiques et écologiques. Bon nombre d'études donnent des résultats "contre-intuitifs", c'est-à-dire sans effet important des seuils et barrages.

A ce sujet, et par parenthèses, Radinger et Wolter écrivent dans leur article : "Van Looy et al (2014) n'ont trouvé qu'un effet mineur de la densité de barrage sur les métriques piscicoles de la qualité écologique". Nous soulignons ce point de détail car nos lecteurs se souviennent sans doute que nous avions recensé ce travail de Van Looy  et al et que certains lecteurs institutionnels (DEB, Onema, Dreal) s'étaient émus de nos conclusions. Or Radinger et Wolter rejoignent notre principale conclusion, à savoir un effet manifestement modeste des seuils et barrages. Ce qui se retrouve aussi bien chez Branco et al 2012 au Portugal,  Dahm et al 2013 en Autriche et en Allemagne, Mahlum et al 2014 au Canada, Villeneuve et al 2015 en France, ou par analyse a posteriori des effets de restauration chez Kail et al 2015 ou Schmutz et el 2015. Il nous paraît peu concevable de poursuivre la politique française de continuité écologique et de "trame bleue" sans intégrer ces données récentes de la recherche et sans mentionner les incertitudes assez importantes sur l'issue des travaux de restauration.

Repenser les choix français
Que déduire sur la gestion des rivières? Là encore, nous avons mainte fois souligné l'inanité d'un classement massif de rivières avec court délai d'aménagement à fin de continuité écologique, ce qui fut le choix français. De même, nous avons souligné le peu d'intérêt des outils rudimentaires comme le taux d'étagement, pourtant validé par de grandes agences de bassin manifestement en retard sur les évolutions de la science des rivières et des milieux aquatiques.

Une politique de l'eau scientifiquement robuste part de la rivière en son bassin versant, collecte l'ensemble des descripteurs (biologiques, physiques, chimiques, morphologiques), avec une bonne répartition spatiale / temporelle et si possible un éclairage par l'histoire de l'environnement local pour intégrer des tendances / contraintes de long terme et un calage des conditions initiales. Ensuite seulement, un modèle descriptif permet de pondérer les impacts et un modèle prédictif de définir des trajectoires de restauration pour les compartiments cibles selon les actions choisies.

Nous assistons au choix inverse : des aménagements précipités et dictés par une pseudo-urgence administrative, des personnels ne disposant pas de compétences ni de moyens pour de vrais travaux préparatoires, une action opportuniste par ouvrage et non une gestion coordonnée par bassin versant, une ignorance de la plupart des prédicteurs de qualité de milieux aquatiques, une absence de suivi des effets. Ecoutons davantage les chercheurs et revenons aux fondamentaux, au lieu de cette expérimentation hasardeuse et anarchique à grande échelle.

Référence : Radinger J, C Wolter (2015), Disentangling the effects of habitat suitability, dispersal and fragmentation on the distribution of river fishes, Ecological Applications, 25, 914-927.

Nous remercions Johannes Radinger de nous avoir fait parvenir son travail. Johannes, jeune docteur en hydro-écologie, dispose d'un blog où il expose ses recherches et réflexions.

10/10/2015

Lettre ouverte à M. François Sauvadet sur le SDAGE Seine-Normandie

Le SDAGE Seine-Normandie est sur le point d'être adopté. Trois associations de Bourgogne saisissent le Président du Comité de bassin Seine-Normandie, M. François Sauvadet, pour exposer la dérive grave de ce texte, dont les orientations en matière de continuité écologique vont très au-delà des exigences de la loi et dont certaines propositions inacceptables feraient l'objet d'une requête en annulation si elles devaient être votées en l'état. 

Monsieur le Président,

Comme vous le savez, car nous avons échangé sur ce sujet encore récemment, la mise en oeuvre de la continuité écologique soulève de nombreuses difficultés et inquiétudes : assèchement brutal des biefs et canaux, changement peu prévisible des écoulements, affaiblissement de berges et des bâtis, perte esthétique et paysagère dans les villages et les vallées, disparition du patrimoine historique et du potentiel énergétique, choix d'aménagement décidés alors que les rivières ne sont pas scientifiquement étudiées sur l'ensemble de leur bassin versant, dépense publique conséquente malgré le manque de résultats probants sur nos engagements européens de qualité chimique et écologique des masses d'eau.

Ce n'est pas une fatalité : c'est le résultat de choix tout à fait excessifs visant à imposer contre la volonté des propriétaires, des riverains et souvent des élus locaux, ainsi que contre l'esprit des lois françaises, la seule solution de la destruction du patrimoine hydraulique. Malheureusement, l'Agence de l'eau Seine-Normandie dont vous présidez le Comité de bassin s'inscrit dans cette perspective excessive, autoritaire, brutale.

Pour comprendre l'ampleur et la nature du problème, un petit retour en arrière est nécessaire. Dans la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (2006), la représentation nationale a souhaité que les ouvrages en rivière classée au titre de la continuité soient "entretenus, équipés, gérés" selon les prescriptions concertées de l'autorité administrative. De la même manière, la loi dite de Grenelle 1 créant la trame bleue (2009) a souhaité une "mise à l'étude" de l'"aménagement des ouvrages les plus problématiques" pour les poissons migrateurs.

En aucun cas nos députés et sénateurs n'ont inscrit les mots "effacement", "arasement", "dérasement" ou "destruction" dans le texte de la loi ni dans l'horizon commun de gestion équilibrée des rivières. Au cours du vote de la loi de Grenelle 1, une commission mixte paritaire a même volontairement écarté une rédaction qui préconisait cet effacement.

C'est donc un choix démocratique clair et lucide : la suppression totale ou partielle des ouvrages n'est pas le souhait des représentants des citoyens français. Vous le savez fort bien, Monsieur le Président, au regard des responsabilités que vous exerciez lorsque ces textes ont été débattus et votés.

Plus récemment, vous n'êtes pas sans ignorer que Madame la Ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, saisie des dérives de la mise en oeuvre administrative des lois de continuité, a déclaré aux sénateurs qui l'interpellaient à ce sujet que "les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins". Mme la Ministre de la Culture Fleur Pellerin a affirmé pour sa part aux députés lors de la discussion parlementaire sur la loi du patrimoine :"Je partage moi aussi votre souci de ne pas permettre la dégradation, voire la destruction, des moulins, qui représentent un intérêt patrimonial, par une application trop rigide des textes destinés à favoriser les continuités écologiques."

Le problème, Monsieur le Président, est que l'Agence de l'eau Seine-Normandie ne respecte nullement ces choix posés par le législateur et ré-affirmés par le gouvernement. 

Quand on consulte les services de l'Agence de l'eau Seine-Normandie pour aménager un moulin à fin de continuité, il est répondu que seul l'effacement est financé à 80%. Les passes à poissons (très coûteuses et inaccessibles aux maîtres d'ouvrage) ne font l'objet d'aucune subvention s'il n'existe pas d'usage économique avéré (90% des cas), et d'une subvention bien trop faible dans les rares autres cas. Même avec un soutien à 50%, le propriétaire devrait encore débourser des dizaines à des centaines de milliers d'euros restant dus pour payer les aménagements de continuité, ce qui est une dépense privée exorbitante pour des travaux relevant de l'intérêt général, créant une servitude permanente d'entretien et n'apportant strictement aucun profit aux particuliers ni aux communes à qui il est fait injonction de les réaliser.

On peut poser des normes très strictes pour des biens communs tels la qualité des milieux, mais la moindre des choses est d'en provisionner un financement public conséquent, pas d'en faire reposer la charge disproportionnée sur les seules épaules de quelques milliers de propriétaires insolvables à hauteur de ce qu'on exige d'eux.

Ces choix déplorables, à l'origine d'une tension croissante au bord des rivières, ne sont pas modifiés mais au contraire aggravés dans le projet de SDAGE 2016-2021 que vous vous apprêtez à adopter. Ce projet comporte en effet de nouvelles dérives dans le domaine de la continuité écologique, et des dérives inacceptables compte tenu des nombreux retours d'expérience accumulés depuis le classement de 2012, des progrès des connaissances et du rappel législatif évoqué plus haut.

Ainsi, le SDAGE intègre la notion de "taux d'étagement" de la rivière et le préconise comme objectif pour les cours d'eau (taux à 20 ou 30 %). Or, ce concept inventé dans un bureau ne figure à notre connaissance dans aucune loi ni aucune règlementation française. Il n'a aucune base scientifique solide (un simple mémoire de master d'étudiant lui a été consacré) et l'intérêt du taux d'étagement est totalement contredit par les résultats récents de la recherche française, européenne et internationale, montrant le faible lien entre les seuils et la qualité piscicole des rivières (ou la biodiversité). Il n'est pas acceptable que l'Agence de l'eau Seine-Normandie propage des objectifs sans fondement scientifique solide. De tels dispositifs génériques n'ont par ailleurs aucun sens par rapport à nos obligations réelles : comme nous y enjoint l'Union européenne, chaque rivière doit faire l'objet d'une analyse complète de ses impacts (physico-chimiques, morphologiques, chimiques) et de ses indicateurs de qualité biologiques, après quoi seulement on choisit des solutions adaptées aux déséquilibres constatés. Le simplisme et l'arbitraire du taux d'étagement nient cette nécessité d'une action localement conçue et scientifiquement étayée.

Plus gravement encore, le projet de SDAGE soumis à consultation se permet des affirmations comme celles-ci : "pour les ouvrages n’ayant plus de fonction ou d’usages ou en très mauvais état d’entretien ou de gestion, l’autorité administrative veille à la suppression des ouvrages et des installations et à la remise en état des sites naturels et du linéaire influence". Jamais la loi n'a donné mandat à l'administration de "supprimer" un ouvrage sous le seul prétexte qu'il n'aurait pas de fonction ni d'usage ! 

De la même manière, quand le projet de SDAGE écrit que "l’effet résiduel cumulé des obstacles même équipés de dispositifs de franchissement conduit à privilégier des solutions d’effacement par rapport aux solutions d’équipement", il se place en contradiction formelle avec les lois de 2006 et 2009 dont nous avons vu qu'elles ont privilégié l'aménagement et la gestion des ouvrages, en aucun cas l'effacement. Depuis quand une Agence de bassin prétend-elle imposer ses vues au détriment de celles du législateur ?

Monsieur le Président,

Le rôle des Agences de l'eau n'est pas d'employer des termes agressifs et hors-de-propos, encore moins de se substituer au législateur dans la définition de la politique de l'eau ni d'intimer à l'administration des actions que ni la loi ni la règlementation n'exige. Il n'est pas non plus de créer des inégalités des citoyens devant la loi – or c'est bien ce qui se passe, puisque chaque Agence choisit ses financements et que si tous sont soumis à la loi commune en matière de continuité écologique, certains sont moins aidés que d'autres. Cela révolte la décence commune et le sens élémentaire de la justice des citoyens français, dont on sait l'attachement au principe d'égalité de tous devant la loi.

Les Agences de l'eau sont d'autant moins fondées à des prétentions normatives qu'elles représentent un modèle de démocratie très perfectible : nous vous rappelons que les associations de moulins, les associations de riverains, les associations de défense du patrimoine rural et technique, les sociétés locales des sciences et tant d'autres acteurs légitimes de la civilisation hydraulique ne figurent pas dans votre Comité de bassin. De sorte que les principaux concernés par la continuité écologique sont totalement écartés de la discussion et de l'élaboration des mesures qui les regardent au premier chef. Cela rend à tout le moins fragile la prétention du SDAGE à imposer ses vues à une société civile exclue de tout pouvoir autre que très vaguement consultatif.

Le projet du SDAGE 2016-2021, poursuivant et aggravant les erreurs du SDAGE 2010-2015 dans le domaine de la continuité écologique, interdit une politique équilibrée sur les rivières. S'il devait être adopté en l'état, le SDAGE ferait l'objet de requêtes en annulation devant les cours administratives, le point de vue de nos associations étant partagé par de nombreuses consoeurs, de la Bourgogne et la Champagne à l'Ile-de-France et la Normandie. Et si l'Agence de l'eau Seine-Normandie persistait à refuser par principe le financement à 80% des ouvrages de continuité écologique, ce sont des centaines de contentieux qui s'ouvriront d'ici 2017, terme prévu du classement des rivières. Car les propriétaires de moulins, les riverains et un nombre croissant d'élus locaux sont désormais bien décidés à se battre contre les mesures injustes et les financements inégaux que promeut l'Agence de l'eau Seine-Normandie.

Nous vous prions donc de porter à la connaissance du Comité de bassin les points soulevés dans la présente lettre, et nous ne pouvons qu'espérer un abandon pur et simple des mesures les plus contestables du SDAGE 2016-2021, comme nous l'avons déjà exprimé en phase de consultation.

Le SDAGE nous engage collectivement pour 6 ans. Ces années peuvent être constructives plutôt que destructives, apaisées plutôt que tendues, consensuelles plutôt que polémiques. Si l'Agence de l'eau persiste dans la voie dogmatique qui est la sienne dans le domaine de la continuité écologique, elle aura pris la responsabilité de rendre parfaitement ingérable la question des ouvrages hydrauliques en rivière sur l'ensemble du bassin.

Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l'expression de nos respectueuses salutations.

C.F. Champetier, président de l'Association Hydrauxois
C. Jacquemin, président de l'Association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonnais (Arpohc)
F. Lefebvre-Vary, président de l'Association des moulins du Morvan et de la Nièvre (AMMN)

Copie à M. le Préfet de Bassin et Mme la Directrice de l'Agence de l'eau

09/10/2015

Moratoire sur la continuité écologique: 7 partenaires s’engagent pour défendre les étangs, biefs, rivières et leurs ouvrages

Nous publions le premier communiqué du mouvement pour un moratoire sur la continuité écologique. L'appel (ouvert aux élus, associations, institutions et personnalités de la société civile) peut être signé à cette adresse.


L’Observatoire de la continuité écologique et des usages de l’eau (OCE), la Fédération Des Moulins de France (FMDF), la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM), l’Association des riverains de France (ARF), l’Union nationale des syndicats et associations des aquaculteurs en étangs et bassins (UNSAAEB), Electricité autonome française (EAF) et France Hydro Electricité (FHE) ont lancé un appel commun pour demander un moratoire sur la mise en œuvre de la continuité écologique.

Cet appel est ouvert dans les prochains mois à la signature des élus, des institutions et des personnalités de la société civile. Il sera remis en 2016 au Ministre de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie (MEDDE), assorti d’un diagnostic de la situation et de propositions d’actions.

Fort de l’expérience de leurs milliers d’adhérents, les signataires de l’appel tirent la sonnette d’alarme non pas sur la continuité écologique elle-même, qui est un outil de gestion des bassins hydrauliques parmi d’autres, mais sur la manière dont elle est mise en œuvre depuis dix ans par la Direction de l’eau et de la biodiversité du MEDDE, les agents instructeurs en services déconcentrés (DDT, Onema, DREAL) et les Agences de l’eau.

Dans les rivières classées au titre de la continuité écologique (article 214-17 Code de l’environnement) et pour les 20.000 ouvrages concernés d’ici 2018, on constate en effet sur le terrain:

  • un postulat systématique en faveur de la destruction des ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, digues) ;
  • un défaut de concertation avec les riverains et d’écoute de leurs attentes ;
  • une absence de garanties concernant les risques pour les personnes, les biens et les écosystèmes (écoulements modifiés, sédiments pollués) ;
  • un arbitraire dans le choix des solutions imposées et une absence de justification scientifique de leur bien-fondé écologique ;
  • une exigence d’équipements qui dépassent largement la solvabilité des maîtres d’ouvrage et qui mettent parfois en péril la durabilité des activités professionnelles (aquaculteurs, hydro-électriciens) ;
  • un manque de disponibilité des services instructeurs de l’Etat, reconnaissant eux-mêmes que le délai de 5 ans de mise en œuvre du classement ne pourra pas être respecté, faute de moyens humains et techniques.

De surcroît, la politique actuelle de continuité écologique représente des dépenses considérables d'argent public sans aucune garantie de résultat vis-à-vis de nos obligations européennes et sans respect de l’esprit de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006. Il convient en effet de rappeler que :

  • la directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000) n’a jamais fait de la continuité longitudinale de la rivière une condition de reconquête du bon état chimique et écologique des masses d’eau, de sorte que la référence à une « obligation européenne » est inexacte et trompeuse ;
  • la LEMA 2006 pose l’enjeu de continuité pour les poissons migrateurs en demandant un équipement et une gestion concertés (non pas une destruction imposée par chantage économique ni des exigences disproportionnées aux enjeux environnementaux et aux capacités du maître d’ouvrage) ;
  • la France accuse un retard considérable sur la mise en œuvre des directives européenne nitrates et eaux usées de 1991 comme sur la mise en œuvre de la DCE 2000, par incapacité à prioriser les enjeux pour la qualité de l’eau et à agir sur les réels facteurs dégradant cette qualité;
  • les études scientifiques les plus récentes montrent une très faible corrélation entre la présence de seuils ou barrages en rivières et la dégradation des indicateurs biologiques de la DCE 2000, de même qu’une très faible probabilité d’atteindre le bon état d’une masse d’eau par la restauration morphologique.

Un moratoire sur la continuité écologique apparaît comme la seule solution pour prendre en considération l’ensemble de ces réalités et pour ouvrir une concertation devenue indispensable avec les propriétaires, usagers, exploitants et riverains.

Loire-Bretagne : 50 ans de pollution aux nitrates

Discours mille fois entendu quand on discute avec les Agences de l'eau ou les syndicats de rivière: "nous dépensons énormément pour les pollutions et la situation s'améliore, beaucoup de rivières sont en réalité dégradées à cause de la morphologie et non pas de la chimie".

Voici l'évolution des nitrates en bassin Loire-Bretagne depuis 1971 (source, pdf), c'est-à-dire grosso modo depuis la création de l'Agence de bassin censée protéger la ressource en eau.


On voit que sur tous les sous-bassins de Loire-Bretagne, nous sommes largement au-dessus des concentrations initiales. Qui peut croire un seul instant que dans le même intervalle de temps, les pollutions par pesticides, HAP et résidus de combustion, médicaments, microplastiques et autres biotoxiques se sont améliorées ? On voit aussi qu'il n'existe quasiment aucun progrès sur les masses d'eau en état moyen à mauvais depuis des décennies. L'Agence de l'eau Loire-Bretagne avoue qu'elle n'est même pas capable en 2015 de mesurer l'ensemble de ces pollutions. Ce qui ne l'empêche pas dans le domaine de la continuité écologique d'exiger des "taux d'étagement", "taux de fractionnement" et autres gadgets pleins de certitudes déplacées sur les causes supposées de dégradation des milieux aquatiques – particulièrement déplacées en l'occurrence, vu le rôle positif des seuils et barrage en bilan d'azote (voir la rubrique auto-épuration ; voir aussi la problématique de l'Anthropocène comme accélération et convergence des pressions sur les milieux).