08/07/2020

C'est l'été, pensez à respecter le débit minimum biologique des rivières

Comme chaque année, nous rappelons les obligations des propriétaires de moulins, étangs, canaux. Les étiages s'installent sur les rivières, avec les plus faibles débits de l'année jusqu'à septembre, voire octobre. Pour les propriétaires d'un ouvrage hydraulique, il s'agit de la période critique pour respecter le débit minimum biologique (ancien débit réservé), visant à laisser en priorité une quantité suffisante d'eau dans le tronçon naturel des rivières. Explications et tableau des débits sur une quarantaine de stations sur les rivières de Nord Bourgogne, bassin séquanien.

Depuis le 1er janvier 2014, tous les barrages en rivière (seuils, chaussées, déversoirs et autres prises d'eau) doivent laisser un débit minimum biologique (DMB) de 10% du module (débit moyen) dans le lit de la rivière. Le loi le précise dans l'article L 214-18 du du code de l'environnement :

"Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite.
Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. Pour les cours d'eau ou parties de cours d'eau dont le module est supérieur à 80 mètres cubes par seconde, ou pour les ouvrages qui contribuent, par leur capacité de modulation, à la production d'électricité en période de pointe de consommation et dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie, ce débit minimal ne doit pas être inférieur au vingtième du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage évalué dans les mêmes conditions ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. Toutefois, pour les cours d'eau ou sections de cours d'eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure."

Ce DMB remplace l'ancien débit réservé, qui était parfois du 1/40e (soit 2,5% du débit moyen) sur les petites installations. Exemple numérique : si la rivière a un module de 3 m3/s au droit de votre ouvrage, vous devez faire en sorte qu'il reste en permanence 0,3 m3/s soit 300 litres par seconde (10%) à l'aval immédiat du seuil, dans le tronçon court-circuité du cours d'eau.

Cette exigence est particulièrement sensible vers l'étiage, puisque c'est à cette époque que le stress hydrique est le plus marqué pour les espèces aquatiques. S'il n'y a plus assez d'eau dans la rivière pour atteindre les 10%, celle-ci doit primer sur le bief et conserver tout son débit disponible dans le lit mineur.

La loi prévoit cependant la possibilité d'un "fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal". Le cas se pose notamment sur certaines rivières de terrains karstiques présentant des pertes en été (voir cet exemple problématique). En ce cas, la rivière peut se trouver en situation d'assecs, donc de discontinuités hydriques et biologiques. Dans la mesure où les biefs anciens des moulins ont parfois des fonds étanchés à l'argile, et une hauteur d'eau plus importante que celle de la rivière, il peut être intéressant pour la sauvegarde locale des espèces aquatiques de privilégier le maintien en eau du bief. C'est une appréciation au cas par cas qui doit prévaloir, après examen de la situation du tronçon par la police de l'eau.

La valeur de 10% est un plancher ("pas être inférieur"). L'administration peut estimer qu'un DMB supérieur à 10% du module est souhaitable. Toutefois, cette demande doit faire l'objet d'une motivation de la part des services administratifs, montrant qu'elle est justifiée hydrologiquement et biologiquement, proportionnée à l'effet attendu, conforme à ce qui se pratique sur des rivières similaires, ne produisant pas de nuisances aux tiers et aux milieux, ne représentant pas une entorse exorbitante à la consistance légale autorisée dans le droit d'eau de l'ouvrage. Un simple courrier de l'AFB ou de la DDT-M ne suffit pas, il faut un dossier de la part de l'administration.



Pour vous aider à apprécier le débit minimum biologique, ce tableau donne les valeurs des modules et des DMB sur les stations de mesure hydrologique des bassins Seine et Yonne, en Nord-Bourgogne. Vous pouvez trouver les valeurs en temps réel des débits de certaines stations sur le site Vigicrues.

Il est complexe de connaitre le débit moyen de la rivière au droit d'un ouvrage hydraulique en particulier. Une approximation grossière est de situer le barrage ou le seuil par rapport à la station de mesure (cf fiches d'identité des stations sur la banque Hydro), de prendre la distance à la source (de l'ouvrage, de la station), de faire une règle de trois. Mais cela ne permet pas de prendre en compte les emplacements des affluents, des résurgences, etc. faisant que le débit ne croît pas de manière linéaire de la source à l'exutoire d'une rivière. Sur les rivières disposant de plusieurs stations, on peut faire la moyenne entre les deux stations les plus proches amont / aval en pondérant par la position du barrage par rapport à ces stations, ce qui est déjà un peu plus réaliste. Dans le doute, le propriétaire doit demander à la DDT-M de son département, à la DREAL de la région ou au syndicat de rivière une estimation du module de la rivière au droit de l'ouvrage, et en déduire lui-même le DMB.

Enfin, dans la mesure où de nombreux biefs anciens se sont "renaturés" au fil du temps et abritent eux aussi du vivant, il serait intéressant de réfléchir pour l'avenir à une évolution législative où l'on peut prévoir une quantité minimale d'eau attribuée à ces canaux également, pour assurer la survie de leurs habitants. La gestion écologique des milieux doit être fondée sur le cas par cas, l'information et la responsabilité de chacun.

A lire sur ce thème:
Un guide Onema pour le débit minimum biologique

06/07/2020

Le rôle historique des pollutions chimiques dans le blocage des poissons migrateurs de la Seine (Le Pichon et al 2020)

Attention une discontinuité peut en cacher une autre! Si certaines barrières physiques bloquent des poissons migrateurs à capacité insuffisante de nage et de saut pour les franchir, il en va de même avec des barrières de pollution chimique. Dans une étude passionnante d'histoire environnementale, des chercheurs français montrent que dans la seconde moitié du 20e siècle, la Seine était tellement polluée et pauvre en oxygène à l'aval de Paris que le parcours remontant des saumons, aloses et lamproies depuis l'estuaire était de toute façon compromis, d'autant que les barrages de navigation avaient des passes à poissons peu fonctionnelles. L'amélioration de la qualité de l'eau et la construction de nouvelles générations de passes à poissons permettent aujourd'hui le retour (encore timide) de migrateurs. Une bonne nouvelle, mais aussi une sérieuse relativisation de l'impact des ouvrages, surtout les petits ouvrages de l'hydraulique ancienne qui n'empêchaient pas la présence de migrateurs en amont de Paris, jusqu'au 19e siècle. En Seine-Normandie comme ailleurs, une eau de qualité doit être le premier objectif pour les humains, pour les poissons migrateurs comme pour le reste du vivant. 



La Seine de Paris à la mer, zone étudiée par les scientifiques, extrait de Le Pichon et al 2020, art cit. 

Céline Le Pichon et ses collègues (INRAE laboratoire Hycar, Sorbonne Université unité Metis), dont nous avions déjà recensé des travaux, s'intéressent à l'histoire de la continuité physique et chimique dans le bassin de la Seine. Leur travail, fondé sur l'exploration des archives des poissons migrateurs et la modélisation, aboutit à des observations particulièrement intéressantes.

En voici le résumé :

"Pour comprendre le sort à long terme des assemblages de poissons dans le contexte du changement global et pour concevoir des mesures efficaces de restauration dans la gestion des rivières, il est essentiel de considérer la composante historique de ces écosystèmes. Le bassin de la Seine, impacté par l'homme, est un cas pertinent qui a connu l'extinction des poissons diadromes au cours des deux derniers siècles et a récemment assisté à la recolonisation de certaines espèces. Un enjeu clé est de comprendre l'évolution historique de l'accessibilité de l'habitat pour ces espèces migratrices. 

Grâce à la disponibilité unique de sources historiques, principalement manuscrites de plusieurs types (projets d'ingénierie fluviale, cartes de navigation, bases de données papier sur l'oxygène, etc.), nous avons documenté et intégré, dans une base de données associée à un système d'information géographique, les modifications des barrières physiques et chimiques dans la Seine de la mer à Paris pour trois périodes (années 1900, 1970 et 2010). L'impact potentiel de ces changements sur les parcours de trois espèces migratrices qui ont des comportements migratoires différents - le saumon de l'Atlantique, l'alose et la lamproie marine - a été évalué par modélisation de la connectivité écologique, en utilisant une approche au moindre coût qui intègre la distance, les coûts et les risques liés aux obstacles. 

Nous avons constaté que l'accessibilité était contrastée entre les espèces, soulignant le rôle crucial du type de migration, de la période et du niveau de tolérance aux faibles valeurs d'oxygène dissous. La plus grande perturbation de la connectivité écologique était visible dans les années 1970, lorsque les effets de grandes zones hypoxiques étaient aggravés par ceux des déversoirs de navigation infranchissables (c.-à-d. sans passes à poissons). Étant donné que l'approche a révélé la contribution relative des barrières physiques et chimiques à la connectivité fonctionnelle globale, elle peut constituer un travail modèle pour évaluer le fonctionnement des grands écosystèmes fluviaux."

En 1850, les poissons migrateurs remontaient encore jusqu'assez haut dans les bassins de la Cure, de l'Aisne ou de la Marne. Cette carte montre les zones concernées en 1850 (bleu) et celles reconquises en 2018.


Extrait de Le Pichon et al 2020, art cit.

Pour rendre la Seine navigable, rehausser son cours par rapport au lit, des barrages ont été construits à partir du 19e siècle, soit avec des systèmes à aiguilles pour les plus anciens, soit avec des vannes et écluses pour les plus récents. Au total, cela représente environ 25 m de chute aménagée entre Paris et l'estuaire. Il y avait 10 ouvrages en 1900, réduits à 7 par la suite. La plupart de ces ouvrages ont été aménagés avec des passes dès le début du 20e siècle, qui ont été modernisées entre 1991 et 2017. Les premières passes n'étaient pas forcément fonctionnelles par rapport aux capacités des poissons concernés.

Ce schéma indique l'évolution des barrières physique (barrages de navigation et régulation, avec une centrale hydro-électrique) de la Seine entre 1900 et aujourd'hui, ainsi que leurs dispositifs de franchissement, extrait de Le Pichon et al 2020, art cit.



Lors de leur installation au 19e siècle, ces barrières physiques sans système de franchissement pour les poissons ont entraîné un déclin des migrateurs, comme le rappellent les chercheurs : "Au cours de la période 1850–1881, les déversoirs Martot et Amfreville / Poses les plus en aval (hauteur cumulée de 6,8 m sur 20 km seulement) sont connus pour avoir eu un impact majeur en réduisant l'accessibilité d'une grande partie du bassin. La construction des 12 premiers déversoirs de navigation (1846-1869), le retard de la plupart des constructions d'échelles à poisson (1880-1903) et leur faible efficacité ont conduit à l'effondrement des stocks de saumon de l'Atlantique dans les années 1900 et à la disparition de l'alose dans les années 1920".

Mais les barrières physiques ne sont pas tout. La migration demande des eaux de qualité, notamment en terme d'oxygène dissout (DO). Les seuils de 3, 4 et 6 mg/l sont considérés comme critique pour respectivement la lamproie, l'alose et le saumon. Cette mesure a été faite sur la Seine à partir de 1871 par le département chimique de l'Observatoire de Montsouris (22 stations de Paris à Rouen), puis par l'Agence de l'eau à compter de 1964 (41 stations de Paris à Honfleur). Or, suite aux pollutions massives ayant accompagné les 30 glorieuses et notamment les phase d'eutrophisation par phosphates et nitrates non traités, la qualité chimique de la Seine a été lourdement altérée.

Dans les années 1970, une large proportion des tronçons aval de la Seine formait ainsi des barrières chimiques. Cette infographie montre les niveaux à 2 périodes, avec l'exemple (en bas) des blocages du saumon par hypoxie dans les années 1970, extrait de Le Pichon et al 2020, art cit.



Les chercheurs rappellent cette période : "La perturbation cumulative de la connectivité écologique la plus élevée a été observée dans les années 1970 en raison du boom de l'après-guerre avec une période de forte industrialisation. La barrière chimique à longue distance dans l'estuaire de la Seine (et bien d'autres le long de la rivière) a concouru à la rénovation et à l'élévation des barrages sans passes à poissons, expliquant ainsi ce résultat. Le très faible niveau d'OD dans l'estuaire de la Seine était principalement lié aux apports de son bassin versant amont. Dans les années 1970, plus de la moitié des eaux usées produites par Paris étaient rejetées dans la Seine sans traitement. Des affluents comme l'Oise ne jouent plus le rôle de réoxygénation de la Seine. La modification de la qualité de l'eau était telle que l'extinction des espèces était considérée comme irréversible et l'idée de maintenir et de reconstruire les passes à poissons était abandonnée."

La continuité physique et chimique s'est aujourd'hui améliorée pour les saumons, aloses et lamproies. Comme l'observent Céline Le Pichon et ses collègues : "Dans les années 2010, des conditions d'oxygénation favorables ont été observées pour les trois espèces, et toutes les périodes de migration parallèlement à la construction d'une nouvelle génération de passes à poissons efficaces. Nos résultats confirment la tendance récente à l'absence de nouvelles périodes anoxiques longues dans la Seine et son estuaire depuis 2007 [61], conséquence des progrès réalisés dans les années 1990 en matière de traitement des eaux usées suite à la loi sur l'eau (1964). Dans le même temps, la loi sur la pêche de 1984 a relancé la construction de passages à poissons. Les «contrats de retour aux sources», qui proposaient les premiers plans de gestion des poissons migrateurs, ont été mis en place, et plusieurs associations de poissons migrateurs dans les bassins fluviaux français ont été créées. Dans ce contexte, une étude a défini la stratégie de retour du saumon atlantique sur la Seine au début des années 1990 [74], et le premier passage à poissons de Poses a été construit en 1991. La DCE de l'Union européenne et le Plan national pour la continuité écologique (2010) vient conforter ce tournant, et le renouvellement de la construction des passes à poissons s'est déployé lors de la récente rénovation des barrages de navigation. L'amélioration récente de l'accessibilité des voies de migration a très récemment conduit à la recolonisation spontanée de la Seine par des individus d'espèces de poissons migrateurs."

Les chercheurs concluent à la nécessité de développer des modèles historiques des bassins versants, dans lesquels la question climatique devra être prise en compte: "Un enjeu important pour la gestion durable des bassins fluviaux en Europe est d'intégrer les futurs scénarios de changement global. Le changement climatique aura des effets importants sur le bassin de la Seine, notamment en modifiant son régime d'écoulement. Cela affectera à son tour la future connectivité écologique des espèces qui recolonisent maintenant le bassin de la Seine. Par conséquent, la modélisation de ces effets est importante pour guider les futures actions de gestion. Les projections de la répartition des espèces en Europe et les scénarios d'évolution de la température dans le bassin de la Seine suggèrent la dimension favorable potentielle du bassin pour les aloses mais décroissante pour les salmonidés. Dans ce contexte, la priorisation des efforts de restauration de la connectivité écologique pourrait également consister à privilégier les affluents plus frais et les parties amont de la Seine, de l'Oise et de la Marne."

Discussion
Ce travail de recherche confirme les observations faites par de nombreux riverains âgés que nous avons interrogés, et qui situent tous le tournant de dégradation des eaux vers les années 1960-1970, sans lien particulier à des ouvrages en rivière (en tête de bassin), mais en lien direct avec les 30 glorieuses, les changements agricoles (mécanisation, engrais, début des pesticides), la consommation et la production de masse de nombreux produits incluant des composés de synthèse (voir les travaux sur la "grande accélération" de l'Anthropocène). Des travaux précurseurs menés vers cette même époque par des hydrobiologistes de tête de bassin versant, comme Jean Verneaux en Franche Comté, avaient aussi pointé en direction des dégradations chimiques pour expliquer la chute des taxons polluo-sensibles de poissons et d'insectes, même non migrateurs. Le rôle majeur des pollutions apparaît encore dans les analyses récentes d'hydro-écologie quantitative, qui placent les polluants et les usages des bassins versants en tête des facteurs explicatifs de baisse de qualité biologique des eaux (voir cette synthèse)

La position défendue par les associations de riverains sur ce sujet est donc confortée :

  • traiter en priorité les pollutions chimiques et physico-chimiques afin d'avoir des eaux et des sédiments de qualité (mais aussi de respecter nos obligations européennes),
  • assurer la ressource quantitative en eau, qui va être sous pression du climat, des usages et de la démographie des bassins versants,
  • traiter les ouvrages hydrauliques au cas par cas, sur des rivières à espèces migratrices avérées à l'aval et avec zone amont propices à la reproduction, en choisissant des solutions "douces" et efficaces de franchissement, 
  • mener cette politique de manière raisonnable et ciblée, car les poissons migrateurs sont loin de résumer toute la biodiversité aquatique, ne pourront probablement pas retrouver toute leur expansion passée et ne doivent pas absorber des fonds publics disproportionnés alors que l'écologie de la conservation a de nombreux autres enjeux.

Référence : Le Pichon C et al (2020 ), Historical changes in the ecological connectivity of the Seine river for fish: A Focus on physical and chemical barriers since the Mid-19th Century, Water, 12, 1352

05/07/2020

Face à la négation de la démocratie riveraine par les administrations, chacun doit devenir un gardien des rives et des eaux

Colère, indignation : la publication du décret et de l'arrêté du 30 juin 2020 suscite de nombreuses émotions négatives chez les amoureux des rivières et de leurs patrimoines. Il faut comprendre son sens politique : de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère à la réforme "GEMAPI" et à ses maîtres d'ouvrages publics, on assiste à l'éviction complète de la démocratie des rivières au profit d'une gestion administrative et technocratique. On veut décider de la vie des gens en appuyant sur des boutons dans des bureaux. Cette tentative de coup de force doit avoir pour réponse la ré-affirmation par les citoyens et leurs élus locaux de la volonté de protéger leurs cadres de vie et la capacité démocratique à choisir ces cadres de vie, dans une perspective de développement local, partagé et durable. Cet engagement de chacun est le préalable à un changement des règles du jeu pour sortir d'un régime sclérosé et égaré n'ayant peu à peu de démocratique que les apparences formelles. Soutenez et rejoignez partout les associations et les collectifs qui s'engagent pour leurs rivières, leurs patrimoines, leurs usages, leurs vies humaines comme non-humaines.

Le décret et l'arrêté du 30 juin 2020 parachèvent les réformes de la technostructure de l'eau visant à imposer des dogmes et des arbitrages entre puissants avec un strict minimum de débat et, le cas échéant, de résistance démocratique sur le terrain. Supprimer la publicité des chantiers et l'enquête publique, c'est faire taire les citoyens critiques des politiques publiques de destruction des ouvrages et de leurs milieux.

Voici le schéma simplifié de cette hydrocratie :



L'objectif de l'administration en France est la régulation et la bureaucratisation centrales de la gestion de l'eau sur tout le territoire, y compris les rivières non domaniales. C'est cette administration qui tient les rênes, bien davantage que les politiques (surtout au ministère de l'écologie dont les ministres changent tout le temps). C'est elle qui produit un cadre d'expertise où les choix politiques sont déjà intégrés dans les outils et métriques présentés de manière trompeuse comme "neutres" et "objectifs". Si vous ne cochez pas les cases fixées à l'avance, alors vous pensez et agissez mal.

La réforme territoriale et la création de la compétence GEMAPI (gestion de l'eau, milieux aquatiques, prévention des inondations) allaient déjà dans ce sens. D'un côté, il s'agissait d'une mutualisation et rationalisation des moyens, ce que l'on peut entendre par souci de cohérence sur un bassin. Mais d'un autre côté, en raison de sa complexité normative et de son coût financier, cette compétence GEMAPI échappe aux communes pour aller aux intercommunalités et, le plus souvent, à des syndicats de bassins versants (EPAGE, EPTB) qui regroupent des dizaines à des centaines de communes.

Or cette évolution participe elle-même de la confiscation technocratique :
  • le niveau immédiat de perception et discussion des cadres de vie de la commune est effacé au profit du bassin comme niveau de gestion et décision,
  • les techniciens et administratifs prennent peu à peu le pouvoir sur les politiques, car la surenchère de normes rend la complexité ingérable pour des petites collectivités,
  • les budgets de la GEMAPI et leur mise en oeuvre sont étroitement contrôlés par les administrations publiques des agences de l'eau, de l'OFB, de la DDT-M ou des Dreal de bassin, il n'y a presqu'aucune liberté réelle dans les choix,
  • les instances de contrôle démocratique théorique de ce dispositif normatif et financier (comité de bassin des SDAGE, commission locale de l'eau des SAGE) sont sans réel pouvoir d'évaluation et donc d'objection, outre que leurs membres sont nommés par le préfet (ce qui est le niveau le plus médiocre d'une démocratie, un contrôle direct par l'exécutif des paroles recevables),
  • l'administration tend partout à favoriser la discussion parallèle avec les lobbies les plus puissants en vue de la fixation des règles, ce qui exclut les plus faibles (à commencer par chaque citoyen) et la pleine publicité des enjeux discutés.  
Dans le domaine de l'eau comme en d'autres, la France semble souffrir d'une sorte d'étrange sécession de l'administration publique, estimant qu'elle doit conduire les affaires en perdant un minimum de temps avec les débats politiques comme avec les attentes sociales, préférant des discussions opaques de coursive.

Nous serons chaque rivière qui se défend
La réponse sera symétrique . Le mouvement des riverains attachés à défendre démocratiquement les patrimoines, héritages et usages de l'eau doit se réapproprier les enjeux dont on veut le priver, en particulier avec le nouveau décret scélérat :
  • le citoyen (avec son élu local) peut et doit contrôler l'usage de l'argent public, notamment sur un bien privé,
  • le citoyen (avec son élu local) peut et doit avoir des garanties sur les conséquences des changements d'écoulement,
  • le citoyen (avec son élu local) peut et doit s'assurer que les travaux ne détruisent pas des milieux aquatiques et humides, des espèces localement intéressantes, des paysages et des patrimoines,
  • le citoyen (avec son élu local) peut et doit veiller à ce que la dépense de l'eau vise la qualité de l'eau.
Pour ces enjeux, il nous faut des outils permettant des interventions de nature juridique et politique. Tout citoyen ou toute association peut signaler au juge une infraction aux lois. Toute commune peut si besoin se retirer d'un syndicat et reprendre la gestion de l'eau sur son territoire. Il n'y a pas de fatalité à subir une servitude, il y a un devoir à la dénoncer.

A la colère et à l'indignation doivent donc succéder la méthode et la détermination : on ne fera pas reculer l'abus de pouvoir par sa déploration, mais par sa dénonciation, y compris devant la justice; on ne fera pas reculer la captation des pouvoirs par une technocratie sans la remise en cause directe des technocrates qui ont planifié cette confiscation de pouvoir. C'est en ce sens que Hydrauxois conçoit son action. C'est en ce sens que nous avons co-fondé la coordination nationale Eaux & rivières humaines, qui rassemble déjà des dizaines d'associations, collectifs et syndicats partageant le même diagnostic et la même volonté d'agir.

Nota aux associations : première réponse, une requête en annulation contre le décret scélérat sera déposée dans les deux mois au conseil d'Etat. Pour y participer, pensez selon vos statuts à organiser une délibération du CA ou de l'assemblée générale. Et contactez-nous.

02/07/2020

Un décret scélérat autorise la destruction des moulins, canaux, étangs et plans d'eau sur simple formalité, sans étude d'impact ni enquête publique!

Détruire une chaussée de moulin, assécher un bief, un canal ou un étang, effacer un plan d'eau, changer le lit de la rivière: tout cela est désormais possible sur simple déclaration et non autorisation comme avant. C'est-à-dire sans étude d'impact environnemental et social, sans enquête publique, sans information des citoyens. Par un décret et un arrêté venant de paraître au journal officiel, la technostructure de l'eau met bas les masques : en guise de "continuité apaisée" à laquelle ont pu croire quelques naïfs, c'est le blanc-seing à la destruction facilitée et accélérée des héritages de nos rivières. Provocation pour les amoureux du petit patrimoine des bassins, mais aussi erreur majeure sur le rôle écologique de ces milieux en eau d'origine anthropique, lesquels méritent une protection accrue et non une facilitation de leur destruction par des apprentis-sorciers obéissant à des modes sous-informées. Hydrauxois a demandé à ses conseils de travailler à une double riposte : requête en annulation de ces textes et formulaire simplifié de plainte pénale de terrain, qui permettra à tout citoyen ou association d'attaquer les chantiers qui détruisent la ressource et les milieux en eau.  [Mise à jour novembre 2022: notre association a obtenu l'annulation du décret par le conseil d'Etat.]



Le décret n°2020-828 du 30 juin 2020 modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau vient de paraître au journal officiel.

Il est complété par un arrêté du 30 juin 2020 définissant les travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques relevant de la rubrique 3.3.5.0 de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement, aussi paru au journal officiel.

Le premier texte crée un nouveau type de travaux en rivière, tenant à la "restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques".
« 3.3.5.0. Travaux, définis par un arrêté du ministre chargé de l'environnement, ayant uniquement pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, y compris les ouvrages nécessaires à cet objectif (D).« Cette rubrique est exclusive de l'application des autres rubriques de la présente nomenclature.« Ne sont pas soumis à cette rubrique les travaux n'atteignant pas les seuils des autres rubriques de la présente nomenclature. »
En clair, tous les travaux de restauration morphologique et de continuité écologique entrent désormais dans la catégorie des simples déclarations (D) et non des autorisations. Cela sans limite d'impact même si des milliers de mètres linéaires de rivière et canaux ou des milliers de mètres carrés de plans d'eau sont affectés.

L'arrêté donne la mesure de tout ce qui est concerné:
1° Arasement ou dérasement d'ouvrage en lit mineur ;2° Désendiguement ;3° Déplacement du lit mineur pour améliorer la fonctionnalité du cours d'eau ou rétablissement du cours d'eau dans son lit d'origine ;4° Restauration de zones humides ;5° Mise en dérivation ou suppression d'étangs existants ;6° Remodelage fonctionnel ou revégétalisation de berges ;7° Reméandrage ou remodelage hydromorphologique ;8° Recharge sédimentaire du lit mineur ;9° Remise à ciel ouvert de cours d'eau couverts ;10° Restauration de zones naturelles d'expansion des crues ;11° Opération de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques prévue dans l'un des documents de gestion suivants, approuvés par l'autorité administrative :a) Un schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) visé à l'article L. 212-1 du code de l'environnement ;b) Un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) visé à l'article L. 212-3 du code de l'environnement ;c) Un document d'objectifs de site Natura 2000 (DOCOB) visé à l'article L. 414-2 du code de l'environnement ;d) Une charte de parc naturel régional visée à l'article L. 333-1 du code de l'environnement ;e) Une charte de parc national visée à l'article L. 331-3 du code de l'environnement ;f) Un plan de gestion de réserve naturelle nationale, régionale ou de Corse, visé respectivement aux articles R. 332-22, R. 332-43, R. 332-60 du code de l'environnement ;g) Un plan d'action quinquennal d'un conservatoire d'espace naturel, visé aux articles D. 414-30 et D. 414-31 du code de l'environnement ;h) Un plan de gestion des risques d'inondation (PGRI) visé à l'article L. 566-7 du code de l'environnement ;i) Une stratégie locale de gestion des risques d'inondation (SLGRI) visée à l'article L. 566-8 du code de l'environnement ;12° Opération de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques prévue dans un plan de gestion de site du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres dans le cadre de sa mission de politique foncière ayant pour objets la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels tels qu'énoncés à l'article L. 322-1 susvisé.
C'est donc une machine de guerre pour tuer la démocratie des rivières et des bassins versants, faciliter la destruction de tous les milieux aquatiques façonnés par l'humain au cours de l'histoire (biefs, canaux, étangs, plans d'eau), destruction qui sera réduite à une simple formalité interne aux administrations, sans lien au public.

Nous avions mis en garde voici un an, lors de la courte enquête publique sur ce projet de décret. Mais rien n'y a fait, malgré les nombreuses oppositions exprimées lors de cette enquête.

La fin du régime d'autorisation sous prétexte de "restauration de fonctionnalités naturelles" signifie ainsi pour les collectifs et associations impliqués sur la continuité écologique, et pour les citoyens en général :

  • quasi-impossibilité d'être informés des projets (la déclaration est un simple courrier sans publicité à la DDT-M), 
  • absence d'étude des impacts riverains / usages / environnement, 
  • fin de l'enquête publique qui permettait aux citoyens de s'exprimer (en général, contre les casses) et aux associations de préparer des recours contentieux éventuels contre l'arrêté d'autorisation
  • possibilité de casser "à la chaîne" pour les maîtres d'ouvrage de type syndicats de rivière ou fédérations de pêche.
Face à ce danger majeur de régression du droit des riverains et du droit de l'environnement, l'association Hydrauxois :
  • a immédiatement mandaté son conseil juridique pour une analyse du texte en vue d'une requête en annulation,
  • demande aux parties prenantes du processus dit de "continuité écologique apaisée" de tirer les conséquences de cette provocation sur des soi-disant "concertations" dont le résultat est une déclaration de guerre aux ouvrages et aux milieux que ces parties prenantes sont censées défendre,
  • appelle l'ensemble des associations, collectifs et syndicats à non seulement exprimer leur indignation aux parlementaires et à la ministre de l'écologie, mais aussi à organiser sur chaque terrain la réponse militante et judiciaire que méritent les dérives des fonctionnaires de l'eau.
Alors que le processus d'autorisation et d'enquête publique est justement une procédure d'organisation de la démocratie consultative et délibérative, leur suppression aura pour conséquence une insécurité pour tout le monde : les plaintes seront des démarches individuelles et imprévisibles, les services publics à l'origine de ces troubles dans la vie des riverains ne seront évidemment pas tranquillisés dans l'exercice de leurs fonctions. Quant à la continuité des rivières, elle sera plus que jamais synonyme de violence institutionnelle, de dogme sans preuve de bénéfices, d'absurdité anti-écologique et anti-sociale.

Nous allons travailler à un guide simplifié de dépôt de plainte pénale pour destruction de milieux et mise en danger des tiers par changement d'écoulement, qui permettra d'ouvrir rapidement des instructions contre tous les projets refusant de faire des études complètes d'impacts sur les milieux et les tiers.

La cour administrative de Marseille casse le classement "continuité écologique" des rivières de Corse!

Des hauts fonctionnaires associés à des lobbies ont cru pouvoir "se payer" les petits ouvrages hydrauliques des rivières françaises. Mais la société a résisté et c'est eux qui sont en train de payer le prix de cette erreur. La cour d'appel administrative de Marseille vient ainsi de poser que le classement des cours d'eau de Corse au titre de la continuité écologique est irrégulier. Si le préfet a reçu EDF et Veolia, outre les usuels pêcheurs, canyoners et environnementalistes, il n'a pas jugé bon de concerter avec les petits producteurs d'hydro-électricité, qui se trouvent lésés. Espérons que ce jugement soit confirmé au conseil d'Etat, où notre ministère de l'écologie et sa direction eau & biodiversité en déroute ne manqueront pas de tenter une cassation. Mais les faits sont déjà établis, et désormais connus : le club fermé des hydrocrates a essayé de s'accaparer les rivières dans le mépris de la diversité des riverains et des usagers. L'action de l'administration sur la continuité dite "écologique" est en train de sombrer dans la confusion la plus complète : ce dogme est défait par des cours de justice, critiqué par des recherches scientifiques, refusé par un nombre croissant de riverains. Vous voulez une continuité "apaisée"? Mais tirez donc les leçons de ce qui se passe, revenez sur vos erreurs et respectez enfin les ouvrages des rivières!


Moulin à farine de châtaigne en Corse, source, tous droits réservés.

Au départ de cette procédure contentieuse, la société UNITe a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2015 par lequel le préfet de Corse a établi la liste des cours d'eau mentionnée au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le bassin de Corse — ou, à titre subsidiaire, d'annuler partiellement cet arrêté en tant qu'il classe sur cette liste la rivière Manganello.

Le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande. La cour d'appel de Marseille vient de casser le jugement de Bastia.

La cour relève d'abord l'obligation de concertation inscrite dans le droit de l'environnement:
"Aux termes de l'article R. 214-110 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : "Le préfet du département établit un avant-projet de liste à l'issue d'une concertation avec les principaux représentants des usagers de l'eau dans le département, la fédération départementale ou interdépartementale des associations de pêche et de protection du milieu aquatique, les associations agréées de protection de l'environnement qu'il choisit et la commission locale de l'eau lorsqu'il existe un schéma d'aménagement et de gestion des eaux approuvé. (...) / Le préfet coordonnateur de bassin établit un projet de liste par bassin ou sous-bassin et fait procéder à l'étude, prévue au II de l'article L. 214-17, de l'impact sur les différents usages de l'eau des inscriptions sur cette liste projetées ; cette étude comporte une analyse des coûts et des avantages économiques et environnementaux, en distinguant les avantages marchands et non marchands. (...)"."

Elle en déduit:
"Il résulte des dispositions précitées que l'autorité administrative compétente est tenue, lorsqu'elle envisage de classer des cours d'eau au titre du 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, de procéder à une concertation préalable à l'établissement de l'avant-projet de liste de ces cours d'eau, notamment avec les principaux représentants des usagers de l'eau dans le département."
Or, la préfecture a soigneusement choisi ses interlocuteurs lors du classement des cours d'eau, et a notamment exclu ceux qui pouvaient représenter la petite hydro-électricité:
"Pour justifier que l'obligation mentionnée à l'article 3 ci-dessus a effectivement été satisfaite, la ministre produit devant la Cour une lettre du préfet de Corse en date du 18 décembre 2013 conviant ses destinataires à une " réunion inter-départementale de lancement de la concertation ", prévue le 8 janvier 2014. La ministre joint à cette lettre un document comportant les coordonnées des personnes à qui cette lettre est censée avoir été adressée. Figurent majoritairement parmi ces personnes des représentants de collectivités territoriales, d'établissements publics et d'association ainsi que vingt personnes nommément désignés en qualité de " professionnels du canyonisme ". Si des représentants des sociétés EDF et Véolia sont également mentionnés sur cette liste, il n'est pas allégué par la ministre qu'ils auraient été mandatés pour représenter l'ensemble des exploitants d'ouvrages de production hydroélectrique présents sur le territoire Corse, particulièrement les petits producteurs d'énergie hydro-électrique, lesquels doivent être regardés comme faisant partie des principaux représentants des usagers de l'eau au sens et pour l'application des dispositions de l'article de l'article R. 214-110"
Dès lors, le plaignant est fondé sur la question de l'irrégularité de la procédure:
"Dans ces conditions, et eu égard, en outre, aux effets du classement d'un cours d'eau au titre du 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, qui fait obstacle à ce qu'une autorisation ou une concession puisse être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique, la société UNITe est fondée à soutenir qu'en ne conviant à la concertation au stade antérieur à l'établissement de l'avant-projet de liste aucun des petits producteurs d'énergie hydro-électrique, le préfet de Corse a méconnu les dispositions de l'article R. 214-110. Par suite, l'arrêté querellé a été pris au terme d'une procédure irrégulière. Cette irrégularité est de nature, en l'espèce, à avoir privé la société d'une garantie."
Conclusion : le moyen mis en avant par le plaignant et reconnu par la cour administrative de Marseille ne va pas manquer d'intéresser les conseillers juridiques des associations de protection des patrimoines des rivières ou de promotion de la transition énergétique bas-carbone. En effet, ces acteurs des rivières sont exclus en routine des cercles de décisions et programmations. Ce sera un argument de plus pour demander l'annulation de diverses dispositions contraires à la gestion concertée, équilibrée et durable de l'eau.

Du point de vue politique et démocratique, il devient manifeste que la réforme de continuité écologique a été orchestrée dans le mépris des citoyens des bassins versants ayant vocation à discuter de leur avenir. Le "dialogue environnemental" a été réduit à une entente cordiale entre quelques lobbies industriels et clientèles s'accordant sur un partage des eaux à leur profit, sous l'oeil bienveillant d'une direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie ayant essayé de propager la détestation des ouvrages hydrauliques. Des hauts fonctionnaires de cette DEB n'appelaient-ils pas ouvertement à liquider 90% des ouvrages et à "encercler les récalcitrants". Il n'y aura pas d'apaisement de la continuité écologique avec les responsables qui en ont fait un échec, que ce soit au ministère ou dans les agences de l'eau. L'Etat doit désormais envoyer un signal clair de respect des ouvrages en rivière et de dénonciation des mauvaises pratiques à leur encontre.

Bien entendu, ce jugement rappelle aussi l'absolue nécessité de défendre ses droits et d'adopter au plus vite une culture juridique trop peu répandue sur les rivières. Si vous recevez encore des mises en demeure administratives de détruire des ouvrages ou d'être acculé à la ruine au nom de cette continuité die "écologique", contactez une association, un collectif ou un syndicat pour organiser votre défense. Ou signalez-vous à Hydrauxois. La seule réponse à l'injustice est la tolérance zéro.

Référence : CAA de Marseille, arrêt n° 18MA02830, 19 juin 2020 

01/07/2020

Un nouveau titulaire de droit d'eau peut reprendre un contentieux contre l'administration ouvert par son prédécesseur

Le conseil d'Etat vient de condamner une nouvelle fois l'administration dans une affaire de moulin. Un arrêté préfectoral de Mayenne avait annulé un droit d'eau et était contesté. Mais le propriétaire était décédé en cours d'instance, et son successeur a voulu reprendre la procédure. Ce qui fut refusé par une cour. Les conseillers d'Etat donnent finalement raison au nouveau propriétaire, qui défend en l'occurrence un droit réel immobilier (le droit d'eau) régulièrement acquis et déclaré. Il n'y aura bien entendu aucun "apaisement" sur les moulins et ouvrages hydrauliques tant que leurs propriétaires ou riverains seront ainsi obligés de subir le harcèlement administratif et d'engager des procédures longues pour se protéger des abus de pouvoir ou des carences de l'Etat. Si l'on veut calmer ce dossier et le porter de manière constructive, il faudra probablement le retirer aux hauts fonctionnaires qui l'ont envenimé et égaré par des instructions délétères aux préfets et aux services administratifs...



Voici les faits jugés :
"le préfet de la Mayenne a, par une décision du 27 janvier 2012, constaté la perte du droit fondé en titre à l’usage de l’eau attaché au moulin de l’Ermitage, situé en bordure de la rivière La Jouanne sur le territoire de la commune d’Argentré. Son propriétaire, M. C…, a saisi le tribunal administratif de Nantes d’une demande en annulation de cette décision, rejetée par un jugement du 23 juin 2016. Par l’arrêt attaqué du 9 novembre 2018, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté comme irrecevable l’appel formé contre ce jugement par M. B…, nouveau propriétaire du moulin acquis auprès de la succession de M. C…, décédé le 28 avril 2015, au motif qu’il n’avait pas la qualité de partie à la première instance."

Le conseil d'Etat pose que le droit d'eau est un droit réel immobilier transmis en même temps que le moulin, donc un accessoire de la chose vendue ou transmise au sens du code civil :
'aux termes de l’article 1675 du code civil :  » L’obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel. « . Le droit à l’usage de l’eau attaché à un moulin fondé en titre étant un droit réel immobilier, il résulte de ces dispositions que, lorsque le moulin auquel est attaché le droit est vendu, ce droit est, sauf clause contraire, transmis à l’acquéreur et celui-ci est en conséquence fondé à reprendre l’instance introduite par le vendeur relative à l’existence de ce droit.'
Il rappelle aussi que le droit administratif demande notification de changement de titulaire du droit d'eau :
"Le cas échéant, en cas de décès du propriétaire initial ayant introduit l’instance, la reprise de celle-ci par le nouveau propriétaire est par ailleurs conditionnée à la notification prévue par l’article R. 634-1 du code de justice administrative"
Les conseillers annulent l'arrêt de la cour d'appel administrative, en soulignant que le nouveau propriétaire et titulaire du droit d'eau est fondé à défendre son existence contre l'arrêté préfectoral attaqué, même s'il n'est pas celui qui a déposé le recours en première instance :
"Pour rejeter comme irrecevable l’appel de M. B… à l’encontre du jugement du tribunal administratif rejetant cette demande, la cour administrative d’appel a estimé que M. B…, qui se prévalait de sa seule situation de nouveau propriétaire du moulin de l’Ermitage et non d’héritier de M. C…, n’avait pas qualité pour reprendre l’instance introduite par ce dernier devant le tribunal administratif, et qu’il ne pouvait pas, par suite, être regardé comme une partie de première instance. En statuant ainsi, alors qu’ainsi qu’il est dit au point 2, M. B… était fondé, en sa qualité de nouveau propriétaire du moulin, à reprendre en son nom et à son profit l’instance introduite par M. C…, relative au droit à l’usage de l’eau attaché à ce bien, et qu’il avait, par suite, la qualité de partie à l’instance devant le tribunal administratif, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit."
L'Etat est donc condamné à charge. Ce qui arrive de plus en plus souvent dans ces affaires de moulins et autres ouvrages fondés en titre, où le harcèlement administratif se traduit par des revers juridiques pour les fonctionnaires de l'eau. Comme d'habitude, une seule conclusion : défendez vos droits, c'est aussi par le recours systématique en justice contre les carences, les abus de pouvoir, les erreurs d'interprétation que nous ferons cesser le scandale actuel de la persécution des ouvrages et de la destruction de leurs milieux par l'Etat.

Référence : Conseil d'Etat, arrêt n° 426887, 17 juin 2020

Voir aussi le blog Landot

28/06/2020

L'interprétation française de la directive européenne sur l'eau a fait disparaître un demi-million de plans d'eau des nomenclatures (Touchart et Bartout 2020)

Deux limnologues de l'université d'Orléans viennent de publier un article intéressant sur la notion de "masse d'eau", un concept administratif issu de la traduction française et mise en oeuvre de la directive cadre sur l'eau. La directive européenne parlait de "water body". Les auteurs montrent que la masse d'eau a été détournée du sens qu'elle avait à l'origine en océanographie et limnologie, pour devenir un quasi-synonyme de fleuve ou rivière concernant les eaux de surface. Mais dans ce processus, l'administration française a fait disparaître la singularité du demi-million de plans d'eau que comporte notre pays, au profit d'une approche fluviocentrée. Une erreur que l'on peut juger dramatique tant la recherche européenne et internationale insiste désormais sur la valeur environnementale de ces plans d'eau, dans la parfaite indifférence de ceux qui ont fait de "l'eau courante sans obstacle" le seul horizon de leur gestion, et qui ne veulent pas sortir aujourd'hui de leur confort intellectuel.


Laurent Touchart et Pascal Bartout, chercheurs-enseignants à l'université d'Orléans, experts des lacs et milieux lentiques (limnologie), livrent une intéressante réflexion sur l'apparition en France du concept de "masse d'eau", dans le cadre de l'application de la directive européenne sur l'eau (DCE) adoptée en 2000 et transposée en 2004 dans le droit français.

La masse d'eau désigne, dans la littérature scientifique pré-DCE 2000, un volume en trois dimensions que l'on isole pour l'analyser, en général dans un océan ou un lac, à partir de discontinuités qui donnent sens à l'analyse :
"la masse d’eau (water mass, Wassermasse, водная масса, masa de agua), grâce à une longue histoire pluriséculaire marquée par sa stabilité épistémologique, est un concept qui a fait l’unanimité de la communauté scientifique internationale jusqu’en l’an 2000. Terme rigoureusement défini et communément utilisé par les océanographes et les limnologues, il concernait aussi, par extension, les cours d’eau, du moins au niveau de leur embouchure dans la mer ou dans un lac. Dans toutes les acceptions scientifiques classiques, l’important reste la notion de volume en trois dimensions formant une subdivision d’un volume plus grand, délimitée par des discontinuités internes à celui-ci. L’emboîtement d’échelles est inhérent au concept, une masse d’eau étant une portion d’un objet hydrologique, en général l’océan, une mer ou un lac. Dans le cadre des trois dimensions, les discontinuités séparant les masses d’eau ont tout de même, le plus souvent, une composante verticale plus marquée, les plans d’eau, qu’ils soient marins ou lacustres, étant, par essence même, stratifiés en couches de différentes densités. La composante horizontale n’est cependant jamais absente, et, quand elle devient prédominante, exerce une grande influence sur la productivité biologique, le long de fronts. Du fait de l’action des courants, et aussi de certaines ondes comme les seiches internes, les discontinuités séparant les masses d’eau sont mouvantes. En tant que discontinuités aqueuses, leur représentation cartographique est dynamique et ne peut être figée par des points de repère terrestres fixes."

Le DCE a créé le concept gestionnaire de "water body", différent de "water mass" en anglais, que la France a choisi de traduire par "masse d'eau" :
"Dans son sens administratif français actuel, la masse d’eau apparaît comme une expression nouvelle, issue de la Directive-cadre européenne sur l’eau de 2000, ainsi définie : « ‘masse d’eau de surface’: une partie distincte et significative des eaux de surface telles qu’un lac, un réservoir, une rivière, un fleuve ou un canal, une partie de rivière, de fleuve ou de canal, une eau de transition ou une portion d’eaux côtières » (Le Parlement Européen, 2000, article 2, définition 10). (...) Il est remarquable que, en anglais, ce soit le terme de « body of water » qui soit nouvellement défini (The European Parliament, 2000). Celui de « water mass » n’est pas employé par la DCE, qui laisse les océanographes et limnologues anglo-saxons continuer à l’utiliser dans son sens originel. La plupart des traductions effectuées dans les autres langues de la Commission européenne sont littéralement calquées sur l’anglais : la version allemande de la DCE écrit « Wasserkörper », la version italienne « corpo idrico », roumaine « corp de apă », ou encore slovène « telo vode ».  (...) la version en langue française de la Directive-cadre européenne sur l’eau a fait le choix de la « masse d’eau », un terme qui renvoie aux mers et aux lacs, alors qu’il ne sera question dans l’immense majorité des cas que d’eaux courantes, qui renvoie à un volume d’eau, alors qu’il ne sera question que de discontinuités en plan, qui renvoie à des limites de densité d’eau, alors qu’il ne sera question que de segmentation par des confluents."
Ce faisant, l'administration française a été conduite à faire disparaître un demi-million de plans d'eau de la nomenclature, pour centrer son approche sur la seule logique fluviale :
"Dans la pratique, l’administration française a construit 9748 MECE « masses d’eau cours d’eau » et seulement 429 MEPE « masses d’eau plan d’eau » (décompte effectué le 5 septembre 2019 à partir de la plateforme ouverte des don- nées publiques françaises, transmis par E. Hulot, DDT-87). Les MECE représentent donc 96 % du total et les MEPE 4 %. Cette élimination de 99,92 % des plans d’eau de notre pays, puisque, dans la réalité, il y a en France 554 566 plans d’eau de plus d’un are (Bartout et Touchart, 2013), a été rendue possible par l’invention de la limite de superficie de 50 ha, au-delà de laquelle un plan d’eau peut être défini et reconnu en tant que tel. Cette limite, qui n’est fondée sur aucune rupture du fonctionnement limnologique d’un plan d’eau qui aurait un fondement scientifique, est celle qui a été administrativement imposée pour faire une exception au fluvio-centrage de la DCE et des circulaires françaises. Parmi de nombreux exemples de ce fluvio-centrage, on peut citer la circulaire de 2005 précisant la typologie des masses d’eau, dont les schémas indiquent clairement qu’un plan d’eau d’origine fluviatile doit obligatoirement, qu’elle que soit sa taille, appartenir à une MECE (République Française, 2005)."
Ce fluvio-centrisme, formé autour du paradigme du libre écoulement de l'amont vers l'aval, a conduit à gommer les échanges se tenant autour des stockages et déstockages d'eau dans les bassins:
"La perte de la notion de volume en trois dimensions, ainsi que, à l’intérieur de la dimension horizontale, la très nette survalorisation de la direction longitudinale, dans le sens fluvial d’amont en aval, si possible sans rupture, sans ralentissement, sans emmagasinement d’eau, va à l’encontre de l’essence même de l’hydrosystème. Ainsi, curieusement, depuis une quinzaine d’années que le terme d’hydrosystème est régulièrement cité et revendiqué dans les documents officiels, comme les SDAGE, son vrai fondement scientifique, celui de redonner leur place aux échanges latitudinaux et verticaux, ainsi qu’aux alternances de stockage et déstockage, est moins suivi. Par le sens nouveau donné à la masse d’eau, le jargon administratif s’est éloigné de la signification scientifique originelle. Incontestablement, de nouveaux groupements scientifiques se sont formés, dominés par une mise en avant de l’aspect technique des Systèmes d’Informations Géographiques, qui cartographie des limites fixes aux nouvelles masses d’eau, aux dépens de la continuité épistémologique et des réflexions ancrées dans une évolution progressive tendant à prendre la mesure de la complexité de fonctionnement des objets hydrologiques, dont le caractère fluctuant des limites et seuils internes en fonction des échelles de temps est une manifestation majeure."
Il en résulte des aberrations hydrogéologiques, où par exemple une grande cascade naturelle ne produira pas selon l'administration deux masses d'eau distincts amont et aval, mais aussi des incompréhensions citoyennes voire des conflits sociaux, où la pratique familiale et locale autour d'un plan d'eau devient une anomalie du continuum de la masse d'eau idéalisée :
"La critique que nous faisons de cette nouvelle masse d’eau devra donner lieu à d’autres recherches, qui ouvriront vers des réflexions plus poussées sur les non-dits qui sous-tendent l’opposition trop simple entre ladite continuité d’un cours d’eau et les ruptures. La manière actuelle d’envisager cette opposition tend, selon nous, à éloigner la législation européenne et sa déclinaison en France de certaines réalités de terrain. Ainsi, selon les documents officiels, une cascade naturelle formée d’abrupts infranchissables de plus d’une centaine de mètres de hauteur ne forme pas de rupture hydrogéomorphologique nécessitant de distinguer deux masses d’eau. En revanche, plus de 99,9 % des propriétaires d’étangs français, y compris médiévaux, voient leur plan d’eau n’être qu’une « masse d’eau cours d’eau ».  Or la perception de ces gestionnaires locaux de leur territoire, dont les enquêtes scientifiques montrent qu’ils caractérisent les étangs par des qualificatifs comme «familial, amical, convivial» (Ardillier-Carras, 2007), est loin de se réduire à un ensemble d’impacts sur un cours d’eau. Ce genre de décalage rend sans doute difficile l’appropriation du discours européen par certaines catégories de la population, alors même que la concertation et la participation de l’ensemble du public sont censées être l’un des fers de lance de la politique de l’eau depuis 2000."
Discussion
Un autre effet dommageable de la posture de l'administration française est la négation du plan d'eau comme zone de biodiversité et hydro-disponibilité pour le vivant. Pour nombre de chercheurs étudiant ces milieux (voir par exemple Davies et al 2008, Chester et Robson 2013, Clifford et Hefferman 2018, Hill et al 2018), l'indifférence des gestionnaires est un problème pour la conservation, et la DCE 2000 en particulier était peu attentive à cette question. Le cas a été aggravé en France car les nouvelles orientations publiques ont opté dans les années 2000 pour un paradigme de "renaturation" du "continuum fluvial" ignorant totalement ces réalités, ne débloquant pas de moyens pour analyser spécifiquement leur écologie et leur hydrologie, appelant parfois à les faire disparaître sans la moindre prudence sur les milieux asséchés et sur les évolutions locales futures en situation de changement climatique.

Références : Touchart L, Bartout P (2020), La masse d’eau : le détournement administratif d’un concept géographique, BSGLg, 74, 65-78

26/06/2020

Un guide multi-critères pour une continuité apaisée et informée au droit des moulins, étangs, plans d'eau

La Coordination Eaux & rivières humaines vient de publier un guide d'instruction pour l'étude des ouvrages hydrauliques dans le cadre de la continuité écologique apaisée. Ce guide a pour but de s'assurer que les services de l'Etat (DDT-M, OFB), des syndicats de rivière et de leurs maîtres d'oeuvre (bureaux d'études) prennent en considération l'ensemble des enjeux sur chaque ouvrage : droit, culture, paysage, hydrologie, écologie, énergie, riveraineté, usages locaux, analyse coût-avantage. Le guide doit être adressé par chaque association au préfet (ci-dessous, modèle de courrier) et par chaque propriétaire au maître d'oeuvre. Nous sommes persuadés que si une analyse multi-critères est réellement menée, les solutions préférables apparaîtront d'elles-mêmes. Encore faut-il étudier les ouvrages, les milieux et les usages, au lieu de faire des copier-coller sur quelques critères très limités.



Télécharger :
Guide de bonnes pratiques en analyse d'ouvrages hydrauliques
Modèle de courrier au préfet

Notre constat est simple : il n’y aura aucune politique apaisée de continuité écologique si les expertises continuent à ignorer des informations essentielles sur les ouvrages, leurs milieux, leurs usages.

Aujourd'hui, quand on étudie un ouvrage hydraulique en cours d’eau classé au titre de la continuité écologique, on évacue en général un grand nombre de paramètres importants. L’analyse est faite par un bureau d’études privé (parfois une fédération de pêche) avec de nombreux biais. On choisit certains aspects (quelques poissons spécialisés en général), mais on ignore ou on traite sommairement des dimensions essentielles : le patrimoine culturel, le paysage, les usages dont l’énergie, la biodiversité hors poissons spécialisés, la ressource en eau, l’adaptation au changement climatique, les coûts et les risques.

Ce nouveau guide liste l’ensemble des informations que la CNERH souhaite voir apparaître désormais dans chaque étude de continuité écologique payée par l’argent public des agences de l’eau, des syndicats de rivière (EPTB, EPAGE) ou des collectivités.



Ce guide est aussi un élément de protection juridique de vos adhérents.

En l’envoyant au préfet avec une lettre d’accompagnement (cf modèle en lien ci-dessus), vous prévenez les autorités administratives qu’elles doivent respecter la loi en faisant des préconisations informées et proportionnées.

Si les administrations et les maîtres d’œuvre travaillant sur préconisation administrative ne respectent pas les demandes faites dans ce guide, le propriétaire de bonne foi pourra considérer qu’aucune solution conforme à l’ensemble des textes encadrant le droit de l’environnement et le droit civil ne lui a été proposée. Il est nécessaire de formaliser ces échanges, car en cas de mise en demeure de l’administration, ce sont des pièces que nous opposerons si besoin au juge pour démontrer qu’il y a eu carence de l’administration dans ses obligations de préconisation adaptée.


25/06/2020

Le jury citoyen, une bonne initiative mais encore très perfectible

La Convention citoyenne pour le climat a rendu ses conclusions en faveur de la transition bas-carbone. Cet exercice de démocratie participative est une avancée dans la manière de concevoir les débats, mais il a aussi mis en lumière des limites et des biais. Notre association étant favorable à des jurys citoyens dans l'élaboration des projets de bassin versant, aujourd'hui confisqués par des administrations et des lobbies, voici quelques observations pour en faire des outils plus représentatifs. 

Décidée par le Président de la République suite au mouvement des Gilets jaunes contre la taxe carbone et les 80 km/h, la Convention citoyenne pour le climat a réuni pendant 9 mois cent cinquante personnes tirées au sort. Elle avait pour mandat de définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale. Les conclusions, sous forme de 150 propositions, ont été rendues le 21 juin dernier.

Initiative existant déjà en France dans le passé sous la forme de jurys citoyens, le format et les conclusions de cette Convention ont suscité diverses réserves.

Les observateurs ont ainsi fait remarquer que la Convention a évité beaucoup de sujets centraux dans la transition bas-carbone (par exemple Arnaud Gossement dans Actu Environnment) :
  • rien sur le nucléaire,
  • rien sur la fiscalité carbone,
  • rien sur le soutien aux énergies renouvelables,
  • rien sur le déploiement concret des machines énergétiques (moteurs, chaudières etc.) alternatives au fossile.
Par ailleurs, les 150 mesures proposées manquent de rigueur :
  • on ne connaît pas le CO2 réellement évité à chaque mesure,
  • on ne connaît pas le coût estimé du CO2 évité,
  • on ne connaît pas le financement public et privé,
  • on ne sait pas si les mesures sont déjà présentes ou non dans le droit, et compatibles avec ce droit le cas échéant.
Plusieurs limites sont apparues dans la conception même du processus.

Le volontariat, un biais de représentation imparfaite. Contrairement à un jury d'assises, où la participation est obligatoire à peine d'amende, le jury citoyen a été recruté par tirage au sort mais sur la base du volontariat. Or, c'est un problème si l'on veut approcher correctement l'avis de tous sur des projets incluant des normes ou des taxes : les gens volontaires sur un sujet ne sont pas représentatifs du consentement, il faut aussi avoir l'avis des gens que le sujet n'intéresse pas ou peu (et qui consentent souvent moins à des efforts). En l'espèce, il semble qu'entre un tiers et les deux-tiers des citoyens contactés ont refusé de participer, donc on a un biais d'exclusion de beaucoup de citoyens sur ce critère.

L'expertise, un biais d'information sélective. Un autre point a été soulevé, notamment par des chercheurs étudiant le déroulement du processus, l'opacité dans le choix des expertises devant informer les citoyens sur des sujets complexes où chacun est a priori assez ignorant au départ (voir Le Monde 19/02/20220). Or, comme nous le savons, l'expertise n'a rien de neutre en de nombreux domaines, elle peut aussi exprimer des préjugés et préférences des experts. De plus, ces experts ne sont pas d'accord entre eux sur des méthodes et des conclusions.

L'ampleur du sujet, un biais de superficialité cognitive. Enfin, beaucoup de jurys citoyens dans le monde sont dédiés à des sujets assez précis, l'approbation ou l'évaluation d'une réforme du droit, d'un projet d'aménagement. Cette concentration du sujet (par sa géographie, sa thématique, son secteur ou autre) aide à cadrer la réflexion et à nourrir sur un objet délimité des idées nombreuses. Ici, en raison du fait que le carbone est lié à toutes les activités humaines, les thèmes ont débordé sur de nombreux domaines (par exemple la construction, la voiture, le bâtiment, l'isolation, l'avion, le plastique, l'agriculture...). Mais finalement, est-ce dans la capacité et dans le rôle de 150 citoyens d'avoir des idées de réformes sur tant de sujets, en si peu de temps, alors que chacun mériterait déjà une réflexion sur sa complexité?

Faire davantage participer les citoyens à la démocratie est une bonne chose, et permet de lutter contre le sentiment actuel de confiscation de l'exercice démocratique par le couple formé des grands élus et des experts, trop coupés du terrain et tendant à un entre-soi déconnecté des réalités vécues. Mais il faut que l'exercice soit mieux conçu :
  • des jurys citoyens plus locaux, pour une démocratie de terrain sur les choix concernant les cadres de vie,
  • des sujets mieux cernés, afin que les citoyens comprennent plus facilement les tenants et aboutissants, sans se disperser sur plein de thèmes différents,
  • des informations plus ouvertes, diverses et transparentes, afin que tous les avis informés soient entendus dans le processus de réflexion,
  • des obligations plus strictes de réflexion sur les financements, afin que les choix soient réalistes et responsables.

24/06/2020

Sauver le lac de la Roche-Qui-Boit de la destruction sur ordre de l'administration

Des riverains associés sous le nom "Les loutres de la Roche-qui-Boit" appellent Elisabeth Borne, ministre de l'écologie, à stopper la destruction du barrage et du lac sur la Sélune, qui héberge notamment le mammifère aquatique protégé. Ils lancent une pétition en ligne: soutenons-les contre les insupportables casseurs des patrimoines des rivières françaises. Nous devons tourner la page de cette continuité écologique destructrice qui provoque partout des assèchements de milieux, des conflits sociaux et des gabegies économiques. 



Texte de la pétition:

Sauver l'habitat de la Loutre d'Europe en baie du Mont Saint Michel !

À l'heure où les enjeux liés à l'environnement, la biodiversité, sont de plus en plus présents dans les débats publics, la présence de la loutre d'Europe, espèce protégée, dans le lac de la Roche-qui-Boit mais aussi au pied du barrage de la Roche-qui-boit jusqu'au moulin de Quincampoix.. est confirmée et rendue publique en Juin 2019 par arrêté préfectoral - source 

Cette information cruciale n'a été communiquée ni à Chantal Jouanno au ministère de l’environnement en 2009 ni à Nicolas Hulot en 2018 lorsque la décision fut prise d'araser les barrages de la Sélune.

L'un des arguments phares sur laquelle s'appuie cette décision est l'impossibilité pour les poissons migrateurs de circuler librement. Tout cela omettant totalement l'existence d’un piégeage permettant de répondre à la montaison des poissons présents à l'aval de la Roche-qui-Boit, piégeage analogue à ce qui existe depuis 10 ans sur la Garonne - voir la vidéo 

Au delà d'être devenu l'habitat naturel de la loutre, le lac de la roche-qui-boit se trouve être un véritable atout face aux différentes menaces liées au réchauffement climatique. Ce lac est plurifonctionnel. Il répond à la sécurité des sécheresses et de certaines inondations. En effet, les barrages ont l'avantage de ralentir les inondations et d'être utiles pour les prévenir - un petit rappel historique. De plus, l'appauvrissement des sols agricoles, l’arasement des talus et l'urbanisation grandissante depuis plus d'un siècle place plusieurs villages alentours, habitants, agriculteurs, ouvriers, intérimaires, entreprises, bétails sous la menace de crues et de glissements de terrains qui seraient plus importants et plus violents si le barrage n’existait pas. Et tout cela sans compter toute la faune et la flore qui se sont parfaitement réapproprié ce nouvel écosystème créé par le barrage et qui sont aujourd'hui condamnées à disparaître. Ce n'est pas seulement la loutre, c'est tout cet écosystème que nous cherchons à préserver, tout ce qui se développe depuis tant d'années autour de celui ci. 

La biodiversité est aujourd'hui notre meilleure assurance vie !

La loutre animal protégé 
Il serait tout à fait paradoxal d'amener cette affaire au pénal dans l'espoir de réussir à faire classer le lac de la Roche-qui-Boit, habitat des loutres d'Europe, au patrimoine historique, culturel et solidaire. En effet en France la loi est claire : Détruire ou enlever les œufs ou les nids des animaux des espèces protégées, Mutiler ces animaux, les tuer ou les capturer, et perturber intentionnellement ces animaux dans leur milieu naturel est passible de 3 ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende.
Dans le cas où l'infraction serait commise au cœur d'un parc naturel, l'amende est doublée. Sur le plan pénal les entreprises, ouvriers, intérimaires qui participeraient à la destruction de l’habitat de la loutre risquent gros (bande organisée) 
« Le fait de commettre les infractions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 415-3 du présent code en bande organisée, au sens de l'article 132-71 du code pénal, est puni de sept ans d’emprisonnement et 750 000 € d'amende. » - Source

La police judiciaire de l'environnement
Plus que jamais nous devons faire preuve de solidarité et notamment envers la nature. Aidez nous à faire entendre cet appel au Ministère de la Transition Écologique et Solidaire et ainsi à préserver le lac et le barrage de la Roche-Qui-Boit et leur précieuse biodiversité.

Pour plus d'informations ou pour toute demande n'hésitez pas à nous contacter : lesloutresdelarochequiboit@gmail.com 

Pour signer cette pétition et soutenir la défense de la Roche-Qui-Boit, c'est ici

20/06/2020

Qui va définir les services environnementaux justifiant des paiements? (Kolinjivadi 2020)

Les paiements pour services environnementaux (ou écosytémiques), dits PSE, sont à la mode en Europe et émergent en France. La collectivité paie un propriétaire car il adopte des pratiques favorables à l'environnement. Mais dans le forum de la revue Water Alternatives, un chercheur belge souligne que ce procédé est opaque, voire injuste : des bureaucraties expertes tendent à prédéfinir et normaliser ce qu'est un service sans tenir compte des liens intimes que des populations entretiennent avec l'eau ou le sol sur chaque territoire, donc sans intégrer la manière dont les services sont vécus et définis. Nous traduisons ici ce texte intéressant pour le public francophone. Il rappelle que pour beaucoup de chercheurs en sciences humaines et sociales, il n'existe pas de nature coupée de l'humain, mais toujours une nature appréciée et interprétée par l'humain. C'est vrai dans les rapports Nord-Sud, comme rappelé ici, mais aussi bien au sein de chaque société du Nord et du Sud. Nous suggérons que le monde des moulins et étangs, très sensible à cette notion de lien historique et social, réfléchisse aux implications des PSE. Après tout, bien gérer un ouvrage hydraulique et ses dépendances, n'est-ce pas aussi rendre des services aux environnements locaux? Au nom de quoi des experts le nieraient si demain cette réalité est perçue, montrée et revendiquée? Les acteurs des rivières doivent développer ces réflexions nouvelles, car nous entrons dans une période de redéfinition locale et globale des biens communs comme l'eau ou la biodiversité, mais aussi d'évolution de leur gestion. 


Roselière dans l'étang-retenue d'un moulin de l'Ource (21). Cet hydrosytème hérité du Moyen Age héberge de nombreuses espèces (dont la cigogne noire, protégée), contribue à la qualité des milieux aquatiques, permet des agréments locaux. Pourquoi ne pas considérer qu'une gestion attentive de ce type d'ouvrages hydrauliques justifierait de services écosystémiques? Et qui doit en juger si l'on commence à définir des paiements pour de tels services? 

La conditionnalité comme dépossession? 
L'injustice socioculturelle des «paiements pour services écosystémiques» (PSE)

"Les «paiements pour services écosystémiques» (PSE) [NDT : en français, souvent appelés paiements pour services environnementaux] ont été salués comme des accords volontaires visant à indemniser les individus pour les «services écosystémiques» (désormais SE) qu'ils fournissent à d'autres. Le PSE vise à aligner les avantages privés et publics de la conservation et a été particulièrement populaire comme mécanisme pour améliorer la qualité de l'eau en encourageant les pratiques d'utilisation des terres qui réduisent la sédimentation ou la contamination des sols aux frontières des zones agricoles. Les PSE dans les bassins versants fonctionnent le plus souvent en encourageant les utilisateurs des terres à adopter des pratiques d'utilisation spécifiques qui protégeront les sols (par exemple, retirer les terres en pente de la production ou le reboisement pour empêcher l'envasement des réservoirs), ou la qualité des eaux souterraines (par exemple, en limitant l'utilisation de nitrates pour préserver la potabilité de l'eau de source). Les paiements sont souvent déterminés en égalant ou en dépassant le coût d'opportunité économique du changement de pratiques d'utilisation des terres. Les paiements sont généralement distribués individuellement aux ménages participants ou, dans certains cas, aux communautés d'utilisateurs des terres, comme dans le cas du programme mexicain de paiement des services hydrologiques. 

L'évaluation des projets de PSE repose sur la notion de "conditionnalité", ce qui signifie que les paiements aux utilisateurs des terres dépendent de la preuve que le SE (par exemple, une meilleure qualité de l'eau) a été atteint ou, plus fréquemment, que l'utilisation convenue des terres selon les pratiques qui servent de base à l'accord a été mise en œuvre. Que les projets de PSE atteignent ou non leurs objectifs, le cadre de ces accords et les relations homme-nature qu'ils représentent ont de nombreuses ramifications cachées, et même insidieuses. Ce sont ces préoccupations que cette intervention aborde.

Les relations sociales intimes entre les gens et leur territoire
Dans son essai de 2014, "Qu'est-ce que la terre?" l'anthropologue Tanya Murray Li a écrit sur la façon dont la «terre» est assemblée en «ressource» par un réseau sophistiqué de scientifiques, d'investisseurs, de techniciens, de responsables gouvernementaux et d'acteurs non gouvernementaux. Grâce aux efforts de ces experts, la «terre» et «l'eau» deviennent des ressources tangibles à gouverner par l'attribution de droits de propriété. Pourtant, la terre, et en fait l'eau, ne sont pas des objets solides qui peuvent être, selon les mots de Li, enroulés comme une natte. Ils offrent ce qu'elle appelle des «opportunités» [affordance] ou des relations sociales intimes entre les gens et leur territoire. Ces opportunités reflètent la notion d'abondance et elles sont imprégnées de cultures qui ont généré des interactions significatives avec l'environnement vivant et non vivant, à des moments et des endroits spécifiques, et à travers des histoires de mémoire collective transmises depuis des temps immémoriaux. Un attachement ou un sentiment d'appartenance à la terre et aux eaux crée des identités sociales, qui à leur tour façonnent les possibilités infinies qu'offre la terre. Tout comme la matérialité fluide de l'eau elle-même, les opportunités qui caractérisent les relations homme-nature sont toujours émergentes, toujours transformantes, mais toujours présentes.

Lorsque les avantages de la terre ou de l'eau pour les personnes sont définis comme des services écosystémiques (SE) «d'approvisionnement», «régulateurs» ou «culturels», un certain degré de cette intimité et de la fluidité matérielle et sociale des relations homme-nature devient fixé artificiellement dans le temps et l'espace. Bien que cela puisse être fait pour des raisons politiques et économiques, les relations émergentes de ces "opportunités" sont disciplinées en catégories stériles rendues lisibles pour cartographier et attribuer des valeurs monétaires à des bassins versants plus "multifonctionnels". Les résultats écologiques sont ensuite évalués par la modélisation technique et la manipulation de ces catégories SE abstraites et proclamés comme une "science" à part entière, approuvés et légitimés par le biais de forums scientifiques et politiques comme le Groupe d'experts intergouvernemental sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Dans le processus, la diversité épistémologique et ontologique est réduite à des constructions sociales faciles à catégoriser comme SE. Cette objectivation est largement imposée par un lien entre des universitaires du Nord, des agences d'aide multilatérale et des consultants financés par le Nord. Cela signifie que l'injustice et l'iniquité dans les politiques de "services écosystémiques" seront à la base de leur fonctionnement, plutôt que quelque chose qui peut être résolu par une conception et une mise en œuvre plus inclusives.

Le PSE va encore plus loin dans cette violence épistémique. Après avoir déjà présumé que les SE sont des réalités scientifiques objectives qui peuvent être identifiées, mesurées, cartographiées et accordées sans équivoque, les systèmes de PSE tentent d'engager des négociations entre les utilisateurs des terres et de l'eau en introduisant des incitations idéalement alignées sur le coût d'opportunité économique de leur "livraison." Ce qui a commencé comme une reconnaissance des formes intimes de connexion et de relations avec la terre et l'eau se termine par leur objectivation en tant qu'ES et, par la suite, l'échange de ces valeurs par des incitations économiques.

Cela ne signifie pas que les paiements ne peuvent pas être avantageux. Ils peuvent l'être s'ils engendrent de nouveaux types de relations sociales qui se fondent sur l'intendance de la terre et de l'eau. Les facteurs qui conduisent à ces résultats potentiellement positifs refléteront la manière dont les incitations répondent aux besoins individuels et collectifs des utilisateurs des terres et de l'eau. Cependant, en supposant que des paiements peuvent être effectués pour "fournir" efficacement des moyens de subsistance, on n'apprécie pas le déroulement dynamique des relations homme-nature qui sont continuellement mises en place. De telles relations ne peuvent pas être "livrées" car elles sont immédiatement modifiées dès qu'elles sont objectivées et inscrites dans une transaction PES conditionnelle. Une bonne analogie ici est l'amitié. Une amitié émerge souvent spontanément de l'attention et de l'affection. Mais que se passe-t-il si une amitié n'est faite pour "exister" qu'à la remise conditionnelle d'une liste de contrôle de ce qui compte comme amitié? Cette amitié changerait sûrement son caractère dans le second par rapport au premier.

Ainsi, la question se pose alors: si les SE sont créés par un cadre d'experts externes qui tentent de traduire les ressources foncières et l'eau profondément situées et souvent intangibles en "ressources" plus facilement manipulables, par exemple, "la gestion des bassins versants", alors qu'arrive-t-il aux affinités qui se perdent dans cette traduction? Qu'arrive-t-il aux régimes fonciers coutumiers fonciers et hydriques qui impliquent diverses manières de connaître la terre et l'eau, et qui ne peuvent pas être compris comme des "ressources" économiquement excluables ou rivales comme le sont des constructions comme les crédits de carbone ou les permis d'échange de la qualité de l'eau? Ainsi, l'impératif d'exiger la conditionnalité dans les PSE modifiera inévitablement les opportunités qui façonnent et sont elles-mêmes façonnées par les pratiques socioculturelles. Cette altération peut risquer de déposséder les gens de ces avantages ou elle peut en générer de nouveaux; mais leur caractère changera inévitablement malgré tout.

Des experts "externes" déterminant les services ou une autonomie culturelle?
Cette nuance est à peine reconnue par les théoriciens du PSE, qui restent déterminés à privilégier la stricte conditionnalité écologique à la «prestation des SE» par-dessus tout, avec peu de considération pour l'équité sociale ou la justice. La perversité de la conditionnalité réside dans la séquence: a) identifier d'abord les avantages de la nature pour des personnes spécifiques (plus souvent déjà prédéterminés comme SE par des "experts" externes) et ensuite b) licencier efficacement ces mêmes personnes en exigeant que les avantages de cette nature soient prioritaires avant tout pour assurer la soi-disant efficacité écologique des PSE. Cela est particulièrement problématique lorsque les catégories de SE ne sont même pas à discuter dans des mécanismes de financement durable à grande échelle financés par le Nord comme le Fonds vert pour le climat. Les mécanismes de financement internationaux comme REDD + qui tentent de «regrouper» les SE, pour la séquestration du carbone, la qualité de l'eau et la biodiversité, tournent déjà et traitent des SE abstraits, limitant la discussion uniquement à la manière dont la conditionnalité peut être réalisée plus efficacement.

Les SE peuvent en effet servir d'outil pédagogique pour illustrer à quel point les usages de la terre et de l'eau sont plus que ce qui semble à première vue. Mais pour certaines personnes, en particulier les communautés autochtones qui ont maintenu des relations relativement harmonieuses avec leurs terres et leurs eaux, cette reconnaissance et cette codification n'ont pas besoin d'être explicitées - et surtout pas par les "experts" du Nord. En plus de perpétuer les héritages coloniaux peu recommandables dans la hiérarchisation des connaissances occidentales sur les autres, cela peut avoir l'effet contre-intuitif de réifier les relations socio-écologiques qui existent, qui existent. De telles relations n'ont pas besoin d'être expliquées et simplifiées dans des récits occidentaux, et encore moins regroupées en paiements conditionnels alignés sur les coûts d'opportunité économiques.

Si les érudits et les praticiens de (P)SE sont prêts à céder leur place ici, ils pourraient en venir à percevoir comment les négociations incitatives sont monnaie courante pour les utilisateurs des terres et de l'eau naviguant constamment entre le désir d'une plus grande autonomie culturelle sur leurs terres et leurs eaux et les impératifs des ouvertures de l'État et du marché, qui les obligent à considérer les opportunités de la terre et de l'eau comme des «ressources». Une plus grande attention aux premiers peut aider à identifier comment les incitations peuvent favoriser une plus grande cohésion sociale et une meilleure appropriation de la génération d'opportunités nouvelles sur la terre et l'eau. Cependant, tant que la communauté (P)ES continuera de poursuivre ce dernier, l'injustice et l'iniquité dans ces programmes et politiques seront à la hauteur.

Vijay Krishnan Kolinjivadi

Vijay est chercheur post-doctoral à l'Institut des politiques de développement (IOB) de l'Université d'Anvers (Belgique). Écologiste de formation et titulaire d'un doctorat sur les dimensions sociopolitiques de la gestion intégrée des ressources en eau, ses recherches se concentrent sur les intersections de l'économie écologique et de l'écologie politique pour comprendre la complexité socio-écologique. Il effectue des recherches théoriques et empiriques sur les initiatives des PSE depuis plus d'une décennie.

Référence: Li, T.M. (2014), What is Land? Assembling a resource for global investment. Transactions of the Institute of British Geographers 39, 4, 589-602.

Source de ce texte (anglais) Les intertitres sont de la rédaction.

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