24/11/2017

Saisine de l'Agence française pour la biodiversité sur le chantier de l'étang de Bussières

En régression régulière depuis deux siècles, les étangs sont reconnus comme des habitats d'intérêt faunistique et floristique, à ce titre protégés par la loi comme l'ensemble des zones humides. Amphibiens, insectes, oiseaux, mammifères, poissons, végétaux... nombreuses sont les espèces qui profitent de ces étangs. Elles ne se limitent pas à quelques espèces "symboles" et participent à la richesse spécifique des bassins versants du Morvan. Quand ils envisagent la destruction de tels sites, les projets de continuité écologique menacent de faire disparaître des assemblages d'espèces propres aux habitats lentiques et à leurs marges humides au profit d'autres adaptés aux milieux lotiques (eau courante rapide). Mais ce choix doit faire l'objet d'une analyse rigoureuse, car le bilan de biodiversité n'est pas forcément favorable, des espèces protégées peuvent être présentes dans l'étang et d'autres solutions que la destruction sont possibles s'il s'agit de rétablir certaines fonctionnalités ou de remédier à certains impacts. C'est aussi vrai pour les services écosystémiques, comme l'épuration de l'eau par les retenues. Hydrauxois a donc saisi l'AFB afin de recevoir les évaluations écologiques réalisées sur l'étang de Bussières et, si elles sont inexistantes, de solliciter leur réalisation. Cette requête s'ajoute à celle faite à la DDT 89 concernant les pièces administratives justifiant la vidange et la destruction des vannes de régulation de l'étang. Nous n'avons reçu aucune réponse à date. 

Un chantier est en cours sur l’étang de Bussières, sis sur la Romanée dans le département de l’Yonne. Ce chantier a des impacts majeurs.

L’étang a été vidé et sa vanne de régulation détruite. Aucune information n’est disponible sur le site.

Au regard des rares informations dont nous disposons, il semblerait que la destruction de cet étang soit envisagée par son maître d’ouvrage (Fédération de pêche de l’Yonne) au profit d’une restauration de continuité en long de la Romanée. Il ne s’agirait donc pas d’une opération de mise en assec, qui fait partie des mesures normales de gestion des étangs, ni de curage.

La Fédération de pêche de l’Yonne nous a dit par courrier n’avoir aucune étude environnementale le 20 octobre 2016. Nous nous en étonnons et nous nous inquiétons donc de la mise en œuvre de ce chantier au regard de son impact sur les milieux.

De nombreux habitats d’intérêt (voir planches) de l’étang de Bussières sont en l’état actuel déstabilisés et hors d’eau. Leur avenir paraît incertain.

Nous sollicitons par la présente de recevoir les travaux d’études de la biodiversité de cet étang que votre Agence a menés, ou le cas échéant qu’elle a demandés au pétitionnaire. En cas d’absence de tels travaux, nous sollicitons votre intervention rapide. Nous espérons un inventaire complet de la biodiversité de l’étang et de ses enjeux avant toute perturbation de ses habitats.


Faits : l’intérêt des étangs, quelques enjeux en Nord-Morvan et à Bussières

Les étangs sont des zones humides considérées comme d’intérêt faunistique et floristique. Plusieurs plans d’eau de la région de Bussières bénéficient déjà de protection pour le fait d’héberger des espèces remarquables (Marrault, Griottier blanc). Les travaux de Bourgogne Nature comme ceux de l’ONCFS ont, à de nombreuses reprises, souligné la valeur de ces plans d’eau à l’occasion de telle ou telle monographie.

La littérature d’expertise comme la littérature scientifique a montré que les étangs ont de nombreux intérêts en écologie, pour divers assemblages d’espèces végétales (hydrophytes, hélophytes, phanérophytes), et bien sûr animales : amphibiens (urodèles, anoures), insectes (en particulier diptères, coléoptères, hétéroptères, odonates), annélides et arachnides d’eaux lentes, les espèces aviaires (oiseaux de pleine eau, de roselières et joncs, de bordure, de zones humides temporaire en marge, en particulier anatidés, fauvettes, hérons et aigrettes, etc.), certains mammifères (loutre, campagnol amphibie, appréciant les queue d’étang et prairies humides attenantes, musaraigne aquatique, etc.). Comme le résume l’ONCFS, «les complexes d’étangs piscicoles constituent des réservoirs majeurs de biodiversité en Europe. (…) Suite à la régression généralisée des zones humides, les étangs sont souvent les derniers habitats de ces espèces, renforçant ainsi leur importance patrimoniale.» (ONCFS 214)

A propos des mammifères, nous attirons votre attention sur la loutre, espèce d’intérêt pour sa recolonisation sur le bassin versant du Cousin et sur le Nord Morvan, dont les travaux de recherche ont montré qu’elle utilise volontiers les étangs comme viviers et leur périphérie comme habitat, et qu’elle a des espèces d’eaux lentes dans son régime alimentaire d’opportunité (Lanszki et al 2001, 2006, Adámek et al 2003, Prigioni 2006, Ruiz-Olmo et al 2007, Ruiz-Olmo et al 2011, etc.). Nous vous rappelons que la ressource alimentaire est le facteur limitant de l’espèce (fiche INPN-MNHN 2013 : «Liée à la survie des individus et au succès reproducteur, la ressource alimentaire semble être l’un des principaux facteurs limitant pour l’espèce. Ainsi, la présence de proie en diversité et en quantité suffisante est primordiale. Carnivore hautement spécialisé, la loutre se nourrit essentiellement de poissons, mais aussi, dans des proportions variables, d’amphibiens, de crustacés, d’insectes, de mollusques». La biomasse des étangs (très supérieure à celle d’un cours d’eau lotique de faible largeur comme la Romanée) est donc un paramètre à intégrer dans tout plan de gestion de la loutre, d’autant que cette espèce fréquente couramment les zones lentiques.

De nombreuses espèces protégées ou menacées en Bourgogne sont aussi susceptibles de se trouver sur le site de l’étang de Bussières et sur ses annexes humides, ou de profiter de leur maintien, en particulier chez les amphibiens, insectes et oiseaux.

Enfin, les étangs jouent aussi un rôle dans l’auto-épuration des cours d’eau, là encore démontré par une abondante littérature sur la sédimentation et la bio-activité des milieux lentiques. L’épuration a aussi été mesurée pour les pesticides dans les étangs français (Garnier et al 2016), question à évaluer ici compte tenu de l’activité sylvicole en amont de la Romanée, provoquant des pollutions de la rivière.

C’est à ces divers titres que les étangs sont, comme les autres zones humides d’origine naturelle ou artificielle, l’objet de nombreux travaux de diagnostic, de suivi et de gestion. Et que l’étang de Bussières présente un intérêt manifeste de conservation.

La restauration de continuité écologique comme remplacement d’un habitat lentique pour un habitat lotique présentent un enjeu certain pour les espèces migratrices et pour diverses espèces rhéophiles de tête de bassin. Mais nous rappelons que cette restauration de continuité est possible par d’autres moyens que la destruction des plans d’eau (cas de contournement d’étangs en Morvan, dont le bassin du Cousin), et en tout état de cause, elle ne saurait justifier des pertes nettes de biodiversité ni des chantiers menés sans aucune précaution pour les milieux en place et pour l’étude de la biodiversité présente avant travaux.

Dans le cas de l’étang de Bussières, il se peut que vos travaux d’études, ou ceux du pétitionnaire, aient permis de conclure sur une base factuelle que telle ou telle option est préférable, et que des mesures de sauvegarde de la biodiversité étudiée aient été organisées. C’est la communication de ces travaux que nous sollicitons. En leur absence, une intervention rapide pour stopper le chantier et procéder aux analyses nécessaires.


Droit : une zone humide doit être préservée, un projet doit avoir un impact positif net sur la biodiversité, mettre en œuvre le principe de précaution et l’action préventive, l’AFB est tenue de vérifier le respect des lois

En tant que zones humides, les étangs sont protégés par la loi, en particulier par le premier alinéa de l’article L 211-1 du Code de l’environnement posant les règles de «gestion équilibrée et durable de la ressource en eau» .

La loi exige ainsi
« La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année »

Par ailleurs, en votant la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, les parlementaires ont souhaité renforcer la protection de la biodiversité. Ils ont ainsi modifié l’article L 110-1 du Code de l’environnement, obligeant notamment à tenir compte «des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées» :
« On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants.
II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :
1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;
2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées »
Enfin, au terme de la loi de biodiversité, l’AFB est ainsi définie dans ses missions par l’article L 181-8 code de l’environnement
L'agence contribue, s'agissant des milieux terrestres, aquatiques et marins : 1° A la préservation, à la gestion et à la restauration de la biodiversité ; 2° Au développement des connaissances, ressources, usages et services écosystémiques attachés à la biodiversité ;3° A la gestion équilibrée et durable des eaux ;(…)Elle soutient et évalue les actions des personnes publiques et privées qui contribuent à la réalisation des objectifs qu'elle poursuit.
Notre requête équivaut donc à une saisine par une personne morale associative de l’AFB en vue d’une évaluation d’un projet potentiellement dommageable à la biodiversité et aux services écosystémiques de l’étang de Bussières.

Illustrations : planches jointes à la requête et montrant quelques exemples de la diversité des habitats de l'étang avant son chantier.

11 commentaires:

  1. Bonjour,
    Une nième transmission de pensées !
    L’OCE préparait depuis un certain temps un article qui prévoyait de titrer: « Sommation interpellative de l’AFB » plutôt dans l’esprit de tout ce qu’elle peut infliger à un particulier, avec l’angle précis de ce que l’AFB ne fait pas encore pour la biodiversité et surtout de ce qu’elle prévoit de faire. Pour l’instant, le compte n’y est pas.
    OCE http://continuite-ecologique.fr/

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    1. Il se peut que l'AFB et/ou la fédération de pêche 89 et/ou un autre pétitionnaire Mo par délégation aient procédé à une étude, nous verrons sur pièces.

      Nous avions demandé à être associés à ce projet pour cette raison notamment (entre autres intérêt de cet étang), mais certains acteurs qui se montrent très curieux voire très vindicatifs sur les biens des autres ne sont pas tellement ouverts à l'idée qu'on s'intéresse au leur. Ici en l'occurrence, tout citoyen est entretenu dans l'ignorance, aucun affichage sur le site, aucun affichage sur les panneaux de la mairie, aucune communication de la moindre étude de projet, etc.

      En absence d'explication, nous serions obligés de porter plainte contre X pour destruction de zones humides, absence d'ouvrage de régulation permettant le respect de la consistante légale, modification du profil en long sur plus de 100 m sans autorisation affichée. Mais nous espérons bien sûr recevoir rapidement des éléments administratifs qui justifient tout cela.

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  2. Ouvrage réputé autorisé. Remise en état et arrêté d'abrogation du droit d'eau à la demande du propriétaire. Ça va surement suffire en procédure. Biodiversité, pas faux que le silure et la brème bordelière vont disparaître de la Romanée. Un drame.

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    1. Nous verrons les pièces. Vos propos sur la brème et le silure sont juste stupides, mais merci de confirmer ainsi qu'un pêcheur ne voit guère plus loin que le bout de sa canne à pêche.

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  3. "Remise en état et arrêté d'abrogation du droit d'eau à la demande du propriétaire. Ça va surement suffire en procédure" - Je ne connais pas l'étang dont il est ici question, mais en toute généralité, cela "suffit" d'une part si les documents cités existent réellement et sont affichés, d'autre part si le dossier de chantier répondant aux travaux visés a été constitué dans les règles usuelles prévues par le code de l'environnement. Dans le cas contraire, la "procédure" ne serait pas respectée, et le maître d'ouvrage serait en tort.

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  4. La gestion de cet étang est devenu un drame pour la romanée !
    Une honte d'avoir introduit des silures !
    Vous vous permettez de parler au nom des gens de Bussières alors que vous ne connaissez pas leurs points de vue !

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    1. Nous parlons au nom de notre association (et nous agissons également en justice en son nom si nécessaire).

      La "honte" de ce chantier pour le moment, c'est qu'il est mené en catimini et de manière honteuse, sans réunion publique d'information, sans affichage public, sans information sur internet ou dans la presse, sans rien. Si la fédération de pêche est fière de son projet, qu'elle le présente aux riverains et au associations. Dans tous les cas, l'enquête publique permettra de s'exprimer, nous verrons alors les avis des citoyens et celui du commissaire enquêteur.

      Quant au "drame pour la Romanée", merci de nous envoyer vos documents en ce sens : état physique, chimique, biologique en amont et en aval de l'étang, sur plusieurs points de mesure; inventaires de biodiversité (au cas où vous n'êtes pas au courant, il y a autre chose que des poissons dans et autour de l'eau, la rivière n'est pas juste une question de débats entre des pêcheurs de carpes et des pêcheurs de truites), etc.

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  5. En effet il n'y a pas qu'une histoire de poisson ! Un autre point positif de la continuité écologique, le sable qui se dépose à nouveau depuis la destruction de la pelle. Mais bien-sûr vous ne citer que les points négatifs. Votre seule préoccupation est l’hydroélectrique qui est d’ailleurs ridicule pour cet étang, une chute de 3 mètres de haut.. wahou ont va pouvoir alimenter un éclairage publique ! Non mais soyer sérieux svp. Je vous invite à regarder sur le site du parc du Morvan, les analyses qui ont été faites en amont et aval..

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    1. "Votre seule préoccupation est l’hydroélectrique" : vous êtes en train de commenter une saisine de l'AFB qui a pour seul objet la biodiversité. Nous tolérons la bêtise anonyme, mais n'en abusez pas, merci.

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  6. Apparemment cela ne sert à rien de discuter avec vous. Seul votre avis compte.. Dommage.

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    1. Ce qui compte, dans les projets, c'est de tenir compte des avis de tout le monde, comme de tenir compte des ouvrages et des milieux sur lesquels on agit. La fédération de pêche 89 et l'administration agissent pour le moment en contradiction de ce principe sur Bussières, puisque l'opacité est totale et la discussion inexistante, alors que nous avions signalé voici un an déjà notre intérêt. Nous espérons que cela change. Nous attendons les précisions de la DDT 89, qui devraient rapidement nous parvenir. Contrairement aux autres, nous vous informerons de la suite et nous vous donnerons la liberté de la commenter.

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