15/02/2016

Les sept familles de l'écologie des rivières

L'écologie des rivières et milieux aquatiques est loin d'être un long fleuve tranquille. Comme discipline scientifique, vision du monde ou encore mode de gestion du territoire, cette écologie regroupe en fait des visions très différentes de ce que sont (ou devraient être) les milieux naturels et les rapports que l'homme entretient avec eux. Sur un mode léger, après avoir observé les postures des uns et des autres dans notre activité associative et dans l'actualité, voici les 7 familles de cette écologie, leurs convictions profondes et leurs déclinaisons dans le cas particulier de la continuité écologique appliquée aux ouvrages en rivière.



Les intégralistes - Cette famille (que nous ne qualifions pas d'intégristes pour ne pas verser inutilement dans la polémique) a comme horizon l'intégrité de la nature par élimination du maximum d'influence anthropique. Il s'agit idéalement de restaurer une nature "pré-humaine", laissée à ses équilibres spontanés. Le modèle est par exemple certains coeurs de parc naturel où toute activité est interdite. Même si l'horizon est intenable (il faudrait supprimer l'espèce humaine ou la ramener à une population très faible de type paléolithique), cette famille a une conviction et une direction claires : on doit soit interdire soit effacer tout aménagement humain de la nature.
Vision de la nature : "un paradis sur Terre"
Vision de l'homme : "un bourreau à châtier"
Politique des ouvrages hydrauliques : "rasons-les tous!"

Les conservationnistes - Cette famille peut être vue comme une version modérée des intégralistes. Elle n'en a pas la radicalité conceptuelle et admet que la présence humaine change les milieux. Mais elle pose comme nécessité de conserver les biotopes épargnés ou peu altérés par les impacts anthropiques, également de conserver le maximum d'espèces en commençant par les plus menacées. Comme chez l'intégraliste, les croyances du conservationniste valorisent implicitement ou explicitement la vertu d'une nature vierge dont nous avons reçu en héritage une biodiversité à préserver et transmettre avec un minimum de perte.
Vision de la nature : "un être si fragile"
Vision de l'homme : 'un berger à éduquer"
Politique des ouvrages hydrauliques : "effaçons dès que nous pouvons"

Les fonctionnalistes - Cette famille est plus proche d'une écologie technique et scientifique ne répugnant pas à l'ingénierie des milieux. Elle assume que l'homme modifie de longue date les systèmes naturels, également que cet état de fait a peu de chance de changer à horizon prévisible. Pas de nostalgie d'une nature sauvage, donc, mais une pragmatique de la restauration ciblée : il s'agit d'identifier les fonctions les plus essentielles des milieux d'une part, de prioriser les activités humaines les plus réformables d'autre part, pour finalement agir à l'intersection de ces deux ensembles, là où l'on peut améliorer des milieux avec un minimum de coût pour un maximum d'efficacité.
Vision de la nature : "un beau mécanisme"
Vision de l'homme : "un gestionnaire rationnel"
Politique des ouvrages hydrauliques : "aménageons ou effaçons après calcul"

Les équilibristes - Cette famille gère les questions écologiques (qu'elle connaît mal) avec un souci premier d'équilibre et de prudence. Plus proches de terrain, peu sensibles aux abstractions, inquiets des solutions radicales comme des conflits ouverts, les équilibristes sont plutôt partisans de la moindre action et de la préservation des situations établies, avec quelques mesures à la marge pour satisfaire symboliquement les uns et les autres. Ils se méfient des grands programmes venus de loin et préfèrent les petites réformes entre acteurs locaux.
Vision de la nature : "une affaire locale"
Vision de l'homme : "une partie prenante"
Politique des ouvrages hydrauliques : "concilions les usages"

Les lobbyistes - Cette famille est un peu à part, car elle est formée des professionnels des luttes d'influence. Conséquence inévitable des systèmes technocratiques et marchands, le lobbyiste peut aussi bien agir au nom d'une croyance morale ou idéologique que d'un intérêt matériel ou sectoriel. Il n'est pas tant intéressé par les questions de fond que par les progrès de son groupe et les gains de pouvoir. Son expertise est donc orientée dans la défense de "la Cause", avec une préférence pour les jeux d'ombre des commissions plutôt que les débats ouverts de l'agora.
Vision de la nature : "un outil d'influence"
Vision de l'homme : "un animal calculateur"
Politique des ouvrages hydrauliques : "selon l'avis de mon groupe"

Les artificialistes - Cette famille est le pôle opposé des intégralistes. Assumant les conséquences de l'Anthropocène, elle considère que les milieux naturels sont presque tous en réalité des milieux artificiels car remodelés par l'homme en fonction de ses besoins (ou des conséquences indirectes de ses actions pour ses besoins). Elle n'en déduit ni remords ni regret, et considère que le vivant s'adaptera à cette nouvelle donne. De toute façon, les capacités humaines de modelage de ce vivant (biologie de synthèse, ingénierie bio-génétique) vont changer radicalement le cours de l'évolution et effacer l'idée même d'une distinction nature-artifice.
Vision de la nature : "une idée dépassée"
Vision de l'homme : 'un démiurge inspiré"
Politique des ouvrages hydrauliques : "aménageons autant que de besoin"

Les jmenfoutistes - Notre jeu des 7 familles est biaisé car au grand dam des six autres, cette famille est finalement majoritaire dans la population. Elle n'a pas envie de s'ennuyer avec des questions compliquées, elle ne sait pas vraiment ce que signifie "écologie aquatique" et, à dire vrai, cela fait parfois bien longtemps qu'elle n'a pas vu une rivière….
Vision de la nature : "bof"
Vision de l'homme : "moi je"
Politique des ouvrages hydrauliques : "cela veut dire quoi?"

Illustration : prise d'eau de moulin sur une rivière morvandelle. La politique de l'eau et des ouvrages hydrauliques est le lieu actuel où se confrontent des visions très différentes de la rivière. Une diversité de points de vue tout à fait normale, mais qui débouche sur le conflit si la concertation démocratique n'est pas correctement organisée.

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