11/12/2018

Aux Eyzies, les dérives des bureaucraties empêchent les moulins de tourner

Un projet de relance de moulins dans la vallée de l’Homme, en Dordogne, vient d'être abandonné par les acteurs locaux, pourtant impliqués dans la transition énergétique. L'Etat voulait y imposer des mesures hors sol de continuité écologique, tuant toute faisabilité. Sans parler du mécanisme pervers des subventions publiques qui complexifient sans cesse les cahiers des charges, ôtent tout réalisme aux projets hydro-électriques locaux et mènent à une inertie complète, faute de visibilité ou de rentabilité. Voilà comment on fabrique des gilets jaunes, par le matraquage réglementaire permanent d'une administration prisonnière de visées idéologiques ou technocratiques, oubliant qu'elle existe pour rendre service aux populations, et non pas les punir ou les harceler. Il faut sortir de cet étouffoir bureaucratique des territoires. Vite. 

C'est le journal Sud-Ouest qui révèle l'affaire dans son édition locale. La communauté de communes de la vallée de l’Homme (CCVH) avait signé une convention dans le cadre de l'appel d'offres lancé par Ségolène Royal en 2017. La CCVH devait alors toucher 504 000 euros pour remettre en fonction deux moulins du Bugue et des Eyzies pour la production d’énergie hydroélectrique.

La CCVH est reconnue "territoire à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV)" et très impliquée dans la prévention du réchauffement climatique.

Nous avions mis en garde dès 2016, à propos de cet appel d'offres de l'Etat sur l'hydro-électricité. L'intention de Ségolène Royal était bonne, mais l'administration centrale tend à perdre toute mesure et tout bon sens dans ses attentes. Nous écrivions à l'époque: "Il reste cependant beaucoup de progrès à faire : l'administration française est traditionnellement plus à l'aise avec la grande industrie qu'avec les petits producteurs, elle a du mal à dimensionner ses exigences et ses réglementations à la réalité des chutes les plus modestes."

Les faits nous ont ici donné raison.


Pourquoi le projet de la CCVH a-t-il capoté ?

Le journal observe : "Très ancien, le moulin sur la Beune, aux Eyzies, est devenu producteur d’énergie dès le début du XXe siècle avec 17,8 kW/h pour un débit de 360 litres par seconde. Le nouveau projet prévoyait l’installation de deux turbines de 14 kW/h, celles-ci ayant une meilleure efficacité. D’un coût de 220 000 euros, il bénéficiait d’une subvention de 100 000 euros. La préfecture avait accepté ce dossier, mais la Direction départementale des territoires, qui assure la police de l’eau, a imposé des conditions, comme la création d’une passe à poissons (bien que cette retenue soit submergée régulièrement par les crues de la Vézère), d’un coût de 150 000 euros, et la limitation du prélèvement d’eau, réduisant la production électrique."

De plus, comme le projet avait une aide pour la partie électrique, les nouvelles réglementations font qu'il n’est plus éligible à celle associée à la continuité écologique (60 % au départ). Au final, le projet est abandonné.

Ce cas résume les effets pervers du système actuel trop jacobin, trop complexe, trop hors-sol.
  • Le ministère lance des appels à projets "petite hydro-électricité" en pensant qu'un site artisanal de petite puissance peut répondre aux mêmes cahiers de charges qu'un grand barrage d'industriels à forte capacité capitalistique. C'est évidemment décalé et, sauf cas très favorable de sites demandant peu de travaux, impossible. L'Etat français raisonne depuis Paris par et pour les "gros", il charge sans cesse la barque des exigences, il rend du même coup la vie impossible aux "petits".
  • Les subventions des agences de l'eau (dont les programmations sont largement le fait des services des préfectures de bassin préparant tous les textes) sont prioritairement orientées vers la casse du patrimoine hydraulique, l'argent public des Français nourrit un idéal intégriste de la "rivière sans humain" qui n'est nullement partagée dans le corps social et ne représente en rien une forme d'intérêt général, juste une vision particulière avancée par certains lobbies.  Sans grande surprise, l'argent public que l'on préfère dépenser pour les besoins des poissons manque ensuite pour les projets des humains. 
  • Les mesures dites de continuité écologique représentent une ruine pour les particuliers et pour les petits producteurs : sans subvention publique à 80 ou 100%, elles sont inapplicables. Le revenu moyen d'un petit site hydro-électrique (par les tarifs de rachat aux ENR bas carbone), c'est environ 800 € du kW de puissance nette installée.  Cela veut dire qu'un moulin d'une puissance de 20 kW (cas assez commun) ne pourra espérer qu'un revenu de l'ordre de 16 k€ par an. Revenu annuel sur 20 ans de contrat de rachat, mais sur lequel il faut bien sûr payer les impôts, les taxes, rembourser le matériel (turbine, génératrice) ainsi que le coût de chantier (génie civil raccordement). Les marges sont donc en général faibles, les 10 voire 15 premières années servent à payer le projet. Or, les demandes de l'administration sont de l'orde de 10 ans de chiffres d'affaires : aucun secteur ne peut évidement affronter de telles règles, c'est un non-sens économique complet. En proportion, c'est comme si l'on demandait à la division EDF Hydro de dépenser 50 milliards € pour la continuité écologique! 
  • Au final, rien ne se passe. Au lieu de chercher des projets simples, en financement privé ou en partenariat privé-public, avec des demandes écologiques proportionnées à l'impact et au chiffre d'affaires (donc modestes dans le cas des moulins), on monte des usines à gaz qui se perdent en réunions et en rapports sans fin, pour s'achever dans l'inaction, avec de l'argent et du temps dépensés à pure perte. 
Depuis 10 ans, le ministère de l'écologie veut tuer la petite hydro-électricité en France, en essayant d'imposer des normes d'une rigueur, d'une complexité et d'un coût qui ne sont exigés d'aucune autre activité économique, tout en réduisant au minimum les subventions publiques en face de ces exigences. C'est un travail mené consciemment par des fonctionnaires de la direction de l'eau et de la biodiversité ainsi que de certains établissements publics et services déconcentrés, au nom d'une idéologie intégriste de la "renaturation" des rivières déformant le texte et l'esprit des lois françaises. La dénonciation de ces excès a été constante, répétée. Les interpellations du ministère par les parlementaires ont été incessantes. Deux appels des citoyens, des associations et des élus locaux ont été adressés au ministère en janvier  2018 et en septembre 2018.

Rien n'y fait, rien ne change.

L'administration centrale continue d'ergoter des changements de détail pour une réforme rejetée sur de nombreux sites pour ses nuisances.

Faut-il désormais enfiler un gilet jaune et occuper les préfectures pour que de telles dérives cessent?

Si cette technocratie jacobine ne se réforme pas de toute urgence et n'arrive pas à entendre les objections des citoyens, de leurs associations et de leurs élus, le pays court vers une aggravation majeure des fractures territoriales sur fond de perte de légitimité de l'Etat. Tous ceux qui, depuis l'administration centrale et ses représentations en régions, poussent les gens à bout de leur patience en porteront la responsabilité.

7 commentaires:

  1. Et c'est sans compter le coût pour le contribuable de tous ces fonctionnaires et assimilés, inclus les énarques des tribunaux administratifs... J'en ai vu 5 "assermentés" passer l'après midi en visite et réunion pour mieux tuer de mon moulin, dont un flingue au coté on ne sait jamais !

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  2. Enfin un appel à la mobilisation des pauvres petits opprimés... Vous qui avez toujours trouvé normale la loi sur les débits réservés et accepté de vous soumettre à celle sur la continuité écologique, j'ai du mal à vous suivre. Il faudra aussi m'expliquer pourquoi les industriels devraient se mettre au norme et pas les pauvres propriétaires de moulin. Vous n'avez qu'à proposer que les adhérents d'hydrauxois soient exonérés de toute mise au norme et que leur projet soit financé à 100%... Mais ça ressemblerait à des moulins de bisounours avec des gentils propriétaires qui auraient défiés les méchants services de l'État et les intégristes des agences.

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    1. DMB : 10%. Continuité : proportionnée à impact et à l'enjeu, financée sur argent public. Dans ces conditions normales, cela doit bien se passer. Ce n'est pas le cas ici.

      "Intégristes" ou pas, les fonctionnaires devraient s'inquiéter du fossé entre administration et administrés, Etat et collectivités. Nous n'allons pas du tout vers un apaisement dans ce pays, en particulier dans les zones rurales. Quant à l'écologie, elle n'a tout simplement aucune chance de réussite dans la conflictualité et le jusqu'auboutisme.

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  3. Les collectivités ne sont pas toujours mieux placées pour des projets de ce type. Elles n'ont pas les compétences internes, paient cher l'externalisation (sur marchés publics), sont davantage soumises à pressions administratives car ayant à négocier avec les préfectures sur d'autres périmètres. Le résultat s'observe dans des lenteurs, des abandons (comme ici) ou des coûts trop importants. Ces derniers desservent la petite hydro en laissant entendre qu'elle coûte forcément cher, mais ce sont des dossiers mal préparés, mal conçus et mal négociés qui coûtent le plus cher. Ainsi que des demandes parfois excessives de certains services, comme rappelé ici.

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    1. Il est quand même important de souligner ce qu'on a pu voir aujourd'hui sur quasiment toutes les chaines d'infos à savoir les conséquences délétères des manigances de hauts fonctionnaires visant à retoquer systématiquement les actions ou lois voulues par les politiques afin de les vider de leur substance et les ramener à leur seul point de vue. Le cas que vous aviez évoqué il y a quelques temps de ce chef de bureau de la DEB, Claire Cécile G donnant aux préfectures et DDT des instructions précises et diamétralement opposées à l'esprit de la loi protégeant les moulins qui venait tout juste d'être votée, est symptomatique de ce qui se passe aujourd'hui et peut-être aussi une des causes de ces grands désordres et de ces grandes colères.
      Il est peut-être temps que les politiques élus démocratiquement reprennent la main sur le pouvoir de décision qui leur incombent ! Tout le monde sait que ce ne sera pas facile car cette aristocratie d'état est loin d'être prête à abandonner ses privilèges et si cela se réalisait, on pourrait y voir le côté positif de l'action des gilets jaunes.

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  4. Le site est superbe, surtout le bâtiment de type baraque à frites et le potentiel énorme. Stop à la destruction de ce patrimoine mondial. Affligeant....

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    1. Sacré 'rivières libres". Il n'est pas question ici de destruction, juste d'assommoir bureaucratique au sein de certaines administrations, assommoir qui empêche les territoires de ce pays d'avancer sans apporter à l'intérêt général.

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