11/11/2019

Innovation de la continuité "apaisée" sur le Loir: détruire des moulins en prétendant qu'on ne le fait pas

Le syndicat du Loir SMAR 28 propose son projet de travaux en rivières 2020-2024 en enquête publique. Alors que l'état des lieux fait apparaître des rivières polluées et nous mettant en tort par rapport à nos obligations européennes, le programme est centré sur la morphologie sans rapport à cette altération prioritaire à traiter.  Tout en prétendant qu'aucune action ne sera engagée sur les moulins, l'examen des fiches d'actions montre qu'en réalité, une dizaine de destructions sont bel et bien planifiées. Le coût de ce volet effacement et interventions lourdes dépasse le demi-million d'euros et les 10% du budget, pour des opérations n'ayant aucun justification de leur priorité, ni même de leur intérêt. En comparaison, un poste aussi utile à la biodiversité que la restauration de zones humides et d'annexes hydrauliques pèse 60 fois moins dans le budget. Le dogme persiste donc, avec lui ses arbitrages délétères. La continuité soi-disant "apaisée" consiste apparemment à ne plus dire qu'on détruit quand on détruit. Va-t-on prendre longtemps les citoyens pour des idiots? Et surtout continuer ces dérives de gabegie d'argent public ne traitant pas les pollutions à la source et n'ayant que des effets marginaux ou négatifs sur la biodiversité et sur la ressource en eau? 



Le programme 2020-2024 de travaux de restauration du Loir et de ses affluents fait l'objet d'une enquête publique du 25 novembre au 10 décembre. Ce projet est porté par le Syndicat mixte d'aménagement et de restauration du bassin du Loir en Eure-et-Loir (SMAR Loir 28), associé à la Fédération de pêche du 28 pour certains travaux.

L'état des lieux proposé ("Note de présentation non technique du projet") fait apparaître que les 9 masses d'eau sont dégradées par pesticides, nitrates ou macropolluants (pages 15-16). On s'attend à ce que ce problème soit corrigé par la recherche et le financement de bonnes pratiques agricoles, industrielles, urbaines et domestiques : il n'en est rien. Comme d'habitude, les diagnostics montrent des dégradations que nous sommes censés traiter par nos obligations européennes (directive cadre européenne sur l'eau 2000, DCE), mais l'argent va ailleurs.

Dans ce diagnostic, la continuité est présentée comme un motif de dégradation du bon état écologique DCE, ce qui est une manipulation : la DCE voit la continuité comme le facteur éventuel d'un "très bon état", de toute façon un enjeu annexe par rapport aux enjeux prioritaires de l'Europe qui sont l'atteinte des critères de qualité chimique, physico-chimique et biologique, au premier chef par la suppression des pollutions sur lesquelles la France accuse divers retards. Par ailleurs, cette continuité a quatre dimensions (longitudinale, latérale, verticale et temporelle) et ne se résume donc pas à la continuité en long, focalisant l'attention sur pression de lobbies davantage que pour motifs écologiques démontrés.

Le diagnostic observe : "L'Ozanne, le Loir médian et le Loir aval présentent des taux d'étagement respectivement de 73% pour les deux premiers, et de 96% pour le dernier (données issues des premières études menées sur le bassin, mises à jour le bureau d’études HYDROCONCEPT et corroborées avec celles de la FDPPMA 28 et de l’AFB)" (page 22). En ce cas, ces rivières doivent être considérées comme "masse d'eau fortement modifiée" dans le cadre de la DCE, puisque l'Europe a prévu qu'une rivière dont la morphologie est totalement changée par interventions humaines dans l'histoire ne doit plus être considérée comme masse d'eau naturelle (donc ne peut pas avoir le même référentiel de peuplement biologique ou de fonctionnement morphologique qu'une autre non modifiée). Les gestionnaires publics doivent refléter cette réalité au lieu d'engager des dépenses inconsidérées dont l'effet sera probablement marginal.

Il est par ailleurs écrit dans la Note de présentation : "Restauration de la continuité écologique de manière coordonnée. Ces actions concernent les ouvrages. Elles sont proposées dans le respect des usages. Dans le cadre de ce dossier, aucune action n’est envisagée sur des complexes hydrauliques de type moulins car ils nécessitent une approche spécifique et des études particulières. Ils feront l’objet d’autorisations ultérieures en tant que de besoin."

Or, c'est un mensonge pur et simple.

La liste des "fiches actions" proposées dans le programme comporte notamment :
  • destruction du clapet de la Dame Blanche (rivière Loir, à Alluyes-Montboisier)
  • destruction chaussée du moulin de Brétigny (rivière Ozanne, à Dangeau)
  • destruction du seuil du moulin Rivière (rivière Ozanne, à Les Auutels-Villevillon)
  • destruction de la chaussée du moulin d'Orsay (rivière Yerre, à La Bazoche-Gouet)
  • destruction de la chaussée du moulin du Pont Galet (rivière Yerre, à La Bazoche-Gouet)
  • destruction de la chaussée du moulin des Granges (rivière Yerre, à Arrou)
  • destruction de la chaussée du moulin de la Mauginière (rivière Yerre, à La Mauginière)
  • destruction de la chaussée du moulin Neuf (rivière Thironne, à Chassant)
  • destruction de la chaussée du moulin Toucheron (rivière Mzure, à Happonvilliers)
  • destruction de la chaussée du moulin de Ronce (rivière Thironne, à Montigny-Le Chartif)
S'y ajoute la destruction du plan d'eau de l'Orme (rivière Foussarde).

Aucune explication de priorisation n'est donnée à ces travaux disparates (diverses masses d'eau ne sont ni en liste 1 ni en liste 2 au titre de la continuité), alors que le plan gouvernemental pour une continuité écologique apaisée demandait à l'administration de garantir que les actions sont financées et conduites selon une priorité démontrée.

Au total, les opérations de destruction d'ouvrages représente 727 000 euros dans le budget prévisionnel, soit 13% des dépenses.

En comparaison, un poste aussi utile à la biodiversité que la restauration de zones humides et annexes hydrauliques ne dispose que de 12 000 euros, soit 60 fois moins...

Nous persistons donc dans la gabegie à l'oeuvre dans la politique de l'eau depuis 10 ans :
  • diversion de l'argent public vers des sujets sans rapports avec nos obligations DCE de lutte prioritaire contre les polluants,
  • obsession de la continuité en long qui est moins efficace pour la biodiversité et pour le stockage de l'eau que la restauration de continuité latérale, et qui présente en général de nombreux risques d'effets négatifs,
  • destruction dogmatique d'ouvrages en travers sans analyse de biodiversité des sites et des effets sur la préservation locale de l'eau, sans la moindre explication sur le caractère nécessaire des actions,
  • mépris des nouvelles règles du gouvernement qui, face à l'échec manifeste de la continuité en long et à son coût considérable, demandent de définir des priorités justifiées et d'y concentrer les efforts au lieu d'actions disparates.
La dépense publique de l'eau est défaillante et confisquée par des bureaucraties qui propagent des dogmes sans en répondre devant la société: les citoyens doivent en prendre conscience et réclamer un changement de cap. Cela prendra la forme d'un avis négatif dans cette enquête publique et d'une opposition de terrain aux dépenses somptuaires, dont certaines dégradent des milieux et usages d'intérêt.

6 commentaires:

  1. La DCE présente la continuité de la rivière non pas comme "le facteur éventuel du très bon état", mais comme un des paramètres hydromorphologiques qui soutiennent les paramètres biologiques. C'est un tout petit peu différent.

    Quand on regarde les fiches actions que vous citez, on remarque que les effacements sont estimés au total à 186000 euros. Vous affirmez (je vous cite) que les "opérations de destruction d'ouvrages représentent 727000 euros ". C'est inexact (ou alors c'est un "mensonge pur et simple"?).

    Vous indiquez que la destruction du plan d'eau de l'Orme est prévue. Or la fiche action correspondante indique que les travaux consisteront en un "retrait par un engin
    mécanique des restes de la digue et des ouvrages de
    régulation", étant précisé qu'aucune ouverture plus conséquente de la digue n'est prévue, une ouverture de 3,5m existant déjà. Encore une inexactitude (ou un mensonge pur et simple?).

    Enfin, de manière plus général, les leviers d'action sur les pollution diffuses, industrielles, urbaines, etc...sont portés par d'autres acteurs, avec d'autres outils. L'absence d'actions ici ne veut pas dire qu'il ne se fait rien sur ces sujets.

    Je précise que je ne connais pas ni ce territoire, ni le porteur du projet. Il s'agit d'une analyse un peu critique de votre article.

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    2. Merci de votre lecture critique.

      - Une ligne "A3 - Actions d'envergure : effacement, arasement, déconnexion de plan d'eau" donne le total que nous indiquons, c'est en page 39 du document de présentation, bilan financier. A noter que nous n'avons pas été vérifié le détail de la ligne "A3 restauration lourde" (dont le budget est 2 fois supérieur), or les remises en fond de thalweg comportent souvent des suppressions de biefs, canaux, plans d'eau.

      - La fiche de l'Ormes (page 108 des fiches) est bien dans la rubrique "A3 Effaccement total".

      - La recherche scientifique nous dit que la rivière se pense dans son bassin versant. Vous nous dites que d'autres acteurs travaillent... qui ? Avec quelle coordination des diagnostics et actions ? Quels budgets ? Quels effets observés ? Les réponses dilatoires ne suffisent plus, la bureaucratie publique en France est complexe, inefficace et dépensière. Pas que sur l'eau, mais on parle de l'eau ici.

      - Sur la continuité, les service de l'UE avait conçu une grille d'interprétation, la morphologie vient uniquement si la pollution est déjà traitée. Vous pouvez lire :
      http://www.hydrauxois.org/2015/11/idee-recue-06-cest-leurope-qui-nous.html

      C'est conforme à ce que disent les retours d'expérience sur la restauration morphologique : si les impacts du BV ne sont pas déjà traités, le résultat sera décevant. Ce qui est assez souvent le cas en morphologie, des dizaines de chercheurs l'ont fait observer en Europe et aux Etats-Unis.

      Par ailleurs, comme l'Allemagne, la France devrait classer la moitié de ses masses d'eau comme "fortement modifiées" : nous ne pouvons tenir un double langage "les rivières sont très modifiées dans leur morphologie" / "les rivières sont des masses d'eau naturelles". Il y a eu là-dessus un déni originel des services techniques des agences de l'eau et du ministère (par ignorance, mégalomanie ou idéologie), il est temps de corriger ce déni et de reconnaître la réalité.

      L'UE a prévu que si les coûts sont exorbitants pour atteindre la "typicité" d'une ME naturelle en raison d'altération morphologique importante des lits mineurs / majeurs, on classe en fortement modifiée, ce classement étant en revanche impossible pour la pollution. A nouveau, l'UE était assez cohérente : en France le lobby naturaliste, le lobby pêcheur et certains lobbies pollueurs des comités de bassin sont manifestement d'accord pour divertir l'attention sur des choses sans intérêt voire délétère, comme casser des petits ouvrages et plans d'eau.

      Le bassin Loire-Bretagne a des résultats assez médiocres, voir ses oeuvres à cet onglet :
      http://www.hydrauxois.org/search/label/Loire-Bretagne

      Que l'agence de l'eau traite déjà ce que demande l'Europe (depuis les directives nitrates, ERU, pesticides... pas seulement "eau") en y consacrant l'argent nécessaire, on reparlera après des chaussées de moulin.

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  2. Ce que nous pouvons noter c'est que dans ce dossier les associations départementales qui représentent les propriétaires de moulins et les acteurs de l'eau (riverains , étangs etc ), n'ont étés aucunement consultes.cette délégation de "pouvoir" entre la fédération de la Pêche du 28 et le SMAR est quelque part une manière fourbe de s'opposer à la politique "apaisée" souhaité par le gouvernement et les élus parlementaires.

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  3. quand et comment les citoyens et les élus
    obligeront les administrations à respecter les lois et à se contenter de les appliquer?
    les dépenses inutiles voire néfastes,ça suffit la politique apaisée : c'est sur le papier !
    Arrêtons de vider les rivières, la sécheresse que nous venons de connaître (et ce n'est qu'un début)devrait convaincre nos décideurs.

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    1. Les décisions prises par le syndicat de rivière ne relèvent-elles pas de la responsabilités des élus?

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