23/05/2025

La loi dit non, l’administration passe outre et le Conseil d'Etat valide…

Le code de l’environnement interdit explicitement les destructions d’ouvrages hydrauliques en rivières classées liste 2 de continuité écologique, mais le Conseil d’État valide le financement préférentiel de ces chantiers sur argent public. Un paradoxe juridique qui interroge la portée réelle de la volonté parlementaire aujourd'hui. Notre association et la FFAM ont maintenu un autre contentieux sur le même thème pour pousser le Conseil d'Etat à préciser comment un choix condamné par la loi peut se retrouver encouragé par une administration. Ce qui est, in fine, une vision curieuse de l'état de droit. Et une posture jugée méprisante par les riverains, qui n'apaisera pas les critiques nombreuses contre les choix de l'administration de l'eau. 


Le 25 mars 2025, le Conseil d'État a rendu une décision concernant les programmes pluriannuels d'intervention (PPI) des agences de l'eau, notamment en ce qui concerne le financement de la destruction d'ouvrages hydrauliques dans le cadre de la continuité écologique.

Contexte
Les agences de l'eau élaborent des PPI pour orienter leurs actions et financements en matière de gestion de l'eau. Ces programmes peuvent inclure des mesures visant à restaurer la continuité écologique des cours d'eau, notamment par la suppression ou l'aménagement d'ouvrages hydrauliques entravant la libre circulation des espèces aquatiques et le transport des sédiments.

Décision du Conseil d'État
Dans cette affaire, des requérants (dont Hydrauxois et la FFAM) contestaient la légalité d'un PPI de l'agence de l'eau Loire-Bretagne, arguant que le financement de la destruction d'ouvrages hydrauliques, tels que des moulins fondés en titre, était illégal, notamment au regard de la loi climat et résilience de 2021 ayant modifié le code de l'environnement, et en particulier les principes de mise en oeuvre de la continuité écologique.

Le Conseil d'État a rejeté ces arguments, confirmant que :
  • La légalité d'un PPI ne peut être remise en cause par une éventuelle illégalité du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) auquel il se réfère.
  • Le PPI peut légalement prévoir le financement de la destruction d'ouvrages hydrauliques dans le cadre de la restauration de la continuité écologique, y compris pour des moulins fondés en titre, dès lors que ces actions ne sont pas rendues obligatoires et respectent les droits des propriétaires.
Le paragraphe est pour le moins lapidaire, sinon obscur :
"Les dispositions de l'article L. 214-17, dans leur rédaction tant antérieure que postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 22 août 2021 précitée, ont pour objet de définir deux listes classant les cours d'eau en fonction de leur état écologique et des objectifs de continuité qui leur sont assignés et de fixer les obligations qui en résultent pour les propriétaires d'ouvrages implantés sur ces cours d'eau. En jugeant que ces dispositions, tout comme celles de l'article L. 214-18-1 qui y renvoient, ne pouvaient utilement être invoquées à l'encontre de la délibération de l'agence de l'eau du 4 octobre 2018 qui, approuvant son onzième programme d'intervention, n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier les critères de fixation de ces listes, non plus que les obligations qui incombent aux propriétaires des ouvrages concernés en vue de permettre la circulation des poissons migrateurs et le transport suffisant des sédiments, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt et ne s'est pas méprise sur la portée des écritures des requérants, n'a pas commis d'erreur de droit."

Cette décision confirme la possibilité pour les agences de l'eau de soutenir financièrement des opérations de suppression d'ouvrages hydrauliques, tout en soulignant l'importance de respecter les droits des propriétaires et de ne pas imposer de telles mesures de manière systématique.

Implications
L’arrêt du Conseil d’État du 25 mars 2025, qui valide la possibilité pour les agences de l’eau de financer la destruction d’ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique, soulève toujours selon nous une question de cohérence juridique. En effet, l’article L.214-17 du code de l’environnement, dans son 2°, dit clairement à propos des ouvrages sur rivières en liste 2 (contraignante) de continuité écologique: 
"Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des moulins à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages."
Or, l’arrêt du Conseil d’État semble admettre une lecture étonnamment souple, en tolérant les financements dès lors qu’ils reposent par exemple sur une démarche "volontaire" du propriétaire, comme l'avaient relevé le tribunal et la cour d'appel. Cette interprétation fragilise l’intention initiale du législateur, qui visait à protéger durablement ces ouvrages. Et d'où l'argent public devrait-il aider une démarche "volontaire" allant à l'encontre de la norme démocratiquement choisi? C’est pourquoi notre association (avec la FFAM) a engagé une procédure similaire contre le programme pluriannuel d’intervention de l’agence de l’eau Seine-Normandie. L’objectif est de porter à nouveau ce débat devant la juridiction suprême afin qu’elle précise, de manière plus argumentée, le fondement et les limites de cette jurisprudence.

Au-delà du cas particulier des ouvrages hydrauliques, cette lecture jurisprudentielle soulève une question plus large qui traverse aujourd’hui de nombreux débats : celui de l’état de droit. Le Parlement a clairement inscrit dans la loi une volonté de protection, mais l’administration en propose une lecture contraire et la juridiction administrative la valide. Face à ce décalage entre la lettre du texte voté et l’interprétation appliquée, que reste-t-il du sens démocratique de la norme? Le mouvement des ouvrages hydrauliques doit travailler à que la parole du législateur soit respectée. Si besoin, il faudrait bien traiter à la source le problème en changeant encore la loi et en précisant, cette fois sans déformation possible, que la continuité écologique doit se soumettre et non s'imposer aux autres priorités de l'eau. 

Quant aux administrations de l'eau, en décalage manifeste avec l'opinion majoritaire sur ce sujet, elles devraient songer à réviser une politique publique qui soulève de manière permanente et depuis 20 ans tant de contestations. 

Errare humanum est, perseverare diabolicum...

Source : Conseil d’État, 25 mars 2025, arrêt n° 487831

21/05/2025

Victoire en appel pour la centrale hydroélectrique de la Sallanche

Le 14 mai 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a rendu une décision favorable à la Régie de Gaz et d’Électricité de Sallanches (RGE) dans l’affaire du projet de centrale hydroélectrique sur la rivière la Sallanche, en Haute-Savoie. Ce jugement annule la décision du tribunal administratif de Grenoble, qui avait précédemment rejeté le projet en décembre 2022. Alors que certains acteurs continuent de s’opposer par principe aux ouvrages hydrauliques, la justice administrative tranche en faveur d’un projet localement maîtrisé, respectueux des normes écologiques. Le cas de Sallanches pourrait faire école pour les autres projets d’énergie hydro-électrique dans les territoires.


La petite centrale hydro-électrique objet du contentieux, photo RGE, droits réservés.

Le projet de centrale, porté par la RGE depuis 2018, prévoit une prise d’eau en amont du pont de la Flée, reliée à une centrale en contrebas par une conduite forcée enterrée de 4,1 km. L’arrêté préfectoral du 26 décembre 2019 avait autorisé sa réalisation et déclaré d’utilité publique l’établissement d’une servitude associée.

Ce projet a été attaqué par l’association France Nature Environnement (FNE) Auvergne-Rhône-Alpes, qui a obtenu gain de cause en première instance. Le tribunal administratif de Grenoble avait jugé que l’ouvrage portait atteinte à la continuité écologique de la rivière, classée en liste 1 et en réservoir biologique, et avait ordonné sa remise en état.

Les arguments avancés en appel
En appel, la RGE et le ministère de la Transition écologique ont contesté cette annulation, faisant valoir notamment :
  • que le débit réservé de 80 l/s (supérieur au seuil réglementaire de 40 l/s) garantissait le maintien de la vie piscicole et respectait les prescriptions de l’article L.214-18 du code de l’environnement ;
  • que l’impact sur l’hydrologie du réservoir biologique n’était pas démontré de manière suffisante ;
  • que les dispositifs prévus assuraient la continuité piscicole et le transport sédimentaire ;
  • que les procédures d’instruction et les études d’impact avaient été correctement menées, malgré les critiques de FNE.
De son côté, FNE a maintenu que le projet méconnaissait plusieurs dispositions du droit de l’environnement, portait atteinte à la biodiversité locale et n’était pas compatible avec les orientations des documents de gestion de l’eau.

La décision de la cour administrative d’appel
La cour a estimé que les éléments avancés par la RGE et le ministère étaient suffisamment fondés pour considérer que le projet :
  • ne portait pas atteinte de manière substantielle à la continuité écologique de la Sallanche ;
  • respectait les exigences réglementaires en matière de débit minimal, d’étude d’impact et de préservation des espèces protégées ;
  • entrait dans les dérogations admissibles prévues par les plans de prévention des risques naturels (PPRN) des communes concernées ;
  • ne nécessitait pas de dérogation spéciale pour les espèces protégées, les mesures d’évitement et de compensation étant jugées suffisantes ;
  • poursuivait une finalité d’intérêt public en contribuant à la production d’électricité renouvelable pour environ 2 800 foyers.
En conséquence, la cour a annulé le jugement du tribunal administratif et validé l’arrêté préfectoral. FNE a en outre été condamnée à verser 2 000 euros à la RGE au titre des frais de justice.

Une décision qui marque peut-être un tournant
Cette décision de la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit dans un contexte où l’opinion publique semble de plus en plus réceptive à une écologie de terrain, pragmatique, éloignée des postures dogmatiques. Le harcèlement juridique systématique mené par certains lobbies contre tout projet hydraulique – y compris ceux portés par des acteurs publics locaux, avec des objectifs de transition énergétique – a fini par produire l’effet inverse : une remise en question de leurs positions radicales.

Dans le cas des ouvrages hydroélectriques comme celui de la Sallanche, c’est une version dévoyée de l’écologie qui se dévoile, incapable de reconnaître les multiples services rendus par ces aménagements : production d’énergie renouvelable locale, soutien aux réseaux, maintien d’un débit d’étiage, respect de la continuité écologique par des aménagements intégrés. S’acharner à empêcher leur déploiement revient à priver les territoires de solutions concrètes face à la crise climatique.

Il faut désormais espérer un changement de culture dans la gestion de l’eau : un changement qui dépasse les jurisprudences ponctuelles - ici, le conseil d'Etat ou la cour européenne de justice peuvent encore être saisis par les plaignants - pour bouger les normes, les pratiques administratives et les arbitrages publics. La loi française et européenne, la planification environnementale, les subventions publiques, les procédures d’autorisation devraient cesser de décourager systématiquement les initiatives hydrauliques au nom d’une lecture rigide et dogmatique de la continuité écologique, au bénéfice d’une approche plus équilibrée, plus territorialisée, et surtout plus tournée vers l’avenir.

Source (pdf) : Cour administrative d’appel de Lyon, 3e chambre, 14 mai 2025, n° 23LY00401 et n° 23LY00426 

20/05/2025

Des millions d’euros de gabegie pour la destruction du patrimoine hydraulique de Figeac

Alors que les collectivités locales sont invitées à faire preuve de rigueur budgétaire et d'un usage responsable des ressources publiques, la ville de Figeac s’engage dans un projet démesuré et contesté de continuité écologique. Il s’agit de la destruction complète du site hydraulique du Surgié, pourtant emblématique du paysage figeacois et encore fonctionnel. Ce projet, qui pourrait approcher les 10 millions d’euros de dépenses publiques cumulées, est aujourd’hui contesté tant sur le plan démocratique que juridique.


Un patrimoine emblématique voué à disparaître
Le site du Surgié, situé sur les rives du Célé, est un espace de loisirs, de mémoire et de services. Il comprend un seuil (doté d’un clapet mobile), une digue filtrante, une prise d’eau potable (captage de Prentegarde), un moulin, un plan d’eau aménagé et des berges fréquentées par les promeneurs. Ce système hydraulique, modifié dans la seconde moitié du XXe siècle, stabilise le niveau de la rivière, alimente le captage d’eau et structure tout un pan du paysage urbain. Il a un potentiel de production hydro-électrique non négligeale, quoique sous-estimé (volontairement) par les services de l'Etat. 

En avril 2024, la municipalité a annoncé lors d’une réunion publique son intention de détruire entièrement cet aménagement : arasement du seuil, suppression de la digue, suppression du plan d’eau, reméandrage du cours du Célé, déplacement de la prise d’eau, renforcement de berges et création d’un parcours piéton sur plus de 13 hectares. Dans la foulée, un premier marché public a été lancé, sans véritable concertation ni évaluation indépendante des alternatives.

Un déni de démocratie environnementale
La décision d’engager ce vaste chantier a été prise sans débat préalable avec les riverains, sans étude comparative sérieuse des autres options, et sans véritable enquête publique. En mars 2025, le préfet de région a même décidé de dispenser le projet d’évaluation environnementale, considérant qu’il n’aurait pas «d’incidences notables».

C’est cette décision que l’association Hydrauxois, avec Les Moulins du Quercy et les Figeacois Vigilants, conteste aujourd’hui dans un recours gracieux envoyé au préfet. En effet, plusieurs éléments montrent que cette dispense est manifestement infondée :
  • Le site est situé dans une zone naturelle à forte biodiversité (ZNIEFF), fréquentée par des espèces protégées : oiseaux, poissons, amphibiens, loutres.
  • Les travaux auront lieu dans le lit de la rivière, impliquant forages, terrassements, enrochements, et démolition lourde.
  • Le risque d’inondation pourrait être aggravé, notamment par l’érosion régressive et la perte des effets tampons de la retenue.
  • Le plan d’eau actuel agit comme puits de carbone et zone refuge en cas d’étiage, des fonctions devenues vitales face au dérèglement climatique.
De plus, la surface d’intervention dépasse les 10 hectares, ce qui, selon la réglementation (rubrique 39 de la nomenclature environnementale), impose une évaluation environnementale systématique. Le recours rappelle que l’autorité préfectorale ne pouvait se limiter à un simple «examen au cas par cas».

Un contournement légal et des effets sous-évalués
Le courrier adressé au maire de Figeac par l’avocat de l’association rappelle que cette dispense d’évaluation constitue un vice de procédure majeur. Elle revient à contourner les obligations d’étude d’impact alors même que les travaux modifient profondément l’équilibre écologique, le régime hydrologique et les usages locaux. Un permis d’aménager est prévu ; la nomenclature environnementale exige dans ce cas un examen global.

Ce type de projets – présentés comme de la "renaturation" mais dissimulant une artificialisation – prolifère dans de nombreuses communes. Or, ici comme ailleurs, l’absence de débat démocratique, d’expertise contradictoire et de prise en compte des effets cumulatifs (plusieurs seuils ont déjà été détruits dans le bassin du Célé) est alarmante.



Ce que nous demandons
Hydrauxois, aux côtés des citoyens mobilisés, ne s’oppose pas à toute évolution du site, mais à la brutalité, à l’unilatéralité et à l’impréparation de la démarche actuelle. Pour un projet mobilisant près de 10 millions d’euros issus de l'agence de l’eau, de l’État, de la commune, de la région et de l’Europe, il est légitime d’exiger :
  • Une comparaison sérieuse des scénarios (entretien, modernisation, reconfiguration douce…)
  • Une étude d’impact complète, publique et contradictoire
  • Une vraie concertation locale, prenant en compte les usages, la biodiversité, l’histoire et les besoins futurs
  • Une cohérence climatique, en reconnaissant le rôle des retenues d’eau dans l’atténuation des sécheresses et de crues, la régulation du carbone, ainsi que l'urgence de développer l'hydro-électricité sur les sites existants
  • Une gestion responsable de l’argent public, à l’heure où les collectivités sont en tension financière
Le projet du Surgié ne doit pas devenir un exemple de plus de pseudo-écologie technocratique et déconnectée, sans lien aux urgences réelles de l'eau. Nous appelons tous les citoyens de Figeac et des environs à se mobiliser, à rejoindre les actions en cours et à demander un moratoire immédiat sur les travaux tant qu’une étude environnementale complète n’aura pas été menée.

18/05/2025

Une victoire judiciaire majeure pour l’étang de Bussières

La cour administrative d’appel de Lyon donne raison à l’association Hydrauxois : les travaux de destruction de l’étang ont été réalisés en violation manifeste du droit de l’environnement. Le préfet est désormais tenu de mettre en demeure la Fédération de pêche de l’Yonne de régulariser sa situation.

Destruction illégale d'un étang, lit colmaté sur plusieurs kilomètres, atteinte aux espèces protégées comme les moules, assèchement des marges humides de l'étang sans aucune étude d'impact... ces pratiques ont été couvertes par les services de l'Etat et la fédération de pêche, pourtant prompts à donner des leçons d'écologie à tout le monde. Hydrauxois mènera la procédure à son terme.

Rappel de la procédure
En 2017-2018, la Fédération de pêche de l’Yonne entreprend la vidange puis la destruction de la digue de l’étang de Bussières, situé sur la rivière la Romanée, sans déposer de dossier d’autorisation environnementale ni réaliser la moindre enquête publique. Ces travaux ont été subventionnés par l'argent public (agence de l'eau). L’administration valide ce chantier en trois temps : une dispense d’autorisation pour la vidange (10 octobre 2017), une autorisation pour travaux urgents sur la digue (5 décembre 2017) et un récépissé de déclaration pour la destruction de la digue (13 mars 2018). L’association Hydrauxois conteste ces décisions devant le tribunal administratif de Dijon, qui rejette sa requête en 2019. L’appel est rejeté en 2021, mais le Conseil d’État casse cette décision en 2024 et renvoie l’affaire à la cour d’appel de Lyon.

Décision de la cour d’appel de Lyon (14 mai 2025)
La cour administrative d’appel de Lyon donne entièrement raison à l’association Hydrauxois sur le fond.

Elle constate que les travaux réalisés constituaient une seule et même opération (effacement de l’étang) et dépassaient les seuils de la nomenclature IOTA pour :
  • la modification du lit mineur sur plus de 100 m (rubrique 3.1.2.0),
  • la destruction de frayères (3.1.5.0),
  • l’assèchement d’une zone humide de plus d’un hectare (3.3.1.0).
Elle juge que l’administration aurait dû exiger une demande unique d’autorisation et non valider ces travaux par des décisions éclatées et irrégulières.

Elle annule le jugement de première instance ainsi que les trois décisions préfectorales de 2017 et 2018.

Elle enjoint au préfet de l’Yonne de mettre sous un mois la Fédération de pêche en demeure de déposer un dossier complet de demande d’autorisation environnementale, sur la base de la législation en vigueur en 2018.

Enfin, elle condamne l’État à verser 2 000 € à Hydrauxois au titre des frais de justice.

Suite donnée par Hydrauxois
Fort de cette victoire, Hydrauxois engage plusieurs suites concrètes :
  • Un courrier au préfet sera adressé pour rappeler la gravité de la faute des services de l’État, l’exigence d’une exécution rapide de la mise en demeure, demander la remise en état du site.
  • Une relance de la plainte pénale contre la Fédération de pêche de l’Yonne sera déposée auprès du procureur de la République d’Auxerre pour travaux en rivière sans autorisation.
Cette décision marque une étape importante pour la défense des patrimoines hydrauliques et la bonne application du droit de l’environnement. Elle rappelle qu’aucune politique, fût-elle écologique, ne peut s’exonérer des règles élémentaires de légalité.



02/05/2025

Régénérer les moulins à eau, un enjeu d'avenir pour les rivières (Grano 2025)

À travers une vaste enquête pluridisciplinaire et de nombreux cas italiens, la chercheuse Maria Carmela Grano montre que les moulins à eau peuvent redevenir des leviers de durabilité locale, en conjuguant patrimoine, énergie, écologie et engagement citoyen. Mais cette dynamique suppose de repenser certaines politiques fluviales trop indifférentes aux héritages culturels et paysagers, tout comme d’encourager les propriétaires à inscrire leur bien dans un projet d’avenir.


Extrait de Grano 2025 art. cit. 

L’article de Maria Carmela Grano part d’un constat double : d’une part, les moulins à eau sont devenus des vestiges sous-exploités du passé ; d’autre part, ils recèlent un potentiel insoupçonné pour répondre à des défis contemporains (transition écologique, gestion durable des paysages, revitalisation rurale). En raison de leur lien intime avec les systèmes hydrographiques, les dynamiques socio-territoriales, et les savoirs techniques anciens, les moulins sont à reconsidérer comme écosystèmes régénératifs, capables de conjuguer conservation patrimoniale, résilience environnementale et usages économiques durables. Cette recherche propose une lecture systémique et multidisciplinaire des moulins à eau, les envisageant comme carrefours de dynamiques culturelles, sociales, hydrogéomorphologiques, énergétiques et politiques.

La chercheuse montre comment les moulins historiques, loin d’être de simples infrastructures techniques, sont des systèmes autonomes d’utilisation des ressources naturelles, incarnant un patrimoine éco-culturel. Leur interaction avec le paysage (topographie, réseaux fluviaux), leur capacité à stocker et restituer l’eau, à transformer l’énergie de manière décentralisée, en font des éléments centraux dans la structuration historique des territoires. Cette approche rejoint les notions de paysage culturel et d’écosystème culturel, en ligne avec les définitions de l’UNESCO et de la Convention de Faro.

Maria Carmela Grano souligne l’ambiguïté des données archéologiques concernant la diffusion des moulins à eau en Europe. Alors que la vision traditionnelle plaçait leur développement au Moyen Âge, des recherches récentes plaident pour leur usage dès le Ier siècle. Par ailleurs, la diversité des formes technologiques (horizontal vs vertical) est revalorisée, les roues horizontales n’étant plus vues comme primitives mais comme adaptées à certains contextes.

L’article démontre que l’implantation historique des moulins était fortement corrélée à la morphologie fluviale et aux gradients d’altitude. Cette disposition optimale peut aujourd’hui être réinvestie via des projets de micro-hydroélectricité à faible impact, comme le montrent les projets européens Restor-Hydro et RENEWAT. Mais "le potentiel énergétique des moulins reste largement sous-exploité, faute d’intégration entre patrimoine et transition énergétique", observe la chercheuse. L’analyse géologique et sédimentologique des anciens sites permet de retracer les évolutions paysagères et d’estimer les risques liés aux crues, à l’enfouissement ou à l’érosion.

La chercheuse insiste sur l’importance des savoirs vernaculaires des meuniers, transmis par la pratique, en tant qu’éléments-clés du fonctionnement durable des moulins. Elle cite notamment les formations néerlandaises et les initiatives italiennes (AIAMS) pour réactiver cette mémoire technique. Ces pratiques s’inscrivent dans une logique de gestion participative des ressources, où les habitants contribuaient à l’entretien des systèmes hydrauliques. Ce modèle communautaire, toujours vivant dans certains territoires, constitue un levier pour une gouvernance locale résiliente et durable. "Le savoir des meuniers, inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO, incarne une forme précieuse d’intelligence hydraulique", souligne MC Grano.

L’étude documente plusieurs exemples où les moulins sont devenus des vecteurs de tourisme culturel et durable. Ils sont restaurés comme musées, lieux de mémoire, ateliers pédagogiques ou gîtes ruraux. Cette valorisation, souvent soutenue par des bénévoles et des fondations (FAI, National Trust), contribue à lutter contre le surtourisme, revitaliser les zones rurales, et promouvoir des formes lentes et engagées de découverte.

Enfin, Maria Carmela Grano explore les difficultés de recensement et d’inventaire des moulins, en raison de la dispersion des sources et de l’absence de vérifications historiques. Elle mobilise plusieurs bases de données : cartes hydrauliques anciennes (carte de 1890), archives régionales, sites UNESCO, projet Restor Hydro, plateforme AIAMS. Ces travaux soulignent l’urgence d’un croisement de sources (cartographiques, archéologiques, techniques) pour établir une base de connaissance cohérente à l’échelle nationale.

Etudiant des cas en Italie, Maria Carmela Grano recense plus de vingt projets italiens de régénération de moulins, soutenus par des financements variés : privés, communautaires, ou publics (notamment le plan européen NextGenerationEU – PNRR italien). Quatre cas emblématiques sont approfondis :
  • Mulino Ra Pria (Ligurie) : restauration technique complexe d’un moulin horizontal à canal surélevé. Projet associatif orienté vers la valorisation patrimoniale et paysagère.
  • Mulino Scodellino (Émilie-Romagne) : moulin encore productif, devenu lieu culturel (festival inclusif, visites scolaires, production de biscuits), restauré après une inondation en 2023.
  • Mulino e Gualchiera Romano (Basilicate) : reconstruction à l’identique d’un moulin en ruine, avec étude géologique et usage de matériaux d’origine.
  • Mulino di Arignano (Piémont) : conversion en habitation privée, alliant conservation architecturale et usage domestique.
D’autres exemples sont cités pour illustrer la diversité des usages : tourisme, musées, éducation, production agricole ou énergétique (hydroscies, forges, micro-turbines).

La conclusion de l’article insiste sur trois orientations majeures.
  • Renforcer les connaissances et les politiques de conservation : malgré un regain d’intérêt local, la majorité des moulins restent hors des radars institutionnels, vulnérables face aux effets du changement climatique, de l’urbanisation ou de la désaffection rurale.
  • Mobiliser les technologies avancées : SIG, modélisation 3D, IA, photogrammétrie et analyses hydro-géomorphologiques sont appelées à jouer un rôle crucial dans la préservation et la valorisation des moulins, à condition de créer des plateformes partagées et interopérables.
  • Explorer les voies de reconversion productive : les moulins peuvent devenir des pôles multifonctionnels de la durabilité locale : éducation, artisanat, tourisme, micro-énergie, gestion de l’eau et de la biodiversité. L’autrice plaide pour des politiques intégrées entre patrimoine, énergie et aménagement rural.

Extrait de Grano 2025 art. cit.

Discussion
L’article de Maria Carmela Grano s’inscrit dans une dynamique salutaire de réhabilitation des moulins à eau comme ressources culturelles, paysagères et techniques. Pourtant, on peut regretter que la gestion contemporaine des rivières, largement dominée par une lecture strictement écologique, reste souvent aveugle aux usages historiques et aux formes d’adaptation humaine au milieu fluvial. Cette approche conduit fréquemment à la destruction de seuils de moulins considérés comme "obstacles à l'écoulement et au franchissement", alors même qu’ils pourraient, dans de nombreux cas, être aménagés pour faciliter la circulation piscicole ou sédimentaire tout en préservant la mémoire et la structure des lieux. Il y a là un manque de dialogue entre patrimoine et écologie, entre savoirs anciens et solutions d’ingénierie actuelles, qui mériterait d’être comblé.

Par ailleurs, l’article montre à juste titre le rôle des associations, des collectivités et des chercheurs dans la régénération des moulins, mais il pourrait souligner plus fermement que les propriétaires eux-mêmes ont une responsabilité centrale dans cette dynamique. Ceux qui se contentent de conserver à l’identique des bâtiments anciens sans projet d’usage limitent la portée de leur action. À l’inverse, ceux qui réintègrent le moulin dans des logiques d’usage productif, éducatif ou environnemental – même partiellement – contribuent à faire évoluer les politiques publiques et les représentations sociales. C’est de leur capacité à articuler héritage et innovation que dépendra en grande partie l’avenir des moulins dans les territoires ruraux. Comme le souligne la chercheuse, "les moulins à eau ne sont pas seulement des reliques du passé, mais des systèmes régénératifs capables de répondre aux défis de notre époque. (…) Leur restauration ne doit pas être une nostalgie, mais un processus dynamique qui intègre patrimoine, innovation et durabilité."