17/05/2019

Gérer l'eau dans la perspective de l'adaptation au changement climatique

Les  sénateurs Ronan Dantec et Jean-Yves Roux ont présenté les conclusions de leur rapport d’information sur l'adaptation de la France aux changements climatiques à l'horizon 2050, fait au nom de la délégation à la prospective, présidée par Roger Karoutchi. Après auditions d'experts, les parlementaires pointent que la question de l'eau deviendra plus tendue à l'horizon 2050 pour la France, avec notamment des risques accrus de sécheresses et vagues de chaleur sur l'Hexagone. Ils appellent à des solutions fondées sur la nature aussi bien que la technologie pour maîtriser et stocker l'eau, en tirant pleinement partie des excès hivernaux et printaniers pour traverser ensuite les étiages et pour profiter de la ressource. Nous appelons pour notre part chaque lecteur à demander sur son territoire un moratoire immédiat sur toute destruction de lac, retenue, canal : ces choix engagent une perte de surface aquatique, une incision des lits, une baisse de recharge de la nappe, une moindre disponibilité de l'eau au fil de l'an, un stress sur la faune et la flore présente dans les cours d'eau et plans d'eau, y compris les écosystèmes anthropisés. Chaque propriétaire, chaque commune et chaque territoire doit désormais gérer son eau dans la perspective d'une rareté et surtout d'une incertitude croissantes, y compris en conservant les ouvrages anciens (moulins, étangs, canaux, biefs et béals) qui permettent déjà de la stocker sans avoir à créer de nouvelles constructions et de nouveaux impacts.



Extraits de la synthèse et du rapport des sénateurs Dantec et Roux

Des projections inquiétantes concernant les ressources en eau
Le rapport « Explore 70 » du BRGM livre des chiffres choc concernant le niveau des cours d’eau et le taux de charge des nappes phréatiques attendus à l'horizon 2046-2065. On doit s’attendre à une baisse significative de la recharge des nappes, une baisse du débit moyen annuel des cours d’eau et à des débits d’étiages plus sévères, plus longs et plus précoces, avec des débits estivaux réduits de 30 à 60 %. Cette raréfaction des ressources hydriques se traduira par la détérioration des milieux aquatiques, des contraintes accrues sur l’approvisionnement en eau potable ou encore des perturbations sévères pour des secteurs comme l’agriculture, le tourisme ou l’énergie. Dans les territoires en situation de stress hydrique, les conflits d’usages pourraient se multiplier.

La France pays d'abondance hydrique... à maîtriser
En premier lieu, il faut rappeler une évidence parfois oubliée : la France par son climat tempéré, ses nombreux fleuves et ses montagnes qui constituent une sorte de château d’eau naturel, est un pays d’abondance hydrique. C’est ainsi que le rapport Climsec de Météo-France, tout en annonçant des sècheresses extrêmes pour l’avenir, qualifie malgré tout notre pays.

Le CNRS, dans son dossier en ligne sur l’eau, va dans le même sens : « Aucun risque de pénurie globale en eau n'est à redouter dans notre pays. La France dispose, en effet, d'une capacité de stockage en eau élevée, du fait de sa pluviométrie, de ses grandes montagnes, de son réseau hydrographique étendu et de ses importantes nappes souterraines ».  Le territoire métropolitain bénéficie ainsi en moyenne de 480 km3 de pluies par an, auxquels s'ajoutent 11 km3 provenant des fleuves transfrontaliers. Ces 491 km3 de ressources se répartissent ensuite en 170 km3 d’eau bleue (eau issue des précipitations atmosphériques qui s'écoule dans les cours d'eau jusqu'à la mer, ou qui est recueillie dans les lacs, les aquifères ou les réservoirs) et 321 km3 d’eau verte2. Par ailleurs, le stock des eaux souterraines est estimé à environ 2 000 milliards de mètres cubes, et celui des eaux de surface stagnantes (lacs naturels, grands barrages et étangs) à environ 108 milliards de mètres cubes. Dans le même temps, la consommation en eau, tous usages confondus, représente à peine 3 % de la ressource renouvelable.

Le paradoxe est donc que pourraient à l’avenir se développer de fortes tensions sur les ressources d’eau, alors que le niveau global des précipitations est et restera considérable en France. Cela s’explique évidemment par la non coïncidence spatiale, et surtout temporelle, entre les besoins en eau et les ressources hydriques. Il ne pleut pas forcément où et quand on a le plus besoin d’eau. En particulier, les besoins sont sensiblement plus forts en été alors que la ressource est relativement plus abondante en hiver. (...)

La non coïncidence entre les besoins en eau et le volume des ressources hydriques n’est pas une fatalité. Il est possible de la réduire par l’utilisation combinée de plusieurs leviers :
- en encourageant des usages plus parcimonieux de l’eau;
- en partageant la ressource entre les territoires d’abondance hydrique et ceux en situation de stress hydrique, grâce à des aménagements comme des canaux;
- en amélioration la recharge des nappes par des solutions fondées sur la nature ou la technologie;
- en développant le stockage hivernal en surface.
Les agences de l’eau des bassins hydrologiques français ont défini récemment des plans d’adaptation au changement climatique qui entendent jouer simultanément sur tous ces leviers.

Les réponses technologiques à la raréfaction de l’eau : le stockage
L’adaptation au changement climatique, en complément d’une action pour rendre les usages plus économes et pour développer les solutions fondées sur la nature, peut aussi consister à accroître artificiellement le volume d’eau prélevable à la saison sèche grâce à une politique de stockage souterrain ou de surface.

Le stockage de surface est un procédé ancien et techniquement maîtrisé, qui consiste à construire des retenues d’eau, plus ou moins grandes en fonction de la topographie du terrain, du volume et de la nature des besoins à satisfaire (soutien d’étiage, irrigation, production d’énergie, etc.).
Le stockage souterrain consiste à recharger artificiellement les nappes en favorisant l’acheminement de l’eau jusqu’à l’aquifère. Un aquifère peut ainsi être réalimenté à partir de deux types d’eau : les eaux de surface issues des cours d’eau et les eaux usées traitées. Les dispositifs de recharge actuellement utilisés en France emploient uniquement des eaux de surface, qui sont à la fois disponibles et de qualité. Elles peuvent être employées par injection indirecte (bassin d’infiltration) ou injection directe (via un forage). On compte une vingtaine de sites en activité. Appliquée dans plusieurs pays (autour du Bassin méditerranéen, en Australie et aux États-Unis), la réutilisation des eaux traitées n’est actuellement pas autorisée en France pour la recharge artificielle des aquifères. Le BRGM a mené deux projets de recherche jusqu’en 2011 (REGAL et RECHARGE), puis dans le cadre du projet européen FRAME. De possibles effets sanitaires sont encore à évaluer concernant les polluants dits « émergents », ce qui plaide pour un soutien à l’effort de recherche dans ce domaine.(...)

Dans certains territoires, les mesures d’adaptation fondées sur les économies d’eau ou le développement de solutions fondées sur la nature ne sont déjà plus suffisantes ou ne montent pas en puissance suffisamment vite pour réduire les déficits entre ressources et besoins en eau. Dans ces conditions, des arrêtés de limitation des prélèvements ou de la consommation conduisent de plus en plus fréquemment à ajuster assez brutalement les besoins à la ressource, avec des conséquences économiques fortes. Ce mode court-termiste de régulation du déficit hydrique est évidemment peu satisfaisant et constitue un exemple typique de mal- adaptation au changement climatique.
Pour éviter cette régulation purement administrative du déficit et la généralisation des conflits d’usages à l’avenir sous l’effet du changement climatique, chaque territoire doit maintenant s’engager dans une réflexion prospective pragmatique sur la question de l’eau pour déterminer quelle sera la ressource disponible et quels seront les besoins à satisfaire à horizon 2050. Cela suppose non seulement de bâtir des scénarios climatiques, mais aussi socio-économiques, notamment en ce qui concerne la capacité des acteurs à faire évoluer leurs usages de l’eau. (...)

Dans ce domaine, il est essentiel de faire preuve d’intelligence collective et de pragmatisme. La voie tracée par le PNACC 2 est à cet égard la bonne : « adapter les besoins en eau aux ressources utilisables dans le présent et le futur et réaliser, là où c’est utile et durable, des projets de stockage hivernal de l’eau sur la base des meilleures connaissances possibles ». Autrement dit : ne pas exclure a priori la construction de retenues mais soumettre les projets à une condition forte : faire la preuve objective et chiffrée que ces retenues sont nécessaires et que leur construction ne se fait pas au détriment de solutions d’adaptation alternatives, notamment sur le plan de l’impact paysager et environnemental.

Pour parvenir à apporter des réponses pertinentes, il faudra être capable de faire émerger, au niveau des bassins hydrologiques, des visions communes sur l’avenir de l’eau et des projets de territoire partagés par tous les acteurs

Source : Sénat (2019), Adaptation de la France aux changements climatiques à l’horizon 2050

3 commentaires:

  1. Compte tenu de ces perspectives peu réjouissantes, pensez vous que l'investissement hydroélectrique soit un conseil financier judicieux ?

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    1. Comme investissement personnel en autoconsommation, il est rare que les perspectives de débit ne suffisent pas à produire pour les besoins familiaux (chauffage, mobilité électrique, etc). C'est le premier usage que nous préconisons pour les dizaines de milliers de moulins dont la puissance est inférieure à 10 kW, avec injection du surplus simplifiée

      Comme investissement industriel, sur des puissances plus importantes donc, le pétitionnaire doit caler sur les projections hydroclimatiques et cela dépend de chaque site. Mettre une turbine de moindre puissance peut permettre de turbiner plus régulièrement dans l'année et d'intégrer l'aléa climatique.

      La rareté de l'eau incite par ailleurs à construire des barrages réservoirs multi-usages (besoin d'eau pour la consommation, l'irrigation, le loisir, l'énergie = utilisation de techniques connues depuis quelques millénaires pour garder cette eau et en disposer) et certainement à les détruire pour l'agrément d'une minorité (cas de la Sélune et du lobby pêcheurs de saumons). Déjà aujourd'hui, diverses régions touristiques perdraient considérablement de leur fréquentation si le soutien d'étiage des rivières par des grands barrages ne permettaient pas l'agrément des visiteurs.

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    2. Bonjour, il n'y a pas que le "lobby pêcheur" du saumons qui perçoit positivement le démantèlement de certains grands barrages et autres aménagements. Je pense qu'il est important que votre site dénonce la trop grande proximité que ce "lobby" peut avoir sur le terrain avec les services de l'Etat. Cependant, on ne peut pas réduire la demande sociale pour des rivières moins aménagées à cette seule perspective utilitariste (la rivière comme "ressource halieutique"). Au passage, il me semble qu'on ne peut pas réduire les revendications du "lobby des pêcheurs" à la seule aspiration à capturer davantage de poissons. Il y a aussi tout le mouvement "naturaliste" qui est plutôt dans une pratique d'observation de la nature, et il y a aussi une partie de la population (sûrement minoritaire...) qui n'a pas d'usage particulier de la nature, mais ne voit pas d'un mauvais oeil un moindre contrôle de l'homme sur les milieux (sans pour autant diaboliser l'action de l'homme, ni fantasmer une "nature sauvage"...).

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