24/08/2020

Ce que les riverains européens pensent des petites centrales hydro-électriques au fil de l'eau (Venus et al 2020)

Une équipe européenne de chercheurs a mené une enquête qualitative dans trois pays (Suède, Portugal, Allemagne) pour comprendre la représentation de la petite et moyenne hydro-électricité au fil de l'eau par les riverains. Il en ressort que la capacité à disposer d'une énergie locale indépendante d'intérêt public et la lutte contre le changement climatique sont les deux axes dominants dans les esprits des riverains. L'idée de relancer et équiper des ouvrages existants plutôt qu'en construire de nouveaux figure parmi les plus populaires. Mais il y a aussi des préoccupations sur les écosystèmes et sur les cadres de vie, dont les porteurs de projet devront prendre compte. La capacité à développer de nombreux sites de production décentralisée et de dimensions modestes est un des éléments clé de la transition énergétique, qui ne repose plus seulement sur un maillage de très grosses unités de production. 


Petite centrale hydro-électrique au fil de l'eau, installée dans un ancien moulin (droits réservés). L'idée de ré-utiliser les infrastructures en place plutôt que d'en construire de nouvelles figure parmi les plus appréciées dans l'enquête de riveraineté menée par Terese E. Venus et ses collègues.

Dans l'Union européenne, l'hydroélectricité représente une composante importante de la transition vers les énergies renouvelables, en partie grâce aux infrastructures qui ont été installées au fil des deux derniers siècles. L'Europe a une longue histoire d'exploitation de l'hydroélectricité et une large proportion de son potentiel disponible a été exploitée, d'abord par des réseaux de moulins, puis par des constructions de barrages de plus grandes dimensions, sur les fleuves ou dans les montagnes.

Comme le rappellent Terese E. Venus et ses collègues, "la majorité des sites de grandes usines ayant déjà été aménagée, environ 75% des futurs projets seront de petite ou moyenne capacité (Kelly-Richards et al., 2017; Paish 2002). (...) La majorité de ces petites centrales hydroélectriques sont des systèmes au fil de l'eau (Manzano-Agugliaro et al 2017). Pour faire la distinction entre différentes technologies, l'hydroélectricité au fil de l'eau génère de l'énergie à partir du débit naturel des rivières en utilisant des barrières (c'est-à-dire des seuils ou des barrages) pour diriger l'eau vers une turbine dans un canal (Anderson et al 2015). Il existe trois types différents de systèmes au fil de l'eau: haute chute, basse chute avec diversion, basse chute directement sur le seuil. Alors que les structures à haute chute se trouvent dans les régions montagneuses à forts gradients naturels, les structures à faible hauteur se trouvent dans les rivières à faibles gradients (Anderson et al 2015). Les turbines de basse chute sont considérées comme particulièrement respectueuses des poissons en raison de leur faible vitesse de rotation (Overhoff et Keller  2015). Il existe également des systèmes au fil de l'eau avec retenue, qui permettent un stockage d'énergie à petite échelle à court terme (Sharma et Singh 2013). En revanche, l'hydroélectricité à réservoir utilise un barrage ou une autre barrière pour stocker l'eau dans un lac, et la décharger lorsque l'énergie est nécessaire. Enfin, un système de pompage-stockage pompe (souvent avec de l'énergie renouvelable) de l'eau d'un réservoir inférieur vers un réservoir supérieur afin que l'eau puisse être libérée par les turbines à la demande (Kucukali 2014)."

Comment est perçue cette hydro-électricité, en particulier les petites usines au fil de l'eau, dont la logique n'est pas celle des grands barrages réservoirs?

Pour le savoir, les chercheurs ont mené une enquête qualitative et quantitative auprès des riverains en Allemagne, Suède et Portugal, trois pays qui ont une approche différente de l'hydro-électricité pour son importance dans le mix énergétique, son lien historique ou non à une organisation centralisée, son encadrement règlementaire faible ou avancé. Ils ont fait usage de la méthodologie Q : une étude préalable permet de repérer les idées d'un débat, que l'on soumet au panel afin de le faire réagir et de quantifier la distance à ces idées. Une analyse factorielle permet ensuite de regrouper les publics en groupes d'affinité selon qu'ils partagent des idées. Les chercheurs ont délimité 25 grandes idées réparties en 6 catégories : l'économie (coûts, bénéfices); l'environnement (effets écologiques de l'hydro-électricité); la qualité de vie; la politique publique d'énergie; les préférences comparatives dans le mix énergétique; la participation du public. Leur panel a été formé de 270 personnes après une sélection par une connaissance minimale du sujet.


Une petite centrale hydro-électrique au fil de l'eau jouxte directement la rivière, et elle est souvent installée à l'extrémité du seuil qui barre cette rivière (droits réservés).

Il en ressort quatre axes majeurs ci-après détaillés (les lettres et chiffres renvoient au numéro des répondants par ville : L pour Landshut en Allemagne, V pour Vila Real au Portugal et O pour Örnsköldsvik en Suède).

L'hydro-électricité comme énergie locale permettant l'indépendance (49% de la variance)
"La perspective «l'hydroélectricité pour maintenir le contrôle régional» (facteur 1) se concentre sur les avantages économiques de la production hydroélectrique. Les répondants soutiennent les prix bas de l'énergie et veulent que leur pays soit indépendant de l'énergie: «il n'est pas bon d'être dépendant des autres pays et de leur politique» (L 67). La propriété est un sujet central. L'État devrait posséder des usines au fil de l'eau et leur pays devrait en bénéficier. Cela signifie qu'aucune entreprise étrangère ne devrait exploiter les centrales hydroélectriques de sa région. Les commentaires suivants illustrent ce point de vue: «Il ne faut pas que nos entreprises soient reprises par des entreprises étrangères» (L 60) «Il est important pour la Suède que les municipalités soient propriétaires des centrales hydroélectriques. Et qu'aucune entreprise étrangère ne devrait les posséder. (O 55) «L'énergie [du Portugal] devrait être indépendante des intérêts étrangers» (V 64) De plus, les répondants estiment que «l'eau ne devrait pas être privatisée» (L 69) et «il vaut mieux que [l'hydroélectricité] reste publique »(L 79), en particulier« puisque l'énergie est nécessaire à tous les citoyens, elle devrait être la propriété de l'État »(V 59). Par rapport à d'autres sources d'énergie, l'hydroélectricité au fil de l'eau est considérée comme «sans problème» (L 41)."

L'hydro-électricité comme réponse au changement climatique (29% de la variance)
"La perspective «l'hydroélectricité pour lutter contre le changement climatique» (facteur 2) donne la priorité à la production d'énergie propre. Les répondants soutiennent l'hydroélectricité car elle contribue à atténuer le changement climatique, qui est «le principal problème dont la planète débat» (V 81). Il est donc important que «les sources d'énergie renouvelables réduisent la dépendance aux combustibles fossiles et atténuent le changement climatique» (V 101). Ce groupe valorise la flexibilité et le stockage de l'énergie et se préoccupe moins de la propriété étrangère: «Être [portugais] ou étranger n'est pas pertinent. L'usine doit être gérée de la meilleure façon, indépendamment de la nationalité des propriétaires »(V 65). Cependant, les répondants étaient contre la propriété de l'État: «l'État devrait réglementer la production hydroélectrique, mais les centrales devraient appartenir aux investisseurs» (V 86) parce que «la société ne peut pas être totalement dépendante de l'État. L'État ne devrait légiférer que »(V 134) et« l'État est un mauvais propriétaire »(V 66). Un répondant suédois a noté: «Il devrait y avoir plus de particuliers capables de posséder des centrales hydroélectriques et de les reconstruire» (O 11)."

L'hydro-électricité comme impact sur les écosystèmes (22% de la variance)
"Les répondants liés à la perspective «l'hydroélectricité pour protéger les écosystèmes» (facteur 3) sont préoccupés par les impacts écologiques négatifs. Pour ce groupe, les centrales hydroélectriques «perturbent la nature» (V 2) et «les interventions dans la nature sont toujours mauvaises» (L 43). Ils préfèrent les systèmes fluviaux intacts: «il est important que l'on permette aux rivières de s'écouler librement avec un débit naturel» (O 47) car «les rivières sans hydroélectricité sont belles» (O 24). Ils estiment que la production hydroélectrique devrait être soit à faible impact et bien intégrée dans le débit naturel de la rivière, soit limitée à certaines rivières ou à certains tronçons de rivière: «Il est important de laisser les rivières déjà [équipées] être utilisées et entretenues afin qu'aucune nouvelle des centrales hydroélectriques seront construites »(O 9). Ce groupe se préoccupe de la propriété, surtout si cela signifie perdre son influence sur les plans d'eau locaux: «Nous devons protéger notre ressource la plus précieuse, l'eau, des grands investisseurs» (L 73). Il y a aussi une préférence contre la propriété étrangère: «L'hydroélectricité en Suède devrait appartenir à des entreprises publiques ou suédoises et profiter à la municipalité où elle est située» (O 10)."

L'hydro-électricité comme impact sur le cadre de vie et le bien-être (10% de la variance)
"La perspective «l'hydroélectricité pour promouvoir le bien-être des citoyens» (facteur 4) se concentre sur les effets économiques et sociaux individuels de l'hydroélectricité RoR et seuls les répondants de Vila Real se sont prononcés de manière significative sur ce facteur. Les répondants apprécient les bas prix de l'énergie, l'atténuation écologique et la création d'emplois dans la région. Ils sont préoccupés par les impacts écologiques et le potentiel d'inondations, d'autant plus que «les inondations causent de nombreux dommages et sont de plus en plus fréquentes» (V 50). Le point de vue critique a également été démontré par les préférences des répondants pour d’autres formes d’énergies renouvelables: «Une certaine diversité spatiale est nécessaire. Trop de centrales hydroélectriques existent déjà dans la région »(V 46). Les répondants étaient opposés à l'idée que l'État devrait posséder des centrales hydroélectriques. Par exemple, un répondant a déclaré que «l'État devrait avoir d'autres devoirs. Il doit gérer directement l'eau et les autres biens communs, mais pas l'énergie »(V 82). Un autre répondant a déclaré que «les entreprises privées et les villes devraient également pouvoir posséder des centrales hydroélectriques» (V 111). De plus, selon eux, ce n'est pas le rôle de l'État de produire de l'énergie. Un répondant a expliqué que l'État devrait se concentrer sur ses devoirs comme la préservation «de l'eau et des autres biens communs, mais pas de l'énergie» (V 82)."

Les chercheurs concluent : "La production décentralisée à petite échelle sera un élément important de la transition vers les énergies renouvelables. Une grande partie des futurs projets hydroélectriques sera de plus petits projets hydroélectriques au fil de l'eau. Ainsi, l'hydroélectricité au fil de l'eau représente une opportunité de décentralisation et de coproduction durables. Étant donné que l’ampleur de la transition énergétique durable sera déterminée par les valeurs et le comportement sociaux et économiques du public, il est essentiel de comprendre les points de vue locaux sur l'hydro-électricité au fil de l'eau."

Référence : Venus TE et al (2020), The public’s perception of run-of-the-river hydropower across Europe, Energy Policy, 140, 111422

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4 commentaires:

  1. Excellent, électricité gratuite qui ne pollue pas et qui permet de conserver nos paysages ( sans éoliennes) et nos rivières avec un débit normal sans assèchement ....

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    1. Mais oui et de plus ces petites unités de production contribuent à l'entretien des cours d'eau car leurs grilles de protection ramassent tout ce qui flotte, l'évacue, entretiennent les rives et gèrent l'environnement tous les jours. Ceci sans compter leur rôle économique local et bien sûr contribuent à la réduction des effets de serre. la petite hydraulique est vraiment une énergie d'avenir, énergie de pointe au fonctionnement nuit et jour dans les périodes où on a le plus besoin d'énergie! le potentiel est loin d'être négligeable!

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  2. Ne confondez pas moulins réhabilités en centrales hydroélectriques et petite hydroélectricité. Le petit hydraulique va jusqu'à 10MW installé (aux bornes du générateurs), les anciens moulins (quand on ne fait pas dire n'importe quoi au droit d'eau !) c'est 100kW par paires de meules. FHE revendique pour la petite hydraulique 2300 unités pour plus de 2GW de puissance installée soit environ 1MW par unité : on est assez loin des anciens moulins ! La petite hydraulique certes inclue les anciens moulins réhabilités mais l'essentiel du parc de petite hydraulique est composé d'unités beaucoup plus puissantes la plupart du temps installés sur des sites qui n'avaient jamais été équipés jusque-là. L'image des anciens moulins est utilisée par les tenants la petite hydraulique pour tromper le public et les élus ...

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    1. Les meules n'avaient pas 100kW de puissance, plutôt un facteur en-dessous. Mais chaque époque a ses technologies (on ne refait pas des moulins à vent, mais des éoliennes) et sur un même site, les turbines extraient davantage d'énergie que des roues.

      Si le public apprécie les petites centrales de 1 MW (ce que semble plutôt dire le papier de Venus et al 2020, avec les réserves indiquées), il sera encore plus à l'aise avec des moulins de 100 KW qui existent déjà, ne créent pas d'impact nouveau, etc.

      PS : nous voyons surtout une tromperie en bande organisée des pêcheurs militants de salmonidés et de certains milieux écologistes égarés qui laissent croire que les conclusions de la recherche sur l'impact des grands barrages seraient applicables aux moulins...

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