08/04/2016

Vallée de la Sélune en lutte (1) : le déni démocratique

Un SAGE qui procède à des arbitrages acrobatiques entre pollution agricole amont et restauration de continuité aval, une secrétaire d'Etat qui annonce des destructions d'ouvrages à distance et sans aucune information préalable des populations locales, une administration qui fait preuve d'opacité tant dans sa complaisance initiale vis-à-vis d'EDF que dans sa reprise en main autoritaire du chantier de la destruction imposée, des lobbies écologistes et pêcheurs sous-représentatifs mais sur-écoutés qui font voter jusqu'à leurs amis canadiens lors d'une enquête publique normande, des riverains quasi-unanimement opposés à la destruction de leur cadre de vie mais considérés comme des demeurés n'ayant rien compris à l'avenir des rivières… bienvenue dans le dossier de l'effacement des barrages de la Sélune, qui est aussi le dossier de l'échec catastrophique de la politique de "continuité écologique à la française". Dans ce premier article, nous nous penchons sur le caractère fort peu démocratique de la décision d'effacer. 

La construction de barrage donne lieu à des luttes sociales et citoyennes. Leur destruction aussi. Rappelons d'abord rapidement le contexte : la Sélune est un fleuve côtier de Normandie qui se jette dans la baie du Mont-Saint-Michel. Elle a connu la construction de deux barrages hydro-électriques à Vezins (hauteur 35 m, mise en service 1932) et la Roche qui boit (hauteur de 15 m, mise en service 1919). La rivière étant salmonicole et les barrages bloquant l'accès la partie amont, l'effacement des ouvrages a été annoncé en 2009 par le Ministère de l'Ecologie. Ségolène Royal vient toutefois d'autoriser la vidange des retenues et d'annoncer l'examen de l'offre d'un repreneur du site, sans destruction.

Dans une tribune récente critiquant la décision de Ségolène Royal de repousser l'effacement des ouvrages, les Amis de la Sélune écrivent : "Seule contre tous, une posture qu’elle affectionne, elle nie depuis décembre 2014 dix ans de travail de son ministère, des services déconcentrés de l’Etat, de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, d’EDF, des ONG, des scientifiques, des nombreux élus qui ont travaillé sérieusement et conclu qu’il n’y avait pas d’alternative économiquement rentable aux effacements. (…) Intransigeante, s’appuyant sur une partie de la population locale mal informée et angoissée face au changement, la ministre de l’Environnement bloque cet investissement prometteur pour un territoire et sa biodiversité."

Le propos oppose d'un côté des instances administratives associées à des ONG et des élus "nombreux" quoique non comptabilisés, c'est-à-dire en clair une bureaucratie et des lobbies abondés par elle ; d'un autre côté "une partie de la population locale", elle aussi non comptabilisée, dont les convictions sont forcément "mal informées" car contraires à la volonté du premier camp. Une chose apparaît en creux : la continuité écologique produit du conflit et non du consensus, elle oppose camp contre camp au lieu de rassembler sur des objectifs partagés. Qu'en est-il exactement sur ce dossier de la Sélune?

Un problème ancien, sans solution viable
Le problème de l'aménagement des deux grands barrages de la Sélune n'est pas nouveau. Un décret du 23 février 1924 avait déjà classé des rivières normandes (dont la Sélune) en vue de garantir des aménagements de franchissement pour les migrateurs. Face à l'impossibilité technique, le Préfet s'était contenté de demander des mesures de compensation (alevinage). L'obligation est rappelée dans l'arrêté du 2 janvier 1986, avec injonction de procéder à un aménagement de continuité à 5 ans. Rien ne se passe pourtant en 1991, EDF continue d'exploiter.

Aucun de ces textes ne sera suivi d'effet au long de l'exploitation des barrages (par EDF à compter de 1946), pour la simple raison que les coûts économiques et la complexité technique sont disproportionnés à l'efficacité écologique de tels aménagements sur des barrages d'une certaine hauteur. C'est une constante depuis la loi sur les échelles à poisson de 1865 (voir déjà les débats parlementaires du XIXe siècle) : les décisions politiques et administratives donnent lieu à peu de chantiers car elles sous-estiment systématiquement les difficultés concrètes de mise en oeuvre. Ce qui ne paraît pas empêcher chaque nouvelle génération de "décideurs" de répéter l'erreur de la précédente tout en se plaignant ensuite de la mauvaise volonté à appliquer lois et règlements. Si ces lois et règlements étaient décidés au terme d'une vraie concertation associée à une vraie analyse historique de la problématique concernée et à une vraie évaluation du consentement à payer pour la biodiversité ou des services rendus par les écosystèmes "renaturés", de telles erreurs seraient opportunément évitées.

Chronique d'un effacement décidé contre l'avis des populations
Concernant la genèse de la décision récente d'effacement des barrages de la Sélune, un article intéressant de la revue en ligne Hypothèses (animée par des géographes et sociologues étudiant le projet) fournit des rappels utiles sur la séquence. Nous nous en inspirons en partie (pour une analyse approfondie des jeux d'acteurs, voir Germaine et Lespez 2014).

2003-2005, petits arrangements au sein du SAGE – La Sélune est dotée d'un SAGE depuis 1997, donc d'une Commission locale de l'eau, cette instance dont les membres sont nommés par le Préfet (et où les riverains sont non représentés, ou sous-représentés). Dès le premier bulletin du SAGE en 2002 (voir la liste ici à télécharger), la question des barrages est posée. Dans le deuxième bulletin de 2003, un premier scénario (BE Sepia 2002) montre que l'effacement est coûteux et nuit à divers services rendus par les barrages, outre leur production d'énergie. Le SAGE propose en 2003-2004 quatre scenarii, deux prévoyant une poursuite de la concession hydroélectrique, deux prévoyant sa fin avec effacement (remise en état de la rivière). Comme on peut le voir sur l'image ci-dessous (cliquer pour agrandir), les votes sont défavorables à toutes les options, mais la moins mal placée (scénario C) est celle qui prolonge le plus tard la concession (année 2024).
Aucun scénario ne se dégageant réellement en terme de vote, ils sont réduits à 2 options en 2005, mais comme le scénario alternatif à l'effacement prévoit des mesures drastiques contre les pollutions (limiter les intrants azotes, phosphore, pesticides, MES), les agriculteurs préfèrent voter avec les écologistes et les pêcheurs en faveur de la fin de concession. Comme l'observe la revue Hypothèses, "la légitimité du vote est difficile à apprécier du fait de la complexité de la procédure retenue (1er vote) et du nombre important d’absents notamment dans le collège des élus (2nd vote)". On note que l'Etat préfère ensuite reprendre le dossier en main et tenir le SAGE à l'écart, celui-ci étant perçu comme instance partisane.

2009, l'annonce à distance de Chantal Jouanno – Le 13 novembre 2009, à 150 km de la Sélune, sans avoir informé les acteurs locaux, Chantal Jouanno (secrétaire d'Etat à l'Ecologie) annonce que l'Etat ne renouvellera pas les concessions de la Sélune et que les barrages seront donc effacés. Le choix d'une annonce lointaine et sans concertation est mal vécu localement. Cette option du gouvernement résulte d'une inflexion de la politique des rivières depuis quelques années : la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 a introduit la "continuité écologique" (que ne pose nullement la DCE 2000 comme obligation), les acteurs publics ont décidé de mettre en avant ce mode de gestion, notamment pour faire oublier les énormes retards dans la lutte contre la pollution – cela dans le cadre du Grenelle de l'environnement sous l'hyperprésidence Sarkozy, dont l'objectif est de jeter des miettes symboliques à divers lobbies écologistes (en compensation d'une non-remise en cause du programme électronucléaire, d'une poursuite de l'agriculture intensive à quelques évolutions marginales près, etc.). L'Etat était par ailleurs en discussion avec les industriels en vue d'une "charte pour une hydro-électricité durable" : la nécessité de mettre en avant certains effacements symboliques (comme ceux de la Sélune) a été posée comme condition par l'administration. Chantage usuel que cette même administration veut imposer aujourd'hui avec la Charte des moulins, et chantage vis-à-vis duquel nous ne saurions conseiller comme remède que la pleine transparence sur le contenu des échanges... ne dit-on pas par ailleurs que les Français ne supportent plus ces jeux de coulisses qui les dégoûtent de la pratique actuelle de la démocratie et rompent la confiance dans leurs représentants? Le sort des barrages de la Sélune est donc scellé comme symbole du plan national d’actions pour la restauration de la continuité écologique des cours d’eau  (PARCE 2009), plan qui a immédiatement suscité de très vives oppositions et donné lieu par la suite à un rapport critique du CGEDD en 2012.

2010-2014, la gouvernance inclusive réduite à son strict minimum – Après l'annonce de Chantal Jouanno, l'Etat reprend le pilotage du dossier, confié à la Préfecture de la Manche sous contrôle direct du Ministère.  Comme le montre l'analyse de la revue Hypothèses, trois instances jouent : "un groupe projet restreint composé de la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL), d’EDF, de l’Agence de l’eau et de trois élus locaux : il commande les études; un comité de pilotage ouvert à d’autres élus, dont le président du SAGE, ainsi qu’aux administrations et établissements publics comme l’ONEMA : il valide les études et oriente éventuellement les travaux en cours ; une commission locale d’information, originellement étendue au grand public mais en réalité accessible sur invitation, réunie à quatre reprises seulement entre juillet 2009 et juillet 2014." Nous sommes ici dans le processus observé partout en France de confiscation des phases diagnostic et projet de la continuité écologique par une bureaucratie et une expertocratie très limitées. Que les réunions ouvertes à un public large (et encore sélectionné sur invitation) n'aient été qu'au nombre de quatre pour un projet ayant de telles conséquences sur la vie des gens en dit long sur l'incapacité de la continuité écologique à se confronter aux avis et aux envies des riverains.

2014, l'enquête publique où les lobbies mobilisent de (très) loin - Le projet de destruction des barrages de Vezins et de la Roche qui Boit a été élaboré (nous y reviendrons sur le fond dans d'autres articles), et l'enquête publique a lieu du 15 septembre au 17 octobre 2014. Les avis sont favorables à 53% contre 47%. L'examen détaillé des avis montre que les avis favorables ont été inscrits sur registre pour 6 d'entre eux (0,7%), exprimés par courriers pour 27 (3%) et envoyés par courriers électroniques pour 2386 (84,5%). La proportion est inverse pour les avis défavorables, dont 99,3% sont inscrits sur registre, par des gens vivant dans la vallée. Les lobbies pêcheurs et écologistes ont mobilisé à échelle régionale, nationale et même internationale pour faire de la destruction des barrages un symbole. Cette attitude approfondit le clivage entre une population qui s'estime méprisée et une "élite" administrative, associative, gestionnaire ou scientifique qui entend décider un destin local à la place des gens.

Juin 2015, le référendum local proposé, puis vite enterré – Ségolène Royal reçoit en juin 2015 les élus locaux, dont le très mobilisé Guénhaël Huet, député et président de la Communauté de communes Avranches Mont-Saint-Michel (CCAMSM). Elle suggère lors de la réunion l'idée d'un référendum local, mais quelques jours plus tard revient publiquement sur la question en affirmant que la solution ne serait pas envisageable. La CCAMSM émet elle aussi un avis négatif sur cette consultation. Les raisons avancées sont diverses (voir cet article), mais une surnage clairement: les élus ont peur qu'en cas de refus de l'effacement, l'Etat retire toute aide à la vallée. Ce chantage financier est une réalité, tous ceux qui ont eu affaire à l'Agence de l'eau Seine-Normandie le savent parfaitement. La menace est d'autant plus crédible que l'Etat (quoiqu'officiellement en suspension de la solution d'effacement à ce moment) et l'agence d'ingénierie touristique Maîtres du rêve présentent à la Préfecture en juillet 2015 un plan de valorisation socio-économique (voir cet article). Des photomontages montrent des gens heureux qui se promènent dans une vallée renaturée (ci-dessous, le bonheur est dans thalweg…). Coût public de ce seul volet : 19,68 M€.

Cette option du référendum a été vivement contestée par les Amis de la Sélune (voir leur communiqué de presse), qui ne sont manifestement pas les Amis de la démocratie participative et qui sont évidemment lucides sur l'absence de soutien à leur volonté d'effacement dans la vallée. Les Amis de la Sélune parlent de "vindicte populaire" tout en prétendant par ailleurs que l'effacement est l'avenir de la vallée et ne peut que séduire par ses nombreux atouts pour le territoire. Etrange manque de confiance dans la qualité du projet de destruction.

2015, la consultation locale montre l'opposition quasi-unanime (98,89%) - L'association les Amis du barrage décide d'organiser une consultation populaire du 6 septembre au 11 novembre 2015. Elle donne un total de 18 515 voix exprimées (96,05%) dont 206 oui (1,11%) et 18 309 non, soit 98,89% des votants opposés à la destruction des barrages de la Sélune. On retrouve les mêmes proportions que les inscriptions sur registre lors de l'enquête publique de 2014, sauf que cette fois les voix exprimées sont quatre fois plus nombreuses. Le message est clair : la vallée de la Sélune ne veut pas voir disparaître ses barrages.

Conclusion : la destruction des barrages de la Sélune, symbole de la gouvernance pervertie de la continuité écologique
Les partisans de l'effacement des ouvrages hydrauliques de la Sélune avaient voulu en faire un symbole. C'est réussi, sauf que le symbole fonctionne à l'exact opposé de l'intention initiale. On voit sur la Sélune ce que l'on voit sur les milliers de projets d'aménagement (plus modestes) engagés en France :
  • la démocratie locale de l'eau ne fonctionne pas, les instances de type CLE des Sage ne sont pas perçues comme représentatives des citoyens (de fait, leur composition est limitée) ni capables de légitimer des projets ambitieux ou d'organiser une vraie concertation politique (c'est aussi valable pour les SDAGE des Agences de bassin, machines administratives sans participation populaire à leur conception, produisant du verbiage indigeste et résultant de compromis avec les lobbies économiques les plus puissants dans le cadre d'une soumission de toute façon indiscutable à la définition normative préalablement posée du "bon état") ;
  • les lobbies minoritaires (pêcheurs et écologistes pour l'essentiel), quoique non représentatifs des populations locales, essaient de préempter les territoires de communication de la "société civile", ce qui est exploité par l'administration comme paravent démocratique dans les cas de figure où ces lobbies politiques et sectoriels convergent avec les bureaucraties ministérielles sans objection des lobbies économiques (agriculteurs, industriels);
  • l'administration fonctionne de manière continûment et remarquablement opaque et autoritaire, tant dans un premier temps par sa bienveillance vis-à-vis de l'exploitant EDF (entreprise à capitaux publics) en situation irrégulière vis-à-vis de la continuité que dans un second temps par sa volonté centralisée d'accélérer le dossier pour en faire un symbole national;
  • alors qu'absolument toute la littérature scientifique internationale en gestion des rivières insiste (depuis 15-20 ans déjà) sur la complexité des restaurations écologiques par effacement et la nécessité d'intégrer les parties prenantes dans une gouvernance ouverte sur la longue durée, l'Etat a manifestement sous-investi dans le dossier, imaginant peut-être que changer la vie de dizaines de milliers de riverains sur la Sélune (et de millions d'autres en rivières classées de France) pouvait se faire par le simple jeu opaque de décisions de bureaux et de programmes centrés sur le seul bénéfice écologique des opérations.

La continuité écologique (l'écologie des rivières en général) passionne une petite minorité de personnes en France, mais à côté de cela, elle n'a aucune sanction démocratique réelle. Quand cette continuité implique la destruction de sites, elle doit engager des compensations et indemnisations vis-à-vis des intérêts lésés tout en développant des projets alternatifs de territoire. En d'autres termes, la continuité écologique est d'autant mieux tolérée qu'elle est… moins écologique, c'est-à-dire avant tout orientée vers une vision sociale, économique et paysagère de la vallée restaurée. Le discours public (ou celui des lobbies) consiste à dire qu'il s'agit là d'un déficit d'information, de compréhension, de pédagogie : les gens ne savent pas où se situe exactement leur intérêt véritable, et quand ils auront compris que le bien-être humain se confond avec celui du saumon, la lumière viendra. Bien que nous soyons plus soucieux que la moyenne du bien-être des saumons, nous ne partageons pas cette vision aussi condescendante que biocentrée: s'ils sont correctement informés, les gens ne sont pas spécialement disposés à sacrifier des propriétés, des loisirs, des cadres de vie, des paysages, des éléments du patrimoine et des outils de production énergétique pour un simple différentiel de poissons ou d'invertébrés dans un tronçon de rivière (espèces dont ils ignorent même l'existence pour beaucoup) et ils le sont d'autant moins que les pollutions chimiques de l'eau ne sont pas correctement traitées (ce qui se traduit sur la Sélune par des proliférations bactériennes dans les retenues). Les sciences sociales ont déjà largement défriché cette question des approches antagonistes dans la restauration de rivière, laquelle restauration ne peut plus être cantonnée au seul avis expert des sciences naturelles (voir par exemple Jørgensen et Renöfält 2012Rode 2015Druschke et al 2015Fox et al 2016).

Pour rendre démocratiquement tolérable la continuité écologique, il faut donc concevoir un projet plus vaste et plus inclusif, mais cela demande beaucoup plus de temps et d'argent qu'un simple chantier de travaux publics pour faire plaisir à des naturalistes et des pêcheurs. Pour ne pas l'avoir compris, l'Etat français est en train d'échouer complètement sur une politique de gestion des ouvrages hydrauliques et de restauration des rivières qu'il prétendait exemplaire en Europe. Nous payons sur la Sélune (et ailleurs) dix ans de dérives au cours desquels les services de la Direction de l'eau et de la biodiversité ont procédé à des interprétations maximalistes dans la lecture de la DCE 2000 comme de la LEMA 2006. Ségolène Royal est la première ministre de l'Environnement à l'avoir compris : il faut l'en féliciter, et non l'en blâmer ; et surtout souhaiter qu'elle sanctionne les responsables de cette dérive, ayant rendu à peu près ingérable ce dossier. Ceux qui s'imaginent qu'un départ de Ségolène Royal résoudrait la question et permettrait à la continuité écologique de reprendre son cours d'antan se trompent lourdement. Le message de la Sélune est d'ores et déjà clair : l'effacement répond à des logiques de bureaucraties et de lobbies contre l'avis des populations ; cette solution coûte très cher s'il faut réellement défendre l'intérêt général, qui ne se limite pas à l'intérêt des poissons dans notre République. Si les destructeurs voulaient passer en force dans la Manche, ce message n'en aurait que plus de portée nationale. D'autant que pour un effacement spectaculaire sur la Sélune, ce sont des milliers d'autres plus discrets qui passent tout aussi mal et qui ont déjà suscité une mobilisation sans précédent.

Alors que faire ? Comme dans tout projet fortement contesté, la première nécessité nous semble de reprendre une consultation publique dans de meilleures conditions, d'autant que les termes de la situation ont changé depuis 2014 (existence d'un repreneur, présentation d'un plan de valorisation socio-économique) et que plusieurs éléments importants ne figuraient pas clairement dans le premier projet (la question des crues modestes à l'aval, le risque de marée verte due à la fin du stockage des polluants et nutriments dans les retenues, etc. nous y reviendrons). Cela n'a rien d'exceptionnel : cela s'est passé ainsi pour le barrage de Sivens comme pour l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Cela ne préjuge d'ailleurs pas du résultat, la population locale peut très bien être séduite par le nouveau plan de valorisation.

Rappelons pour conclure que la DCE 2000 (avant elle les directives nitrates et eaux usées, après elle la directive pesticides) demande la lutte prioritaire contre les altérations chimiques et physico-chimiques de l'eau, permet de classer certaines rivières comme "masse d'eau fortement modifiée" (moindre exigence) et autorise à demander des exemptions à l'atteinte du bon état si le coût d'aménagement est trop important. L'Etat français a donc une vraie marge de manoeuvre sur ce dossier : la seule question est de savoir s'il veut une politique des rivières et des territoires réellement démocratique.

Nos articles sur la Sélune
(1) Le déni démocratique
(2) Bassin pollué et dégradé, risques sur la baie du Mont-Saint-Michel
(3) Le gain réel pour les saumons
(4) Le bilan coût-bénéfice déplorable de la destruction des barrages

Associations, élus, personnalités : comme déjà 2000 représentants des citoyens et de la société civile, nous vous demandons de vous engager aujourd'hui pour défendre les seuils et barrages de France menacés de destruction par une interprétation radicale et absurde de la continuité écologique. En demandant un moratoire sur la destruction des ouvrages, vous appellerez le gouvernement et son administration à cesser la gabegie d'argent public, à prendre en considération le véritable intérêt général au lieu de visions partisanes de la rivière, à chercher des solutions plus concertées pour l'avenir de nos cours d'eau, de leurs milieux et de leurs usages.

06/04/2016

La Seine, ses poissons et ses pollutions (Azimi et Rocher 2016)

Depuis 1990, la Seine francilienne a vu une augmentation de sa biodiversité piscicole totale (surtout dans la première partie de la période, stabilité depuis 12 ans), l'apparition d'espèces plus exigeantes en qualité de l'eau et une amélioration de son Indice d'intégrité biotique (IBI). Mais l'analyse des tissus des poissons montre une exposition persistante à certains métaux, aux PCB et aux pesticides. 

Le Siapp est un service public d'assainissement francilien. Ses ingénieurs viennent de publier une étude sur la qualité des eaux de la Seine et le peuplement des poissons.

Sur une période de 23 ans (1990-2013), les populations piscicoles ont été analysées sur 8 stations autour de Paris (Villeneuve-saint-Georges la plus en amont jusqu'à Triel-sur-Seine la plus en aval). L'Index d'intégrité biotique (IBI), qui mesure l'écart entre la population analysée et une population de référence a été analysé. Trois familles de polluants ont été cherchées ans les muscles des poissons (anguilles, gardons, chevesnes) : métaux, PCB et pesticides. Enfin, l'activité hépatique de l'ethoxyresorufine-O-de-éthylase (EROD) a été mesurée sur les chevesnes, cette enzyme étant considérée comme un marqueur généraliste de réponse à l'exposition aux toxiques.

Voici les principaux résultats de ce travail:

  • le nombre moyen d'espèces est passé de 14 à 21 (total 32 sur la période), avec une progression dans le premier tiers de la période, puis une quasi stagnation ensuite (à compter de 1999), ci-dessous évolution des captures ;



  • le nombre d'individus capturés n'a pas eu d'évolution significative (hors une pointe d'ablettes juvéniles en 1996);
  • les assemblages piscicoles ont vu davantage de limnophiles carnivores et de rhéophiles omnivores, avec une modeste apparition de rhéophiles carnivores et un renforcement d'espèces un peu plus exigeantes (grémille, sandre, chabot);
  • les contaminations des poissons au mercure, au zinc, au PCB ont été identifiées (mesure à compter de 2000), sans tendance claire (ci-dessous, contamination au PCB par kg de poids humide à gauche et de tissu gras à droite);


  • l'indice EROD a fluctué entre bon état et très mauvais état, avec notamment des mauvais résultats sur les années les plus récentes (ci-dessous, évolution EROD sur trois stations, plus la protéine est exprimée, plus forte est l'exposition aux toxiques).


Discussion
Les auteurs analysent l'augmentation du nombre d'espèces et l'apparition de poissons plus exigeants comme un signe d'amélioration de la qualité de l'eau, à la suite des investissements consentis sur les stations d'épuration (directive ERU - eaux résiduaires urbaines 1991).

La rivière a un état "bon" au regard de l'IBI. Cependant, il faudrait contrôler la pertinence de l'IBI, indice assez ancien des années 1980, plutôt conseillé sur des petites rivières que sur des fleuves, remplacé par l'IPR au début des années 2000 puis l'IPR+ quelques années plus tard. Comme les poissons exhibent toujours des marqueurs ou des traces d'une exposition aux toxiques, cela signale une faible sensibilité de cet indice à la détérioration chimique de l'eau ou des sédiments. La Seine restant massivement canalisée et ses berges aménagées, il est difficile de prédire une évolution de ses peuplements. L'apparition d'une plus grande biodiversité piscicole est une bonne nouvelle, mais la série est sans doute trop courte pour déceler avec quelque certitude des évolutions durables.

La persistance des PCB dans les analyses, malgré leur interdiction depuis 1987, indique qu'il sera long de liquider l'héritage des pollutions passées. Il est dommage que les pointes récentes de marqueurs d'exposition aux toxiques ne reçoivent pas d'explication claire.

Référence : Azimi S, V Rocher (2016), Influence of the water quality improvement on fish population in the Seine River (Paris, France) over the 19902013 period, Science of the Total Environment, 542, 955964

05/04/2016

Déclin mondial et séculaire des migrateurs diadromes en rivière (Limburg et Waldman 2009)

Agir sur la rivière au plan écologique, ce n'est pas déployer un catalogue de bons sentiments ni engager un répertoire d'actions désordonnées entretenant l'illusion trompeuse d'une "renaturation" à portée de main, à forte visibilité et à grands services rendus. La dynamique des espèces dans leurs milieux s'inscrit toujours dans le long terme des temps géologiques, biologiques et historiques. Il s'y dessine des tendances et des contraintes, dont la compréhension est complémentaire de l'analyse plus théorique (structurelle et fonctionnelle) du vivant. L'histoire est aussi une leçon de prudence et un garde-fou précieux: mieux on la connaît, plus on apprend de ses erreurs, plus on évite également l'illusion néfaste et narcissique de la toute-puissance du présent. C'est en ayant cela à l'esprit que l'on lira avec profit l'article de Limburg et Waldman sur la reconstruction de données historiques des grands migrateurs en rivières du bassin atlantique, suggérant la variabilité passée de leurs stocks couplée à une tendance lourde au déclin, avec des niveaux aujourd'hui historiquement et mondialement bas.

Les espèces diadromes vivent dans deux milieux (eaux douces et eaux salées) avec une phase migratoire sur une plus ou moins longue distance. Elles sont dites anadromes si la reproduction se passe en rivière, catadromes si elle se déroule en mer. Ces espèces représentent 1% de la faune mondiale de poissons, mais beaucoup ont ou ont eu une valeur importante pour les populations humaines : anguille et saumon en Europe, alose savoureuse (Alosa sapidissima, American shad) en Amérique du Nord, esturgeon, etc.

Karine E Limburg et Joh R Waldman (Université de New York) ont collecté les données sur 24 espèces diadromes, 3 communes au bassin Atlantique, 12 restreintes à l'Amérique du Nord, 9 à l'Europe et l'Afrique. Sur 35 séries historiques reconstituées, dont certaines remontent au début du XIXe siècle, les auteurs documentent 3 tendances à la hausse et 32 au déclin. Les niveaux atteints à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle sont historiquement bas. Sur les 35 séries, on observe une perte de 98% du maximum historique pour 13 d'entre elles, et d'environ 90% pour 11 autres.

De manière intéressante, on peut voir ci-dessous quelques courbes (esturgeon, alose savoureuse, grande alose, alose feinte, anguille, saumon, bar rayé).

Illustration in Limnurg et Waldman 2009, art. cit., droit de courte citation.

On observe que :
  • les courbes convergent pour la plupart avec une chute marquée dans la seconde moitié du XXe siècle, surtout à compter des années 1960-1970;
  • les courbes sont souvent très similaires de part et d'autre de l'Atlantique;
  • les courbes ne montrent pas forcément des recrutements constants aux époques antérieures (voir par exemple la courbe du saumon sur le Rhin au XIXe siècle ou celle de l'alose feinte aux Pays-Bas dans la première partie du XXe siècle, dans les deux cas une croissance à partir d'un état initial faible);
  • l'existence d'une variabilité interannuelle et pluridécennale marquée (d'origine incertaine, naturelle ou anthropique) doit inciter à développer des approches sur le long terme pour en comprendre les causes;
  • le niveau atteint dans la période récente est au plus bas.

Parmi les causes de ce déclin, les auteurs mettent en avant:
  • la construction des grands barrages, forcément impactante pour la phase migratoire, bloquant complètement les habitats amont de croissance (catadrome) ou de reproduction (anadrome), surtout dans la période 1920-1970 (pic de construction en Europe et aux Etats-Unis);
  • la surpêche, surtout dans la période 1850-1950 pour la phase dulçaquicole, ensuite pour la phase maritime, cette prédation ayant fait complètement disparaître certaines populations comme l'esturgeon et ayant un rôle majeur dans le déclin de l'anguille prélevée dès la phase juvénile;
  • les aménagements des fleuves (endiguement, canalisation), les artificailisations des berges et bassins versants, les extractions de granulat;
  • la pollution ou l'altération des eaux et des substrats (effluents agricoles, pollutions industrielles, domestiques et sanitaires, matière fine en suspension liés aux changement d'usages des sols, pluies acides), surtout à compter des années 1940-1960; 
  • le changement climatique, qui inclut la variation naturelle (passage du petit âge glaciaire des XIVe-XVIIIe siècle au réchauffement moderne pré-anthropique), la hausse forcée de température des rivières et les événements extrêmes plus fréquents (sécheresses, crues) mais aussi les impacts des changements océaniques de salinité, de circulation et de productivité du bassin Atlantique Nord;
  • les effets de l'aquaculture et des essais anarchiques de repeuplement sur certaines espèces (émergence de pathogènes, introgression génétique).

Limburg et Waldman proposent finalement une courbe "illustrative" des deux derniers siècles pour les espèces diadromes (images ci-dessous) où l'on voit des conditions correctes d'abondance jusqu'au XVIIe siècle, une tendance au déclin à compter du XVIIIe siècle, qui s'accélère ensuite nettement avec la hausse des pressions décrites ci-dessus et la perte d'intérêt pour les espèces diadromes. Les auteurs parlent en conclusion d'une "anomie sociale" comme étant à la fois cause et effet du déclin : les stocks diminuent, les pêcheries disparaissent, l'indifférence s'installe et renforce (à tout le moins laisse agir) les facteurs de déclin des stocks. Mais cet argument mériterait d'être discuté plus largement, car si certains écosystèmes ne rendent effectivement plus de services sociaux et économiques majeurs dans les sociétés industrialisées, il devient artificiel d'invoquer dans la sphère publique ces mêmes services comme supposé motif de restauration.


Illustration in Limnurg et Waldman 2009, art. cit., droit de courte citation.

Discusion
Un point que nous retiendrons en premier lieu pour discuter de cette étude, c'est l'impact quasi-nul de l'ancienne hydraulique dans le déclin historique des migrateurs diadromes. Rien dans les données rassemblées ne suggère que les aménagements modestes des rivières jusqu'au XVIIIe siècle (notamment la plupart des moulins) auraient une part notable dans la baisse de ces espèces de poissons, surtout marquée à compter du XXe siècle. Au demeurant, ce point est confirmé par des études plus fines de bassin permettant de comprendre quels aménagements ou contaminations ont entraîné des régressions historiques (voir par exemple cet article sur le saumon, cette recherche sur l'anguille) – sachant que des rehausses de moulins couplées à la surpêche vivrière pouvaient effectivement provoquer localement des raréfactions de migrateurs, notamment à partir du milieu du XIXe siècle. Quant à l'effet relatif de chacun des facteurs énumérés ci-dessus, il reste encore à déterminer pour la plupart des espèces. La suppression des barrages ré-ouvre "mécaniquement" des zones de fraie et de nourricerie mais à diverses conditions limitantes (si la rivière n'est pas polluée, ses substrats non colmatés, son eau en quantité suffisante et à température idoine, etc.), sans que l'on dispose d'un retour suffisant pour évaluer un effet à long terme sur la population globale des espèces.

Si l'on en devait en croire le protocole ICE de l'Onema, un obstacle de quelques dizaines de centimètres suffirait à représenter une grave entrave à la quasi-totalité des espèces mobiles ou migratrices. Les savants calculs hydrauliques et halieutiques de nos ingénieurs paraissent assez théoriques par rapport à la dynamique du vivant en situation réelle, car s'il fallait des conditions aussi drastiques de franchissabilité pour garantir la transparence migratoire et/ou la régénération des populations locales, nos rivières seraient dépeuplées de très longue date (même les castors ont fait des obstacles plus élevés pendant quelques millions d'années). Il paraît donc urgent de développer l'histoire de l'environnement (archéologie halieutique, analyse d'archives, phylogénie moléculaire) pour disposer de longues séries indispensables à la compréhension de l'évolution des populations et des milieux comme pour produire des données exploitables à échelle des bassins versants que l'on veut aménager.

Au regard du déclin mondial et moderne des stocks de grands migrateurs diadromes comme du coût public des politiques de rivières, il convient aussi de prendre du recul et de réfléchir au niveau de biodiversité que l'on peut et veut retrouver dans des bassins versants, sachant que l'on ne reviendra pas aux conditions pré-industrielles à horizon prévisible. Même si le retour d'espèces à forte symbolique sociale est un motif d'action partagé, on doit être capable de dresser une analyse critique sur les résultats réels des premières décennies d'effort pour recoloniser certains bassins.

La gestion écologique de la rivière est une nécessité née de notre meilleure connaissance des milieux. Mais cette écologie doit d'abord être une science appuyée sur des modélisations robustes, des expérimentations rigoureuses et des assertions prudentes, pas une politique administrative précipitée et encore moins une idéologie confuse de la renaturation.

Référence
Limburg KE, JR Waldman (2009), Dramatic declines in North Atlantic diadromous fishes, BioScience, 59, 11, 955-965

04/04/2016

Les barrages stockent 12% des excès mondiaux de phosphore (Maavara et al 2016)

L'Onema et les Agences de l'eau prétendent que les ouvrages hydrauliques nuisent à l'auto-épuration des rivières, argument pour mieux les effacer. Les chercheurs préfèrent s'intéresser à la réalité, à savoir l'exact opposé de la propagande administrative française : le rôle des barrages dans l'épuration des eaux polluées de divers effluents d'origine humaine. Une nouvelle étude de Taylor Maavara et sept collègues parue dans les PNAS établit ainsi qu'à l'échelle mondiale, 12% de la charge totale en phosphore sont éliminés par les barrages, chiffre qui pourrait atteindre 17% en 2030. Le phosphore est l'un des principaux responsables de l'eutrophisation des bassins aval, des lacs, des estuaires et des baies. Supprimer les barrages, c'est donc aggraver le bilan chimique de qualité de l'eau, ce qu'interdit la DCE 2000. 

L'activité humaine moderne perturbe à échelle planétaire les grands cycles naturels : eau, carbone, azote, phosphore, etc. Les fertilisants agricoles, l'érosion ou le lessivage des sols et les effluents des stations d'épuration induisent un excès de composés phosphorés dans l'eau. La charge globale en phosphore a ainsi doublé depuis l'époque pré-humaine, c'est-à-dire que plus de la moitié du phosphore circulant dans les masses d'eau est d'origine anthropique.

Le phosphore est rare dans la nature, et donc très vite assimilé dans les écoystèmes. Etant l'un des principaux facteurs limitants de la productivité primaire des milieux aquatiques, ses excès entraînent une eutrophisation des milieux. Si les barrages sont reconnus comme étant eux aussi un impact anthropique sur les rivières, ils interagissent avec le phosphore dans un sens plutôt favorable, en retenant, stockant ou éliminant une partie de la charge qui se trouve ainsi soustraite du continuum fluvial.

Pour évaluer le phénomène, Taylor Maavara et ses collègues ont produit un modèle de bilan de masse en séparant le phosphore total (PT) en quatre composantes : phosphore total dissous (TDP), phosphore organique particulaire (POP), phosphore échangeable (EP, les orthophosphates) et phosphore particulaire non réactif (UPP). La part biodisponible du phosphore (celle qui peut changer l'équilibre nutritif et que l'on nomme sa fraction réactive) concerne les trois premières formes. Le modèle consiste à estimer la part retenue par les barrages dans chaque compartiment, en fonction des autres paramètres d'efficacité de la séquestration comme le temps de résidence hydraulique (ci-dessous, représentation simplifiée des flux entrants et sortants du modèle).



Extrait de Maavra et al 2016, art cit, droit de courte citation.

Résultat de ce travail : les grands barrages retiennent en moyenne environ 40% de la charge de phosphore qu'ils reçoivent. Mais à l'échelle globale, compte-tenu de l'absence de barrages sur un grand nombre de rivières et de leurs dimensions variables, la proportion effectivement retenue serait de 12% de la charge totale de phosphore en 2000. Au regard des projets hydro-électriques annoncés dans les pays émergents d'Amérique du Sud, Afrique et Asie (3700 ouvrages programmés), ce chiffre pourrait monter à 17% en 2030.

Malgré ce rôle positif des ouvrages hydrauliques, la séquestration n'est donc pas suffisante pour contenir les excès de nutriments dont souffrent les milieux aquatiques. Cela suppose d'agir à la source des émissions ou sur d'autres modes de rétention dans les bassins versants.

Conclusion
Cette nouvelle étude vient après bien d'autres pour montrer le rôle positif des barrages dans la régulation des pollutions chimiques de l'eau (voir cette synthèse et notre rubrique auto-épuration) Pour quelle raison la France met-elle en avant la mystification de "l'auto-épuration des cours d'eau", comme si les contaminants disparaissaient magiquement des milieux une fois supprimés les seuils et barrages? Il faut probablement y voir la enième pseudo-rationalisation administrative de notre incapacité à lutter contre les pollutions à la source. Cette question est à mettre en avant dans tout projet d'effacement, car la Directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) telle qu'elle est interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne interdit tout projet dont on sait à l'avance qu'il peut dégrader l'un des compartiments de qualité de l'eau. Par exemple, alors que les pêcheurs de saumons et autres improbables "amis de la nature" trépignent pour effacer les barrages de la Sélune au profit de leur loisir auto-proclamé d'intérêt général, a-t-on au moins modélisé l'effet futur sur la baie du Mont Saint-Michel, sachant que le bassin versant de la rivière est très dégradé?

Référence : Maavara T et al (2016), Global phosphorus retention by river damming, PNAS, 112, 51, 15603–15608

03/04/2016

Michel Le Scouarnec: classement des rivières et harassement des seuils des moulins

Le sénateur Michel Le Scouarnec écrit aux Ministres de l'Environnement et de la Culture et leur demande quelles actions sont envisagées pour sortir du blocage complet de la politique de continuité écologique, en particulier de la pression sur la destruction des ouvrages de moulins. Rappelons que malgré les annonces, les Agences de l'eau continuent de financer la destruction du patrimoine historique et de son potentiel énergétique (lui donnant même des scandaleuses primes à 100% d'argent public en Adour-Garonne), les services DDT continuent d'envoyer aux maîtres d'ouvrage des menaces de mise en demeure au nom du L 214-17 CE, les services Onema continuent d'exiger des aménagements pharaoniques pour des gains minuscules, les syndicats de rivière continuent de détruire des seuils en rivière à état piscicole bon ou excellent (exemples à Nod-sur-Seine, à Tonnerre) ou en rivière massivement dégradée par d'autres facteurs que les moulins (exemple  à Champlost). La politique autoritaire de harassement des ouvrages hydrauliques est un naufrage au plan démocratique, une gabegie au plan économique et une absurdité au plan écologique : elle n'appelle plus des belles paroles ni des mesurettes symboliques, mais un complet changement de cap

Madame la Ministre,

Les moulins présents sur l’ensemble de notre territoire constituent une véritable richesse patrimoniale mais aussi environnementale. Pourtant, leur situation est source d’inquiétudes depuis plusieurs années, notamment en ce qui concerne les enjeux de la destruction des seuils.

En effet, la Directive cadre européenne 2000 sur l’eau (DCE2000), oblige les Etats membres à obtenir le bon état écologique et chimique des rivières et des masses d’eau. Pourtant, l’application de la loi dite LEMA de 2006, suite à l’application de la circulaire du 25 janvier 2010 dite Borloo, a remis en cause le principe de continuité écologique sur plusieurs points concernant particulièrement la gestion de l’eau. Les exemples sont nombreux en la matière entre le potentiel hydroélectrique délaissé, ou la perte de fonction des réserves d’eau, l’absence de garanties concernant les risques en aval… Cette circulaire Borloo prône même l’effacement systématique des ouvrages et des seuils des moulins.

De nombreux propriétaires ou professionnels du secteur s’interrogent sur le devenir de leur structure ou de leur ouvrage. Tous reconnaissent l’importance de la continuité écologique. Ils demandent simplement de mieux prendre en compte la réalité des milieux aquatiques.

Notre pays s’est engagé dans la transition énergétique avec une loi portant la volonté d’un nouveau mode de consommation et de production de notre énergie. Lors des débats, nous avions l’occasion d’échanger sur le sujet afin de trouver des solutions entre la gestion équilibrée de la ressource en eau et la préservation du patrimoine.

Par ailleurs, l’examen de la loi CAP n’a pas apporté de réponse satisfaisante pour le moment. Mais la prochaine lecture de ce texte permettra peut-être de construire une solution concertée et satisfaisante pour toutes les parties.

Aussi, je sais pouvoir compter sur toute votre bienveillance pour veiller à une conciliation harmonieuse des différents usages de l’eau dans le respect du patrimoine et des obligations de notre pays dans le cadre de la DCE2000.

Je vous prie de croire, Madame la Ministre, en l’assurance de mes sincères salutations.

Elus, associations, personnalités : rejoignez la campagne nationale pour un moratoire sur les effacements d'ouvrages et une politique raisonnée de continuité écologique. Près de 2000 soutiens dont 1000 élus et 275 associations représentant plus de 100.000 personnes en rivière classée.