16/11/2015

Protection du patrimoine des moulins, une première proposition

La FFAM a récemment tenté d'introduire un amendement de protection des moulins dans la future loi de patrimoine, mais la commission des lois a décidé, après échange avec la Ministre de la Culture, de retirer l'amendement (voir notre article). En revanche, Mme Fleur Pellerin a annoncé une concertation au niveau interministériel. Nous faisons ici une première proposition concrète d'évolution de notre droit dans le domaine des travaux en rivières impliquant la destruction d'un élément du patrimoine. Nous souhaitons que le dossier soit géré en toute transparence avec les associations impliquées comme avec les parlementaires mobilisés. Il est impératif de juger de la bonne volonté du gouvernement à protéger le patrimoine hydraulique, et non pas à engager des manoeuvres de coulisses visant à enterrer la question dans des commissions obscures. Les choses doivent être claires : nous ne voulons plus laisser les mains libres à l'entreprise folle, illégitime et antidémocratique de destruction du patrimoine hydraulique promue par la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie, par les représentants de l'Etat dans les Agences de l'eau ou dans les établissements publics (Onema). Seules des évolutions juridiques précises et rapides pourront nous prémunir de l'arbitraire qui a cours en ce moment sur nos rivières.

Mme Fleur Pellerin a déclaré lors des échanges parlementaires récents : "Je puis cependant m’engager au moins à ce qu’un groupe de travail soit mis en place au cours des prochaines semaines, réunissant mes services et ceux de ma collègue chargée de l’environnement, ainsi que la Fédération française des amis des moulins et toute autre association concernée, pour recenser les cas qui présenteraient des difficultés particulières, de définir les principes d’une application adaptée des objectifs de continuité écologique aux problématiques des seuils des moulins patrimoniaux et pour renforcer le dialogue sur cette question entre les directions régionales des affaires culturelles – DRAC – et les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement – DREAL –,afin que nous puissions trouver des solutions."

De notre point de vue, il convient d'éviter l'enfermement du dossier dans la constitution de listes d'ouvrages hydrauliques ayant un intérêt patrimonial, ce qui laisserait entendre que tous ceux absents de la liste n'en ont pas. Il faut répéter avec force que les moulins constituent le 3e patrimoine de France, après celui des églises et des châteaux. Le caractère patrimonial des ouvrages hydrauliques ne tient pas au caractère exceptionnel de l'architecture de tel ou tel d'entre eux, mais d'abord au fait que, présents sur toute rivière, ils portent témoignage de la manière dont se sont peuplées les vallées de France et dont toute l'économie de notre pays a pu fournir un travail productif au cours du millénaire écoulé – jusque depuis l'époque romaine pour les sites les plus anciennement équipés. De ce point de vue, tout moulin s'insère dans un réseau local et régional, tout moulin mérite réflexion avec de faire disparaître ses ouvrages hydrauliques (donc son identité intrinsèque de moulin).

Par ailleurs, il faut noter que la politique actuelle de continuité écologique détruit en priorité les seuils et barrages de moulins, mais qu'ils ne sont pas les seuls ouvrages concernés. Par exemple, on a pu observer sur le terrain que la mise hors d'eau permanente, périodique ou transitoire peut affecter des douves, remparts ou fortifications, des lavoirs, des biefs, des fondations d'habitat riverain, des paysages remarquables.

Retenons ce principe non négociable : nous n'avons pas à justifier au cas par cas l'intérêt patrimonial d'un ouvrage. Le respect du patrimoine hydraulique est la règle, c'est sa destruction qui doit être et demeurer l'exception. Ce sont donc les chantiers (normalement) exceptionnels de destruction qu'il faut examiner au cas par cas, et qui doivent justifier leur choix sur le plan culturel, pas seulement sur le plan biologique, chimique, morphologique.

Faire évoluer les dossiers d'autorisation de destruction d'ouvrages hydrauliques
En termes législatifs et réglementaires, nous proposons donc de travailler sur des évolutions transversales et globales, qui permettent de d'assurer la bonne prise en compte des enjeux culturels et patrimoniaux dans la politique de continuité écologique. La première urgence est de s'assurer que tout effacement inclut l'évaluation de l'intérêt de l'ouvrage.

Un effacement de seuil ou barrage relève des travaux "loi sur l'eau" régis par les articles R 214-1 CE et suivant. Concernant l'article R 214-1 CE, nous proposons l'ajout d'un titre VI. Le contenu de cette réglementation pourra être rédigé de la sorte :

Titre VI Impact sur le patrimoine historique et culturel
Les travaux entraînant la destruction totale ou partielle des ouvrages hydrauliques et canaux, ou leur mise hors d'eau permanente ou périodique impliquant une fragilisation potentielle du bâti, devront faire l'objet d'une évaluation de l'autorité administrative compétente dans le domaine de la connaissance, de la protection, de la conservation et de la valorisation du patrimoine et de la culture, ainsi que d'une concertation avec les associations ayant pour objet la défense et la promotion du patrimoine hydraulique.
L'autorité administrative compétente peut émettre toute prescription conservatoire.

Une telle évolution réglementaire nous paraîtrait saine car :
  • elle concerne les ouvrages menacés de destruction, donc elle cible directement les enjeux prioritaires en terme de protection patrimoniale;
  • elle sollicite l'avis des DRAC (ou des STAP) comme sont déjà sollicités en cas d'effacement les services Dreal-DDT-Onema, de sorte que l'équilibre de la réflexion administrative entre protection de la nature et de la culture sera garanti;
  • elle pose le principe de concertation, et évite ainsi ce qui est perçu comme dérive autoritaire de certains acteurs de l'eau (rappelons que les associations de moulins sont exclues des Comités de bassins et des Commissions locales de l'eau);
  • elle transfère la concertation et la réflexion sur le terrain, ce qui évite le travail impossible consistant à décider en comité fermé et au plan national quel ouvrage serait digne d'intérêt et quel autre pourrait être effacé de notre mémoire commune.
Une option alternative serait de modifier le contenu obligatoire du document d'incidence des travaux soumis à autorisation (article R 214-06 CE), mais cela exclurait des effacements d'ouvrages simplement soumis à déclaration (art R 214-1 CE) qui peuvent malgré tout présenter un intérêt patrimonial.

Nous souhaitons que les représentants des moulins en concertation avec le Ministère (ici la FFAM) portent cette proposition (ou s'en inspirent sur le principe) et tiennent les associations informées des positions des Ministère de la Culture et de l'Ecologie. Bien entendu, il conviendra d'en tenir également informés les parlementaires qui ont porté l'amendement et qui attendent une réponse sincère du gouvernement sur le sujet devenu très sensible de la destruction indue du patrimoine hydraulique français.

Illustration : la roue de l'Abbaye de Fontenay. La défense du patrimoine hydraulique ne doit pas concerner seulement quelques sites symboliques, mais se nourrir d'une réflexion élargie sur la place des réseaux de moulins dans la construction de nos vallées, l'histoire sociale et économique de nos territoires, la transformation et la persistance des modes énergétiques de production.

13/11/2015

Ségolène Royal: "nous devons sauvegarder les petits moulins sur les rivières"

Madame Ségolène Royal, dont nous avons à plusieurs reprises salué les positions lucides et courageuses, vient de ré-affirmer son soutien à la petite hydro-électricité. Dans un discours présentant ce vendredi 13 novembre 2015 les engagements de la France pour une croissance verte, la Ministre de l'Ecologie a franchi un pas supplémentaire en appelant ouvertement à "sauvegarder les petits moulins sur les rivières".

Mme Royal ne manquera pas d'être critiquée par certains lobbies – FNE et FNPF –, ces lobbies qui en avaient déjà appelé au Président de la République pour sauver leurs dogmes et leurs prébendes, ces lobbies qui jouissent de l'oreille exclusive de quelques hauts fonctionnaires militants de la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie et qui ont poussé certains bassins français dans l'impasse dramatique de mesures massives, inefficaces, irréalistes de continuité écologique.

Mais Mme Royal devra surtout affronter un adversaire plus redoutable : la terrible inertie de l'appareil administratif. Partout en France, ce sont déjà des centaines d'effacements d'ouvrages hydrauliques qui sont réalisés, programmés ou en phase d'études, produisant parfois des paysages de désolation, suscitant l'indignation des riverains, détruisant à la pelleteuse des seuils et barrages qu'il conviendrait au contraire de respecter, de moderniser et d'équiper. A cela s'ajoutent le choix opaque et fort peu démocratique de certaines Agences de l'eau qui n'hésitent pas à financer publiquement la priorité aux effacements (voir par exemple notre lettre ouverte à Joël Pélicot en Loire-Bretagne) et le jeu de coulisses de certains services Onema qui posent des exigences environnementales totalement disproportionnées aux impacts réels sur les milieux comme aux moyens économiques des maîtres d'ouvrage.

Nous risquons donc d'entrer dans des temps de confusion, avec une partie de l'administration qui s'en tiendra aux orientations d'effacement prioritaire des ouvrages pour cause de continuité écologique, une autre qui suivra le nouvel engagement à produire le maximum d'énergie propre sur les moulins de nos rivières.

La solution : mettre à plat la question déjà très difficilement gérable des ouvrages hydrauliques, poser un moratoire sur le classement des rivières à fin de continuité, définir des solutions de modernisation écologique et énergétique acceptables par toutes les parties.

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Continuité écologique: revenir au texte de la loi et dénoncer les excès de pouvoir

Les bureaucraties de l'eau sont saisies depuis une dizaine d'années d'une frénésie réglementaire et programmatique, multipliant les trames, les plans, les décrets, les arrêtés, les circulaires, les instructions, les SDAGE, les SAGE, les SRCE et autres colifichets. Il existe une disproportion manifeste entre la complexité de ce fatras illisible d'une part, l'efficacité de la politique française de l'eau vue à travers ses résultats (médiocres) d'autre part. Mais ce trouble d'hyperactivité administrative (avec déficit de l'attention à autrui) a aussi pour effet d'effrayer les citoyens, particulièrement les propriétaires d'ouvrages hydrauliques qui finissent par ne plus trop savoir à quelle sauce ils seront mangés. Comme toujours, les plus faibles sont plus affectés par la peur de l'avenir. Dans le domaine de la continuité écologique, il faut en revenir à la base : le texte de la loi votée par nos députés et sénateurs. Correctement appliquée, cette loi permet une mise en oeuvre raisonnable de la continuité. Nous le rappelons ici par une analyse mot à mot, et nous combattrons comme excès de pouvoir toutes les tentatives pour sur-interpréter ce texte dans un sens indument agressif vis-à-vis des ouvrages hydrauliques. 

En matière de hiérarchie des normes, la loi s'impose à la réglementation : cela signifie que la référence à la loi l'emporte sur les textes réglementaires (décrets, arrêtés, etc.) de l'Etat ou de l'administration déconcentrée s'il existe un conflit d'interprétation.

Commençons par exposer ci-dessous ce que la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (2006) a introduit dans la partie législative du Code de l'environnement. Nous nous limitons ici au cas des rivières classées en liste 2, c'est-à-dire celles qui ont une obligation d'aménager les ouvrages avant 2017 (Seine-Normandie, Loire-Bretagne) ou 2018 (autres bassins). Il y a également des problèmes sur les rivières classées en liste 1, mais ils sont moins urgents en raison de l'absence de délai.

S'il y a donc un seul texte que vous devez connaître par coeur dans le domaine de la continuité écologique, c'est celui-là. D'autant que nul n'est censé ignorer la loi. Nous indiquons en orange les mots et concepts importants de ce texte, qui sont explicités ensuite.

Article L214-17 CE
I.-Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin 
(…)
2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant.
(…)
Les obligations résultant du I du présent article n'ouvrent droit à indemnité que si elles font peser sur le propriétaire ou l'exploitant de l'ouvrage une charge spéciale et exorbitante.

Transport suffisant des sédiments : personne ne sait au juste à quoi correspond ce concept de transport "suffisant", qui n'est pas une notion scientifique. Il revient à l'autorité administrative de le définir et le justifier au cas par cas. Ne vous en inquiétez pas outre mesure : nous n'avons encore jamais rencontré de demande absurde en ce domaine – et pour cause, le sort des limons, sables et graviers n'est quand même pas une cause de première importance, d'autant que quasiment tous les seuils et petits barrages ont un impact négligeable sur ce plan au regard des volumes de charriage concernés sur les bassins versants. Si un petit ouvrage bloquait tous les sédiments, il serait rempli en quelques mois ou années. A noter : l'art. L-214-17 CE n'a pas introduit une obligation de "restaurer des habitats", ce qui est l'interprétation (militante) de certains de vos interlocuteurs en rivière. L'ensemble retenue-bief-chute ne forme pas spécialement un habitat "dégradé", terme portant jugement de valeur, n'ayant pas de fondement juridique clair (en tout cas dans le domaine de la continuité) ni de réel consensus scientifique. Même l'administration a reconnu ce point dans la Circulaire d'application du L 214-17 CE, donc aucun fonctionnaire n'est fondé à invoquer le L 214-17 CE pour "restaurer de l'habitat".

Circulation des poissons migrateurs : le texte de loi parle de la "circulation", sans préciser le sens (montaison, dévalaison). Par défaut et en première intention, le choix le plus simple de dévalaison (migration vers l'aval) peut être retenu sans sortir du texte de la loi. L'administration voudra éventuellement imposer la montaison (migration vers l'amont), c'est à elle d'en justifier la nécessité et la faisabilité, pas à vous. Ce texte parle des "migrateurs" et exclut par là les espèces non migratrices que certains bassins ont ajouté dans leur document technique d'accompagnement en liste 2. Lamproie de planer, chabot, vairon et autres cyprinidés rhéophiles ne sont pas des espèces migratrices, toute exigence d'aménagement de montaison pour ces espèces devra être considérée comme irrecevable dans une rivière classée seulement L2. Le cas de la truite est discutable car cette espèce montre une forte variabilité dans le comportement migratoire (certains individus sédentaires, d'autres migrateurs). Si la rivière ne présente pas de déficit particulier de truite, il ne paraît pas utile de procéder à des aménagements lourds, le peuplement est adapté au biotope local qui inclut les seuils. Les migrateurs amphihalins (anguilles, saumons, lamproies marines, etc.) sont dans l'objet légitime de l'article de loi… à condition qu'ils soient présents dans la rivière, car un aménagement de continuité s'adresse au besoin fonctionnel d'espèces présentes, et non virtuelles. Sur cette question des poissons objets ou non de la loi, nous préparerons des fiches argumentaires citant la littérature scientifique, les déclarations des responsables Onema-Irstea lors des auditions parlementaires et permettant de convaincre si besoin le juge de certains abus manifestes dans l'extension de la notion de "migrateur" par des fonctionnaires locaux.

Géré, entretenu et équipé : en aucun cas le texte de loi n'emploie les mots "effacé", "arasé", "dérasé", "détruit", "échancré", etc. La pression actuelle en faveur de l'effacement n'a rien à voir avec la continuité écologique définie par la loi (elle est le fait d'une dérive interne d'une partie de l'appareil administratif, de certaines Agences de l'eau et de certains syndicats). Au terme de la loi, tout ouvrage autorisé (L214-6 CE) doit au contraire voir sa consistance légale (hauteur, débit) respectée : une proposition d'effacement au titre du L 214-17 CE n'a donc pas de base légale et doit être dénoncée dans les meilleurs délais à votre association (ou votre avocat). Notamment, contrairement à ce que certains agents DDT nous ont laissé entendre, une préfecture ne pourra certainement pas imposer une échancrure qui remettrait en cause le niveau amont, donc la consistance légale de l'ouvrage (outre le fait qu'une simple échancrure ne serait pas jugée fonctionnelle si elle prétend répondre à un besoin spécifique de montaison). Aucun moyen de gestion, entretien et équipement n'est spécifié à l'avance dans le texte de loi : pour la plupart des seuils de taille modeste, une bonne gestion des vannages peut suffire de notre point de vue. Voire pas d'action du tout pour les ouvrages les plus modestes et les rivières à faible enjeu piscicole (on reconnaît dans ce cas que l'ouvrage en l'état est conforme aux exigences du L 214-17 CE). L'administration peut toujours estimer le contraire et demander des règles spéciales de gestion, équipement et entretien : elle doit simplement les motiver, cf point suivant, et si elle demande un équipement lourd au plan des travaux et du coût, elle doit fournir les éléments de proportionnalité permettant de juger que ce n'est pas une charge spéciale exorbitante, cf ci-dessous.

Règles définies par l'autorité administrative : le texte de loi oblige de manière non ambiguë l'administration à définir et donc motiver les règles présidant à sa demande de gestion, entretien et équipement. Ce n'est pas au propriétaire de payer un bureau d'études (coûteux), c'est à l'administration de proposer et justifier des règles spécifiques à chaque ouvrage où elle entend promulguer une mesure de police administrative en matière de continuité écologique. Nous avons préparé un questionnaire à cette fin. Sur chaque seuil ou barrage, l'autorité administrative doit par exemple : justifier la présence des espèces cibles ; indiquer le score de franchissabilité ICE de l'ouvrage en l'état ; exposer la nécessité de changer ce score. Et plein d'autres choses que nous attendons. C'est tout à fait normal : l'argent public paie des organismes spécialisés (comme l'Onema) ou des administrations déconcentrées (DDT, Dreal) dont le travail est justement de collecter et analyser toutes les informations sur les rivières et leurs ouvrages. Si le mot "service public" a un sens, ce n'est pas celui de déléguer le travail à des bureaux d'études privés... payés par les administrés! (Bien sûr, un propriétaire peut préférer payer 5, 10 ou 20 k€ un bureau d'études, mais la plupart n'ont pas ces moyens. Il peut être utile de payer un BE pour contrer une proposition administrative jugée excessive voire abusive, mais en première intention, faites des économies, rejoignez plutôt des associations pour exercer une pression démocratique et justement éviter dès la source les propositions excessives des services de l'Etat !). Bien entendu, que l'administration définisse des règles n'implique pas qu'elle peut les imposer de façon arbitraire, cf le point concertation.

Charge spéciale et exorbitante : cette précision utile du législateur indique que les aménagements très coûteux (comme les passes à poissons) ouvrent droit à indemnité s'ils représentent une dépense trop importante par rapport à l'enjeu et aux capacités du maître d'ouvrage. Dans la jurisprudence administrative, cette notion de charge spéciale et exorbitante apparaît quand un propriétaire subit des dommages ou se voit imposer des dépenses hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par des travaux. C'est manifestement le cas pour les dizaines à centaines de milliers d'euros que demandent certains ouvrages de franchissement (ou la perte considérable de valeur foncière que représenterait un effacement), alors que le gain pour les milieux est faible (voire parfois nul... sans compter des risques d'effets écologiques négatifs). Il résulte de cette notion de charge spéciale et exorbitante que l'autorité administrative doit aussi justifier la proportionnalité de sa proposition d'équipement (point précédent) à son effet attendu et à son coût de réalisation : état écologique et chimique de la rivière (poids relatif de la continuité dans l'impact sur les espèces cibles) ; gain estimé en biomasse sur les espèces cibles ; importance des espèces cibles en terme de services rendus par les écosystèmes locaux ; prise en compte du bilan chimique de la retenue ; anticipation du changement climatique, etc. Le questionnaire que nous avons préparé inclut ces points. Si l'administration propose une simple mesure de gestion des vannes, ce n'est pas exorbitant. Si l'administration veut imposer des travaux lourds de type dispositifs de franchissement, c'est exorbitant.

Concertation avec le propriétaire (ou l'exploitant) : concertation signifie qu'il doit y avoir procédure contradictoire, c'est-à-dire que les propositions de l'autorité administrative ne peuvent être édictées sous la forme d'un arrêté préfectoral sans avoir été au préalable soumises pour débat au maître d'ouvrage. Ce dernier peut, s'il n'est pas d'accord, l'exprimer par une contre-proposition (formulée par lui-même, par une association, par un avocat ou, cette fois, par un bureau d'étude).

Votre action d'ici 2017 : Vous avez donc pour le moment une seule chose à faire, expliquer cela à votre administration dans un courrier, en attendant par exemple le second semestre 2016. La lettre devra être précise : nous vous fournirons des courriers modèles à cette fin (voir déjà Vade-mecum en fin d'article). Sachez aussi qu'en dernier ressort, un texte administratif (comme un arrêté de mise en demeure) peut toujours être attaqué au tribunal, ce qui suspend son exécution. Si nous devions être nombreux à y avoir recours, des solutions collectives seraient organisées. Il n'y a donc pas matière à nourrir trop d'anxiété – même si nous souhaitons tous et légitimement que l'on sorte dans les meilleurs délais de cette infernale usine à gaz, pour pouvoir nous concentrer sur des choses plus positives.

Conclusion : les associations de moulins et de riverains vont suivre de très près l'ensemble de cette procédure et, tant qu'elles seront en butte au mépris manifeste de la concertation affiché par le Ministère de l'Ecologie, ces associations sont disposées à poursuivre en excès de pouvoir tout fonctionnaire qui tenterait d'abuser des propriétaires d'ouvrages. Nous attendons du Ministère de l'Ecologie qu'il prenne acte des réalités suivantes :
  • retards déjà énormes dans la mise en oeuvre de ce dossier, 
  • défaut de base scientifique solide pour le choix d'un classement massif des rivières, 
  • manque de méthode dans l'analyse des impacts du bassin versant, conduisant à des choix non-optimaux pour la qualité de l'eau et à des résultats médiocres par rapport à nos obligations européennes,
  • extrême complexité et coût disproportionné des aménagements induits,
  • absurdité qu'il y a à penser qu'en 2017 ou 2018, les propriétaires attachés à leur bien et conscients de leurs droits accepteront soit la destruction de leur propriété soit la ruine par des dépenses exorbitantes, deux issues inacceptables dont la loi les protège fort heureusement.
Il faut donc de notre point de vue convenir d'un moratoire sur la mise en oeuvre du classement des rivières (car les délais de 2017-2018 n'ont d'ores et déjà plus de réalisme) et construire la concertation sur une base saine, au lieu du dogmatisme stérile affiché par certains des hauts fonctionnaire en charge de ce dossier depuis plusieurs années. Des centaines d'élus et d'institutions représentant des dizaines de milliers de personnes demandent déjà ce moratoire, et chaque jour de nouveaux signataires individuels ou institutionels nous rejoignent. Suivons la voie du bon sens et refondons la politique des rivières sur une base beaucoup plus efficace pour la qualité de l'eau et des milieux.

Nota : un point essentiel dans cette application future de la loi de continuité écologique est la préservation de votre droit d'eau. Si vous perdez votre droit d'eau (par un arrêté d'abrogation de la Préfecture ou par une convention de transfert à un syndicat, une association de pêche, etc.), vous ne serez plus maître du destin de votre ouvrage et vous ne pourrez rien opposer à l'obligation de remettre la rivière en l'état antérieur à l'existence de l'ouvrage (à vos frais). Toute démarche de la DDT visant à annuler ce droit d'eau est donc un motif d'extrême urgence et, si la procédure est abusive, doit faire l'objet d'une requête contentieuse (en annulation et/ou en excès de pouvoir). Certains propriétaires mal informés pensent encore que ces questions sont mineures, mais c'est une grave erreur. Notre association a défendu plusieurs droits d'eau menacés, et est toujours disposée à aider ses adhérents en ce sens.

A lire en complément :

12/11/2015

C'est ainsi que nos ouvrages meurent

Voici la Seine au niveau de l'ouvrage Floriet avant, et maintenant. Ces travaux d'effacement sont-ils ce que l'on attend d'un syndicat de rivière? Cette dépense d'argent public de l'Agence de l'eau Seine-Normandie est-elle une priorité pour nos cours d'eau? Nos députés et sénateurs ont-ils voté une seule loi qui enjoint de détruire le patrimoine hydraulique ? L'effet de ces opérations sur les milieux aquatiques fait-il l'objet de modélisations scientifiques sérieuses? La valorisation des dimensions récréatives, culturelles, énergétiques de ces sites est-elle seulement envisagée? A-t-on expliqué aux citoyens que l'indice de qualité piscicole en ce lieu était en classe bonne ou excellente avant l'effacement? A-t-on estimé le bilan nitrates (facteur dégradant reconnu du bassin Seine amont) de cette opération? Nous vivons l'âge sombre du dogmatisme de la continuité écologique, où quelques gens de passage éliminent sans état d'âme la mémoire des présences humaines en rivière. Pour que cela cesse, rejoignez les associations, faites signer le moratoire sur la continuité écologique


Hier






Aujourd'hui






A lire également cet article, d'où il ressort que la Seine au point de contrôle Onema de Nod avait un indice piscicole de qualité (IPR) bonne ou excellente dans les dernières campagnes de mesures, à l'époque où l'ouvrage Floriet était encore là.

11/11/2015

Idée reçue #04: "Les ouvrages hydrauliques nuisent à l'auto-épuration de la rivière"

La rivière serait capable d'épurer elle-même les pollutions humaines, mais les ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, digues) l'en empêcheraient. Jamais en peine d'un motif pour justifier l'effacement spectaculaire des ouvrages hydrauliques, et détourner ainsi l'attention des causes réelles mais non ou mal traitées de dégradation des rivières, autorités et gestionnaires de l'eau ont commencé à diffuser cette idée dans les années 2000. Problème : la recherche nous dit exactement le contraire. Nous sommes en présence d'une véritable manipulation puisque 30 ans de travaux scientifiques démontrent que les retenues, réservoirs, étangs et autres zones d'eaux plutôt stagnantes permettent d'éliminer les excès d'azote et de phosphore, donc de diminuer le risque d'asphyxie des littoraux et estuaires. L'action publique démontre à nouveau son manque de crédibilité et d'impartialité en se rabaissant au niveau argumentaire de vulgaires lobbies propagandistes. Pire encore, elle contrevient à l'obligation stricte faite par la DCE 2000 de ne pas aggraver l'état chimique des rivières : la politique actuelle de suppression des obstacles à l'écoulement aura pour effet de détériorer le bilan des nutriments. Il est urgent de dénoncer ces impostures, à l'heure où la France est déjà très en retard sur le dossier des pollutions chimiques de l'eau et condamnée pour la mauvaise application de la Directive nitrates de 1991.

Dans certains documents de vulgarisation de l'Onema, des Agences de l'eau et en conséquence des syndicats de rivière ré-exploitant ces informations, il est apparu à la fin des années 2000 l'idée que les seuils et barrages nuisent à l'auto-épuration chimique des rivières (voir des exemples chez Onema 2010, Onema et Agence de l'eau Loire-Bretagne 2012, Onema et FNE 2014, et même dans les textes officiels du Ministère de l'Ecologie comme la Circulaire du 18 janvier 2013 sur la continuité écologique).

Par auto-épuration, il faut entendre la capacité d'une rivière ou de toute masse d'eau naturelle à éliminer des substances considérées comme polluantes. Il s'agit en premier des intrants agricoles, notamment les engrais dérivés de l'azote et du phosphore qui apportent un excès de nutriments à l'eau. Mais aussi de l'ensemble des substances chimiques liées aux activités humaines : pesticides, médicaments, métaux lourds, milliers de composés chimiques synthétiques présents dans nos objets de consommation, nos résidus de combustion ou autres sources.

Notons tout d'abord que, même sans examen scientifique de la question, la posture argumentaire visant à incriminer les seuils et barrages sur ce dossier de l'auto-épuration est intenable au plan du bon sens. En effet :
  • les pollutions chimiques de la rivière proviennent de l'émission des substances polluantes liées aux activités humaines (industrie, agriculture, usages sanitaires et domestiques). Les propriétaires d'ouvrages hydrauliques sont les victimes et non les causes de cette pollution des eaux qui arrivent dans leurs retenues, biefs ou étangs, des victimes immédiates puisque c'est leur cadre de vie qui est impacté ;
  • quand il y a une pollution aigüe de rivière (hydrocarbure, fuite toxique), l'une des premières mesures préventives est d'ériger un barrage mobile pour contenir au maximum la diffusion des substances nuisibles ;
  • les substances à longue durée de vie (métaux lourds, composés à forte inertie chimique comme les PCB) ne disparaissent pas d'un coup de baguette magique, elles circulent en suspension, s'accumulent dans les zones de dépôt naturel des rivières (fosses, mouilles, plaines alluviales), s'échangent avec les nappes ou encore arrivent dans les estuaires et zones littorales.
Prétendre que la suppression d'un ouvrage supprimera les causes ou les effets des pollutions chimiques n'a donc guère de sens. Cela revient à promouvoir la libre-circulation des polluants!

On entretient volontairement ou involontairement la confusion entre l'eutrophisation locale d'une retenue (le fait qu'elle accumule des sédiments organiques donc des nutriments, étant une zone de dépôt) et l'eutrophisation artificielle massive des cours d'eau due à nos rejets. Concernant les cycles de l'azote, du phosphore et du silicium, de nombreux travaux ont montré le rôle positif des eaux stagnantes : lacs, retenues, réservoirs, bras morts, mares, étangs. La France a mené des programmes pilotes sur cette question dans le cadre de la démarche multidisciplinaire Piren-CNRS, dès les années 1980, aussi est-il très étrange que ces travaux soient inconnus des gestionnaires de l'eau... 

La rétention d’azote (nitrates) dans les retenues, réservoirs et plans d'eau est particulièrement notable, et elle peut s’expliquer par trois processus différents : l’assimilation par la végétation, la sédimentation ou la dénitrification. Nous citons ci-dessous une synthèse utile de la littérature extraite de la thèse doctorale de Paul Passy (Passy 2012, illustration : la cascade des nutriments, cliquer pour agrandir).


"Dans les années 1980, de nombreuses études ont été réalisées sur des lacs scandinaves (Henriksen et Wright 1977; Wright 1983) ou nord-américains (Hill 1979; Dillon et Molot 1990) montrant que les rétentions d’azote au sein de ces milieux pouvaient atteindre plus de 90 % de la charge entrante. Plus tard, des suivis réalisés sur les barrages réservoirs de la Seine (Sanchez and Garnier, 1997; Garnier et Billen, 1994; Garnier et al 1999), des réservoirs d’eau en Pologne (Tomaszek et Czerwieniec 2000; Koszelnik et al 2007; Gruca-Rokosz et Tomaszek 2007) ou aux États-Unis (David et al 2006) ont mis en évidence une rétention d’azote atteignant 40 %. Enfin des études orientées vers l’ingénierie écologique dans le bassin du Mississippi ont mesuré un abattement de l’azote allant de 20 à 43 % (Mitsch et al 2005; vanOostrom 1995). (…)

"La plupart des études menées sur le devenir de l’azote dans les plans d’eau mettent en évidence le rôle prédominant de la dénitrification. Que ce soit dans des systèmes lacustres, de zones humides naturelles ou artificielles, ou de réservoirs, la dénitrification est responsable de 40 à plus de 80 % de l’élimination de l’azote (Brinson et al 1984; Seitzinger 1988; Hernandez et Mitsch 2007), soit un rôle 2 à 4 fois plus important que l’assimilation par la végétation ou que la sédimentation (Yan et al 1997; Kreiling et al 2011).

"L’azote sous forme de nitrate n’est pas le seul élément éliminé dans les secteurs stagnants du réseau hydrographique. La forme ammonium (NH4+) ainsi que le phosphore (Braskerud 2002) peuvent également y être retenus. Certaines agglomérations mettent d’ailleurs à profit cette propriété en construisant des plans d’eau pour traiter leurs eaux usées (Vymazal 2011; Dalu et Ndamba 2003). Enfin, le silicium subit également une certaine rétention au sein de ces secteurs stagnants (Koszelnik et Tomaszek 2008) par suite de la croissance et de la sédimentation des diatomées."

Depuis la parution de cette thèse, des travaux récents ont confirmé ces données déjà robustes de la recherche : voir par exemple Tiessen et al 2011 sur l'efficacité des petits barrages dans le stockage azote et phosphore au Canada ; Grantz et al 2014 sur la dynamique d'accumulation azote et phosphore dans les réservoirs déjà eutrophes ; Gasparini et al 2014 sur le bilan positif de rétention des nutriments sur des réservoirs des Grandes Plaines ; Liu et al 2015 sur l'effet (positif mais ici modeste et dépendant du remplissage) de 26 petits barrages canadiens ; Némery et al 2015 sur la rétention des charges carbone, azote et phosphore (resp. 31, 46 and 30 %) dans le cas d'un barrage tropical de zone urbanisée.

Cette rapide revue de la littérature scientifique est donc assez claire : les eaux plutôt stagnantes des réservoirs, des retenues et des étangs créés par les ouvrages hydrauliques jouent un rôle positif dans l'épuration de l'azote et du phosphore, donc dans la correction de notre perturbation du cycle des nutriments par les usages agricoles et domestiques. Dans une étude récente de ce phénomène, trois chercheurs nord-américains ont insisté sur l'usage bénéfique de la petite hydraulique dans la gestion du problème des nutriments : "Nous soulignons que nous ne nous faisons pas les avocats de la construction des grands barrages comme moyen d'améliorer la qualité de l'eau. Mais les petits barrages et réservoirs, en revanche, existent souvent dans des zones où les paysages naturels ont disparu au profit de l'agriculture, et ils peuvent éventuellement être gérés de manière adaptée pour retenir les nutriments et assurer d'autres services aux écosystèmes". (Powers et al 2015). Cet argument des chercheurs répond très exactement à la problématique française, puisque l'on trouve près de 80.000 obstacles à l'écoulement bien répartis sur les territoires, en particulier dans des zones souffrant de surcharge en nutriments.

Rétablissons donc quelques vérités : les ouvrages hydrauliques sont victimes et non responsables des pollutions chimiques de la rivière formant l'une des causes majeures de dégradation des milieux aquatiques depuis le milieu du XXe siècle. L'excès de nutriments (azote, phosphore) est considéré comme un problème majeur pour la qualité des masses d'eau, en particulier pour les zones estuariennes et littorales souffrant d'un apport massif depuis les systèmes fluviaux. Les ouvrages hydrauliques jouent un rôle positif dans l'élimination de ces nutriments tout au long du réseau hydrographique. Plus généralement, ils fixent des polluants qui, sans eux, se diffuseraient dans le milieu et jusque dans les océans. C'est un apport manifeste des seuils et barrages en terme de services rendus aux écosystèmes, et cette dimension doit être prise en compte dans toute programmation relative à ces ouvrages (même sans usage).

On peut conclure sur quatre points :
  • il est grave pour la crédibilité et l'impartialité de l'action publique que des organismes comme l'Onema ou les Agences de l'eau, voire la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie, propagent des idées fausses dans leur communication à destination des décideurs et de l'opinion, et s'associent parfois à des lobbies dans cette manipulation. Nous attendons un correctif clair sur la question de l'auto-épuration, dont nous observons qu'elle est reprise sans esprit critique par nombre d'opérateurs en rivière au plan local ;
  • la politique d'effacement des ouvrages ne peut qu'avoir des conséquences négatives sur le bilan chimique de l'eau, en particulier dans les régions où il existe une pression agricole / urbaine forte. La Directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) interdit à un Etat-membre de prendre des mesures qui aggravent l'état écologique ou chimique d'une masse d'eau. En conséquence, aucune opération d'effacement ne devrait être programmée si elle ne garantit pas au préalable par une étude d'impact et une modélisation la non-aggravation du bilan physico-chimique de l'eau sur les mesures obligatoires de la DCE 2000 ;
  • au lieu de désigner les barrages, moulins et étangs comme des ennemis de l'environnement, ce qu'ils ne sont pas, l'action publique devrait réfléchir à des partenariats visant à profiter de l'opportunité des retenues comme zone d'accumulation sédimentaire, avec notamment une politique d'extraction et gestion des sédiments pollués permettant réellement d'épurer les rivières de certaines substances à longue durée de vie ;
  • depuis les Directives nitrates et eaux résiduaires de 1991 jusqu'à la Directive pesticides de 2009 en passant par la DCE 2000, on attend de la France qu'elle soit capable de progrès rapides sur le dossier des pollutions chimiques de l'eau. Ce n'est pas le cas. Les besoins économiques pour améliorer les assainissements, changer les pratiques agricoles, protéger les captages ou encore trouver des substituts aux polluants sont immenses. Dans ce contexte, gâcher le moindre centime d'argent public à détruire le patrimoine hydraulique est absurde. Quand ce gâchis atteint des centaines de millions d'euros pour des effets négatifs sur le bilan chimique, il n'est plus tolérable. 
Illustration : extraite de Passy P (2012), Passé, présent et devenir de la cascade de nutriments dans les bassins de la Seine, de la Somme et de l’Escaut, thèse.

A lire en complément : 
Notre section auto-épuration ; notre section pollution
Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques" 
Vade-mecum de l'association face à un projet d'effacement d'ouvrage hydraulique 

10/11/2015

Effet parfois positif des petits barrages sur la qualité piscicole de rivières nord-américaines (Holcomb et al 2015)

"Les effets des petits barrages sur divers critères des communautés locales de poissons sont pauvrement documentés, et des travaux récents suggèrent l'intérêt de maintenir la fragmentation". Voilà une assertion de chercheurs qui n'est pas exactement le discours propagé par nos gestionnaires pour qui la science des rivières aurait définitivement démontré l'urgente nécessité d'effacer tout obstacle à l'écoulement.  Trois scientifiques montrent la complexité de l'évaluation du rôle des barrages sur des rivières nord-américaines, ainsi que le rôle prépondérant pour la qualité piscicole des usages des sols dans le bassin versant et sur les berges.

Jordan M. Holcomb et ses collègues ont analysé trois rivières de Caroline du Nord (Tar, Neuse, Roanoke) en leurs bassins versants. Ils ont identifié 25 barrages classés en trois catégories : intact (9), échancré (9) ou relique (7), cette dernière catégorie signalant que les restes du barrage en ruine n'ont plus d'impact notable sur l'écoulement.

Sur chaque barrage, ils ont analysé les communautés de poisons sur trois sites : à l'amont dans le flot non perturbé (plus haut que le remous liquide et solide), immédiatement à l'aval du canal de fuite, et au moins 500 m à l'aval. Soit un total de 75 mesures. Parmi les mesures de qualité piscicoles : l'abondance (CPUE, catch per unit effort), la richesse spécifique, la proportion d'espèces intolérantes.

Le résultat montre que ces critères de qualité sont les plus élevés dans les zones immédiatement aval des barrages. On ne trouve pas de différence significative sur le linéaire pour les barrages reliques. Les barrages échancrés ont le moins bon score dans leur zone aval par rapport à la zone amont.

Les chercheurs ont ensuite étudié les impacts du bassin versant (usage des sols et des berges, particulièrement agricole, perturbations à échelle du bassin WSD, de la berge RSD ou du site LSD).

Les rivières Tar et Roanoke ont des assemblages piscicoles de bonne qualité aussi bien sur les tronçons avec barrage que sans barrage. La rivière Neuse montre en revanche des habitats perturbés dans les tronçons à barrage échancré. Les perturbations à échelle du bassin et de la begre sont celles qui ont le plus d'impact. "Ces données démontrent que la réponse du peuplement piscicole à la condition des barrages est spécifique au bassin, mais que les communautés dans les tronçons avec barrage intact ou barrage relique sont largement similaires". Sur les systèmes étudiés, ce sont les barrages échancrés qui représenteraient un intérêt de gestion.


Discussion
Les travaux s'accumulent pour montrer que le bilan environnemental des ouvrages hydrauliques est complexe et que leur suppression ne devrait certainement pas être une priorité pour le gestionnaire. En particulier, une démarche de restauration de rivière  n'a de sens qu'après une analyse scientifique de l'ensemble des impacts du bassin versant, de la réponse des communautés biotiques, du rôle des ouvrages dans le bilan physique, chimique et biologique, de la détermination d'objectifs écologiques accessibles et dignes d'intérêt pour la fonctionnalité des milieux.

Cela n'a rien à voir avec l'amateurisme teinté de lobbyisme qui prévaut en France. Il est navrant de constater que notre pays édicte des réglementations et finance des programmations ne tenant pas compte des débats réels de la science. En particulier, il n'est pas acquis que l'effacement du maximum d'ouvrages en rivière aura un bilan halieutique positif, et s'il est positif, un bilan dont les avantages seraient proportionnés aux nombreux inconvénients de ce type de mesure (coût public, perte patrimoniale et culturelle, altération paysagère, disparition du potentiel énergétique, aggravation du bilan chimique sur certains composés, etc.).

Référence : Holcom JM et al. (2015), Effects of small dam condition and drainage on stream fish community structure, Ecology of Freshwater Fish, e-pub, doi:10.1111/eff.12233

Illustration : barrage de l'usine de Montzeron sur le Serein.

07/11/2015

Visite des chantiers de passes à poissons du Cousin

Le vendredi 6 novembre était organisée par Hydrauxois et le Parc du Morvan une visite de trois chantiers de passes à poissons sur la rivière Cousin, dans la zone classée Natura 2000 autour d'Avallon. La vallée fait aussi l'objet d'une protection au titre patrimonial (ZPPAUP). Nous remercions le Parc d'avoir accompagné cette initiative, dont voici un compte-rendu.

Moulin Léger, passe à bassins successifs
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : env. 1,7 m
Coût env. 80 k€ hors étude



Le moulin a une activité hydro-électrique (turbine type Francis, injection EDF-OA), la solution retenue a donc respecté la consistance légale de production. Le choix s'est porté sur une passe à bassins successifs permettant de diviser la pente en chutes modestes. La passe est calculée de telle sorte que des espèces à faible capacité de saut puissent nager dans des échancrures entre les bassins. La conception est rustique (à blocs grossiers), ce qui a un intérêt paysager et se rapproche des conditions naturelles rencontrées sur des rivières (zones à radiers et rapides). On note à l'amont des blocs en rivière : ce sont des déflecteurs pare-embâcles, pour minimiser le risque d'obstruction de la passe. Une échancrure garantit que la passe reste en eau en étiage et absorbe alors 10% du module (débit minimum biologique).

Moulin Cayenne, rivière de contournement
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : env. 2,1 m
Coût env. 50 k€ hors étude



Le moulin a une roue fonctionnelle de type Sagebien et une autoproduction énergétique en cours d'installation. La solution retenue a donc respecté la consistance légale. Il s'agit d'une rivière de contournement, dispositif considéré comme le plus proche des conditions naturelles et le moins sélectif sur les espèces piscicoles en montaison. La rive gauche a été creusée jusqu'au lit (socle de la roche-mère) et des enrochements ont été posés sur les extrados pour limiter l'érosion. Des plantations sur géotextiles sont en cours, notamment pour garantir la stabilité des berges à terme.

Moulin Cadoux, rampe en enrochement
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : environ 1,8 m
Coût env. 90 k€ hors étude



Le moulin n'a pas d'usage énergétique, mais jouit d'une protection comme "patrimoine pittoresque de l'Yonne" en raison du caractère exceptionnel du site, de son ancienneté historique et de son reflet dans le miroir d'eau. La proximité des populations de moules perlières (espèce protégée de la vallée) a conduit à un projet plus ambitieux, avec une arase en pente sur la crête en rive gauche du seuil, baissant légèrement le niveau légal et limitant la longueur du remous liquide/solide amont. La surverse préférentielle à cet endroit doit aussi casser la vitesse du flot dévalant par la passe, qui est constituée d'une rampe en enrochement de fond (blocs grossiers cassant la puissance de l'eau et offrant des zones de repos).

Les observations faites lors de la visite
Tous les propriétaire présents (venant des quatre départements bourguignons) ont des problématiques d'aménagement de continuité écologique sur des rivières classées. Les trois chantiers leur ont été utiles pour comprendre les enjeux constructifs. Mais ils ont soulevé aussi bien des objections et des interrogations.
Coût des dispositifs : c'est évidemment le point noir. Les trois aménagements du Cousin bénéficient d'un financement exceptionnel à 100% (Life+ et Agence de l'eau Seine-Normandie). Or, la position de l'Agence en situation normale est un financement public nul si le moulin n'a pas d'usage structurant, et de 20 à 50% en cas d'usage. Les coûts des passes sont élevés, d'autant que s'y ajoute une conception par bureau d'étude de l'ordre de 20 k€ pour chaque ouvrage. Une analyse menée sur le tronçon classé de rivière Armançon a montré que le consentement à payer des propriétaires (comme des élus et parties prenantes) est nul dans ce domaine, c'est-à-dire que l'attente est un financement public intégral.
Dispositions constructives : des doutes ont été émis sur la capacité des ouvrages soit à résister à de fortes crues (cas de la passe à enrochements) soit à préserver leur profil (cas de la rivière de contournement). Un participant expert d'origine néerlandaise a fait observer que les bétons utilisés en France sont interdits en rivière aux Pays-Bas, en Allemagne et dans d'autres pays européens. Une autre visite sera sans doute organisée après la mise en eau, en 2016.
Efficacité écologique : au regard des coûts engagés, et du fait que les ouvrages sont assez modestes au départ (faibles hauteurs, versants aval en pente modérée), c'est une question centrale puisque l'objectif des aménagements est une amélioration de la qualité écologique, particulièrement du compartiment biologique. Le Parc du Morvan devra procéder à des mesures de qualité piscicole pour analyser l'évolution des populations de poisson et de moules.
L'Yonne républicaine a publié un compte-rendu intéressant de la visite (cliquer l'image ci-contre pour agrandir)

Et pour la suite sur la rivière Cousin ?
Le Cousin-Trinquelin (la rivière change localement de nom au niveau de Quarré-les-Tombes) compte 43 ouvrages. Certains sont équipés de passes, d'autres ne sont pas considérés comme des obstacles à la continuité écologique en raison des ruines de seuils ou de leurs très faibles hauteurs, d'autres encore ont accepté le principe d'un effacement.

Il n'en reste pas moins que la majorité des ouvrages doit encore faire l'objet d'une concertation en vue de l'application de la continuité écologique, puisque la rivière a été classée en liste 2 avec l'horizon 2017 comme délai légal d'aménagement. Au cours de l'année 2016, l'association Hydrauxois définira avec ses adhérents une stratégie sur chaque rivière, en particulier sur le Cousin où elle est déjà fortement implantée. Cette stratégie consistera notamment en :
  • une analyse du cours d'eau et de l'impact de ses moulins, notamment au regard des données historiques disponibles sur les peuplements halieutiques,
  • un point technique et scientifique sur les connaissances actuelles en continuité écologique appliquée aux petits ouvrages,
  • un rappel aux services instructeurs des exigences légales, notamment la limitation des aménagements aux migrateurs (non pas restauration des habitats pour toutes espèces y compris non migratrices) et l'obligation explicite faite à l'administration de proposer sur chaque ouvrage des règles de gestion ou d'équipement,
  • une demande à l'Agence de l'eau d'information exacte sur le niveau de subvention des dispositifs simples de franchissement et, si ce niveau est jugé insuffisant, une démarche en reconnaissance du caractère "spécial et exorbitant" de la dépense demandée, appelant indemnité compensatoire (comme le prévoit la loi).

06/11/2015

SDAGE Loire-Bretagne : objectifs 2015 et 2021 identiques... et toujours aussi peu probables

Le SDAGE 2010-2015 promettait 61% des masses d'eau en bon état. Le résultat est à la moitié, avec quasiment aucun progrès dans l'exercice écoulé. Le SDAGE 2016-2021 qui vient d'être adopté par le comité de bassin promet... à nouveau 61% des masses d'eau en bon état, mais cette fois pour 2021! Personne ne peut sérieusement cautionner cette méthode Coué, dont l'échec grave vis-à-vis de nos obligations européennes ne fait pas même l'objet d'un audit. Le plus grand bassin hydrographique français est à la dérive.

Le SDAGE Loire-Bretagne a été adopté ce jeudi 5 novembre 2015. Nous avions exprimé dans une lettre ouverte avec 25 associations les problèmes nombreux que pose ce texte, tant dans la gouvernance peu démocratique de sa programmation que dans ses orientations inefficaces en matière de qualité des rivières, particulièrement de continuité écologique. Dans l'hypothèse où nos observations formulées lors des consultations et dans ce courrier n'auraient pas été prises en compte, une réflexion sera ouverte avec nos avocats pour formuler une requête en annulation du SDAGE.

Comme à leur habitude et au frais des concitoyens, la comité de bassin et l'Agence de l'eau produisent une communication institutionnelle autosatisfaite (pdf) autour de l'adoption du Schéma.

Dans ce dossier de presse, un point retient notre attention : l'objectif de 61% des masses d'eau en bon état 2021. Nous avions déjà vu ce chiffre, mais où donc…? Ah mais c'est bien sûr, la communication du SDAGE 2010-2015 promettait déjà d'atteindre 61% des masses d'eau en bon état! C'est-à-dire que l'ambition d'un SDAGE à l'autre reste exactement la même, alors que l'Union européenne attend 100% des masses d'eau en bon état chimique et écologique.


Les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Les vrais chiffres du bilan de l'action de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne sont mauvais. On constate en effet à l'état des lieux 2013 (exercice obligatoire pour le rapportage à l'Union européenne) que :
  • le bassin Loire-Bretagne n'est plus capable de donner les mesures de l'état chimique des eaux (entorse grave à l'obligation européenne de suivi de qualité),
  • les cours d'eau n'ont montré aucune évolution significative de leur état écologique (de 29,5% en bon état à 30,2% sur le dernier exercice).
Il est inadmissible qu'une Agence dépensant des milliards d'euros d'argent public à chacun de ses exercices quinquennaux présente des résultats aussi médiocres sans faire l'objet d'un audit pour évaluer les dysfonctionnements. Et personne ne peut évidemment croire que l'objectif de 61% des masses d'eau en bon état sera atteint en 2021 plus qu'il ne l'a été en 2015.

A lire également sur Loire-Bretagne :
Un scandaleux exercice de propagande
50 ans de pollution aux nitrates

05/11/2015

Vade-mecum de l'association pour garantir le respect du droit lors des effacements d'ouvrages en rivière

Les syndicats de rivière, poussés par certaines Agences de l'eau, tendent à privilégier des solutions d'effacement de seuils et barrages en rivières classées au titre de la continuité écologique. Cette pratique n'a pas de réelle base légale, puisque ni la Directive cadre européenne sur l'eau 2000, ni la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques 2006 ni la loi de Grenelle 2009 n'ont introduit en droit une quelconque obligation d'effacer un ouvrage au motif d'établir la continuité de l'écoulement.  Un certain nombre d'effacements sont aujourd'hui bâclés : étude d'impact sommaire, information des tiers minimaliste, précautions de chantier douteuses, débat démocratique inexistant. Cela permet notamment de prétendre ensuite qu'ils sont moins coûteux qu'un aménagement non destructif, alors que ce moindre coût est souvent l'effet d'un laxisme. Il convient de cesser ces pratiques en deux poids deux mesures, avec des effacements anormalement facilités et des aménagements excessivement compliqués en procédure et contraintes réglementaires.  Nous appelons les associations à exiger désormais le respect intégral du droit, que le chantier soit privé ou public. Même si un effacement a le consentement d'un propriétaire (souvent le cas de collectivités peu soucieuses de leur patrimoine ou de propriétaires privés mal informés), il exerce des effets sur les milieux aquatiques, il concerne la culture et le paysage, il peut nuire aux droits des tiers. En cela, une association de défense du patrimoine, des riverains et/ou de la rivière est fondée à agir. Ce texte présente une première série de références légales, réglementaires ou jurisprudentielles opposables dans une telle circonstance. Merci d'avance à nos lecteurs familiers du droit de l'enrichir si besoin (fonction commentaire sous l'article).

Mise à jour février 2016 : depuis la rédaction de cet article, la loi a évolué sur 3 points importants
- délai de 5 ans pour faire des travaux de continuité en rivière L2
- protection du patrimoine hydraulique sur les sites classées et leurs abords
- exemption de continuité écologique en rivière  L2 pour les moulins producteurs.
Ces 3 articles sont à lire en complément de celui-ci pour éviter tout abus de pouvoir et défendre efficacement les propriétaires face au chantage à l'effacement.

Mode d'emploi : en cas de chantier d'effacement, vous pouvez saisir l'administration (DDT-M) par courrier recommandé, en copie au maître d'ouvrage (généralement un syndicat de rivière ou une collectivité), afin d'exiger le respect des points énumérés dans cet article (sous la forme d'une étude d'impact apportant l'ensemble des garanties demandées).

Régime d'autorisation : tous les travaux en rivière sont soumis à déclaration ou autorisation, selon l'article R-214-1 du Code de l'environnement. Un effacement modifie en général le profil en long et en travers de la rivière sur plus de 100 m. En cela, il relève de la catégorie 3.1.2.0. "Installations, ouvrages, travaux ou activités conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau, à l'exclusion de ceux visés à la rubrique 3.1.4.0, ou conduisant à la dérivation d'un cours d'eau : 1° Sur une longueur de cours d'eau supérieure ou égale à 100 m (A)". Le régime d'autorisation implique pour le maître d'ouvrage une étude d'impact (termes précisés dans l'article R-214-6 Code de l'environnement) puis pour le préfet une enquête publique (article R-214-8 Code de l'environnement). C'est dans ce cadre que vous intervenez, afin que l'étude d'impact ne soit pas bâclée et que l'enquête publique respecte pleinement la procédure contradictoire.

Si l'ouvrage est très modeste (comme certains seuils de 50 ou 80 cm construits au XXe siècle pour un changement local de ligne d'eau devenu sans usage), s'il est de faible intérêt patrimonial, s'il n'a pas d'usage récréatif et/ou s'il est dans un état de quasi-ruine, son effacement peut avoir du sens et représente généralement un moindre niveau d'enjeux ou de risques. Mais pour des ouvrages en état correct, associés au patrimoine local des moulins et usines à eau, modifiant de manière visible au public le paysage de leur vallée ou de leur plaine alluviale, implantés en milieu urbain, ayant accumulé des sédiments du fait du non-usage, représentant un obstacle réellement infranchissable aux espèces invasives ou encore modifiant la ligne d'eau sur de grandes distances du fait de la faible pente de la rivière, il est nécessaire d'exiger toutes les garanties. Nous vous conseillons d'associer à cette démarche administrative une saisine des médias locaux, une copie à vos élus et une publication sur votre site internet, afin de permettre une bonne information des riverains et d'ouvrir un débat démocratique. Dans votre correspondance, vous pouvez copier-coller les textes ci-dessous, et ensuite simplement référencer de manière exacte le(s) chantier(s) d'effacement sur le(s)quel(s) vous attendez des précisions.


Un effacement d’ouvrage doit garantir la non-détérioration écologique ou chimique d’une masse d’eau au sens de la DCE 2000
Obligation : un Etat-membre ne peut autoriser une opération en rivière si elle est susceptible de détériorer l’état chimique et écologique tel que défini par le DCE 2000.

Cour de Justice de l’Union européenne, C461/13, arrêt 01/07/2015
« l’article 4, paragraphe 1, sous a), i) à iii), de la directive 2000/60 doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus, sous réserve de l’octroi d’une dérogation, de refuser l’autorisation d’un projet particulier lorsqu’il est susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface ou lorsqu’il compromet l’obtention d’un bon état des eaux de surface ou d’un bon potentiel écologique et d’un bon état chimique de telles eaux »

Un effacement d'ouvrage doit justifier son fondement juridique car la loi demande l'équipement
Obligation : la loi sur l'eau 2006 et l'article L-214-17 C env imposent l'obligation en rivière classée liste 2 de la continuité écologique que l'ouvrage soit "géré, entretenu et équipé". Il en va de même pour la loi dite de Grenelle 2009 qui demande un "aménagement". L'effacement est donc une mesure qu'il faut d'abord justifier par rapport à l'impossibilité d'un aménagement ou d'un équipement.

Article L 214-17 Code de l'environnement
I.-Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : (…)
2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant.

LOI n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement (1) 
Article 29
La trame bleue permettra de préserver et de remettre en bon état les continuités écologiques des milieux nécessaires à la réalisation de l'objectif d'atteindre ou de conserver, d'ici à 2015, le bon état écologique ou le bon potentiel pour les masses d'eau superficielles ; en particulier, l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude. Cette étude, basée sur des données scientifiques, sera menée en concertation avec les acteurs concernés.

Un effacement d’ouvrage doit procéder à une étude d’impact
Obligation : le changement substantiel du biotope local, des phénomènes d’érosion régressive / progressive, des processus d'épuration azote/phosphore et des écoulements sur les propriétés riveraines justifie une analyse approfondie. Il n'est pas acceptable de se contenter d'un simple avant-projet sommaire sans estimation complète des incidences sur les personnes, sur les biens et sur les milieux.

Article L122-1 Code de l’environnement
I. ― Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact.

Un effacement d’ouvrage doit être accompagné d’une abrogation du droit d’eau au terme d’une information complète de l’ayant-droit 
Obligation : tout ouvrage légalement autorisé possède un droit d’eau dont l’abrogation doit être prononcée avant son effacement, après une information complète et transparente du propriétaire. L'arrêté préfectoral doit être publié avant le chantier.

Article L214-6 Code de l’environnement
II.-Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre.

Un effacement d’ouvrage doit garantir la préservation du droit des tiers
Obligation : toute modification de l’écoulement doit préserver le droit des tiers, ce qui implique notamment une analyse de stabilité des berges et du bâti, une analyse de l’évolution du risque inondation, une analyse de l’enjeu paysager sur toute la zone d’influence de l’ouvrage effacé, une analyse des changements de consistance légale des ouvrages amont et aval.

Article L215-7 Code de l’environnement
L'autorité administrative est chargée de la conservation et de la police des cours d'eau non domaniaux. Elle prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux.
Dans tous les cas, les droits des tiers sont et demeurent réservés.

Un effacement d’ouvrage doit garantir qu’il ne détruit pas le milieu particulier d’une espèce protégée
Obligation : les travaux en rivière doivent vérifier qu’ils ne risquent pas de détruire le milieu auquel est inféodé une espèce d’intérêt (faune ou flore)

Article L411-1 Code de l’environnement
I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine biologique justifient la conservation d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées, sont interdits :
1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ;
2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ;
3° La destruction, l'altération ou la dégradation du milieu particulier à ces espèces animales ou végétales ;
4° La destruction des sites contenant des fossiles permettant d'étudier l'histoire du monde vivant ainsi que les premières activités humaines et la destruction ou l'enlèvement des fossiles présents sur ces sites.

Un effacement d’ouvrage ne doit pas induire ou faciliter l’introduction d’une espèce indésirable ou d'une épizootie dans un milieu qui en est indemne
Obligation : les travaux en rivière doivent vérifier qu’ils ne conduisent pas à l’introduction d’une espèce invasive dans un milieu qui en est indemne. C'est particulièrement important pour un effacement qui facilite la colonisation immédiate de nouveaux milieux par des espèces non désirables (différentes espèces d'écrevisses américaines, silure, pseudorasbora, perche soleil, etc.), parfois porteuses de pathogènes, et qui peuvent perturber un biotope non accessible à l'amont.

Article L411-3 Code de l’environnement
I. - Afin de ne porter préjudice ni aux milieux naturels ni aux usages qui leur sont associés ni à la faune et à la flore sauvages, est interdite l'introduction dans le milieu naturel, volontaire, par négligence ou par imprudence :
1° De tout spécimen d'une espèce animale à la fois non indigène au territoire d'introduction et non domestique, dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et, soit du ministre chargé de l'agriculture soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ;
2° De tout spécimen d'une espèce végétale à la fois non indigène au territoire d'introduction et non cultivée, dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et, soit du ministre chargé de l'agriculture soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ;
3° De tout spécimen de l'une des espèces animales ou végétales désignées par l'autorité administrative.
II. - Toutefois, l'introduction dans le milieu naturel de spécimens de telles espèces peut être autorisée par l'autorité administrative à des fins agricoles, piscicoles ou forestières ou pour des motifs d'intérêt général et après évaluation des conséquences de cette introduction.
III. - Dès que la présence dans le milieu naturel d'une des espèces visées au I est constatée, l'autorité administrative peut procéder ou faire procéder à la capture, au prélèvement, à la garde ou à la destruction des spécimens de l'espèce introduite. Les dispositions du II de l'article L. 411-5 s'appliquent à ce type d'intervention.
IV. - Lorsqu'une personne est condamnée pour infraction aux dispositions du présent article, le tribunal peut mettre à sa charge les frais exposés pour la capture, les prélèvements, la garde ou la destruction rendus nécessaires.
IV bis. - Lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine biologique, des milieux naturels et des usages qui leur sont associés justifient d'éviter leur diffusion, sont interdits le transport, le colportage, l'utilisation, la mise en vente, la vente ou l'achat des espèces animales ou végétales dont la liste est fixée par arrêtés conjoints du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes.
V. - Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application du présent article.

Article L228-3 Code rural et de la pêche
Le fait de faire naître ou de contribuer volontairement à répandre une épizootie chez les vertébrés domestiques ou sauvages, ou chez les insectes, les crustacés ou les mollusques d'élevage, est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 75 000 €. La tentative est punie comme le délit consommé.
Le fait, par inobservation des règlements, de faire naître ou de contribuer à répandre involontairement une épizootie dans une espèce appartenant à l'un des groupes définis à l'alinéa précédent est puni d'une amende de 15 000 € et d'un emprisonnement de deux ans.
S'il s'agit de la fièvre aphteuse, la peine d'amende encourue en vertu du premier alinéa est de 150 000 € et celle encourue en vertu du deuxième alinéa est de 30 000 €.

Un effacement d’ouvrage doit procéder à une analyse chimique des sédiments risquant d’être re-mobilisés
Obligation : une opération risquant de perturber le milieu aquatique doit faire l’objet d’une analyse de qualité chimique des rejets et sédiments

Arrêté du 9 août 2006 relatif aux niveaux à prendre en compte lors d'une analyse de rejets dans les eaux de surface ou de sédiments marins, estuariens ou extraits de cours d'eau ou canaux relevant respectivement des rubriques 2.2.3.0, 4.1.3.0 et 3.2.1.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 du code de l’environnement
« Lorsque, pour apprécier l'incidence de l'opération sur le milieu aquatique (ou pour apprécier l'incidence sur le milieu aquatique d'une action déterminée), une analyse est requise en application du décret nomenclature :
- la qualité des rejets dans les eaux de surface est appréciée au regard des seuils de la rubrique 2.2.3.0 de la nomenclature dont les niveaux de référence R 1 et R 2 sont précisés dans le tableau I ;
- la qualité des sédiments marins ou estuariens est appréciée au regard des seuils de la rubrique 4.1.3.0 de la nomenclature dont les niveaux de référence N 1 et N 2 sont précisés dans les tableaux II et III ;
- la qualité des sédiments extraits de cours d'eau ou canaux est appréciée au regard des seuils de la rubrique 3.2.1.0 de la nomenclature dont le niveau de référence S 1 est précisé dans le tableau IV. »

Un effacement d’ouvrage doit procéder à toute sauvegarde archéologique et étude préalable sur l’intérêt de cette sauvegarde
Obligation : une opération risquant de détruire un ouvrage d’intérêt historique, culturel et patrimonial doit faire l’objet d’une évaluation et si nécessaire d’une fouille préventive.

Loi 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive
Article 1er
L'archéologie préventive, qui relève de missions de service public, est partie intégrante de l'archéologie. Elle est régie par les principes applicables à toute recherche scientifique. Elle a pour objet d'assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l'aménagement. Elle a également pour objet l'interprétation et la diffusion des résultats obtenus.
Article 2
L'Etat veille à la conciliation des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social. Il prescrit les mesures visant à la détection, à la conservation ou à la sauvegarde par l'étude scientifique du patrimoine archéologique, désigne le responsable scientifique de toute opération d'archéologie préventive et assure les missions de contrôle et d'évaluation de ces opérations.

Document technique d'appoint : l'Onema a publié un texte précisant une partie des angles exposés ci-dessus. Il est très utile d'en joindre copie aux autorités. Malavoi JR, Salgues D (2011), Arasement et dérasement de seuils. Aide à la définition de cahier des charges pour les études de faisabilité, Onema. Attention : ce texte s'intéresse surtout aux aspects biologiques et morphologiques. C'est en effet indispensable. Mais dans le domaine des milieux, il convient aussi insister sur l'aspect chimique (analyse des sédiments de la retenue du seuil ou barrage, gestion en décharge spéciale s'ils sont pollués, attribution claire de la responsabilité sur ces déchets). Outre la question de la protection des milieux lors d'un effacement, il faut y ajouter les dimensions culturelles et patrimoniales, ainsi que le respect du droit des tiers sur toutes les parcelles riveraines, comme indiqué ci-dessus. Le vrai cahier des charges d'une étude de faisabilité d'effacement est donc plus complexe que  les indications de MM Malavoi et Salgues dans le guide en lien.

Outil complémentaire : en direction des bureaux d'études chargés d'un effacement (et des syndicats qui font généralement un appel d'offres pour ce BE), aide-mémoire permettant de vérifier qu'aucune dimension importante n'est négligée.

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Vade-mecum du propriétaire d'ouvrage hydraulique en rivière classée L2 (continuité écologique)

04/11/2015

Le sénateur Jean-Claude Boulard dénonce "l'absurdité normative" de la continuité écologique

On nous a transmis la réaction de M. Jean-Claude Boulard, sénateur de la Sarthe, maire du Mans, à la lettre ouverte à M. Joel Pélicot sur le SDAGE Loire-Bretagne (ci-contre, cliquer pour agrandir). L'élu de la République partage l'exaspération et l'incompréhension des riverains face à "l'absurdité normative" de la continuité écologique. "Comment peut-on financer la mise en place de 16 passes à poissons à 400 000 euros l'unité là où les poissons ne remontent jamais les rivières?". Le sénateur fait observer que les aloses et lamproies ne migrent pas aujourd'hui sur le cours d'eau où l'on exige ces aménagements à coûts exorbitants (mais à très faible financement public). Et que les anguilles n'ont historiquement jamais été empêchées de migrer par les ouvrages anciens du bassin (fossés, "fausses rivières" de contournement des moulins, ennoyage des seuils en crue, inondations du lit majeur, etc.). Un certain nombre d'Agences de l'eau (Seine-Normandie, Loire-Bretagne) et de services instructeurs déconcentrés (DDT, services départementaux de l'Onema) mènent aujourd'hui une politique extrémiste visant à accabler les propriétaires d'obligations pointilleuses et ruineuses, voire à les pousser à l'effacement (non légal) de leurs ouvrages. Cette dérive est d'autant plus condamnable que d'autres territoires ont des approches plus sobres et plus respectueuses des enjeux de continuité. Plusieurs dizaines de députés, sénateurs, maires ont déjà signé l'appel à moratoire sur la continuité écologique au cours du mois écoulé, ainsi que plus de 120 institutions. Et le rythme de ralliement ne faiblit pas. Les associations de propriétaires et riverains sont désormais décidées à systématiser les contentieux face aux dérives administratives, à commencer des requêtes en annulation contre les SDAGE 2015-2021 qui persisteront à donner priorité aux effacements des seuils et barrages, en parfait mépris du texte comme de l'esprit de la loi sur l'eau 2006 et de la loi de Grenelle 2009. Il faut de toute urgence une reprise en main démocratique du dossier des ouvrages hydrauliques, et plus généralement des politiques de l'eau dont les résultats en terme de qualité écologique et chimique des rivières sont très faibles au regard des sommes engagées.

A lire également la réaction de la sénatrice Anne-Catherine Loisier : les politiques de l'eau ont besoin d'un choc de simplification !