18/11/2025

La restauration écologique des rivières mobilise beaucoup d'argent mais apporte peu de résultats (Haase et al 2025)

Sept décennies d’actions pour restaurer les rivières n’ont pas entraîné l’amélioration attendue de leur biodiversité. Une revue scientifique couvrant plus de 7 000 projets révèle que la plupart des interventions affichent un score d’efficacité de seulement 0,15 sur 1. En cause : des pressions multiples jamais traitées ensemble, des restaurations trop locales pour des systèmes qui fonctionnent à l’échelle du bassin et un manque chronique de suivi biologique. Alors que le gestionnaire public de l'eau se précipite en France dans ce type d'action sans recul critique et à grands frais, peut-être serait-il temps de prendre des leçons de l'expérience ? 


L’article de Peter Haase et de ses collègues propose l’une des synthèses les plus ambitieuses jamais réalisées sur l’efficacité des actions de conservation mises en œuvre pour enrayer le déclin planétaire de la biodiversité des rivières. Malgré des décennies d’efforts – restaurations physiques, stations d’épuration, réintroduction d’espèces, législations, lutte contre les invasives ou adaptation au changement climatique –, il restait jusqu’ici difficile de répondre à une question simple : ces actions améliorent-elles réellement l’état écologique des rivières ?

L’étude rassemble et analyse plusieurs centaines de publications couvrant plusieurs milliers de projets de conservation issus de 26 régions du monde, afin d’apporter une réponse claire et fondée sur des données empiriques plutôt que sur des suppositions.

L’ambition première est d’évaluer de manière exhaustive l’efficacité réelle des actions de conservation des rivières, et surtout de comprendre pourquoi, dans de très nombreux cas, ces actions n’entraînent pas l’amélioration espérée de la biodiversité. L’étude ne se contente pas de comparer les projets entre eux : elle cherche à relier les résultats observés aux types d’actions engagées (neuf catégories), aux régions du monde concernées, aux groupes biologiques suivis et aux pressions environnementales en présence. L’enjeu scientifique est d’identifier les « mécanismes de succès » et les « mécanismes d’échec » afin d’orienter les politiques futures, notamment vers des stratégies à l’échelle des bassins versants.

Le corpus mobilisé est important : 436 études représentant 7 195 projets de conservation, majoritairement situés dans des pays à hauts revenus (Europe et Amérique du Nord notamment). Ces projets sont classés dans neuf catégories d’action : restauration des habitats et de la connectivité, gestion des débits écologiques, traitement des pollutions ponctuelles, réduction des pollutions diffuses, gestion de l’exploitation des espèces, lutte contre les invasives, actions d’atténuation climatique, protection des habitats et protection des espèces. Les taxons suivis sont massivement dominés par les poissons et les macro-invertébrés, ce qui reflète les pratiques de suivi actuelles et laisse de côté d’autres groupes (macrophytes, diatomées, reptiles, amphibiens, mammifères).



Synthèse des résultats par régions du monde. Extrait de Haase et al 2025, art cit. 

Pour comparer les projets, les auteurs ont mis en place une échelle simple mais très informative. Chaque action est évaluée selon trois états possibles :
– 0 : aucune amélioration du biote, voire dégradation ;
– 0,5 : amélioration légère, partielle, limitée à certains taxons ;
– 1 : amélioration nette, substantielle, ou retour vers un état proche des conditions de référence.

Ces scores ne sont pas attribués aux études mais pondérés par le nombre de projets qu’elles rapportent, ce qui permet de traduire un résultat global représentatif des pratiques de conservation dans le monde.

Un score global moyen de 0,15 sur 1
Le résultat le plus marquant de l’étude est sans conteste le score mondial moyen de 0,15. Ce chiffre est la moyenne pondérée de l’ensemble des projets sur l’échelle 0-0,5-1. Concrètement, cela signifie que la très grande majorité des actions n’entraînent ni amélioration significative, ni même amélioration légère de la biodiversité. L’échelle étant linéaire, un score de 0,15 équivaut à dire que 85 % du potentiel d’amélioration observé dans les études est tout simplement absent.

Ce faible résultat global résume à lui seul les limites structurelles des politiques actuelles : la conservation des rivières, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, ne parvient pas à inverser le déclin de la biodiversité.

Certaines actions obtiennent des résultats légèrement meilleurs – par exemple les débits écologiques, qui montrent souvent une amélioration des populations de poissons et d’invertébrés – mais elles restent minoritaires et limitées dans leur portée géographique. Les actions de lutte contre les invasives réussissent relativement bien lorsqu’il s’agit d’éradiquer des vertébrés indésirables, mais échouent fréquemment pour les plantes ou invertébrés, plus rapides à recoloniser. Les stations d’épuration modernes semblent efficaces, mais les preuves scientifiques directes manquent, car les études s’intéressent davantage à la qualité chimique qu’aux réponses biologiques. À l’inverse, la restauration physique des rivières (méandres, granulats, diversification des habitats) montre des résultats très variables, souvent sans bénéfice mesurable.

Le constat est aggravé par une forte inégalité géographique : les pays à revenus élevés mettent en œuvre des actions variées et ciblées, tandis que les pays à revenus faibles ou intermédiaires se limitent, faute de moyens, à la création d’aires protégées ou à la protection nominale des espèces.

Causes présumées des échecs
La section consacrée aux causes d’échec constitue l’un des apports importants de l’article. Les auteurs identifient trois mécanismes majeurs qui reviennent de manière récurrente dans la littérature.

La première cause est la présence de multiples stress qui agissent simultanément. Une action isolée – par exemple la restauration de la morphologie d’un tronçon – ne suffit pas si les pressions dominantes persistent : pollution chronique, altérations hydrologiques, obstacles à la migration, invasions biologiques ou réchauffement thermique. La biodiversité d’une rivière ne peut pas se rétablir si le stress principal n’est pas éliminé, quel que soit l’effort consenti sur les autres aspects.

La seconde cause est un problème d’échelle spatiale. La plupart des actions se limitent à quelques centaines de mètres ou quelques kilomètres, alors que les espèces utilisent l’ensemble du réseau hydrographique. Les pressions, elles, ne respectent aucune limite locale : les polluants viennent de l’amont, les crues artificielles résultent de barrages situés parfois à des dizaines de kilomètres, et le rétablissement d’une population dépend de la présence de sources de recolonisation proches. Lorsque l’action n’est pas alignée sur l’échelle du problème, l’amélioration reste imperceptible.

Enfin, la troisième cause d’échec est l’insuffisance du suivi scientifique. Beaucoup de projets n’ont ni état initial, ni sites témoins, ni suivi biologique de long terme. Les durées de suivi sont trop courtes (souvent 1 à 2 ans), les taxons suivis trop limités (essentiellement les poissons), et les pressions environnementales mal documentées. Cette absence de monitoring rend difficile l’évaluation des résultats et conduit parfois à des erreurs d’interprétation : un projet peut être jugé inefficace alors qu’il aurait pu fonctionner à plus long terme, ou inversement être considéré comme une réussite alors que la biodiversité n’a pas réellement progressé de manière durable.

Discussion
Au-delà des résultats écologiques eux-mêmes, cette revue internationale montre l’ampleur du vide informationnel qui entoure nos politiques de restauration des rivières. Les auteurs constatent un manque criant de données : données biologiques trop limitées (quelques espèces, souvent les mêmes), données spatiales restreintes (quelques tronçons), données temporelles insuffisantes (un ou deux ans de suivi quand il en faudrait dix ou davantage). Ce déficit de connaissance rend l’évaluation quasi impossible et contribue directement à l’inefficacité des actions : comment espérer restaurer ce que l’on ne mesure ni correctement ni durablement ? 

Ce point interpelle d’autant plus que les politiques publiques investissent depuis des décennies des sommes considérables dans la restauration fluviale, souvent sous des formes standardisées et rarement questionnées. Nous le constatons en France où la restauration écologique de rivières est quasiment devenue un dogme pour les agences de l'eau, les syndicats de bassin, l'office de la biodiversité et autres acteurs publics qui tendent à copier-coller les mêmes éléments de langage dans les plans de gestion des cours d'eau. Pourquoi continuer à déployer de manière systématique des approches coûteuses sans avoir, en amont, établi des protocoles pilotes permettant de comprendre ce qui fonctionne, dans quelles conditions, et à quelles échelles ? L’absence de véritables sites expérimentaux, suivis de façon rigoureuse et transparente, constitue probablement l’un des angles morts majeurs de l’action publique en ce domaine. 

Un autre élément mérite enfin d’être interrogé : l’idée, profondément ancrée dans de nombreuses politiques publiques (et parfois des communautés de chercheurs), selon laquelle la “restauration” consisterait à ramener la rivière vers un état antérieur, supposé plus naturel ou plus fonctionnel. Cette conception, héritée des années 1950-1980, repose sur une vision muséographique de la nature, comme s’il existait un état de référence stable et souhaitable vers lequel il suffirait de revenir. Or l'avancée des connaissances en écologie fluviale montrent plutôt l’inverse : les rivières sont des systèmes intrinsèquement dynamiques, façonnés en permanence par des variations hydrologiques, des migrations d’espèces, des perturbations, des usages humains (depuis des millénaires) et désormais par le changement climatique. Elles n’ont jamais été figées et ne le sont plus du tout aujourd’hui. Chercher à reconstituer un état passé — souvent idéalisé, parfois mal documenté, presque toujours inatteignable — génère donc une contradiction fondamentale. Non seulement cet état d’origine n’existe plus dans un climat et un bassin versant transformés, mais surtout il ne constitue pas nécessairement un objectif écologique pertinent pour l’avenir. Cette confusion conceptuelle explique éventuellement en partie l’échec de nombreuses restaurations : elles tentent de recréer "par petites touches" des formes, des habitats ou des débits hérités d’un autre temps, sans intégrer les conditions présentes ni anticiper celles à venir. À l’heure où les rivières connaissent une combinaison inédite de pressions évolutives — réchauffement, artificialisation, espèces invasives, polluants émergents — la question n’est peut-être plus de restaurer, mais d’imaginer, de concevoir et de tester des trajectoires nouvelles. L’ingénierie écologique contemporaine parle de plus en plus d’“adaptation”, de “résilience” et de “gestion dynamique”, plutôt que de simple retour en arrière. Autrement dit, la restauration telle qu’elle a été pensée et pratiquée depuis 70 ans n’est peut-être pas seulement inefficace, mais surtout conceptuellement inadaptée au monde où nous vivons.

Référence : Haase P et al (2025), Successes and failures of conservation actions to halt global river biodiversity loss, Nature Reviews Biodiversity, 1, 104–118. 

08/11/2025

Extraction de sédiments en cours d'eau ou canal: que dit la loi?

Retirer des sédiments d'un cours d'eau, d'un bief ou d'un canal est-il soumis à autorisation ? Si le régime général (IOTA) impose des seuils stricts basés sur le volume et la pollution, une exception existe pour les travaux modestes du propriétaire riverain, au titre de son obligation d'entretien. Cet article explore ces deux cas de figure distincts, leurs conditions d'application et les limites définissant les procédures.


La gestion des sédiments dans les cours d'eau, les canaux ou les biefs est une opération complexe, encadrée par le Code de l'environnement. Un simple "curage" n'est plus anodin dans le droit français. Il est en réalité soumis à des règles strictes relevant de la nomenclature "loi sur l'eau" dite "IOTA" pour "installation, ouvrages travaux, activités".

Cependant, la loi distingue les opérations lourdes de l'entretien courant qui incombe au propriétaire riverain. Faisons le point sur les deux régimes.

1. Le régime général IOTA (Rubrique 3.2.1.0)
Lorsqu'une opération d'extraction de sédiments est envisagée, elle relève par défaut de la rubrique 3.2.1.0. de l'article R. 214-1 du Code de l'environnement.

Cette rubrique, intitulée "Entretien de cours d'eau ou de canaux", fixe les seuils déclenchant une procédure administrative (déclaration ou autorisation) en fonction du volume annuel extrait et de la qualité (pollution) des sédiments. Les seuils sont les suivants.

Autorisation (A) : Procédure la plus lourde, nécessaire si
  • Le volume total des sédiments extraits sur un an est supérieur à 2 000 m³.
  • OU Le volume est inférieur ou égal à 2 000 m³, mais la teneur des sédiments est supérieure ou égale au niveau de référence S1 (c'est-à-dire qu'ils sont considérés comme pollués).
Déclaration (D) : Procédure requise si
  • Le volume est inférieur ou égal à 2 000 m³.
  • ET La teneur des sédiments est inférieure au niveau de référence S1 (sédiments non pollués).
Ce qu'il faut retenir : dans ce régime général, toute opération d'extraction de sédiments, même pour un faible volume, nécessite au minimum un dossier de déclaration si les sédiments ne sont pas pollués.

2. L'exception : l'entretien par le propriétaire riverain
Le texte de la rubrique 3.2.1.0 (IOTA) précise qu'elle s'applique "à l'exclusion de l'entretien visé à l'article L. 215-14". 

C'est le cas particulier qui nous intéresse plus souvent : celui du propriétaire riverain d'un cours d'eau non domanial (ou d'un bief privé).

Voici ce que disent l'article L215-14 du code de l'environnement, et son pendant réglementaire (R215-2).
Article L215-14 : Sans préjudice des articles 556 et 557 du code civil et des chapitres Ier, II, IV, VI et VII du présent titre, le propriétaire riverain est tenu à un entretien régulier du cours d'eau. L'entretien régulier a pour objet de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique, notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives. Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article.
Article R215-2 : L'entretien régulier du cours d'eau auquel est tenu le propriétaire en vertu de l'article L. 215-14 est assuré par le seul recours à l'une ou plusieurs des opérations prévues par ledit article et au faucardage localisé ainsi qu'aux anciens règlements et usages locaux relatifs à l'entretien des milieux aquatiques qui satisfont aux conditions prévues par l'article L. 215-15-1, et sous réserve que le déplacement ou l'enlèvement localisé de sédiments auquel il est le cas échéant procédé n'ait pas pour effet de modifier sensiblement le profil en long et en travers du lit mineur.
Le droit et le devoir d'entretenir (L. 215-14)
L'article L. 215-14 stipule que le propriétaire riverain est tenu à un "entretien régulier" du cours d'eau. Le but de cet entretien est multiple :
  • Maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre.
  • Permettre l'écoulement naturel des eaux.
  • Contribuer au bon état écologique.
Pour ce faire, le riverain doit notamment procéder à "l'enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non". L'article L. 215-2 confirme que le riverain a le droit "d'en extraire de la vase, du sable et des pierres".

La limite : l'impact sur le lit (R. 215-2)
Si le propriétaire riverain est exempté de la procédure IOTA (déclaration/autorisation) pour cet entretien, ce droit n'est pas illimité. La limite n'est pas un volume en mètres cubes, mais un impact sur le milieu. L'article R. 215-2 précise que cet entretien (y compris "l'enlèvement localisé de sédiments") est libre sous réserve qu'il n'ait pas pour effet de modifier sensiblement le profil en long et en travers du lit mineur.

En résumé : entretien courant vs. curage
Il faut donc distinguer deux actions, selon que nous sommes dans une logique d'entretien en bon père de famille du cours d'eau (du canal) ou dans une logique de chantier lourd impliquant des travaux mécanisés conséquents. 

1. L'entretien régulier (propriétaire riverain)
  • Action : Enlèvement localisé de sédiments (atterrissements, vase, sable) qui gênent l'écoulement ou nuisent au bon état écologique.
  • Objectif : Maintenir le profil existant, assurer la fluidité.
  • Limite : Ne pas modifier la forme générale du lit (profondeur, largeur, pente).
  • Régime : Aucune déclaration ni autorisation n'est requise tant que cette limite d'impact n'est pas franchie.
2. Le curage (régime IOTA)
  • Action : Opération plus lourde, souvent mécanisée, visant à extraire des volumes importants, parfois sur de longs linéaires.
  • Objectif : Modifier le profil (par exemple, approfondir, recalibrer, ou restaurer un profil "théorique" disparu).
  • Limite : Le volume (2 000 m³) et la pollution (S1).
  • Régime : Déclaration (D) ou Autorisation (A) obligatoire (rubrique 3.2.1.0).
A noter que le bief est généralement un canal privé, non pas un cours d'eau. L'intervention y est libre mais doit s'astreindre à limiter les impacts (par exemple : ne pas mettre brutalement hors d'eau au risque de mortalité piscicole dans le canal, ne pas relarguer des boues sédimentaires en aval si risque de désoxygénation du cours d'eau à l'exutoire, etc.). 

En conclusion, si vous êtes propriétaire riverain et que vous souhaitez simplement retirer un banc de sable ou de vase récent qui s'est formé localement, sans "terrasser" le fond du cours d'eau, vous agissez dans le cadre de l'entretien régulier (L. 215-14) et n'avez pas besoin de dossier administratif. Idem quand vous intervenez sur un canal privé (bief). Il est important d'agir "en bon père de famille" et de procéder à des travaux réguliers d'entretien, afin de ne pas avoir des chantiers impliquant de grands volumes ou des interventions mécanisées lourdes. Dans ce cas, c'est le régime de déclaration ou d'autorisation qui s'appliquera, en fonction du volume et du risque de pollution. 

03/11/2025

Charles Antoine Poirée et l’invention des barrages à aiguilles

Au XIXᵉ siècle, la France connaît une phase intense d’aménagement hydraulique. Les rivières, longtemps soumises aux crues, aux sécheresses et aux variations de débit, doivent être rendues navigables pour soutenir le commerce intérieur et l’essor industriel. C’est dans ce contexte que se distingue Charles Antoine Poirée (1787-1873), ingénieur des Ponts et Chaussées, dont l’invention du barrage mobile à aiguilles marque une révolution silencieuse dans l’histoire de la navigation fluviale.


Originaire du Nivernais, Poirée s’attache dès les années 1820 à résoudre un problème concret : comment maintenir un niveau d’eau suffisant sur les rivières canalisées tout en permettant le passage des bateaux et en évitant les débordements destructeurs ?

En 1823, il met au point à Basseville, sur l’Yonne, un prototype de barrage constitué d’une série de cadres verticaux fixés au lit de la rivière, dans lesquels viennent s’appuyer des aiguilles, longues planches de bois que l’on dispose manuellement côte à côte pour retenir l’eau.

Ce système ingénieux permet de réguler le débit en retirant ou ajoutant des aiguilles selon les besoins. Pour la première fois, la hauteur du plan d’eau devient modulable sans mécanisme complexe, à l’aide d’une structure souple, légère et économique.

Le principe du barrage à aiguilles
L’idée de Poirée repose sur un équilibre subtil entre simplicité et efficacité. Le barrage, formé d’un batardeau mobile, peut être abaissé entièrement pour laisser passer une crue ou relevé partiellement pour maintenir la navigation.


Le barrage à aiguilles repose sur un dispositif de madriers verticaux, appelés aiguilles, disposés côte à côte pour retenir ou libérer l’eau selon les besoins. Chaque planche, longue de 2 à 4 mètres, s’appuie en bas sur un butoir du radier (heurtoir) et en haut sur une passerelle de fermettes métalliques. Ces fermettes, pivotantes, peuvent s’abaisser entièrement lors des crues pour laisser le passage libre à la rivière. Les aiguilles, maintenues par une barre d’appui et de réunion, sont manipulées manuellement une à une afin de régler le débit et le niveau d’eau.

La manœuvre consiste à ouvrir le barrage quand la rivière monte — en retirant les aiguilles et en couchant les fermettes — puis à le refermer quand l’eau baisse, en redressant les fermettes à l’aide d’un treuil et en remettant les aiguilles en place. Malgré l’effort physique requis, la conception ingénieuse du système garantit à la fois souplesse, sécurité et précision, offrant une alternative légère et modulable aux lourds barrages maçonnés fixes.

Une invention unanimement saluée au XIXe siècle
Expérimenté sur l’Yonne, puis adopté sur d’autres rivières françaises (Seine, Cher, Saône), le barrage à aiguilles Poirée devient rapidement un modèle pour toute l’Europe. Son principe est repris et perfectionné en Belgique, en Allemagne, puis en Angleterre, où il équipe de nombreuses voies navigables au XIXᵉ siècle.

Grâce à lui, la navigation continue devient possible sur des cours d’eau autrefois capricieux. Les péniches peuvent franchir les seuils sans interruption, et le transport fluvial gagne en régularité et en sécurité.

Nommé inspecteur général de première classe, Poirée reçoit la Légion d’honneur en 1855 et participe à l’Exposition universelle de 1855, où son invention est saluée comme une avancée majeure dans l’art du génie civil.

Son nom demeure attaché à une vision pragmatique de l’ingénierie : une innovation née de l’observation du terrain, au service de l’intérêt collectif.

Quelques barrages à aiguilles sont toujours visibles en France, mais ils sont de plus en plus rares car modernisés par des dispositifs demandant moins de main d'oeuvre et offrant plus de sécurité. Leur histoire témoigne de l'alliance entre science, technique et utilité publique, emblématique du siècle des ingénieurs.

L’œuvre de Poirée s’inscrit dans la lignée des grands bâtisseurs des Ponts et Chaussées, ceux qui ont transformé les rivières françaises en véritables artères économiques. Son invention, à la fois modeste et géniale, illustre la force des solutions simples dans la maîtrise de l’eau — une leçon toujours actuelle à l’heure où la gestion fine des ressources hydriques redevient un enjeu crucial.

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Visite au Batardeau (Auxerre)
L'association Hydrauxois a visité l'ancien moulin et usine élévatoire des eaux du Batardeau, à Auxerre. Le barrage du Batardeau, dernier barrage à aiguilles de l’Yonne, a été remplacé entre 2022 et 2024 par un barrage mobile gonflable à l’eau, symbole d’une transition entre héritage hydraulique et modernité. L’ancien système (photo ci-dessous, DR), nécessitant la manipulation manuelle de centaines d’aiguilles, laisse place à une gestion à distance plus rapide et précise, assurée depuis un local technique que l'on voit en berge de rive droite (photo ci-dessus). Ce changement marque une étape majeure dans le programme de modernisation des barrages de l’Yonne, porté par Voies navigables de France pour une gestion durable de la ressource en eau. Le local d'entreposage des aiguilles à été conservé.


L'ancien système à aiguilles, Auxerre. 

A noter que si les barrages à aiguilles sont de plus en plus souvent remplacés sur les voies de navigation fluviale, ils peuvent être expérimentés chez des particuliers. Un adhérent à Cheney (rivière Armançon) avait ainsi opté pour une régulation du niveau de son bief par des aiguilles, au niveau du moulin (photo ci-dessous). 


Système à aiguilles pour réguler le niveau d'un bief de moulin.

26/10/2025

Une passe à poissons par capture et transport améliore la répartition des espèces

Une étude  vient d’évaluer, sur trois ans, les effets de la réouverture d’un axe migratoire pour les poissons sur l’Amblève. L’installation d’un système de capture et transport des poissons au pied de la cascade de Coo a permis de documenter, avec une précision inédite, la recolonisation d’un tronçon de rivière resté fermé pendant plus d’un demi-siècle. Une solution à étudier quand la hauteur de chute (ici 11 m) rend trop importants les coûts de chantier et de foncier.


Le système étudié, illustration extraite de Gelder et al 2025, art cit. 

Les cours d’eau européens sont fragmentés par plus d’un million d’obstacles, perturbant les cycles biologiques des poissons. Dans ce contexte, la directive-cadre sur l’eau de l’Union européenne (2000/60/CE) et diverses lois nationales encouragent la restauration de la continuité écologique, notamment par l’installation de dispositifs de franchissement. L’étude de Justine Gelder, Jean-Philippe Benitez et Michaël Ovidio (Université de Liège) cherche à mesurer, de manière intégrée, les effets d’une passe à poissons sur la diversité, la biomasse et la dynamique des populations après la réouverture d’un axe migratoire.

Le site d’étude est la cascade de Coo, sur la rivière Amblève, affluent de l’Ourthe (bassin de la Meuse). Cet obstacle de 11,8 mètres, d’origine médiévale puis modifié au XXe siècle pour un usage hydroélectrique, bloquait toute migration amont depuis 1970. En 2021, un dispositif de capture-transport a été installé dans le canal de restitution de la centrale : les poissons venant de l'aval et empruntant le canal sont piégés, identifiés, mesurés, puis transportés manuellement et relâchés 500 mètres en amont.

Le suivi a combiné deux approches :
  • des campagnes d’électropêche menées en amont et en aval avant et après l’ouverture (2005–2023), permettant de comparer l’abondance, la biomasse et la diversité des peuplements ;
  • un monitoring continu de la passe à poissons sur trois ans (2021–2024), avec identification, pesée, mesure et marquage RFID des individus capturés.

Des indices classiques de diversité (Shannon, Simpson, Pielou) et de dissimilarité (Bray-Curtis) ont été calculés pour évaluer l’évolution des communautés, tandis que les distributions saisonnières et la taille des individus ont permis de distinguer migrations adultes et déplacements juvéniles.

Avant l’ouverture, la diversité était bien plus élevée en aval (20 espèces, H’ de Shannon–Wiener = 2,93) qu’en amont (13 espèces, H’ = 1,21). Après l’installation de la passe, 17 espèces et plus de 2 300 individus ont été recensés dans le dispositif, révélant une recolonisation rapide et variée. Les espèces rhéophiles (barbeau, spirlin, truite, chabot) ont largement dominé les captures. Le spirlin, absent en amont avant 2021, est apparu en grand nombre dès la deuxième année, marquant un succès de recolonisation.


Fréquence cumulée des individus de diverses espèces en amont de l'ouvrage, sur 3 ans de suivi. 

Les données montrent un effet d’ouverture net : 50 % des captures de barbeaux et de brochets ont eu lieu dès la première année. Les adultes migrent principalement entre avril et juillet pour la reproduction, tandis que les juvéniles se déplacent surtout à l’automne pour trouver des habitats favorables à la croissance ou à l’hivernage. La taille médiane des individus capturés dans la passe était supérieure à celle observée en aval, signe que les poissons les plus robustes ont d’abord colonisé les nouveaux habitats.

Les auteurs soulignent la valeur d’un suivi multi-méthodes et pluriannuel pour comprendre la dynamique de recolonisation après la restauration de la continuité. La passe à poissons de Coo, bien que perfectible (efficacité estimée à 7,9 %), permet déjà à de nombreuses espèces potamodromes de franchir l’obstacle et d’exploiter de nouveaux habitats en amont. Les recaptures de poissons marqués confirment également des allers-retours entre les deux tronçons, preuve d’une reconnexion fonctionnelle du milieu.

L’étude plaide pour le maintien d’un suivi à long terme afin d’observer l’évolution des peuplements sur plusieurs décennies et d’ajuster la conception des dispositifs. Elle démontre que la restauration de la connectivité n’est pas qu’un enjeu pour les espèces migratrices emblématiques. 

Enfin, pour une chute importante, un tel dispositif de capture et transport est bien moins coûteux en foncier et en chantier qu'une passe à poissons classique. En outre, le dispositif est plus sélectif pour les espèces exotiques ou envahissantes, que l'on peut exclure du relargage à l'amont.

Référence :
Gelder J et al (2025), A check-up of the opening of a fish migratory axis on multi-dimensional and multi-annual scales, Journal of Ecohydraulics, 1–13. DOI: 10.1080/24705357.2025.2523799

17/10/2025

Le Conseil d’État met un coup d’arrêt à l’arbitraire administratif contre les moulins fondés en titre

Sous prétexte d’écologie, l’administration avait fini par s’arroger le pouvoir d’effacer des droits réels multiséculaires attachés aux moulins et ouvrages hydrauliques. Par une décision du 10 octobre 2025, le Conseil d’État rappelle fermement que nul, pas même le préfet, ne peut abolir un droit fondé en titre sans loi ni indemnité. Une victoire majeure pour le respect du droit et la défense des patrimoines de l’eau.


Par une décision rendue le 10 octobre 2025, le Conseil d’État a partiellement annulé le refus du ministre de la Transition écologique d’abroger l’article R.214-18-1 du Code de l’environnement. Cette décision marque une étape importante pour la défense des ouvrages hydrauliques fondés en titre.

Depuis 2014, l’article R.214-18-1 du Code de l’environnement imposait aux propriétaires d’ouvrages fondés en titre — des droits réels immobiliers antérieurs à la Révolution — une procédure déclarative lourde et inédite pour toute remise en eau, remise en service ou confortement. Aucune obligation comparable ne pesait sur les ouvrages plus récents, simplement autorisés ou déclarés. Cette différence de traitement, fondée non pas sur un motif environnemental mais sur l’ancienneté du droit, créait une rupture manifeste du principe constitutionnel d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Un pouvoir préfectoral contraire à la Constitution
Surtout, le texte controversé permettait au préfet, saisi d’une déclaration, d’abroger purement et simplement le droit fondé en titre, même en l’absence de ruine ou de changement d’affectation de l’ouvrage. Autrement dit, l’administration pouvait faire disparaître un droit réel attaché à un bien, sans procédure d’expropriation ni indemnisation — une atteinte directe au droit de propriété garanti par la Constitution.

Le Conseil d’État a jugé cette disposition illégale : il a enjoint au Premier ministre d’abroger sous six mois les mots “le droit fondé en titre ou” figurant à l’article R.214-18-1 II 3° du Code de l’environnement. Le pouvoir réglementaire, rappelle la haute juridiction, ne peut remettre en cause la substance d’un droit réel garanti par la loi et la Constitution (article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958).

Cette décision n’annule pas l’ensemble de l’article R.214-18-1, mais elle rétablit une limite essentielle : le préfet ne peut pas supprimer un droit fondé en titre sous couvert de police de l’eau. Il ne peut agir que sur les autorisations d’exploitation, non sur le droit d’usage lui-même, qui reste attaché à l’immeuble.

Une mise en garde adressée au ministère
Au-delà de son aspect juridique, cette affaire illustre une nouvelle fois les dérives du ministère de la Transition écologique, dont certaines pratiques consistent à interpréter les textes de manière extensive, au mépris des principes supérieurs de notre droit.

Le Conseil d’État rappelle ici que l’administration est tenue par la hiérarchie des normes et que les droits anciens, même modestes, bénéficient d’une protection constitutionnelle.

Me Jean-François Remy (ayant porté l'affaire au nom du cabinet Cassini Avocats) se félicite de cette décision, qui met fin à une dérive emblématique et consacre la primauté du droit sur l’arbitraire administratif.

Pour les propriétaires de moulins, d’étangs ou d’ouvrages fondés en titre, cette jurisprudence constitue un précédent fort : la pérennité de leurs droits ne peut être remise en cause sans base légale claire ni indemnisation.

Référence : Conseil d'État, arrêt n°495104, 10 octobre 2025

12/10/2025

Les barrages ne tuent pas la biodiversité, ils la transforment (Dodson et Piller 2025)

Entre 1977 et 1995, la Red River, en Louisiane, a été transformée en voie navigable par la construction de cinq barrages à écluses. Une étude récente, menée à partir de rares relevés piscicoles complets avant, pendant et après la construction de barrages, montre que cette régulation n’a pas entraîné de perte majeure d’espèces, mais a modifié la structure écologique du fleuve. Derrière une richesse spécifique stable, les auteurs observent une homogénéisation fonctionnelle : les poissons migrateurs et inféodés aux courants rapides ont régressé ou disparu, tandis que des espèces sédentaires adaptées aux eaux calmes ont pris leur place. Ces changements, notables pour des écologues et hydrobiologistes, suffisent-ils à blâmer les nouveaux systèmes éco-hydrauliques ainsi mis en place? Doit-on faire de l'écart de peuplement par rapport à un ancien fleuve sauvage un casus belli pour l'aménagement de l'eau et du territoire? 



Le Lindy Claiborne Boggs Lock and Dam.

L’étude de Thomas A. Dodson et Kyle R. Piller, publiée en 2025 dans River Research and Applications, s’intéresse aux effets écologiques de la construction d’un système d’écluses et de barrages sur la Red River, en Louisiane. Cette rivière, historiquement l’une des plus riches en biodiversité du sud-est des États-Unis, a été profondément transformée par le projet fédéral de navigation entrepris entre 1977 et 1995, qui a vu l’édification de cinq ouvrages successifs entre Shreveport et l’Atchafalaya. Les auteurs ont cherché à comprendre comment cette artificialisation du cours d’eau avait modifié les communautés de poissons, non seulement du point de vue taxonomique, mais aussi sur le plan fonctionnel, c’est-à-dire en termes de traits écologiques et de stratégies de vie.

Leur travail repose sur l’exploitation d’un corpus exceptionnel de 10 962 relevés de poissons collectés entre 1966 et 2002 par le biologiste Royal D. Suttkus et conservés à l’université Tulane. Ces données, réparties sur 57 localités, couvrent trois grandes périodes : avant la construction des barrages (1966-1985), pendant les travaux (1986-1995) et après leur mise en service (1996-2002). Pour chaque année, les chercheurs ont converti les captures en matrice de présence-absence, ce qui permet d’éviter les biais liés à des efforts d’échantillonnage inégaux. Ils ont ensuite analysé les changements d’assemblage à l’aide de tests multivariés (PERMANOVA, SIMPER) et d’indices de diversité fonctionnelle : l’entropie quadratique de Rao (RaoQ), qui mesure la diversité des traits, et la redondance fonctionnelle (FRed), qui indique combien d’espèces remplissent des rôles écologiques similaires. Enfin, chaque espèce a été classée selon le modèle de Winemiller et Rose (1992), qui distingue trois types de stratégies de vie : les espèces « périodiques » (forte fécondité et migrations longues), « équilibrées » (faible fécondité mais forte survie des jeunes) et « opportunistes » (cycle de vie court et reproduction rapide).

Les résultats montrent que la richesse spécifique globale de la Red River est restée relativement stable à travers le temps – 69 espèces recensées avant les travaux, 73 pendant, et 66 après – mais que la composition des assemblages a  changé. Les tests multivariés révèlent des dissimilarités importantes entre les périodes (de 26 % à 32 % selon les comparaisons). Plusieurs espèces emblématiques des milieux à courant rapide ou des migrations de longue distance, comme Ammocrypta clara, Lepisosteus platostomus, Mugil cephalus ou Hiodon alosoides, ont disparu des relevés après la construction. À l’inverse, des espèces associées à des eaux calmes et sédimentées, telles qu’Ameiurus natalis, Fundulus chrysotus, Lepomis cyanellus ou Micropterus nigricans, se sont multipliées.

Sur le plan fonctionnel, la tendance est nette : la diversité des traits a diminué tandis que la redondance a augmenté. L’indice RaoQ est passé de 0,491 avant construction à 0,483 après, indiquant un appauvrissement de la variété écologique, tandis que FRed est passé de 0,495 à 0,502, signe qu’un plus grand nombre d’espèces partagent désormais les mêmes fonctions au sein de l’écosystème. Cette homogénéisation s’accompagne d’un basculement marqué dans les stratégies de vie. La proportion d’espèces périodiques, typiques des grands migrateurs, a fortement chuté (F = 14,9 ; p < 0,0001), alors que les espèces à stratégie équilibrée ont progressé de manière significative (F = 27,46 ; p < 0,0001). Les espèces opportunistes, quant à elles, varient peu, bien que certaines, adaptées aux habitats marginaux et aux courants lents, comme Fundulus chrysotus, aient profité des nouvelles conditions.

Ces transformations traduisent un phénomène de filtrage environnemental typique des cours d’eau régulés : les barrages bloquent les migrations, modifient les régimes d’écoulement et uniformisent les habitats, éliminant ainsi les niches favorables aux grands migrateurs et aux espèces dépendantes des crues saisonnières. À l’inverse, les poissons tolérant les eaux stables et les substrats fins trouvent dans ces nouveaux milieux des conditions plus favorables à leur reproduction et à leur croissance.

Discussion
Dodson et Piller montrent que la construction des cinq écluses et barrages sur la Red River n’a pas entraîné de perte majeure de biodiversité en nombre d’espèces, mais a profondément altéré la structure fonctionnelle des communautés. Le fleuve, autrefois dynamique et hétérogène, s’est transformé en un système plus stable et homogène où dominent les espèces sédentaires. Cette étude illustre la manière dont les écologues et hydrobiologistes utilise moins les approches taxonomiques classiques que des indicateurs fonctionnels et des analyses de stratégies de vie : c’est à ce niveau plus subtil que se révèlent les conséquences écologiques durables des aménagements hydrauliques. 

La question posée par ces recherches est cependant de savoir si les altérations ainsi décrites sont graves ou non, du point de vue des citoyens et de leurs représentations ou usages des cours d'eau. Les variations des indices fonctionnels (RaoQ ou FRed) sont faibles, bien que statistiquement significatives: elles signalent un glissement écologique lié à un changement de milieu, non un effondrement. Autrement dit, les barrages et leurs milieux ne sont pas des tombeaux de biodiversité, mais des transformateurs de cette biodiversité. Ils substituent à une diversité de formes et de comportements aquatiques un régime un peu plus "monotone", dominé par des espèces tolérantes et généralistes. 

Référence : Dodson TA et Piller KR (2025), Lock and dam construction changes a large river fish assemblage structure, River Research and Applications, 41, 7, 1456-1467.

05/10/2025

La gestion des crues et inondations doit changer de dimension et d'orientation !

Face au risque croissant d'inondations, une gestion moderne et efficace de l'eau est plus que jamais nécessaire. Loin de se limiter à une seule approche, la lutte contre les crues repose sur un éventail de solutions complémentaires. Cet article explore les trois piliers fondamentaux de cette stratégie : le génie civil pour maîtriser les flots, les solutions fondées sur la nature pour renforcer la résilience, et enfin, l'anticipation grâce à l'information en temps réel pour une gestion de crise optimale. Nous sommes très loin d'avoir une prise de conscience des moyens humains et financiers nécessaires à cela. L'argent public étant limité, il faut désormais changer les arbitrages de l'eau tels qu'ils étaient posés depuis la loi de 1992. 




Le constat est reconnu par tous : les événements climatiques extrêmes s'intensifient et imposent des conditions nouvelles, parfois jamais vues. Au regard du rythme des émissions carbone qui ne faiblit pas, nous savons d'ores et déjà que nous devrons affronter des épisodes critiques sur la plupart des bassins, à horizon 2050 et 2100. 

Le génie hydraulique : maîtriser et contrôler les eaux
Les solutions issues de l'ingénierie hydraulique visent à contrôler, contenir et réguler les flux d'eau. Elles sont au cœur de la sécurisation des aménagements existants face aux aléas naturels.

Les ouvrages de protection : la contention et diversion des flots
Ces infrastructures sont la première ligne de défense pour protéger des zones spécifiques, qu'elles soient urbaines ou économiques.
  • Digues et systèmes d'endiguement : Il s'agit d'ouvrages longitudinaux comme des remblais en terre, des murets ou des quais, qui assurent la protection d'un périmètre défini. Leur bonne gestion est un enjeu majeur pour la sécurité publique.
  • Ouvrages complémentaires : Pour être pleinement efficaces, les digues doivent être associées à des dispositifs comme des vannes ou des stations de pompage.
  • Gestion des surverses : Il est crucial de prévoir une hauteur de sécurité (revanche) sur les digues. En cas de crue exceptionnelle, un déversoir aménagé peut permettre une inondation contrôlée, bien moins dangereuse qu'une rupture brutale de l'ouvrage.
  • Entretien des fossés, curage local des cours d'eau : Les chantiers d'entretien des fossés de bords de route, bords de champs et  traversées urbaines, ainsi que localement le curage de sédiments en excès dans les lits des rivières sont indispensables pour divertir et écouler les eaux de fortes précipitions et les débits de crue. Ces chantiers doivent être simplifiés pour les propriétaires, communes et aménageurs (guide de bonnes pratiques, sans délai / complexité de déclaration ou autorisation). 
Les ouvrages de régulation : ralentir et stocker la crue
Plutôt que de simplement contenir l'eau, ces solutions visent à atténuer les pics de crue en amont des zones sensibles, principalement par du stockage temporaire.
  • Barrages écrêteurs de crue : Ces ouvrages barrent un cours d'eau pour intercepter la crue. Un orifice de fond laisse passer les débits habituels, mais lorsque le débit augmente, la retenue se remplit et "écrête" le pic de la crue.
  • Bassins de stockage en dérivation : Implantés dans le lit majeur, ces "retenues sèches" sont souvent constituées d'endiguements qui se remplissent temporairement lors d'une crue, tout en conservant leur usage agricole ou forestier le reste du temps.
  • Ouvrages anciens (moulins, étangs) : Il ne faut pas sous-estimer le rôle historique des milliers de retenues de moulins et d'étangs. Ils sont cruciaux pour la régulation des débits, le stockage de l'eau et l'alimentation des nappes phréatiques. Leur destruction est aujourd'hui considérée comme une politique contre-productive face à l'augmentation des risques hydrologiques.

Les solutions fondées sur la nature (SBN) : travailler avec les écosystèmes
En complément des approches techniques, les SBN utilisent les processus naturels pour ralentir, infiltrer et stocker l'eau.
  • Restauration du lit majeur : Préserver et restaurer les champs d'expansion des crues (ZEC) permet à la rivière de déborder naturellement, ce qui limite les débits en aval et favorise l'infiltration.
  • Aménagements des versants : Des actions comme la revégétalisation des berges, la réhabilitation de haies ou la création de talus permettent de ralentir le ruissellement de l'eau avant même qu'elle n'atteigne le cours d'eau principal.
  • Gestion des sols : La désimperméabilisation des sols, en ville comme à la campagne, est essentielle pour permettre à l'eau de pluie de s'infiltrer directement sur place et de recharger les nappes.
  • Restauration de zones humides : Les mares, étangs et autres zones humides agissent comme de véritables éponges naturelles, absorbant les excès d'eau tout en jouant un rôle de filtre et de puits de carbone.

L'anticipation et l'information : la clé de la gestion de crise
Pour les inondations rapides, l'anticipation est la clé. Une information en temps réel permet aux élus et aux citoyens de prendre les bonnes décisions au bon moment.

Les outils d'information et action en temps réel
Ces dispositifs permettent d'estimer le délai entre la détection d'un danger et ses premiers effets.
  • Vigilance Météo & Crues : Météo-France et VigiCrues sont les services de référence pour les prévisions et le suivi des phénomènes hydrométéorologiques et des niveaux d'eau.
  • Zones inondées potentielles (ZIP) : Ces cartes, destinées aux services de l'État et aux collectivités, définissent les zones à risque et aident à améliorer la planification de crise.
  • Système d'information géographique (SIG) : Des outils comme le SIRS digues permettent de conserver la mémoire des événements et de gérer les informations sur les ouvrages pour faciliter la prise de décision.
La planification de la réponse locale
L'information n'est utile que si elle est intégrée dans une organisation de réponse claire. C'est le rôles des programmes comme  le Plan Communal de Sauvegarde (PCS) ou le Plan d'intervention gradué, ainsi que des outils de pilotage (main courante,  tableau de suivi,  cartographie opérationnelle, poste de commandement).

Face aux discours officiels : un décalage criant avec les urgences du terrain
Les gestionnaires publics de l'eau affirment souvent que tout le nécessaire est déjà mis en œuvre pour faire face aux nouveaux risques. Pourtant, un examen attentif des budgets, des choix stratégiques et des résultats sur le terrain révèle une réalité bien différente.

Des budgets inadaptés aux nouvelles priorités. Face à l'urgence climatique, la répartition des budgets des Agences de l'eau semble figée dans le passé. La gestion quantitative de l'eau, essentielle pour lutter contre les sécheresses, ne représente qu'environ 11% des aides, tandis que la prévention des inondations est soutenue à hauteur de 13%. Ces chiffres sont manifestement insuffisants au regard des menaces. Les interventions crues et sécheresses demandent des budgets important pour faire la différence, car elles impliquent du génie civil et du foncier. Certaines opérations "cosmétiques" et isolées donnent un faux sentiment de sécurité, mais ont une faible capacité de stockage d'eau. C'est une intervention systémique et sur tous les postes qui est nécessaire.  À budget global constant, les budgets de gestion quantitative et de risque inondation des agences doivent impérativement augmenter, quitte à sacrifier une partie des financements alloués à la gestion qualitative, dont l'urgence est  moindre que la protection des vies et des biens.

La marginalisation scandaleuse des solutions hydrauliques. Depuis les lois sur l'eau de 1992 et 2006, les solutions fondées sur l'hydraulique et le génie civil ont été progressivement marginalisées au profit d'une approche favorisant la "renaturation". Pire encore, on estime que 5 à 10% des budgets publics des 20 dernières années ont pu être consacrés à la destruction d'ouvrages hydrauliques (seuils, petits ou grands barrages, biefs de moulins, canaux irrigation, étangs et plans d'eau en lit mineur) qui jouent pourtant un rôle utile dans la régulation des débits et le stockage de l'eau. Cette politique, menée au nom d'une vision dogmatique de l'écologie, nous a privés d'outils précieux pour la gestion des crues et des étiages. Elle doit disparaître des SAGE, des SDAGE et des plans de gestions. Les acteurs de l'hydraulique petite ou grand doivent être associés à l'enjeu de régulation de l'eau, les ouvrages doivent être entretenus, restaurés, gérés ave l'accompagnement positif des pouvoirs publics, et non l'indifférence ou l'hostilité comme aujourd'hui. 

Une alerte des populations qui reste trop souvent un vœu pieux. On le constate à presque chaque drame : l'alerte en temps réel et l'information des populations et des élus restent un maillon faible. Les alertes arrivent souvent trop tard, et les bonnes pratiques, pourtant bien documentées dans les plans de sauvegarde, ne sont pas toujours intégrées dans les réflexes locaux. Tant que la culture du risque et les systèmes d'alerte ne seront pas considérés comme une priorité, nous continuerons de déplorer des catastrophes qui auraient pu être évitées.

Conclusion : une stratégie intégrée pour un avenir plus sûr
La gestion moderne des inondations ne peut se permettre d'opposer les solutions les unes aux autres. La protection efficace de nos territoires repose sur une mobilisation de toutes les options, sans exclusive. Le génie hydraulique reste un impératif pour la sécurité des zones à enjeux, tandis que les solutions fondées sur la nature apportent une résilience de fond aux bassins versants. Ces stratégies de prévention doivent impérativement être couplées à des systèmes d'information et de planification de crise performants pour garantir une réponse rapide et coordonnée.

Face à un climat qui change, la prudence commande de renforcer nos capacités dans chacun de ces domaines, en assurant que les compétences techniques et les financements soient à la hauteur des défis qui nous attendent.

28/09/2025

Quand la rivière tue, priorité doit être donnée à la sécurité des citoyens

Le 22 septembre 2025, une femme de 55 ans perdait la vie à Guingamp, emportée par une crue soudaine. Un drame terrible, rendu encore plus insupportable par le lieu de l'accident : la vallée de Cadolan, qui venait de faire l'objet d'un chantier de "renaturation" à près d'un million d'euros, censé lutter contre les inondations. Cet événement tragique rappelle que la rivière tue : le risque zéro est impossible, mais le devoir du gestionnaire public de l'eau est de protéger les citoyens. Or la politique de l'eau a fait depuis des décennies le choix idéologique de la "restauration écologique des rivières" au détriment du génie hydraulique et de la protection des populations, qui se retrouvent sous-financés. Face à l'urgence climatique, il est temps de replacer la sécurité des personnes et la maîtrise de l'eau au cœur d'une véritable politique de gestion des bassins versants.


(DR, actu.fr)

Le lundi 22 septembre 2025, à 7h15 du matin, une agente du lycée Pavie s'engage sur la route du lieu-dit Cadolan. Le département est en proie à ce que Météo France qualifie d'"épisode pluvieux remarquable", avec des cumuls atteignant plus de 150 mm dans le secteur de Plouha entre le dimanche midi et le lundi matin. Alors qu'il fait encore nuit, sa voiture est surprise par une montée des eaux fulgurante. L'issue sera fatale.

Ce drame exprime aussi un échec. Car la vallée de Cadolan n'est pas un lieu anodin. C'est le site d'un projet phare de l'agglomération Guingamp-Paimpol, une opération de réhabilitation écologique à 840 000 euros. L'aménageur lui-même expliquait que l'idée initiale était de créer cet espace "pour éviter la construction d'un nouveau barrage qui permettait de lutter contre les inondations". 

Le résultat ? Face à une crue réelle, le secteur engorgé s'est transformé en piège mortel.

La politique de l'eau : tout pour l'écologie, plus grand chose pour l'hydraulique
Pour comprendre comment on a pu en arriver là, il faut se plonger dans les documents qui orientent la politique de l'eau sur chaque territoire, comme le SAGE voisin de la Baie de Lanion ou les documents de l'Agglomération de Guingamp-Paimpol. On y parle de préserver les "zones d'expansion des crues" ou de "sensibiliser à la culture du risque". On y évoque des "solutions fondées sur la nature" et des "restaurations écologiques". Pas un mot sur les solutions de génie hydraulique qui ont fait leurs preuves depuis des décennies. Pas un mot sur des barrages de retenue en amont, des digues de protection ou des canaux de contournement pour dévier les crues des zones habitées. La doctrine publique de gestion de l'eau est devenue : on ne s'oppose plus à l'eau, on lui laisse de la place. C'est un choix politique qui, au nom de la nature, abandonne des décennies de savoir-faire en matière de sécurité hydraulique.

Pire, cette doctrine publique a conduit à se priver des outils de régulations de l'eau, en particulier les barrages et canaux qui soit sont découragés et sous-financés, soit carrément détruits volontairement quand ils existent. 

Dans cette région de Guingamp-Paimpol-Lannion, l'idéologie de la destruction des barrages et la vénération des rivières "sauvages" n'est pas nouvelle. On peut remonter à 1996. Cette année-là, le barrage de Kernansquillec sur le Léguer, un ouvrage de 15 mètres de haut, fut entièrement démoli. Bien que situé sur un bassin versant voisin du Trieux (donc sans impact sur le cas de Guingamp), son démantèlement fut érigé en exemple régionale et national ; il a servi de déclencheur politique et idéologique à la doctrine de "l'effacement" systématique des ouvrages hydrauliques, qui fut ensuite le dogme appliqué partout, en Bretagne et en France.

La circulation de la truite ou du saumon passe après les vies humaines
Face à la tragédie de Guingamp, les citoyens sont en droit de demander des comptes à l'agence de l'eau, à l'agglomération Guingamp-Paimpol et aux acteurs à compétence Gemapi, qui appliquent ces orientations.

Comment peut-on justifier de dépenser des millions d'euros d'argent public dans une politique qui fait de la circulation de la truite ou du saumon une priorité, tout en ignorant les outils les plus efficaces pour protéger les vies humaines ? Comment peut-on se contenter de brandir des "solutions fondées sur la nature" sans garantir qu'elles seront efficaces en crue, sans évaluer l'eau stockée par ce biais, sans alerter les citoyens du nouveau régime d'écoulement que cela implique ? 

La priorité absolue doit être la sécurité et la santé des personnes. L'écologie de la "restauration", aussi louable soit-elle, ne peut primer sur cet impératif. Que l'on investisse dans des solutions fondées sur la nature, comme de véritables zones humides d'expansion de crues, pourquoi pas. Mais d'abord à condition que l'efficacité soit démontrée. Ensuite en complément, et non en remplacement, des ouvrages de protection active ainsi que de la gestion technique des ruissellements en zone urbaine.

L'aménagement de la vallée de Cadolan a montré les limites de la seule renaturation, et cela de la plus tragique des manières.

Pour un changement de cap : la sécurité d'abord
L'heure est à l'action. Il faut un moratoire immédiat sur toute destruction de barrages et de seuils qui participent, même modestement, à la régulation des eaux. Il est vital de réinvestir dans une approche hydraulique robuste, et même de reprendre la construction d'ouvrages de protection là où c'est nécessaire. Cela implique également de financer en priorité des systèmes d'alerte météo et de crues plus réactifs et plus localisés, pour que ni les citoyens, ni même les élus, ne soient surpris par une montée des eaux fulgurante en pleine nuit.

Cela passe aussi par un changement dans les mentalités et les compétences. Les agents publics qui gèrent nos rivières doivent être formés au génie hydraulique et à la gestion des risques, pas seulement à la biologie et à la morphologie des cours d'eau.

Cet impératif est rendu encore plus criant par le réchauffement climatique. Les experts nous alertent depuis plus de 20 ans : les événements extrêmes vont devenir plus fréquents et plus intenses. Pourquoi, dans ce cas, nos aménageurs n'ont-ils pas réfléchi plus tôt au dimensionnement des projets ? Pourquoi ne pas avoir compris le coût énorme que représente une maîtrise correcte des écoulement en zone agricole et urbaine, donc la nécessité de concentrer et non disperser l'effort public en subventions et en personnels ?  

Continuer sur la voie actuelle, c'est faire le choix de l'impréparation. Un choix inacceptable. Un choix qui doit disparaître des SDAGE et des SAGE. 

Protéger la biodiversité est nécessaire, restaurer des naturalités peut être utile. Mais garantir la sécurité et la santé des habitants est le premier devoir du gestionnaire public. Il est temps de remettre l'ingénierie, la prudence et le bon sens au cœur de la gestion de nos rivières. Avant qu'une autre crue ne vienne nous rappeler, de la plus brutale des manières, le coût de nos égarements par rapport à la hiérarchisation et la priorisation des actions. 

21/09/2025

Plongée dans l'histoire de la Seine, ses crues et ses barrages

Pour les passionnés d'histoire des techniques et des ouvrages hydrauliques, le livre de Denis Cœur, "Barrages-réservoirs et crues de la Seine", est une  pépite. Bien plus qu'une simple chronique des inondations parisiennes, cet ouvrage nous offre un récit passionnant de la naissance d'une science, l'hydrologie, et de son influence sur quatre siècles d'aménagement du territoire. Cette lecture est utile pour comprendre comment notre relation au fleuve s'est construite, entre savoirs empiriques, innovations scientifiques et décisions politiques. À l'heure où le changement climatique nous force à réinterroger nos infrastructures, ce retour aux sources est d'une pertinence remarquable. 


Le livre s'ouvre sur une période où la connaissance du fleuve est avant tout pragmatique et locale. Denis Cœur nous montre que les premiers "hydrologues" étaient les navigants, les commissaires des ports et les meuniers. Leurs savoirs, transmis oralement, étaient basés sur des repères de crue gravés sur une pile de pont ou un rocher, essentiels pour la navigation et le flottage du bois vers Paris.

Au commencement, des relevés empiriques des niveaux d'eau
L'intérêt principal de cette première partie est de nous faire vivre la transition d'un savoir empirique à une véritable science de la mesure.

L'auteur met en lumière un tournant décisif : l'installation de la première échelle hydrométrique sur le pont de la Tournelle à Paris en 1732. Cet outil simple marque le début de l'enregistrement systématique et quotidien des hauteurs d'eau, fournissant la matière première aux premières analyses scientifiques.

On découvre aussi les travaux fondateurs de figures comme Philippe Buache, qui dresse les premières cartes des zones inondées (comme celle de la crue de 1740) et les premiers "limnigrammes" (graphiques de variation des hauteurs d'eau). Ou les avancées de Gaspard Riche de Prony, qui systématise le nivellement de la Seine et corrèle les hauteurs d'eau aux relevés de pluviométrie.

Concernant les ouvrages, l'auteur montre bien que la lutte contre les inondations reste pensée à l'intérieur de la cité. Après la crue dévastatrice de 1658, les projets fleurissent : canaux de dérivation, mais aussi surélévation des quartiers bas. Ces projets, bien que rarement réalisés, témoignent d'une conception où la ville doit se défendre sur elle-même.

Belgrand et le temps des ingénieurs
La seconde partie de l'ouvrage traite de l'âge des ingénieurs après celui des pionniers. Elle est dominée par la figure tutélaire d'Eugène Belgrand. C'est ici que l'analyse prend toute son ampleur en montrant comment un modèle scientifique a pu façonner durablement les politiques d'aménagement.

Denis Cœur décortique la mise en place, dès 1854, du service hydrométrique du bassin de la Seine. Belgrand ne se contente plus de mesurer l'eau à Paris ; il déploie un réseau de stations sur l'ensemble du bassin versant. En articulant géologie, pluviométrie et hauteurs d'eau, il établit une "loi" fondamentale : les grandes crues de la Seine sont un phénomène de saison froide, lorsque les sols imperméables du Morvan et de la Haute-Marne sont saturés. Les crues d'été, bien que possibles, sont considérées comme des exceptions statistiquement marginales.

D'où le paradoxe des barrages-réservoirs, point le plus intéressant de l'ouvrage. Pendant des décennies, s'appuyant sur le modèle de Belgrand, les ingénieurs rejettent l'idée de grands barrages en amont, les jugeant inefficaces contre les crues d'hiver et trop coûteux. L'idée de créer de grandes retenues pour contrôler les crues est sérieusement étudiée sous Napoléon III après les inondations de 1856. Cependant, elle est longtemps rejetée par les ingénieurs, y compris par Belgrand, qui la jugeait inefficace contre les grandes crues de la Seine et d'un coût prohibitif. Même après la crue de 1910, la Commission Picard écartera cette solution. Le projet ne s'impose qu'après la Première Guerre mondiale, notamment sous l'impulsion d'Henri Chabal dans les années 1920. Le changement décisif est de ne plus penser les réservoirs uniquement pour l'écrêtement des crues, mais comme des outils polyvalents servant aussi au soutien d'étiage (rendu crucial par la sécheresse de 1921), à l'alimentation en eau de Paris, à l'irrigation et à la production d'énergie.

Les grands barrages multi-usages, une hydraulique d'intérêt général
L'ouvrage montre très bien que la conception des quatre grands lacs-réservoirs (Pannecière, Seine, Aube, Marne) est le fruit d'un "parti maximum économique". Ce compromis vise à stocker l'eau des crues d'hiver pour la restituer durant les sécheresses d'été. Ce faisant, ce mode de gestion, basé sur le modèle de Belgrand, a structurellement "masqué" le risque des crues estivales, car les réservoirs se doivent d'être pleins à la fin du printemps et n'ont donc plus de capacité de stockage disponible pour une crue de saison chaude.


Il faut enfin souligner la richesse des annexes qui concluent l'ouvrage. Pour tout amateur d'histoire technique, c'est une mine. On y trouve des plans de ponts du XVIIIe siècle, avec les repères de navigation, la toute première feuille de relevés de l'échelle du pont de la Tournelle de 1732, des profils de projets de "séquanomètres" (ancêtres des limnigraphes), des cartes des inondations historiques (1740, 1802, 1910) dressées par les acteurs de l'époque comme Buache ou Belgrand, des tableaux de données brutes, des extraits de règlements et des correspondances administratives qui donnent vie au récit.

Ces documents, magnifiquement reproduits, permettent de visualiser concrètement les étapes de la construction de ce savoir hydrologique.

"Barrages-réservoirs et crues de la Seine" est un ouvrage remarquable de clarté et d'érudition. Denis Cœur réussit le tour de force de rendre accessible une histoire complexe, à la croisée des sciences de l'ingénieur, de la décision politique et des transformations du territoire. C'est une lecture indispensable pour quiconque s'intéresse à l'histoire de Paris et de la Seine, à l'ingénierie hydraulique, ou plus largement à la manière dont les sociétés composent avec les "colères" de la nature. Le livre  nous rappelle que nos infrastructures les plus solides reposent toujours sur un socle de connaissances, avec ses certitudes, mais aussi ses angles morts. Et que le génie hydraulique agrège plusieurs siècles de savoirs qui ont été, hélas, quelque peu négligés ces dernières décennies dans les politiques de l'eau en France. 

Référence : Cœur D., 2024. Barrages-réservoirs et crues de la Seine. Une brève histoire de l'hydrologie du XVIIe au XXe siècle. Versailles, Éditions Quæ, 134 p. A noter qu'il existe une version électronique gratuite (epub, pdf).

09/09/2025

Légitime défense du bief, de ses frayères et de ses poissons par les riverains

 Le Tribunal de police de Laval a récemment rendu une décision de justice intéressante  : un propriétaire et un riverain d'un moulin, initialement condamnés pour ne pas avoir respecté la réglementation d'un SAGE sur la gestion de l'eau, ont été relaxés. La raison? L'un d'eux a agi en "état de nécessité" pour sauver les poissons et frayères de son bief. Un précédent dont peuvent s'inspirer d'autres maîtres d'ouvrage confrontés à des règles bureaucratiques aberrantes qui détruisent les milieux en place. 

Deux copropriétaires d'un ouvrage hydraulique (un moulin) ont été poursuivis pour ne pas avoir ouvert les vannes de leur installation durant l'hiver 2023, comme l'exige le Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) local. Ils avaient initialement été condamnés à une amende de 500 euros chacun.

Contestant cette décision, ils ont porté l'affaire devant le tribunal. Lors de l'audience, les arguments ont été les suivants :

  • L'un des copropriétaires a expliqué qu'il lui était matériellement impossible de manœuvrer les vannes, car le mécanisme se situait sur la parcelle de son voisin.
  • Le second propriétaire, qui avait bien l'accès, a reconnu ne pas avoir ouvert l'ouvrage. Il a justifié son acte par la nécessité de protéger la vie aquatique. Selon lui, l'ouverture des vannes aurait provoqué l'assèchement d'un bras de la rivière, menant à la mort des poissons et à la destruction de leurs zones de reproduction. Pour le prouver, il a fourni un constat d'huissier confirmant ses dires.

Le tribunal a jugé ces arguments recevables. Il a relaxé le premier propriétaire en raison de son impossibilité d'agir. Plus important encore, il a relaxé le second propriétaire en invoquant l'article 122-7 du Code pénal, qui concerne l'état de nécessité. Le juge a estimé que le propriétaire avait commis une infraction pour faire face à un "danger imminent" menaçant la faune et que son action était "nécessaire à la sauvegarde des poissons" et proportionnée à la menace.

"L'article 122-7 du code pénal dispose que n'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace." 

"En l'espèce, Monsieur X face au danger imminent qui menaçait son bief et la vie des poissons le composant a maintenu les clapets fermés ce qui était nécessaire à la sauvegarde des poissons, et ce sans disproportion ente les moyens employés et la gravité de la menace." 

Référence : Tribunal de police de Laval, 24 mars 2025, n° de minute 13/2025

23/08/2025

Entretien des rivières, la mission oubliée et négligée par le gestionnaire public

L’entretien courant des cours d’eau – autrefois mission importante des syndicats de bassin – est désormais abandonné au profit de politiques centrées sur la faune, la flore et les continuités écologiques. Ce basculement idéologique et financier laisse les riverains seuls face aux embâcles et aux arbres malades ou frappés par le changement climatique, sans moyens ni coordination. Les conséquences sont lourdes : risques accrus pour la sécurité publique lors des crues et tempêtes, dégradation du paysage, perte d’agrément pour les habitants et usagers des rives.


Un lecteur nous transmet cette position d'un syndicat local de rivière, concernant la gestion des embâcles et ripisylves. 

Ce cas particulier reflète les situations que nous observons un peu partout.

« Entretien - Lors des années passées, le SMYB réalisait principalement de l’entretien de cours d’eau. Celui-ci était effectué pour palier à l’absence d’intervention de la part des propriétaires riverains. Ces interventions étaient et sont possibles grâce à une déclaration d’intérêt générale (arrêté 58-2021-11-26-00001, délivré en date du 26/11/21 par le préfet de la Nièvre et le 01/12/21 par le préfet de l’Yonne). Dans le cadre du 12ème programme de l’agence de l’eau seine Normandie, il n’y aura plus de financement sur la thématique « entretien » comprenant la gestion des embâcles et des berges.

Il est rappelé que le propriétaire riverain reste propriétaire de sa berge ainsi que du fond du lit jusqu’à une ligne imaginaire tracé au milieu de la rivière. Il est donc de son devoir d’entretenir la végétation présente sur la berge lui appartenant et reste responsable des dégâts que celle-ci pourrait occasionner. Cependant, à ce jour, il n’existe aucune règlementation l’obligeant de le faire.

Toutefois, le maire de la commune peut appliquer son pouvoir de police dans le cas où la végétation engendrerait un risque pour les biens et les personnes.

Concernant la gestion des embâcles dans les ouvrages :

 Pour les ouvrages routiers :
§ Pour une route départementale – la gestion revient au département,
§ Pour une route communale – la gestion revient à la commune,
§ Pour un ouvrage privé – la gestion revient au propriétaire de l’ouvrage.

 Pour les moulins : le propriétaire doit pouvoir gérer et/ou manœuvrer son ouvrage en tout temps. De plus, le bief de moulin est souvent considéré comme une surface bâtie ; de fait, il se doit également d’en assurer le bon fonctionnement et l’entretien. Les interventions sur l’entretien des biefs ne relèvent pas de l’intérêt général, donc le SMYB ne peut pas intervenir sauf pour de l’accompagnement technique.

Ceci dit, les agents du SMYB apporteront toujours un accompagnement technique et administratif (marquage des arbres, réalisation de demande de devis, rédaction des documents administratifs et règlementaires et suivi de chantier…) sur ce volet.

En 2024, l’agence de l’eau seine Normandie avait débloqué des fonds exceptionnels (financement à 60 %) pour la gestion des embâcles liés aux crues juin 2024 sur les communes déclarées en catastrophe naturelle. Il est possible que ces fonds soient renouvelés, avec toutes les incertitudes que cela comporte.

Pour rappel :
 2013-2018 : 10ème programme de l’agence de l’eau - 80% de subvention pour l’entretien,
 2019-2024 : 11ème programme de l’agence de l’eau – 40% de subvention pour l’entretien,
 2025-2030 : 12ème programme de l’agence de l’eau – fin des subventions.

Le seul entretien réalisé par le SMYB est celui concernant les travaux préparatoires avant la réalisation des aménagements sur la ou les parcelles concernées. Mais aussi des travaux d’optimisation sur les projets déjà réalisés visant à assurer leur pérennité et leurs fonctionnalités. »


L’entretien des rivières, une mission en déshérence

Jusqu’aux années 1990, l’entretien des cours d’eau constituait une mission prioritaire pour les syndicats de bassin et leurs partenaires publics. Les chantiers concernaient la gestion des embâcles, la maîtrise de la végétation sur les berges, le suivi de certains ouvrages (retenues et biefs). Ils répondaient à une double exigence : la sécurité des biens et des personnes, la qualité paysagère et hydraulique des territoires.

À partir des années 1990, un changement de paradigme s’est imposé. Portée par l’idée (ou l'utopie) d’un «retour heureux à la nature sauvage», la politique de l’eau a progressivement déplacé ses priorités. Les agences de l’eau et les syndicats ont concentré leurs moyens sur les continuités écologiques et la restauration d’habitats pour la faune et la flore. Les attentes humaines et riveraines – sécurité, usages locaux, cadre de vie, entretien courant – ont été reléguées au second plan.

Ce basculement s’est accompagné d’un désengagement financier. Les subventions pour l’entretien ont d’abord été réduites, puis supprimées, laissant toute cette charge aux propriétaires riverains. Or, ceux-ci ne disposent ni des équipements lourds nécessaires pour dégager les arbres tombés, ni des compétences techniques ou de la coordination indispensable pour agir à l’échelle d’un linéaire. D'autant que les chantiers sont devenus terriblement complexes en raison des obligations et procédures environnementales, conçues justement pour décourager et non encourager l'intervention humaine en milieu naturel ! Même les communes, syndicats ou parcs qui veulent encore agir passent plus de temps à remplir des dossiers qu'à réaliser des chantiers...

Le résultat est un vide juridique et opérationnel : les embâcles se multiplient, les crues et tempêtes emportent des troncs malades ou affaiblis, les risques pour les infrastructures et les personnes augmentent.

Les étangs et moulins, retenues et biefs, qui jouent encore un rôle de filtre et de régulation, sont ignorés, voire considérés comme des obstacles à supprimer, alors qu’ils pourraient être des partenaires utiles si leur contribution était reconnue et appuyée.

L’entretien des rivières se trouve donc aujourd’hui dans une impasse. L’autogestion collective des riverains, souvent évoquée comme solution, reste théorique : elle se heurte au coût des chantiers et à la complexité croissante des règles, ainsi qu'à la difficulté de coordination d'un parcellaire riverain très morcelé. Faute d’une réaffirmation claire de l’entretien des rives et des rivières comme mission d’intérêt général, soutenue par des financements et une ingénierie publique, les territoires restent exposés à une défaillance généralisée.

En ce domaine comme en d’autres, il devient nécessaire de réviser certains choix publics opérés depuis trente ans dans les lois sur l'eau. Le souci légitime de l’écologie ne saurait signifier l’abandon des habitants et usagers humains des rives : la protection de la faune et de la flore doit aller de pair avec la sécurité publique et la qualité de vie des riverains.

Photos et source : Yves Mercier, Associations des moulins de la Nièvre et du Morvan. 

03/08/2025

Les rivières, fuite massive du vieux carbone vers l’atmosphère (Dean et al 2025)

Une étude internationale révèle que plus de la moitié du CO₂ émis par les rivières provient de carbone ancien, stocké depuis des millénaires dans les sols et les roches. Cette découverte remet en question notre compréhension des bilans carbone terrestres et du rôle réel des écosystèmes continentaux dans la régulation climatique. Elle devrait également intéresser les politiques de l'eau, dont le bilan d'impact carbone est à ce jour quasiment absent. 

Les processus décrits dans l'article et les modélisations des âges du carbone, extrait de l'article cité. 

Les rivières jouent un rôle crucial dans le cycle global du carbone : elles ne se contentent pas de transporter du carbone vers les océans, elles en rejettent aussi sous forme de gaz à effet de serre comme le CO₂ et le CH₄. Jusqu’à présent, on pensait que ces émissions provenaient essentiellement de la respiration d’organismes décomposant de la matière végétale récente (moins de quelques décennies).

Dans cette étude, Joshua Dean et ses collègues ont rassemblé et analysé une base de données mondiale inédite portant sur la signature radiocarbone (⁽¹⁴C⁾) du carbone dissous dans les rivières. Ce marqueur isotopique permet de distinguer les sources de carbone récentes (après 1955) de celles beaucoup plus anciennes. Grâce à 1 195 mesures provenant de 67 études sur tous les continents, les chercheurs ont pu estimer l’âge du carbone émis par les rivières à l’échelle globale.

L’analyse montre que 59 % des émissions de CO₂ fluvial proviennent de carbone ancien : soit de sources millénaires (âgées de plusieurs centaines à plusieurs milliers d’années), soit de carbone dit « pétrogénique » (issu de roches et datant de plus de 50 000 ans). Cela correspond à un flux de 1,2 ± 0,3 milliards de tonnes de carbone par an, soit un ordre de grandeur comparable au bilan net de puits de carbone des écosystèmes terrestres.

Le modèle développé par les auteurs prend en compte les caractéristiques géologiques, climatiques et écologiques des bassins versants. Il montre notamment que :
  • les rivières situées dans des zones sédimentaires (riches en carbonates ou matières organiques fossiles) émettent un CO₂ plus ancien,
  • les zones de montagne ou les régions avec des sols profonds ou perturbés (drainage, agriculture) sont aussi associées à des émissions plus anciennes,
  • les petits et grands bassins versants contribuent tous à ce phénomène, contredisant l’idée selon laquelle seules les petites rivières seraient concernées par ce recyclage du vieux carbone.
Leur approche repose sur une modélisation isotopique intégrant les contributions de trois grandes sources de carbone : récente (dite « décennale »), ancienne (dite « millénaire ») et pétrogénique (issue des roches). Pour distinguer les parts respectives, les auteurs utilisent un modèle de mélange isotopique, renforcé par une simulation Monte Carlo et une approche bayésienne indépendante. Ces outils permettent d’estimer des contributions moyennes et leur incertitude statistique.

Les auteurs reconnaissent toutefois plusieurs limites à garder à l'esprit : la base de données demeure hétérogène dans la qualité et la répartition spatiale des mesures ; certaines zones restent peu représentées, et les données anciennes sont peu nombreuses. De plus, les apports en carbone issus de l’érosion, de la respiration souterraine ou de l’activité microbienne restent complexes à isoler avec précision. Les modèles utilisés fournissent donc des estimations de premier ordre, robustes mais sujettes à révision avec de nouvelles données. Enfin, il n’est pas encore possible de déterminer si la part croissante de carbone ancien observée est liée à des perturbations humaines récentes ou à des tendances naturelles.

Ces résultats bouleversent les hypothèses classiques du cycle du carbone terrestre, qui considéraient les émissions fluviales comme un simple prolongement de la respiration des écosystèmes actuels. Si les rivières libèrent en réalité du carbone stocké depuis des millénaires, cela implique que des réservoirs supposés stables (sols profonds, roches, tourbes) perdent du carbone vers l’atmosphère, ce qui accentue indirectement l’effet de serre.

Cela pose aussi un défi aux modèles climatiques : le puits de carbone terrestre serait surestimé si l’on ne tient pas compte de cette « fuite latente ». Par ailleurs, les activités humaines (drainage, déforestation, perturbations du sol) pourraient amplifier cette libération de carbone ancien, notamment en modifiant les chemins d’écoulement de l’eau ou en accélérant l’érosion.

Enfin, les auteurs soulignent que la part croissante de vieux carbone dans les émissions fluviales pourrait indiquer un dérèglement progressif des stocks profonds, en lien avec le changement climatique.

Discussion
Cet article illustre  que la recherche en science de l’environnement peut progresser en permanence, remettre en cause des schémas établis et révéler des processus insoupçonnés. La découverte du rôle central des vieux stocks de carbone dans les émissions fluviales est une surprise qui change notre regard sur les bilans globaux des gaz à effet de serre.

Ce sujet du carbone en général peine à pénétrer les politiques de gestion de l’eau, hors le sujet des zones humides. Sur de nombreux chantiers suivis par notre association, nous avons constaté que la question du cycle du carbone est quasiment absente des réflexions. Or, les choix d’aménagement des bassins versants, la restauration (ou non) de la morphologie des rivières, les pratiques de drainage, de retenues ou de remblaiement ont des effets directs sur la mobilisation ou la stabilisation de ce carbone ancien. Ignorer ces dynamiques, c’est risquer de renforcer à notre insu les émissions de gaz à effet de serre.

Référence : Dean JF et al (2025), Old carbon routed from land to the atmosphere by global river systems, Nature, 642, 105–111.