27/11/2019

La géohistoire du bassin de la Seine à travers ses cartes

ArchiSEINE est le nom d'un projet du PIREN (programme de recherche interdisciplinaire en environnement) né de la volonté de décrire l’évolution du territoire du bassin de la Seine en tenant compte des pressions exercées par l'action humaine depuis le XIXe siècle. Les évolutions territoriales du système fluvial sont retracées grâce à un corpus de cartes et documents anciens. Cette démarche montre notamment l'ancienneté des aménagements humains de l'eau et la persistance actuelle de dynamiques à l'origine déjà lointaine dans le temps. Une complexité qui devrait nous prémunir de certains discours un peu simplistes sur la nature et la renaturation.  


Rescindement d’une boucle de la Seine à Riancey (1821)

Les cartes en France proviennent notamment de la gestion royale puis républicaine du territoire, avec des corps d'experts rattachés à l'administration centrale ou d'autres répondant à ses commandes:
"L’avènement de la carte en France est lié à la création de l’Académie des Sciences par Colbert en 1666. Des méthodes cartographiques précises ont été développées. La triangulation est née sous l’égide de Jean Picard ainsi que de la célèbre dynastie du géographe Jean-Dominique Cassini qui a procédé à la couverture cartographique de la France dans son ensemble. Au XVIIIe siècle, la création de l’École des Ponts et Chaussées permet la formation pratique des élèves qui ont dans leur cursus l’obligation de participer au levé de la carte du Royaume. Progressivement, les fonctions de la carte évoluent et passent du statut d’objet à celui d’outil, utile aux projets d’aménagement d’un territoire et nécessaire à la prise de décision. (...) Cet intérêt pour la représentation cartographique des cours d’eau est aujourd’hui encore au cœur des questions d’aménagement et de gestion des territoires. En 2015, une instruction du gouvernement demandait aux services de l’État d’établir une cartographie complète des parties du réseau hydrographique qui doivent être considérées comme des cours d’eau." 

Ce fascicule du PIREN-Seine s’intéresse à la manière dont la carte ancienne peut être mobilisée pour caractériser l’état d’un milieu à un moment donné à ce temps « t ». La comparaison de cartes de différentes périodes permet ensuite de reconstruire la trajectoire des rivières du bassin de la Seine.

Dans le cas de la Seine, la navigation a été l'un des principaux motifs d'aménagement du fleuve. Par exemple, cet extrait d’une série de cartes de la Seine de Paris à Rouen par Philippe Buache [1731-1766] indique les principaux obstacles à la navigation en vue de les corriger par calibrage du lit:


Environs de Nanterre et Chatou au XVIIIe siècle, carte de Philippe Buache. Cliquer pour agrandir.

Un chapitre du fascicule est consacré à La Bassée, plus grande plaine inondable du bassin de la Seine supérieure et la plus importante zone humide d’Île-de-France, entre la confluence Seine-Aube (Romilly-sur-Seine) et la confluence Seine-Yonne (Montereau-Fault-Yonne), classée en zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique. La Seine rectifiée y côtoie de nombreux bassins nés de gravières, soit un système largement artificialisé.

La superposition de cartes permet de retracer près de deux siècles d'évolution du lit:


Évolution du tracé en plan entre 1839 et 2010, issue de l’analyse des cartes anciennes. Cliquer pour agrandir.

Dans leur conclusion, les auteurs soulignent :
"les études géohistoriques présentées ici montrent l’importance des bouleversements subis par la Seine. Deux points méritent d'être soulignés : (1) les changements sont rapides (moins de deux siècles) et induits par une grande diversité d’aménagements, (2) la plasticité naturelle de l’hydrosystème s’ajuste et s’équilibre en fonction des transformations et rend complexe l’équation entre développement socio-économique, gestion du risque d’inondation et maintien de la biodiversité".

Ces données rendent aussi perplexes sur la présentation de la "renaturation" non comme projet paysager (ce qui peut se concevoir) ou comme préférence à certaines fonctionnalités plutôt qu'à d'autres (idem) mais comme restauration d'un profil antérieur idéalisé de la nature. D'autant que si l'on remonte par l'archéologie et l'histoire environnementales vers des états plus anciens que ceux représentés sur les cartes modernes, on trouve que la Seine avait déjà évolué à partir de l'Antiquité. Il faut alors admettre, à rebours du naturalisme naïf entourant parfois la mise en scène des questions écologiques, que nous sommes toujours devant des choix sociaux, économiques et politiques de configuration de la nature. Mais d'où parlent tous les acteurs de ces choix, lorsque le voile d'illusion de "la nature" est levé? Voilà une cartographie qu'il faut aussi dresser pour informer le débat démocratique.

Référence : L. Lestel, D. Eschbach, R. Steinmann, N. Gastaldi (2018), ArchiSEINE : une approche géohistorique du bassin de la Seine, Fascicule #18 du PIREN-Seine, ISBN : 978-2-490463-07-7, ARCEAU-IdF, 64 p.

2 commentaires:

  1. La politique de restauration de la continuité est par nature et par sa dénomination même une politique axée sur le rétablissement de fonctionnalité :pourquoi voulez vous en faire une politique de renaturation vers un référentiel idyllique que personne, à par vous, ne met en exergue ?

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    1. Voir cet article :
      http://www.hydrauxois.org/2019/05/note-sur-la-restauration-de-la-nature.html

      En réalité, l'argument de la fonctionnalité est lui-même souvent tautologique ou douteux. Un milieu lentique à écoulement retenu et un milieu lotique à écoulement libre ne présentent pas les mêmes fonctions, mais cela n'a pas de sens de dire que l'un est "non fonctionnel" et l'autre "fonctionnel". On peut les décrire fonctionnellement sur le plan de leurs identités et différences, ensuite débattre si les effets différents observés de leurs fonctionnements sont utiles, beaux, coûteux etc.

      Il y a aussi de la mauvaise foi dans ce débat, par exemple, les mêmes peuvent trouver qu'un barrage de castor a des fonctionnalités utiles alors que des choses très similaires deviendraient problématiques avec un barrage plus permanent de moulin. Ou bien encore les nombreuses discontinuités des milieux pré-humains sont ignorées ou oubliées, parce qu'elles ne collent pas bien à la bizarre mode continuiste. Voir :
      http://www.hydrauxois.org/2019/03/les-discontinuites-des-rivieres-un.html

      Enfin, puisque vous semblez prémuni du naturalisme naïf et si par hasard vous êtes un acteur de l'eau, nous vous encourageons à le dire publiquement en réunion, sur les plaquettes, les posters, les présentations et conférences, etc. Le faites-vous?

      Il est important que les citoyens comprennent l'ancienneté des changements humains des milieux en Europe et qu'ils perçoivent mieux la nature comme un construit socio-historique. Beaucoup de gens nous semblent restés dans une vision un peu datée et "idyllique" de l'écologie (la nature est à l'équilibre, supprimer l'impact humain restaure l'équilibre, etc.).

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