25/03/2019

Les poissons des fleuves français reflètent déjà clairement le changement climatique (Maire et al 2019)

Analysant 40 ans de données sur la Loire, la Meuse, le Rhône, la Seine et la Vienne, des chercheurs montrent que les assemblages de poissons de nos fleuves reflètent déjà les effets du changement climatique, avec une tendance au remplacement des espèces septentrionales par des espèces méridionales mieux adaptées aux eaux chaudes. Il faut aussi noter que sur cette période, la biomasse et la richesse spécifique des poissons ont augmenté, sans que les exotiques (non endémiques en France) ne prolifèrent, mais avec des espèces non-locales (absentes des premiers relevés) plus nombreuses. Les peuplements de nos rivières changent donc, et plus rapidement que nous ne le pensions. Cela devrait inspirer des réflexions aux gestionnaires des bassins ayant parfois tendance à espérer un retour vers un "état de référence" du milieu calculé sur les siècles passés, mais aussi à sous-estimer l'importance des variations hydro-climatiques dans nos choix d'aménagement pour l'avenir des rivières.

Lors de l'implantation des centrales nucléaires françaises à compter des années 1970, EDF a engagé une campagne de mesure systématique des populations de poissons à l'amont et à l'aval des exutoires des centrales. Ces données très homogènes, dont les plus anciennes commencent en 1979, permettent un suivi longitudinal de qualité de la faune pisciaire. Onze sites sont concernés en France sur la Loire (Belleville, Chinon, Dampierre, Saint-Laurent), le Rhone (Bugey, Cruas, Saint-Alban, Tricastin), la Meuse (Chooz), la Vienne (Civeaux) et la Seine (Nogent).

Anthony Maire, Eva Thierry, Martin Daufresne (Laboratoire national d'hydraulique et environnement, EDF) et Wolfgang Viechtbauer (Université de Maastricht) ont utilisé cette base de données pour étudier l'évolution des assemblages de poissons en lien au changement hydroclimatique.

Un total de 923 418 poissons individuels de 40 espèces différentes a été échantillonné pendant toute la période de surveillance (1979-2015). Cela représentait en moyenne 26 383 ± 12 738 individus et 30 ± 2 espèces par station.

Six espèces migratrices anadromes (Alosa alosa, Alosa fallax fallax, Alosa fallax rhodan- ensis, Lampetra fluviatilis, Liza ramada et Petromyzon marinus) ont été exclues de l'analyse car les lieux et techniques d'échantillonnage n'étaient pas pertinents pour évaluer leur présence.

Pour caractériser les poissons, les chercheurs ont utilisé l'abondance totale par densité de capture de pêche (CPUE), la diversité spécifique (nombre d'espèces), l'équitabilité (proportion relative des différentes espèces dans la diversité), les espèces non-locales (absentes des premiers relevés) ou exotiques (non endémiques en France).

Du point de vue géographique et climatique (rapport à la latitude), les espèces de poissons ont été classées en septentrionales, méridionales ou intermédiaires selon les limites connues de leur répartition.

Enfin, les données de température et de débit de l'eau ont été analysées. Elles montrent une nette tendance à la hausse des températures de l'eau (en haut) et à la baisse des débits (en bas) :

Extrait de Maire et al 2019, art cit.

Anthony Maire et ses collègues résument ainsi leurs principales observations :

"Des tendances générales significatives ont été mises en évidence respectivement à la hausse pour la température de l'eau et à la baisse pour le débit au cours de la période d'étude. Parallèlement, la densité de nombreuses espèces a augmenté, entraînant une forte augmentation de la richesse en espèces (environ + 50%) et de l'abondance totale des poissons (environ quatre fois), mais sans tendance significative en termes d'équitabalité des espèces. De forts changements dans la composition des espèces ont été observés au cours de la période d'étude, avec une tendance générale à la hausse dans l'abondance relative des nouveaux arrivants (c'est-à-dire des espèces non échantillonnées pendant les premières années de l'enquête), tandis que la tendance de l'abondance relative des espèces exotiques était non significative. De plus, le changement le plus important sous-jacent aux changements de communauté était le remplacement des espèces septentrionales par les espèces méridionales."

Le schéma ci-dessous (cliquer pour agrandir) donne les courbes de ces tendances.



Changements temporels en métrique des assemblages de poissons. Les 7 premières années (1979-1985) sont représentées en gris en raison de la moins bonne représentativité de la valeur moyenne pour cette période. Extrait de Maire et al 2019, art cit.

Les chercheurs font observer : "Les augmentations globales observées de la richesse en espèces et de l'abondance totale sont cohérentes avec les tendances sous-jacentes au niveau de chaque espèce, ce qui montre les nombreuses espèces ayant connu une augmentation de la densité au cours de la période étudiée. Des relations similaires entre les tendances au niveau des espèces et des communautés avaient déjà été observées ou prédites pour les poissons d'eau douce en France (Buisson et al 2008; Daufresne et Boët 2007; Poulet et al 2011), ainsi que pour d'autres taxa dans des zones fluviales similaires (par exemple, macroinvertébrés  Floury et al 2013). La tendance de la richesse en espèces d’environ +50% au cours des 4 dernières décennies était même du même ordre de grandeur que l’augmentation moyenne prédite, allant de 50% à 68% d’ici 2080, sur la base de modèles de répartition future de 30%. espèces de poissons dans les rivières françaises (Buisson et al 2008). Conformément aux résultats actuels, la même étude a également prédit que de nombreuses espèces bénéficieraient d'un futur climat plus chaud, ce qui entraînerait des changements substantiels dans la composition des espèces au sein des communautés". En revanche, les auteurs soulignent que le réchauffement de l'eau et la diminution du débit devraient être défavorables pour d'autres taxa que les poissons.

Cette étude a examiné les tendances de la température et du débit de l'eau en tant que principaux facteurs susceptibles de modifier la composition des communautés de poissons d'eau douce. Mais d'autres changements environnementaux sont susceptibles de s'être produits localement au cours de la même période, pouvant avoir contribué aux variations biologiques observées.

Les chercheurs remarquent à ce sujet : "Outre les tendances hydroclimatiques, les changements dans la qualité de l'eau, et en particulier dans les concentrations de phosphore, ont probablement eu une influence considérable sur les populations aquatiques suite aux améliorations apportées au traitement des eaux usées (Durance & Ormerod 2009; Floury et al 2017). Plusieurs études ont démontré que l'amélioration de la qualité de l'eau avait des conséquences écologiques pour divers organismes du réseau trophique, tels que le phytoplancton (Larroudé et al 2013) et les macroinvertébrés (Floury et al 2013) dans la Loire ou les poissons dans diverses grandes rivières. aux États-Unis (Counihan et al 2018) et probablement aussi en France (Poulet et al 2011). Néanmoins, si les réponses écologiques de nombreuses régions, évaluées par exemple par une méta-analyse, se révèlent être similaires et tendant généralement dans la même direction (par exemple, changement dans la répartition des espèces par la tendance à remonter vers le pôle), alors on peut présumer avec confiance que des facteurs globaux tels que comme le changement climatique sont impliqués (García Molinos et al 2018). Pris ensemble, ces résultats mettent en évidence le rôle central du changement climatique dans les tendances observées et ses profondes implications pour les écosystèmes d'eau douce."

Enfin, les chercheurs concluent à la nécessité de tester différentes hypothèses d'adaptation des poissons au changement climatique. Il s'agit notamment de comprendre si les espèces à fort taux de reproduction (stratégie r) seront avantagées par rapport aux espèces à faible taux (stratégie K) et si la réduction de la taille corporelle (trait universellement observé en réponse au réchauffement) se vérifie aussi chez les résidents des rivières.

Référence : Maire A et al (2019), Poleward shift in large-river fish communities detected with a novel meta-analysis framework, Freshwater Biology, 1–14.

4 commentaires:

  1. Il est evident que lorsqu on entrave sur des miliers de kilometres les cours d eau par des barrages et autres retenues, l eau se rechauffe et les edoeces se modifient. Une etude vient de confirmer le role majeur d acceleration des impacts des lacs et barrages sur le rechauffement climatiques.

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    1. Cette étude de Maire et al 2019 ne concerne pas le paramètre de fragmentation dont vous parlez. Le premier facteur de réchauffement de l'eau est l'échange thermique avec l'atmosphère. Et dans certains cas le relargage d'eau fraîche par le base d'un réservoir peut contribuer à refroidir la rivière en aval. Il faut donc se garder des "évidences" qui sont parfois trop simplistes ou généralistes.

      Avez-vous le lien vers la recherche dont vous parlez ?

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  2. Et dans certains cas le relargage d'eau fraîche par le base d'un réservoir peut contribuer à refroidir la rivière en aval. Oui, à Serre Ponçon ou à Panneciéres mais pas sur les milliers de seuils que vous défendez si chèrement. En augmentant la surface d'échange eau-air, les glacis et autre retenues augmentent inévitablement la température de l'eau en période chaude. Ces quelques degrés de plus, aggravés par l'effet cumul sont la premier facteur d'augmentation de la température et donc de dérive typologique. Vous couinez perpétuellement sur les effets admis du changement climatique, tant mieux mais ouvrez donc le yeux et admettez que le premier facteur d'augmentation de la température de l'eau est, sur la plupart des masses d'eau, l'accumulation de seuils. Si les barrages et autres seuils refroidissait les cours d'eau, le débat continuité n'existerait sans doute pas et vous ne pataugeriez pas depuis 15 à nous prouvez le contraire des évidences.

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    1. Certains sont prêts à tout pour "vendre" la destruction des moulins, étangs et barrages, on nous a déjà fait le coup sur la soi-disant "auto-épuration" des masses d'eau par la continuité. Ce qui est désormais reconnu comme une "fake news" pour parler moderne, ou simplement une manipulation.

      Mais bref :

      Idée reçue #10 : "Etangs et retenues réchauffent toujours les rivières et nuisent gravement aux milieux"
      http://www.hydrauxois.org/2015/12/idee-recue-10-etangs-et-retenues.html

      Idée reçue #16: "L'évaporation estivale des retenues nuit fortement aux rivières"
      http://www.hydrauxois.org/2016/06/idee-recue-16-levaporation-estivale-des.html

      Evaporation et effacement des étangs: une thèse universitaire dénonce certains dogmes publics (Aldomany 2017)
      http://www.hydrauxois.org/2018/07/evaporation-et-effacement-des-etangs.html

      Les barrages comme refuges? Intégrer le changement climatique dans les choix sur les ouvrages hydrauliques (Beatty et al 2017)
      http://www.hydrauxois.org/2018/05/les-barrages-comme-refuges-integrer-le.html

      Un effet positif des barrages sur l'abondance et la diversité des poissons depuis 1980 (Kuczynski et al 2018)
      http://www.hydrauxois.org/2018/08/un-effet-positif-des-barrages-sur.html

      Concernant le réchauffement, notre première et principale observation est qu'il change le peuplement des rivières et rend de plus en plus absurde l'ancien paradigme de l'état de référence d'une masse d'eau qui serait sa typologie intangible au fil des siècles. Quand on arrêtera les rêveries d'une autre époque sur la "nature sauvage" et sur des rivières de carte postale n'ayant en rien un profil "naturel", on fera une écologie plus intelligente, plus informée et probablement plus économe en argent public.

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