12/09/2021

Sur l'Ahr, fallait-il protéger en priorité le saumon ou la population?

Les inondations de l'été 2021 ont été meurtrières en Europe centrale, avec plus de 200 victimes. Et des dizaines de milliards d'euros de dégâts. Sur le bassin versant de la rivière Ahr (Allemagne), qui a été l'un des plus touchés, le risque de crue était parfaitement documenté depuis des siècles. Mais alors que le réchauffement climatique crée des conditions pour des épisodes de crues plus intenses, les décideurs ont jugé depuis 20 ans qu'une des priorités d'aménagement du bassin était... la restauration écologique en faveur du saumon. Pourquoi l'argent public est-il ainsi détourné des enjeux essentiels de régulation des crues et des sécheresses en vue de protéger les populations, mais aussi de prévention du réchauffement climatique? Va-t-on continuer à disperser l'argent des citoyens dans des nostalgies de nature sauvage alors que des enjeux existentiels autrement plus graves sont devant nous? 


Entre le 12 et le 15 juillet 2021, de fortes précipitations associées au système dépressionnaire «Bernd» ont entraîné de graves inondations en Europe, en particulier dans les États allemands de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et Rhénanie-Palatinat, au Luxembourg et le long de la Meuse et certains de ses affluents, en Belgique et aux Pays-Bas.

Au moment des pluies, les sols étaient en partie déjà saturés suite à un printemps et un été plutôt humides. Certaines sections de vallée sont très étroites avec des pentes abruptes conduisant à des effets d'entonnoir en cas de crues extrêmes. 

Les inondations ont fait au moins 184 morts en Allemagne et 38 en Belgique et des dommages considérables aux infrastructures, y compris les maisons, les autoroutes, les voies ferrées et les ponts. Les fermetures de routes ont laissé certains endroits inaccessibles pendant des jours, coupant certains villages des voies d'évacuation et des interventions d'urgence. Les zones les plus touchées se trouvaient autour des rivières Ahr, Erft et Meuse.

Des scientifiques d'Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Suisse, France, États-Unis et Royaume-Uni ont collaboré pour évaluer dans quelle mesure le changement climatique induit par l'homme a modifié la probabilité et l'intensité de si fortes précipitations provoquant de graves inondations (consortium World Weather Attribution). Ils concluent notamment : 
"le changement climatique a augmenté l'intensité de l'événement pluviométrique maximal d'une journée pendant la saison estivale d'environ 3 à 19 % par rapport à un climat mondial 1,2 °C plus froid qu'aujourd'hui. L'augmentation est similaire pour l'événement de 2 jours. La probabilité qu'un tel événement se produise aujourd'hui par rapport à un climat plus frais de 1,2 °C a augmenté d'un facteur compris entre 1,2 et 9 pour un événement d'une journée. L'augmentation est à nouveau similaire pour un événement de 2 jours. Dans un climat plus chaud de 2 °C qu'à l'époque préindustrielle, les modèles suggèrent que l'intensité d'un événement d'une journée augmenterait encore de 0,8 à 6 % et la probabilité d'un facteur de 1,2 à 1,4. L'augmentation est à nouveau similaire pour l'événement de 2 jours."
Au début d’août, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a également pointé dans son nouveau rapport un réchauffement de la planète plus rapide qu’on ne le pensait, avec des effets significatifs à venir sur le cycle de l'eau

Toutefois, si le changement climatique augmente les conditions de fréquence et d'intensité de ces événements extrêmes, il est loin d'être le seul coupable. 

Le climat n'est pas le seul responsable des bilans des crues
D'abord, de tels événements peuvent toujours survenir par hasard, et les crues de la période prémoderne occasionnaient déjà de nombreuses victimes. Ensuite, les choix que l'on fait dans l'aménagement des rivières et des bassins versants ont une influence majeure sur les écoulements locaux et les risques humains. Les observations rapportées sur la page Wikipedia des inondations sont ainsi intéressantes à examiner.

Dans la vallée de l'Ahr (district d'Ahrweiler), il y a eu déjà de graves inondations en 1601, 1804 et 1910, certaines avec des pics de crue plus élevés. En réponse à la crue de 1910, des bassins de rétention des crues à grande échelle d'une capacité de 11,5 millions de m3 ont été prévus dans le cours supérieur de l'Ahr, sur le Trierbach, dans le Wirftbachtal et sur l'Adenauer Bach. En raison d'un manque d'argent, les plans n'ont pas été mis en œuvre et à la place, on a construit le circuit automobile Nürburgring. 


La vulnérabilité du bassin versant a été exacerbée par le fait que les cours d'eau ont été redressés lors du remembrement des terres dans les années 1970 et que des canaux de drainage ont été créés dans les vignobles, à travers lesquels les précipitations sur les pentes sont déversées verticalement, de sorte que le niveau d'eau dans la vallée augmente rapidement. De plus, la roche d'ardoise typique de la région est presque imperméable à l'eau et donc de fortes pluies s'écoulent facilement. Les ruisseaux latéraux sont également très raides et donnent à l'eau une vitesse élevée, de sorte que le niveau d'eau dans la vallée monte rapidement. D'autres facteurs pouvant aggraver la situation lors de fortes précipitations sont l'imperméabilisation des terres, la déforestation, les sols asséchés et les mesures de protection contre les inondations manquantes ou mal dimensionnées, entre autres sur les ruisseaux de basse montagne qui sont jusqu'à présent rarement apparus comme un risque.

Selon les géographes Thomas Roggenkamp et Jürgen Herget, la carte des risques d'inondation pour la vallée de l'Ahr est basée sur les valeurs mesurées collectées depuis 1947 seulement. Bien que les incertitudes des statistiques des valeurs extrêmes soient connues lorsque la taille de l'échantillon est petite, les graves inondations des siècles passés n'ont pas été prises en compte dans l'évaluation de l'évaluation des risques. Selon leur évaluation, la crue de juillet 2021 est une répétition de la crue de juillet 1804. Malgré des débits comparables (quantités d'eau en mètres cubes par seconde), la crue de juillet 2021 a atteint des niveaux d'eau plus élevés que ceux de 1804. La raison est qu'aujourd'hui, le développement plus dense du lit majeur d'inondation a réduit la surface traversée par l'eau et les niveaux ont augmenté localement de manière disproportionnée. 

Depuis 20 ans on a investi... pour le saumon
Le gouvernement fédéral et le Land de Rhénanie-Palatinat avaient encouragé des mesures de renaturation dans la vallée de l'Ahr. Selon Wolfgang Büchs, il s'agissait de mesures judicieuses, mais les bassins de rétention des crues et autres systèmes de rétention des pluies - également dans les vallées latérales - sont les seules mesures efficaces contre les événements pluvieux extrêmes.

Savoir si les mesures en question furent "judicieuses" se discute et devra être examiné avec la plus grande attention dans le bilan définitif de ces inondations de l'Ahr. 

En effet, la rivière Ahr fait l'objet depuis plus de 20 ans de plans pour la réintroduction du saumon du Rhin dans ses habitats d'origine. Plusieurs barrages ont été effacés ou aménagés sur argent public (Bad Bodendorfer, Heimersheimer, Bad Neuenahrer...). Bien entendu, au regard de la gravité de la crue de 2021, ces aménagements n'ont eu qu'une influence mineure. Mais c'est la question inverse qu'il faut poser: pour éviter des dizaines de morts et de milliers de destructions dans le bassin versant de l'Ahr, quels étaient les aménagements à envisager en priorité depuis 20 ans, et avant déjà? S'il est reconnu que le bassin est à haut risque historique et s'il a été envisagé voici un siècle déjà des retenues pour tamponner les crues, pourquoi ce genre de projet n'a-t-il pas été au centre de la réflexion des décideurs? Si les choix du lit majeur sont plus impactants que ceux du lit mineur, pourquoi ne traite-t-on pas les choses dans l'ordre? Si l'on juge "normal" que les rivières reprennent leur droit en crue, cela signifie-t-il que l'on assume comme "normales" les pertes humaines et destructions de biens? La même question valant pour les sécheresses, autre spectre du changement climatique : au nom de la nature rendue à sa naturalité, les populations doivent-elles accepter demain des lits secs tous les étés? 

Les gestionnaires de l'écologie des rivières et plans d'eau ont aujourd'hui des discours contradictoires et des actions confuses. D'un côté, ils reconnaissent que les conditions naturelles sont changées par le réchauffement climatique – plus généralement par la démographie et l'économie humaines – ; d'un autre côté, ils proposent simplement de restaurer des portions de conditions naturelles antérieures, comme si de rien n'était. D'un côté, le climat est reconnu par les rapports GIEC comme une menace existentielle de premier ordre pour les sociétés humaines et pour le vivant ; d'un autre côté, on refuse d'en faire le critère prioritaire quand on gère les rivières pour l'énergie, les crues, les sécheresses et autres éléments liés au climat. 

Ces contradictions et confusions doivent cesser. La France aussi connaîtra des crues terribles et des sécheresses sévères. La France aussi doit faire sa part pour sortir au plus vite de l'énergie fossile sur son territoire et dans ses importations. C'est en ayant à l'esprit ces événements extrêmes et ces priorités publiques que l'on doit aménager désormais nos rivières. 

05/09/2021

A Ruoms, le préfet vide la rivière Ardèche pour un problème non prouvé sur une chaussée de moulin

Stupéfaction et colère à Ruoms en Ardèche : arguant sur simple avis sans preuve d'un problème de sécurité lié à des fuites sur une chaussée de moulin, les autorités préfectorales ont pris un arrêté dans la précipitation et exigé d'ouvrir grandes les vannes, vidant ainsi la retenue et affectant la vie des milieux comme celle des riverains. L'un d'entre eux a déposé plainte au tribunal administratif. S'agit-il de la nouvelle stratégie de l'administration eau et biodiversité, contrariée dans sa volonté de détruire les moulins et étangs, exagérant la gravité des problèmes allégués pour rendre coûteuse, complexe sinon impossible la gestion des ouvrages? Espérons que non, car une telle stratégie arbitraire ne ferait que pourrir un peu plus les rapports déjà déplorables entre administration et administrés des rivières. A Ruoms, les citoyens sont déjà mobilisés pour que cessent ces pratiques et les troubles qu'elles induisent. 


En fin de semaine, un citoyen a déposé auprès du tribunal administratif de Lyon une requête en annulation préalable à un référé suspension contre l’arrêté n° 07-2021-09-0200001 du 2 septembre 2021 pris par le Préfet de l’Ardèche et la décision unilatérale de vidanger la partie de la rivière en amont du seuil dit du Moulin de Ruoms. Propriétaire en amont immédiat de l’ouvrage, ce riverain s'estime victime des effets dévastateurs sur les berges.

Tous les ouvrages du linéaire de l’Ardèche ont été équipés de passes à poissons. Le cas du moulin de Ruoms et du seuil attenant, pourtant le plus ancien du tronçon,  semble être la cible d’agents qui n’ont manifestement pas compris d’une part que les habitants sont très attachés à ce patrimoine, d’autre part que l’aménagement et la consolidation de l’ouvrage, déjà bien entrepris sur la partie du moulin lui-même, s’effectueront quelques soient leur intentions inavouées.



Voici l'appel des riverains.

Rendez-nous notre rivière !

C’est un spectacle de profonde désolation que les habitants de Ruoms, de Labeaume et d’ailleurs ont découvert ce matin en empruntant le pont de la Bigournette. La rivière a en effet disparu sous les défilés, laissant place à d’immenses espaces de vases et de galets parcourus par un mince filet d’eau.

Comment une telle situation inconcevable a pu survenir si brutalement ?

Alors que le Moulin de Ruoms et le seuil attenant figurent parmi des ouvrages séculaires les plus anciens du linéaire de la rivière, des agents de la DREAL et de l’INRA, des organismes publics ou semi publics sont venus ces derniers jours sur le site à l’invitation de l’établissement public territorial du bassin versant de l’Ardèche (EPTB ex. Ardèche Claire) pour y constater d’éventuels fuites sur l’ouvrage. Alors que ces fuites n’avaient occasionné aucun problème tout au long de l’été, alors que le site a été parcouru par des milliers de canoës, ces organismes ont subitement estimé que l’ouvrage comportait un risque majeur en termes de sécurité. Pourtant, tous les ouvrages similaires de l’Ardèche comportent des fuites, par exemple à Salavas, sans que cela n’ait jamais autant ému tous ces experts.

De façon empirique, sans aucune étude technique approfondie, ces agents ont donc produit un « avis » sur leur seule conviction pour motiver le Préfet à prendre un arrêté d’interdiction de la rivière tout en ordonnant au propriétaire du Moulin d’ouvrir les vannes, ce qui a eu pour conséquence mécanique la vidange intégrale du bassin en amont de l’ouvrage, défigurant le site des Défilés et provoquant des dégâts irréversibles tant pour la faune piscicole que pour la flore inféodée à cette ripisylve particulière.

Cette décision unilatérale n’a fait l’objet d’aucune concertation préalable ni des élus locaux, ni des acteurs de la vie sociale, ni des pêcheurs et encore moins des propriétaires riverains en amont qui voient leurs berges s’affaisser et l’érosion accrue. Une procédure de requête en annulation a été déposé ce matin par les riverains qui demandent une remise en eau immédiate du plan d’eau pour tenter de préserver leur bien.

Les pêcheurs, très surpris par cette démarche brutale ont de leur côté mobilisé une équipe de bénévoles ce matin pour sauver ce qui pouvait encore l’être (carpes, aprons, …) sur le bief impacté en amont, long de deux kilomètres.

Plus tard, toute la communauté locale s’est réunie à 10 h au moulin de Ruoms pour y attendre les représentants de l’État qui ont pris cette décision, accompagnés de ces « techniciens experts » qui ont formulé cet avis. Il leur a alors été demandé qu’ils produisent cet avis, mais contre toute attente, cela n’a pas été possible. Ces agents arguent du fait que leur simple présomption d’un risque de sécurité a suffi à motiver cet avis, ce qui est pour le moins étonnant, puisque ce risque (une fuite sur l’ouvrage) n’est pas apparu récemment et par conséquent, il a fallu attendre que la saison touristique touche à sa fin pour que cette préoccupation sécuritaire surgisse subitement.

La question est donc maintenant de savoir quand le plan d’eau va être enfin remis en eau. Il y a urgence car l’ouvrage hors d’eau est bien plus vulnérable qu’en eau et les épisodes cévenols à venir prochainement pourraient sérieusement le fragiliser. Le propriétaire du moulin se propose en conséquence de solliciter sans délai un bureau d’étude indépendant pour apporter une solution de colmatage de la fuite incriminée dans les tous prochains jours en préalable à une remise en eau. Encore faudra-t-il alors que les services de l’Etat valident cette solution.

Tous les acteurs concernés ont prévu de se rencontrer en début de semaine prochaine à l’invitation du maire de Labeaume. Cette situation est d’autant plus paradoxale que des centaines de milliers d’euros, dont une bonne partie d’argent public, ont déjà été investis pour consolider le moulin et réaliser une passe à poissons d’ores et déjà opérationnelle permettant de respecter les objectifs de continuité écologique fixés par la Commission Européenne. Outre l’attachement des habitants à ce patrimoine séculaire, les citoyens contribuables locaux ne comprendraient pas bien pourquoi on ne terminerait pas de travail déjà bien entrepris de consolidation de cet ouvrage.

Mais peut-être existe-t-il derrière ce dossier, des motivations non révélées ?

25/08/2021

Ecrivez au préfet pour informer de l'illégalité des destructions de moulins et autres ouvrages

Notre association propose ci-dessous à toutes ses consoeurs un modèle de lettre aux préfets de département, qui résume les avancées récentes de la loi et de la jurisprudence sur la continuité écologique. Il est illégal de détruire l'usage actuel ou potentiel d'un ouvrage, il est illégal d'imposer la continuité à un ouvrage producteur ou en projet de production, il est illégal de refuser par principe une construction ou reconstruction d'ouvrage en rivière : aucun agent public ni privé ne doit donc inciter à ces actes ni les commettre, à peine de contentieux pénal et/ou administratif. C'est aux préfets de restaurer désormais la parole de l'Etat et l'autorité de la loi face à des dérives qui ont tant nui à la vie des rivières et des riverains.


Comme le savent les associations, il ne faut pas attendre que la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie produise des circulaires d'application de la loi : depuis 6 ans, cette direction ne produit au mieux que des circulaires ou décrets pour contourner la lettre et l'esprit des lois, ce qui lui vaut des condamnations régulières au conseil d'Etat. 

Les associations, les collectifs et les syndicats d'ouvrages doivent donc informer eux-mêmes le préfet de département de l'évolution de la loi et de la jurisprudence. Mais aussi et surtout, vous l'aurez compris, de leur vigilance à faire désormais appliquer cette loi et cette jurisprudence partout, face aux abus de pouvoir et aux erreurs d'appréciation devenus monnaie courante. La lettre ci-après est un modèle en ce sens, elle est adaptée à toute la France. Vous pouvez bien sûr la personnaliser en ajoutant des cas concrets du département, notamment ceux où des destructions étaient planifiées. Mais vous veillerez à conserver tous les arguments de droit, que le préfet transmettra à son service juridique.

Monsieur le Préfet / Madame la Préfète, 

La mise en oeuvre de la continuité écologique s'est révélée problématique depuis la parution des classements des rivières en 2012-2013. Les parlementaires ont déjà dû l'amender à quatre reprises dans le passé récent, en raison des plaintes nombreuses des propriétaires et riverains d'ouvrages hydrauliques, ainsi que des décisions de justice défavorables à certaines interprétations du ministère de l'écologie. 

Une cinquième réforme législative d'importance vient d'être engagée et elle est opposable depuis le 23 août 2021.

La loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (n°2021-1104) publiée au JORF le 22 août 2021, a en effet précisé le cadre de l’action publique en réécrivant l’article L 214-17 code environnement. Voici sa principale évolution :

I. Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin :
2) Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d’énergie. S’agissant plus particulièrement des moulins à eau, l’entretien, la gestion et l’équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l’accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l’exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages.

En outre, deux décisions importantes du conseil d'Etat en 2021 ont censuré le ministère de l'écologie et donc l'interprétation administrative des lois ou décrets.

Le 31 mai 2021 (arrêt CE n°433043), le Conseil d’Etat a statué que la loi de 2017 ayant créé l’art L.214-18-1 code de l'environnement exempte les moulins à eau équipés pour produire de l’électricité de continuité en liste 2 ou ayant l’intention de produire, cela sans que le projet doive être antérieur à la loi et sans égard pour un classement plus ancien de la rivière, ce que l’administration refusait d’admettre.

Le 15 février 2021 (arrêts CE n° 435026, 435036, 435060, 435182, 438369), le Conseil d’Etat a annulé la redéfinition de l’obstacle à la continuité écologique dans un décret ministériel du 30 août 2019, car cette définition nouvelle ne correspondait pas à la loi, qui autorise à construire ou reconstruire des ouvrages en rivières classées liste 1 (par extension, à toute rivière moins protégée).

Pour récapituler ces 3 évolutions récentes :
  • les agents publics (ou leurs délégataires privés) ne peuvent plus détruire ni inciter à détruire l'usage actuel ou potentiel d'un ouvrage hydraulique autorisé dans la mise en oeuvre de la continuité écologique en rivière classé liste 2 au titre du L 214-17 code environnement,
  • les agents publics ne peuvent plus imposer des mesures de mise en conformité à la continuité écologique à des maîtres d'ouvrage présentant un projet de relance énergétique ou ayant déjà une production énergétique,
  • les agents publics ne peuvent plus s'opposer par principe à la construction ou reconstruction d'un ouvrage hydraulique en rivière.
En outre, et conformément à la disposition inchangée de la loi de 2006 pour les rivières classées liste 2, tout chantier de continuité écologique représentant une charge spéciale et exorbitante doit faire l'objet d'une indemnisation, que vos services doivent indiquer au maître d'ouvrage privé en coordination avec ceux des agences de l'eau ou de tout autre financeur public. 

Nous vous demandons en conséquence :
  • d'une part de réviser les arbitrages en cours d'études et travaux sur des ouvrages hydrauliques du département susceptible d'être désormais illégaux en l'état puisqu'ils préconisent la destruction de sites,
  • d'autre part d'informer de ces dispositions les services instructeurs de votre préfecture, mais aussi les acteurs publics et privés que vous coordonnez dans le cadre de la gestion des rivières (agence de l'eau, office français de la biodiversité, syndicats de bassin, fédérations ayant un agrément public sur la gestion des milieux aquatiques, services eau et environnement des collectivités, bureaux d'études et entreprises de travaux répondant à des marchés publics). 
Faute d’une parole publique claire et ferme de l'Etat sur les nouvelles dispositions du droit concernant la continuité écologique, et donc dans l’hypothèse d’une poursuite des orientations litigieuses observées jusqu'à présent, des contentieux de nature pénale et administrative seraient engagés contre tout acteur qui commettrait des actes illégaux ou inciterait à les commettre au titre de la mise en oeuvre de la continuité écologique.

Nous vous remercions par avance de la prise en compte par vos services de ces évolutions légales et jurisprudentielles, plus généralement du rappel de l'autorité de la loi. Nous sommes à disposition des acteurs publics s’ils souhaitent travailler en concertation aux meilleures solutions pour les ouvrages hydrauliques du département.

(politesse)

24/08/2021

La destruction d'ouvrages en rivières classées continuité écologique est désormais illégale

La loi Climat et résilience vient de paraître au journal officiel. Elle est opposable dès le lendemain de sa parution. Sur les rivières classées "continuité écologique" au titre de l'article L 214-17 du code de l'environnement, cette loi proscrit désormais la destruction des ouvrages de moulin et, plus généralement, la remise en cause d'un usage actuel ou potentiel d'ouvrage hydraulique. Les acteurs publics ou privés qui persisteraient à inciter, planifier ou exécuter la destruction d'ouvrage hydraulique dans ce contexte sont donc dans l'illégalité et susceptibles d'être dénoncés à la justice. Les préfets doivent acter cette évolution de la loi et en informer au plus vite les acteurs, afin de trouver des solutions positives et constructives pour la continuité écologique, plus généralement pour la bonne gestion des ouvrages au service des objectifs d'intérêt général. 



La loi dite "Climat et résilience" (n°2021-1104 du 22 août 2021) vient de paraître au Journal officiel de la République française. Elle entre donc en vigueur dès le lendemain de sa publication et est alors opposable.

Par son article 49, la loi modifie l'article L 214-17 du code de l'environnement précisant la mise en oeuvre de la continuité écologique sur les rivières classées à cette fin. Elle interdit expressément des destructions d'ouvrages de moulin, mais aussi de manière plus générale la remise en cause dans les solutions de continuité de l'usage actuel ou potentiel d'un site hydraulique.

Voici comment s'énonce désormais l'obligation de continuité écologique :

I. Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin :
2) Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d’énergie. S’agissant plus particulièrement des moulins à eau, l’entretien, la gestion et l’équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l’accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l’exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages.

Les services d'un syndicat de rivière, d'une préfecture, d'une agence de l'eau, de l'office français de la biodiversité, des collectivités territoriales sont donc désormais dans l'illégalité si, au titre de l'article L 214-17 du code de l'environnement, ils incitent, planifient ou exécutent la destruction d'ouvrage hydraulique. Il en va de même pour les acteurs privés (bureaux d'études, entreprises de BTP) en cas d'informations trompeuses aux maîtres d'ouvrage ou de chantiers illégaux. 

Les solutions envisageables pour la continuité écologique sont les gestions de vanne, les passes rustiques ou techniques, les rivières de contournement, le maintien en l'état s'il n'existe pas d'espèces migratrices sur la rivière, si l'ouvrage est partiellement franchissable ou s'il ne pose pas de problème à la continuité sédimentaire, ce qui est le cas général pour les sites les plus modestes et anciens. Ces solutions doivent en tout état de cause respecter la consistance légale autorisée par le droit d'eau ou le règlement d'eau, c'est-à-dire les conditions de hauteur et de débit de la chute et du bief en l'état du génie civil hydraulique. Cela proscrit par exemple des assèchements quasi complets de sites et de retenues par ouverture quasi-permanente de vannes, ou par rivière de contournement qui prendrait davantage que le débit réservé, ou débit minimum biologique. 

Notre association voit son interprétation de la loi de nouveau validée
Notre association avec d'autres affirmait depuis de nombreuses années que le texte et l'esprit de la loi sur l'eau de 2006 et de la loi de trame verte et bleue de 2009 ne prévoyaient nullement la destruction des ouvrages de moulins, d'étangs et de plans d'eau, de leurs usages et de leurs milieux. La chose est désormais précisée sans contestation possible par les députés et sénateurs. Elle l'a été aussi par plusieurs décisions récentes et importantes du conseil d'Etat qui ont censuré le ministère de l'écologie. La dérive d'un certain nombre de membres de l'administration ayant agi comme promoteurs dogmatiques et militants de la "rivière sauvage" doit désormais trouver son épilogue. Qu'il existe dans certains zones désertées par les humains de longue date des rivières à forte naturalité et qu'on souhaite les protéger comme telles est compréhensible ; mais que l'on dépense l'argent public et que l'on exerce des pressions inacceptables pour des chantiers de restauration forcée d'une soi-disant nature sauvage ne l'est plus. La loi et la jurisprudence sont désormais claires. 

Au-delà, il s'agit de projeter le rôle de l'ouvrage et de la rivière aménagée dans le 21 siècle. La France doit affronter de nombreux défis : éliminer le carbone de son mix énergétique (qui est à 70% fossile) et donc produire une énergie bas-carbone localement, gérer l'eau dans un contexte de sécheresses et crues risquant de devenir plus intenses, relocaliser son économie et revivifier ses territoires. Tout cela passe par une gestion intelligente des ouvrages hydrauliques en place. Les propriétaires privés comme les acteurs publics doivent en être convaincus, et travailler à concrétiser ces évolutions d'intérêt général

Nous allons publier un modèle de lettre aux préfets pour les associations : il est en effet indispensable que tous les acteurs relaient la loi et soient vigilants sur son application, afin que cessent partout les mauvaises pratiques.

17/08/2021

Cycle de l'eau et changement climatique, ce que dit le 6e rapport du GIEC

Le groupe 1 des chercheurs du GIEC, rassemblant les physiciens et modélisateurs du climat, vient de publier son 6e rapport sur le changement climatique. Nous traduisons ici le résumé des connaissances concernant le cycle de l'eau. La prise en compte de l'évolution climatique – pour prévenir le réchauffement et pour s'adapter à ses effets déjà non-évitables – est en train de devenir un impératif des politiques publiques. Ce qui aura des conséquences sur la gestion des rivières, comme nous l'exposerons dans un autre article.


Le résumé des travaux du GIEC, paru en ce mois d'août 2021, est produit par les chercheurs et approuvé par les Etats, ce qui lui donne un poids à la fois politique et scientifique. Le rapport montre que les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines ont élevé les températures d’environ 1,1 °C depuis la période 1850-1900 et conclut que la température mondiale, en moyenne sur les 20 prochaines années, devrait atteindre ou franchir le seuil de 1,5 °C. 

En l'absence d'une politique drastique de réduction des émissions carbone, le réchauffement moyen au cours du siècle pourrait atteindre 4°C, avec des valeurs plus importantes pour les terres qui se réchauffent plus vite que les océans. Au-delà des moyennes, ces valeurs indiquent une plus haute fréquence ou intensité de phénomènes extrêmes qui sont liés à un surcroît d'énergie et d'eau dans le système atmosphérique (vagues de chaleur, tempêtes et cyclones, pluies extrêmes, etc.). De tels épisodes ont des coûts matériels, économiques et humains pour les populations qui les subissent, en particulier les plus fragiles. 

La température modifie le cycle de l'eau, qui a une dimension critique pour les sociétés humaines et pour les milieux naturels. Nous publions ci-dessous les extraits du résumé technique du rapport GIEC concernant ce cycle. 


Extrait du résumé technique du 6e rapport du GIEC, 2021
(version encore sujette à ajustements de détail avant publication définitive)

Un réchauffement plus important des terres modifie les principales caractéristiques du cycle de l'eau. Le taux de changement des précipitations moyennes et du ruissellement, et leur variabilité, augmentent avec le réchauffement climatique. La majorité de la superficie des terres a connu une diminution de l'eau disponible pendant les saisons sèches en raison de l'augmentation globale de l'évapotranspiration (degré de confiance moyen). La superficie des terres affectées par l'augmentation de la fréquence et de la gravité des sécheresses s'étendra avec l'augmentation du réchauffement climatique (degré de confiance élevé). Il est peu probable que l'augmentation de l'efficacité de l'utilisation de l'eau par les plantes due à une concentration plus élevée de CO2 dans l'atmosphère atténue les sécheresses agricoles et écologiques extrêmes dans des conditions caractérisées par une humidité limitée du sol et une demande d'évaporation atmosphérique accrue.

La couverture neigeuse printanière de l'hémisphère Nord a diminué depuis au moins 1978 (degré de confiance très élevé), et il y a une forte confiance que les tendances de la perte de couverture neigeuse remontent à 1950. Il est très probable que l'influence humaine ait contribué à ces réductions. Le début plus précoce de la fonte des neiges a contribué à des changements saisonniers du débit (degré de confiance élevé). Une nouvelle diminution de l'étendue de la couverture neigeuse saisonnière de l'hémisphère nord est pratiquement certaine dans le cadre d'un nouveau réchauffement climatique.

La fréquence et l'intensité des événements de fortes précipitations ont augmenté dans la majorité des régions terrestres avec une bonne couverture d'observation depuis 1950 (degré de confiance élevé). L'influence humaine est probablement le principal moteur de ce changement. Il est extrêmement probable que sur la plupart des continents, les fortes précipitations deviendront plus fréquentes et plus intenses avec un réchauffement climatique supplémentaire. L'augmentation prévue des fortes précipitations extrêmes se traduit par une augmentation de la fréquence et de l'ampleur des crues pluviales (degré de confiance élevé).

La probabilité d'événements extrêmes composés a probablement augmenté en raison du changement climatique induit par l'homme Les vagues de chaleur et les sécheresses simultanées sont devenues plus fréquentes au cours du siècle dernier, et cette tendance se poursuivra avec un réchauffement global plus élevé (degré de confiance élevé). La probabilité d'inondations composites (onde de tempête, précipitations extrêmes et/ou débit fluvial) a augmenté dans certains endroits et continuera d'augmenter en raison à la fois de l'élévation du niveau de la mer et de l'augmentation des fortes précipitations, y compris les changements d'intensité des précipitations associés aux cyclones tropicaux ( grande confiance).

Au cours du siècle dernier, il y a eu un déplacement vers les pôles et vers le haut de la répartition de nombreuses espèces terrestres (degré de confiance très élevé) ainsi que des augmentations du renouvellement des espèces dans de nombreux écosystèmes (degré de confiance élevé). Il existe un degré de confiance élevé dans le fait que la répartition géographique des zones climatiques a changé dans de nombreuses régions du monde au cours du dernier demi-siècle. Le raport spécial sur le changement climatique dans les terres (SRCCL) a conclu que le réchauffement continu exacerbera les processus de désertification (degré de confiance moyen) et les écosystèmes deviendront de plus en plus exposés à des climats au-delà de ceux auxquels ils sont actuellement adaptés (degré de confiance élevé). On a une confiance moyenne dans le fait que le changement climatique augmentera les perturbations par (par exemple) les incendies et la mortalité des arbres dans plusieurs écosystèmes. Des augmentations sont prévues de la sécheresse, de l'aridité et des incendies dans certaines régions (degré de confiance élevé). Il existe une faible confiance dans l'ampleur de ces changements, mais la probabilité de franchir des seuils régionaux incertains (p. La réponse des cycles biogéochimiques à la perturbation anthropique peut être abrupte à l'échelle régionale et irréversible à l'échelle de la décennie au siècle (degré de confiance élevé).

Cycle de l'eau

Le changement climatique d'origine humaine a entraîné des changements détectables dans le cycle mondial de l'eau depuis le milieu du XXe siècle (degré de confiance élevé), et il devrait provoquer d'autres changements substantiels à l'échelle mondiale et régionale (degré de confiance élevé). Les précipitations terrestres mondiales ont probablement augmenté depuis 1950, avec une augmentation plus rapide depuis les années 1980 (degré de confiance moyen). La vapeur d'eau atmosphérique a augmenté dans toute la troposphère depuis au moins les années 1980 (probablement). Les précipitations terrestres annuelles mondiales augmenteront au cours du 21e siècle à mesure que la température de surface mondiale augmentera (degré de confiance élevé). L'influence humaine a été détectée dans les modèles d'amplification de salinité de surface et de précipitation minus évaporation (P-E) au-dessus de l'océan (degré de confiance élevé). La gravité des événements très humides et très secs augmente dans un climat qui se réchauffe (degré de confiance élevé), mais les changements dans les schémas de circulation atmosphérique affectent où et à quelle fréquence ces extrêmes se produisent. La variabilité du cycle de l'eau et les extrêmes connexes devraient augmenter plus rapidement que les changements moyens dans la plupart des régions du monde et dans tous les scénarios d'émission (degré de confiance élevé). Au cours du 21e siècle, la superficie totale des terres sujettes à la sécheresse augmentera et les sécheresses deviendront plus fréquentes et plus graves (degré de confiance élevé). Les changements projetés à court terme dans les précipitations sont incertains principalement en raison de la variabilité interne, de l'incertitude du modèle et de l'incertitude des forçages causés par les aérosols naturels et anthropiques (degré de confiance moyen). Au cours du 21e siècle et au-delà, des changements brusques d'origine humaine dans le cycle de l'eau ne peuvent être exclus (degré de confiance moyen).

Il existe un degré de confiance élevé dans le fait que le cycle mondial de l'eau s'est intensifié depuis au moins 1980, ce qui s'exprime, par exemple, par l'augmentation des flux d'humidité atmosphérique et l'amplification des précipitations moins les schémas d'évaporation. Les précipitations terrestres mondiales ont probablement augmenté depuis 1950, avec une augmentation plus rapide depuis les années 1980 (degré de confiance moyen) et une contribution humaine probable aux modèles de changement, en particulier pour les augmentations des précipitations à haute latitude dans l'hémisphère nord. Les augmentations des précipitations moyennes mondiales sont déterminées par une réponse robuste à la température de surface mondiale (très probablement 2 à 3 % par °C) qui est en partie compensée par des ajustements atmosphériques rapides au réchauffement atmosphérique par les gaz à effet de serre (GES) et les aérosols. L'effet global des aérosols anthropiques est de réduire les précipitations mondiales par des effets de refroidissement radiatif de surface (degré de confiance élevé). Pendant une grande partie du 20e siècle, des effets opposés des GES et des aérosols sur les précipitations ont été observés pour certaines moussons régionales (degré de confiance élevé). Les précipitations annuelles mondiales au-dessus des terres devraient augmenter en moyenne de 2,4 % (plage probable de -0,2 % à 4,7 %) selon le scénario SSP1-1,9, de 4,6 % (plage probable de 1,5 % à 8,3 %) selon le scénario SSP2-4.5 et de 8,3 % (0,9 % à 12,9 % de la fourchette probable) selon le scénario SSP5-8,5 d'ici 2081-2100 par rapport à 1995-2014. Les différences inter-modèles et la variabilité interne contribuent à une gamme substantielle de projections de changements du cycle de l'eau à grande échelle et régionaux (degré de confiance élevé). La survenue d'éruptions volcaniques peut altérer le cycle de l'eau pendant plusieurs années (degré de confiance élevé). Les modèles projetés de changement des précipitations présentent des différences régionales substantielles et un contraste saisonnier à mesure que la température de surface mondiale augmente au cours du 21e siècle.

La teneur totale en vapeur d'eau de la colonne atmosphérique mondiale a très probablement augmenté depuis les années 1980, et il est probable que l'influence humaine ait contribué à l'humidification de la haute troposphère tropicale. L'humidité spécifique près de la surface a augmenté au-dessus de l'océan (probablement) et des terres (très probable) depuis au moins les années 1970, avec une influence humaine détectable (degré de confiance moyen). L'influence humaine a été détectée dans les modèles de salinité de surface amplifiée et de précipitations moins l'évaporation (P-E) au-dessus de l'océan (degré de confiance élevé). Il est pratiquement certain que l'évaporation augmentera au-dessus de l'océan, et très probablement que l'évapotranspiration augmentera au-dessus des terres, avec des variations régionales sous le réchauffement futur de la surface. Il y a une forte confiance que les augmentations prévues de la quantité et de l'intensité des précipitations seront associées à une augmentation du ruissellement dans les hautes latitudes du nord. En réponse aux changements de la cryosphère, il y a eu des changements dans la saisonnalité du débit, y compris une occurrence plus précoce du débit de pointe dans les bassins versants des hautes latitudes et des montagnes (degré de confiance élevé). Le ruissellement projeté est généralement diminué par les contributions des petits glaciers en raison de la perte de masse des glaciers, tandis que le ruissellement des glaciers plus grands augmentera généralement avec l'augmentation des niveaux de réchauffement planétaire jusqu'à ce que leur masse s'épuise (degré de confiance élevé).

Le réchauffement des terres entraîne une augmentation de la demande d'évaporation atmosphérique et de la gravité des épisodes de sécheresse (degré de confiance élevé). Un réchauffement plus important sur terre que sur l'océan modifie les schémas de circulation atmosphérique et réduit l'humidité relative continentale près de la surface, ce qui contribue à l'assèchement régional (degré de confiance élevé). Une diminution très probable de l'humidité relative s'est produite sur une grande partie de la surface terrestre mondiale depuis 2000. Les augmentations prévues de l'évapotranspiration en raison de la demande croissante en eau réduiront l'humidité du sol dans la région méditerranéenne, le sud-ouest de l'Amérique du Nord, l'Afrique du Sud, le sud-ouest de l'Amérique du Sud et le sud-ouest Australie (confiance élevée). Certaines régions tropicales devraient également connaître une aridité accrue, notamment le bassin amazonien et l'Amérique centrale (degré de confiance élevé). La superficie totale des terres sujette à une fréquence et à une gravité croissantes de la sécheresse s'étendra (degré de confiance élevé), et en Méditerranée, dans le sud-ouest de l'Amérique du Sud et dans l'ouest de l'Amérique du Nord, l'aridification future dépassera de loin l'ampleur du changement observé au cours du dernier millénaire (degré de confiance élevé).

Le changement d'affectation des terres et l'extraction d'eau pour l'irrigation ont influencé les réponses locales et régionales dans le cycle de l'eau (degré de confiance élevé). La déforestation à grande échelle diminue probablement l'évapotranspiration et les précipitations, et augmente le ruissellement dans les régions déboisées par rapport aux effets régionaux du changement climatique (degré de confiance moyen). L'urbanisation augmente les précipitations locales (confiance moyenne) et l'intensité du ruissellement (confiance élevée). L'augmentation de l'intensité des précipitations a amélioré la recharge des eaux souterraines, notamment dans les régions tropicales (degré de confiance moyen). Il y a une forte confiance que l'épuisement des eaux souterraines s'est produit depuis au moins le début du 21e siècle, en conséquence des prélèvements d'eau souterraine pour l'irrigation dans les zones agricoles des régions arides.

Source : GIEC / IPPC (2021), Sixth Assessment Report on Climat Change, Technical Summary

14/08/2021

Le Conseil constitutionnel valide la loi Climat, dont ses dispositions "continuité écologique"

Plusieurs lobbies ont tenté jusqu'au bout de censurer les nouvelles dispositions sur la continuité écologique contenues dans la loi Climat. Ils ont échoué. Le programme de destruction du patrimoine des rivières françaises sera bientôt illégal. Face au dérèglement climatique reconnu par tous comme l'urgence n°1, la gestion de tous les ouvrages va devenir une priorité, tant pour prévenir les émissions carbone que pour atténuer les sécheresses et les crues résultant du réchauffement.


Le Conseil constitutionnel avait été saisi par 60 députés d'un recours en annulation contre la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite "loi Climat". Dans sa décision du 13 août 2021, le Conseil rejette le recours comme trop général. Par ailleurs, dans l'examen des articles par autosaisine, le Conseil en censure 14 comme sans rapport direct à la loi ("cavaliers législatifs" interdits par l'article 38 de la constitution). Les autres dispositions, et notamment l'article 49bis qui interdit la destruction des moulins, sont conservées et jugées conformes à la constitution. Plus rien ne s'oppose donc à la publication de la loi Climat au journal officiel, ce qui la rendra immédiatement opposable. Nous y reviendrons en détail quand ce sera le cas.

Le recours des 60 députés a été accompagné de "contributions extérieures", comme c'est l'usage. Ces saisines par des tiers visent à appuyer la demande de censure de la loi. 

Dans le cas présent, on observe 3 contributions demandant la censure de l'article 49bis sur la continuité écologique :
  • France Nature Environnement (FNE)
  • Fédération nationale de la pêche (FNPF)
  • André Berne (ancien directeur territorial agence de l'eau Seine-Normandie)
Pêcheurs de salmonidés ou intégristes de la nature sauvage, les lobbies de casseurs auront donc tenté jusqu'au bout de poursuivre leur programme de destruction massive du patrimoine des rivières françaises. En vain. 

Cette décision du Conseil constitutionnel vient après plusieurs autres du conseil d'Etat : toutes indiquent que les casseurs sont désormais hors-la-loi et que le retour à la rivière sauvage n'est ni l'esprit ni la lettre du code de l'environnement. Les propriétaires et riverains d'ouvrages comme leurs associations de protection doivent maintenant veiller à ce que les fonctionnaires centraux et territoriaux appliquent ces dispositions, mais aussi rappellent à l'ordre les lobbies s'égarant dans une dérive extrémiste. 

Source : Conseil constitutionnel, décision n° 2021-825 DC, 13 août 2021

11/08/2021

Manque de suivi et de résultat en restauration écologique des cours d'eau (dos Reis Oliveira et al 2020)

Une équipe de chercheurs néerlandais observe que la restauration écologique des cours d'eau bénéficie de financement en hausse, mais que la rigueur fait défaut lorsqu'il s'agit d'évaluer les résultats dans le temps. Du même coup, il est difficile de hiérarchiser les bonnes pratiques et de vérifier si l'investissement produit les résultats attendus. Ce problème avait déjà été observé aux Etats-Unis, en France et dans d'autres pays. Si une partie du questionnement concerne les méthodes, l'autre interroge les finalités : que voulons-nous au juste restaurer, et est-ce possible?


Depuis deux décennies, on a assisté à une forte augmentation du financement, des actions et de la recherche pour la restauration des cours d'eau. Pourtant, les retours d'expérience sont ambivalents et les taux de réussite sont restés assez faibles. Les pratiques de restauration ne prennent toujours pas suffisamment en compte les échelles appropriées, allant des habitats dans les cours d'eau à des bassins versants entiers, ni la complexité des écosystèmes (facteurs hydrologiques, morphologiques, chimiques et biologiques). Par conséquent, les raisons précises de l'échec des efforts de restauration restent encore peu concluantes. Un groupe de 6 chercheurs a mené aux Pays-Bas une analyse de ce problème à travers le bilan des pratiques de restauration.

Voici le résumé de leur article :

"Les efforts de restauration des cours d'eau se sont accrus, mais le taux de réussite est encore assez faible. Les raisons sous-jacentes de ces efforts de restauration infructueux restent peu concluantes et nécessitent une clarification urgente. Par conséquent, le but de la présente étude était d'évaluer plus de 40 ans de restauration des cours d'eau pour alimenter les perspectives futures. À cette fin, nous avons évalué l'influence des objectifs politiques sur les efforts de restauration des cours d'eau, les objectifs de restauration biophysique, les mesures de restauration appliquées, y compris l'échelle d'application et les efforts de surveillance. Les informations ont été obtenues à partir de cinq enquêtes sur la restauration des cours d'eau menées par les autorités régionales de l'eau aux Pays-Bas au cours des 40 dernières années et à partir d'une analyse des publications scientifiques internationales sur la restauration des cours d'eau couvrant la même période. 

Notre étude a montré qu'il y avait une augmentation considérable des efforts de restauration des cours d'eau, particulièrement motivés par la législation environnementale. Cependant, un contrôle adéquat de l'efficacité des mesures faisait souvent défaut. De plus, un décalage entre les objectifs de restauration et les mesures de restauration a été observé. Les mesures restent majoritairement focalisées sur les techniques hydromorphologiques, alors que les objectifs biologiques restent sous-exposés et doivent donc être mieux ciblés. En outre, les pratiques de restauration se produisent principalement à petite échelle, malgré la pertinence largement reconnue de s'attaquer à de multiples facteurs de stress agissant à grande échelle pour le rétablissement de l'écosystème des cours d'eau. 

Afin d'augmenter le taux de réussite des projets de restauration, il est recommandé d'améliorer la conception des programmes de suivi d'accompagnement, permettant d'évaluer, sur des périodes plus longues, si les mesures prises ont conduit aux résultats souhaités. Deuxièmement, nous conseillons de diagnostiquer les stresseurs dominants et de planifier des mesures de restauration à l'échelle appropriée de ces stresseurs, généralement l'échelle du bassin versant."

Les auteurs précisent notamment dans leur article :

"Alors que dans le passé de nombreux projets visaient à améliorer l'ensemble de l'écosystème fluvial, ils se sont en fait concentrés uniquement sur des conditions morphologiques (amélioration de l'habitat) ou hydrologiques (débit) spécifiques, comme on l'observait déjà il y a deux décennies (Verdonschot et Nijboer, 2002 ; Palmer et al., 2010, 2014). Ceci pouvait et peut encore s'expliquer par une confiance ferme dans l'affirmation selon laquelle « si l'hétérogénéité de l'habitat augmente, la diversité biologique augmente également » (Field of Dreams Hypothesis ; Palmer et al., 1997). Néanmoins, une approche totalement intégrative, s'attaquant à tous les facteurs de stress, mais prenant également en compte des aspects biologiques importants, tels que la colonisation (Westveer et al., 2018), la dispersion (Engström et al., 2009), la distance aux populations sources (Brederveld et al. ., 2011 ; Stoll et al., 2013), la réintroduction d'espèces (Jourdan et al., 2018) et le contrôle des espèces envahissantes (Scott et Helfman, 2001), sont encore rares. De plus, les pratiques de restauration des cours d'eau doivent également être conscientes des risques écologiques qui peuvent survenir après la restauration, tels que les pièges écologiques lorsque les espèces deviennent plus menacées par les nouvelles conditions de l'habitat après la restauration par rapport aux conditions initiales (Robertson et al., 2013; Hale et al., 2015), offrant des opportunités pour les espèces envahissantes (Matsuzaki et al., 2012 ; Franssen et al., 2015 ; Merritt et Poff, 2010), introduisant des conditions hydrologiques non naturelles (Vehanen et al., 2010 ; Jeffres et Moyle, 2012) et augmentant la toxicité des sédiments pour les amphibiens (Snodgrass et al., 2008).

En outre, de nombreux projets de restauration des cours d'eau envisagent encore des mesures et des solutions à petite échelle et négligent le fait que les écosystèmes des cours d'eau sont fortement régis par les processus à l'échelle du bassin versant (Allan, 2004 ; Palmer, 2010 ; Ward, 1998 ; Wiens, 2002 ; Sundermann et Stoll, 2011 ; Kuglerová et al., 2014, Tonkin et al., 2018). Plusieurs auteurs ont déjà montré que la restauration à grande échelle est cruciale pour le rétablissement écologique (Schiff et al., 2011 ; Verdonschot et al., 2012 ; Kail et Hering, 2009 ; Stranko et al., 2012 ; Gabriele et al., 2013). D'autre part, ce n'est pas la petite échelle d'un projet de restauration en soi qui limite le succès de la restauration, mais plutôt l'inadéquation spatiale entre les facteurs de stress et la restauration, en combinaison avec un manque de diagnostic préalable spécifique du facteur de stress limitant réel."

Discussion
Cette recherche néerlandaise confirme des travaux menés en France voici quelques années, qui avaient également observé un déficit de rigueur et de méthode dans les pratiques de restauration de cours d'eau (voir Morandi et al 2014). 

Cette discussion sur la restauration écologique de milieux gagnerait à élargir le champ de sa réflexion. Actuellement, et comme cet article de recherche le rappelle après d'autres, on analyse les performances de certaines actions et, lorsque les performances ne sont pas présentes, on présume que d'autres impacts doivent être traités. La représentation sous-jacente est qu'il existe un état de la nature sans impact, qu'on peut le recréer (ou y tendre) par élimination progressive et simultanée de ces impacts. 

Mais il se trouve que derrière le mot "impact", on désigne essentiellement la présence humaine dans les bassins versants et les usages humains de ces bassins versants, que ce soit les usages de l'eau ou du sol. D'une part, se pose la question des limites de l'élimination des effets de la présence humaine, du coût pour atteindre ces limites et du consentement social à cela. D'autre part, et plus fondamentalement, se pose la question des ontologies de la nature (Linton et Krueger 2020) : y a-t-il un sens à se représenter une nature sans humain comme le modèle (de biodiversité ou de fonctionnalité) alors que dans la réalité, la nature co-évolue avec les humains (la division nature-humain n'a guère de fondement) et ne devrait pas cesser de le faire à horizon prévisible? 

Référence : dos Reis Oliveira et al (2020), Over forty years of lowland stream restoration: Lessons learned?, Journal of Environmental Management, 264, 110417

31/07/2021

Barbara Pompili encourage-t-elle encore son administration à ignorer la loi?

La loi Climat et résilience, adoptée le 20 juillet 2021 par le Parlement mais pas encore parue au Journal officiel, ordonne notamment de cesser la destruction des moulins à eau comme option de continuité écologique. Au détour d'une déclaration au site Actu Environnement, la ministre de l'écologie Barbara Pompili laisse entendre que, par une sorte de rétorsion, son administration demandera en conséquence aux propriétaires de payer tous les frais d'aménagement. Mais ce n'est pas ce que dit la loi. Va-t-on encore continuer longtemps ce combat d'arrière-garde et ces méthodes arbitraires de l'exécutif? 


Le site spécialisé Actu Environnement revient sur les échanges parlementaires autour de la loi Climat et résilience concernant les moulins, la petite hydroélectricité et la continuité des cours d'eau. Cette loi est votée mais elle n'est pas encore publiée au Journal officiel et des recours devant le Conseil constitutionnel ont été déposés. Nous commenterons le texte de cette loi quand elle sera définitive, notamment les dispositions concernant les ouvrages hydrauliques. 

Ce qui nous interpelle aujourd'hui est la réaction de la ministre de l'écologie au vote de ces dispositions sur les moulins. 

Barbari Pompili a déclaré : "Les mesures qui ont été votées à l'Assemblée nationale ne prévoient aucun moyen pour faire les travaux qui s'imposent, en cas de régression environnementale avérée sur un cours d'eau et cela même si personne ne conteste leur nécessité. Les propriétaires devront donc les faire à leurs frais. La médiation est essentielle sur ce point, car certains sujets nécessitent que tous les acteurs puissent échanger".

Ce propos est confus et contraire aux dispositions de la loi.

D'abord, il n'y a aucune "régression environnementale" dans l'existence des moulins et des étangs qui sont là depuis des siècles et qui sont autorisés par la loi en vertu de leur droit d'eau ou de leur règlement d'eau. Le régime écologique des rivières européennes inclut l'ensemble de l'héritage de ces rivières : cessons le contresens qui oppose la nature à la culture, le non-humain à l'humain, le futur au passé. Au plan juridique, la notion de régression environnementale signifie que l'on va à l'encontre des dispositions du code de l'environnement. Or, les lois françaises sur l'environnement assurent la promotion de l'hydro-électricité, le stockage local de l'eau, la préservation des milieux aquatiques et humides, la protetion des patrimoines paysagers et historiques : détruire un ouvrage est davantage une régression environnementale que le gérer, et c'est au demeurant l'objet de divers contentieux portés par les associations.

Ensuite, les première lois sur les passes à poissons datent de 1865, elles ont été réitérées en 1919, en 1984, en 2006. Cette expérience sur plus de 150 ans a montré que le financement des travaux de continuité est le premier obstacle. Voilà pourquoi la loi sur l'eau de 2006 a tiré acte de ce blocage et a prévu dans ses dispositions : "Les obligations résultant du I du présent article n'ouvrent droit à indemnité que si elles font peser sur le propriétaire ou l'exploitant de l'ouvrage une charge spéciale et exorbitante." En d'autres termes, si l'on demande non pas des mesures simples comme la gestion de vannes mais des mesures plus complexes comme des passes à poissons ou rivières de contournement, cette charge publique excède les capacités d'un particulier ou d'un petit exploitant, donc elle ouvre droit à indemnité. C'est à l'Etat d'organiser cette indemnisation et c'est la vocation naturelle des agences de bassin, qui sont des établissements publics en charge de financer les politiques publiques de l'eau. Hélas, par pur dogmatisme, les agences veulent financer au maximum la casse des ouvrages (ce qui sera illégal dans certains cas une fois la loi parue) mais au minimum leur aménagement. Il est impossible d'avoir une continuité apaisée tant que l'Etat ne flèche pas l'indemnisation des travaux, par les agences de l'eau ou par d'autres voies. 

Enfin, aussi bien la loi (réécrite en 2021 pour être précisée) que la jurisprudence récente du conseil d'Etat reconnaissent qu'un moulin ayant un projet de production hydro-électrique est exempté de continuité écologique. Le gestionnaire public a donc plutôt intérêt à proposer des projets de continuité entièrement financés (dans la consistance légale des sites) s'il veut inciter les propriétiares à agir sur le franchissement des poissons. Sans quoi il ne se passera rien du tout et on vérifiera de nouveau l'adage selon lequel "le mieux est l'ennemi du bien". 

Pour résumer :
  • la destruction d'ouvrages hydrauliques est un choix régressif qui sera désormais interdit par la loi dans certains cas,
  • la loi a toujours demandé l'aménagement des ouvrages et prévu l'indemnisation publique des travaux de continuité lorsqu'ils sont conséquents,
  • la ministre de l'écologie doit inciter son administration à accélérer son changement culturel sur le destin des ouvrages en rivière au lieu de mener des combats d'arrière-garde ou d'entretenir la confusion et le conflit dont plus personne ne veut,
  • les politiques publiques d'écologie doivent affronter les défis majeurs de notre temps - pollutions et surexploitations locales de l'eau, changement climatique dangereux, risques des sécheresses et crues, disparition des milieux aquatiques et humides, relocalisation durable de circuits économiques - et les ouvrages bien gérés ont un rôle positif à jouer dans ces objectifs

28/07/2021

Ralentir et diffuser les écoulements pour stocker l'eau

Des chercheurs publient une tribune sur l'enjeu de préservation et stockage de l'eau en situation de changement climatique rapide comme nous le connaissons aujourd'hui. Parmi les options: ralentir et diffuser l'eau dans les bassins versants. C'est un des rôles des ouvrages hydrauliques, dont la gestion écologique doit devenir notre politique publique, en lieu et place de leur absurde destruction. 

Zone humide en contrebas d'un bief de moulin.

Géraldine Picot-Colbeaux (hydrogéologue, BRGM), Marie Pettenati (hydrogéologue, BRGM) et Wolfram Kloppmann (géochimie isotopique, BRGM) publient un intéressant article sur le site d'analyse universitaire de l'actualité The Consersation. Cet article est dédié à la question de la préservation des ressources en eau pour les besoins humains en situation de changement hydroclimatique. "On parle de «gestion intégrée de la ressource en eau», qui vise à préserver le niveau des nappes d’eau souterraine, les débits des cours d’eau et à lutter contre les inondations et la salinisation des eaux en milieu côtier."

Les eaux souterraines sont contenues dans les "aquifères", formations rocheuses ou sédimentaires qui les stockent et qui se renouvellent plus ou moins vite. "Certains aquifères profonds contiennent des eaux de pluies tombées quand l’humanité taillait encore des silex ! D’autres, proches de la surface, contiennent de l’eau qui transite en quelques années. Sous nos latitudes, c’est en hiver, lorsque la végétation prélève moins d’eau, que les précipitations rechargent les aquifères."

Comme en témoignent les difficiles périodes de sécheresses dans certaines régions, impliquant des restrictions d'usage, la gestion de l'eau peut devenir critique quand se conjuguent la hausse des besoins humaines et l'incertitude climatique, avec des événements extrêmes plus probables (parfois de longues sécheresses, parfois des excès de pluie et des inondations, comme récemment en Allemagne, Belgique, Luxembourg et Angleterre). "À la question, «Manquerons-nous d’eau demain ?», la réponse est donc : «Nous en manquons déjà, localement et de plus en plus souvent»."

Les chercheurs rappellent les options de gestion intégrée de l'eau :

"Les solutions existent déjà, dans le monde et en France, depuis de nombreuses années. Mais il s’agit de les mettre en œuvre et de les intégrer dans des stratégies cohérentes de gestion des nappes :
– caractériser, suivre et prévoir sur la base de modèles fiables l’évolution des ressources et des besoins ;
– pratiquer la sobriété ;
– diminuer la pression sur la qualité de l’eau en diminuant la quantité de produits chimiques persistants et mobiles ;
– améliorer le traitement des eaux usées ;
– utiliser et réutiliser des eaux non conventionnelles après traitement ;
– retenir l’eau sur les territoires en ralentissant les écoulements et en stockant l’eau dans les milieux naturels."

On retient en particulier le dernier point : la nécessité de ralentir et diffuser les écoulements sur tous les territoires. Comme notre l'association l'a exposé à de nombreuses reprises, la politique de destruction des ouvrages hydrauliques transversaux au nom de la continuité écologique va à l'encontre de cet objectif. En voici quelques raisons :
Au lieu de détruire les ouvrages, nous devons de toute urgence les préserver et les doter d'une gestion hydro-écologique informée. 


17/07/2021

Victoire en justice pour un moulin harcelé du Nohain

Pendant 5 ans, un propriétaire de moulin de la Nièvre a été harcelé de demandes incessantes de nouvelles pièces et procédures pour la relance de son ouvrage, avant de finalement subir un arrêté préfectoral fin 2019 lui refusant l'autorisation de son projet. La justice vient de condamner le préfet pour excès de pouvoir. Nous rappelons ici aux propriétaires et à leurs associations qu'il faut cesser de perdre du temps à des discussions oiseuses avec l'administration dans les cas où son seul but manifeste est de décourager une relance : si, dès les premiers mois d'échanges, les fonctionnaires en charge de l'instruction manifestent une hostilité et lancent des manoeuvres dilatoires, il faut les assigner en justice pour gagner du temps et clarifier les choses au plan du droit. 


Les cartes anciennes (ici de la rivière Nohain), un outil pour démontrer les droits fondés en titre et analyser l'histoire des lits des rivières. 

Le propriétaire d'un moulin de la Nièvre sur le Nohain commence à voir le bout du tunnel, après des années de procédures kafkaïennes où l'administration l'avait traîné de procédures en procédures pour un dossier de relance du site.

Après ces instructions infructueuses où les services de l'Etat n'avaient cessé de changer de position et de demander des pièces complémentaires, le préfet de la Nièvre avait finalement promulgué un arrêté le 19 décembre 2019 portant rejet de la demande d'autorisation de remise en service du moulin sur le Nohain.

Le propriétaire a eu recours à la justice et c'est Me Jean-François Remy, avocat de l'association, qui a défendu ses droits.

Par décision du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Dijon abroge l'arrêté préfectoral de 2019. Il enjoint au préfet de la Nièvre de reprendre  l'instruction  de  la  demande d'autorisation de remise en service du moulin dans un délai de trois mois.

Le juge observe d'abord que "le  moulin,  qui  existait  en  1644, bénéficie d'un droit fondé en titre pour une puissance maximale brute reconnue à 28,6 kW correspondant  à une hauteur de chute brute de 2,07 mètres etun débit maximum dérivé de 1,4 m 3 /s, et que le projet n'a pas pour effet d'augmenter cette puissance. Il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que ce droit fondé en titre ait été modifié ou abrogé, ni que la ruine ou le changement d'affectation de l'ouvrage aiLété constaté".

Le juge observe également que l'article R. 214-109 du code de l'environnement (dont la réécriture par le ministère de l'environnement a été abrogée par le Conseil d'Etat suite à la plainte des associations de moulins et étangs, dont Hydrauxois) ne s'oppose pas à la remise en service d'un moulin. 

Ce nouveau jugement rappelle à toutes les parties prenantes la réalité :
Les administrations sous la tutelle de la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie doivent donc faire cesser diverses dérives militantes en leur sein : leur travail est d'appliquer les lois et les décisions des juges, pas de réécrire les normes au nom d'une vision arbitraire de la rivière et de ses ouvrages. 

Leçons à tirer pour les moulins, étangs et autres ouvrages
Notre association voit trop d'ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, plans d'eau) qui font face à une administration hostile et qui sont travaillés "à l'usure" par cette administration. La stratégie de certains fonctionnaires de l'eau consiste en effet à ne pas dire franchement leur hostilité à la relance du site (et pour cause, c'est illégal), mais à demander toutes les pièces possibles qui leur passent par l'esprit, y compris des études qui sont ruineuses pour des particuliers et qui ne sont pas exigibles pour un ouvrage déjà autorisé. 

Il ne faut pas s'engager dans ce processus, et les associations doivent être vigilantes : le propriétaire d'un ouvrage autorisé doit déposer un projet simple de relance (sans aucun excès d'études inutiles) et, s'il voit dès les premiers mois de l'instruction des manoeuvres dilatoires et hostiles, il doit faire intervenir un avocat pour une mise en demeure du préfet de faire autoriser les travaux par ses services. 

Ne perdons plus de temps ni d'argent. Assignons en justice les services d'Etat persistant à ne pas comprendre que la loi française refuse la destruction des moulins et encourage leur relance énergétique. Informons les députés et sénateurs si des troubles persistent, afin qu'ils continuent de réécrire la loi et de faire cesser ces harcèlements indignes d'une démocratie.

10/07/2021

Une retenue d'étang tend à éliminer les pesticides et à livrer une eau moins polluée à l'aval (Le Cor et al 2021)

Des chercheurs français montrent qu'une retenue d'eau sur une rivière joue un rôle bénéfique dans une tête de bassin agricole, en ayant tendance à éliminer les résidus de pesticides et à délivrer une eau moins polluée à l'aval. Cette recherche, qui s'ajoute à de nombreuses autres, permet de constater à nouveau le flagrant délit de mensonge du ministère de l'écologie et des agences de l'eau. Ces autorités publiques ont vendu la continuité écologique par destruction d'ouvrages et de retenues en prétendant que cela favorisait l'auto-épuration de l'eau. C'est totalement faux et c'est d'autant plus grave que ces mêmes autorités sont incapables de réduire les pollutions à la source. On préfère casser du moulin et de l'étang que traiter les vrais problèmes de l'eau. 


La pollution diffuse et aiguë de l'eau par les pesticides est aujourd'hui une préoccupation mondiale majeure pour la santé et l'environnement. En Europe, la quantité totale de pesticides utilisés annuellement est passée de 440000 tonnes à plus de 475000 tonnes entre 2000 et 2017 (FAO, 2020). La France (16 % de toutes les terres agricoles de l'Union européenne) se classe parmi les pays ayant la plus forte consommation de pesticides, avec plus de 69600 tonnes utilisées pour l'agriculture.

Outre la réduction des pesticides à la source et l'interdiction des plus dangereux se pose la question des meilleurs moyens de réduire et éliminer les charges toxiques dans les milieux. 

Comme le notent François Le Cor et ses collègues dans une recherche venant de paraître, "les petits plans d'eau (c'est-à-dire de 0,1 à 100 ha) semblent également jouer un rôle important dans la préservation des cours d'eau d'amont. Les étangs semblent avoir des capacités d'atténuation des pesticides importantes, mais sous-estimées (Gaillard et al., 2015, 2016 ; Grégoire et al., 2009). Bien que de petite taille, ces plans d'eau, additionnés, couvrent une superficie trois fois plus grande que celle couverte par les grands lacs naturels et artificiels en France. A l'échelle européenne, elles couvrent près de 270 000 km2 (Bartout et Touchart, 2018). Habituellement, une forte densité de petits plans d'eau se produit en tête des bassins versants agricoles (Drożdżyński, 2008 ; Lazartigues et al., 2012) ; ils sont donc, dès l'origine des réseaux hydrographiques, sur le chemin de la contamination par les pesticides. De plus, ils peuvent aussi être particulièrement sujets à des transferts de produits de transformation (TP) (Ulrich et al., 2018), ce qui les rend encore plus pertinents dans la compréhension des deux niveaux de contamination (c'est-à-dire avec les composés parents et le TP). Les données de terrain concernant la contamination des étangs par les pesticides sont rares et, même si certaines existent (Gaillard et al., 2016 ; Lazartigues et al., 2013 ; Ulrich et al., 2018), elles prennent rarement en compte la TP. La collecte de données environnementales sur les pesticides et les TP semble donc nécessaire pour prédire les effets écotoxicologiques qui peuvent survenir."

Les chercheurs ont donc examiné les concentrations en pesticides et en transfert de leurs produits transformés en amont et en aval d'un étang de Lorraine, situé sur la rivière Seille.


Voici le résumé de leur recherche :

"En France, plus de 90 % des cours d'eau surveillés sont contaminés par des pesticides. Ce niveau de contamination élevé augmente en tête des bassins versants agricoles, où les capacités de dilution sont faibles et le transport depuis les terres traitées est direct. Les étangs, nombreux autour des cours d'eau d'amont, pourraient offrir une protection supplémentaire contre la pollution par les pesticides. En raison de leur long temps de séjour hydraulique et de leurs grands volumes d'eau, ils atténuent les concentrations de pesticides entre amont et aval des rivières. Cependant, les produits de transformation des pesticides peuvent également être responsables de la dégradation des milieux, du fait de leur présence à des concentrations élevées et de leur persistance, mais les données associées sont rares, notamment en raison de leur niveau élevé de diversité moléculaire. 

Nous avons d'abord rendu compte de l'état de contamination de l'eau dans les cours d'eau de tête de bassin agricole, sur la base d'échantillonnages d'eau à haute fréquence. L'analyse de 67 molécules (HPLC-ESI-MS/MS) a montré des mélanges de pesticides et de produits de transformation de pesticides contenant jusqu'à 29 composés différents dans un échantillon. Quel que soit le lieu d'échantillonnage, les produits de transformation représentaient au moins 50 % des composés détectés. 

Ensuite, nous avons démontré la capacité d'un étang à réduire les concentrations de contaminants dans les rivières en aval pour 90 % des composés détectés. En amont de ce bassin, les normes de qualité environnementale ou écotoxicologiques ont été dépassées lors des prélèvements, avec des concentrations cumulées de pesticides et de produits de transformation pouvant atteindre 27 27g/L. En aval du bassin d'étude, peu de dépassements ont été observés, avec une concentration totale maximale de 2,2 μg/L, traduisant une amélioration significative de la qualité de l'eau."

Discussion
Notre association a documenté depuis 10 ans que les retenues et plans d'eau ont des effets plutôt bénéfiques sur l'épuration de l'eau, pour les nutriments comme pour certains polluants. Cela fait partie des services écosystémiques reconnus de ces milieux, qui sont souvent d'origine humaine. Cette nouvelle recherche ajoute donc une pièce à un dossier déjà bien rempli. Elle nourrit une réflexion nécessaire sur des paiements pour services écosystémiques qui pourraient être associés à la bonne gestion des retenues et plans d'eau. 

Bien entendu, l'objectif n'est pas de se satisfaire des pollutions à la source. Mais à pollution donnée, il est préférable de conserver les nombreuses retenues qui agrémentent les rivières françaises et qui agissent comme des filtres évitant l'excès de pollution de l'aval et des estuaires. 

Le point scandaleux dans le cas français est que les autorités en charge de l'eau (ministère de l'écologie, agences de l'eau, syndicats de rivières) ont diffusé et diffusent parfois encore des informations fausses et trompeuses à ce sujet. Il a en effet été prétendu aux décideurs et aux citoyens que la destruction des ouvrages et de leurs retenues aurait un effet bénéfique sur "l'auto-épuration", c'est-à-dire la capacité de la rivière à éliminer elle-même des polluants. C'est inexact et cette doctrine n'a encouragé que la libre-circulation des toxiques dans les eaux de surface et dans les nappes. Il est vrai que casser du moulin et de l'étang, c'est plus facile que s'attaquer aux sources des pollutions... 

05/07/2021

L'Europe ouvre une procédure en justice contre la pollution des eaux usées en France

La Commission européenne vient de constater que la France ne traite toujours pas correctement ses eaux usées, alors que la directive concernée devait être appliquée depuis 2005. La Cour de justice européenne a été saisie, avec risque d'amende pour l'Etat et les collectivités concernées. Ces collectivités devraient demander aux agences de l'eau de cesser de dilapider l'argent public dans des dépenses somptuaires: notre pays a déjà été régulièrement condamné pour son mauvais traitement des pollutions affectant la santé humaine et les milieux naturels. Il y a plus urgent et plus utile pour l'eau en France que de détruire des moulins et des étangs. 


Eutrophisation et prolifération d'algues bleues, CC AS-A 3.0, Lamiot.

Déjà en retard sur la transition bas carbone, la France l'est aussi sur la dépollution de ses rivières, plans d'eau, estuaires et nappes. 

La Commission européenne a saisi en juin 2021 la Cour de justice de l'Union européenne d'un recours contre la France pour non-respect des exigences de la directive relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (directive 91/271/CEE). Cette directive impose aux États membres de veiller à ce que les collectivités (villes, métropoles, agglomérations d'assainissement) collectent et traitent leurs eaux usées. Ces dernières peuvent être contaminées par des microbes présentant un risque pour la santé humaine, mais contiennent aussi des polluants et nutriments (azote, phosphore) susceptibles de nuire aux réserves d'eau douce et au milieu marin  (eutrophisation, prolifération d'algues). 

Le retard français n'est pas nouveau : notre pays aurait dû se conformer pleinement aux exigences de la directive depuis 2005. Mais aujourd'hui encore, plus de 100 agglomérations de plus de 2 000 habitants ne respectent pas la loi. Quinze d'entre elles sont aussi en infraction sur d'autres exigences de la directive de protection des zones sensibles contre les nutriments. 

La Commission avait adressé une lettre de mise en demeure aux autorités françaises en octobre 2017, puis un avis motivé en mai 2020. Les lacunes de la réponse des autorités françaises ont conduit la Commission à saisir la Cour de justice.

La loi Notre a établi un partage de la responsabilité financière entre l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements en cas de condamnations pécuniaires décidées par la CJUE.

Comme d'habitude, on se demande pourquoi les agences de l'eau (principale planificateur et financeur public des bassins) dépensent des sommes considérables pour des restaurations morphologiques qui ne sont nullement obligatoires au terme des directives européennes, alors que notre pays est en retard dans l'application de plusieurs textes sur les pollutions de l'eau. 

01/07/2021

Le conseil d'Etat ordonne au gouvernement d'accélérer la transition bas-carbone

La France n'est pas dans les clous pour respecter ses engagements internationaux et ses lois énergie-climat : le conseil d'Etat vient de le constater dans un arrêt et d'ordonner au Premier Ministre de prendre toutes les mesures nécessaires sous huit mois. Cela tombe bien : dans le même temps, les sénateurs ont voté une proposition de loi de promotion de l'hydro-électricité, que les députés doivent examiner. La ministre de l'écologie Barbara Pompili avait émis des avis négatifs sur les protections et relances des moulins et petits barrages, montrant bien que le dogmatisme de ce ministère sur cette question agit désormais contre l'intérêt général du pays et contre sa transition énergétique. Mais décision après décision, les tribunaux et les cours ne cessent de condamner cette posture. Il est de temps de changer de doctrine et surtout de changer de braquet. Les destructions de sites producteurs ou potentiellement producteurs d'énergie hydraulique renouvelable sont à proscrire, les instructions des relances de ces sites doivent être simplifiées et accélérées sur toutes les rivières. 


Un exemple de scandale en cours : les extrémistes de la continuité dite "écologique", dont l'agence de l'eau Seine-Normandie, ont choisi de fermer et casser l'usine hydro-électrique de Pont-Audemer sur la Risle (photo, DR), alors qu'elle était parfaitement fonctionnelle et qu'un repreneur privé se proposait de poursuivre la production. Des millions d'euros d'argent public pour faire reculer la transition bas-carbone au nom de dogmes: ces pratiques inacceptables doivent dorénavant cesser ou faire l'objet de plaintes en justice, car ni les lois ni la jurisprudence ne permettent plus de tels arbitrages. 

Saisi notamment par la commune de Grande-Synthe (Nord) et plusieurs associations (Oxfam France, Greenpeace France, Notre Affaire A Tous, Fondation Nicolas Hulot), le conseil d’État avait demandé au gouvernement en novembre dernier de justifier, dans un délai de trois mois, que la trajectoire de réduction des gaz à effet de serre pour 2030 (- 40 % par rapport à 1990) pourrait être respectée sans mesures supplémentaires. 

À la suite de la transmission de nouveaux éléments, une nouvelle instruction contradictoire a été ouverte et une audience publique s’est tenue le 11 juin dernier au conseil d'État.

Dans un arrêt vendant d'être rendu, le conseil d'État n'est pas convaincu par les informations du gouvernement : il fait droit à la demande de la commune et des associations en observant que le respect de la trajectoire bas-carbone de la France, qui prévoit notamment une baisse de 12 % des émissions pour la période 2024-2028, n’apparait pas atteignable si de nouvelles mesures ne sont pas adoptées rapidement. 

Le conseil d'État estime qu’il ressort des avis publiés entre 2019 et 2021 par le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et le Haut conseil pour le climat (HCC), que cet objectif de réduction de 12 % ne pourra être atteint en l'état des politiques publiques.

Le conseil d'État constate en outre que l’accord entre le parlement européen et le conseil de l’Union européenne en avril 2021 a relevé l’objectif de réduction des émissions gaz à effet de serre de 40 à 55 % par rapport à leur niveau de 1990 : non seulement la France n'atteint pas ses objectifs présents, mais elle va devoir les relever.

En conséquence, le conseil d'Etat "enjoint au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 31 mars 2022."

Coïncidence de l'actualité : les sénateurs ont adopté en avril dernier une proposition de loi pour la promotion de l'hydro-électricité, malgré l'opposition de la ministre de l'environnement Barbara Pompili (qui joue donc contre l'urgence climatique et contre la nécessité d'accélérer la transition énergétique partout). Les sénateurs ont souligné le scandale actuel de la destruction sur argent public des moulins et des barrages, parfois des usines productrices d'hydro-électricité. Les députés doivent examiner cette loi sous trois mois après son adoption au Sénat. Nos lecteurs doivent donc écrire instamment à leur député pour exiger d'arrêter la casse de tous les ouvrages et barrages en rivière, de faciliter leur équipement et gestion au service de la transition écologique et de l'adaptation au changement climatique. 

Enfin, cette décision du conseil d'Etat ouvre pour notre association, pour les fédérations moulins-riverains et pour les syndicats électriciens une nouvelle perspective pour engager des contentieux : les fonctionnaires "eau et biodiversité" qui entravent ou interdisent la relance de sites hydro-électriques, voire qui engagent des destructions d'ouvrages producteurs ou potentiellement producteurs, s'inscrivent clairement dans la carence fautive à prendre toutes les mesures nécessaires pour améliorer le bilan carbone du pays et réduire l'usage d'énergie fossile. Il faudra donc que de telles entraves fassent l'objet de plaintes en justice si elles devaient encore persister, à l'encontre des lois déjà votées par le parlement, des décisions du conseil d'Etat et de l'urgence climatique.

Référence : Conseil d'Etat, arrêt n°427301, 1er juillet 2021