15/07/2016

Pourquoi et comment gérer la fragmentation des rivières (Fuller et al 2015)

Trois chercheurs publient aux Etats-Unis une synthèse sur la fragmentation des rivières, ses causes, ses effets et les réflexions qui s'imposent aux gestionnaires. Ils concluent à la nécessité d'une étude fine de cette fragmentation et d'une hiérarchie des priorités d'intervention, informée par la science. Ce travail confirme, après d'autres, l'inconséquence des choix français depuis plusieurs années : classement massif de rivières à fin de défragmentation sur très court délai, absence de fondements scientifiques solides dans l'étude de chaque cours d'eau concerné, suppression inefficace d'obstacles sur la seule base du financement disponible (y compris de très petites barrières sans enjeu écologique réel), gabegie économique alors que les fonds sont limités, indifférence aux valeurs sociétales autres que les enjeux de conservation. L'administration française (direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Environnement, Agences de l'eau, Onema) doit sortir de son actuel déni irresponsable, reconnaître l'insuffisante préparation de sa programmation, acter l'immédiate nécessité d'une réforme en profondeur de la politique de continuité écologique. 

Matthew R. Fuller, Martin W. Doyle et David L. Strayer (Université Duke ; Institut Cary d'étude des écosystèmes) publient une synthèse (revue de la littérature scientifique) sur les causes et conséquences de la fragmentation des réseaux de rivières. Ils observent que cette fragmentation est l'un des paramètres qui modifie en profondeur la biodiversité des systèmes aquatiques, mais que son interaction avec d'autre facteurs (par exemple changement climatique, introduction d'espèces) et le délai temporel d'expression de ses effets n'en rendent pas l'étude ni la gestion aisées.

La diversité des discontinuités naturelles et anthropiques (et l'importance de prendre en compte la hauteur des barrages)
Un premier mérite des trois auteurs est de rappeler la grande diversité des formes de fragmentation des rivières. Les agents naturels de fragmentation physique sont les chutes, les cascades, les canyons, les lacs naturels, les zones humides (quand le lit de la rivière change de substrat, de vitesse, de température, de conditons hydrologiques), les barrages d'embâcles et les barrages de castor (l'espère nord-américaine étant plus industrieuse en surface que l'espèce européenne).

S'y ajoutent d'autres discontinuités naturelles : les rivières intermittentes (par tarissement des échanges avec une source ou une nappe, par perte en zone karstique), les zones hypoxiques ou à rupture thermique, les barrières biologiques que peut représenter la présence d'un prédateur ou de forts compétiteurs.

A ces agents naturels de fragmentation s'ajoutent les agents anthropiques, à commencer par les seuils et barrages (aux Etats-Unis par exemple, 87.000 barrages de plus de 3 m, 2 millions de seuils de moins de 3 m). Les chercheurs font remarquer : "Les barrages varient beaucoup en franchissabilité, depuis les hauts barrages avec des grandes retenues qui sont des barrières à peu près complètes aux organismes totalement aquatiques et des barrières fortes à des organismes ayant une phase terrestre ou aérienne, jusqu'aux barrages de faible hauteur avec des petites retenues, qui ne posent pas de problèmes à ces espèces avec stage aérien ou terrestre et qui sont franchissables au moins pendant les hautes eaux par les espèces aquatiques".

L'illustration ci-dessous montre à gauche les ordres de grandeur des agents naturels et anthropiques de fragmentation, à droite l'estimation d'effet en croisement perméabilité-longévité de l'obstacle, cliquer pour agrandir. (On observe que les petits barrages sont dans le même ordre d'impact que les barrages de castor, voir aussi par exemple Hart el al 2002)

Extrait de Fuller et al 2015, at cit, droit de courte citation.

Parmi les autres fragmentations anthropiques, Fuller et ses collègues citent les buses, les barrières chimiques de pollution (dont zones hypereutrophes, anoxiques), les barrières biologiques des introductions parfois massives d'espèces invasives et prédatrices.

Effets de la fragmentation: des conclusions divergentes, un certain "manque de clarté"
Les trois chercheurs observent que certaine études scientifiques rapportent un effet majeur de la fragmentation sur la biodiversité des systèmes d'eaux douces alors que d'autres ne trouvent pas d'impact notable ou considèrent la fragmentation comme un facteur moindre de dégradation. Ils parlent d'un "manque de clarté" dans les conclusions de la recherche, et l'attribuent à plusieurs causes possibles:

  • les pertes attribuables à la fragmentation sont souvent l'effet d'interaction avec d'autres facteurs, rendant difficile la discrimination des causes;
  • contrairement à des pertes instantanées (comme pour des pollutions aiguës par exemple), le plein effet d'une fragmentation peut prendre des années, voire des décennies;
  • certains effets de la fragmentation sont bénéfiques à la diversité, par la création de nouveaux habitats par rapport à ceux de l'hydrosystème naturel ("certains estiment que cette biodiversité artificielle a moins de valeur que la biodiversité naturelle", notent les auteurs);
  • l'effet de la fragmentation dépend de la taille des segments fragmentés (plus sévère dans des petits bassins avec petites populations);
  • toutes les espèces ne répondent pas avec la même vitesse, les migrateurs diadromes (par exemple salmonidés, aloses) répondant très vite en raison des longues distances à parcourir, les migrateurs potamodromes exprimant une réponse moins rapide (a fortiori les non migrateurs), cf par exemple ci-dessous une possible modélisation du risque d'extinction locale (cliquer pour agrandir).

Un exemple de modélisation à effectuer : la probabilité d'extinction d'espèces résidentes en fonction de la durée de l'isolement et la superficie du bassin concerné. Extrait de Fuller et al 2015, at cit, droit de courte citation.


Quelques conséquences pour le gestionnaire
Nécessité d'une analyse approfondie - "Tout cela suggère qu'il n'est pas raisonnable d'attendre un seul signal simple de la fragmentation sur tous les systèmes, toutes les espèces et toutes les barrières, et qu'une analyse approfondie de la fragmentation demandera des considérations prudentes sur la biologie des espèces, les régimes de perturbation, les autres impacts humains, les caractéristiques du réseau, les attributs des obstacles, et le temps".

Insuffisance des taux d'étagement / fractionnement / fragmentation - Les auteurs signalent la possibilité de calculer le taux de fractionnement (défini dans l'article comme TCL, total core lenght, soit la longueur totale du réseau minus la longueur totale de l'habitat modifié par l'agent de fragmentation, incluant l'influence amont et aval), une mesure parfois utilisée en France (voir cet article). Mais ils mettent en garde sur ces outils rudimentaires: "Bien qu'une statistique comme le TCL puisse être utile pour une évaluation grossière et une comparaison entre les réseaux de rivières, elle a plusieurs défauts.  D'abord, comme le DCI [dendritic connectivity index, taux de fragmentation en France], elle est très espèce-dépendante et demandera à être évaluée séparément pour chaque espèce ou guilde d'espèces. Ensuite, elle ne prend pas en considération la qualité de l'habitat libre [core habitats] ou des habitats affectés, alors qu'il est hautement improbable que tous les habitats libres seront adaptés ou que tous les habitats affectés seront inadaptés aux espèces d'intérêt. De plus, l'effet à échelle du réseau d'un système d'obstacles dépendra de la forme du réseau de drainage (…) Finalement, et comme nous le discutons, toutes les métriques de fragmentation et de connectivité sont fonction des caractéristiques des agents de fragmentation".

Définir un optimum de fragmentation sur chaque rivière - "Plutôt qu'assumer simplement que la fragmentation devrait être restaurée à ses niveaux naturels, le gestionnaire doit d'abord décider du niveau optimum de fragmentation pour atteindre un objectif de conservation (…) L'ajustement de la franchissabilité des obstacles demande une attention particulière. Dans certains cas, la suppression de l'obstacle n'est pas faisable, nécessaire ou le meilleur usage de ressources limitées".

Intégrer les effets positifs et les valeurs sociétales, être sélectif dans l'aménagement des obstacles - "Cette analyse [de la fragmentation] demandera de prendre en considération le coût et la faisabilité de l'effacement de chaque obstacle, ses bénéfices potentiels pour les espèces cibles, et tous ses effets secondaires, soit positifs soit négatifs, sur d'autres objectifs de conservation ou sur les valeurs sociétales. Historiquement, le statu quo a consisté à supprimer toute barrière du réseau fluvial pourvu qu'un financement puisse être obtenu. Cependant, cette approche ad hoc pour gérer la fragmentation peut ne pas être la manière la plus efficiente d'allouer des fonds limités. Dans les cas où la conservation d'espèces est une priorité, les gestionnaires devraient plutôt choisir des frappes chirurgicales sur des obstacles qui affectent de façon disproportionnée l'espèce d'intérêt, même s'il en résulte moins d'effacements d'obstacles dans l'ensemble".

Commentaires: la politique française de continuité écologique, rudimentaire, surdimensionnée et sous-informée
Le travail de Matthew R. Fuller et de ses deux collègues jette une lumière crue sur les insuffisances de la politique française de continuité écologique (voir cette introduction aux dérives de l'interprétation française de la continuité ; voir cet exemple de travaux assez sommaires ayant inspiré le gestionnaire). Qu'observons-nous en effet ?

  • De 10.000 à 15.000 ouvrages ont été désignés à fin d'aménagement dans un délai très court (5 ans), soit une dépense virtuelle de milliards d'euros sans la moindre analyse scientifique à la base de la programmation nationale (PARCE 2009) ou des programmations de bassin (classements 2012-2013).
  • Les rivières ne font pas l'objet de diagnostic écologique complet, ni de diagnostic détaillé de leur connectivité rapportée aux peuplement biologiques d'intérêt (voir cet article). 
  • Le choix des aménagements réalisés n'a presqu'aucune justification écologique empirique par rapport à la réalité du réseau hydrographique, à l'état de sa biodiversité, aux données sur la dynamique de ses populations piscicoles et à la franchissabilité de l'obstacle, il résulte de la rencontre entre un diagnostic sommaire et un financement complaisant par Agence de l'eau (en faveur de l'effacement dans la majorité des cas).
  • Ce sont souvent les ouvrages les plus modestes (seuils et chaussées déjà partiellement franchissables, sans emprise sur le lit majeur etc.) qui sont traités les premiers, et le gestionnaire n'a pas hésité à donner le mauvais exemple en découpant le classement de continuité écologique pour éviter les principaux blocages (grands barrages, souvent de gestion publique, voir cet article).
  • Les choix d'aménagement sont centrés quasi-exclusivement sur des enjeux de conservation piscicole (sans modélisation du bénéfice démographique réel sur les espèces concernées), et les autres dimensions des ouvrages (paysage, patrimoine, énergie) sont négligées, alors que le mode européen d'occupation et valorisation des territoires est différent de l'expérience nord-américaine, ce qui demanderait des grilles spécifiques de priorisation.
A ces carences scientifiques de la programmation s'ajoutent les dérives démocratiques de la mise en oeuvre : la gouvernance de la continuité écologique est déplorable, avec des choix autoritaires, verticaux, non-concertés, multipliant les effets opaques de pouvoir au sein de strates administratives, favorisant la reproduction d'une vulgate dogmatique et simplifiée dont la survie tient, non pas à sa valeur intellectuelle médiocre, mais à la confidentialité et à la complexité du sujet qui autorisent la morgue de (prétendus) "sachants" vis-à-vis de (supposés) "ignorants".

La continuité écologique à la française n'a pas besoin de réformettes à sa marge, mais d'une révision complète de sa programmation et de sa mise en oeuvre.

Référence : Fuller MR et al (2015), Causes and consequences of habitat fragmentation in river networks, Annals of the New York Academy of Sciences, 1355, 1, 31–51

A lire sur le même thème
Développer des grilles de priorisation écologique des ouvrages hydrauliques (Grantham et al 2014)

12/07/2016

Lettre à Ségolène Royal sur ses instructions que l'on ignore et sur les moulins que l'on détruit

Face à la poursuite des effacements systématiques d'ouvrages hydrauliques en Côte d'Or et dans l'Yonne, l'association Hydrauxois demande à la Ministre de l'Environnement de faire respecter l'instruction aux préfets de décembre 2015 sur le gel des destructions de moulins, dans l'attente des recommandations du CGEDD. Nous remercions par avance nos lecteurs icaunais et cote-doriens d'informer leurs élus parlementaires de cette question et de leur demander de saisir à leur tour la Ministre (lettre complète téléchargeable à ce lien). 



Madame la Ministre,

La mise en œuvre de la continuité écologique des cours d’eau, plus particulièrement le choix administratif de privilégier la destruction des ouvrages réputés « sans usage », soulève une vive indignation et une opposition croissante au bord des rivières.

Pour cette raison, le 9 décembre 2015, vous avez écrit aux préfets de France pour leur demander de mettre transitoirement un terme aux effacements problématiques de moulins ou autres ouvrages particuliers, en même temps que vous avez sollicité une nouvelle mission du CGEDD (la troisième sur ce dossier) en vue de comprendre la nature des blocages. Nous avons salué ce geste et nous vous en remercions par la présente. Nous avons d’ailleurs rencontré les inspecteurs chargés de cette mission, dans un esprit très attentif aux problèmes associés à la mise en œuvre de la continuité écologique.

Hélas, force est de constater que votre volonté d’apaiser la situation en écartant temporairement les solutions destructrices n’est pas toujours respectée.

Nous en voulons pour preuve les cinq projets d’effacement (huit ouvrages au total) exposés en annexe de ce courrier, pour lesquels notre association en lien avec plusieurs consoeurs et des collectifs de riverains a été amenée à donner un avis négatif en enquête publique.

La diversité des rivières (Seine, Ource, Armançon, Cousin) et des maîtres d’ouvrage par délégation (Sicec, Sirtava-SMBVA, Parc naturel régional du Morvan) concernés rappelle hélas combien la destruction du patrimoine, du paysage et du potentiel énergétique des rivières tend à devenir une option routinière pour le gestionnaire.

Nous ne pouvons nous y résoudre.

Il s’agit d’abord de préserver un certain cadre de vie et un certain héritage culturel auxquels les riverains sont légitimement attachés. Quand les deux-tiers des habitants d’un village signent une pétition pour demander la conservation du plan d’eau du moulin et la recherche d’une solution non-destructrice dont chacun sait qu’elle existe, est-ce normal de voir le syndicat de rivière, l’Agence de l’eau et l’ensemble des services instructeurs persister dans la solution définie à l’avance (et totalement financée sur fonds publics) de la casse pure et simple du patrimoine hydraulique concerné?

Il s’agit aussi de s’opposer à une gabegie d’argent public : chaque effacement coûte ici de l’ordre d’une centaine de milliers d’euros, pour de très petits ouvrages, dans des zones rurales où de telles sommes ne sont pas anodines. Cette dépense heurte les citoyens dans une période difficile pour tout le monde, de surcroît dans un domaine (la gestion et la qualité des rivières) où de nombreux besoins ne sont pas aujourd’hui satisfaits – qu’il s’agisse de la lutte contre les pollutions diffuses agricoles, industrielles et domestiques, de la mise aux normes des assainissements face aux micropolluants émergents, de l’adaptation au changement climatique ou encore de la prévention des inondations, dont l’actualité récente a rappelé toute l’urgence.

Une représentation fausse voudrait que les propriétaires d’ouvrages hydrauliques, les riverains et les usagers s’opposent à la version destructrice de la continuité écologique au nom d’un conservatisme (voire d’un passéisme) et d’une méconnaissance de l’écologie des milieux aquatiques. Il n’en est rien, et les cas que nous vous soumettons le démontrent. Car la critique que nous portons aux effacements d’ouvrages est aussi, en bonne part, une critique écologique.

Qu’observons-nous en effet dans les cinq chantiers d’effacement concernés par cette lettre?

  • Les indices poissons rivières des tronçons (bio-indicateurs DCE de qualité piscicole) sont déjà bons voire excellents, alors que les ouvrages fragmentent le lit depuis plusieurs siècles,
  • ces ouvrages sont tous de tailles très modestes et partiellement franchissables aux migrateurs (ici truites, anguilles) objets du classement L 214-17 CE des rivières,
  • les gestionnaires ignorent les travaux scientifiques d’histoire environnementale attestant la présence abondante des espèces d’intérêt à l’époque des moulins ou la stabilité séculaire des peuplements piscicoles,
  • le risque de pollution chimique des sédiments remobilisés est négligé dans quatre des cinq chantiers,
  • les biefs et retenues sont réputés des habitats « dégradés » sans même procéder à une analyse in situ de la biodiversité et à un examen de leur rôle refuge lors des étiages sévères ou lors des crues (ce qui a par exemple été attesté pour des espèces d’intérêt patrimonial comme les moules d’eaux douces),
  • le rôle favorable des zones d’eaux lentes pour l’épuration des nutriments et des pesticides est ignoré, et son effet est donc non mesuré sur les sites,
  • le rôle de barrière qu’ont parfois les seuils pour de petites espèces invasives est également laissé de côté,
  • la possibilité de produire de nouveau une énergie hydro-électrique à excellent bilan carbone est écartée, alors que le changement climatique est désigné comme la menace de premier ordre pour les milieux et les sociétés, sa prévention étant en conséquence notre premier devoir collectif.

L’effacement des seuils ne relève pas seulement d’une « écologie punitive » (ici même « destructive ») que vous avez jadis condamnée — à juste titre car jamais les citoyens ne s’intéresseront réellement et durablement à leur environnement sous l’effet de la menace réglementaire ou du chantage financier à quoi se résume pour le moment la mise en œuvre de la continuité écologique. Cet effacement des seuils relève plus gravement d’une écologie non fondée sur la preuve et la donnée, une écologie arbitraire où l’on met en œuvre machinalement des solutions toutes faites, le rapport du bureau d’études offrant le service minimum pour légitimer une programmation de toute façon décidée à l’avance.

Car quelle est donc cette « écologie » qui ne prend pas soin de déjà mesurer avec précision l’état biologique, chimique et physique de chaque rivière (comme nous y oblige pourtant la DCE depuis 16 ans), de définir de vraies priorités grâce à des modèles scientifiquement éprouvés, d’étudier longuement les écosystèmes qu’elle prétend améliorer, d’écouter ce qu’attendent les riverains en terme de services rendus par ces écosystèmes, de pratiquer la concertation avec tous les acteurs associatifs (et non une sélection parcimonieuse d’entre eux), de concilier les motifs d’intérêt général propres à une gestion équilibrée de l’eau, ce qui inclut le patrimoine, le paysage, l’énergie bas carbone qui pourrait être remobilisée sur chaque site?

Madame la Ministre,

Comme plus de 300 associations de terrain ayant déjà signé l’appel à moratoire sur les destructions d’ouvrage dans le cadre de la continuité écologique, nous passons chaque année des milliers d’heures bénévoles à étudier, protéger, valoriser, faire connaître et ré-équiper l’exceptionnel patrimoine hydraulique de nos territoires. Certains seuils et petits barrages sont effectivement « sans usage » aujourd’hui… mais le temps de vie de ce patrimoine se compte en siècles, et nous pourrions vous donner des dizaines d’exemples d’ouvrages qui ont finalement été restaurés avec soin, et parfois équipés pour produire une énergie locale et propre. De même, certains seuils et barrages ne sont pas correctement gérés : nous sommes les premiers à rappeler à nos adhérents leurs devoirs vis-à-vis de la rivière et des tiers, à participer à des médiations quand il y a des problèmes ainsi qu’à les informer des nouvelles approches en gestion des milieux aquatiques.

Au classement des rivières de 2012 et 2013, lors des premières tentatives pour convaincre certains maîtres d’ouvrage de la soi-disant urgence d’effacer leurs ouvrages hydrauliques, nous avions d’abord cru à un malentendu dû à quelques excès locaux d’interprétation. Après tout, ni la loi sur l’eau de 2006 ni la loi « Grenelle » de 2009 créant les trames bleues n’ont jamais cité dans leurs textes cette option d’effacement des seuils et barrages, appelant au contraire à les gérer, aménager, équiper ou entretenir.

Depuis 3 ans, force a été de constater que la volonté prioritaire de détruire répond, non pas à quelques excès locaux de zèle, mais bien à une programmation systématique par la direction de l’eau et de la biodiversité de votre Ministère comme par certaines Agences de l’eau. Sur les rivières concernées par les effacements nous menant à vous saisir, et alors même que de nombreuses solutions sont supposées être envisageables, il nous est au demeurant impossible de vous citer pour cet été 2016 un seul chantier de passe à poissons ou un seul protocole de gestion des vannes : n’est-ce pas le témoignage d’un déséquilibre manifeste dans la mise en œuvre du classement des rivières, en faveur des solutions radicales et irrémédiables de disparition des ouvrages et de tout leur hydrosystème associé?

Nous avons signalé aux services de Mme la Préfète de Côte d’Or et de M. le Préfet de l’Yonne, en copie de cette lettre, que nous nous opposerons aux destructions programmées sur nos rivières, par voie contentieuse si cela devenait nécessaire. Nous espérons bien sûr ne pas en arriver là, car le conflit est synonyme d’échec. Chacun d’entre nous a un besoin précieux de temps et d’énergie pour accomplir des choses positives et constructives, en particulier pour améliorer nos cours d’eau, pour préserver leurs patrimoines naturels et culturels, pour développer leurs usages en bonne intelligence, pour léguer aux générations futures une rivière vivante et humaine à la fois.

Nous sollicitons donc de votre vigilance et de votre bienveillance le rappel de votre instruction du 9 décembre 2015 et le gel effectif des effacements d’ouvrages tant que la mission du CGEDD n’a pas produit des recommandations permettant de déployer des bonnes pratiques dans la gestion écologique des rivières.

Illustration : le seuil et le site du moulin de Perrigny-sur-Armançon, menacés de destruction imminente.

10/07/2016

Diagnostic écologique de chaque rivière: le travail que nous attendons des gestionnaires

Aujourd'hui les Agences de l'eau abondent les syndicats pour toutes sortes d'opérations disparates en rivières, sans grande cohérence ni pertinence, ce que nous avons appelé le greensplashing. C'est une dépense non optimale d'argent public, qui interdit d'asseoir un discours légitime, fondé sur la donnée et la preuve au service des décisions, particulièrement quand ces dernières sont contestées. Ce qui est le cas de certains chantiers de continuité écologique. Au commencement de toute action sur une rivière en son bassin versant, il doit exister un diagnostic complet des masses d'eau, et si possible un modèle de priorisation. Nous en sommes très loin, et au lieu de dépenser des fortunes pour des travaux sur sites de bureaux d'étude, commençons par proposer comme préalable (donc financer) une étape d'acquisition et d'interprétation des données, suivie d'une explication aux citoyens sur la réalité des enjeux et d'un échange sur leurs attentes par rapport à la rivière.  

Dans les cinq opérations en cours d'effacement sur les rivières du Nord de la Bourgogne, nous avons constaté la persistance des travers que nous déplorons depuis plusieurs années déjà. Autant l'écologie comme orientation de l'action en rivière est brandie par le gestionnaire avec fierté (mais de manière souvent assez abstraite et générique), autant l'écologie comme science et comme pratique est très négligée par la faible exigence des travaux préparatoires. Le cas particulier des ouvrages hydrauliques fait l'objet de diagnostics biaisés quand il s'agit d'objectiver l'intérêt relatif du chantier au plan écologique et d'estimer son intérêt général par la conciliation entre l'écologie et d'autres enjeux relevant eux aussi d'une forme de bien commun (paysage, patrimoine, etc.).

Certains pensent que l'association Hydrauxois s'oppose systématiquement à l'effacement. C'est inexact : notre association s'oppose (et s'opposera) systématiquement à l'effacement défini a priori et de manière dogmatique comme une solution préférable, ainsi qu'à la dépense publique sans garantie de résultat. L'écologie n'est pas un domaine où l'on procède par décision centralisée, lointaine et autoritaire : on doit toujours partir des faits d'observation de l'écosystème concerné. Nous attendons en conséquence des syndicats (donc des Agences de l'eau qui financent la connaissance et l'action) la base élémentaire de toute concertation sur une masse d'eau : une information complète (des données), un régime de démonstration (des preuves ou faisceaux de présomption), un engagement de résultats (des suivis). Mais aussi une écoute des citoyens dont la rivière est le cadre de vie, écoute ne pouvant se résumer à l'imposition d'une programmation définie à l'avance.


Ce que les syndicats doivent réunir sur chaque bassin (des données objectives et complètes)
Les informations ci-dessous sont la base d'un modèle de décision : idéalement un modèle conçu par des chercheurs (mais l'écologie appliquée est très en retard par rapport à ses prétentions de conservation et restauration des milieux), par défaut un arbre de décision dont chaque étape s'appuie sur des réponses objectives, avec des niveaux de confiance dans la robustesse de l'information disponible – des données peu fiables devant conduire, par précaution, à l'abstention.

Analyse de l'ensemble des indicateurs DCE : état biologique (poissons, diatomées, invertébrés, etc.), état physico-chimique (dont nutriments et gradient verticaux / longitudinaux de température), état chimique (contaminants type pesticides), sur un nombre variable de points de contrôle selon la précision des phénomènes à caractériser (par exemple des sources localisées de pollutions, des ruptures thermiques, etc.). Certaines mesures peuvent être étendues au-delà des strictes obligations DCE (par exemple, analyse chimique des micropolluants dont on sait qu'ils excèdent largement la cinquantaine de substances contrôlées par le rapportage DCE).

Analyse morphologique et sédimentaire : l'ensemble des descripteurs sur les berges et le lit, la granulométrie, le substrat et son colmatage, les annexes, la connectivité latérale aux écotones du lit majeur, etc. Vue d'ensemble de la dynamique fluviale par l'usage de l'outil SYRAH avec descriptions des pressions de bassin connues (dont usages des sols) et application du protocole CARHYCe sur des stations représentatives.

Description complète des obstacles à l'écoulement : au sein de la morphologie, le cas des obstacles longitudinaux doit faire l'objet d'un focus détaillé en rivière classée au titre de la continuité écologique, c'est-à-dire calcul du taux d'étagement ou taux de fractionnement, du taux de fragmentation (discontinuité rapportée à la connectivité des affluents et annexes de l'exutoire principal analysé), indices de franchissabilité ICE sur chaque ouvrage par espèces et par gamme de débit.

Analyse piscicole détaillée : analyse par indice poisson rivière révisé IPR+ (et non pas des biotypologies théoriques relativement désuètes comme Verneaux 1976-77), avec toutes ses métriques constitutives (pour un diagnostic fin), sur des stations représentatives du bassin, en zone de libre écoulement et en zone anthropisée, selon une répartition pertinente par rapport à la nature de la fragmentation (zoom autour des grands obstacles, des accumulations d'obstacles). Focus si nécessaire sur le cycle de vie local des migrateurs.

Inventaire de biodiversité : outre les motivations factuelles des zonages de protection (Znieff, Natura 2000, corridors biologiques TVB), il est utile de disposer de l'inventaire le plus complet possible de la biodiversité des masses d'eau (dont lacs, étangs, retenues) du bassin, en s'appuyant sur les travaux naturalistes et des campagnes d'observation.

Recherche en histoire de l'environnement local : l'état instantané d'un système ne dit rien sur sa trajectoire, sur la manière dont il se comporte (évolue, bifurque, oscille, etc.), alors que le vivant est par nature dynamique. Il est préférable d'avoir le maximum de données en profondeur historique, pour comprendre la variabilité de la rivière sur ses paramètres biologiques, physiques, chimiques (par exemple données hydro-climatiques, archives de pêches anciennes, relevés CSP depuis 50 ans, phylogénie moléculaire, paléo-écologie, archéologie et histoire du bassin dont stratigraphie, cartographies anciennes, etc.).

Bancarisation et intégration de ces données : il ne suffit pas d'avoir des données, encore faut-il les exploiter. Nombre de gestionnaires souffrent du syndrome d'empilement des "rapports enfermés dans le tiroir" : on commande des tas d'études (pour avoir un sentiment de confiance), sans vérifier que les résultats seront exploitables et additionnables aux travaux déjà existants, ni intégrables aux référentiels développés par l'expertise publique (Onema Irstea). Parfois même sans tirer les conséquences de ce que dit réellement l'étude!


Ce que les bureaux d'études doivent réaliser sur chaque ouvrage (de vraies analyses multicritères)
Une fois que l'on a un diagnostic satisfaisant de la rivière, on peut décider de quelques priorités de l'action. Quand on en vient au cas des ouvrages hydrauliques, les descripteurs biologiques, physiques et chimiques sont requis sur une analyse stationnelle (amont retenue, retenue, aval chute).

S'y ajoutent les éléments indispensables de la grille multicritères demandée par le CGEDD depuis 2012, mais presque jamais mise en place :
  • enquête historique et culturelle (valeur patrimoniale du bien)
  • enquête de riveraineté du plan d'eau et du bief (représentations, attentes et usages par rapport à l'hydrosystème existant / futur) 
  • analyse de risque (espèces invasives, perte de biodiversité locale, remobilisation de sédiments pollués, érosion régressive, tenue du bâti riverain)
  • analyse chimique de l'effet épurateur du ralentissement local de l'écoulement
  • analyse juridique et économique (droit d'eau, droit des tiers, indemnisation, analyse coût-avantage de hypothèses d'aménagement, bilan objectivé des services rendus par les écosystèmes avant/après).
Pour finir, le rôle du bureau d'étude en préparation d'enquête publique est de rendre lisible et non illisible l'information :
  • dans un chantier écologique, il faut exposer clairement et principalement l'impact du système actuel (en quoi il présente un caractère de gravité) ainsi que les gains écologiques attendus (comment on les garantit et comment on les mesure);
  • l'élément-clé de tout dossier devrait être l'analyse coût-avantage avec tous les critères correctement pris en compte, car c'est cela qui intéresse les citoyens (comprendre les avantages, les inconvénients, le sens de la dépense d'argent public);
  • les informations (volumineuses, souvent plus de la moitié du dossier) sur le contexte réglementaire servent principalement au service instructeur de l'administration pour vérifier la validité du projet, elles peuvent aller en annexes ou dans un livret séparé (pour ne pas égarer le citoyen dans une masse d'information sans rapport direct avec l'objet du chantier)
Aucun des projets d'effacement sur lesquels Hydrauxois a donné un avis négatif à cet été 2016 ne répondait à ces critères, même de loin. Ni l'Agence de l'eau Seine-Normandie (qui finance ces diagnostics sur argent public) ni la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère (qui fixe les règles de qualité) n'ont fait de cette approche complète et équilibrée un prérequis de l'action.


Les objections irrecevables à nos demandes

"Ces informations sont inutiles, on en sait déjà assez" : c'est évidemment absurde, l'écologie est une science du contexte et de la complexité. Faire des choix sur une base lacunaire ou en appliquant mécaniquement des préceptes trop généraux produira des échecs voire des effets négatifs (ce qui est hélas fréquent, voir cette synthèse). La moindre des choses quand on intervient sur un tronçon en vue d'améliorer son environnement, c'est de posséder tous ses descripteurs pertinents. Dans tout domaine un tant soit peu technique et scientifique, on agit ainsi : aurait-on confiance dans le prescription d'un médecin qui ne vérifie pas tous les symptômes de son patient, ne procède pas à tous les examens nécessaires au diagnostic, ne se renseigne pas sur l'état actuel des sciences de la vie et de la santé? Eh bien la rivière, que l'on prétend justement "soigner " voire "sauver", attend exactement le même engagement de rigueur.

"Ces informations sont impossibles à réunir" : beaucoup d'entre elles sont obligatoires au regard de nos engagements européens nés de diverses directives sur l'eau, notamment depuis 16 ans pour la DCE. Il serait inquiétant pour les citoyens d'entendre que nous sommes incapables de caractériser l'état de nos masses d'eau. Après, il est clair que réunir toutes les informations prend du temps, exige une planification rigoureuse et demande une vision claire des besoins propres à l'écologie des rivières. Mais c'est justement le but des SDAGE, des SAGE, des contrats rivières et autres outils de programmation à échelle de bassins ou de rivières. On ne crée pas ces outils pour produire des catalogues approximatifs de dépense de l'argent public, mais pour garantir l'intelligence, la cohérence et le pertinence des actions.

"Ces informations sont bien trop coûteuses" : nous l'avons déjà fait observer, c'est une question de répartition des lignes budgétaires au sein des programmes d'intervention des Agences. L'argent existe (de l'ordre de 3 milliards d'euros à investir par an sur la métropole), c'est son utilisation qui est en question. Agissons un peu moins dans la précipitation (ce qui coûte cher), travaillons un peu plus sur les connaissances et les diagnostics, ainsi que sur la concertation. Nous dépensons déjà des fortunes pour des rapports locaux de bureaux d'études qui ne servent pas toujours à grand chose, au lieu de financer une solide base publique et interopérable de données, ainsi que des modèles de priorisation qui permettraient pas la suite de dépenser moins, mais mieux.

"Ces informations demandent un temps que nous n'avons pas". Cette objection est sans doute la plus fondée, mais elle révèle un dysfonctionnement majeur de la politique publique de l'eau. Nous nous sommes donnés des objectifs irréalistes, dont chacun sait qu'ils sont impossibles à atteindre : par exemple traitement de 10.000 à 15.000 ouvrages hydrauliques en 5 ans (classement de continuité 2013-2018), bon état chimique et écologique des 100% des masses d'eau en une génération (DCE 2000-2027). Ces programmations sont assorties d'obligations de rapportage et de contrôle se traduisant par une manie du bilan "autojustificateur". L'effet est catastrophique : perte de crédibilité de la parole institutionnelle par des objectifs insensés, produisant d'inévitables échecs suivis de contorsions dissimulatrices ; pressions court-termistes d'urgence voire de précipitation contraire à la sérénité d'une politique publique et, particulièrement dans le domaine de l'environnement, à l'exigence de concertation avec les citoyens ; caractère de plus en plus désincarné, mécanique (programmes et normes indiscutables) de l'action en rivière au lieu d'un travail d'implication des riverains.

Illustration : la Cure à Bessy. Sur ce chantier d'aménagement d'ouvrage, tout comme sur la Brenne à Montbard, notre association a d'ores et déjà alerté le gestionnaire et les services instructeurs sur le fait que le diagnostic réalisé n'est pas complet. Soit on continue à vouloir "faire du chiffre" en appliquant le dogme d'effacement prioritaire du financeur des études et des chantiers (ici Agence de l'eau Seine-Normandie), soit on prend le temps d'estimer complètement les impacts et les enjeux, d'objectiver le gain écologique attendu, de discuter les attentes et les objections des citoyens concernés, de chercher des solutions de consensus dans une logique de "gestion durable et équilibrée" voulue par la loi.

08/07/2016

Développer la petite hydro-électricité en Bourgogne Franche-Comté

Nous reproduisons un communiqué de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), direction régionale Bourgogne Franche-Comté, sur l'aide aux porteurs de projets en petite hydro-électricité. Nous en profitons pour saluer le remarquable travail de terrain de l'Ademe et des associations partenaires (BER, Adera), en lien avec le Conseil régional et la Dreal énergie, dont les équipes ont toujours été disponibles pour assister les propriétaires de moulins ou usines à eau dans leurs démarches.   



Accompagnement des propriétaires de petites centrales hydroélectriques ou de moulins en Bourgogne Franche-Comté

Afin d’optimiser le fonctionnement technique et écologique des petites centrales hydroélectriques de Bourgogne Franche-Comté, l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), en partenariat avec la région Bourgogne Franche-Comté, a choisi de mandater deux associations locales (BER et ADERA) pour accompagner les propriétaires de petites centrales hydroélectriques ou de moulins dans leur projet de rénovation, d’optimisation et/ou d’amélioration de la prise en compte de l’écologie des cours d’eau.

La mission d’accompagnement, de conseils et d’animations confiée aux associations BER et ADERA
Au cours de l’année 2016 et grâce au financement de l’ADEME Bourgogne Franche-Comté, les porteurs de projet bénéficieront d’une mission neutre, objective et indépendante.
Les conseillers de BER (Bourgogne Energies Renouvelables) ou de l’ADERA (Association pour le Développement des Energies Renouvelables et Alternatives) accompagneront les actuels ou futurs producteurs d’électricité pour leur permettre :
  • de réaliser une analyse d’opportunité pour la remise en service ou l’optimisation d’une centrale hydroélectrique;
  • de définir et organiser les étapes de leur projet; 
  • de mieux connaître les acteurs régionaux (techniques, administratifs, financiers); 
  • de mobiliser des aides financières.
BER et ADERA ont aussi pour mission d’organiser des visites d’installations régionales et de favoriser des échanges entre producteurs d’hydroélectricité.
Pour en savoir +, contactez :
  • Cyril Chapeleau (BER) au 03 80 66 54 57 ou cyril.chapeleau (at) ber.asso.fr pour les départements 21, 58, 71, 89 
  • Fabrice Bouveret (ADERA) au 03 84 92 12 86 ou fb.adera (at) orange.fr pour les départements 25, 39, 70, 90
Illustration : la vis d'Archimède de Champdôtre sur la Tille, qui a commencé à produire en 2014, un projet alors soutenu par l'Ademe Bourgogne. 

07/07/2016

Avis négatif sur l'effacement de l'ouvrage de Perrigny-sur-Armançon, demande au préfet de surseoir

Avec les projets de Tonnerre et de Perrigny, le syndicat de l'Armançon (SMBVA ex Sirtava) confirme sa volonté manifeste de gâcher l'argent public à détruire le maximum d'ouvrages hydrauliques du bassin, alors même que la taille modeste de ces seuils ne constitue aucunement une entrave à la circulation des migrateurs de la rivière ni un problème de transit sédimentaire. Nous combattrons bien évidemment ces projets absurdes par tous les moyens. Voici notre avis sur le seuil du moulin de Perrigny-sur-Armançon, près d'une centaine de riverains ayant déjà signé une pétition en faveur de son maintien. Dernier jour de l'enquête publique : le 8 juillet de 10 à 13 h en mairie de Perrigny.



Considérant que Mme la Ministre de l'Environnement, par lettre d'instruction du 9 décembre 2015 adressé aux Préfets, a écrit : «Dans l’immédiat, sans attendre les résultats de cette mission [confiée au CGEDD par la Ministre], je vous demande de ne plus concentrer vos efforts sur ces cas de moulins (ou d’ouvrages particuliers) où subsistent des difficultés ou des incompréhensions durables. Ces points de blocage ne trouveront de solution qu’au travers de solutions adaptées, partagées et construites le plus souvent au cas par cas»;

Considérant que la loi française (article L 214-17 Code de l'environnement) demande que tout ouvrage hydraulique de rivière classée en liste 2 soit "géré, entretenu et équipé" selon des règles définies par l'autorité administrative, et non pas arasé ou dérasé;

Considérant que l'article 29 de la loi 2009-967 dite Grenelle évoque la notion d'un "aménagement" des ouvrages "les plus problématiques" dans le cadre de la Trame bleue, et non pas un effacement des ouvrages modestes et non problématiques comme le seuil de l’ouvrage de Perrigny-sur-Armançon;

Considérant que plusieurs dizaines de citoyens de Perrigny-sur-Armançon ont signé une pétition demandant le respect de leur cadre de vie et le maintien du barrage ainsi que de son plan d'eau à leur consistance légale, que l'intérêt général en objet de la demande d'autorisation doit inclure le respect des droits des tiers et l'avis des riverains, que ce n'est manifestement pas le cas;

Considérant que l'ouvrage hydraulique de Perrigny-sur-Armançon dispose déjà, en rive droite comme en rive gauche, d'un déversoir et d'un enrochement franchissables à diverses conditions de débit par les espèces piscicoles d'intérêt de la masse d'eau;

Considérant que le bureau d'études SEGI 2015 a posé dans le projet comme espèce repère le chabot (page 29 du dossier), qu'une abondante littérature scientifique a montré que cet animal ne saurait être raisonnablement considéré comme un "poisson migrateur" en raison de sa stratégie de vie et de sa morphologie correspondant à une espèce essentiellement sédentaire, que l'article L 214-17 Code de l'environnement n'enjoint pas de gérer, équiper ou entretenir des ouvrages hydrauliques pour toutes les espèces de poissons, mais pour celles qui ont des besoins attestés de migration dans leur cycle de vie, que le projet n'établit pas en tout état de cause si le chabot est présent à l'amont et à l'aval de l'ouvrage, que cette présentation de l'information est de nature à tromper le public participant à l'enquête et à tromper le propriétaire sur la réalité de ses obligations réglementaires à l'origine du projet;

Considérant que le rapport SEGI 2015 reconnaît une franchissabilité de l'anguille (classe ICE 0,66) par l'ouvrage en l'état, que le principal enjeu migrateur du tronçon est d'ores et déjà assuré au droit de l'ouvrage hydraulique, que la destruction du seuil est une solution disproportionnée à l'enjeu migrateur ;

Considérant que le rapport SEGI 2015 reconnaît qu'"un transport sédimentaire grossier est cependant avéré sur la zone d’influence" [de l'ouvrage], que l'enjeu sédimentaire n'est pas plus établi que l'enjeu piscicole migrateur, que le choix proposé ne correspond en conséquence ni une obligation au regard de l'article L 214-17 CE ni à un intérêt général;

Considérant qu'un effacement d’ouvrage ne doit pas induire ni faciliter l’introduction d’une espèce indésirable ou d'une épizootie dans un milieu qui en est indemne (article L411-3 Code de l’environnement, article L 228-3 Code rural et de la pêche), et que ce point n'est pas sérieusement établi dans le projet dont l'objectif est de faciliter la circulation des espèces aquatiques à très faible capacité de nage et de saut, y compris les invasifs ou indésirables, et les pathogènes dont ils peuvent être porteurs, que par exemple le Pseudorasbora parva (classé comme nuisible) est attesté dans le bassin de Seine;

Considérant que le projet proposé en enquête publique n'établit pas l'absence de l'ensemble des polluants à surveiller dans les sédiments ni l'évitement de leur remobilisation dommageable à la rivière ou aux captages (arrêté du 9 août 2006 relatif à la nomenclature du R 214-1 Code de l'environnement), de sorte qu’il fait courir un risque aux milieux et aux tiers et qu'il ne chiffre pas de manière réaliste le coût du chantier (coût supplémentaire d'analyse et éventuellement de gestion des sédiments pollués);

Considérant que les mesures de qualité biologique du dossier, sur les stations amont (Montigny-sur-Armançon) et aval (Tronchoy) font apparaître que la masse d'eau réellement concernée (Tronchoy) est en bon état ou en très bon état pour les indices poissons, invertébrés et diatomées, qu'il est trompeur de présenter au public les résultats de la station de Montigny-sur-Armançon située en réalité en amont du barrage de Pont-et-Massènen dans un hydrosystème très différent de Perrigny-sur-Armançon et très perturbé par un ouvrage de grande dimension, que le bon état biologique de la masse d'eau malgré sa fragmentation par des seuils n'apporte donc aucune motivation de l'intérêt général de l'opération ni de sa nécessité écologique en général;

Considérant que le projet proposé en enquête publique n'a pas réalisé d'inventaire de biodiversité de la retenue et de ses annexes immédiates (relevé de terrain sommaire et limité aux abords de la rivière), n'a réalisé aucun modèle pour vérifier l'effet du changement des écoulements et de la ligne d'eau sur la biodiversité de la station et du tronçon concernés par le chantier, notamment la Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique de type 1 à 1,5 km amont seulement de l'ouvrage (donc dans l'emprise de son remous et de ses effets sur la nappe), qu'il fait courir en conséquence un risque non évalué à la biodiversité, ce qui est contraire aux articles L 110-1, L 163-1 et L 411-1 du Code de l'environnement ;

Considérant que les ouvrages en rivière tendent à épurer les masses d’eau par augmentation du temps de résidence hydraulique et décantation-sédimentation locale (nombreuses recherches scientifiques en ce sens), que le rapport SEGI 2015 établit que "les données trouvées sont insuffisantes quant aux 41 paramètres définissant l’état chimique dans l’arrêté du 25 janvier 2010 relatif aux méthodes et critères d’évaluation de l’état écologique, de l’état chimique et du potentiel écologique des eaux de surface, en application de la directive européenne 2000/60/DCE", que cette absence d'information ne permet pas d'établir un éventuel risque d'aggravation du bilan chimique de la masse d'eau en conséquence des travaux, qu’aucune mesure ni aucun modèle n’a été proposé dans le projet pour vérifier ce point (mesure de qualité chimique en amont du remous et en aval de la retenue), que la Cour de justice de l’Union européenne a établi (C461/13, arrêt 01/07/2015) : «l’article 4, paragraphe 1, sous a), i) à iii), de la directive 2000/60 doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus, sous réserve de l’octroi d’une dérogation, de refuser l’autorisation d’un projet particulier lorsqu’il est susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface ou lorsqu’il compromet l’obtention d’un bon état des eaux de surface ou d’un bon potentiel écologique et d’un bon état chimique de telles eaux» ;

Considérant que le changement climatique est regardé par les chercheurs comme la menace de premier ordre pour les milieux et les sociétés à l’échelle de ce siècle, que ce changement est  susceptible de produire une situation d'incertitude et de stress hydrologiques (étiages et crues plus sévères), que l'Armançon au droit de l'ouvrage montre des débits extrêmes d'étiage préoccupants (SEGI 2015 : étiage à 0,18 m3/s en août 2003 par exemple), que la conservation des outils de régulation de la rivière (comme le seuil du moulin de Perrigny) avec adaptation progressive aux nouveaux besoins est dans ces conditions une solution de sagesse et de prudence au lieu d’une destruction sur la base de connaissances scientifiques très lacunaires, ne répondant pas au principe de précaution ;

Considérant que du point de vue paysager et social, la disparition du plan d’eau et son remplacement par un lit mineur de section très amoindrie en situation de faibles débits estivaux de l'Armançon sont de nature à nuire aux usages actuels, en particulier à léser les tiers riverains qui ont exprimé leur opposition à ce projet mais qui n'ont pas reçu de proposition de compensation ni d'indemnisation, plus généralement qui n'ont pas été entendu dans le cadre de la préparation du dossier de déclaration;

Considérant que le modèle hydraulique développé par SEGI 2015  ne répond pas à la question de savoir si la future répartition des écoulements, après effacement de l'ouvrage, sera de nature à aggraver le risque d'inondation pour certaines parcelles, et qu'il manque en conséquence à son obligation de garantir ce point au regard de la prévention des risques d'inondation;

Considérant qu'aucun titre de propriété des ouvrages hydrauliques n'a été reproduit dans le dossier du projet, qu'une délégation de maîtrise d'ouvrage est nulle et non avenue si ces titres ne sont pas établis, que la destruction partielle ou totale des ouvrages demande la vérification préalable de ce point de droit à peine d’irrecevabilité ;

Considérant qu'aucune convention de délégation de maîtrise d'ouvrage entre le propriétaire privé présumé et le SMBVA-Sirtava n'est reproduite, qu'il est donc impossible d'établir l'existence et la nature de cette délégation, qu'il est également impossible de vérifier si cette convention établit clairement que le propriétaire présumé a été correctement informé de l’ensemble des conséquences du projet (perte du droit d’eau donc de la valeur foncière du moulin, changement définitif des lignes d'eau, risque sur le bâti, responsabilité vis-à-vis de tiers si les changements d’écoulement de l’ouvrage les impactent, etc.), de sorte qu’il serait nécessaire de vérifier la bonne information préalable du propriétaire présumé lors du recueil de son consentement, afin que ce dernier ne puisse être réputé vicié par la dissimulation d'informations essentielles;

Considérant qu'aucune étude géotechnique n'a établi l'évolution des berges et du bâti riverain à la suite du changement des écoulements, en sorte que le dossier ne garantit pas avec la rigueur requise le respect du droit des tiers;

Considérant qu'aucun régime de responsabilité juridique en cas de dommage différé aux tiers et aux milieux liés à l'arasement n'a été établi, alors qu'il reviendrait au Sirtava-SMBVA ou à l'Etat de préciser qu'ils assument tous les risques futurs liés au changement des écoulements et qu'ils libèrent le propriétaire présumé de l'ouvrage de cette lourde responsabilité vis-à-vis des tiers;

Considérant que ce projet, sans réel enjeu écologique démontré au regard de ce qui précède et présentant au contraire des risques pour les milieux, engage une dépense d'argent public inutile, en particulier face à des priorités de premier ordre comme la prévention des inondations et la limitation des pollutions, ne répond pas à la définition d'un intérêt général, induit une dégradation dommageable du patrimoine hydraulique de Perrigny-sur-Armançon et du paysage de vallée aménagée, implique la perte d'un potentiel énergétique qui pourrait être à l'avenir exploité pour améliorer le bilan carbone du territoire ;

Considérant que plusieurs des motivations énumérées ci-dessus sont de nature à dégrader la qualité de l'enquête publique et à nourrir un contentieux contre un arrêté préfectoral qui autoriserait les travaux en l’état du dossier;

l’Association Hydrauxois  demande :
  • à M. le Commissaire enquêteur de donner un avis négatif au projet d'effacement du seuil du Moulin de Perrigny-sur-Armançon;
  • à M. le Préfet de l'Yonne de suspendre ce projet dans l’attente de données complémentaires et dans le respect de l'instruction donnée par Mme la Ministre.
Copie à Mme la Ministre de l'Environnement.

A nos consoeurs associatives : plusieurs des motivations de nos refus des effacements ont des arguments généraux que vous pouvez reprendre librement pour vous opposer à d'autres projets qui concernent vos territoires. Par ailleurs, chaque motivation diffère dans ses détails et donne des exemples de points à vérifier en cas d'effacement (IPR de la rivière, risque chimique de remobilisation des sédiments, protection patrimoniale, titre de propriété...). N'hésitez pas à agir sur vos rivières, en prenant la même procédure : dépôt d'avis en enquête publique, demande au Préfet de surseoir, copie à la Ministre de l'Environnement.