24/02/2016

Changement climatique en Bourgogne et impacts sur la ressource en eau

Le projet de recherche-action HYCCARE Bourgogne – HYdrologie, Changement Climatique, Adaptation, Ressource en Eau – vise à produire des diagnostics et outils pour mieux prendre en compte le risque lié aux impacts du changement climatique sur la ressource en eau. Il implique un collectif multidisciplinaire de chercheurs (Université de Bourgogne, CNRS, AgroSup Dijon, Inra, BRGM, Université de Tours). Voici quelques conclusions de ce projet sur le climat et l'eau en Bourgogne, ainsi qu'une réflexion sur la politique des ouvrages en rivières.

La température annuelle moyenne a augmenté d’environ 1°C en Bourgogne entre les années 1960-1970 et aujourd’hui. On n'observe pas de hausse progressive sur la période, mais plutôt une rupture climatique marquée en 1987-1988 : à ce tournant, une hausse nette des températures indique le passage à un nouveau régime climatique. Les températures moyennes restent élevées depuis cette charnière.


Le régime des pluies ne montre pas de variations significatives quand on compare les cumuls de précipitations entre les périodes 1969-1987 et 1988-2009. Mais de janvier à septembre, les débits moyens des cours d’eau bourguignons sont presque partout en baisse par rapport à ceux mesurés avant le seuil de 1987-1988. L’étiage est plus précoce et plus marqué.


Comment expliquer le phénomène ? Une hypothèse est l'évapotranspiration (corrélée à la hausse des températures), qui transforme l'eau en gaz au lieu de lui permettre de recharger sous forme liquide les rivières et les nappes.

Concernant l'avenir, les modèles prévoient une hausse du réchauffement avec une diminution conséquente des débits des cours d’eau de Bourgogne (en cohérence avec d’autres recherches comme Explore 2070). Les débits de l'étiage pourraient être jusqu'à 50% plus faible dans 50 ans. Cette hausse pourrait se faire par ruptures successives créant des "nouveaux climats", comme dans la projection ci-dessous.


Une réflexion pour conclure : comme le demandait déjà en 2013 le conseil scientifique de l'Agence de l'eau Seine-Normandie, il paraît indispensable d'intégrer la contrainte hydroclimatique à long terme dans la politique actuelle des ouvrages en rivières (et non de céder à quelque court-termisme réglementaire). Le changement climatique et hydrologique va modifier le régime des débits, mais aussi les peuplements des rivières. Il faut donc s'interroger sur les usages possibles des ouvrages à la fois dans une perspective de prévention (par exemple le bilan carbone dissous des retenues ou l'équivalent CO2atm épargné par les productions énergétiques d'origine hydraulique) et d'adaptation (par exemple le maintien de réserves d'eau à l'étiage dans les biefs et retenues, la recharge piézométrique des nappes), ainsi que sur la pertinence de certains aménagements hydro-écologiques pour des espèces dont la présence à long terme dans nos cours d'eau reste hélas incertaine.

Source : HYCCARE 2015, Le changement climatique en Bourgogne et ses impacts sur
la ressource en eau. Les illustrations sont extraites de ce document, diffusé par Alterre Bourgogne. Tous droits réservés (droit de courte citation). HYCCARE rendra ses conclusions à un colloque de clôture le vendredi 25 mars 2016, à la Maison des sciences de l’homme, à Dijon (voir invitation).

23/02/2016

Questions sur la politique des ouvrages hydrauliques du Sicec

Outre les problèmes réglementaires d'effacement d'ouvrages sur simple déclaration et sans abrogation préalable du droit d'eau, la politique du Sicec (Seine amont en région châtillonnaise) sur les ouvrages hydrauliques a besoin de quelques clarifications. Nous le montrons ici encore à travers trois chantiers mis en avant sur le site du syndicat. De nombreuses questions se posent. Quels sont les bénéfices réels (mesurés, objectivés, quantifiés) de ces chantiers sur les milieux? Le Sicec peut-il montrer qu'il propose au moins autant d'aménagements que d'effacements, c'est-à-dire qu'il n'obéit pas sans réflexion au dogme de la destruction des seuils et barrages notoirement promu par l'Agence de l'eau Seine-Normandie et l'Onema? Des missions essentielles comme la prévention des crues, et inondations, la protection des berges et ripisylves, la lutte contre les pollutions, la valorisation des territoires par leur rivières et plans d'eau sont-elles déjà assurées avec un tel degré de satisfaction que l'on peut se permettre de dépenser pour démanteler jusqu'à la dernière pierre le petit patrimoine rural? Ces questions, nous les posons aux animateurs du syndicat comme aux élus de son Comité syndical. Tout le monde vante la "démocratie de l'eau" : alors créons de vrais débats démocratiques, et publions d'abord les faits et chiffres qui permettent la tenue correcte de ces débats.

Sur le site du Contrat Sequana géré par le Sicec (syndicat intercommunal des cours d'eau du Châtillonais), nous lisons les assertions suivantes : "Le programme de travaux du SICEC continue, dans les semaines à venir, 3 seuils en état de dégradation avancée seront démontés et les sites réaménagés. Le seuil des Ecuyers sur la commune de Chatillon sur Seine ; le seuil de la scierie de Cosne ; le seuil du « vieux moulin » de Beaunotte". Le site donne trois photos des ouvrages, voir capture d'écran ci-dessous. Cette attitude du Sicec continue de poser problème.

Si les ouvrages sont en "dégradation avancée", voire en "état de ruine" (titre), dénués de leurs vannes, de taille modeste, ils ne représentent pas d'impact majeur en terme de continuité écologique puisqu'ils n'entravent ni le transit sédimentaire ni le franchissement piscicole de manière significative. De même, ils ne posent pas de problème de sécurité. Dans ce cas, l'intervention sur ces seuils est une dépense d'argent public à peu près inutile, qui relève le cas échéant de l'acharnement à faire disparaître complètement les traces des ouvrages (y compris pertuis, radier ou culée, pas seulement les vannes). Vu la dimension modeste des trois ouvrages, on ne comprend pas l'obsession qu'il y a à les démanteler ainsi jusqu'à la dernière pierre, ni à mettre en valeur cette opération (c'est un des quatre articles de l'année 2015 sur le site du Contrat Sequana, on suppose donc qu'il n'est pas anodin pour le syndicat d'informer les citoyens sur ce chantier).

Si les ouvrages représentent en revanche un obstacle à l'écoulement au sens administratif, s'il est démontré que les espèces d'intérêt de la Seine ne peuvent les franchir, la situation est différente et leur mise aux normes dans le cadre du classement des rivières L 214-17 CE est exigible. Mais dans ce cas, les chantiers n'ont rien d'anodin et ne sauraient être bâclés. Le Sicec doit déposer un dossier complet d'autorisation (et non une déclaration) car les travaux de destruction de ces seuils modifient selon toute probabilité le profil de la rivière sur plus de 100 m de longueur (sinon, ils ne seraient pas des obstacles à l'écoulement), et peuvent occasionner divers troubles aux tiers et aux milieux propres à ce genre de chantiers (par exemple, pollution des eaux et colmatage des substrats dont frayères, par les sédiments remobilisés).

En d'autres termes, on ne peut pas jouer sur les 2 tableaux : prétendre d'un côté que ce sont des seuils présentant un impact important sur les milieux et justifiant une dépense, prétendre d'un autre côté qu'une simple déclaration suffit car les ouvrages ruinés sont quasi-inexistants. Enfin, "dégradation avancée" ou pas, le Préfet  doit publier des arrêtés de déchéance du droit d'eau ou du règlement d'eau de ces ouvrages, puisqu'ils sont légalement autorisés et que les droits des tiers doivent être préservés dans le cadre de leur consistance légale.

Plus globalement, il existe des centaines de seuils en zones classées au titre de la continuité écologique sur la Seine, l'Ource et leurs nombreux petits affluents de tête de bassin. Certains de ces seuils ont des dimensions autrement plus importantes que les 3 ouvrages offerts à la destruction par le Sicec. Cela pose de nombreuses questions.
  • Pourquoi dépenser l'argent public sur des seuils manifestement modestes et sans grand effet hydrodynamique ou hydrobiologique, alors même qu'il y a tant de besoins d'aménagement sur des barrages plus conséquents, et que nous savons tous que ni les propriétaires ni les communes ne sont solvables à hauteur des coûts exorbitants des mises aux normes de la continuité écologique?
  • Si le Sicec, les financeurs de l'Agence de l'eau Seine-Normandie et les ingénieurs de l'Onema ont réellement la qualité des milieux en tête, où sont consultables leurs études de modélisation du bassin versant sequanien montrant qu'ils agissent réellement sur les sites prioritaires pour ces milieux, avec des gains mesurés sur des linéaires d'intérêt, et non pas dans un saupoudrage obscur de petites opérations superficielles, discontinues et sans grand effet?
  • Si ces opérations sont vraiment importantes pour les milieux, où sont les relevés de qualité biologique des eaux avant / après et les analyses coûts-avantages montrant que la dépense publique s'est traduite par des gains justifiés au regard de l'intérêt général des riverains comme du respect des obligations réelles de la France vis-à-vis des  différentes directives européennes? Le seul exemple d'Essarois n'était pas vraiment convaincant sur le bénéfice halieutique issu d'une dépense publique conséquente, pas plus au demeurant que l'effacement de Nod-sur-Seine sur un tronçon à la qualité piscicole déjà bonne, voire excellente au regard des critères européens de contrôle DCE 2000…
Enfin, un syndicat de rivière a de nombreuses missions car les rivières ont de nombreux enjeux : prévention des crues et inondations, protection des berges et des ouvrages d'art, gestion des embâcles et atterrissements, entretien des ripisylves, lutte contre les pollutions diffuses en eau courante et en nappe, agrément paysager au service des communes adhérentes…
  • Ces missions, et tant d'autres sont-elles correctement assumées pour toutes les communes adhérentes du syndicat ? 
  • Y a-t-il un budget à ce point confortable que l'on peut se permettre de dépenser de l'argent à détruire le petit patrimoine technique et rural du Châtillonnais, ce qui suppose au préalable que les besoins essentiels pour la rivière et les riverains sont déjà tous satisfaits? 
Nous souhaitons que les élus portent nos interrogations au syndicat.

PS : le Sicec a été créé le 29 décembre 2010 par arrêté préfectoral. Nous avons demandé par courrier électronique (et nous demandons publiquement ici) à l'équipe dirigeante de nous donner les statistiques des travaux supervisés ou organisés par le syndicat dans le domaine précis de la continuité écologique appliquée aux ouvrages hydrauliques, pour les années 2011-2015. A savoir, dans les 5 ans écoulés:
  • nombre total de chantiers réalisés sur ouvrages; 
  • répartition des solutions choisies (dérasement, arasement, dispositif de franchissement, gestion des vannes, statu quo); 
  • hauteur de chaque ouvrage et coût total du chantier (y compris coût de l'étude préalable et du suivi post-intervention si pertinent). 
Sans cette élémentaire transparence qui doit caractériser toute action publique, il sera impossible d'avoir une vision d'ensemble de la stratégie du syndicat en continuité écologique et gestion des ouvrages, du caractère équilibré de ses choix et de leurs coûts pour la collectivité. Nous nous engageons bien sûr à publier les chiffres qui nous seront communiqués.

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21/02/2016

La continuité écologique comme voie de fait? Le scandale de l'effacement de Nod-sur-Seine continue

L'effacement de l'ouvrage Floriet à Nod-sur-Seine n'avait aucun intérêt écologique. Il a en revanche un certain intérêt juridique : effectué sur simple déclaration, sans aucune protection particulière pour les milieux, sans que le droit d'eau ait été préalablement annulé par arrêté préfectoral, il témoigne de la grande légèreté procédurale du syndicat et de l'administration dès lors que l'on détruit le patrimoine hydraulique. Interpellée en novembre dernier, la DDT 21 nous a répondu trois mois plus tard. Nous sommes en désaccord complet avec les termes de cette réponse.  Quand on sait comment les maîtres d'ouvrage sont actuellement assommés par les moindres détails dès qu'ils veulent entretenir ou rénover leur bien, on ne peut qu'être indigné par le double standard de l'administration : aucune mesure, aucune preuve, aucune démonstration ne nous est opposée, alors que plusieurs témoins ont constaté les centaines de mètres de profil en long modifié sur la Seine et que nous avons pris le temps de formaliser un rapport détaillé. Nous portons donc l'affaire au Préfet et à la Ministre, en attendant de la porter devant juridiction s'il y a matière contentieuse. 

Nous avions exposé au service de Police de l'eau de la DDT 21 les problèmes entourant l'effacement de l'ouvrage Floriet à Nod-sur-Seine, opération par ailleurs inutile au plan des milieux (impact faible,  IPR de la rivière indiquant une qualité bonne ou excellente, vannes déjà retirées par le syndicat Sicec). En particulier, nous avions devant témoins pris un certain nombre de mesures sur site montrant que, de toute évidence, le chantier de destruction avait entraîné une modification du profil de la rivière sur environ 500 m, ce qui aurait dû impliquer une autorisation, une étude d'impact et une enquête publique. Mais le syndicat Sicec a agi sur simple déclaration.

Nous avons reçu la réponse de la DDT 21, que l'on peut consulter sur ce lien.

Il est fait état d'une visite sur site le 20 janvier 2016 constatant un "processus d'érosion latérale sur une centaine de mètre à l'amont", sans aucun élément de preuve (ni photographie, ni relevé, ni mesure). Ce constat est rapporté à l'article L 211-1 CE, qui n'est pas le texte réglementaire que nous avons invoqué dans notre requête (mais bien le R 214-1 CE sur les dossiers IOTA et le R 214-6 CE sur les autorisations). Ce constat ne répond pas non plus à nos observations ni basiquement à notre demande, qui concerne la méthode choisie par la Sicec et la police de l'eau pour définir le profil en long au droit de l'ouvrage à effacer.

De la même manière, le courrier affirme que "la remobilisation des sédiments s'est opérée de manière naturelle et dans des volumes peu importants". Là encore, ce sont de simples affirmations sans quantifications, qui ne répondent pas à notre demande sur une éventuelle analyse chimique de ces sédiments remobilisés (ni de leur volumétrie).

Enfin, le courrier admet que l'arrêté préfectoral d'abrogation du droit d'eau de l'ouvrage n'est toujours pas paru : en d'autres termes, on a détruit un ouvrage légalement installé (au sens du L 214-6 CE). Sauf erreur, cela s'appelle une voie de fait.

Donc pour résumer, la DDT 21 admet que le Sicec a :
  • effacé un ouvrage ayant encore une existence légale au moment de sa destruction;
  • modifié le profil en long et en travers de la rivière sans document exposant la mesure de cette modification,
  • remobilisé des sédiments en quantité inconnue sans analyse chimique de leur contenu ni analyse biologique de leurs effets sur les milieux,
  • le tout sur une rivière dont l'IPR (point de mesure adjacent au chantier) était de bonne qualité au sens de la DCE 2000. 
Connaissez-vous un seul propriétaire d'ouvrage hydraulique qui pourrait se permettre une telle légèreté dans ses travaux en lit mineur? Nous, non.

Bien entendu, cette réponse n'est pas acceptable. La DDT ne règle aucune question de fond lié à cet effacement (évaluation du profil, des sédiments, des frayères, des risques pour les milieux), pas plus qu'elle nous ne transmet le dossier de demande du Sicec (lequel refuse de son côté de nous répondre, montrant le peu d'estime qu'il a pour les riverains dès lors qu'ils interrogent ses pratiques). Dans toute cette affaire, il n'y a pas le commencement du début d'une démonstration sur l'un des points essentiels pour l'interprétation de la règlementation, à savoir la zone d'influence de l'ouvrage et de son effacement, qui définit soit une déclaration (moins de 100 m de linéaire) soit une autorisation (plus de 100 m).

En conséquence :
  • nous allons saisir M. le Préfet et Mme la Ministre de l'Ecologie, ainsi que nos élus locaux, de cette affaire qui témoigne de notre point de vue de la partialité et de la subjectivité du contrôle administratif, du caractère bâclé des effacements d'ouvrage et du mépris dans lequel on tient la concertation avec les associations de riverains et propriétaires;
  • nous allons demander de recevoir l'ensemble des déclarations administratives du Sicec relatives aux projets d'effacements votés en réunion syndicale ou inscrits dans la DIG du 11 juin 2015 (ainsi que les relevés des mesures prévues à l'article 17 de cette DIG) ;
  • nous confions bien entendu l'ensemble des éléments de cette procédure à notre avocat qui, selon les réponses de Mme la Minitsre, de M. le Préfet et du syndicat, décidera des suites à donner.


Rappelons pour conclure ce qui est le lot quotidien de notre action associative :
  • les propriétaires d'ouvrages hydrauliques font l'objet de demandes extrêmement méticuleuses et parfois exorbitantes dès qu'ils veulent curer leur bief ou leur retenue, entretenir leurs vannes, restaurer leurs seuils ou modifier leurs turbines, mais à côté de cela, le syndicat Sicec détruit un ouvrage ayant encore son droit d'eau et modifie 500 m de profil sur une simple déclaration. Et M. le Sous-Préfet de Montbard osait nous parler de "l'impartialité de l'Etat" sur ces questions : cette impartialité n'existe plus sur les questions environnementales liées aux rivières, et cette dérive de l'Etat de droit ne prépare certainement pas des rapports pacifiés entre les riverains, l'administration et les syndicats  ;
  • quand on demande des documents aux fédérations de pêche (exemple du rapport sur l'Ource de la fédé 21), aux syndicats (exemple des documents afférents à Nod-sur-Seine au Sicec), aux Agences de l'eau (exemple des relevés DCE 2000 sur le bassin), il faut dans beaucoup de cas plusieurs courriers, parfois des menaces d'aller à la CADA pour obtenir ces pièces publiques relatives à l'environnement auxquelles tout citoyen devrait avoir accès sur simple demande;
  • nous avons réclamé à la DDT 21 dès février 2013, à l'occasion de la parution de notre premier rapport sur la continuité écologique en Côte d'Or,  la tenue d'une vraie concertation sur la continuité (avec tout le monde autour de la table – DDT, Onema, Dreal, Agences, propriétaires, associations), mais elle n'est jamais venue, malgré plusieurs relances à la Préfecture ;
  • nous n'avons pas plus été conviés aux réunions de concertation sur la nouvelle cartographie des cours d'eau lancée en 2015, de sorte que si les biefs y sont inclus par l'administration, c'est encore par le contentieux qu'il faudra agir, faute d'une concertation digne de ce nom.
Cette attitude vis-à-vis des citoyens engagés dans l'action associative est antidémocratique, hautaine, insupportable. Un certain "petit monde de l'eau" n'a aucune envie d'être bousculé dans le confort de ses pratiques opaques en cercle fermé partageant les mêmes croyances et les mêmes intérêts. Ces personnes et ces structures relèvent pourtant de services publics ou assimilés, payés par l'impôt pour leurs salaires, dotations ou subventions. Aussi longtemps que leur comportement de déni et de mépris continuera, nous le dénoncerons publiquement. Quant à la politique de continuité écologique et de gestion des ouvrages hydrauliques, elle court à l'échec tant que ces mauvaises pratiques ne seront pas rectifiées. Nos associations ne peuvent certainement pas appeler leurs adhérents et sympathisants à valider une politique publique qui légitime des manipulations d'opinion comme des interprétations à géométrie variable des règles et des faits.

Post scriptum : quelques exemples de demandes administratives observées sur nos rivières. Un propriétaire veut curer les rejets venant des travaux de la commune dans son bief, on lui oppose la nécessité de procéder à des analyses chimiques à ses frais (et de prendre la responsabilité des sédiments s'ils sont pollués) ; un propriétaire veut mettre une roue décorative dans son bief sans aucun changement du lit ni de la consistance légale, on lui demande un dossier détaillé aux cotes ; un propriétaire veut changer les pelles en bois de ses vannes, on lui dit qu'il faudra envisager une pêche électrique de sauvegarde dans son bief ; un propriétaire a un chantier de passes à poissons, la police de l'eau vient demander à l'entreprise de changer de quelques centimètres des plots de fond en béton déjà posés. Des exemples comme ceux-là, il y en a des centaines en France, et de plus aberrants encore tant l'administration est devenue pointilleuse pour le moindre chantier sur un moulin ou sur ses organes hydrauliques. Quand la même administration laisse un syndicat bâcler un effacement, opération autrement traumatique pour l'équilibre en place des milieux, c'est tout simplement insupportable. Il en va de même lorsque des riverains de l'Ource constatent sur plusieurs biefs une forte mortalité piscicole liée à l'ouverture forcée des vannes pour débit minimum biologique, et que l'administration ne procède à aucune enquête sérieuse et nie l'existence d'un problème écologique. Le respect de l'Etat de droit découle de la garantie qu'ont les citoyens de sa neutralité, de son équité et de son impartialité. Si ces conditions ne sont plus remplies, s'il faut engager des procès longs et coûteux pour faire reconnaître un arbitraire local, si la règlementation atteint de tels niveaux de complexité que son interprétation devient totalement incertaine et variable d'un endroit l'autre,  la porte est ouverte à toutes les dérives.

19/02/2016

Nos rivières se dépeuplent ! Les inquiétudes publiques... du XIXe siècle

Les rivières se dépeuplent, les poissons s'y font rares, les migrateurs régressent partout, les pollutions sont nombreuses, les ouvrages hydrauliques et leurs turbines ont des impacts délétères… ces propos ne viennent pas du dernier bulletin de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie, mais des comptes-rendus du Sénat et de la Chambre des députés en 1880. En cette fin de XIXe siècle, une Commission de repeuplement des eaux a mené une enquête sur l'état des rivières. Nous publions ci-dessous quelques extraits de ce travail, assortis de commentaires. 

Cri d'alarme : les poissons disparaissent

Tous les rapports des ingénieurs, toutes les dépositions reçues, tous les renseignements recueillis sont unanimes sur ce point : tous les cours d'eau sont appauvris. (…) Les cours d'eau non navigables ni flottables, dont la pêche appartient aux riverains, peuvent être, à peu près partout, considérés comme presque complètement ruinés. A de rares exceptions près, la pêche n'y est l'objet d'aucune surveillance; et ils sont à ce point de vue laissés tout à fait à l'abandon. (…) Presque partout les ingénieurs, les pêcheurs et les fermiers des pêches s'accordent à reconnaître qu'il y a une diminution considérable de poisson, surtout pour les espèces précieuses, saumons, truites, etc.

Quelles espèces de poissons, ayant existé autrefois, ont disparu ou diminué?

Le saumon a complètement disparu d'un très grand nombre de rivières secondaires du bassin de la Loire, de la Seine et du Rhin. Il a presque disparu, ou du moins ne se rencontre plus que rarement dans les rivières, même assez importantes, comme la Moselle et la Meuse, où il se trouvait autrefois en assez grande abondance. Enfin, même dans les fleuves et les rivières profondes, où il n'est pas arrêté par les barrages, le nombre de saumons que l'on pêche a considérablement diminué.

Il en est de même pour l'alose et la lamproie, et, en général, pour toutes les espèces migratrices, dont quelques-unes, comme l'esturgeon, par exemple, ont presque complètement disparu dans les fleuves et ne se rencontrent plus guère qu'à peu de distance des embouchures. L'anguille seule se trouve encore dans tous nos cours d'eau. Cependant, sur bien des points, on se plaint également de sa diminution.

Parmi les espèces sédentaires, aucune n'a complètement disparu, mais beaucoup sont devenues plus rares. La diminution porte surtout sur les espèces les plus précieuses : la truite et l'ombre. Partout on signale la rareté de plus en plus grande de ces poissons dans des eaux qu'ils fréquentaient autrefois; et, même dans les cours d'eau où ils se trouvent encore comme espèce dominante, on signale une diminution considérable. La lotte est aussi devenue beaucoup plus rare et, sur quelques points, semble tendre à disparaître. Après ces espèces, celles dont la diminution est plus particulièrement signalée sont : la carpe de rivière, la chevaine et le barbeau.

Sur plusieurs points on constate, au contraire, une augmentation du nombre des brochets, et souvent aussi des perches, augmentation qui coïncide sur tous les points où elle est signalée avec une diminution des autres espèces.

(…) L'écrevisse se trouvait autrefois à peu près dans tous les cours d'eau de France, dont les eaux ne sont ni trop profondes, ni trop limoneuses; elle se développe mieux dans les bassins calcaires comme celui de la Meuse, par exemple, que dans les eaux silicieuses. Elle a disparu d'un certain nombre de cours d'eau, soit par suite de l'altération des eaux, soit par suite d'une pêche excessive, soit enfin par suite d'épidémie, comme celle qui, depuis deux ans, dévaste tout le nord-est de la France.


Passes à poissons des barrages : inutiles pour les ingénieurs, indispensables pour les pêcheurs

Malgré les dispositions de l'article 1er de la loi du 31 mai 1865, il n'y a encore qu'un nombre très restreint de barrages qui soient munis d'échelle à poisson. D'après les états fournis par le ministère, il en a été construit, depuis quinze ans, cinquante-quatre en tout. Une dizaine d'autres sont en construction.

En général, MM. les ingénieurs des ponts et chaussées semblent peu favorables à l'établissement d'échelles, et dans les nombreux rapports que nous avons sous les yeux, nous voyons que si quelques-uns, se plaçant au point de vue des intérêts piscicoles, déclarent que l'établissement d'échelles leur semble indispensable dans les barrages d'une certaine hauteur, en revanche la majorité des ingénieurs affirme que, soit à raison du peu d'élévation des barrages, soit à raison de l'existence de pertuis fonctionnant en hautes eaux, ou de l'ouverture partielle en hautes eaux des barrages à aiguilles, les poissons migrateurs peuvent toujours remonter, tout au moins à certaines époques, et même en toute saison pendant la manoeuvre des vannes ; et par ces motifs, ils semblent peu disposés à conseiller la construction d'échelles.

Nous devons dire que toutes les dépositions des pêcheurs et des particuliers, qui se trouvent au dossier, sont sur ce point en contradiction formelle avec les dires de la majorité de MM. les ingénieurs; et que toutes affirment que les barrages étanches arrêtent à peu près complètement la remonte du poisson. Le fait constaté de la disparition progressive des poissons migrateurs, dans la plupart des affluents des fleuves, semble du reste prouver qu'un grand nombre de barrages ne permettent pas la remonte du poisson. (…)

Première cause du dépeuplement : les excès de la pêche

Tous les rapports s'accordent à indiquer, comme première et principale cause du dépeuplement des rivières, la pêche incessante qui s'y exerce et qu'a rendu plus active la cherté croissante du poisson. Toutefois, il semble que la pêche, exercée dans les limites de la loi et avec les engins permis, n'est pas considérée généralement comme une cause sérieuse de destruction.

Des plaintes assez vives sont cependant formulées contre l'abus de la pêche à la ligne : le nombre excessif des pêcheurs, le profit qu'en tirent ceux qui connaissent cette pêche et en font un métier, les réclamations des adjudicataires qui se plaignent de la concurrence qui leur est faite ainsi sur les lots qu'ils ont loués, prouvent, dit-on, la nécessité de restreindre ce droit. D'autres, au contraire, considèrent la pêche à la ligne "tenue à la main" comme inoffensive, sinon même comme utile; la pêche à l'amorce vive, notamment, détruit les espèces voraces et par conséquent favorise la multiplication des autres espèces; ils demandent en conséquence l'extension de ce droit.

Mais s'il y a divergence sur ce point, en revanche, toutes les dépositions recueillies, sans exception, sont d'accord pour déclarer que la principale et la plus active de toutes les causes de destruction, c'est la pêche avec des engins ou par des procédés prohibés, le braconnage de nuit et surtout la pêche en temps de fraie.

Sur ce point, les plaintes sont tellement unanimes, tellement et depuis si longtemps répétées, qu'il est inutile d'insister. Notons seulement que, parmi les procédés destructeurs, outre la pêche de nuit et la pêche sur les frayères, on signale la pêche délictueuse qui se fait dans les canaux d'irrigation, les canaux et les biefs d'usines que l'on peut mettre à sec par une brusque manoeuvre de vannes ; puis les filets fixes et les nasses que certains usiniers placent dans leurs ouvrages d'eau; enfin, - et au sud de la Loire, les plaintes sont générales sur ce point – l'empoisonnement des eaux par la chaux, la coque du levant, etc. (…)


Aménagement industriel et agricole : des pressions délétères

L'aménagement industriel des eaux, en dehors des faits de braconnage auxquels il donne occasion, est par lui-même une cause de destruction que relèvent presque tous les rapports. 

En effet, d'abord à certaines époques le jeu des vannes amène de brusques variations de niveau qui détruisent le frai ; les turbines broyent un grand nombre de poissons qui y sont entraînés ou qui viennent se réfugier dans les ouvrages d'eau ; ensuite un grand nombre d'usines déversent dans la rivière des déjections acides, corrosives ou chargées de détritus nuisibles qui empoisonnent les eaux des rivières sur une certaine étendue. Dans certains départements industriels, comme le Nord, l'Aisne, etc., le poisson a à peu près complètement disparu des cours d'eaux, et les ingénieurs estiment même qu'il est inutile d'essayer de les repeupler.

Les canaux et rivières navigables ont différentes causes de dépeuplement qui leur sont spéciales. La première que signalent tous les ingénieurs, c'est le clapottement produit par le passage des bateaux, surtout des bateaux à vapeur, ce qui, joint aux variations du niveau produites sur certains points par les écluses, empêche 1 éclosion ou détruit les frayères de certaines espèces et tue même les alevins. La seconde est la fréquence des mises à sec pour réparations, et l'absence, en ce cas, de refuges pour l'alevin. Enfin la troisième consiste dans le curage des rivières, l'enlèvement des herbes et la suppression des retraites du poisson.

Du reste, en général, la canalisation d'une rivière, en supprimant les rapides où frayent certaines espèces (notamment la truite et l'ombre), fait disparaître ces espèces ; c'est ce qui est arrivé dans le Doubs canalisé, par exemple. Sur quelques rivières endiguées, comme la Saône, le Doubs, on attribue aussi un effet nuisible. au point de vue de la reproduction du poisson, aux digues qui empêchent les eaux de se répandre librement dans les prairies. Enfin on se plaint de l'absence d échelles a poissons dans les barrages, ce qui arrête les poissons migrateurs qui venaient frayer dans les cours d'eau supérieurs. La plupart des rapports d'ingénieurs contestent, comme on l'a dit plus haut, l'utilité de l'établissement de ces échelles ; mais ils sont, sur ce point, en désaccord avec tous les autres déposants.

L'aménagement des eaux et leur emploi pour l'agriculture est aussi, sur plusieurs points, une cause de destruction du poisson. Les canaux d'irrigation, notamment, où le poisson se plaît, et qui devraient être une cause puissante de multiplication, sont, au contraire, une cause active de diminution par la façon dont s'opère la mise à sec, et parce qu'ils fonctionnent, ainsi que nous le verrons, comme véritables pièges pour le poisson. Le curage des ruisseaux et la taille des rives à arêtes vives détruisent les retraites et les frayères. Le faucardage des herbes, surtout au printemps, entrave la reproduction de certaines espèces et nuit à la conservation du poisson.

Enfin, sur certains points, notamment dans Saône-et-Loire, la Côte-d'Or, dans la Charente, la Bretagne, etc., on considère le rouissage du chanvre dans les cours d'eau, surtout dans les basses eaux d'été, comme un véritable empoisonnement M. l'ingénieur de la Côte-d'Or attribue la même effet au lavage des moutons. L'emploi de la chaux et des engrais chimiques dans l'agriculture est considéré, par M. l'Ingénieur de Saône-et-Loire comme rendant les eaux d'égout nuisibles aux alevins.

Quelques commentaires

Il est intéressant d'observer que, à 130 ans de distance et avec constance, un certain alarmisme règne dans la préoccupation publique sur les rivières. Les cours d'eau des générations précédentes semblaient toujours plus poissonneux. Illusion ou réalité? Difficile de trancher tant que l'on ne dispose pas d'études proprement scientifiques et pluridisciplinaires (histoire, archéologie, génétique) visant à analyser les trajectoires de peuplement sur nos bassins et leurs différentes populations piscicoles. Une baisse démographique importante laisse notamment diverses traces moléculaires dans le pool génétique des populations (voir par exemple cet article), nous avons donc des moyens d'affiner notre compréhension de cette évolution récente.

Autre point notable : il va de soi pour le contemporain du XIXe siècle que la pêche est le premier facteur de dépeuplement des eaux. Certaines études récentes ont aussi montré que la pêche est l'un des premiers paramètres d'évolution de ce peuplement au gré des introductions d'espèces à fin halieutique (voir par exemple le travail de Gertrud Haidvogl et ses collègues sur le Salzach). Il est tout à fait anormal que la pêche soit l'une des seules activités n'ayant pas fait l'objet d'une analyse scientifique systématique et indépendante de ses impacts cumulés et actuels. Cela tient au fait que le lobby pêcheur se présentant désormais comme "protecteur des milieux aquatiques", il existe une sorte de présomption d'innocuité. Mais nos connaissances ont besoin de progrès sur ce point, malgré les jeux de pouvoir qui voudraient les entraver.

Les ouvrages hydrauliques apparaissent comme une vraie préoccupation au XIXe siècle, de même que la canalisation des cours d'eau. La loi de 1865 avait instauré le principe de passes à poissons sur les rivières désignées comme d'intérêt. De façon assez amusante, les experts de l'époque (ingénieurs des ponts et chaussées) sont plutôt hostiles à ces passes, alors que les riverains en voient l'intérêt : les postures se sont inversées depuis! On sait que la loi de 1865 a eu (déjà) le plus grand mal à entrer dans les faits, comme le rappellent les conclusions du rapport parlementaire (et d'autres travaux ultérieurs). Sur les ouvrages installés, il fallait une expropriation par Conseil d'Etat et une indemnité ; sur les nouveaux ouvrages, les préfectures ne se pressaient pas d'imposer ce qui était perçu alors surtout comme une entrave à l'industrie.

Enfin, on voit poindre en 1880 les préoccupations liées aux rejets de l'industrie et à la modification agricole des bassins versants : ces pressions-là n'en sont pour l'essentiel qu'à leur début, et vont connaître une très forte intensification au XXe siècle.

Source : Annales du Sénat de la Chambre des députés, session extraordinaire de 1880, vol II, Imprimerie et librairie du Journal officiel, Paris 1881.

Illustrations : pêcheurs du Rhin (gravure de C Lallemand 1858) ; barrage de Dhenne, Canal du centre (Saône-et-Loire, Côte d'Or, Doubs, Yonne, Nièvre : vues photographiques / P. Mougel, A. H. Collard, Colombier, photogr. 1873)

16/02/2016

Pollution des eaux françaises et européennes par les pesticides (Stehle et Schulz 2015)

Notre association avait déjà recensé un précédent travail de Sebastian Stehle et Ralf Schulz montrant que les effets des pesticides sur les milieux aquatiques sont sous-estimés dans le monde (voir cet article). Dans une nouvelle publication, les deux chercheurs allemands affinent leur travail sur la zone européenne, et tirent la sonnette d'alarme. Plus du tiers des eaux de surface et plus de 90% des sédiments dépassent les doses admissibles pour l'environnement. En France, plus des trois-quarts des concentrations mesurées scientifiquement sont au-delà des normes réglementaires de la directive Pesticides de 2009. Ces résultats jettent le trouble sur la qualité de nos mesures actuelles de l'état chimique des eaux et signent l'échec de la politique hexagonale aussi bien que communautaire. Cessons donc les épouvantails, gadgets et diversions comme la continuité écologique appliquée aux ouvrages modestes des rivières, et dressons plutôt un vrai bilan scientifique de nos choix pour la qualité de l'eau.

Les terres agricoles couvrent 40% de la surface terrestre totale de l'Europe des 28, soit 174,1 millions d'hectares. Les pesticides, qui représentent un marché européen de 11 milliards €, sont d'un usage omniprésent dans une agriculture désormais hautement industrialisée. Ces pesticides regroupent plusieurs familles selon leur cible : herbicides, fongicides, insecticides. Stehle et Schulz focalise sur cette dernière famille, connue pour ses impacts sur les milieux vivants, en particulier les milieux aquatiques.

Quoiqu'en dise le rassurant discours ambiant sur le contrôle de qualité des eaux, les auturs reconnaissent que nous sommes en réalité face à un manque patent de données : il n'existe aucune information scientifique solide sur les concentrations d'insecticides relevées sur le terrain (c'est-à-dire les eaux des surfaces cultivées) en fonction des concentrations maximales acceptables (RAC pour regulatory acceptable concentrations) telles que l'Europe les a définies au plan réglementaire. La nouvelle directive européenne "Pesticides" (n°1107/2009) pose un enjeu évident de mise en application : ses procédures d'autorisation sont-elles protectrices et effectives ? Quels impacts ont réellement les insecticides sur les milieux aquatiques?

Pour tenter d'y répondre, les chercheurs ont procédé à une méta-analyse de 165 études scientifiques publiées dans la période 1972-2012 et ayant reporté des mesures réelles de concentrations d'insecticides (MIC) dans les eaux de surface et/ou dans les sédiments. Les mesures de 23 molécules insecticides (dont 15 actuellement autorisées) ont ainsi été rassemblées sur 1566 points de mesure. Elles se répartissent dans les quatre types de composés actifs : les organochlorines, les organophosphates et carbamates, les pyrethroïdes et les néonicotinoïdes.


Extrait de Stehle et Schulz 2015, droit de courte citation. Ratio entre dose mesurée et dose acceptable, pour les eaux de surface (en bleu) et les sédiments (en marron). On voit que dans les cas extrêmes, le facteur de dépassement franchit les 10^3 et peut même atteindre les 10^5. Presque toutes les analyses sédimentaires sont au-dessus de 1.

Les principaux résultats sont les suivants :
  • 44,7% de mesures montrent des concentrations supérieures aux doses maximales acceptables;
  • le chiffre est de 37,1% pour les eaux de surface (qui dépassent la dose d'un facteur pouvant atteindre 125750) et atteint 93% pour les sédiments (facteur maximal de 31154);
  • l'analyse temporelle des MIC relevés sur 40 ans montre que le risque ne décroît pas dans le temps;
  • les systèmes d'eau courante (45,4%) sont plus concernés que les systèmes estuariens (37,5%) et les petits bassins versants davantage que les grands (90% des dépassements de RAC en bassin de moins de 1 km2 contre 75% des dépassements sur des bassins de plus de 10 km2);
  • la France atteint 76,1% de doses maximales acceptables dépassées (46 études);
  • au total 135 pesticides commerciaux différents ont été relevés dans les analyses (chiffre dont on sait qu'il est inférieur aux plus de 400 substances circulant dans nos rivières et répertoriées par le CGDD 2011 et CGDD 2014).
La conclusion des chercheurs est claire : les procédures européennes n'empêchent nullement le dépassement des doses admissibles de pesticides en rivière et il en résulte des dommages conséquents pour la biodiversité aquatique. Leur précédent travail avait montré que cette biodiversité peut être réduite de 29% par des dépassements modestes des taux considérés comme sûrs pour l'environnement. La présence de multiples molécules dans la plupart des MIC augmente de surcroît la probabilité de risque pour les milieux. Les données scientifiques de terrain comme de laboratoire manquent à ce sujet, en particulier pour les néonicotinoïdes dont le mode d'action est différent des autres classes d'insecticides.

Pour conclure
Récemment, l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse reconnaissait que 150 pesticides différents sont retrouvés dans les rivières de ses bassins. L'Agence de l'eau Loire-Bretagne, quant à elle, admet ne pas être capable de dresser un bilan chimique de ses masses d'eau. Ces mêmes Agences (vite suivies par leurs consoeurs) ont été les premières en 2004 à prétendre que les ouvrages hydrauliques sont une cause majeure de dégradation de la qualité biologique et chimique de l'eau, cela alors même que les mesures les plus élémentaires ne sont pas menées sur chaque masse d'eau et que les chercheurs, comme Sebastian Stehle et Ralf Schulz, admettent que nous sommes encore bien loin d'être capables de faire un bilan scientifique complet des altérations de la biodiversité aquatique.

Plus que jamais, il faut cesser ces impostures bureaucratiques et les arbitrages opaques des comités de bassin, dresser un bilan objectif de nos masses d'eau (incluant toutes les métriques DCE 2000, qui vont d'ailleurs se renforcer d'ici 2018 pour le bilan des substances chimiques prioritaires), choisir les mesures susceptibles de restaurer les rivières et les nappes en adressant les vrais impacts, qui ne sont certainement pas les seuils, barrages ou digues. La politique française de l'eau est un échec : il est humain d'avoir failli, il serait diabolique de persévérer dans les impasses actuelles.

Référence : Stehle S, R Schulz (2015), Pesticide authorization in the EU-environment unprotected?, Environ Sci Pollut Res Int., 19632-19647