07/03/2021

Sur l'Anglin, le commissaire enquêteur demande de proscrire toute destruction d'ouvrage

Une enquête publique concernant le projet de restauration et d’entretien des cours d’eau du bassin versant de l’Anglin (Indre) s’est déroulée à l'automne 2020. Le commissaire enquêteur conclut à son approbation avec une réserve forte au plan environnemental: proscrire toute destruction d'ouvrage hydraulique amenant à l'abaissement de la ligne d'eau. Le syndicat SMABCAC a-t-il compris le message tout à fait clair, que nous reproduisons ici? Espérons-le. On ne veut plus voir de casseurs d'ouvrages ni d'assécheurs de biefs et retenues dans nos bassins versants, où l'argent public doit être dédié à l'intérêt général. 

Angles-sur-l'Anglin

Conclusion générale du commissaire enquêteur :

"Le cadre juridique a été respecté. Les actions prévues au contrat, en dehors de l’abaissement des lignes d’eau , représentent un intérêt incontestable. On ne peut que se féliciter du projet.

La libre circulation des espèces est nécessaire mais le commissaire regrette que les études à venir sur ce sujet n’abordent que les solutions d’abaissement ou d’arasement. Les financements prévus à ce poste pourraient être affectés à d’autres solutions comme le contournement ou l’utilisation des biefs comme passe ou écluse à poissons. Autrefois la faune piscicole circulait malgré l’existence des seuils. Ce qui a changé c’est l’arrêt des activités et les lâchers d’eau qui étaient pratiqués. Les crues lentes et régulières avaient lieu pendant des saisons bien marquées et cela plusieurs fois par an. Aujourd’hui avec le réchauffement climatique, le déficit hydrique est tel qu’aux périodes d’étiages il y a souvent des ruptures d’écoulement. La diminution des débits en rivière a pour effet de concentrer la pollution.

Bien souvent, avant la rupture de l’écoulement le débit du cours d’eau correspond au débit de rejet des stations d’épuration d’où l’intérêt d’être vigilant sur leur fonctionnement. D’ailleurs, afin de soutenir les nappes, Monsieur le Préfet est souvent obligé de prendre des mesures de restriction d’eau. Pendant ces périodes il n’est plus question de libre circulation mais de survie des espèces piscicoles. Il est vital pour les espèces de conserver les réservoirs que constituent ces retenues. Elles permettent d’étendre les crues dans les prés longeant l’Anglin afin que la nappe alluvionnaire reste au niveau le plus haut. Ainsi l’été elles pourront se décharger vers la rivière, évitant ainsi les ruptures d’écoulement.

(...) Le commissaire regrette qu’il ne soit pas obligatoire de joindre au dossier une étude d’impact et un profil en long permettant de juger des miroirs des retenues. 

Après avoir exposé dans son rapport le fond et la forme du projet, après avoir fait les recherches utiles auprès de services de l’état, d’organismes et sociétés privées ainsi qu’en bibliographie, et compte tenu du respect du cadre juridique, de tous les éléments versés au dossier, des réponses apportées au Procès Verbal de synthèse par le SMABCAC complété par les avis motivés et développés ci-dessus ainsi que du bon déroulement de l’enquête,
S’agissant d’une enquête unique le commissaire émet les avis suivants :
AVIS FAVORABLE A LA DECLARATION D’ INTERÊT GENERAL
AVIS FAVORABLE AVEC RESERVES A L’AUTORISATION ENVIRONNEMENTALE
Réserves : Les arasements et abaissements de lignes d’eau sont à proscrire au profit de solutions de contournements ou d’aménagements."

Source : voir le site du SMABCAC (Syndicat mixte d’aménagement de la Brenne, de la Creuse, de l’Anglin et de la Claise)

06/03/2021

En France, la pression d'extinction est plus élevée sur les amphibiens, crustacés et reptiles que sur les poissons

À l’occasion de la Journée mondiale de la vie sauvage, la Liste rouge des espèces menacées en France a dressé son bilan, issu de 13 années d’évaluations menées sur la faune et la flore. Un travail utile, mais qui manque encore de transparence pour le public.


Le Comité français de l’UICN et l’UMS PatriNat (OFB-CNRS-MNHN) publient le bilan de 13 années de résultats, obtenus depuis le lancement de la Liste rouge nationale en 2008:
– 13 842 espèces ont été évaluées en France métropolitaine et en outre-mer;
– 2 430 espèces sont aujourd’hui menacées;
– 187 espèces ont disparu de France ou sont déjà éteintes au niveau mondial.

L'analyse des résultats en France métropolitaine permet d'observer que les amphibiens, reptiles ou crustacés sont davantage menacés que les poissons (cf ci-dessus). Il serait utle d'en tenir compte dans les programmations publiques de protection de la biodiversité, où les actions pour les poissons tendent à se tailler la part la plus importante des budgets.

On regrettera toutefois plusieurs manques dans le travail :
  • les données sources (brutes et retravaillées) ne sont toujours pas accessibles en ligne en même temps que les rapports, afin que les citoyens, associations, élus puissent voir en détail les méthodes, les effectifs, les points de mesure sur les territoires;
  • la distinction entre espèces endémiques à la France (présentes seulement sur des parties de son territoire) et espèces plus communes (existant aussi hors de France) n'est pas faite dans la communication. Or, certaines espèces peuvent disparaître d'un territoire parce que leur phénologie et leur aire de répartition évoluent, par exemple du fait du changement climatique. En ce cas, une menace d'extinction locale ne signifie pas toujours une menace d'extinction globale. 

03/03/2021

En 1857, on savait déjà comment faire de la continuité "apaisée" des rivières

En 1857, la Société zoologique d'acclimatation publie un "Rapport sur les mesures à prendre pour assurer le repeuplement des cours d'eau de la France". Outre la régulation de la pêche et la replantation d'arbres en rives, l'ancêtre de la Société de protection de la nature conseille alors d'aménager les ouvrages où des poissons migrateurs sont bloqués et de repenser la gestion de leurs vannes. Voici donc plus de 150 ans, on avait déjà une idée de la continuité écologique "apaisée". On s'aperçoit au passage que loin d'être une originalité venant de découvertes scientifiques récentes, cette continuité est une redite d'éléments de langage qui circulent depuis le 19e siècle, voire plus tôt, dans les administrations de la nature et les expertises conseillant ces administrations. 


Extrait du Rapport :

"Sur un grand nombre de cours d'eau, on construit soit des usines, soit des barrages, écluses, etc., qui. ne permettent pas au poisson de circuler librement, et surtout d'aller frayer dans des endroits convenables. Il en résulte nécessairement que la reproduction de plusieurs espèces devient impossible ou du moins insuffisante, et que, par suite, le dépeuple1nent des eaux s'opère très rapidement.

Sans porter aucune entrave au service régulier des usines, de la navigation et du flottage, on peut facilement concilier les exigences de ce service avec celles de la reproduction naturelle du poisson.

Il suffirait, en effet, d'établir, sur les points où la libre circulation, et surtout la remonte du poisson, sont devenues impossibles, soit des passages libres toujours faciles à franchir par la Truite et par les migrateurs, tels que Saumon, Alose, Lamproie, etc., soit des plans inclinés avec barrages discontinus qui feraient l'office de déversoirs ou qui serviraient à l'écoulement des eaux surabondantes, soit enfin des écluses que l'on tiendrait ouvertes à l'époque de la remonte ou de la descente. L'organisation de ces passages naturels ou artificiels devrait être rendue obligatoire: 1 ° pour l'avenir, à l'égard des constructions, barrages, écluses, etc., qui seraient établis sur les cours d'eau, et qui, par leur situation, pourraient empêcher ou entraver la libre circulation, et notamment la remonte et la descente du poisson; 2° dès à présent, à l'égard des établissements de cette nature qui existent sur les cours d'eau dont l'entretien est à la charge de l'Etat."

Quelques remarques
De nombreux ouvrages anciens disposent déjà de ces "déversoirs en plans inclinés", qui sont surversés toute l'année, qui sont noyés en crue et qui permettent la circulation de poissons. Lorsque des études sont faites sur des ouvrages anciens de têtes de bassin à truite ou ombre, on observe bel et bien le passage des poissons (voir Ovidio 2007). De même, il n'est pas rare d'observer sur les chaussées de moulin (n'ayant pas été modernisées en parement vertical béton) que l'extrémité de la chaussée est légèrement abaissée, ce qui permet un passage par le côté avec des hauteurs de chute modestes, surtout en hautes eaux quand l'amont et l'aval s'égalisent. Quant à l'ouverture des vannes dans les périodes de migration des quelques espèces cibles, elle est réalisable pourvu qu'elle soit circonscrite dans le temps (pour ne pas vider les biefs et retenues ni empêcher la production d'énergie). S'ajoutent des possibilités comme des passes rustiques, des rigoles de contournement, des passes techniques. Tout cela est à portée de réalisation, le frein est surtout le coût (devenu très élevé) du moindre chantier en rivière (devenu très contrôlé). La question est aussi de savoir si cela correspond à une protection utile d'espèces menacées d'extinction réelle, sans quoi l'enjeu n'est guère prioritaire.

Si l'administration française était venue voir les moulins, étangs et autres ouvrages avec de telles dispositions d'esprit dans les années 2010, la continuité écologique se serait correctement passée. Mais cette administration a été pénétrée d'idées radicales allant très au-delà de la loi, selon lesquelles il faudrait désormais détruire le maximum d'ouvrages au nom d'un idéal du retour à la rivière sauvage sans modification humaine. Elle est aussi plus traditionnellement acquise à des idées technocratiques selon lesquelles un petit ouvrage est sans utilité réelle (et cette utilité serait forcément économique), seuls des grands barrages (si possible gérés publiquement) seraient d'intérêt. L'apaisement de la continuité écologique viendra quand ces discours et idéologies auront été clairement dépassés au sein de l'administration française. Sinon, on aura juste du double standard entre les paroles et les actes, avec une hypocrisie qui ne fera qu'attiser les tensions. 

Enfin, il est frappant d'observer la similitude des arguments du 19e siècle et du 21e siècle. L'idée de continuité écologique en long, dont nous avions retracé la généalogie, n'a rien d'original, elle n'a rien d'une urgence qui viendrait d'une découverte scientifique récente. Hier comme aujourd'hui, elle est demandée au nom d'une certaine maximisation de certains poissons. Mais il y a tout de même entre temps une littérature en écologie aquatique bien plus riche que ce sujet particulier. Il y a aussi des travaux en sciences sociales et humanités de l'eau qui aident à prendre la mesure de la diversité des attentes humaines face à la nature, voire à la diversité de nos définitions de la nature. 

Source : [Société nationale de protection de la nature] Société impériale zoologique d'acclimatation (1857), Rapport sur les mesures à prendre pour assurer le repeuplement des cours d'eau de la france (C.  Millet rapporteur), Bulletin de la Société zoologique d'acclimatation, pp. 223 et suivantes.

27/02/2021

La biodiversité des poissons d'eau douce à l'Anthropocène (Su et al 2021)

Les cours d’eau abritent une riche biodiversité en poissons, avec près de 18 000 espèces recensées, soit un quart des vertébrés. Une équipe de scientifiques menée par des laboratoires français a développé un nouvel indicateur de biodiversité prenant en compte le nombre d’espèces (diversité taxonomique), le nombre de fonctions (diversité fonctionnelle) et les liens de parenté entre espèces (diversité phylogénétique). Dans un article de la revue Science, ils montrent que plus de 50 % des 2 456 cours d’eau analysés ont eu leurs faunes de poissons fortement modifiées par les activités humaines. L'Europe est la première concernée par cette tendance déjà ancienne. Environ 14 % de cours d’eau étudiés restent peu impactés et ils n’abritent que 22 % des espèces de poissons d’eau douce du globe. Certains résultats de cette étude vont à l'encontre d'idées reçues en montrant que les diversités spécifique, fonctionnelle ou phylogénétique se sont plutôt accrues localement dans une majorité de rivières, du fait des introductions d'espèces, alors que les différences entre bassins ont décru. La biodiversité évolue et, à l'Anthropocène, le facteur humain en est désormais un agent incontournable. Ces travaux ont des conséquences sur les choix en restauration écologique, car l'idée de "restaurer" un état antérieur du vivant aquatique paraît de plus en plus naïve ou impraticable.

Plus une zone tend vers le rouge foncé, plus sa biodiversité de poisson a été modifiée. Extrait de Su et al 2021, art cit

Une équipe de scientifiques menée par Sébastien Brosse, professeur à l’université Toulouse III – Paul Sabatier, laboratoire Évolution et diversité biologique (CNRS/Université Toulouse III - Paul Sabatier/IRD), a développé un nouvel indicateur de biodiversité prenant en compte ses différentes dimensions et l'a appliqué à l'analyse globale de l'évolution des poissons d'eau douce. Leur résultat vient d'être publié dans la revue Science

Les rivières et les lacs couvrent moins de 1% de la surface de la Terre mais ils représentent une biodiversité importante, dont près de 18 000 espèces de poissons. Ces poissons d'eau douce jouent des rôles dans le fonctionnement des écosystèmes par la production de biomasse, la régulation des réseaux trophiques et la contribution aux cycles des nutriments. Ils participent aussi au bien-être humain en tant que ressources alimentaires et à travers des activités récréatives ou culturelles.

Depuis des siècles, parfois des millénaires, les populations humaines ont affecté la biodiversité des poissons de diverses manières : l'extraction par la pêche, l'introduction d'espèces non indigènes, le changement des régimes d'écoulement par fragmentation (barrage), la pollution des sols et des eaux, la modification du climat et des habitats. "Ces impacts anthropiques directs et indirects ont conduit à une modification de la composition des espèces locales, soulignent les chercheurs. Cependant, la biodiversité ne se limite pas aux composantes purement taxonomiques, mais comprend également les diversités fonctionnelles et phylogénétiques."

Les chercheurs ont mis au point un indice de changement cumulatif des dimensions de la biodiversité. Ce schéma résume le calcul :
Extrait de Su et al 2021, art cit.

Il y a 3 indices de richesse au sein d'un bassin (local) et 3 indice de dissimilarité entre les bassins (régional), sous l'angle taxonomique (nombre d'espèces), fonctionnel (nombre de fonctions des espèces) et phylogénétique (nombre de lignages différents). Plus la valeur de l'indice est élevée, plus on observe de différences entre l'état historique et l'état actuel de la biodiversité des poissons.

Ces cartes montrent les calculs de l'indice sur la Terre, en entrant dans le détail des composantes. 
Extrait de Su et al 2021, art cit.

Les chercheurs soulignent : "À l'exception de quelques rivières dans la partie nord des royaumes paléarctique et néarctique, la biodiversité des poissons n'a pas diminué dans la plupart des rivières. Cela diffère nettement des résultats récents documentant le déclin des ressources vivantes en eau douce à l'échelle locale (c.-à-d.> 1 à 10 km de tronçon fluvial) dans certains de ces bassins fluviaux. Fait intéressant, nous rapportons une tendance inverse chez les poissons d'eau douce pour la richesse taxonomique, fonctionnelle et phylogénétique locale dans plus de la moitié des rivières du monde. Cette augmentation de la diversité locale s'explique principalement par les introductions humaines d'espèces qui compensent voire dépassent les extinctions dans la plupart des rivières. Parmi les 10 682 espèces de poissons considérées, 170 espèces de poissons ont disparu dans un bassin fluvial, mais ce nombre pourrait être sous-estimé en raison du délai entre l'extinction effective et les rapports d'extinction publiés. En outre, 23% des espèces de poissons d'eau douce sont actuellement considérées comme menacées, et certaines d'entre elles pourraient disparaître dans un proche avenir."

Si la richesse locale de biodiversité augmente, le phénomène est contraire pour la diverité réginale, qui tend à devenir uniforme : "Outre l'augmentation globale de la richesse des assemblages de poissons dans les bassins fluviaux, l'homogénéisation biotique - une tendance générale à la baisse de la dissimilarité biologique entre les bassins fluviaux - semble omniprésente dans tous les fleuves du monde. La dissimilarité fonctionnelle était la facette la plus touchée, avec une diminution dans 84,6% des rivières, alors que la dissimilarité taxonomique et la dissimilarité phylogénique ont diminué dans seulement 58% et 35% des rivières, respectivement. L'écart entre l'évolution de la diversité fonctionnelle et les modifications de la diversité taxonomique et phylogénétique provient principalement de l'origine non indigène des espèces introduites dans les rivières. Les espèces transférées d'une rivière vers des bassins voisins favorisent des pertes de dissemblance car elles sont déjà indigènes dans de nombreuses rivières de la même écozone, et sont souvent fonctionnellement et phylogénétiquement proche d'autres espèces locales. En revanche, les espèces exotiques (c'est-à-dire provenant d'autres écozones) sont moins fréquemment introduites, et leur histoire évolutive divergente avec les espèces indigènes a conduit à une dissemblance phylogénétique accrue de leurs rivières receveuses."

Discssion
L'article de Guohuan Su et de ses collègues est intéressant à plusieurs titres.

D'abord, il rappelle qu'il existe de nombreuses manières de mesurer la biodiversité. La plus commune consiste à s'interroger sur le nombre total d'espèces. Mais elle n'est pas la seule car cette richesse spécifique ne dit pas si les espèces accomplissent ou non les mêmes fonctions dans les milieux, ni si les assemblages d'espèces offrent une diversité génétique permettant au vivant de résister plus facilement à des pressions de sélection dans l'évolution.

Ensuite, cette étude montre que l'Anthropocène est une réalité : partout où il y a eu expansion démographique des humains et développement économique moderne, les milieux ont déjà considérablement évolué. Au demeurant, on le voit dans une des figures de l'article, où les corrélats des évolutions les plus marquées de la biodiversité sont montrés. Voici l'extrait pour la zone paléarctique (Eurasie, où se situe donc la France):


Le premier corrélat en vert est l'indicateur FPT qui signifie empreinte humaine à travers l'économie et l'industrialisation. Le suivant est la taille des bassins (RBA en hachuré gris) et ensuite la fragmentation par barrage (DOF en bleu). 

Enfin, l'évolution de la biodiversité des poissons d'eau douce est plus complexe que le schéma d'effondrement souvent entendu dans les médias. Dans les zones peuplées et développées comme l'Europe et l'Asie, la richesse taxonomique, fonctionnelle ou phylogénétique a localement augmenté plus que diminué dans un plus grand nombre de bassins. Cela tient notamment à l'introduction de nouvelles espèces, parfois dans des nouveaux milieux où ces espèces sont adaptées. En revanche, dans la même zone, la dissimilarité taxonomique et fonctionnelle entre les bassins a baissé : ils sont plus riches en leur sein mais aussi plus uniformes entre eux. Le schéma est plus variable selon les régions pour la dissimilarité phylogénétique. On notera que c'est une étude "à grande maille" : l'analyse détaillée de tous les habitats d'un bassin peut éventuellement révéler des diversités locales échappant aux synthèses, avec par exemple des espèces endémiques rares, mais non éteintes. Cela dépend également de la qualité d'échantillonnage des poissons. Le remplacement de la pêche électrique de contrôle par l'ADN environnemental circulant dans l'eau (plus puissant en détection) pourra peut-être amené des évolutions des données, et donc des modèles. 

Pour conclure, il est manifeste que la biodiversité évolue rapidement avec l'activité humaine. Parfois en "négatif", comme les extinctions locales ou globales d'une espèce, parfois en "positif" comme l'ajout d'espèces à des milieux, voire la spéciation à partir d'un lignage séparé qui divergera de la population mère au fil des générations. Le schéma de l'écologie a longtemps été qu'il existe une nature stable, à l'équilibre. Eventuellement que l'on pourrait revenir facilement à l'équilibre antérieur si une action humaine l'a changé. Mais nous découvrons que la nature est en équilibre dynamique plutôt instable, et que l'humain fait pleinement partie de l'équation, induisant des transformations massives et rapides. Il paraît donc nécessaire d'adopter d'autres représentations de la nature, et de se poser d'autres questions sur les natures que nous voulons pour demain : nature comme naturalité (respect d'un écosystème peu modifié), nature comme fonctionnalité (respect des conditions de reproduction et évolution du vivant), nature comme service écosystémique (respect des besoins humains en lien à la nature), nature comme construction sociale (reconfiguration de la nature selon des choix collectifs). Ces options sont davantage philosophiques ou politiques que scientifiques. Elles ne sont pas en soi exclusives les unes des autres, et une seule d'entre elles n'a probablement pas vocation à s'appliquer uniformément à l'ensemble des milieux aquatiques et humides.

Référence : Su et al (2021), Human impacts on global freshwater fish biodiversity, Science, 371, 835–838

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25/02/2021

L'administration doit être au service de la modernisation et non de la destruction des ouvrages en rivière

La nouvelle sanction du ministère de l'écologie pour excès de pouvoir dans le domaine de la continuité des rivières est en train de raviver la colère des associations de riverains en lutte pour défendre leur cadre de vie. Il y a un ras le bol généralisé face à au blocage de certains fonctionnaires de ministère, d'agences de l'eau, de DDT-M, d'OFB ou de syndicats qui persistent à vouloir dénigrer et détruire les ouvrages hydrauliques au lieu d'accomplir leur devoir de service public pour des solutions constructives. A l'occasion du vote de la loi Climat et résilience, qui comporte des articles sur les hydrosystèmes, sur l'économie locale et sur l'énergie renouvelable, la coordination nationale eaux & rivières humaines (CNERH) appelle les parlementaires à apaiser la situation et à mettre fin au désordre permanent autour des questions de continuité écologique. La loi doit indiquer clairement que le rôle de l'administration est d'accompagner la modernisation des ouvrages hydrauliques au service de l'économie et de l'écologie. Pas de faire pression financière ou réglementaire pour leur destruction au nom d'une idéologie de la rivière sauvage et de l'humain chassé de la nature. 




Le 15 février 2021, examinant la plainte déposée par les syndicats et fédérations de moulins, riverains, étangs, hydro-électriciens, le conseil d’Etat a annulé de décret du 3 août 2019 qui donnait une définition abusive de l’obstacle à la continuité écologique. C’était, encore, un excès de pouvoir de l’administration dans l’interprétation de la loi sur l’eau de 2006.

Plusieurs autres contentieux ont été gagnés depuis 5 ans par les défenseurs du patrimoine hydraulique français et par les producteurs d’énergie hydraulique décarbonée. Deux autres demandes d’annulation visant des textes ministériels sur la continuité écologique sont déjà en cours d’examen au conseil d’Etat, contre la création abusive de régime à deux vitesses de rivières, non prévu dans la loi de 2006 (circulaire du 30 avril 2019) et contre l’incitation à détruire moulins ou étangs sur simple déclaration sans étude d’impact (décret du 30 juin 2020). 

L’administration du ministère de l’écologie a prétendu qu’elle menait une « politique apaisée » de continuité écologique. Ce n’est manifestement pas le cas. Ce contentieux perdu par elle en est la preuve.

Depuis 10 ans, des milliers de sites de moulins, d’étangs, de plans d’eau et de centrales hydro-électriques ont été détruits, et asséchés. Cela continue aujourd’hui. C’est une perte de ressource en eau, de biotopes aquatiques et humides, de production d’énergie propre, de mémoire culturelle et sociale.

Soucieuse de participer au débat démocratique, la CNERH a indiqué plusieurs évolutions possibles de la loi Climat et résilience qui doit être examinée à compter du 8 mars 2021. La CNERH demande solennellement aux parlementaires de voter 
• une protection forte du patrimoine hydraulique français, héritage culturel et paysager auquel sont attachés des millions de riverains, 
• une protection forte de tous les milieux en eau, incluant expressément ceux créés par les humains, face au péril climatique et à la perte de biodiversité,
• une incitation forte à équiper en hydro-électricité les ouvrages qui peuvent l’être, afin de tenir nos engagements de transition bas-carbone.

Moulins, étangs, plans d’eau, entreprises hydro-électriques sont prêts à participer à l’effort national pour que la France respecte les obligations de la directive européenne sur l’eau de 2000, atteigne l’objectif de réduction de 55% d’émission CO2 en 2030 par rapport à 1990, réussisse sa stratégie nationale de biodiversité.