10/11/2021

Un rapport acte l'échec sociétal de la continuité écologique (sans aller au fond du problème)

Un rapport de Claude Miqueu sur la mise en oeuvre de la continuité écologique dite "apaisée" vient d'être publié. Il acte l'échec sociétal de cette réforme, après bien d'autres audits administratifs et parlementaires. Toutefois, nous montrons ici que le rapport esquive encore et toujours le coeur des problèmes. Tant que des fonctionnaires de l'administration eau & biodiversité et des syndicats de bassins défendront une idéologie de la rivière sauvage et de la destruction des ouvrages sans rapport avec la loi, la jurisprudence, la doctrine publique de l'eau et la volonté des riverains, la politique de continuité écologique sera dans l'impasse. En France, on gère, on équipe, on aménage et on valorise les ouvrages des rivières: c'est si dur à comprendre, à dire et à mettre en oeuvre? 


Rappelons rapidement les événements : l'administration française de l'eau et quelques lobbies intégristes se sont mis en tête que le grave problème des rivières au 21e siècle était l'existence de moulins, étangs et plans d'eau, dont la suppression apporterait de grands bénéfices aux citoyens. Par ailleurs, il faudrait revenir à la nature supposée sauvage de la période pré-industrielle, donc faire disparaître les aménagements de l'eau hérités de l'histoire des derniers siècles – en tout cas ceux qui n'ont pas le poids économique suffisant pour être entendus par un gouvernement français (lequel ne voit pas tant de problèmes pour des pollutions réelles et majeures de l'eau). Cette doctrine a pris le nom de "continuité écologique", non sans de nombreuses confusions sur ce qu'est réellement la continuité d'une rivière

Evidemment, débouler avec une pelleteuse pour détruire un moulin ou un étang présent depuis des siècles tout en affirmant aux riverains par des propos abstraits et confus que cela représente une urgence manifeste et de nombreux avantages, cela se passe très mal. 

Dans son court passage au ministère de la Transition écologique, Nicolas Hulot hérite du problème de cette continuité écologique non tranchée par son prédécesseur au même poste, Ségolène Royal. Nicolas Hulot a hélas fait ce que font trop de dirigeants jacobins en France : demander une note rapide à ses services en imaginant qu'une politique publique dysfoncionnelle pourra se régler en mettant un peu de pommade, sans aller voir sur le terrain les problèmes de fond que la haute-administration ignore, minimise ou euphénise dans ses rapports aux dirigeants. Il en a résulté un plan de continuité écologique apaisée

Hydrauxois a exprimé son scepticisme dès la publication du plan, puis a documenté mois après mois la manière dont l'administration essayait encore de nier les problèmes, voire de faire exactement le contraire de ce qu'elle disait. Les faits nous ont donné à nouveau raison : il n'y a pas eu d'apaisement de la continuité écologique, il a fallu des recours contentieux et des choix parlementaires pour sortir de l'enlisement. 

Claude Miqueu convient de l'échec
A l'été 2021, Claude Miqueu a été chargé d'une mission d'audit des problèmes dans la mise en oeuvre de cette continuité écologique dite "apaisée" en Adour-Garonne. Claude Miqueu était également en charge avec d'autres personnes du groupe de travail "continuité écologique" au sein du comité national de l'eau depuis 2019.

Un rapport de mission vient de paraître, dont nous publions ci-après la synthèse finale.

Ce rapport acte au premier chef l'échec sociétal de la continuité écologique, qui a été rejetée par nombre d'acteurs concernés et qui a mis en évidence au plan national des désaccords fondamentaux. Il faut désormais se poser des questions de fond: pourquoi et comment une certaine écologie en vient-elle à nourrir des conflits sociaux et à être perçue comme altération des cadres de vie? Comment a-t-on déraillé vers cet échec? Qui a fait dérailler, au nom de quelles visions appelées à dérailler encore et toujours si elles se poursuivent? Une maladie ne se traite pas par ses symptômes, mais par ses causes...

Hélas, nous avons diverses réserves sur les non-dits de ce rapport, qui ne va pas au coeur de ces questions. En voici quelques-unes:
  • le territoire d'Adour-Garonne n'est pas le plus représentatif des problèmes, à la fois en raison du faible nombre de rivières classées "continuité écologique" et de la tradition hydro-électrique de ces bassins, ayant déjà habitué à l'évidence de rivières aménagées. Les classements "continuité" les plus étendus donc les plus problématiques, les conflits les plus durs et les positions publiques les plus dogmatiques se rencontrent en Loire-Bretagne et en Seine-Normandie. Dans ces bassins, comme en Artois-Picardie, les choix de destruction sont largement majoritaires dans la période 2006-2016, comme le CGEDD l'a montré. Du coup, Adour-Garonne passe à côté de cette réalité. C'est quand même dommage d'étudier un problème sans étudier le coeur de ce problème.

  • le rôle néfaste de l'administration "eau et biodiversité" (outre son réseau de clientèles subventionnées sur argent public, selon l'usage français) est systématiquement atténué, relativisé, justifié. Désolé, mais on ne noiera pas le poisson ainsi, le travail d'analyse critique mené par les associations et les syndicats depuis plus de 10 ans montre que l'idéologie et le fonctionnement des services administratifs est le coeur du problème démocratique et sociétal de la continuité écologique (pas que ce domaine d'ailleurs, le sentiment d'étouffement bureaucratique est diffus en France!). Les nombreuses condamnations de l'administration en justice pour erreur d'appréciation et abus de pouvoir confirment le diagnostic des acteurs. Les documents publics de cette administration montrent sans l'ombre d'un doute qu'elle a envisagé dans les années 2000 et 2010 un programme de destruction systématique du maximum d'ouvrages en rivières, avec tous les efforts réglementaires et financiers portés pour l'effacement des chaussées, digues, barrages, au détriment de leur équipement et de leur aménagement. Les actes doivent avoir des conséquences : ce qui a mené à l'échec ne peut pas conduire à la réussite.

  • on peut discuter, débattre, concerter, co-construire, co-décider... il n'en reste pas moins qu'à la racine, deux visions inconciliables de la rivière existent, ce que les universitaires ont déjà fait observer : l'idéal de rivière sauvage rendue à la nature seule avec suppression du maximum d'impacts humains, l'idéal de rivière durablement aménagée où co-existent des patrimoines naturels et des usages humains (les premiers évoluant forcément sous l'influence des seconds). La loi et la justice ont tranché en France : la rivière sauvage n'est pas la doctrine publique de l'eau. (Et cela inclut les versions sophistiquées et "sachantes" du retour au sauvage, comme la "rivière rendue à sa naturalité et sa fonctionnalité", ce qui veut dire exactement la même chose sous une forme un peu jargonnante; l'expertise n'est pas neutre, elle a aussi des idéologies sous-jacentes et il faut le dire dans le débat public). Partant de là, si des fonctionnaires sont mal à l'aise avec cette orientation en faveur de la rivière aménagée et son exécution, ils doivent rejoindre des groupes privés où leur idéologie de la rivière sauvage pourra s'exprimer librement. Mais pour les autres, il est impossible de tenir au sein même de l'appareil d'Etat et en étant payés par les contribuables une position contraire à l'évolution des lois et des décisions de justice. 

  • or, nous voyons encore tous les jours des courriers aberrants de fonctionnaires DDT-M, des appels d'offres et marchés publics aberrants d'établissements publics ou de collectivités territoriales, des schémas directeurs aberrants d'administrations et syndicats de l'eau, faisant comme si la loi et la jurisprudence n'existaient pas, comme si l'appel à détruire les ouvrages ou la volonté d'entraver leur équipement énergétique avaient une base légale et une approbation citoyenne. Aucun apaisement ne peut exister sur cette trajectoire. Le juge, le parlement, le gouvernement, les élus locaux seront saisis aussi longtemps que des dépositaires de l'autorité publique se comporteront dans le mépris des évolutions démocratiquement actées. Et malheureusement, les rapports humains de terrain seront toujours aussi désagréables tant que des fonctionnaires auront une finalité de dénigrement et d'effacement d'ouvrages, imagineront qu'ils parviendront à cette fin par des stratégies de harcèlement et de contournement des lois.
La balle est donc plus que jamais dans le camp du ministère de l'écologie et de ses services déconcentrés, de l'office français de la biodiversité, des agences de l'eau et des syndicats de bassin : la gestion durable et équilibrée de l'eau, incluant l'usage des ouvrages hydrauliques à fin de production énergétique ou alimentaire, de régulation de l'eau, de gestion du changement hydroclimatique, de valorisation du patrimoine et de l'identité paysagère,  de développement économique du territoire, doit devenir une réalité de tous les instants dans la programmation publique et l'instruction réglementaire. Cela implique notamment la révision des outils de cette programmation (SDAGE, SAGE, contrats rivières, GEMAPI) et la ré-allocation de l'argent public dans le sens indiqué par la loi. 

Le reste n'est que littérature. Désormais, soit l'administration de l'eau change de doctrine et de comportement sur les ouvrages, soit elle sera l'objet d'un procès permanent en illégalité et illégitimité. 


Synthèse de la mission « Restauration de la continuité écologique »

1)- Prendre acte de l'échec sociétal de la politique apaisée, malgré des réponses équilibrées dans notre bassin. En 2019 et 2020 (années qui ont suivi la mise en place de la note DEB du 30 avril 2019) sur les 129 dossiers instruits, 76% sont des aménagements et 24% des effacements d’ouvrages ;

2)- Choisir l'espoir, celui d'un pragmatisme respectueux des territoires et de leurs acteurs publics et privés, efficace pour la continuité écologique et la biodiversité.

3)- Engager un plan d'action 2022 - 2027 (évalué in fine) pour les quatre secteurs socioéconomiques (page 35), mis en oeuvre dès la fin du 11ème programme.
° Clarifier (cas aberrants) le calendrier de réalisation des 493 ouvrages priorisés
° Définir la sécurisation juridique opérationnelle des dossiers
° Adapter les financements au nouveau contexte législatif, pour les seuils des moulins à eau (article 49 de la loi climat et résilience) et prendre acte que cet article 49 ne s’applique pas aux autres ouvrages (eau potable, irrigation, ...)
° Donner la priorité aux dossiers issus d'un consensus local
° Demander que les services instructeurs soient destinataires d’un argumentaire opérationnel sur les sujets sensibles, pour renforcer l’accompagnement des porteurs de projets dans un apprentissage collectif du dialogue et de la coconstruction en vue d’une décision (droits fondés en titre, hydroélectricité, moulins à eau, pisciculture...)

4)- Valider l’évolution rédactionnelle de l’orientation D (mesure D23) du SDAGE 2022 - 2027 et des mesures du PDM, notamment 3.2.4 : restauration des fonctionnalités des lieux aquatiques, 4.1.5 les principales mesures. MIA02 gestion des cours d’eau hors continuité ouvrages. MIA03 gestion des cours d’eau continuité

5)- Faire de la connaissance identifiée et débattue une priorité, en clarifiant les controverses, en associant le conseil scientifique, en associant "l'Entente pour l'eau Adour Garonne" pour les retours d’expériences innovants, en organisant une pédagogie de la rivière (notamment dans les CLE) intégrant l’approche globale et ses enjeux notamment les solutions fondées sur la nature, en partageant enfin les résultats d’une expertise des nouvelles techniques permettant de concilier la continuité écologique et l’hydroélectricité.

6)-Créer une cellule de médiation à l’échelle du bassin et confirmer la pérennité du groupe de travail dédié en Adour Garonne. Sa composition et son organisation seront décidées par le président, après consultation du bureau

7)- Etablir le bilan des réalisations, chaque année, avec dans un premier temps au premier semestre 2022, le bilan multicritères de la période 2013 – 2020.

8)- Identifier, modéliser et soutenir les maîtrises d'ouvrage dans leurs diversités. Publics : EPTB, EPAGE, Syndicat mistes... Privés : propriétaires, sociétés...

07/11/2021

Si les truites pouvaient parler (Potherat 2021)

La biodiversité remarquable des cours d'eau du Châtillonnais et du plateau de Langres, en particulier ses populations de salmonidés réputées jusqu'au début des Trente Glorieuses, a-t-elle décliné depuis 50 ans à cause des ouvrages hydrauliques? Pierre Potherat apporte une réponse négative dans un remarquable livre sur l'histoire récente de ces rivières. Cet ingénieur géologue d'Etat aujourd'hui à la retraite montre que, bien au contraire, ce sont des travaux lourds visant à faire circuler l'eau plus vite qui ont asséché peu à peu les aquifères de la région, perturbé l'hydrologie de nappes et des lits, créé un environnement aquatique défavorable. Loin d'être des adversaires du vivant, les ouvrages bien gérés peuvent contribuer à son retour, ce que montre la co-existence séculaire des moulins et des truites. A condition pour les gestionnaires publics de ne plus se tromper de cibles dans leurs actions.

On connaît la chanson qu'ont voulu nous apprendre depuis quinze ans des syndicats de rivière, des agences de l'eau et d'autres acteurs publics : si les poissons ont disparu des rivières, c'est à cause des "obstacles à l'écoulement" qui les parsèment. La majorité de ces obstacles étant, dans nos campagnes, des moulins, des forges et des étangs. 

Cette chanson, Pierre Potherat n'en comprend ni le refrain ni les paroles. Pour une raison simple, elle ne correspond pas aux faits d'observation. Enfant du Châtillonnais, ingénieur géologue et ingénieur en chef de l'Etat pendant 45 ans, pêcheur passionné et amoureux des rivières, Pierre Potherat a passé des décennies au bord de la Seine, de l'Ource, des cours d'eau du plateau de Langres. Il a connu, comme de nombreux autres "anciens" de sa génération, des rivières poissonneuses et en particulier riches en truites dans les années 1940 à 1960. De mêmes témoignages existent en France-Comté voisine, on pense aux travaux pionniers de Jean Verneaux

Cette abondance des salmonidés a commencé à décliner après les années 1960. Or, les moulins et les étangs n'ont aucun rapport avec cette temporalité : ils sont présents depuis des siècles pour la plupart, et si une chose est à remarquer au 20e siècle, c'est plutôt qu'ils ont eu tendance à disparaître ou à ne plus être gérés comme outils de production. Il n'y a donc aucun sens à les accuser d'avoir fait fortement décliner des espèces qui n'avaient eu aucun problème particulier à co-exister avec eux pendant des générations d'humains, et plus encore de truites !



Qu'est-ce qui a changé à compter des années 1960 et 1970 ? 

Le livre de Pierre Potherat est une passionnante enquête à ce sujet. Elle n'aborde pas le point des pollutions, tout en signalant que c'est évidemment un sujet à explorer, mais se concentre sur les spécialités de l'auteur, l'hydrogéologie et l'hydromorphologie des rivières de zones calcaires, voire karstiques. L'étude montre que des travaux lourds ont été réalisés sur les cours d'eau du Châtillonnais, dans le but d'éviter les inondations, menant à des curages, reprofilages, recalibrages, chenalisations qui ont eu des effets pervers nombreux. Des habitats de berges et d'annexes hydrauliques ont disparu. L'hydrologie surtout s'en trouve affectée : l'eau des saisons pluvieuses n'étant ni retenue ni stockée dans les aquifères (où elle pourrait trouver des capacités de dizaines de millions de mètres cubes dans la zone étudiée!), elle file à l'aval pour laisser des débits d'été de plus en plus secs et fluctuants. Cette eau plus rare se réchauffant aussi plus vite, le cocktail n'est évidemment pas fameux pour les salmonidés et autres poissons de tête de bassin. Surtout si l'on y ajoute tous les ingrédients chimiques absents voici deux générations, et désormais ubiquitaires.

Pour retrouver la biodiversité remarquable des cours d'eau du Châtillonnais, Pierre Potherat propose des pistes. L'une d'elles est de revenir à une gestion intelligente et active des ouvrages qui, loin d'être des ennemis de la truite et du vivant en général, peuvent au contraire en être des alliés précieux. Une vision tout à fait conforme aux convictions des associations de riverains et propriétaires dont le but est de retrouver cette action conjointe autour des patrimoines naturels, culturels et techniques. Un ouvrage à lire et à faire lire !

Extrait de l'introduction

Par un bel après-midi de mai ou juin 1953, j’avais à peine 5 ans, je m’évertuais à dessiner sur  la route avec un petit arrosoir d’eau puisée dans le lavoir municipal de Charrey sur Seine.

Après une bonne demi-heure d’un labeur passionnant, en remplissant mon arrosoir je piquai la tête la première dans le bassin. Promptement une main charitable m’a empoigné par le fond de culotte et m’a tiré de ce mauvais pas. C’était la main de ma mère qui gardait un œil sur moi tout en faisant sa lessive.

Loin de me rebuter cette péripétie n’a fait que conforter mon attirance vers l’eau. Celle de la rivière, des biefs, des vannages aux eaux bouillonnantes et  chantantes, des mares et même celle des fossés, et autres chenaux, autant de milieux hébergeant une biodiversité aquatique exceptionnelle à l’époque. 

Rapidement j’ai emboité les pas de mon père s’en allant taquiner la truite le dimanche, mais je ne devins autonome qu’à l’ouverture de la pêche de 1960, année de mes 12 ans et de mon premier permis. 

Tout cela pour dire que j’ai assidument fréquenté les bords de Seine depuis la fin des années cinquante. J’en connaissais tous les méandres, toutes les coulées, tous les contre-courants et je les ai vus changer au fil des années avec un pincement au cœur, me demandant si mes petits-fils pourraient un jour goûter au plaisir de capturer quelques belles saumonées ou plus simplement apprécier les instants magiques passés au bord de ce cours d’eau dans une nature encore préservée et face à des paysages magnifiques avec en toile de fond le Mont Lassois qui livre peu à peu son histoire et ses secrets. 

Au début des années 2010, quelques temps avant de revenir profiter de ma retraite dans ma région natale, j’ai souvent eu l’occasion d’accueillir des amis dans le Châtillonnais et de leur faire visiter notre belle région. Tous, sans exception, ont été frappés par la beauté de nos paysages, en particulier celle de la « cuesta de Chatillon », barrière naturelle dont le flanc  sud supporte le vignoble du crémant du Châtillonnais et constitue la première manifestation morphologique de la présence du bassin parisien tout proche. Les trouées de la Laignes, de la Seine, de l’Ource et de l’Aube qui entaillent ce relief représentent autant de portes d’entrée vers Paris, le  site de Vix, vu du haut du Mont Lassois, étant la plus prestigieuse de toutes.

La tranquillité de nos forêts les a également séduits mais ils ont surtout remarqué l’abondance d’eau dans les nombreuses rivières descendant du versant nord-ouest du plateau de Langres. Le cours de celles-ci est jalonné de remarquables bâtiments anciens ayant hébergé des activités, pour certaines millénaires, couvrant la minoterie, l’huilerie, le sciage du bois, la fonte du minerai de fer et le travail de ce métal pour la production de divers outils et objets métalliques nécessaires au labeur journalier des habitants de nos campagnes : paysans, artisans, ouvriers agricoles, religieux etc.

Le plateau de Langres est considéré comme le château d’eau du bassin parisien au regard des abondantes précipitations qui alimentent l’immense aquifère constitué par les calcaires du Jurassique moyen et supérieur. Les rivières qui y naissent, en particulier la  Seine et ses affluents, possèdent, ou plutôt possédaient, des débits importants 6 à 8 mois de l’année. La disponibilité d’une énergie hydraulique gratuite et abondante rend donc compte de l’implantation d’innombrables installations constituant le petit patrimoine local pluriséculaire, parfois millénaire: moulins, scieries, fourneaux, forges, lavoirs etc.

Des aménagements importants pour l’époque moyenâgeuse, voire plus ancienne, ont été effectués. Il s’est agi en premier lieu  d’un recalibrage de la rivière à l’amont de vannages de manière à disposer d’une retenue d’eau suffisante pour faire tourner les roues hydrauliques. Le reste des travaux a consisté, soit en canaux d’amenée d’eau (biefs,) avec chenaux de restitution de celle-ci à la rivière (canaux de fuite), soit en vannes et chenaux de décharge, soit en déversoirs de sécurité. Parfois, de simples seuils ou digues disposés en travers de la rivière principale permettaient d’alimenter une ou deux roues hydrauliques. L’ensemble formait encore il y a peu un entrelacs de canaux et chenaux auxquels il convenait d’ajouter les fossés de drainage des prairies naturelles occupant le lit majeur des rivières. Le tout, parfaitement entretenu jusqu’il y a peu de temps, étant du plus bel effet esthétique et d’une grande importance dans la biodiversité.

Dès le début du XXème siècle, plus encore  après la grande guerre, l’activité artisanale, voire industrielle a commencé à décliner pour aboutir à la situation actuelle : plus aucun moulin, plus aucune forge, plus aucune scierie ne fonctionne au bord de l’eau. 

Cependant bien des bâtiments, avec leurs aménagements, subsistent, en particulier certains moulins ou forges, achetés par des particuliers pour en faire leur demeure principale, voire secondaire.

Ainsi sont restés certains ouvrages tels que d’anciens vannages agrémentés de cascades aux eaux tumultueuses qui restent des lieux de promenade très prisés des villageois ainsi que des gens de passage. 

Fort de l’attrait des paysages et de la richesse du  patrimoine de notre région je m’étais pris à rêver d’un circuit des moulins qui aurait pu attirer et intéresser nombre de visiteurs et apporter une plus-value au « Parc National des Forêts ». C’était sans compter sur la volonté des pouvoirs publics de faire appliquer sur les rivières du Châtillonnais la continuité écologique de la manière la plus dure qui soit en faisant financer à la collectivité l’effacement d’un maximum d’ouvrages.

Quand un peu avant 2010, j'ai eu vent de la mise en place d’un vaste programme de suppression des ouvrages hydrauliques qui jalonnent le cours de nos rivières, j’ai tout d’abord pensé à une « fake news », comme on dit aujourd’hui. Ce programme avait en effet pour objectif de favoriser le repeuplement naturel des cours d’eau en facilitant la circulation des poissons et des sédiments qui encombrent parait-il le lit mineur. Ceux qui, comme moi, sont nés dans l’immédiat après-guerre ou même bien avant, entre les deux guerres, peuvent témoigner de la quantité exceptionnelle de poissons peuplant les rivières du Châtillonnais jusque dans les années 60. Comment ont-ils fait, ces poissons, pour se reproduire jusqu’à cette époque alors que nombre des ouvrages fonctionnaient encore?  Bizarrement aucune association ni fédération de pêche n’a réagi  quand ces programmes ont été annoncés à l’orée du XXIème siècle. Peut-être une certaine confiance dans l’action des  pouvoirs publics  était-elle encore de mise?

Référence : Pierre Poterat, Si les truites pouvaient parler. L’histoire récente des rivières 
Plateau de Langres en général et du Châtillonnais en particulier. Les cas de la Seine et de l’Ource, 153 pages.

Pour se procurer le livre (13€) :
  • Office du Tourisme de Châtillon, 1 rue du Bourg, 21400 Châtillon
  • Musée Trésor de Vix, 14 rue de la Libération, 21400 Châtillon
  • Librairie Page 21, 3 rue du président Carnot, 21400 Châtillon
  • On en commandant directement à l'auteur à : p.potherat@orange.fr 

29/10/2021

La soutenabilité environnementale de l'hydro-électricité au fil de l'eau (Briones-Hidrovo et al 2021)

Comment apprécier la valeur d'une source d'énergie au regard de la soutenabilité environnementale? Cette estimation doit intégrer de nombreuses données comme le bilan carbone, l'empreinte matières premières, le retour sur investissement énergétique, les services écosystémiques associés. Trois chercheurs ont mené cette analyse sur l'hydro-électricité, concluant que des centrales hydro-électriques au fil de l'eau peuvent avoir de meilleurs bilans de soutenabilité que des grands barrages. Ces chercheurs insistent surtout sur la nécessité de prendre un panel large d'indicateurs : toutes les énergies ont des impacts sur les ressources et les milieux, la notion de soutenabilité environnementale ne se limite pas à un seul critère. Leçon à retenir en France, où la politique publique des rivières est biaisée et mal informée depuis des décennies.


Trois chercheurs ont estimé la soutenabilité environnementale de l'hydro-électricité, en observant que ce sujet, non consensuel dans la recherche scientifique, donne lieu à des assertions contradictoires. Ils ont utilisé huit indicateurs biophysiques : empreinte carbone, énergie retournée sur l'énergie investie, coût de remplacement exergétique, empreinte eau, lien eau-carbone, indice de durabilité environnementale, efficacité des services écosystémiques et impact sur la biocapacité.

Voici le résumé de leurs travaux :

"Avec d'autres sources d'énergie sans combustion et à faible émission de carbone, l'hydroélectricité est considérée comme un outil précieux pour atténuer la crise climatique et écologique actuelle, et atteindre la soutenabilité environnementale. Cependant, on ne sait toujours pas dans quelle mesure l'hydroélectricité est ou non durable sur le plan environnemental. La littérature révèle i) qu'aucune évaluation véritablement holistique n'a été réalisée et ii) qu'il existe des résultats et des conclusions contradictoires. 

La présente étude comble cette lacune en effectuant une évaluation holistique, en utilisant huit indicateurs biophysiques de différentes approches, et en prenant deux projets de centrales hydroélectriques différents comme cas d'étude. Les résultats de l'évaluation montrent que le cas d'étude de centrale hydroélectrique au fil de l'eau est de loin plus durable sur le plan environnemental que le projet de centrale hydroélectrique de barrage. 

Étant donné que les projets hydroélectriques et leurs tailles varient, il est souligné qu'il est important d'inclure autant d'indicateurs que possible pour garantir des évaluations plus larges et complètes et éviter les biais dans les conclusions et faciliter la comparaison avec d'autres sources d'énergie sans combustion à faible émission de carbone et leurs technologies. De plus, la présente étude examine comment et dans quels paramètres la durabilité environnementale de l'hydroélectricité est généralement déterminée. L'ensemble complémentaire d'indicateurs fournis ici, qui ont une portée et une complexité différentes, pourraient être adoptés pour améliorer la prise de décision future dans les politiques énergétiques et en particulier pour l'hydroélectricité."

Discussion
Cette étude ne clôt pas le débat, car on peut varier les indicateurs (le choix de ce que l'on mesure est en partie politique) et, selon la zone où est implantée un projet-hydro-électrique, le résultat des indicateurs peut varier. Un exemple connu : le bilan carbone de la retenue est souvent moins bon en zone tropicale (émission de méthane) mais bon en zone tempérée et très bon en zone d'altitude ou de haute latitude. 

Le premier intérêt de ce travail est évident : rappeler que l'énergie hydro-électrique, comme les autres énergies, ne s'apprécie pas uniquement par rapport à la biodiversité (prisme dominant choisi par exemple en France par les autorités publiques), aussi par rapport à sa soutenabilité environnementale globale dans les limites biophysiques de la planète Terre. De nombreux travaux ont déjà souligné que l'énergie hydraulique a un bon bilan carbone, un bon bilan matière première / cycle de vie et un bon retour sur investissement énergie dépensée / énergie produite (EROEI). En outre, c'est une énergie souvent très populaire, comme l'a rappelé une récente enquête d'opinion en France

Le fait que des schémas hydro-électriques de plus petite dimension aient moins d'impacts n'est pas forcément surprenant. Le coût capitalistique au MWh produit sur la durée de vie de ces schémas est souvent plus élevé que celui des grands barrages. Mais en même temps, la dimension joue en hydro-écologie et hydro-morphologie : de grands réservoirs signifient souvent une moindre connectivité piscicole et sédimentaire, une évaporation de surface plus importante, une modification substantielle des débits lors des éclusées, une mobilisation plus forte de matériaux très carbonés (béton), un impact majeur sur les riverains lors de la construction. Ces phénomènes sont cependant compensés par d'autres avantages dans certains usages (développement d'activités autour de la retenue, stockage stratégique d'eau, etc.). Il faut donc estimer au cas par cas.

Pour conclure, une chose est certainement aberrante et inacceptable dans la phase actuelle de transition bas carbone et bas impact de nos économies industrielles : dépenser de l'argent public à détruire des ouvrages en place qui produisent ou peuvent produire de l'énergie hydro-électrique décarbonée. De tels chantiers ont évidemment un bilan déplorable : la loi devrait les proscrire en dehors de cas de sécurité publique liée à des ouvrages vieillissants. La France avance heureusement dans cette direction, après quelques errements depuis deux ou trois décennies. Des efforts sont encore nécessaires pour libérer pleinement le potentiel hydro-électrique de notre pays, renforcer la contribution des rivières à la transition bas-carbone et bas-impact.

Référence : Briones-Hidrovo A et al, (2021), Hydropower and environmental sustainability: A holistic assessment using multiple biophysical indicators, Ecological Indicators, 127, 107748

26/10/2021

Les poissons ne voient pas la différence après la destruction d'un déversoir (Muha et al 2021)

Des chercheurs ont étudié par l'ADN environnemental la composition des populations de poissons en amont et en aval d'un déversoir sur une rivière anglaise, avant et après l'effacement de l'ouvrage. Leur conclusion : pas de différence significative. Au moins cette mesure a-t-elle été faite avec un protocole rigoureux : dans bien des cas, on se contente de détruire en affirmant que cela procure des gains importants, mais sans démontrer l'importance ni la persistance de ces gains. Sans préciser non plus aux yeux de quels citoyens au juste cette dépense publique représente réellement des gains... Fort heureusement, la France a décidé de cesser cette politique délétère de destructions d'ouvrages en rivière qui rendent par ailleurs des services, qui sont appréciés des riverains, et qui ne posent manifestement pas de grands problèmes aux poissons quand ils sont de dimensions modestes.  


Une équipe de chercheurs a analysé la présence de poissons dans une rivière où un obstacle avait été effacé, en utilisant la technique de l'ADN environnemental. Cette dernière permet de déceler  dans l'eau des traces d'ADN de toutes les espèces présentes à l'amont du point de mesure. Elle est moins invasive et agressive que la pêche électrique, tout en étant moins soumise aux aléas des endroits choisis pour la mesure.

Le point intéressant est que les chercheurs n'ont en l'occurrence relevé aucune différence avant ou après l'effacement du seuil en rivière.

Voici la résumé de leur travail :

"Les barrières artificielles dans les cours d'eau sont une cause majeure de fragmentation de l'habitat qui réduisent la connectivité des populations et le flux génétique en limitant les déplacements des poissons. Pour atténuer leurs impacts, les barrières obsolètes sont de plus en plus supprimées dans le monde entier, mais peu de projets de suppression sont suivis. Nous avons utilisé une puissante approche Avant-Après-Aval-Amont (AAAA) utilisant le metabarcoding de l'ADN environnemental (ADNe) pour examiner les effets sur la composition de la communauté de poissons de la suppression d'un déversoir dans la rivière Lugg (Angleterre), qui avait été suggéré comme ayant un effet néfaste sur la migration des salmonidés. Nous n'avons trouvé aucun changement dans la diversité ou l'abondance relative des communautés de poissons après le retrait, au-dessus ou au-dessous du seuil, mais nous avons détecté un effet important de la saison d'échantillonnage, probablement lié aux cycles de vie de l'espèce. L'ADNe a détecté neuf espèces de poissons qui ont également été identifiées par échantillonnage par pêche électrique et une espèce supplémentaire (Anguilla anguilla) qui n'a pas été détectée par les enquêtes traditionnelles. Nos résultats suggèrent que la surveillance des projets d'élimination des barrières devrait être effectuée pour s'assurer que tous les avantages écologiques sont correctement documentés et que le méta-barcoding par ADNe est une technique sensible à cette surveillance des effets de l'élimination des obstacles."


Abondance relative des espèce de poissons de la rivière Lugg, identifiée à l'aide du méta-barcoding à ADN environnemental, en amont et en aval de l'emplacement du déversoir, avant et après sa destruction. A, B et C correspondent à des réplicats de terrain. Image extraite de Muha et al 2021, art cit.

Voici leurs observations en conclusion :

"Les barrières sont connues pour interférer avec les migrations des poissons (McLaughlin et al., 2013; Jones et al., 2020b) et réduire la connectivité de la population et le flux génique (Meldgaard et al., 2003, Wofford et al., 2005), menaçant la persistance de populations à long terme (Valenzuela-Aguayo et al., 2020). Les obstacles de faible chute (<5 m) sont particulièrement répandues(Jones et al., 2019), étant les plus abondantes (Belletti et al., 2020) et les plus faciles à enlever. Cependant, l'élimination des obstacles doit tenir compte des coûts-avantages, car les barrages et les déversoirs fournissent une variété de services économiques, tels que l'hydroélectricité, l'approvisionnement en eau et les possibilités de loisirs (Whitelaw et MacMullan, 2002), qui doivent être considérés par rapport à leurs impacts écologiques (Poff et Hart, 2002). Nous n'avons pas observé de changement dans la richesse taxonomique à court terme après le retrait du seuil, peut-être en raison de la lenteur de la recolonisation des poissons mais très probablement parce que le seuil ne causait pas de perturbations importantes pour la communauté de poissons, suggérant un bénéfice potentiellement faible (pour les poissons) de l'effaecment."

Discussion
La politique de destruction des ouvrages en rivière à des fins de restauration de continuité et de naturalité est l'une des plus controversées dans le domaine de l'ingénierie écologique. En effet, les ouvrages sont souvent l'objet d'un attachement des populations locales pour leurs dimensions paysagères, patrimoniales ou récréatives. De surcroît, ces ouvrages jouent aussi des rôles de régulation de l'eau ou de production énergétique qui sont potentiellement précieux en période de changement climatique et de transition bas-carbone. Le projet de retrouver une rivière plus "naturelle" ou plus "sauvage", s'il peut être soutenu par une partie des citoyens, des experts ou des chercheurs, ne fait pas pour autant l'objet d'un consensus car cette vision de la rivière (de la nature plus généralement) ré-ensauvagée n'est pas partagée par tout le corps social. Elle relève davantage d'un choix politique sur le type de rivière et d'usage de la rivière que l'on désire. 

Pour ces raisons, et compte-tenu également du coût économique significatif de ces chantiers payés sur argent public, la destruction des ouvrages hydrauliques ne pourrait se justifier que par des arguments convaincants sur l'enjeu écologique attaché à l'opération. Or, dans bien des cas, les petits ouvrages de type seuils, déversoirs, gués, chaussées ont peu d'effet biologique et sédimentaire en raison de leur dimension permettant la circulation des charges solides et le passage des espèces à différentes périodes de l'année. Cette recherche de Teja P. Muha et des ses collègues montre le manque de résultat du chantier dans ces cas.  

Références : Muha TP et al (2021), Using eDNA metabarcoding to monitor changes in fish community composition after barrier removal, Front. Ecol. Evol., doi : 10.3389/fevo.2021.629217

19/10/2021

Effarant, l'administration de l'écologie discute de la destruction de 20 grands barrages hydro-électriques en France d'ici 2030

Le document que s'est procuré Hydrauxois est hallucinant à lire : le groupe de travail sur la Stratégie nationale biodiversité 2030 de la France propose d'engager la destruction de 20 grands barrages hydro-électriques et l'effacement de milliers d'autres petits ouvrages sur 50 000 km de rivière. Le ministère de l'écologie et sa haute administration accueillent ces délires sectaires sans rappeler que de telles mesures sont parfaitement contraires à la loi Energie & climat de 2019 et à la loi Climat & résilience de 2021. Outre qu'elles sont évidemment impensables à l'heure où l'Etat français est condamné en justice pour son retard dans l'action climatique, où l'argent manque pour les enjeux essentiels de l'écologie comme pour  l'accompagnement social de la transition. Les lobbies de la "nature sauvage" à l'oeuvre dans les coursives de ce ministère doivent être recadrés par les représentants de la République, et non pas encouragés dans leur dérive de destruction du patrimoine hydraulique du pays! Nous demandons aux députés et sénateurs d'interpeller Barbara Pompili sur ce nouveau scandale. 


La stratégie nationale pour la biodiversité 2030 est en cours d'élaboration et d'arbitrage au ministère de la transition écologique, sous l'égide de la direction administrative aménagement, logement, nature. Notre association s'est procuré le dernier document du groupe de travail, en date d'octobre 2021. 

Le document comporte un axe 1 "Des écosystèmes protégés, restaurés et résilients" et une solution 5 "Remise en bon état des continuités écologiques". Au sein de cette solution 5, des mesures sont préconisées. L'une d'elle s'appelle "Nouvel élan pour la trame bleue".

Voici la description de cette mesure sur la continuité écologique de l'eau : 

"Le rétablissement de l’écoulement libre des cours d’eau est une priorité pour la bonne santé des écosystèmes aquatiques de l’amont jusqu’à la mer. A cette continuité écologique longitudinale dans l’axe des cours d’eau, s’ajoute l’importance de préserver et restaurer la continuité latérale, au niveau des berges, des ripisylves et des zones humides alluviales, tous ces éléments contribuent à préserver et restaurer l’hydromorphologie et la dynamique fluviale, soutenant les habitats des espèces aquatiques..

-Poursuite de l’objectif de restauration de la continuité écologique de 50 000 km de cours d’eau, ceci par :
- l’effacement des obstacles à l’écoulement prioritairement,
-et, le cas échéant, la mise en place des dispositifs de franchissement piscicole en montaison et en dévalaison adaptés pour les infrastructures hydroélectriques,  conservées
- Poursuivre le recensement des ouvrages hydrauliques pouvant perturber les continuités écologiques et le continuum terre-mer (notamment pour les migrations des espèces amphihalines dans les marais des lagunes et des estuaires) et la définition des unités hydrauliques cohérentes, en cohérence avec les actions 49 et 9 du plan national d’action en faveur des zones humides et en accord avec ceux du Plan national en faveur des migrateurs amphihalins et du plan national de gestion de l’anguille européenne. 
- Accompagner les gestionnaires dans l’effacement des obstacles prioritaires. 

Le développement de l’hydroélectricité se fait souvent en contradiction avec les objectifs de restauration de la continuité écologique, y compris pour des petites installations à faible rentabilité. Comme pour d’autres infrastructures énergétiques, il est temps de ne plus prioriser les besoins en énergie au détriment de la santé des écosystèmes. Pour répondre à cela : 
- Il sera obligatoire, en amont des travaux, de mener une analyse des impacts  écologiques sur les milieux aquatiques, à mettre en rapport avec le bénéfice énergétique. Les projets à impact significatif ou à faible bénéfice énergétique et/ou à coûts d’investissement élevés  par rapport au gain énergétique ne pourront pas être réalisés et les projets qui seront menés à terme devront appliquer des mesures de réduction des impacts écologiques et de compensation.
- Restaurer écologiquement au moins une rivière dans chaque département à l’horizon 2030 par la suppression de tous les obstacles, des digues et des enrochements, etc.
- Effacer d’ici 2030 vingt grands barrages hydroélectriques (sur 550 barrages de plus de 15 m en France) dont l’impact sur la biodiversité et l’écoulement des sédiments sont jugés le plus fort."

Cette mesure est totalement effarante, et nous ne comprenons pas comment une haute administration de la République peut couvrir de telles élucubrations. Rappelons en effet que :
Certes, il est précisé que "ce document n’engage pas l’Etat ou ses opérateurs". Mais enfin, le rôle de l'Etat est de ne plus inviter n'importe quel groupe intégriste dans une construction de politique publique et, surtout, d'éliminer clairement dès le départ des propositions contraires aux lois nationales et contradictoires avec les engagements internationaux de la France !

La ministre de l'écologie Barbara Pompili doit s'expliquer devant les parlementaires de cette nouvelle dérive: les services de son ministère n'ont-ils pas vocation à exécuter les lois de la République, et d'abord à les rappeler aux lobbies? La France a-t-elle encore de l'argent à dilapider dans des délires illégaux de retour à la nature sauvage, alors que tant de dossiers importants de l'écologie sont en retard, sans parler des difficultés économiques et sociales du pays? L'Etat se rend-il compte du niveau de confusion de son action publique, qui dépense pour une chose et son contraire sans obtenir de résultats? 

18/10/2021

La destruction d'ouvrage hydraulique est interdite, signalez-nous les actions illégales

Afin d'accélérer la mise en oeuvre de la loi Climat et résilience, nous avons mis en place avec la CNERH un formulaire en ligne de signalement des destructions illégales d'ouvrage hydraulique. La justice doit faire son travail, aidez-nous à la saisir dans tous les cas litigieux.

Depuis 10 ans, la politique française de continuité écologique des rivières est contestée avec virulence dans tous les bassins versants. La raison en est que plusieurs acteurs de l'eau, y compris parfois des représentants d'administrations publiques, avaient choisi de privilégier sinon d'imposer par chantage financier la seule solution de la destruction des ouvrages hydrauliques (barrages, chaussées de moulins, digues d'étangs, gués, etc.). Or, il existe des moyens non-destructeurs d'assurer la continuité piscicole et sédimentaire là où elle est réellement utile. Et les ouvrages en rivière ont de nombreuses qualités et assurent de nombreux services que leur destruction fait disparaître (patrimoine historique et culturel, agrément paysager, production d'énergie bas-carbone, régulation de l'eau, etc.). 

Les parlementaires n'avaient jamais inscrit le principe de destruction des ouvrages dans la loi sur l'eau de 2006. C'est une interprétation administrative du ministère de l'écologie qui a essayé d'en faire une règle de principe. Constatant les problèmes liés aux destructions, les parlementaires avaient déjà signifié lors de plusieurs réformes qu'il fallait trouver d'autres options. Mais rien n'y faisait. La loi climat et résilience de 2021 a donc clarifié une fois pour toutes les choses : la destruction des ouvrages de moulin, et plus largement la destruction de l'usage actuel et potentiel de tout ouvrage hydraulique, est désormais prohibée dans le cadre de la mise en oeuvre de la continuité écologique.

Nous espérions que les choses seraient enfin claires. Mais divers cas d'actualité et les retours de terrain ont montré que ce n'est pas encore tout à fait le cas : certains élus voire certains représentants d'administrations ou d'associations à agrément public pensent pouvoir continuer le programme de casse des ouvrages en mépris affiché des lois. De tels actes sont passibles de la justice pénale et administrative: nous allons donc le faire savoir aux contrevenants. Avec la CNERH, nous avons créé un formulaire en ligne de signalement des chantiers illégaux ou d'incitation à engager des chantiers illégaux. Nous appelons tous nos lecteurs qui sont victimes ou témoins de ces agissements à nous en informer, afin que la justice fasse son travail si le trouble ne cesse pas. Signalons au demeurant que même si un chantier est exécuté, son illégalité au moment des faits peut être constatée ultérieurement par le juge, et le maître d'ouvrage alors condamné à la reconstruction et remise en état antérieur du site. 

Les gestionnaires publics et privés de l'eau doivent donc acter l'évidence : les ouvrages hydrauliques sont partie intégrante des rivières et des bassins versants, leur gestion intelligente doit désormais être mise au service de la transition écologique et de l'intérêt du pays. 

14/10/2021

Reconstitution d'un moulin à eau de l'époque romaine (Garcia-Leon et al 2021)

La recherche archéologique a démontré que les moulins à eau ont connu une forte expansion dans le monde romain, à partir de leur invention au Ier siècle avant notre ère. On a mis à jour en 2019 les deux premiers vestiges connus de la péninsule ibérique. Les chercheurs ont procédé à une reconstruction 3D virtuelle de ce site de mouture du grain à Caravaca de la Cruz (région de Murcie). L'énergie de l'eau est indissociable de l'histoire de l'Europe et de l'environnement de ses bassins versants depuis deux millénaires.


Extrait de Garcia-Leon et al, 2021, art cit.

Le mécanisme de la roue hydraulique verticale est décrit par l'architecte et ingénieur romain Vitruve entre les années 40 et 10 avant notre ère. Dans la seconde moitié du Ier siècle de notre ère, Pline l'Ancien a fait remarquer que les roues hydrauliques étaient utilisées dans une grande partie de l'Italie. Ces dernières années, des moulins à eau romains ont été découverts dans de nombreuses régions, contredisant l'idée ancienne qu'il aurait fallu attendre le début du Moyen Âge pour voir une expansion de ces systèmes énergétiques. Désormais, des moulins sont connus pour avoir existé dans tout le monde romain : au Proche-Orient (Israël, Caesarea Maritima), dans la péninsule italienne (moulins du Janicule, Aqua Traiana ; thermes de Caracalla ; S. Giovanni di Ruoti), dans le sud de la Gaule  (Barbegal ;  Matres-de-Veyre; Mesclans ; Laurons) et jusqu'en Angleterre (villa de Fullerton, Hampshire).

De toutes les roues hydrauliques verticales romaines trouvées à ce jour, aucune d'entre elles n'avait été découverte dans la péninsule ibérique, et ce jusqu'en 2019. Cette année-là, deux ont été mises à jour : le moulin objet de cette publication des chercheurs, à Caravaca de la Cruz (Murcie), et un autre moulin trouvé dans les environs de Jerez (Cadix), sur le site de La Corta, où a été excavé un complexe hydraulique de trois moulins avec trois roues hydrauliques, dont une d'époque romaine. Cette carence peut s'expliquer par la réutilisation et la modification ultérieures des moulins, ce qui a entraîné l'absence de vestiges de la période antique. C'est pourquoi cette découverte à Caravaca de la Cruz est si intéressante.


Extrait de Garcia-Leon et al, 2021, art cit.

Josefina García-León et ses collègues ont procédé à une reconstruction 3D de la configuration ancienne du site de Caravaca de la Cruz (images ci-dessus). Comme le décrivent les scientifiques : "Ce moulin à eau à roues verticales utilisait la force de l'eau pour moudre le grain. Deux canaux d'alimentation en eau presque parallèles datent de l'époque romaine, mais (...) un seul alimentait le complexe depuis une source connue sous le nom de Las Fuentes del Marqués, située au nord-ouest, à une distance approximative de 1,5 km et à 630 m d'altitude. Le débit moyen de cette source varie aujourd'hui de 350 à 500 l/s. Le canal romain atteint une hauteur de 608,84 m à son point d'arrivée, ce qui implique une pente de 21,59 m sur ces 1500 m. Ainsi, l'eau s'écoulait avec une pente de 1,4 % et s'écoulait dans un bâtiment contenant la roue hydraulique".

Référence : Garcia-León J et al (2021), Documentation and modelling of a hypothetical reconstruction of the first Roman watermill in Hispania, Virtual Archaeology Review, 12, 25, 114-123.

08/10/2021

L'hydro-électricité est la plus populaire des énergies renouvelables en France!

En vue d'informer les candidats aux prochaines élections, le syndicat des énergies renouvelables (SER) a fait procéder à une enquête d'opinion sur plus de 3000 personnes en France. Il en ressort que les citoyens sont massivement acquis à la nécessité de faire de la question climatique une priorité publique (70%) et d'amplifier le développement des énergies renouvelables (87%). La palme de l'énergie la plus populaire revient à l'eau : l'hydro-électricité a une bonne image pour 90% des Français. Il est temps de stopper immédiatement la folie de la destruction des seuils et barrages hydrauliques pour engager au contraire leur équipement énergétique, qui bénéficie d'une approbation massive de la société. 



L’enquête IFOP/SER confirme les tendances révélées par les différentes études publiées récemment sur la préoccupation grandissante des Français concernant l’urgence climatique. Ainsi, sept Français sur dix considèrent que la lutte contre le réchauffement climatique doit constituer un enjeu prioritaire de la future élection présidentielle et six sur dix pensent que la transition énergétique ne va pas assez vite dans notre pays (27% considérant qu’elle va au bon rythme et 13% trop vite).

Pour accélérer la transition énergétique, les Français font aujourd’hui très majoritairement confiance aux énergies renouvelables. Elles font largement consensus comme solution utile pour lutter contre le réchauffement climatique, comme levier de création d’emplois dans les territoires et comme moyen de renforcer l’indépendance énergétique de la France. Toutes les sources d’énergie renouvelables testées bénéficient d’une bonne image. Mais la palme revient sans conteste à l'hydro-électricité de nouveau en tête du podium.

Cette enquête d'opinion confirme que la lutte contre les ouvrages hydrauliques et les contentieux trop souvent subis par les porteurs de projets hydro-électriques sont le fait d'une infime minorité de citoyens. Il est temps que la politique de l'eau et de l'énergie se mette en accord avec la réalité sociale, cesse la destructions des ouvrages de moulins et des barrages, engage l'équipement de l'ensemble de ce patrimoine pour mettre l'énergie de l'eau au service de la transition énergétique et du dynamisme des territoires. 

Source : Enquête IFOP/SER, Les Français et le énergies renouvelables, 2021  

30/09/2021

Quatre ouvrages hydrauliques sur cinq ne produisent pas d'énergie, il faut sortir de cette aberration

Facture d'énergie en hausse, catastrophes climatiques en hausse, retards sur la décarbonation et la dépollution de notre économie... qu'attendent les décideurs pour déployer la transition énergétique à la bonne échelle? Aujourd'hui 80% des ouvrages hydrauliques en place sur les rivières ne produisent pas d'électricité alors qu'ils le pourraient. Ce qui ne va pas : trop de complexités et de procédures pour relancer les sites, pas de fiscalité bas-carbone avantageuse, pas de prévisibilité de l'engagement de l'Etat sur les projets. Cela doit changer. Vite, car l'horloge climatique tourne pendant que nous tergiversons. 

Relance des 50 000 moulins de France : c'est possible! (DR)

La conjonction de la reprise économique post-pandémie covid-19, de la taxe carbone sur les producteurs fossiles et des achats d'énergie pour préparer l'hiver aboutissent à une forte hausse des factures énergétiques en France et en Europe. 

Dans le même temps, après un été marqué par des inondations au Nord de l'Europe et des incendies au Sud, le GIEC a publié un rapport alertant sur les risques du changement climatique et sur le retard pris dans la transition énergétique bas-carbone.

Ces actualités témoignent de tendances de fond, à l'oeuvre depuis des décennies, et qui vont se poursuivre:
  • la mondialisation et le développement des pays pauvres créent des pressions de demande sur les ressources, dont les ressources énergétiques fossiles,
  • l'usage du charbon, du gaz et et du pétrole entraîne des émissions de polluants dangereux pour la santé mais surtout pour le climat, avec déjà 1,2 °C de réchauffement moyen sur le globe (davantage en France) et des prévisions de multiplication des événements climatiques extrêmes (sécheresses, crues, tempêtes). 
Dans ces conditions, l'intérêt des Français et des Européens est de garantir leur approvisionnement énergétique et de tout faire pour que cet approvisionnement ne soit pas d'origine fossile. C'est d'autant plus évident pour la France que nous n'avons presque pas de charbon, de gaz ou de pétrole en sous-sol, donc les importations d'hydrocarbures pèsent sur notre balance commerciale, à raison de plus de 30 milliards d'euros par an. Autant d'argent qui pourrait être plutôt dédié à développer des sources d'énergie sur le sol national.

La France a besoin d'un programme hydraulique relançant toutes les puissances disponibles sur les rivières
La France dispose d'un potentiel de croissance pour cinq sources d'énergie renouvelable : l'eau, le soleil, le vent, la biomasse et la géothermie. Nous nous intéressons pour notre part à l'eau (énergie hydraulique).

Aujourd'hui, la plupart des ouvrages hyrauliques en place ne produisent pas. La France dispose d'un formidable potentiel de dizaines de milliers de moulins et usines à eau, mais aussi d'autres sites qui disposent d'une chute et un débit exploitables : barrages de navigation, d'irrigation, d'eau potable, d'étangs et lacs, de loisirs. Seuls quelques milliers produisent de l'électricité et injectent sur le réseau, quelques autres milliers autoconsommant leur énergie. Mais dans la plupart des bassins versants, 80% des ouvrages sont orphelins de production. Notamment ce que l'on nommait jadis la "houille verte", l'hydro-électricité de plaine qui avait connu un fort développement au 19e siécle et au début du 20e siècle.

Le problème n'est pas technique, il est possible de produire de l'énergie dès le premier kW de puissance par des roues, des turbines, des vis ou des hydroliennes. Le problème est politique : les décideurs ont gelé l'hydraulique en France depuis 30 ans, ils n'ont pas pris la mesure de l'urgence climatique ni de la transition énergétique, ils ont trop souvent dispersé l'argent public dans des mesures sans queue ni tête et des programmes contradictoires. On trouve ainsi le moyen de détruire en France sur argent public des barrages alors même que l'énergie bas-carbone manque – et que l'eau manque aussi en été ou est trop abondante en hiver... 

Depuis des années, Hydrauxois et d'autres associations bénévoles travaillent à aider les relances d'ouvrages hydro-électriques chez des particuliers ou des petites collectivités rurales. Des MWh d'énergie propre ont ainsi pu être produits, contribuant à notre modeste mesure à la décarbonation du pays. Mais nous nous heurtons à un cadre défavorable et incertain pour les porteurs de projets. 

Trois dispositions urgentes sont nécessaires :
  • mettre tous les services de l'Etat et des collectivités en phase avec la relance bas-carbone du pays, notamment supprimer les complexités et procédures dénuées de réalisme économique pour la relance des petits ouvrages hydrauliques,
  • créer une fiscalité verte, avec taxation des productions polluantes importées et détaxation des productions nationales propres,
  • produire un cadre réglementaire et législatif prévisible, durable, favorable au développement d'un marché adapté à la petite et moyenne hydro-électricité (turbinerie, vantellerie, électrotechnique, génie civil, etc.).
Nous demanderons aux candidats à l'élection présidentielle et aux élections législatives de s'engager sur ces points. L'heure n'est plus aux querelles sur des détails mesquins ni aux envolées sur des visions hors-sol, mais à la convergences des bonnes volontés sur les enjeux essentiels et concrets de notre avenir.

A lire notre dossier

19/09/2021

Natacha Polony, Camille de Toledo, la Loire et les moulins

Signe des temps : les moulins se sont invités sur France Inter à une discussion sur les droits et les représentations politiques de la nature. 


Camille de Toledo (haut) Natacha Polony (bas) et les moulins du bassin de Loire (DR).

L'émission Le Grand Face-à-Face (18/09/2021) de France Inter a donné lieu a d'intéressantes discussions entre Natacha Polony et l'écrivain Camille de Toledo, à l’initiative de l’ouvrage Le fleuve qui voulait écrire (Les Liens qui Libèrent). Camille de Toledo est partisan d'une redéfinition juridique et politique des démocraties, visant à donner des droits à la nature et à des éléments naturels. En accordant le statut de sujet de droit à des espèces, des milieux, des écosystèmes, on institue de nouveaux rapports entre l'humain et le non-humain.

Cette position, inspirée notamment des travaux de Bruno Latour, n'est pas sans poser de nombreuses questions. Natacha Polony a soulevé des points problématiques à travers les exemples des moulins et des silures du bassin de la Loire. Les premiers, présents souvent depuis 1000 ans comme le rappelle la chroniqueuse, ont façonné la nature et créé à leur tour de nouveaux écosystèmes locaux. Les seconds, introduits depuis quelques décennies dans le bassin de la Loire, se sont acclimatés et font désormais partie des espèces peuplant le fleuve. 

Dès lors, qui définit les contours de ce qu'est la nature, de ce qu'elle devrait être, de la manière dont elle doit être protégée en droit et représentée en politique? Qui dira que tel écosystème, telle espèce, n'est pas en situation de "naturalité", qu'il faudrait éventuellement les détruire ou les interdire? 

Hélas, les réponses de Camille de Toledo ont été assez généralistes et évasives... Voire inquiétantes quand un autre chroniqueur (Ali Baddou) soulignait que le livre de l'écrivain suggère des hypothèses de mandat impératif et non représentatif, c'est-à-dire des positions prises au nom de la nature qui seraient au-delà de toute discussion et de tout compromis propres à la démocratie parlementaire.

Ces discussions sont certes fort théoriques par rapport aux réalités immédiates du changement climatique, de la pression humaine sur les ressources rares, des pollutions durables des milieux. Mais, comme notre association l'a souligné à de nombreuses reprises (voir quelques références ci-dessous), ces questions sont importantes pour le débat public : elles engagent le sens que l'on donne à l'écologie et, plus largement, la reconnaissance de la pluralité des représentations que l'on se fait de la nature. 

Si les ouvrages de moulins sont devenus (eux aussi) une sorte de sujet "non-humain" du débat politique et juridique, c'est qu'ils ont été le lieu d'une confrontation inédite entre les tenants d'une naturalité "sauvage" jugeant toute altération humaine d'un milieu biophysique comme une anomalie à faire disparaître et les tenants d'une nature en évolution permanente où les influences humaines sont des héritages au même titre que d'autres. 

Les oppositions ne sont pas forcément tranchées, car précisément une démocratie intégrant les questions écologiques est capable de compromis. Mais à partir du moment où l'on acte que la nature terrestre est devenue une réalité hybride entre la dynamique de ses éléments biophysiques antérieurs à notre espèce et la dynamique de l'expérience humaine depuis des millénaires, il faudra bien clarifier les références au nom desquelles on prétend changer le droit et la politique pour y instituer de nouveaux sujets.

A lire sur ce thème

17/09/2021

Les petits ouvrages hydrauliques n'entravent pas la continuité sédimentaire (Colm et al 2021)

Les seuils, déversoirs, chaussées et autres petits ouvrages de rivières affectent-ils le transport des sédiments? Pas vraiment, répond une nouvelle étude de chercheurs européens ayant mesuré le transport réel des matériaux grossiers du lit de la rivière au-dessus d'un ouvrage à différents débits. Ce travail confirme d'autres analyses qui invalident l'idée d'une discontinuité sédimentaire notable liée aux petits barrages. Les scientifiques confirment ainsi ce que disaient les riverains de longue date : les sédiments de toute taille se retrouvent à l'amont comme à l'aval des ouvrages de moulins, étangs et autres sites modestes, les crues les plus importantes donnant lieu à des déplacements de matériaux grossiers au-dessus des crêtes, ou par voie latérale parfois. Dommage qu'en la matière, la France et l'Europe prennent des règlementations avant, et non après, le travail complet des scientifiques...


Casserly M. Colm et ses collègues ont étudié un déversoir situé sur une section de la rivière Boro, un cours d'eau de troisième ordre de Strahler à lit grossier, affluent de la rivière Slaney, dans le sud-est de l'Irlande. S'élevant au pied de la montagne Blackstairs dans le comté de Wexford, le Boro draine une superficie de 8,2 km2 au niveau du déversoir d'étude. L'ouvrage a une hauteur de 1,3 m, cf photo ci-dessus.

Voici le résumé de travaux exposant la méthodologie et les principales conclusions :

"Le transport de sédiments grossiers dans les systèmes fluviaux joue un rôle important dans la détermination de l'habitat physique dans les cours d'eau, du potentiel de frai et de la structure de la communauté benthique. Cependant, malgré plus d'une décennie de pression en Europe pour rétablir la continuité des cours d'eau en vertu de la directive-cadre sur l'eau (DCE), il y a eu relativement peu d'études empiriques sur la façon dont les structures au fil de l'eau de basse chute (les déversoirs) perturbent le processus et dynamique du transport de charriage. 

Dans cette étude, nous présentons une enquête sur la façon dont les sédiments grossiers sont transférés à travers un barrage à basse chute via la surveillance en temps réel du transport de charriage sur un déversoir dans le sud-est de l'Irlande. Les valeurs de débit critiques pour l'entraînement des particules sur la structure ont été dérivées de l'utilisation novatrice d'une antenne RFID fixe, associée à un enregistrement continu des niveaux d'eau et des sédiments capturés en aval à l'aide de pièges à sédiments de type fosse. L'antenne RFID fixe a été installée le long d'une crête de déversoir en utilisant à la fois des configurations "dessous" et "dessus" comme moyen de détecter le moment où les traceurs de charriage se sont déplacés au-dessus de la crête du barrage. 

Les résultats montrent que 10 % des traceurs déployés en amont ont été détectés passant par-dessus le seuil, tandis que 15 % supplémentaires non détectés ont été récupérés en aval. ces résultats indiquent que des matériaux de charriage en amont  aussi gros que le D70 (90 mm) peuvent se déplacer sur la structure lors de crues peu fréquentes. Cependant, des recherches approfondies de la zone ensemencée en amont du barrage suggèrent également que jusqu'à 43 % du nombre total peuvent être passés en aval, ce qui indique que les traceurs se sont déplacés sur le déversoir après que l'antenne a été endommagée lors d'un événement de fort débit, ou ont été manqué en raison de la vitesse des particules ou de la collision du signal. De plus, 30 des traceurs restés en amont se sont avérés soit avoir été enfouis en raison de l'afflux ultérieur de sédiments entrant dans le réservoir, soit avoir été remobilisés à travers le matériau de surface. Les valeurs de débit critiques indiquent des modèles de transport sélectifs par taille ainsi qu'une forte corrélation entre le débit de pointe de l'événement et la charge de fond totale capturée en aval. 

Ces résultats fournissent davantage de preuves que les structures à faible chute peuvent éventuellement adopter une morphologie qui permet le stockage intermittent et l'exportation ultérieure de la charge de fond d'un chenal en aval, comme l'ont supposé d'autres auteurs. Sur la base de ces résultats et de ceux d'autres études de terrain récentes, nous présentons un ensemble de modèles schématiques possibles qui offrent une base pour comprendre les façons uniques dont les barrages de basse chute peuvent continuer à perturber le transport des sédiments longtemps après avoir atteint leur capacité de stockage fonctionnelle. Les limites de l'utilisation d'une antenne RFID stationnaire et les recommandations possibles pour de futures études sont discutées."

Ce graphique montre la relation observée entre le diamètre des sédiments (abscisses) et le débit critique de transport pour passer au-dessus du seuil (ordonnées).


Discussion
Des études récentes ont fourni des preuves directes que les ouvrages à faible chute n'agissent pas comme des barrières complètes au transport de sédiments grossiers, des fractions granulométriques jusqu'à la médiane pouvant être transportées en aval (Casserly et al 2020; Peeters et al 2020; Magilligan et al 2021). Il y a donc eu, en ce domaine comme en bien d'autres, un abus de certains gestionnaires des rivières ayant prétendu que les ouvrages présentaient de graves problèmes pour l'équilibre sédimentaire des rivières. 

La continuité sédimentaire peut être un sujet pour des fleuves fragmentés par de grands barrages infranchissables et à forts volumes de réservoir, mais ce n'en est pas un pour les moulins, étangs, plans d'eau et autres ouvrages modestes. Dans ce dernier cas, les périodes de haut débit conservent au cours de l'année une capacité de transport sédimentaire vers l'aval. Il faut donc cesser d'inventer des problèmes là où ils sont inexistants.

Référence : Colm M.  et al (2021), Coarse sediment dynamics and low-head dams: Monitoring instantaneous bedload transport using a stationary RFID antenna, Journal of Environmental Management, 300, 113671

12/09/2021

Sur l'Ahr, fallait-il protéger en priorité le saumon ou la population?

Les inondations de l'été 2021 ont été meurtrières en Europe centrale, avec plus de 200 victimes. Et des dizaines de milliards d'euros de dégâts. Sur le bassin versant de la rivière Ahr (Allemagne), qui a été l'un des plus touchés, le risque de crue était parfaitement documenté depuis des siècles. Mais alors que le réchauffement climatique crée des conditions pour des épisodes de crues plus intenses, les décideurs ont jugé depuis 20 ans qu'une des priorités d'aménagement du bassin était... la restauration écologique en faveur du saumon. Pourquoi l'argent public est-il ainsi détourné des enjeux essentiels de régulation des crues et des sécheresses en vue de protéger les populations, mais aussi de prévention du réchauffement climatique? Va-t-on continuer à disperser l'argent des citoyens dans des nostalgies de nature sauvage alors que des enjeux existentiels autrement plus graves sont devant nous? 


Entre le 12 et le 15 juillet 2021, de fortes précipitations associées au système dépressionnaire «Bernd» ont entraîné de graves inondations en Europe, en particulier dans les États allemands de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et Rhénanie-Palatinat, au Luxembourg et le long de la Meuse et certains de ses affluents, en Belgique et aux Pays-Bas.

Au moment des pluies, les sols étaient en partie déjà saturés suite à un printemps et un été plutôt humides. Certaines sections de vallée sont très étroites avec des pentes abruptes conduisant à des effets d'entonnoir en cas de crues extrêmes. 

Les inondations ont fait au moins 184 morts en Allemagne et 38 en Belgique et des dommages considérables aux infrastructures, y compris les maisons, les autoroutes, les voies ferrées et les ponts. Les fermetures de routes ont laissé certains endroits inaccessibles pendant des jours, coupant certains villages des voies d'évacuation et des interventions d'urgence. Les zones les plus touchées se trouvaient autour des rivières Ahr, Erft et Meuse.

Des scientifiques d'Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Suisse, France, États-Unis et Royaume-Uni ont collaboré pour évaluer dans quelle mesure le changement climatique induit par l'homme a modifié la probabilité et l'intensité de si fortes précipitations provoquant de graves inondations (consortium World Weather Attribution). Ils concluent notamment : 
"le changement climatique a augmenté l'intensité de l'événement pluviométrique maximal d'une journée pendant la saison estivale d'environ 3 à 19 % par rapport à un climat mondial 1,2 °C plus froid qu'aujourd'hui. L'augmentation est similaire pour l'événement de 2 jours. La probabilité qu'un tel événement se produise aujourd'hui par rapport à un climat plus frais de 1,2 °C a augmenté d'un facteur compris entre 1,2 et 9 pour un événement d'une journée. L'augmentation est à nouveau similaire pour un événement de 2 jours. Dans un climat plus chaud de 2 °C qu'à l'époque préindustrielle, les modèles suggèrent que l'intensité d'un événement d'une journée augmenterait encore de 0,8 à 6 % et la probabilité d'un facteur de 1,2 à 1,4. L'augmentation est à nouveau similaire pour l'événement de 2 jours."
Au début d’août, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a également pointé dans son nouveau rapport un réchauffement de la planète plus rapide qu’on ne le pensait, avec des effets significatifs à venir sur le cycle de l'eau

Toutefois, si le changement climatique augmente les conditions de fréquence et d'intensité de ces événements extrêmes, il est loin d'être le seul coupable. 

Le climat n'est pas le seul responsable des bilans des crues
D'abord, de tels événements peuvent toujours survenir par hasard, et les crues de la période prémoderne occasionnaient déjà de nombreuses victimes. Ensuite, les choix que l'on fait dans l'aménagement des rivières et des bassins versants ont une influence majeure sur les écoulements locaux et les risques humains. Les observations rapportées sur la page Wikipedia des inondations sont ainsi intéressantes à examiner.

Dans la vallée de l'Ahr (district d'Ahrweiler), il y a eu déjà de graves inondations en 1601, 1804 et 1910, certaines avec des pics de crue plus élevés. En réponse à la crue de 1910, des bassins de rétention des crues à grande échelle d'une capacité de 11,5 millions de m3 ont été prévus dans le cours supérieur de l'Ahr, sur le Trierbach, dans le Wirftbachtal et sur l'Adenauer Bach. En raison d'un manque d'argent, les plans n'ont pas été mis en œuvre et à la place, on a construit le circuit automobile Nürburgring. 


La vulnérabilité du bassin versant a été exacerbée par le fait que les cours d'eau ont été redressés lors du remembrement des terres dans les années 1970 et que des canaux de drainage ont été créés dans les vignobles, à travers lesquels les précipitations sur les pentes sont déversées verticalement, de sorte que le niveau d'eau dans la vallée augmente rapidement. De plus, la roche d'ardoise typique de la région est presque imperméable à l'eau et donc de fortes pluies s'écoulent facilement. Les ruisseaux latéraux sont également très raides et donnent à l'eau une vitesse élevée, de sorte que le niveau d'eau dans la vallée monte rapidement. D'autres facteurs pouvant aggraver la situation lors de fortes précipitations sont l'imperméabilisation des terres, la déforestation, les sols asséchés et les mesures de protection contre les inondations manquantes ou mal dimensionnées, entre autres sur les ruisseaux de basse montagne qui sont jusqu'à présent rarement apparus comme un risque.

Selon les géographes Thomas Roggenkamp et Jürgen Herget, la carte des risques d'inondation pour la vallée de l'Ahr est basée sur les valeurs mesurées collectées depuis 1947 seulement. Bien que les incertitudes des statistiques des valeurs extrêmes soient connues lorsque la taille de l'échantillon est petite, les graves inondations des siècles passés n'ont pas été prises en compte dans l'évaluation de l'évaluation des risques. Selon leur évaluation, la crue de juillet 2021 est une répétition de la crue de juillet 1804. Malgré des débits comparables (quantités d'eau en mètres cubes par seconde), la crue de juillet 2021 a atteint des niveaux d'eau plus élevés que ceux de 1804. La raison est qu'aujourd'hui, le développement plus dense du lit majeur d'inondation a réduit la surface traversée par l'eau et les niveaux ont augmenté localement de manière disproportionnée. 

Depuis 20 ans on a investi... pour le saumon
Le gouvernement fédéral et le Land de Rhénanie-Palatinat avaient encouragé des mesures de renaturation dans la vallée de l'Ahr. Selon Wolfgang Büchs, il s'agissait de mesures judicieuses, mais les bassins de rétention des crues et autres systèmes de rétention des pluies - également dans les vallées latérales - sont les seules mesures efficaces contre les événements pluvieux extrêmes.

Savoir si les mesures en question furent "judicieuses" se discute et devra être examiné avec la plus grande attention dans le bilan définitif de ces inondations de l'Ahr. 

En effet, la rivière Ahr fait l'objet depuis plus de 20 ans de plans pour la réintroduction du saumon du Rhin dans ses habitats d'origine. Plusieurs barrages ont été effacés ou aménagés sur argent public (Bad Bodendorfer, Heimersheimer, Bad Neuenahrer...). Bien entendu, au regard de la gravité de la crue de 2021, ces aménagements n'ont eu qu'une influence mineure. Mais c'est la question inverse qu'il faut poser: pour éviter des dizaines de morts et de milliers de destructions dans le bassin versant de l'Ahr, quels étaient les aménagements à envisager en priorité depuis 20 ans, et avant déjà? S'il est reconnu que le bassin est à haut risque historique et s'il a été envisagé voici un siècle déjà des retenues pour tamponner les crues, pourquoi ce genre de projet n'a-t-il pas été au centre de la réflexion des décideurs? Si les choix du lit majeur sont plus impactants que ceux du lit mineur, pourquoi ne traite-t-on pas les choses dans l'ordre? Si l'on juge "normal" que les rivières reprennent leur droit en crue, cela signifie-t-il que l'on assume comme "normales" les pertes humaines et destructions de biens? La même question valant pour les sécheresses, autre spectre du changement climatique : au nom de la nature rendue à sa naturalité, les populations doivent-elles accepter demain des lits secs tous les étés? 

Les gestionnaires de l'écologie des rivières et plans d'eau ont aujourd'hui des discours contradictoires et des actions confuses. D'un côté, ils reconnaissent que les conditions naturelles sont changées par le réchauffement climatique – plus généralement par la démographie et l'économie humaines – ; d'un autre côté, ils proposent simplement de restaurer des portions de conditions naturelles antérieures, comme si de rien n'était. D'un côté, le climat est reconnu par les rapports GIEC comme une menace existentielle de premier ordre pour les sociétés humaines et pour le vivant ; d'un autre côté, on refuse d'en faire le critère prioritaire quand on gère les rivières pour l'énergie, les crues, les sécheresses et autres éléments liés au climat. 

Ces contradictions et confusions doivent cesser. La France aussi connaîtra des crues terribles et des sécheresses sévères. La France aussi doit faire sa part pour sortir au plus vite de l'énergie fossile sur son territoire et dans ses importations. C'est en ayant à l'esprit ces événements extrêmes et ces priorités publiques que l'on doit aménager désormais nos rivières. 

05/09/2021

A Ruoms, le préfet vide la rivière Ardèche pour un problème non prouvé sur une chaussée de moulin

Stupéfaction et colère à Ruoms en Ardèche : arguant sur simple avis sans preuve d'un problème de sécurité lié à des fuites sur une chaussée de moulin, les autorités préfectorales ont pris un arrêté dans la précipitation et exigé d'ouvrir grandes les vannes, vidant ainsi la retenue et affectant la vie des milieux comme celle des riverains. L'un d'entre eux a déposé plainte au tribunal administratif. S'agit-il de la nouvelle stratégie de l'administration eau et biodiversité, contrariée dans sa volonté de détruire les moulins et étangs, exagérant la gravité des problèmes allégués pour rendre coûteuse, complexe sinon impossible la gestion des ouvrages? Espérons que non, car une telle stratégie arbitraire ne ferait que pourrir un peu plus les rapports déjà déplorables entre administration et administrés des rivières. A Ruoms, les citoyens sont déjà mobilisés pour que cessent ces pratiques et les troubles qu'elles induisent. 


En fin de semaine, un citoyen a déposé auprès du tribunal administratif de Lyon une requête en annulation préalable à un référé suspension contre l’arrêté n° 07-2021-09-0200001 du 2 septembre 2021 pris par le Préfet de l’Ardèche et la décision unilatérale de vidanger la partie de la rivière en amont du seuil dit du Moulin de Ruoms. Propriétaire en amont immédiat de l’ouvrage, ce riverain s'estime victime des effets dévastateurs sur les berges.

Tous les ouvrages du linéaire de l’Ardèche ont été équipés de passes à poissons. Le cas du moulin de Ruoms et du seuil attenant, pourtant le plus ancien du tronçon,  semble être la cible d’agents qui n’ont manifestement pas compris d’une part que les habitants sont très attachés à ce patrimoine, d’autre part que l’aménagement et la consolidation de l’ouvrage, déjà bien entrepris sur la partie du moulin lui-même, s’effectueront quelques soient leur intentions inavouées.



Voici l'appel des riverains.

Rendez-nous notre rivière !

C’est un spectacle de profonde désolation que les habitants de Ruoms, de Labeaume et d’ailleurs ont découvert ce matin en empruntant le pont de la Bigournette. La rivière a en effet disparu sous les défilés, laissant place à d’immenses espaces de vases et de galets parcourus par un mince filet d’eau.

Comment une telle situation inconcevable a pu survenir si brutalement ?

Alors que le Moulin de Ruoms et le seuil attenant figurent parmi des ouvrages séculaires les plus anciens du linéaire de la rivière, des agents de la DREAL et de l’INRA, des organismes publics ou semi publics sont venus ces derniers jours sur le site à l’invitation de l’établissement public territorial du bassin versant de l’Ardèche (EPTB ex. Ardèche Claire) pour y constater d’éventuels fuites sur l’ouvrage. Alors que ces fuites n’avaient occasionné aucun problème tout au long de l’été, alors que le site a été parcouru par des milliers de canoës, ces organismes ont subitement estimé que l’ouvrage comportait un risque majeur en termes de sécurité. Pourtant, tous les ouvrages similaires de l’Ardèche comportent des fuites, par exemple à Salavas, sans que cela n’ait jamais autant ému tous ces experts.

De façon empirique, sans aucune étude technique approfondie, ces agents ont donc produit un « avis » sur leur seule conviction pour motiver le Préfet à prendre un arrêté d’interdiction de la rivière tout en ordonnant au propriétaire du Moulin d’ouvrir les vannes, ce qui a eu pour conséquence mécanique la vidange intégrale du bassin en amont de l’ouvrage, défigurant le site des Défilés et provoquant des dégâts irréversibles tant pour la faune piscicole que pour la flore inféodée à cette ripisylve particulière.

Cette décision unilatérale n’a fait l’objet d’aucune concertation préalable ni des élus locaux, ni des acteurs de la vie sociale, ni des pêcheurs et encore moins des propriétaires riverains en amont qui voient leurs berges s’affaisser et l’érosion accrue. Une procédure de requête en annulation a été déposé ce matin par les riverains qui demandent une remise en eau immédiate du plan d’eau pour tenter de préserver leur bien.

Les pêcheurs, très surpris par cette démarche brutale ont de leur côté mobilisé une équipe de bénévoles ce matin pour sauver ce qui pouvait encore l’être (carpes, aprons, …) sur le bief impacté en amont, long de deux kilomètres.

Plus tard, toute la communauté locale s’est réunie à 10 h au moulin de Ruoms pour y attendre les représentants de l’État qui ont pris cette décision, accompagnés de ces « techniciens experts » qui ont formulé cet avis. Il leur a alors été demandé qu’ils produisent cet avis, mais contre toute attente, cela n’a pas été possible. Ces agents arguent du fait que leur simple présomption d’un risque de sécurité a suffi à motiver cet avis, ce qui est pour le moins étonnant, puisque ce risque (une fuite sur l’ouvrage) n’est pas apparu récemment et par conséquent, il a fallu attendre que la saison touristique touche à sa fin pour que cette préoccupation sécuritaire surgisse subitement.

La question est donc maintenant de savoir quand le plan d’eau va être enfin remis en eau. Il y a urgence car l’ouvrage hors d’eau est bien plus vulnérable qu’en eau et les épisodes cévenols à venir prochainement pourraient sérieusement le fragiliser. Le propriétaire du moulin se propose en conséquence de solliciter sans délai un bureau d’étude indépendant pour apporter une solution de colmatage de la fuite incriminée dans les tous prochains jours en préalable à une remise en eau. Encore faudra-t-il alors que les services de l’Etat valident cette solution.

Tous les acteurs concernés ont prévu de se rencontrer en début de semaine prochaine à l’invitation du maire de Labeaume. Cette situation est d’autant plus paradoxale que des centaines de milliers d’euros, dont une bonne partie d’argent public, ont déjà été investis pour consolider le moulin et réaliser une passe à poissons d’ores et déjà opérationnelle permettant de respecter les objectifs de continuité écologique fixés par la Commission Européenne. Outre l’attachement des habitants à ce patrimoine séculaire, les citoyens contribuables locaux ne comprendraient pas bien pourquoi on ne terminerait pas de travail déjà bien entrepris de consolidation de cet ouvrage.

Mais peut-être existe-t-il derrière ce dossier, des motivations non révélées ?