Une nouvelle étude de chercheurs allemands montre que même après 15 ans, les mesures de restauration morphologique des rivières ne parviennent pas à produire le bon état écologique au sens de la directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000). Les résultats sont plus notables en berge (carabes, végétation riveraine) que dans les peuplements aquatiques (poissons, invertébrés, macrophytes), ces derniers ne permettant pas d'observer des variations significatives dans le temps. Il paraît donc important que les gestionnaires publics des rivières ré-évaluent la portée de leurs actions : recalage des objectifs de la DCE, rigueur dans le suivi des opérations, évaluation comparée plus fine des différentes mesures de restauration, débat sur le coût des interventions et l'évolution avant-après des services rendus par les écosystèmes aux citoyens.
La recherche en écologie appliquée a montré que la restructuration hydromorphologique des rivières a souvent peu d'effets sur le biote aquatique, même en cas de forte altération de l'habitat. Les scientifiques supposent que la réponse biotique est simplement retardée car les espèces ont besoin de plus de temps pour recoloniser les nouveaux habitats et établir des populations.
Pour identifier et spécifier ce temps de latence supposé entre la restauration et la réponse biotique, Armin W. Lorenz et ses 4 collègues ont étudié 19 tronçons de rivière réaménagés, et cela deux fois (2007-2008, 2012-2013) dans un intervalle de cinq ans. Les sites avaient été restaurés un à dix ans avant le premier échantillonnage, ce qui permet de vérifier si les variations de durée écoulée depuis la restauration se traduisent par des variations biologiques (espèces observées). Ces rivières se situent en plaine ou en basse montagne.
Les chercheurs ont échantillonné trois assemblages d'espèces aquatiques (poissons, invertébrés benthiques, macrophytes) et deux groupes d'organismes riverains (Carabidés, c'est-à-dire des coléoptères terrestres, et végétation riveraine). Ils ont analysé les changements dans la composition des assemblages de ces espèces et dans les paramètres biotiques. Ils ont aussi vérifié si l'état écologique de la rivière tel qu'il est mesuré par la directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) a changé avant et après la restauration.
Changements dans le nombre de taxons (a), l'abondance (b),le nombre (c) et le % d'abondance (d) des espèces indicatrices. FI = poisson, MIV = macro-invertébrés, MP = macrophytes, RV = végétation riveraine, GB = carabes. La ligne centrale indique la médiane des données, le premier et le troisième quartiles définissent la boîte à moustaches. Cliquer pour agrandir. Source : art cit, droit de courte citation.
Les chercheurs résument ainsi leur principaux résultats : "
À l'exception des assemblages de carabes, nous n'avons observé aucun changement important dans les paramètres de mesure de la richesse et de l'abondance utilisés pour l'évaluation biologique. Toutefois, les taxons indicateurs des conditions d'habitat quasi naturel dans la zone riveraine (indicateurs d'inondation régulière chez les plantes et de spécialistes des berges chez les carabes) se sont considérablement améliorés au cours de l'intervalle de cinq ans. Contrairement aux attentes générales en matière de planification de la réhabilitation des rivières, nous n'avons pas observé de succession distincte de communautés aquatiques ni de tendance générale vers un 'bon état écologique' au fil du temps. De plus, plusieurs modèles de régression linéaire ont révélé que ni le temps écoulé depuis la restauration ni l'état morphologique n'ont eu d'effet significatif sur les mesures biologiques et les résultats de l'évaluation. Ainsi, la stabilité des assemblages aquatiques est forte, ce qui ralentit les effets de restauration dans la zone aquatique, alors que les assemblages riverains s'améliorent plus rapidement."
Les auteurs rappellent que plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer la relative stabilité des assemblages aquatiques malgré les restaurations morphologiques :
- longueur insuffisante des tronçons de rivières restaurées,
- potentiel de recolonisation (populations sources) absentes,
- influences prédominantes d'autres impacts du bassin versant,
- durée longue nécessaire au retour de la biodiversité attendue.
Ils concluent en soulignant que des ré-introductions artificielles d'espèces cibles peuvent aider à accélérer le processus de recomposition biologique.
Discussion
Quand le bilan de restauration physique des rivières est réalisé par des scientifiques plutôt que par des associatifs ou des organismes administratifs, la conclusion est généralement plus sévère. Ce point avait été soulevé en France dans un travail montrant que le bénéfice des opérations est inversement proportionnel à la rigueur de l'examen des résultats (
Morandi et al 2014). Contrairement à une idée reçue, les discussions des chercheurs en écologie appliquée à la restauration de rivières sont plutôt dominées depuis une dizaine d'années par un constat d'écart entre les attentes et les résultats (voir
cette synthèse sur 2005-2015)
Les rivières et leurs bassins versants sont soumis à de multiples pressions, à différentes échelles spatiales et temporelles, avec des effets complexes (additifs, synergistiques, antagonistes). Ces hydrosystèmes sont modifiés, parfois lourdement, et généralement depuis longtemps. Des travaux de modélisation ont souvent montré que les usages des sols sur le bassin versant - pression diffuse et difficile à corriger - exercent un impact plus notable que des altérations locales d'habitats.
Par ailleurs, la restauration physique de rivière concerne des interventions différentes sur le lit mineur, la berge ou le lit majeur - en Allemagne, on pratique plus souvent des interventions stationnelles pour créer des micro-habitats, en France on investit davantage dans la continuité longitudinale. Il faut donc aller dans le détail des types de mesures et des résultats pour vérifier leurs effets relatifs.
Quoiqu'il en soit, ces travaux de recherche sur l'évaluation critique de la restauration devraient conduire les gestionnaires à rappeler plusieurs choses :
- l'espoir que la restauration physique / morphologique de rivière parvienne à produire le bon état écologique au sens de la DCE dans les délais impartis par l'Europe (en 2015, 2021 ou 2027 au maximum) n'est guère fondé,
- le caractère multifactoriel, ancien et profond des altérations de bassins versants implique que les coûts d'intervention et de restauration vont être cumulatifs et considérables, ce qui pose la question du consentement à payer des citoyens pour les objectifs que l'on se fixe, pour le délai espéré dans l'atteinte ces objectifs et pour les services réellement rendus par les écosystèmes restaurés.
La DCE 2000 va connaître un cycle de ré-examen sur la période 2019-2021. Il serait utile que les chercheurs, les administratifs et les politiques en profitent pour tenir un discours de vérité, et repenser les objectifs de manière plus réaliste (au plan écologique et biologique, mais aussi économique et social).
Référence : Lorenz AW et al (2018),
Revisiting restored river reaches – Assessing change of aquatic and riparian communities after five years, Science of the Total Environment, 613–614,1185–1195