11/02/2023

Le ministère de l’écologie continue de tromper les parlementaires sur les ouvrages hydrauliques

Aucun changement en vue dans l’idéologie des hauts fonctionnaires du ministère de l’écologie qui rédigent les réponses des ministres et secrétaires d’état lorsqu’ils sont interrogés, comme cela fut le cas par le député Christophe Bentz. Propos faux, imprécis, incomplets, arguments toujours à charge contre les ouvrages en rivière, aucun signe de reconnaissance de l’échec de la continuité écologique. Notre  conclusion est simple : tant que ces hauts fonctionnaires ne sont pas remerciés et remplacés, tant que l’idéologie naturaliste du retour à la rivière sauvage sera la pensée des dirigeants de l’administration eau & biodiversité, la politique des rivières ne sera pas apaisée, les décisions absurdes de détruire ou d’interdire des ouvrages continueront, la France prendra du retard sur les dossiers critiques de la maîtrise de l'eau, de l'énergie et du climat. 


Le député Christophe Bentz a posé la question N° 3270 au Secrétariat d'état à l’écologie, le 22 novembre 2022.
« M. Christophe Bentz interroge M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur les modalités d'application de l'article 49 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre les effets du dérèglement climatique, dite « loi Climat et résilience », qui modifie l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le but d'interdire la destruction des moulins à eau dans le cadre des obligations de continuité écologique. Dans sa rédaction antérieure, l'article L. 214-17 du code de l'environnement prévoyait déjà que tout ouvrage de ce type devait être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire - ou à défaut l'exploitant -, afin de permettre la circulation des poissons migrateurs. Or cette politique publique s'est traduite par une destruction desdits ouvrages et ce alors que cela n'était ni la lettre, ni l'esprit de la loi. Durant une quinzaine d'années, les services de l'État ont ainsi encouragé la destruction des retenues d'eau de rivière. Ces retenues - constituées pour l'essentiel de milliers de chaussées de moulins à eau qui retenaient depuis des siècles des centaines de millions de mètres cubes d'eau douce dans les rivières - ralentissaient pourtant les écoulements et jouaient un rôle majeur dans le cycle de l'eau des vallées. Les associations de défense des moulins à eau estiment que 3 000 à 5 000 chaussées de moulins ou digues d'étang auraient été détruites en France. Cela représente une perte de plusieurs dizaines de millions de mètres cubes d'eau douce qui ont été soustraits aux rivières et ne participent plus à l'alimentation des nappes. Des centaines de kilomètres de rivières et de vallées ont ainsi été asséchés partiellement ou totalement. La disparition de ces eaux a aussi entraîné celle des milieux aquatiques et rivulaires antérieurs. Par ailleurs, ce patrimoine pluriséculaire faisait non seulement des rivières un atout écologique, mais il ouvre aujourd'hui la possibilité de production d'une énergie verte. Dans ce contexte, le législateur est intervenu dans le cadre de l'article 49 de la loi Climat et résilience afin d'expliciter davantage l'article L. 214-17 du code de l'environnement qui permet la gestion, l'entretien et l'équipement des moulins à eau et interdit désormais leur destruction. C'est pourquoi M. le député souhaite connaître les modalités réglementaires et administratives de mise en œuvre de cette nouvelle disposition - notamment les actions et les indicateurs destinés à empêcher toute nouvelle destruction de moulin à eau. Il souhaite également savoir s'il est prévu une reconstruction des ouvrages détruits. »

Nous venons d’avoir la réponse du ministère de l’écologie, le 7 février 2023. Nous allons donc la commenter argument par argument. 
« La politique de restauration de la continuité écologique n'encourage pas l'effacement systématique des moulins à eau et autres ouvrages en cours d'eau. 
C’est faux. Depuis 15 ans, les programmes publics des agences de l’eau (planification des SDAGE et financement de cette planification) affirment que la destruction des ouvrages hydrauliques est la solution préférable, donc la mieux financée — parfois la seule financée à certaines époques et dans certaines agences. Ce sont les représentants de l’Etat et de l’administration publique au sein des agences qui rédigent les programmes, donc s’ils recevaient une orientation contraire du ministère, de telles préconisations n’apparaîtraient pas. Les citoyens sont fatigués des mensonges et des langues de bois bureaucratiques : si le ministère de l’écologie n’est même pas capable de reconnaître la réalité de base, à savoir qu’il a bel et bien favorisé la destruction massive des ouvrages et que ses hauts fonctionnaires ont tenu des propos véhéments en ce sens (voir DEB 2011), la discussion n’est pas possible. 
« Sous la responsabilité des préfets, c'est la loi sur l'eau qui permet aujourd'hui une gestion équilibrée des projets de petites hydroélectricité au plus près des territoires. Il s'agit d'une politique ciblée et mesurée, qui cherche à concilier les enjeux de restauration des fonctionnalités des cours d'eau avec le déploiement de la petite hydroélectricité. Dans certains cas, l'effacement d'un ouvrage peut être nécessaire pour restaurer le bon état écologique d'un cours d'eau, comme indiqué dans la directive-cadre sur l'eau et rappelé par la Commission européenne lors de la table ronde du 6 juillet 2022 organisée par la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. 
C’est faux. D’une part, la morphologie de la rivière est considérée comme un élément du «très bon» état écologique au sens de la DCE (soit l’équivalent d’une rivière à forte naturalité), mais le «bon» état écologique a des exigences moindres, et il commence par le contrôle du bon état chimique et physico-chimique. La même DCE laisse aux Etats-membres la possibilité de classer une masse d'eau comme fortement modifiée ou comme artificielle si son cours a été beaucoup changé par les humains dans l'histoire, ce qui est évidemment le cas de la grande majorité des rivières françaises (voir l'indicateur de naturalité des cours d'eau de l'OFB). D’autre part, à notre connaissance, aucune preuve scientifique n’a jamais été apportée qu’une rivière à ouvrages détruits obtient de meilleures avancées de son score écologique DCE par rapport à une rivière dont les ouvrages ne sont pas détruits. Les travaux d'hydro-écologie quantitative ne concluent pas que l'ouvrage hydraulique a un impact notable sur l'état DCE, alors que les pollutions et les usages du sol du bassin versant sont, et de loin, les premiers facteurs corrélés à la dégradation écologique dans ces recherches (voir cette synthèse). Nous avons déjà documenté sur ce site des rivières à politique ambitieuse de destruction d’ouvrage où l’état écologique DCE n’a pas bougé, voire a empiré (cf Vicoin). Une étude historique sur les poissons migrateurs en France depuis 30 ans n'a trouvé aucune amélioration significative de ces populations cibles en lien à la continuité écologique (Legrand et al 2020). 
« Entre 2012 et 2021, environ 1 400 ouvrages ont été effacés sur les cours d'eau où une obligation de restauration de la continuité écologique existe au titre de l'article L. 214-17 du code de l'environnement : cela représente environ 1 % de l'ensemble des ouvrages présent sur les cours d'eau français et constituant un obstacle à l'écoulement naturel du cours d'eau. 
C’est imprécis. D’abord on ne sait pas d’où vient ce chiffre, et le ministère omet de rappeler que la grande majorité des ouvrages classés en continuité écologique liste 2 n’a pas été traitée. Ensuite, l’important est la dynamique : il y a 20 665 ouvrages en obligation de continuité écologique, que fait-on de tous ceux encore orphelins de solutions ? Enfin le référentiel des obstacles à l’écoulement compte environ 110 00 entrées, donc le risque est de détruire env. 20% des ouvrages hydrauliques, avec certains rivières où ce chiffre atteint déjà 90 à 95%. Rien à voir avec le chiffre rassurant du ministère.


« Par ailleurs, ces effacements n'ont pas induit de perte d'eau douce ou d'assèchement de cours d'eau. Le libre écoulement de l'eau au sein d'un bassin versant, notamment à travers son réseau de cours d'eau, est un processus structurant du grand cycle de l'eau : cette eau qui s'écoule contribue au bon fonctionnement de l'écosystème et du cycle. De plus, la quantité d'eau dans une rivière se mesure par le débit, et les petites retenues en cours d'eau ne renforce pas ce dernier. En outre, la recharge des nappes phréatiques n'est pas systématiquement favorisée par les retenues en lit mineur, car cette recharge dépend essentiellement de la connexion nappe-rivière, qui se fait aussi bien par des eaux courantes que stagnantes. Il est même fréquent que certaines retenues en lit mineur dégradent la recharge des nappes, dès lors que leur fond est colmaté par les sédiments fins issus de l'érosion des sols qui s'y stockent. 
Aucune base scientifique pour apporter des preuves aux allégations. Il est reconnu (déjà par les règles élémentaires de l’hydrostatique et de l’hydrodynamique) que toutes choses égales par ailleurs, des retenues en lit mineur contribuent à la rétention d’eau en surface et la hausse du niveau de la nappe sous-jacente. C’est pourquoi les barrages naturels comme ceux des castors sont vus comme positifs pour le cycle local de l’eau et la biodiversité (par exemple Dittbrenner et al 2022 sur la rétention d’eau). Aucun travail n’a montré que la retenue globale d’eau sur un bassin versant est meilleure si on supprime ses ouvrages. Plusieurs recherches scientifiques adressées sur ce point précis des petits ouvrages ont conclu l’inverse (Maaß et Schüttrumpf 2019, Podgórski et Szatten 2020). D'autres travaux montrent que les retenues ont des effets locaux bénéfiques sur les crues comme les sécheresses (Brunner 2021). Sur les rivières où les ouvrages ont été détruits, les riverains observent des lames d’eau résiduelles ou des assec complets, là où les ouvrages gardaient un certain volume en été, même à débit faible.
« Enfin, le potentiel de production hydroélectrique par des petits ouvrages en cours d'eau est intrinsèquement limité : selon les projets identifiés auprès de la filière, ce sont 250 MW qui pourraient être installés d'ici 2028 (en sites vierges comme sur ouvrages existants), toutes tailles d'installations confondues. Cela représente environ 1% des objectifs nationaux d'installation d'énergies renouvelables sur la même période (programmation pluriannuelle de l'énergie 2023-2028). Le potentiel de développement peut donc objectivement être qualifié d'intrinsèquement limité. 
Cet argument est un truisme : aucune source d’énergie n’est infinie, donc toutes les sources d’énergies sont «limitées». Le chiffre de 250 MW de potentiel est en deçà des travaux scientifiques sur la petite hydraulique (Punys et al 2019, Qaranta et al 2022), également en deçà de l’estimation produite par la fédération de moulins (FFAM 2022). En période d’accélération de la transition énergétique face au retard français et à la condamnation de l’Etat en justice pour inaction climatique, le rôle du ministère de l’écologie n’est pas de faire plaisir à quelques lobbies clientèles (pêcheurs de salmonidés, naturalistes) en insistant sur les limites d’une source renouvelable bas carbone, mais de mobiliser tous les fonctionnaires pour exploiter au mieux et au plus vite cette source. Le blocage du ministère est inacceptable et contraire à tous les engagements climatiques du pays. 
« L'article 49 de la loi dite « Climat et résilience » d'août 2021 précise effectivement que, s'agissant des moulins à eau, l'effacement des seuils ne peut désormais plus constituer une solution dans le cadre de l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments. En conséquence, depuis la publication de la loi, les services préfectoraux ne sont plus en mesure de prescrire l'effacement d'un ouvrage comme solution de rétablissement de la continuité écologique. 
Le ministère affirme que l’effacement n’est plus une solution, mais les préfectures continuent à effacer (exemple récent), ce qui implique des contentieux en justice. Là encore, une parole mensongère ou floue est créatrice de défiance vis-à-vis de l’Etat et de ses fonctionnaires. 
« Cette évolution législative tend à contraindre les propriétaires d'ouvrages, avec obligation de restaurer la continuité à assumer les dépenses d'entretien liées à leurs seuils, même lorsqu'ils souhaiteraient les effacer. Or, cet entretien est jugé par certains propriétaires comme chronophage, coûteux et techniquement compliqué. Les effacements réalisés avant la loi « Climat et résilience » ayant toujours été réalisés avec l'accord du propriétaire de l'ouvrage, le ministère ne projette pas de reconstruire les ouvrages effacés.
Il est touchant que le ministère de l’écologie s’émeuve des coûts de la continuité écologique imposés aux particuliers et aux collectivités. Une solution très simple consiste à déclasser tous les cours d’eau qui ont été mis en catégorie liste 2 d'obligation de continuité sans aucune base scientifique concernant la présence d’espèces menacées et bénéficiant du classement. De la même manière, les coûts de gestion des ouvrages hydrauliques ont été alourdis par des exigences procédurales et règlementaires qui demandent de multiplier des études et des contraintes là où certains travaux (curages, réfection de seuils) étaient bien plus simples avant. Ce surcoût ne peut pas reposer sur les seules épaules des particuliers ou des collectivités puisqu’il est motivé par des exigences d’intérêt général : il revient donc au ministère de l’écologie de chiffrer exactement le coût des règlementations qu’il impose et de prévoir un co-financement suffisant par les agences de l’eau ; dans le cas contraire, de s’abstenir de règlementation. L’écologie sous-financée n’a aucun avenir, elle sera déclarative ou fera peser des charges exorbitantes que les citoyens rejetteront de plus en plus brutalement. 

Photos : destruction en 2022 du moulin de Houetteville, ouvrage en parfait état sur une rivière en bon état écologique et en adjacence d'une zone humide Natura 2000. Un exemple de la poursuite de la politique absurde de casse du patrimoine sur argent public et un contentieux en cours porté par Hydrauxois avec la FFAM et d'autres associations. Les parlementaires doivent prendre conscience de l'idéologie naturaliste anti-ouvrage qui structure profondément l'administration eau & biodiversité, détourne le sens des lois, poursuit un agenda contre l'intérêt général et contre l'apaisement au bord des rivières, entrave la France dans la transition énergétique bas-carbone et l'adaptation climatique par rétention d'eau. Les porteurs de cette politique dans l'appareil public doivent cesser leurs actions, ou être remerciés pour aller militer dans des structures naturalistes privées conformes à leur idéologie, qui n'est pas celle des lois de la république. 

3 commentaires:

  1. Il est important de sauvegarder le patrimoine irremplaçable que représente les moulins. Toutefois, l'argumentaire des "retenues d'eau" que représentent les seuils laisse entendre que vous n'avez jamais mis les pieds dedans. Ce sont généralement des retenues de vase qui n'apportent rien à la rivière. Mais bon, vous avez peut-être la chance d'avoir une retenue en auto-curage... ce n'est pas mon cas.

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    1. D'abord, notez que la "vase" n'est pas très aimée dans l'imaginaire de la petite rivière courante à eau limpide et fonds sablo-graveleux (imaginaire bien situé), mais qu'elle n'est pas forcément un problème en soi, en tout cas qu'elle est un milieu riche. Une retenue naturelle a aussi plus ou moins d'envasement et d'eutrophie.

      Ensuite, une partie des problèmes d'envasement viennent des usages des sols et des érosions massives de matières fines, plusieurs articles de ce site ont été consacrés à des travaux scientifiques sur le cycle sédimentaire (par exemple récemment http://www.hydrauxois.org/2022/09/comment-le-cycle-des-sediments-est.html). Il faut donc réfléchir non pas à casser le thermomètre (la retenue) mais à améliorer la cause première que ce thermomètre révèle (sinon vous aurez vos dépôts sédimentaires en excès plus bas, jusqu'aux bouchons vaseux en estuaires).

      Enfin, une retenue ou un bief se gère, notamment se cure de temps en temps si le débit de crue ne dégage pas assez les sédiments fins et petits : un problème du ministère de l'écologie et de ses officines naturalistes (OFB, agences de l'eau) est justement la perte ou la négation de la culture hydraulique et le refus de considérer que l'on doit gérer facilement (donc sans excès règlementaire) les ouvrages. Nous proposons de changer de culture – et si le personnel est récalcitrant, de changer de personnel. Y voyez-vous un inconvénient?

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  2. Oui, j'aurais plus de travail

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