06/04/2016

La Seine, ses poissons et ses pollutions (Azimi et Rocher 2016)

Depuis 1990, la Seine francilienne a vu une augmentation de sa biodiversité piscicole totale (surtout dans la première partie de la période, stabilité depuis 12 ans), l'apparition d'espèces plus exigeantes en qualité de l'eau et une amélioration de son Indice d'intégrité biotique (IBI). Mais l'analyse des tissus des poissons montre une exposition persistante à certains métaux, aux PCB et aux pesticides. 

Le Siapp est un service public d'assainissement francilien. Ses ingénieurs viennent de publier une étude sur la qualité des eaux de la Seine et le peuplement des poissons.

Sur une période de 23 ans (1990-2013), les populations piscicoles ont été analysées sur 8 stations autour de Paris (Villeneuve-saint-Georges la plus en amont jusqu'à Triel-sur-Seine la plus en aval). L'Index d'intégrité biotique (IBI), qui mesure l'écart entre la population analysée et une population de référence a été analysé. Trois familles de polluants ont été cherchées ans les muscles des poissons (anguilles, gardons, chevesnes) : métaux, PCB et pesticides. Enfin, l'activité hépatique de l'ethoxyresorufine-O-de-éthylase (EROD) a été mesurée sur les chevesnes, cette enzyme étant considérée comme un marqueur généraliste de réponse à l'exposition aux toxiques.

Voici les principaux résultats de ce travail:

  • le nombre moyen d'espèces est passé de 14 à 21 (total 32 sur la période), avec une progression dans le premier tiers de la période, puis une quasi stagnation ensuite (à compter de 1999), ci-dessous évolution des captures ;



  • le nombre d'individus capturés n'a pas eu d'évolution significative (hors une pointe d'ablettes juvéniles en 1996);
  • les assemblages piscicoles ont vu davantage de limnophiles carnivores et de rhéophiles omnivores, avec une modeste apparition de rhéophiles carnivores et un renforcement d'espèces un peu plus exigeantes (grémille, sandre, chabot);
  • les contaminations des poissons au mercure, au zinc, au PCB ont été identifiées (mesure à compter de 2000), sans tendance claire (ci-dessous, contamination au PCB par kg de poids humide à gauche et de tissu gras à droite);


  • l'indice EROD a fluctué entre bon état et très mauvais état, avec notamment des mauvais résultats sur les années les plus récentes (ci-dessous, évolution EROD sur trois stations, plus la protéine est exprimée, plus forte est l'exposition aux toxiques).


Discussion
Les auteurs analysent l'augmentation du nombre d'espèces et l'apparition de poissons plus exigeants comme un signe d'amélioration de la qualité de l'eau, à la suite des investissements consentis sur les stations d'épuration (directive ERU - eaux résiduaires urbaines 1991).

La rivière a un état "bon" au regard de l'IBI. Cependant, il faudrait contrôler la pertinence de l'IBI, indice assez ancien des années 1980, plutôt conseillé sur des petites rivières que sur des fleuves, remplacé par l'IPR au début des années 2000 puis l'IPR+ quelques années plus tard. Comme les poissons exhibent toujours des marqueurs ou des traces d'une exposition aux toxiques, cela signale une faible sensibilité de cet indice à la détérioration chimique de l'eau ou des sédiments. La Seine restant massivement canalisée et ses berges aménagées, il est difficile de prédire une évolution de ses peuplements. L'apparition d'une plus grande biodiversité piscicole est une bonne nouvelle, mais la série est sans doute trop courte pour déceler avec quelque certitude des évolutions durables.

La persistance des PCB dans les analyses, malgré leur interdiction depuis 1987, indique qu'il sera long de liquider l'héritage des pollutions passées. Il est dommage que les pointes récentes de marqueurs d'exposition aux toxiques ne reçoivent pas d'explication claire.

Référence : Azimi S, V Rocher (2016), Influence of the water quality improvement on fish population in the Seine River (Paris, France) over the 19902013 period, Science of the Total Environment, 542, 955964

05/04/2016

Déclin mondial et séculaire des migrateurs diadromes en rivière (Limburg et Waldman 2009)

Agir sur la rivière au plan écologique, ce n'est pas déployer un catalogue de bons sentiments ni engager un répertoire d'actions désordonnées entretenant l'illusion trompeuse d'une "renaturation" à portée de main, à forte visibilité et à grands services rendus. La dynamique des espèces dans leurs milieux s'inscrit toujours dans le long terme des temps géologiques, biologiques et historiques. Il s'y dessine des tendances et des contraintes, dont la compréhension est complémentaire de l'analyse plus théorique (structurelle et fonctionnelle) du vivant. L'histoire est aussi une leçon de prudence et un garde-fou précieux: mieux on la connaît, plus on apprend de ses erreurs, plus on évite également l'illusion néfaste et narcissique de la toute-puissance du présent. C'est en ayant cela à l'esprit que l'on lira avec profit l'article de Limburg et Waldman sur la reconstruction de données historiques des grands migrateurs en rivières du bassin atlantique, suggérant la variabilité passée de leurs stocks couplée à une tendance lourde au déclin, avec des niveaux aujourd'hui historiquement et mondialement bas.

Les espèces diadromes vivent dans deux milieux (eaux douces et eaux salées) avec une phase migratoire sur une plus ou moins longue distance. Elles sont dites anadromes si la reproduction se passe en rivière, catadromes si elle se déroule en mer. Ces espèces représentent 1% de la faune mondiale de poissons, mais beaucoup ont ou ont eu une valeur importante pour les populations humaines : anguille et saumon en Europe, alose savoureuse (Alosa sapidissima, American shad) en Amérique du Nord, esturgeon, etc.

Karine E Limburg et Joh R Waldman (Université de New York) ont collecté les données sur 24 espèces diadromes, 3 communes au bassin Atlantique, 12 restreintes à l'Amérique du Nord, 9 à l'Europe et l'Afrique. Sur 35 séries historiques reconstituées, dont certaines remontent au début du XIXe siècle, les auteurs documentent 3 tendances à la hausse et 32 au déclin. Les niveaux atteints à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle sont historiquement bas. Sur les 35 séries, on observe une perte de 98% du maximum historique pour 13 d'entre elles, et d'environ 90% pour 11 autres.

De manière intéressante, on peut voir ci-dessous quelques courbes (esturgeon, alose savoureuse, grande alose, alose feinte, anguille, saumon, bar rayé).

Illustration in Limnurg et Waldman 2009, art. cit., droit de courte citation.

On observe que :
  • les courbes convergent pour la plupart avec une chute marquée dans la seconde moitié du XXe siècle, surtout à compter des années 1960-1970;
  • les courbes sont souvent très similaires de part et d'autre de l'Atlantique;
  • les courbes ne montrent pas forcément des recrutements constants aux époques antérieures (voir par exemple la courbe du saumon sur le Rhin au XIXe siècle ou celle de l'alose feinte aux Pays-Bas dans la première partie du XXe siècle, dans les deux cas une croissance à partir d'un état initial faible);
  • l'existence d'une variabilité interannuelle et pluridécennale marquée (d'origine incertaine, naturelle ou anthropique) doit inciter à développer des approches sur le long terme pour en comprendre les causes;
  • le niveau atteint dans la période récente est au plus bas.

Parmi les causes de ce déclin, les auteurs mettent en avant:
  • la construction des grands barrages, forcément impactante pour la phase migratoire, bloquant complètement les habitats amont de croissance (catadrome) ou de reproduction (anadrome), surtout dans la période 1920-1970 (pic de construction en Europe et aux Etats-Unis);
  • la surpêche, surtout dans la période 1850-1950 pour la phase dulçaquicole, ensuite pour la phase maritime, cette prédation ayant fait complètement disparaître certaines populations comme l'esturgeon et ayant un rôle majeur dans le déclin de l'anguille prélevée dès la phase juvénile;
  • les aménagements des fleuves (endiguement, canalisation), les artificailisations des berges et bassins versants, les extractions de granulat;
  • la pollution ou l'altération des eaux et des substrats (effluents agricoles, pollutions industrielles, domestiques et sanitaires, matière fine en suspension liés aux changement d'usages des sols, pluies acides), surtout à compter des années 1940-1960; 
  • le changement climatique, qui inclut la variation naturelle (passage du petit âge glaciaire des XIVe-XVIIIe siècle au réchauffement moderne pré-anthropique), la hausse forcée de température des rivières et les événements extrêmes plus fréquents (sécheresses, crues) mais aussi les impacts des changements océaniques de salinité, de circulation et de productivité du bassin Atlantique Nord;
  • les effets de l'aquaculture et des essais anarchiques de repeuplement sur certaines espèces (émergence de pathogènes, introgression génétique).

Limburg et Waldman proposent finalement une courbe "illustrative" des deux derniers siècles pour les espèces diadromes (images ci-dessous) où l'on voit des conditions correctes d'abondance jusqu'au XVIIe siècle, une tendance au déclin à compter du XVIIIe siècle, qui s'accélère ensuite nettement avec la hausse des pressions décrites ci-dessus et la perte d'intérêt pour les espèces diadromes. Les auteurs parlent en conclusion d'une "anomie sociale" comme étant à la fois cause et effet du déclin : les stocks diminuent, les pêcheries disparaissent, l'indifférence s'installe et renforce (à tout le moins laisse agir) les facteurs de déclin des stocks. Mais cet argument mériterait d'être discuté plus largement, car si certains écosystèmes ne rendent effectivement plus de services sociaux et économiques majeurs dans les sociétés industrialisées, il devient artificiel d'invoquer dans la sphère publique ces mêmes services comme supposé motif de restauration.


Illustration in Limnurg et Waldman 2009, art. cit., droit de courte citation.

Discusion
Un point que nous retiendrons en premier lieu pour discuter de cette étude, c'est l'impact quasi-nul de l'ancienne hydraulique dans le déclin historique des migrateurs diadromes. Rien dans les données rassemblées ne suggère que les aménagements modestes des rivières jusqu'au XVIIIe siècle (notamment la plupart des moulins) auraient une part notable dans la baisse de ces espèces de poissons, surtout marquée à compter du XXe siècle. Au demeurant, ce point est confirmé par des études plus fines de bassin permettant de comprendre quels aménagements ou contaminations ont entraîné des régressions historiques (voir par exemple cet article sur le saumon, cette recherche sur l'anguille) – sachant que des rehausses de moulins couplées à la surpêche vivrière pouvaient effectivement provoquer localement des raréfactions de migrateurs, notamment à partir du milieu du XIXe siècle. Quant à l'effet relatif de chacun des facteurs énumérés ci-dessus, il reste encore à déterminer pour la plupart des espèces. La suppression des barrages ré-ouvre "mécaniquement" des zones de fraie et de nourricerie mais à diverses conditions limitantes (si la rivière n'est pas polluée, ses substrats non colmatés, son eau en quantité suffisante et à température idoine, etc.), sans que l'on dispose d'un retour suffisant pour évaluer un effet à long terme sur la population globale des espèces.

Si l'on en devait en croire le protocole ICE de l'Onema, un obstacle de quelques dizaines de centimètres suffirait à représenter une grave entrave à la quasi-totalité des espèces mobiles ou migratrices. Les savants calculs hydrauliques et halieutiques de nos ingénieurs paraissent assez théoriques par rapport à la dynamique du vivant en situation réelle, car s'il fallait des conditions aussi drastiques de franchissabilité pour garantir la transparence migratoire et/ou la régénération des populations locales, nos rivières seraient dépeuplées de très longue date (même les castors ont fait des obstacles plus élevés pendant quelques millions d'années). Il paraît donc urgent de développer l'histoire de l'environnement (archéologie halieutique, analyse d'archives, phylogénie moléculaire) pour disposer de longues séries indispensables à la compréhension de l'évolution des populations et des milieux comme pour produire des données exploitables à échelle des bassins versants que l'on veut aménager.

Au regard du déclin mondial et moderne des stocks de grands migrateurs diadromes comme du coût public des politiques de rivières, il convient aussi de prendre du recul et de réfléchir au niveau de biodiversité que l'on peut et veut retrouver dans des bassins versants, sachant que l'on ne reviendra pas aux conditions pré-industrielles à horizon prévisible. Même si le retour d'espèces à forte symbolique sociale est un motif d'action partagé, on doit être capable de dresser une analyse critique sur les résultats réels des premières décennies d'effort pour recoloniser certains bassins.

La gestion écologique de la rivière est une nécessité née de notre meilleure connaissance des milieux. Mais cette écologie doit d'abord être une science appuyée sur des modélisations robustes, des expérimentations rigoureuses et des assertions prudentes, pas une politique administrative précipitée et encore moins une idéologie confuse de la renaturation.

Référence
Limburg KE, JR Waldman (2009), Dramatic declines in North Atlantic diadromous fishes, BioScience, 59, 11, 955-965

04/04/2016

Les barrages stockent 12% des excès mondiaux de phosphore (Maavara et al 2016)

L'Onema et les Agences de l'eau prétendent que les ouvrages hydrauliques nuisent à l'auto-épuration des rivières, argument pour mieux les effacer. Les chercheurs préfèrent s'intéresser à la réalité, à savoir l'exact opposé de la propagande administrative française : le rôle des barrages dans l'épuration des eaux polluées de divers effluents d'origine humaine. Une nouvelle étude de Taylor Maavara et sept collègues parue dans les PNAS établit ainsi qu'à l'échelle mondiale, 12% de la charge totale en phosphore sont éliminés par les barrages, chiffre qui pourrait atteindre 17% en 2030. Le phosphore est l'un des principaux responsables de l'eutrophisation des bassins aval, des lacs, des estuaires et des baies. Supprimer les barrages, c'est donc aggraver le bilan chimique de qualité de l'eau, ce qu'interdit la DCE 2000. 

L'activité humaine moderne perturbe à échelle planétaire les grands cycles naturels : eau, carbone, azote, phosphore, etc. Les fertilisants agricoles, l'érosion ou le lessivage des sols et les effluents des stations d'épuration induisent un excès de composés phosphorés dans l'eau. La charge globale en phosphore a ainsi doublé depuis l'époque pré-humaine, c'est-à-dire que plus de la moitié du phosphore circulant dans les masses d'eau est d'origine anthropique.

Le phosphore est rare dans la nature, et donc très vite assimilé dans les écoystèmes. Etant l'un des principaux facteurs limitants de la productivité primaire des milieux aquatiques, ses excès entraînent une eutrophisation des milieux. Si les barrages sont reconnus comme étant eux aussi un impact anthropique sur les rivières, ils interagissent avec le phosphore dans un sens plutôt favorable, en retenant, stockant ou éliminant une partie de la charge qui se trouve ainsi soustraite du continuum fluvial.

Pour évaluer le phénomène, Taylor Maavara et ses collègues ont produit un modèle de bilan de masse en séparant le phosphore total (PT) en quatre composantes : phosphore total dissous (TDP), phosphore organique particulaire (POP), phosphore échangeable (EP, les orthophosphates) et phosphore particulaire non réactif (UPP). La part biodisponible du phosphore (celle qui peut changer l'équilibre nutritif et que l'on nomme sa fraction réactive) concerne les trois premières formes. Le modèle consiste à estimer la part retenue par les barrages dans chaque compartiment, en fonction des autres paramètres d'efficacité de la séquestration comme le temps de résidence hydraulique (ci-dessous, représentation simplifiée des flux entrants et sortants du modèle).



Extrait de Maavra et al 2016, art cit, droit de courte citation.

Résultat de ce travail : les grands barrages retiennent en moyenne environ 40% de la charge de phosphore qu'ils reçoivent. Mais à l'échelle globale, compte-tenu de l'absence de barrages sur un grand nombre de rivières et de leurs dimensions variables, la proportion effectivement retenue serait de 12% de la charge totale de phosphore en 2000. Au regard des projets hydro-électriques annoncés dans les pays émergents d'Amérique du Sud, Afrique et Asie (3700 ouvrages programmés), ce chiffre pourrait monter à 17% en 2030.

Malgré ce rôle positif des ouvrages hydrauliques, la séquestration n'est donc pas suffisante pour contenir les excès de nutriments dont souffrent les milieux aquatiques. Cela suppose d'agir à la source des émissions ou sur d'autres modes de rétention dans les bassins versants.

Conclusion
Cette nouvelle étude vient après bien d'autres pour montrer le rôle positif des barrages dans la régulation des pollutions chimiques de l'eau (voir cette synthèse et notre rubrique auto-épuration) Pour quelle raison la France met-elle en avant la mystification de "l'auto-épuration des cours d'eau", comme si les contaminants disparaissaient magiquement des milieux une fois supprimés les seuils et barrages? Il faut probablement y voir la enième pseudo-rationalisation administrative de notre incapacité à lutter contre les pollutions à la source. Cette question est à mettre en avant dans tout projet d'effacement, car la Directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) telle qu'elle est interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne interdit tout projet dont on sait à l'avance qu'il peut dégrader l'un des compartiments de qualité de l'eau. Par exemple, alors que les pêcheurs de saumons et autres improbables "amis de la nature" trépignent pour effacer les barrages de la Sélune au profit de leur loisir auto-proclamé d'intérêt général, a-t-on au moins modélisé l'effet futur sur la baie du Mont Saint-Michel, sachant que le bassin versant de la rivière est très dégradé?

Référence : Maavara T et al (2016), Global phosphorus retention by river damming, PNAS, 112, 51, 15603–15608

03/04/2016

Michel Le Scouarnec: classement des rivières et harassement des seuils des moulins

Le sénateur Michel Le Scouarnec écrit aux Ministres de l'Environnement et de la Culture et leur demande quelles actions sont envisagées pour sortir du blocage complet de la politique de continuité écologique, en particulier de la pression sur la destruction des ouvrages de moulins. Rappelons que malgré les annonces, les Agences de l'eau continuent de financer la destruction du patrimoine historique et de son potentiel énergétique (lui donnant même des scandaleuses primes à 100% d'argent public en Adour-Garonne), les services DDT continuent d'envoyer aux maîtres d'ouvrage des menaces de mise en demeure au nom du L 214-17 CE, les services Onema continuent d'exiger des aménagements pharaoniques pour des gains minuscules, les syndicats de rivière continuent de détruire des seuils en rivière à état piscicole bon ou excellent (exemples à Nod-sur-Seine, à Tonnerre) ou en rivière massivement dégradée par d'autres facteurs que les moulins (exemple  à Champlost). La politique autoritaire de harassement des ouvrages hydrauliques est un naufrage au plan démocratique, une gabegie au plan économique et une absurdité au plan écologique : elle n'appelle plus des belles paroles ni des mesurettes symboliques, mais un complet changement de cap

Madame la Ministre,

Les moulins présents sur l’ensemble de notre territoire constituent une véritable richesse patrimoniale mais aussi environnementale. Pourtant, leur situation est source d’inquiétudes depuis plusieurs années, notamment en ce qui concerne les enjeux de la destruction des seuils.

En effet, la Directive cadre européenne 2000 sur l’eau (DCE2000), oblige les Etats membres à obtenir le bon état écologique et chimique des rivières et des masses d’eau. Pourtant, l’application de la loi dite LEMA de 2006, suite à l’application de la circulaire du 25 janvier 2010 dite Borloo, a remis en cause le principe de continuité écologique sur plusieurs points concernant particulièrement la gestion de l’eau. Les exemples sont nombreux en la matière entre le potentiel hydroélectrique délaissé, ou la perte de fonction des réserves d’eau, l’absence de garanties concernant les risques en aval… Cette circulaire Borloo prône même l’effacement systématique des ouvrages et des seuils des moulins.

De nombreux propriétaires ou professionnels du secteur s’interrogent sur le devenir de leur structure ou de leur ouvrage. Tous reconnaissent l’importance de la continuité écologique. Ils demandent simplement de mieux prendre en compte la réalité des milieux aquatiques.

Notre pays s’est engagé dans la transition énergétique avec une loi portant la volonté d’un nouveau mode de consommation et de production de notre énergie. Lors des débats, nous avions l’occasion d’échanger sur le sujet afin de trouver des solutions entre la gestion équilibrée de la ressource en eau et la préservation du patrimoine.

Par ailleurs, l’examen de la loi CAP n’a pas apporté de réponse satisfaisante pour le moment. Mais la prochaine lecture de ce texte permettra peut-être de construire une solution concertée et satisfaisante pour toutes les parties.

Aussi, je sais pouvoir compter sur toute votre bienveillance pour veiller à une conciliation harmonieuse des différents usages de l’eau dans le respect du patrimoine et des obligations de notre pays dans le cadre de la DCE2000.

Je vous prie de croire, Madame la Ministre, en l’assurance de mes sincères salutations.

Elus, associations, personnalités : rejoignez la campagne nationale pour un moratoire sur les effacements d'ouvrages et une politique raisonnée de continuité écologique. Près de 2000 soutiens dont 1000 élus et 275 associations représentant plus de 100.000 personnes en rivière classée.

01/04/2016

Impact écologique des moulins: cessons de tromper le public

Imaginons une politique de santé faisant grand cas des rhumes, une politique climatique s'acharnant sur les feux de cheminée ou une politique de prévention routière s'alarmant de la saleté des pare-brises. Ce serait jugé ridicule et inefficace. En politique des rivières, sans doute parce que le sujet est moins familier, on parvient pourtant à produire des idées aussi loufoques. L'une d'entre elles : les moulins d'Ancien Régime auraient un impact majeur dans la dégradation des milieux aquatiques et leur effacement produirait une amélioration significative des mêmes milieux. Dans la "continuité écologique à la française", on applique ainsi à l'hydraulique ancienne et modeste des moulins à eau des concepts et méthodes qui ont été conçus à l'origine pour analyser des impacts majeurs sur les hydrosystèmes (grands barrages réservoirs ou hydro-électriques, recalibrages des fleuves, endiguements des plaines d'inondation, etc.). Cette confusion doit se dissiper car derrière les termes compliqués des bureaux d'études et des services instructeurs de l'administration, on s'aperçoit que le dossier de l'impact écologique des moulins est presque vide. S'ils ne veulent pas être confondus avec des militants et perdre la confiance des citoyens, les "sachants" ont un devoir d'honnêteté intellectuelle: celle-ci commande de reconnaître que les altérations de la petite hydraulique des moulins, quand elles existent, sont minuscules par rapport aux facteurs ayant modifié les propriétés physiques, chimiques et biologiques de l'eau depuis 2 siècles, particulièrement après les années 1950.

La rivière est un flux d'eau, d'énergie, de matière, de vie. L'approche par la morphologie consiste à savoir dans quelle mesure un obstacle à l'écoulement contrarie ce flux au plan énergétique, hydrologique et sédimentaire. L'approche par les habitats consiste à savoir si l'hydrosystème du moulin (retenue, bief) a un impact sur le vivant à travers les niches écologiques qu'il colonise.

Pour les seuils, chaussées ou petits barrages des moulins, on peut généralement observer les points suivants :

- l'effet sur le débit est quasi-nul, il n'y a pas de capacité de stockage dans la retenue donc tout le débit entrant est restitué à l'aval, l'ouvrage ne barre pas le lit majeur et n'empêche pas la connexion à des annexes ou à une plaine d'inondation, l'ouvrage ne procède pas à des éclusées qui "scrappent" les substrats. Ci-dessous, on voit un seuil à Guillon sur le Serein, l'eau n'est évidemment pas retenue à l'amont comme dans certains grands barrages réservoirs ;


- l'effet sur les sédiments est très faible, il n'y a pas non plus de forte capacité de stockage, les crues emportent sans difficulté les matériaux vers l'aval (des limons et sables en suspension pour les faibles crues jusqu'au galets et blocs en charriage pour des fortes crues), les retenues non curées sont atterries (comblées) et retrouvent l'équilibre sédimentaire de part et d'autre de la chute, les ouvrages sont presque toujours ennoyés quand la crue atteint des propriétés morphogènes, on n'observe pas ou peu de phénomène d'incision et de pavage du lit. Ci-dessous, on voit par exemple en haut l'aval du seuil de Flamerey sur l'Armançon après la crue de 2013 (les dépôts conséquents de sables et graviers au premier plan montrent que la retenue amont a été vidée d'une partie de sa charge solide) et en bas le seuil de l'Hopital à Montbard sur la Brenne, haut de 2 m mais complètement noyé (donc invisible et franchissable) lors la même crue de 2013 ;


- l'effet sur les habitats revient le plus souvent à créer des formes nouvelles et naturellement inexistantes dans les rivières à débits faibles à modérés où sont implantés les moulins, soit une fosse plus ou moins profonde à eau lente, fond souvent limoneux ou vaseux, milieu eutrophe (retenue ou remous liquide à l'amont du barrage) et, quand le moulin n'est pas au fil de l'eau, un chenal à l'écoulement plus ou moins simple (le bief, tantôt canal rectiligne à écoulement fluvial, tantôt paysagé et de formes variées). Il est souvent dit à tort que cet habitat artificiel né du moulin est "banalisé" ou "simplifié", simplement parce que la retenue ne présente pas les formes d'écoulement naturel (radiers, plats, mouilles, etc.) de la rivière. Mais cette retenue ne fait qu'ajouter un nouvel habitat à ceux qui pré-existent et le vivant s'adapte aux propriétés physiques de l'écoulement et du substrat ainsi créés. Donc les populations (algues, planctons, plantes, insectes, vers, nématodes, poissons, mollusques, crustacés, etc. ainsi que les espèces de rives) jouissant d'une retenue seront différentes de celles d'une eau rapide à l'amont ou à l'aval de cette retenue. Ce n'est pas une perte de biodiversité de l'hydrosystème retenue-bief-rivière, on peut au contraire trouver dans une retenue de moulin des espèces qui ne vivraient pas ailleurs sur le cours d'eau (inversement, on y trouvera plus difficilement certaines espèces spécialisées de ce cours d'eau, par exemple celles d'eaux vives et froides). Ci-dessous ces images montrent l'habitat lentique à l'amont du seuil de Montzeron sur le Serein (en haut), et les quatre autres vues des habitats naturels variés que l'on trouve à l'aval et l'amont du remous de ce seuil. La retenue du seuil est un biotope parmi les autres, et n'empêche pas l'existence sur la même rivière de zones à propriétés hydrologiques, rhéologiques ou thermiques variées.


L'impact des moulins est donc faible : ils modifient les milieux, mais avec un effet modeste en proportion des modestes hauteur et largeur de leurs ouvrages hydrauliques. Il faudrait au demeurant écrire qu'ils ont modifié les milieux, car leur influence dure depuis une dizaine de siècles : ce sont les aménagements les plus anciens de rivière dont on conserve trace aujourd'hui, outre quelques vestiges de l'hydraulique romaine. Le vivant n'a cessé d'évoluer dans l'intervalle. La biodiversité n'est pas un concept statique, fixe, une sorte de musée où chaque espèce devrait être à sa place ad vitam aeternam. Au cours des deux derniers siècles, on a par exemple introduit davantage de nouvelles espèces de poissons dans les eaux françaises qu'on en a fait disparaître depuis l'époque romaine. Comment soutenir l'idée d"une "intégrité biotique" dans ces conditions? Comment oublier l'idée de base de la biologie évolutionniste, à savoir que le vivant a lui aussi une histoire, des trajectoires sans retour dictées par le hasard et la nécessité, par les mutations des gènes et les transformations des milieux comme par la sélection des traits les plus adaptatifs? Quelle est cette écologie fantasmée où l'on voudrait produire une sorte de quota administratif de "bonnes" espèces et de "bons" habitats en supposant une évolution naturelle déconnectée de l'influence humaine?

Au demeurant, si les moulins sont la cible de quelques idéologues ayant nourri l'idée qu'on pourrait en détruire un grand nombre sur argent public, ils n'ont jamais été au centre de la littérature scientifique internationale sur la connectivité des hydrosystèmes. Les chercheurs s'intéressent aux altérations majeures des débits liquides et charges solides liées pour l'essentiel aux aménagements des XIXe et surtout XXe siècles : construction de grands barrages, endiguement et canalisation de fleuves, déconnexion de la plaine d'inondation, enfoncement des lits par extraction industrielle de granulats, changements des propriétés érosives du bassin par emprise ou déprise agricole, etc. Il est patent d'observer dans cette littérature scientifique que les discontinuités latérales (suppression des divagations vers la plaine d'inondation du lit majeur et les écotones associés) produisent des pertes locales de biodiversité bien plus substantielles que les discontinuités longitudinales.

Qui aura l'honnêteté intellectuelle de reconnaître que nous faisons fausse route sur le dossier des moulins et de la continuité écologique?
Une mauvaise habitude a été prise en France depuis une dizaine d'années : les bureaux d'études appliquent "mécaniquement" des concepts construits pour étudier les grands aménagements à la très petite hydraulique des moulins. Il en résulte des diagnostics faussés car ne donnant aux parties prenantes aucune intelligence de l'impact réel des ouvrages étudiés. Exemple lu récemment : "Des conditions d’habitats pour la faune aquatique du tronçon fortement dégradées sur environ 2,7 km du fait du remous en amont des ouvrages et de la simplification de l’hydrosystème". Un tel propos ne dit rien s'il n'est pas démontré a) que la faune aquatique du tronçon souffre effectivement (et non théoriquement) de la présence d'un remous, b) que le remous n'abrite pas une faune et une flore spécifiques, c) que le remous ne joue pas un rôle protecteur de la faune ou de la flore à certaines conditions de débit. Un tel diagnostic complet (qui n'existe hélas pas) produirait logiquement des objectifs de résultats précis (qui n'existent hélas pas davantage), et non pas des engagements flous comme "renaturer la rivière" ou "restaurer l'habitat" ou "récréer des fonctionnalités",  toutes choses dont l'abstraction masque mal la difficulté à présenter aux citoyens des effets réellement délétères liés aux moulins.

Pareillement, les services techniques de l'Onema ou des Fédérations de pêche ne font pas des analyses réelles de biodiversité sur le tronçon (incluant ses stations artificielles comme ses stations naturelles), plutôt du scoring sur certaines espèces (poissons le plus souvent) et selon des indices normalisés (IPR, IBD, I2M2, etc.) ou des biotypologies (Huet, Verneaux) dont l'objectif par construction n'est pas un inventaire complet. Il manque donc dans tous les dossiers l'information essentielle : à échelle de la rivière ou du tronçon de rivière, le vivant est-il réellement affecté dans sa diversité, dans sa résilience et dans sa capacité à faire émerger de nouvelles formes  par la fragmentation du lit? Et que nous dit l'histoire singulière de cette rivière, de ses écoulements et de ses peuplements?

En conclusion, il faut souhaiter que cesse la confusion entre la très petite hydraulique, dont l'implantation est ancienne et l'effet modeste, et les grands aménagements ayant substantiellement modifié le fonctionnement de certains cours d'eau et des plaines alluviales. Cela ne veut pas dire qu'il faut refuser tout objectif de continuité et conserver tous les moulins, simplement arrêter de s'acharner à les détruire en prétendant qu'il y aura un effet majeur sur la rivière et des gains écologiques justifiant la liquidation du patrimoine historique et paysager. Le principal enjeu hydro-écologique d'un ouvrage de moulin est généralement sa franchissabilité piscicole s'il existe à son amont des déficits avérés de populations migratrices ou à forte mobilité, et à l'aval un pool de population suffisant pour recoloniser le lit. En se concentrant sur cet objectif, en procédant de manière progressive et concertée sur les linéaires à fort enjeu de continuité longitudinale, en améliorant les modèles écologiques des rivières pour être plus sélectif sur les interventions, on diminuera le coût et la complexité des instructions, des études, des chantiers. On pourra surtout faire des moulins les partenaires d'une écologie raisonnée des rivières, au lieu de les désigner comme des adversaires et de dissoudre dans la confusion idéologique toute envie d'agir ensemble.

A lire pour aller plus loin :
Du continuum fluvial à la continuité écologique, réflexions sur la genèse d'un concept et son interprétation en France
Anthropocène, grande accélération et qualité des rivières
Différentes manières de regarder la même rivière (ou l'origine de certains malentendus)

30/03/2016

La pisciculture de Champlost (89) détruite sous prétexte de continuité écologique

Sur le Créanton (affluent icaunais de l’Armançon) à Champlost, un ouvrage hydraulique a été détruit afin de "renaturer" la rivière. Coût estimé de l’opération : 345 k€ d’argent public pour moins de 500 m de linéaire concernés, sans protocole scientifique de suivi sur la durée pour connaître le bénéfice réel sur les milieux. Cette opération soutenue par le Sirtava (Syndicat de l’Armançon) et l’Agence de l’eau Seine-Normandie est une gabegie supplémentaire conduisant à détruire le patrimoine historique (ouvrage fondé en titre) et le potentiel économique (le site avait servi d’usine hydro-électrique et de pisciculture). L’examen des données disponibles révèle plus clairement l’absurdité du chantier: le Créanton est massivement recalibré au XXe siècle et pollué sur l’ensemble de son lit, il subit des flux de particules fines liés aux usages du bassin versant et des prélèvements dès la source, l’état piscicole vers 1900 (reconstruit par des chercheurs) montre que les moulins n’ont guère d’impact sur la biodiversité et, de l’aveu même du rapport de la Fédération de pêche de l’Yonne, la zone aval soi-disant "renaturée" est celle qui avait de toute façon les meilleurs peuplements de poissons à l’époque contemporaine. Quand cette mascarade va-t-elle donc cesser ? Nous demandons de geler les opérations d’effacement en rivière, comme Ségolène Royal en a instruit les Préfets.

Le Créanton est un affluent de l’Armançon, long de 19 km environ. Son bassin versant représente une superficie de 135 km2.  En 2015, le moulin et la pisciculture de Champlost (89), situés à 5 km de la confluence, n’ont pas échappé au rouleau compresseur de la continuité écologique. Le moulin figurant sur la carte de Cassini est fondé en titre. Il a bénéficié d’un règlement d’eau en 1857. Un projet d’usine électrique a été mis en œuvre avant 1920 et a produit jusqu’en 1949. Une pisciculture a été installée en 1980 et le parc accueillait du public (pêche à la ligne, mini-golf, buvette). Le moulin a donc prouvé, si besoin était, ses fonctionnalités au cours des siècles et l’argument de son actuelle "absence d’activité" témoigne d’un manque élémentaire de prise en considération du long terme (voir cette idée reçue).

Le fonds était à vendre avant 2010. L’arrêté préfectoral trentenaire autorisant l’exploitation piscicole était à renouveler. A cette occasion, il était normal que la DDT subordonne la délivrance d’un nouvel arrêté à des travaux de mise en conformité au titre du Code de l’environnement. Compte tenu de la topographie, de la modestie de l’ouvrage répartiteur et de la retenue (remous amont de moins de 300 m), ces travaux ne constituaient pas une contrainte technique compliquée et n’auraient pas dû engager un coût démesuré, à condition de choisir des solutions sobres. Le maître d’ouvrage aurait donc pu obtenir un nouvel arrêté préfectoral, puis vendre sa pisciculture dans de bonnes conditions. Au lieu de cela, une désinformation organisée sur ses obligations et sur les coûts annoncés a fortement suggéré au requérant esseulé, désemparé, d’endosser le rôle de "porteur de projet" ambitieux en restauration de rivière. Il serait en cela assisté par le Sirtava (Syndicat de l’Armançon) et couvert de subventions.


C’est le procédé habituel des autorités et gestionnaires de rivière pour imposer la continuité écologique : on repère des sites en situations de faiblesse ou de dépendance à un acte administratif, on procède à un chantage à la subvention pour l’effacement tout en brandissant en parallèle le spectre d’une mise en demeure avec des coûts d’aménagement très élevés. Tous les maîtres d’ouvrage qui ont subi ces pressions peuvent témoigner de leur caractère insupportable et insidieux.

Le Créanton, rivière dont la morphologie a été remaniée de la source à la confluence
Qu’en est-il du Créanton, cette rivière que ses "sauveurs" autoproclamés prétendent améliorer en détruisant un moulin ? En 2009 la Fédération de pêche de l’Yonne a produit un rapport intitulé Première estimation de la fonctionnalité piscicole du Créanton et de ses affluents. Voilà ce qui est dit des multiples remaniements du lit de la rivière :

"La quasi totalité du linéaire du Créanton a subi des aménagements divers et variés ayant pour but d’en améliorer la capacité hydraulique ou d’en utiliser la force motrice,
- aménagements anciens pour l'utilisation de la force hydraulique qui font obstacle à la libre circulation du poisson et au transport sédimentaire. Ils n'ont pour la plupart plus aucune activité économique connue et pourraient valablement être aménagés ou plus simplement détruits.
- aménagements hydrauliques récents ou anciens du bassin versant en vue en autre chose de favoriser l'agriculture. Ceci a conduit non seulement à une modification drastique des profils en long et travers de ce ruisseau mais aussi à une vraisemblable transformation de son régime hydrologique.
Pour exemple nous citerons de l’amont vers l’aval:
- curage et recalibrage total entre Vaudevanne et le Ponceau dans les années 70,
- busage sur 100 ml au terrain de football à Chailley en 1998/2000,
- curage sur le bief du moulin d’en haut à Venizy au début des années 90 avec destruction des zones de frayère au lieu dit la planche,
- suppression progressive du vrai lit du Créanton au ponceau par comblement et non respect du débit réservé,
- curage et recalibrage en 1987 du Créanton du pont des lames jusqu’à la route départementale 129 au lieu-dit les Pommerats, soit une longueur de 500 ml, sur la base d’une autorisation de recépage et faucardage. Ceci a conduit à la destruction d’une vaste zone de frayères à truite identifiée au préalable par le Conseil Supérieur de la Pêche,
- disparition des frayères sur tout le parcours du Créanton entre le pont de la RD943 à Avrolles et l’usine du Boutoir ayant pour cause le curage de la rivière en 1976.
Cette liste n’est bien évidement pas exhaustive !"

Le Créanton face aux pollutions chimiques et aux particules fines
Concernant la qualité chimique et physico-chimique, cette même étude relevait : "on notera la mauvaise qualité observée pour les nitrates sur la totalité des mesures disponibles. Pour ce paramètre, les valeurs relevées sont en progression constantes et il est vraisemblable que la situation ne se soit pas près de s’améliorer de façon notable au vu de la pression agricole exercée sur ce bassin versant. (…) Pour les pollutions autres que diffuses (agriculture) et chroniques (domestiques), le Créanton est en passe de battre le record des citations départementales avec le lauréat sans concurrent que constitue la commune de Chailley et son industrie agroalimentaire. La liste ci dessous dresse un bilan non exhaustif des diverses pollutions portées à la connaissance de la FYPPMA sur le Créanton,
- mai 1983, pollution par traitement agricole avec mortalité de poissons à Venizy, 
- octobre 1993, pollution industrielle à Brienon sur Armançon, 
- septembre 1996, pollution industrielle à Chailley, 
-mars 1998, pollution industrielle à Chailley,
- décembre 1999, pollution industrielle à Chailley, 
- janvier 2000, pollution communale à Chailley, 
- juin 2003, pollution industrielle à Chailley, 
- décembre 2004, pollution industrielle à Chailley, 
- août 2005, pollution industrielle à Chailley, ... 
Cette liste est bien évidemment non exhaustive.
(…)
Pour les sédiments, nous noterons un colmatage très important par des matières en suspension fine dont l'origine est liée principalement au ruissellement des terres agricoles."

Malgré ce contexte assez catastrophique, la zone de la pisciculture de Champlost (située entre les points de contrôle Cr1 et Cr2) possédait les meilleurs recrutements piscicoles, comme le prouve ce relevé de la Fédération de pêche qui montre une dégradation croissante de la faune piscicole vers l’amont. Hors la truite qui aurait pu faire l'objet d'un aménagement de franchissement peu coûteux, on trouve de part et d'autre de l'ouvrage détruit des chabots, des lamproies de Planer, des vairons, etc.

Source : rapport FYAPPMA 2009, op. cit., droit de courte citation.

Dans un travail mené par des chercheurs sur l’histoire des peuplements du bassin de Seine (Beslagic 2013a, 2013b), il a été montré que malgré ces dégradations et aussi surprenant que cela puisse paraître, le Créanton a un peuplement dans la période moderne 1981-2010 qui a moins d’espèces limnophiles qu’au XIXe siècle. Ce même travail (ci-dessous les peuplements en 1900 grisé et en 2000 noir)  montre qu’à l’époque où le moulin existait déjà et depuis longtemps, il n’y avait pas de problèmes particuliers pour les barbeaux, anguilles, brochets et autres espèces d’intérêt.
Source : Beslagic 2013a, art. cit., droit de courte citation.

Bureau d’études aux ordres pour un projet pharaonique à 350 k€
Ces données indiquent assez clairement qu'un ouvrage vieux de plusieurs siècles n'est certainement pas le premier souci de la rivière, donc le premier motif à dépenser de l'argent public pour viser des gains de qualité. Malgré cela, le bureau d’études SEGI missionné par le Sirtava et financé par l’Agence de l’eau Seine-Normandie n’a pas manqué de prétendre que le moulin et la pisciculture représentaient une grave dégradation du Créanton et de son peuplement biologique. On retrouve dans le rapport les habituelles généralités à mots demi-savants qui servent à justifier n’importe quelle destruction d’ouvrage aujourd’hui (alors que l’essentiel de la recherche scientifique internationale sur la continuité écologique concerne des altérations de débit et donc de morphologie sans commune mesure avec l’impact quasi-nul de la petite hydraulique).

Voilà ce que dit le rapport du Coderst sur les ambitions du projet de restauration :

"Le projet prévoit la suppression de l’ouvrage hydraulique de dérivation des eaux vers la pisciculture et la modification du tracé du Créanton sur un linéaire d’environ 500 m. L’objectif étant de se rapprocher du tracé originel, avant aménagement du site, tel que déterminé par l’analyse topographique du terrain et la recherche des points bas. Les caractéristiques morphologiques du nouveau lit (sinuosité, profondeur, largeur...) ont été dimensionnées à partir de relevés réalisés sur des tronçons références situés à proximité. Cet aspect du projet vise à augmenter la quantité (longueur du linéaire) et la diversité (différents faciès d’écoulements) des habitats disponibles pour la faune aquatique sur le tronçon afin de maximiser les gains écologiques attendus suite à la suppression de l’ouvrage. Avec une énergie relativement faible, les capacités physiques d’ajustement du Créanton ne sont pas suffisantes pour qu’il remodèle de lui-même une diversité de formes de son lit."

Donc :
  • il s’agit de "renaturer" 500 m d’un cours d’eau qui est massivement dégradé par ailleurs, (mais qui l’est clairement moins dans la zone du moulin visé, en termes piscicoles),
  • pour une rivière qui n’a pas l’énergie de dessiner son lit, c’est-à-dire une prétendue renaturation artificielle, par ingénierie et travaux publics – les tresses et méandres ne sont pas des fins en soi en tête de bassin sur les petits cours d’eau, c’est absurde de vouloir répéter les traits physiques que les manuels observent sur les lits moyens à forte activité sédimentaire et crues morphogènes !
Coût estimé de cette opération : 345.206,40 € TTC. L’argent public des Français une nouvelle fois jeté dans la rivière, avec destruction du patrimoine historique et du potentiel économique pour des renaturations dont 10 ans de littérature scientifique internationale montrent qu’elles ont des effets modestes, nuls voire parfois négatifs sur la biodiversité.

A notre connaissance, aucun protocole de suivi n’a été décidé : on dépense sans chercher à savoir ce qu’il en sera de la comparaison avant / après, sur le long terme (plus de 12 ans sont considérés comme nécessaires), non seulement pour les poissons, mais aussi bien les insectes, crustacés, amphibiens, reptiles, oiseaux et autres espèces qui définissent la vraie biodiversité, laquelle ne se résume pas à quelques proies potentielles des pêcheurs à la ligne. Parmi les éléments du projet expliquant son coût : la création d’un pont d’une capacité de 16 tonnes alors que le pont sur une voie publique à l’entrée de la propriété n’offre, sauf erreur, qu’une capacité d’environ 5 tonnes… sûrement pour permettre aux pelleteuses et bulldozers de venir "renaturer" la rivière tous les 20 ans. Et tous les services valident ces idées dépourvues de bon sens.

Enquête publique bâclée
L’enquête publique fut un modèle de mascarade démocratique. Le commissaire enquêteur avoua ne pas être compétent en hydromorphologie ni en continuité écologique, il cherche des réponses aux questions posées dans "les services compétents où il a reçu un très bon accueil" (p. 27). Il les obtient par le "maître d’ouvrage", dont il copie-colle les idées sans commentaires critiques. Cette grande complaisance  ("réponse détaillée et argumentée que j’estime tout à fait satisfaisante")  vis-à-vis de son mandant décrédibilise l’enquête publique. Celle-ci pèche une seconde fois quand elle ne donne aucun écho à plusieurs remarques qui auraient dû attirer son attention:
  • l’insistance appuyée sur le projet "le plus ambitieux" alors qu’aucune autre solution n’a été sérieusement étudiée,
  • une délibération du conseil municipal de Champlost qui se prononce à 14 voix plus 1 abstention (sur 15)  pour une solution technique alternative logique et peu onéreuse,
  • une disproportion des coûts (donc des options "ambitieuses") "qui peut sembler supérieure à ce qui est raisonnablement nécessaire" (p17)
  • des diagnostics peu robustes, voire aberrants, avec une ignorance quasi-complète du contexte de la rivière et de son bassin versant,
  • des lacunes sur le potentiel énergétique du moulin, la pérennisation de la production piscicole, l’emploi futur, la valorisation touristique, le patrimoine culturel, etc.

Conclusion : stop !
Comme beaucoup de syndicats de rivière soumis à la pression financière de l’Agence de l’eau Seine-Normandie et à la pression règlementaire DDT-Onema, auxquelles s’adjoignent divers lobbies sectoriels dont souvent les fédérations de pêche, le Sirtava déploie une politique des ouvrages hydrauliques dont le principal horizon paraît l’effacement au profit d’une fantasmatique renaturation. On l’observe aujourd’hui à Tonnerre comme hier à Champlost. Ce choix n’est pas rigoureusement établi au plan scientifique, n’est pas correctement débattu au plan démocratique, ne correspond pas à des priorités écologiques par rapport à nos obligations européennes de qualité de l’eau, ne respecte pas le patrimoine historique et culturel de nos rivières, néglige les nombreux avantages que présentent les ouvrages hydrauliques, représente des coûts exorbitants (il y a plus de 300 ouvrages comme celui de Champlost à traiter dans l’Yonne et autant en Côte d’Or).  En un mot, ce choix est mauvais : il doit cesser.

Eric Doligé : "les moulins, en France, constituent un maillage territorial et un patrimoine culturel incontestable"

Après Claude Kern, c'est au tour du sénateur du Loiret Eric Doligé d'interpeller la Ministre de l'Environnement sur les ratés de la continuité écologique : échec de la Charte des moulinsnon-application des mesures déjà demandées par le CGEDD en 2012 ayant motivé une nouvelle mission en 2016, chantage des Agences de l'eau qui financent à 95% voire 100% la destruction... Si Mme la Ministre confie la rédaction de sa réponse à la Direction de l'eau et de la biodiversité, le sénateur aura hélas droit à la langue de bois habituelle des hauts fonctionnaires refusant de reconnaître l'échec dont ils sont les premiers responsables par leur refus d'écouter les riverains, usagers et propriétaires d'ouvrage. La restauration morphologique des rivières appliquée aux chaussées et seuils très modestes de moulins (et non aux grands barrages) n'a aujourd'hui ni suivi scientifique de ses effets sur les milieux ni évaluation économique de son rapport coût-bénéfice. Combien d'ouvrages détruits, combien de millions d'euros dilapidés avant que les dogmes et les slogans cèdent place à une analyse objective et à une politique concertée? 

M. Éric Doligé attire l'attention de Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, sur la destruction en cours des 60 000 moulins de France. Le troisième patrimoine historique bâti de France fait l'objet d'une application déraisonnable et excessive de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA), faisant suite à l'application de la circulaire du 25 janvier 2010 qui prône l'effacement systématique des ouvrages et des seuils des moulins.

Les moulins, en France, constituent des ressources économiques, énergétiques, un maillage territorial et un patrimoine culturel incontestable. Pourtant, l'administration refuse de considérer la valeur patrimoniale de ces usages en les réduisant à des « obstacles » à la continuité écologique. Or, les propriétaires de moulins ne sont pas opposés au principe de la continuité écologique mais à l'application excessive qui en est faite.

C'est pourquoi, il est absolument nécessaire et urgent de trouver une solution entre la gestion équilibrée de la ressource en eau et la préservation du patrimoine. La réunion de travail conjointe entre les deux ministères (environnement et culture) n'a abouti à aucune solution concrète pour sauvegarder le patrimoine hydraulique. Alors qu'une nouvelle mission vient d'être demandée au conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), actant ainsi l'échec des conclusions de la précédente mission, la situation continue de se dégrader dans les territoires (échec récent de la signature de la charte des moulins et demande d'un moratoire sur le classement des rivières).

Il souhaite donc connaître ses intentions, pour permettre une conciliation harmonieuse des différents usages de l'eau dans le respect du patrimoine et des obligations de la France, dans le cadre de la directive cadre sur l'eau du 23 octobre 2000 (DCE 2000), et de remédier, enfin, aux situations de blocage avec l'administration.

Faites signer la demande de moratoire à vos élus. 

29/03/2016

12 partenaires nationaux, 275 institutions, 1200 élus s’engagent pour une autre vision de la continuité écologique

  • Le mouvement pour un moratoire sur la continuité écologique est porté par 12 partenaires nationaux et plus de 250 associations et institutions locales, représentant l’ensemble des usagers de l’eau, des propriétaires d’ouvrages hydrauliques et des riverains.
  • L’appel à moratoire a déjà recueilli plus de 1800 grandes signatures en sept mois, dont 29 parlementaires et plus de 500 maires ou maires-adjoints.
  • Plus de 100.000 adhérents directs au bord des rivières classées au titre de la continuité écologique sont représentés par les associations ou institutions signataires.
  • Depuis le lancement du moratoire, et suite à d’innombrables interpellations des élus, le  gouvernement et le Parlement ont commencé à acter la réalité des problèmes posés par la réforme de continuité écologique : indifférence au patrimoine historique et culturel ; manque de concertation ; prime à la destruction des ouvrages ; changement des paysages de vallée contre l’avis des riverains ; coût exorbitant de certains aménagements ; insolvabilité des particuliers et mise en danger des petites exploitations ; absence de suivi sérieux du Ministère (pas de base de données nationale) ; retard considérable sur les chantiers (moins de 10% de sites aménagés à 2 ans seulement de l’issue du délai légal).
  • La mission confiée au CGEDD par la Ministre de l’Ecologie en décembre 2015 pour faciliter le consensus autour de la mise en conformité des seuils, chaussées et barrages en rivière, comme le vote des lois Patrimoine et Biodiversité doivent permettre d'entériner des évolutions substantielles de la loi, de la réglementation et de la mise en oeuvre de la continuité écologique.
  • Les partenaires nationaux du moratoire font 10 propositions pour une réforme en profondeur de la gouvernance et de l’application des réformes de continuité écologique.


L’Observatoire de la continuité écologique et des usages de l’eau (OCE), la Fédération des moulins de France (FMDF), la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM), l’Association des riverains de France (ARF), l’Union nationale des syndicats et associations des aquaculteurs en étangs et bassins (UNSAAEB), Electricité autonome française (EAF),  France hydro électricité (FHE), Fédération nationale des syndicats de forestiers privés (FRANSYLVA), la Coordination rurale (CR) , Maisons paysannes de France (MPF), Vieilles maisons françaises (VMF), la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF) portent un appel commun pour demander un moratoire sur la mise en œuvre de la continuité écologique.

En sept mois, le mouvement a déjà reçu plus de 1800 grandes signatures d’élus, d’associations, d’institutions et de personnalités de la société civile.

Un mouvement sans précédent des riverains, des usagers et des défenseurs du patrimoine
Ce mouvement est sans précédent par la diversité des partenaires qui le portent, rassemblant les riverains et les usagers de la rivière, ainsi que les défenseurs du patrimoine culturel et paysager. Cette unité témoigne si besoin était de la pertinence de la démarche, de l’urgence de la situation au bord des rivières et de l’absence de concertation réelle dont a souffert la politique de continuité écologique depuis 10 ans.

Cette politique était notamment conçue pour contribuer à l’atteinte du ‟bon état des masses d’eau en 2015”.  La loi demandait simplement des mesures de gestion, entretien et équipement des ouvrages hydrauliques, mais l’administration a ciblé l’hydromorphologie des rivières comme un élément supposé essentiel de ce bon état en allant bien au-delà des prescriptions initiales. Cela a conduit à un projet irréaliste de « renaturation » des cours d’eau classés et de « restauration des habitats » entraînant souvent des reprofilages complets des écoulements.

L’application bien trop systématique, autoritaire et radicale de cette politique s’est révélée inefficace. Elle a donné lieu à toutes sortes d’improvisations sur le choix des ouvrages traités, sans aucune cohérence écologique. Elle a eu pour principal effet de braquer les populations riveraines face à des préceptes d’aménagements dont la rationalité scientifique est difficile à percevoir, impliquant des coûts considérables et des bénéfices non quantifiés ni garantis. L’extension des ‟migrateurs” à toutes sortes d’espèces non migratrices ni menacées d’extinction, la volonté de privilégier l’effacement des ouvrages comme solution prioritaire, l’absence de prise en compte de l’attachement des riverains et usagers aux autres dimensions de la rivière ont dénaturé l’objectif initial visant plus modestement à améliorer certaines fonctionnalités des ouvrages là où il était prouvé que cela était nécessaire. La gestion « équilibrée et durable » de la ressource en eau prévue par l’article L 211-1 du code de l’environnement a été remise en question par ces choix.

Le ministère de l’Ecologie (Direction de l’eau et de la biodiversité), les Agences de l’eau et l’Onema ont ainsi favorisé depuis 2009 des options de destruction du patrimoine hydraulique, ou des aménagements d’une complexité excessive. Cette attitude a entraîné un blocage de nombreux projets, de vives interrogations des riverains et des usagers inquiets de voir disparaître leur paysage familier ainsi qu’un refus de beaucoup de propriétaires ou d’exploitants de s’engager dans un dossier « à charge », sans issue raisonnable pour eux (effacement ou endettement) et sans prise en compte des préjudices subis pour leurs biens ou leurs exploitations.

1200 élus dont 30 parlementaires et 508 maires ou maires-adjoints
Les élus sont très concernés par la continuité écologique car la gestion des rivières est au cœur de la vie locale. Leur soutien à la demande de moratoire témoigne des difficultés de mise en œuvre de cette continuité et de son déficit massif d’acceptabilité par les populations.

Alors que les collectivités voient leur dotation baisser et que l’État ponctionne le budget des Agences de l’eau, des sommes conséquentes sont dépensées pour des objectifs dont l’intérêt environnemental est souvent peu démontré, sans engagement de résultats pour les espèces piscicoles et la biodiversité en général, qui ne résume pas aux poissons. Pourtant, l’argent manque pour l’amélioration de l’efficacité réelle des assainissements et l’aide aux bonnes pratiques environnementales qui participent à l’amélioration de la qualité de l’eau.

275 associations et institutions, représentant 100.000 adhérents directs, et de nombreux acteurs de la société civile
Des associations de sauvegarde de moulins et de riverains, des associations de défense de la rivière ou de ses ouvrages, des associations de pêche (AAPMA), parfois des syndicats de rivière ont déjà rejoint le mouvement pour un moratoire sur la continuité écologique.

Ces institutions sont présentes dans toutes les régions françaises, en particulier dans les rivières classées en liste 2 au titre de la continuité écologique. Toutes ont rejoint le moratoire en exprimant le sentiment qu’elles n’avaient jamais été entendues et, si par hasard des réunions de concertation avaient été organisées, que leurs objections n’avaient jamais été prises en compte. Le déficit démocratique de la continuité écologique est patent.

Dans les signataires de la société civile, outre des chercheurs, des auteurs, des artistes, on compte aussi des chefs d’entreprise qui expriment le regret de l’absence fréquente de réalisme économique des mesures proposées par l’administration dans le domaine de la continuité écologique. Quand ces entreprises produisent de l’énergie bas carbone, l’incompréhension est totale car le Ministère de l’Ecologie envoie des signaux contradictoires, demandant une montée en puissance des énergies renouvelables mais contrariant l’hydro-électricité par toutes sortes de mesures rendant les dossiers longs, les investissements risqués et la rentabilité de plus en plus incertaine.

Le gouvernement et le Parlement commencent à mesurer l’ampleur du problème
Au cours des derniers mois et suite aux interpellations du gouvernement (questions écrites de parlementaires et courriers de propriétaires ou d’associations), les nombreux problèmes liés aux effacements d'ouvrage ou à l’imposition de travaux à coûts exorbitants ont commencé à être pris en compte. La Ministre de l'Ecologie a missionné une enquête du CGEDD pour comprendre les blocages. Elle a écrit aux Préfets en décembre 2015 pour demander l’arrêt des destructions de sites.  La ministre de l’Ecologie et la ministre de la Culture ont appelé à plusieurs reprises devant le Parlement à cesser les effacements de seuils de moulins.

L'article L 214-17 du Code de l’environnement, qui a créé en 2006 le principe de classement des rivières en vue d’assurer la continuité écologique, est actuellement débattu dans le cadre de l'examen des lois Patrimoine et Biodiversité, avec dépôts de plusieurs amendements émanant de partenaires du moratoire.

Le rapport parlementaire Dubois-Vigier (février 2016) sur les continuités écologiques aquatiques a demandé une évolution substantielle de la continuité écologique sur plusieurs points, dont le financement et la priorisation sur le vrai enjeu des grands migrateurs amphihalins. Il apparaît que le ministère de l’Ecologie ne dispose toujours pas en 2016 d’une base de données sur l’ensemble des chantiers mis en œuvre, leur coût public, les solutions choisies et les bénéfices constatés pour les milieux aquatiques. Les parlementaires se sont émus de cette opacité.

Selon les données disponibles, alors que 2200 rivières et 15.000 ouvrages sont concernés d’ici à 2018, il semble qu’environ 600 dossiers seulement seraient engagés chaque année. Et comme bien souvent les solutions préconisées ne rencontrent pas l’assentiment spontané des propriétaires ou des populations, le nombre d’ouvrages réellement effacés ou aménagés depuis les classements de 2012-2013 serait plus faible encore.

Les publications de SDAGE et de leurs états des lieux de bassin ont indiqué que la France est très loin de son objectif de deux-tiers des massées d’eau en ‟bon état 2015”. Dans certains bassins ayant privilégié de longue date la restauration morphologique et la continuité des rivières, comme Loire-Bretagne, les progrès de l’état chimique et écologique des masses d’eau superficielles sont quasi-nuls depuis 10 ans. Il y a la matière à nourrir de sérieux doutes sur notre capacité à atteindre les objectifs 2027 de la DCE 2000 et sur l’efficience des dépenses publiques en rivière.


Les dérives et conflits ont été trop nombreux depuis 2006 pour accepter des mesures superficielles
Les partenaires du moratoire souhaitent que la mission du CGEDD décidée par la Ministre de l’Ecologie soit l’occasion de remettre à plat les modalités de la mise en œuvre de la continuité écologique et l’interprétation administrative très problématique de la partie législative du Code de l’environnement.

Ils souhaitent également que les parlementaires, travaillant actuellement à l’examen des lois Patrimoine et Biodiversité, actent l’urgence des problèmes, la détérioration des rapports des parties prenantes avec l‘administration en charge de l’eau et la nécessité de prendre d’ores et déjà des mesures pour corriger certains effets collatéraux des choix actuels en matière de continuité écologique.

Rappelons qu’après un article L 432-6 CE inopérant durant des décennies, le Plan d’action pour la restauration de la continuité écologique (PARCE 2009) avait déjà montré les nombreuses incompréhensions sur le terrain et justifié une première enquête du CGEDD en 2012. Le Conseil avait fait 11 recommandations : 2 seulement ont été réalisées et 2 ont été amorcées par la DEB (Direction de l’eau et de la biodiversité), qui a pour l’essentiel maintenu sa lecture très orientée des textes de loi relatifs à la continuité écologique.

L’administration centrale ne montre aucune écoute réelle des usagers de l’eau depuis 10 ans, les services déconcentrés développent des interprétations imprévisibles de la loi ou de la réglementation, l’ensemble produit une doctrine par trop radicale, dont la mise en application multiplie les problèmes, les retards, voire les conflits. Sans un changement de cap complet, la continuité écologique court droit à l’échec. Il en va de même pour la démarche de cartographie des cours d'eau lancée en 2015, où les riverains et usagers ne se retrouvent pas davantage dans les objectifs et les méthodes de l'administration.

Les partenaires du moratoire attendent 10 mesures de fond

  • Poser le caractère exceptionnel du choix de l’effacement (arasement ou dérasement) des ouvrages, ce qui était le texte et l’esprit de la LEMA 2006 et de la loi de Grenelle 2009 ; l’entourer de toutes les précautions nécessaires pour la rupture d’équilibre qu’il induit sur les écoulements, les berges, les habitations et ouvrages d’art, les usages, le patrimoine et les écosystèmes.
  • Garantir la faisabilité économique des réformes, en particulier des dispositifs de franchissement dont les coûts sont actuellement inabordables sans aides publiques massives ; privilégier quand c’est possible des solutions de bon sens relevant de la bonne gestion des ouvrages et des vannages ; revoir le régime de subvention des agences de l’eau et cesser les inégalités devant les charges publiques, chaque agence ayant son barème alors que la loi est commune pour tous.
  • Proroger d’au moins 5 ans les délais de mise en conformité prévus par la loi (L 214-17 CE) sur les rivières en liste 2, à condition que des moyens soient réellement mobilisés par toutes les Agences de l’eau pour des solutions non destructives, sinon les mêmes problèmes se poseront au terme de ce nouveau délai.
  • Réviser les classements liste 2 des masses d’eau en se concentrant sur celles qui sont en état écologique mauvais ou moyen sur des compartiments liés (de manière démontrée par démarche scientifique) aux ouvrages hydrauliques, ainsi que sur celles qui ont des enjeux migrateurs amphihalins attestés.
  • Mettre au point de façon concertée une grille multicritères d'évaluation de l'intérêt des ouvrages, considérant les dimensions multiples du cours d’eau – écologique, énergétique, économique, touristique, sportive, foncière, paysagère, culturelle, historique, sociétale –, pour mener une analyse coûts-avantages non biaisée ; intégrer tous les services rendus par les écosystèmes aménagés et éclairer la prise de décision sur des bases objectives ; associer de façon systématique et individuelle les riverains concernés lors des visites et des analyses réalisées par les DDT(-M) et l'Onema.
  • Procéder à un suivi scientifique des effets observés de la politique de continuité écologique, avec des indicateurs annuels permettant de mesurer objectivement le bénéfice de la réforme en termes d’amélioration de l’état écologique et chimique de l’eau. Il conviendra d’inclure dans les conclusions des études réalisées les outils d'évaluation et leur modalités d'utilisation par l'administration, et de fournir les résultats des opérations réalisées aux comités de pilotage et aux riverains concernés.
  • Procéder à un audit de la politique française de continuité écologique et de ses résultats, incluant un comparatif avec d’autres pays, par un board européen de chercheurs.
  • Lancer des projets de recherche académique visant à mieux modéliser la dynamique écologique des rivières, à construire des outils de priorisation utilisables par les établissements en charge de l’eau (EPCI, EPTB), à définir des solutions techniques de franchissement conciliant efficacité écologique et réalisme économique, en particulier pour les ouvrages modestes de moins de 2 m formant 80 % des seuils, chaussées et barrages concernés.
  • Intégrer l’ensemble des représentants des ouvrages et des riverains, dont la plupart sont encore tenus à l’écart en 2016, dans les instances locales, nationales et régionales de l'eau : Comité de bassin, Commission locale de l’eau, Conseil national de l’eau, commissions techniques des Agences, comités de pilotage des projets locaux et études diagnostiques de bassin versant, groupes de travail des SRCAE et SRCE.
  • Poursuivre la simplification réglementaire des dossiers lois sur l’eau (IOTA) et revoir le processus de cartographie des cours d'eau, en gelant toute nouvelle contrainte dans un domaine d’une complexité déjà illisible, avec des règles pénalisantes à interprétation locale variable selon les services instructeurs ; nommer une commission permanente de concertation chargée du suivi des types de dossiers posant encore problème et de la recherche de solutions consensuelles vers plus de simplicité et d’efficacité.
Texte de l’appel : à diffuser pour amplifier le soutien à la demande de moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique

27/03/2016

Armançon aval: état chimique et écologique de la masse d'eau

Concernant le chantier d'effacement de deux seuils prévu à Tonnerre sous la houlette de la Commune et du Sirtava, nous avons déjà exposé les motifs de refuser le projet en l'état lors de l'enquête publique, souligné la qualité piscicole excellente du tronçon et rappelé son peuplement historique assez stable de poissons. Dans ce nouvel article, nous examinons les données disponibles de qualité écologique et chimique de l'eau. Elles montrent que le seul enjeu des 5 dernières années en physico-chimie a été la présence excessive de nitrates trois années de suite (2010-2012), et que l'état chimique reste dégradé aux HAP, avec par ailleurs une absence de mise à disposition des relevés détaillés sur les pesticides. Rien de tout cela ne suggère qu'il est urgent ou prioritaire d'effacer deux ouvrages modestes parmi des dizaine d'autres – et encore moins d'engager des dépenses pharaoniques pour les aménager tous !  On mesure à travers ce cas particulier l'imperfection du classement massif des rivières de 2012-2013 et l'urgente nécessité d'une révision substantielle de la politique de continuité écologique 



Nous avions exposé dans un précédent article comment se mesure la qualité de l'eau pour la directive cadre européenne (DCE 2000), en focalisant sur l'indice poisson rivière (IPR), qui analyse les peuplements piscicoles. La masse d'eau qui nous intéresse est l'Armançon aval, dont la station de surveillance est à Tronchoy.

Concernant l'état écologique (données biologiques et physico-chimiques), on peut trouver les relevés détaillés de Seine-Normandie à cette adresse. L'analyse des mesures 2010-2014 sur la station de contrôle de Tronchoy ne montre que deux altérations sur l'ensemble des paramètres : la saturation en oxygène sur la seule année 2013, les nitrates NO3- de 2010 à 2012 (mais niveaux corrects en 2013 et 2014). Tous les autres paramètres de l'état écologique (données biologiques, données physico-chimiques, substances prioritaires) sont bons (sur ce lien le fichier xls de synthèse).

Au regard de la DCE 2000, en dehors de la vigilance sur les contaminations aux nitrates en raison de trois années en état moyen, il n'y a pas lieu d'intervenir sur ce tronçon pour son état écologique. Rappelons que la suppression de seuil n'est pas favorable au bilan nitrates des cours d'eau, car les eaux plus lentes de retenues et leur activité microbienne contribuent à la dénitrification, donc à l'épuration de la rivière (voir cette synthèse). Avant d'engager des destructions, il conviendrait de s'assurer qu'elles ne risquent pas d'aggraver les bilans sur ce contaminant.

Un point à noter au passage: l'application Qualité Rivière ne reproduit pas les résultats que l'on trouve sur les répertoires de l'Agence de l'eau (lien ci-dessus), lesquels ne sont pas toujours convergents avec le fichier du rapportage à l'Union européenne. Il est particulièrement pénible pour les citoyens et les associations qu'il n'existe pas au niveau national une base de données certifiées et homogénéisées, facile d'accès tout en étant complète, avec sur chaque masse d'eau l'intégralité des résultats, la liste complète des substances identifiées, la précision sur les mesures non réalisées ou simplement estimées par modèle. En l'état de dispersion des informations, nous ne sommes pas capables d'évaluer la qualité du suivi sur une masse d'eau.

Concernant la pollution chimique, les données publiques manquent ainsi de transparence. L'Agence de l'eau avance un bon état chimique hors HAP, sans indiquer de données détaillées. Mais on peut trouver en ligne des mesures DREAL (année 2010) sur l'Armançon à Tronchoy  montrant des doses excessives d'isoproturon et de chlortoluron, ainsi que des substances aujourd'hui interdites (dinoterbe, atrazine déséthyl). Pourquoi les relevés de ces substances (pesticides) ne sont-ils pas intégralement publiés (ou alors perdus au fond de répertoires inaccessibles aux citoyens)? Qu'en est-il des relevés récents? Combien de pesticides différents (effet cocktail) sont-ils trouvés, même en dessous des normes jugées admissibles pour les milieux?

La pollution aux HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) concerne 92% des eaux du bassin Seine-Normandie, et appelle des mesures de fond pour collecter les eaux de ruissellement des routes et limiter l'usage des carburants fossiles. Autant d'évolution qui sont lentes et coûteuses à mettre en action, donc qui demanderaient des efforts constants de la part des gestionnaires (au lieu de l'actuel fatalisme consistant à considérer la pollution aux HAP comme trop diffuse et trop massive pour être combattue).

Dernier point : les analyses chimiques de l'eau pour la DCE 2000 sont loin d'être complètes. L'Union européenne va élargir sous peu (2018) la liste des substances chimiques à contrôler. Mais même avec cette extension à quelques dizaines de nouveaux contaminants, on ne sera pas vraiment capable de mesurer et de comprendre l'effet des milliers de molécules de synthèse circulant dans nos eaux, qu'il s'agisse des résidus médicamenteux et des perturbateurs endocriniens (déjà connus pour affecter la reproduction de la faune piscicole et non surveillés en routine), des microplastiques et de tant d'autres qui ne sont pas aujourd'hui suivis ni traités avant rejets en rivière. Un assainissement durable demanderait une mise aux normes des stations d'épuration, généralement repoussée en raison de ses coûts conséquents.

En conclusion
Les budgets des Agences de l'eau sont loin de couvrir tous les besoins des collectivités pour assurer la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau, la prévention des inondations et la protection des milieux aquatiques. C'est d'autant plus vrai que l'Etat ponctionne désormais le budget de ces Agences pour réduire son déficit public, en rupture avec le principe historique "l'eau paie l'eau" (c'est-à-dire les taxes propres à l'eau financent les travaux). Il faut donc choisir les mesures qui paraissent les plus essentielles pour le bénéfice qu'elles apportent à la rivière et aux riverains. Il n'est pas acceptable pour notre association que l'Agence de l'eau Seine-Normandie et les syndicats de rivières qu'elle abonde continuent de choisir des dépenses futiles, plus idéologiques que scientifiques, comme des effacements de seuils sans bénéfice garanti pour les milieux, sans assurance sur la stabilité à long terme des berges et du bâti dans le nouvel écoulement ainsi produit, avec par ailleurs une disparition du patrimoine bâti et du potentiel énergétique. L'avenir de nos rivières demande un débat démocratique élargi : les adoptions de SDAGE et SAGE sont très peu suivies par les citoyens alors que les orientations choisies modifient leur cadre de vie, engagent des dépenses d'argent public et décident de l'avenir des cours d'eau.

26/03/2016

Lutte contre les nitrates: toujours pas probant

Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), agissant comme Autorité environnementale, vient de rendre un avis pour le moins critique sur le nouveau Programme d'actions national nitrates proposé par le gouvernement. Le CGEDD est obligé de se référer à ses deux précédents rapports, qui n'avaient pas été suivis d'effets (une mauvaise habitude que connaît hélas le monde des ouvrages hydrauliques). Parmi les reproches: pas d'analyse quantitative permettant de suivre les effets des mesures, mauvaise prise en compte de la qualité de l'eau et des objectifs DCE 2000, pas de garantie sur l'eutrophisation, simple nettoyage formel des programmes précédents pour éviter la condamnation de la Cour de justice de l'Union européenne suite à la mise en demeure de 2014. Ce bricolage permanent sans queue ni tête, ce pilotage à vue où l'on navigue de mesures inappliquées en objectifs inapplicables et de diagnostics sans preuves en actions sans effets, nous le retrouvons désormais dans toutes les strates de la politique française de l'eau. Pendant ce temps-là, les destructeurs du patrimoine hydraulique nous jurent la main sur le coeur que "tout est fait pour les autres impacts sur la rivière, les pollutions sont déjà traitées". Allons donc... Ci-dessous synthèse du rapport.


"La directive n°91/676/CEE du 12 décembre 1991, dite directive « nitrates », vise la réduction et la prévention de la pollution des eaux par l’azote d’origine agricole (engrais chimiques, déjections animales et effluents d’élevage). Elle a notamment instauré des « zones vulnérables » (définies sur des critères de concentration en nitrates dans l’eau ou d’eutrophisation), dans lesquelles doivent être mis en œuvre des « programmes d’action » visant à restaurer la qualité des eaux et des milieux aquatiques. En France, un programme d’actions national est établi sous la responsabilité des ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement. Il est complété dans chaque région par un programme d’actions régional.

Les principaux enjeux environnementaux du programme d’action nitrates sont liés à l’équilibre du cycle de l’azote et à son impact sur les différents milieux : la contamination par les nitrates des eaux souterraines et superficielles ; les impacts sur les milieux en particulier l’eutrophisation des milieux aquatiques continen- taux et marins ; l’intégrité des sites Natura 2000.

Le document transmis à l’Ae est un nouveau projet d’arrêté modifiant le programme d’actions national en vigueur depuis 2013 ; l’Ae avait déjà formulé deux avis sur les programmes nationaux précédents2. Elle renouvelle les recommandations qu'elle avait déjà faites en 2011 et en 2013, toujours non prises en compte dans ce document et recommande, en conséquence, que les avis n° 2011-49 et n° 2013-53 soient joints au dossier de consultation.

Les modifications apparaissent davantage motivées par la nécessité de répondre a minima aux attendus d’un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne que par l’ambition de restaurer les écosystèmes perturbés par l’excès d’azote. Alors que ce programme d’actions nitrates devrait être un levier de mise en oeuvre de la directive cadre sur l’eau, visant à restaurer la qualité des écosystèmes, l’analyse privilégie un seuil de qualité chimique des eaux qui ne garantit pas l'absence d’eutrophisation.

L’évaluation environnementale, qui est claire, ne concerne que les modifications prévues par ce projet d’arrêté et revient très peu sur l’évaluation du programme dans son ensemble.

L’évaluation environnementale ne recourt pas à des méthodes quantitatives qui permettraient de vérifier l’efficacité des mesures. L'Ae renouvelle sa recommandation de réaliser une évaluation globale du programme d’actions national et des programmes d'actions régionaux, indispensable pour vérifier la pertinence de l’ajustement des mesures pour l’atteinte des résultats recherchés, tout particulièrement vis-à-vis des milieux les plus sensibles.

L’Ae recommande que l’évaluation environnementale démontre et quantifie dans quelle mesure le programme rendra possible la diminution de l’eutrophisation des milieux aquatiques vulnérables aux nitrates, et qu’elle démontre l’existence ou l’absence d’incidence significative sur les sites Natura 2000. S’appuyant sur le concept de «cascade de l’azote», l’Ae recommande également que l’évaluation du programme d’actions prenne en compte, d’autres questions environnementales liées à l’excès d’azote (qualité de l’air, santé humaine, émissions de gaz à effet de serre...)."

Source : CGEDD, Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le programme d'actions national nitrates, n°2015-101 adopté lors de la séance du 16 mars 2016

Illustration : marée verte dans le Finistère, par Thesupermat - travail personnel, GFDL

25/03/2016

Quelles espèces circulent dans les passes à poissons ? (Benitez et al 2015)

Des chercheurs belges ont procédé pendant 6 ans à des prises hebdomadaires dans deux passes à poissons installées sur les rivières Berwinne et Amblève, affluents de taille intermédiaire de la Meuse et de l'Ourthe. Le nombre total de poissons capturés annuellement est de l'ordre de quelques centaines, avec un effet d'appel la première année. Si les salmonidés et les grands cyprinidés dominent en biomasse, de nombreuses petites espèces les utilisent également. Une proportion importante des passages des adultes est liée à des périodes migratoires, les juvéniles ayant des comportements plus variables. Les auteurs concluent qu'il vaut mieux concevoir des passes toutes espèces. Ce travail montre une certaine efficacité des passes, utilisées (même très sporadiquement) par 80 à 100% des espèces présentes dans les rivières, mais il pose cependant plusieurs questions complémentaires, non envisagées dans l'article de recherche. Quelle proportion de poisson au sein de chaque espèce emprunte la passe par rapport à ceux qui restent sur leur territoire aval? Quels bénéfices durables observe-t-on pour l'évolution des peuplements aval et amont, au-delà du constat de franchissement? Si le gain écologique est jugé d'intérêt, comment finance-t-on la généralisation de ces passes à poissons, dispositifs connus pour être coûteux, en particulier s'ils sont conçus pour toutes les capacités de nage et de saut? 

Les poissons présentent tous des comportements de mobilité dans le fluide qui les abrite. Certains mouvements de longue distance correspondent à des migrations périodiques, assez bien documentées chez les espèces concernées. Mais les autres facteurs et traits de mobilité restent peu connus à ce jour. Les passes à poissons sont les dispositifs les plus souvent implémentés pour restaurer une connectivité longitudinale dans la rivière, en particulier pour assurer la montaison des migrateurs, qui cherchent des habitats spécifiques pour y déposer leurs oeufs et dont les larves seront ensuite ramenées vers l'aval par le courant. Ces passes sont souvent conçues pour des espèces "nobles" (désignées comment telles par les pêcheurs) : "les espèces de poissons moins nobles ont été longtemps négligées et restent pauvrement comprises quant à leur utilisation des passes à poissons", notent les auteurs qui travaillent à l'Université de Liège, Unité de biologie du comportement (Jean-Philippe Benitez, Billy Nzau Matondo, Arnaud Dierckx, Michaël Ovidio). De là cette étude du passage observé dans les dispositifs de franchissement.


Le contexte des passes étudiées, illustration extraite de Benitez et al 2015, art cit, droit de courte citation

Les sites des passes de Berneau (rivière Berwinne) et Lorcé (rivière Amblève) ont respectivement les caractéristiques suivantes : linéaires de 29 et 93 km, bassin versant de 131 et 1083 km2, module de 1,9 et 19,3 m3/s, pente moyenne 7,5 et 5,2‰, hauteur des obstacles de 1,4 et 3,3 m, longueur des passes de 16 et 67 m, 4 et 15 bassins, chutes interbassins de 0,3 et 0,25 m, zone à ombre / barbeau (Huet) à dominante truite et à dominante barbeau, qualité bonne et moyenne de l'eau. Ce sont donc des dimensions et des caractéristiques représentatives des têtes et milieux de bassin.

Les passes ont été suivies deux à trois fois par semaine pendant six ans (2002-2008 et 2007-2013), avec capture (dans le dernier bassin) et mesure des individus. Ce n'est pas un test d'efficacité relative où l'on place des puces sur une population témoin de poissons (protocole coûteux si l'on veut obtenir un échantillon représentatif), mais une analyse empirique de franchissement.

Voici quelques-uns des principaux résultats :
  • 1513 individus de 14 espèces ont emprunté la passe de Berneau et 3720 de 22 espèces la passe de Lorcé, soit un nombre d'individus par an de 150-378 et 151-1197 respectivement;
  • 80% des espèces présentes dans le cours d'eau ont emprunté au moins une fois la passe à Berneau, 100% à Lorcé;
  • les petits cyprinidés (goujon, spirlin, vairon) ont représenté 53% et 71% des individus, soit le groupe le plus important en abondance numérique, les salmonidés (truite, ombre) étant dominant en biomasse à Berneau (69%) et les grands cyprinidés rhéophiles (barbeau, chevesne) à Lorcé (55%);
  • les espèces autres que la truite, l'ombre et les cyprinidés rhéophiles sont rares et représentent moins de 1% des captures (gardon, perche, anguille, carpe, brème, etc.);
  • la première année a vu la plus grande abondance de poissons de toutes espèces en biomasse, suivie d'années avec des passages plus sporadiques, soit un "effet d'ouverture" vers un nouveau milieu;
  • les adultes dominent chez la truite et les petits cyprinidés, les juvéniles chez les grands cyprinidés, mais toutes les tailles s'observent;
  • les deux pics du printemps et de l'automne représentent entre 80 et 90% des captures chez les espèces les plus fréquemment observées, mais des passages sporadiques sont observés toute l'année, et certaines espèces sont plus actives en été (spirlin, goujon, loche chez les adultes);
  • les salmonidés sont plus nombreux en température fraîche (6-12 °C chez les truites et ombre adultes), sans condition particulière de débit, les autres espèces ont des activités à des températures plus élevées (14 à 20°C chez les chevesnes et barbeaux adultes, les juvéniles de toutes espèces ayant tendance à être plus mobiles à des températures plus élevées que les adultes);
  • les mouvements coïncident avec des migrations de reproduction chez des adultes pour 57% des truites, 80% des ombres, 95% des barbeaux et 60% des chevesnes, ce qui laisse d'autres motivations comportementales (recherche de refuge, de nourriture...).
Les auteurs concluent que les passes à poissons sont empruntées par un grand nombre d'espèces dans une variété de circonstances, donc que le gestionnaire devrait réfléchir à des modèles peu sélectifs, non spécialisés sur des espèces cibles.

Discussion
Les chercheurs de l'Université de Liège montrent que les passes à poissons peuvent être empruntées par des espèces diverses, même si par conception les grands poissons des familles salmonidés et cyprinidés rhéophiles en sont souvent les premières cibles.

Plusieurs données complémentaires importantes seraient utiles pour mesurer l'intérêt réel des passes étudiées. La première est une estimation du recrutement potentiel des poissons dans la zone aval, afin d'avoir une idée de l'usage rapporté à la population. Par exemple si l'on compte une population estimée de 5000 barbeaux à l'aval (dans la zone de mobilité habituelle de cette espèce, quelques kilomètres) mais que quelques dizaines empruntent la passe chaque année, soit cette dernière n'est pas attractive ou efficace, soit elle ne correspond pas à un besoin essentiel de la population de barbeau, dont la mobilité est réduite. La seconde donnée d'intérêt, ce sont des pêches de contrôle dans la zone amont, tout au long des six ans de l'étude : trouve-t-on un gain significatif dans l'évolution et la structure des populations amont ? Ce n'est pas garanti en soi, le niveau d'occupation des niches et de compétition intra-ou interspécifique dans la zone colonisée permet d'accueillir plus ou mois de nouveaux individus, par exemple. La réponse de la population amont en richesse spécifique, biomasse, abondance individuelle et structure d'âge reste quand même le premier motif de construction d'une passe à poissons.

Dans l'absolu, des passes ou autres dispositifs de franchissement ouverts à toutes espèces sont préférables car elles restaurent la fonctionnalité perdue au droit de l'ouvrage pour le spectre le plus large du peuplement piscicole du cours d'eau. Mais l'aménagement de rivière ne se réalise jamais dans l'absolu, ni dans l'idéal du chercheur en hydrobiologie ! En général, moins une passe est sélective, plus elle est coûteuse : elle doit en effet garantir à toutes saisons une vitesse, une pente, une différence de hauteur (si bassins), une puissance spécifique et un tirant d'eau adaptés à des capacités de nage et de saut très variables des espèces, et des âges des individus dans chaque espèce. Donc, la conception sera plus complexe et le chantier plus important (pente faible, davantage d'emprise amont et aval du barrage) qu'une passe plus standardisée pour des migrateurs à fortes capacités de franchissement.

Or, il est aujourd'hui manifeste que le coût est un facteur limitant du déploiement des passes à poissons, notamment dans l'expérience française : ces coûts sont inabordables aux particuliers, posent problème aux petits exploitants (parfois plusieurs années de chiffres d'affaire donc non-envisageable économiquement), grèvent le budget des Agence de l'eau s'il faut engager un grand nombre de chantiers. Prenons l'exemple des départements de Côte d'Or et de l'Yonne. On compte environ 300 ouvrages en rivières classées liste 2 dans chaque département. Si l'on considère un coût moyen de 100 k€ par passe (ce qui est optimiste pour des passes toutes espèces), le total atteint les 60 millions d'euros. Cette somme est considérable pour deux départements : elle ne peut être engagée qu'après avoir garanti des gains écologiques substantiels pour les populations piscicoles concernées, pas simplement pour "tester" s'il passe plusieurs dizaines ou centaines d'individus par an dans chaque passe.

Au regard de forte contrainte financière pesant sur la restauration de franchissabilité par les passes à poissons, et dans l'hypothèse où l'on ne déploie pas des solutions standardisées à moindre coût (mais moindre efficacité), il ne paraît pas viable d'en généraliser l'exigence sur tous les ouvrages, au moins à court terme. Il faudrait donc faire des choix dictés par l'intérêt écologique : niveaux passé, actuel et potentiel de biodiversité du tronçon ; structures des populations présentes ; déficit des espèces-cibles d'intérêt patrimonial ; connectivité retrouvée avec des affluents de dimension assez importante à l'amont de l'ouvrage, etc. Au demeurant, ce travail détaillé aurait dû être réalisé avant le classement des rivières de 2012-2013, au lieu de masses d'eau entières sans réalisme sur le financement et le calendrier ni précision sur la dynamique piscicole. Une fois les rivières mieux modélisées, et donc certains sites priorisés pour leur poids en terme de connectivité sur des linéaires à biodiversité appauvrie, le choix de passes toutes espèces serait éventuellement plus avisé.

Référence : Benitez JP et al (2015), An overview of potamodromous fish upstream movements in medium-sized rivers, by means of fish passes monitoring, Aquat Ecol, 49, 481–497

Nous remercions les auteurs (JP Benitez) de nous avoir transmis une copie de leur travail. Une version courte du compte-rendu de leurs observations est disponible en libre accès dans la conférence Benitez et al 2014 (pdf, anglais).