27/04/2016

Le Conseil départemental de la Nièvre vote une motion de défense des moulins

Lors de la session du 25 avril 2016, la motion "Pour une sauvegarde des moulins de la Nièvre" a été présentée par Jean-Louis Balleret (Groupe « Vivre la Nièvre », socialistes, républicains et apparentés). Elle a été adoptée à l'unanimité par le Conseil départemental. Le texte en est intégralement reproduit ci-dessous. Ce soutien unanime du Conseil départemental est un message clair: nos territoires n'entendent pas se précipiter dans des réformes de continuité écologique qui sèment le conflit et le désarroi, qui ne garantissent pas de résultats à hauteur de leurs coûts et de leurs contraintes, qui réduisent la rivière à un quota obligatoire de poissons ou de sédiments, alors qu'elle représente tant d'autres choses dans l'imaginaire, la culture et l'expérience des citoyens.



La motion votée
Une réglementation en place depuis 2012 instaure un classement des cours d’eau : une rivière est ainsi classée en "liste 1", en "liste 2", ou elle peut ne pas être classée. Sur les cours d’eau classés "liste 2" les obstacles à la circulation des poissons migrateurs et au transport des sédiments sont proscrits. L’échéance est de 5 ans après la publication des arrêtés de classement, soit en juillet 2017 pour les cours d’eau situés sur le secteur Loire Bretagne et en décembre 2017 pour ceux situés sur le secteur Seine Normandie.

Le Département avait été consulté sur le classement des cours d’eau en 2011. L’avis était alors réservé pour les cours d’eau situés sur le versant Loire Bretagne au regard de l’ampleur supposée des études et travaux induits par le classement.

Sur le territoire nivernais, vingt cours d’eau sont classés liste 2. Sur ces cours d’eau 155 ouvrages, considérés comme des obstacles, sont recensés : seuils fixes, vannages, radiers de ponts. Le nombre de ces ouvrages destinés à l’alimentation de biefs de moulins est de 37.

La plupart de ces moulins ne sont plus en activité, mais ils conservent une valeur patrimoniale qui serait fortement dépréciée s’ils n’étaient plus alimentés.

La mise en place d’une continuité écologique n’induit pas nécessairement la suppression des seuils. Des solutions peuvent être trouvées avec l’abaissement de la ligne d’eau, une gestion des vannages, la création de passes à poissons, etc.. Des études et des travaux doivent cependant être engagés. Malgré le soutien financier des Agences de l’eau, la charge revenant aux propriétaires peut demeurer conséquente.

Par ailleurs une valorisation économique est rarement prise en compte. Il semblerait donc judicieux d’apporter des éléments quant au potentiel de production d’électricité possible au droit de certains ouvrages.

Enfin tous les usages sont à prendre en considération : réserve d’eau pour la défense incendie, irrigation, valeur paysagère, tourisme, etc.

Au regard de ces éléments, les conseillers départementaux du Groupe "Vivre la Nièvre" socialistes, républicains et apparentés émettent le vœu que la mise en place de la réglementation "liste 2" soit effectuée de façon pragmatique et concertée en prenant en considération notamment les éléments suivants :
- les moulins représentent une richesse patrimoniale, qu’il convient de préserver et de valoriser ;
- l’ensemble des usages et des potentiels est à prendre en considération, notamment
l’hydroélectricité ;
- en raison de la complexité des études qui doivent être engagées et leur coût, les délais instaurés doivent être repoussés.

Commentaires
Nous remercions chaudement les Conseillers départementaux de la Nièvre de leur engagement, à une heure où tant de chaussées, seuils et petits barrages sont menacés d'une irrémédiable destruction. Nous félicitons également notre consoeur et voisine l'Association des moulins du Morvan et de la Nièvre, qui mène un patient travail de défense des ouvrages hydrauliques et d'explication des enjeux aux élus. En Auvergne comme en Bourgogne, les département situés dans les têtes de bassin de la Loire et de la Seine sont ceux qui ont à ce jour apporté le plus grand nombre de signatures à la demande de moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique (carte ci-dessous). Ce n'est pas un hasard.

D'une part, les Agences de l'eau Loire-Bretagne et Seine-Normandie sont celles qui tiennent le discours le plus agressif à l'encontre des ouvrages hydrauliques (et celles qui ont classé le plus grand nombre de rivières de leurs bassins en liste 2). D'autre part, les petits cours d'eau de tête de bassin sont ceux où la dérive extrémiste dans l'interprétation de la continuité écologique est la plus sensible. Eloignés des mers et océans, donc avec peu d'enjeux grands migrateurs, ces ruisseaux et rivières ont un riche patrimoine hydraulique. Les espèces d'eaux vives n'y sont nullement éteintes et co-existent de longue date avec les ouvrages. Faute de réels enjeux migrateurs ou sédimentaires d'importance, les gestionnaires prétendent qu'il conviendrait malgré tout d'y "restaurer de l'habitat": objectif dénué de fondement dans la loi française et surtout objectif dénué de sens dans bien des cas, car les habitats lentiques des retenues, étangs et plans d'eau forment des biotopes parmi d'autres, certes d'origine artificielle, mais pas pour autant inhospitaliers à toutes les espèces. Si l'on ne documente pas un risque d'extinction locale d'espèce d'intérêt causalement liée à un ouvrage, la "restauration d'habitat" n'a aucune justification par rapport à d'autres dépenses pour les milieux.

La loi sur l'eau a institué la continuité écologique en 2006, le Plan d'action national pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau date de 2009 et le classement des rivières de 2012-2013. Le bilan est mauvais, au point que la Ministre de l'Environnement a dû demander en décembre dernier aux préfets de suspendre temporairement les campagnes d'effacement. La continuité écologique étant devenue synonyme de pelleteuse en rivière cassant le patrimoine, la grande majorité des seuils et barrages en cours d'eau classés sont toujours sans projet de mise en conformité, y compris parmi les 1200 ouvrages prioritaires du PARCE 2009. Une crise de défiance oppose les riverains aux administrations et aux syndicats, en raison d'une mise en oeuvre autoritaire voire dogmatique, et d'un refus de financement public des solutions non destructives, malgré leur coût excédant les capacités des particuliers, des petites exploitations ou des collectivités modestes. Plus globalement, la réforme apparaît aux citoyens informés comme un symbole de gabegie d'argent public, dont les minuscules gains (s'ils existent) apportent très peu de services, alors que par ailleurs les moyens manquent pour lutter contre les pollutions chimiques anciennes et émergentes des masses d'eau superficielles et souterraines, ou pour corriger des altérations physiques plus graves que celles des ouvrages modestes et pluricentenaires des moulins.

Tournons la page de cette sombre période : les moulins doivent être associés de manière constructive à la défense de l'environnement des rivières (qui est aussi leur environnement de vie) et à la promotion des territoires par le tourisme, la culture, l'énergie renouvelable. Le Conseil départemental de la Nièvre l'a compris, comme avant lui le CD du Loir-et-Cher: gageons qu'ils seront imités par beaucoup d'autres si le Ministère de l'Environnement ne révise pas substantiellement et rapidement les interprétations administratives de la continuité écologique.

Illustration : moulin à Alligny-en-Morvan. Le patrimoine hydraulique est un atout pour nos territoires : au lieu de le détruire, il convient d'encourager sa restauration, sa valorisation touristique et son équipement énergétique.

A lire pour comprendre les problèmes
Idée reçue #01: "Le propriétaire n'est pas obligé d'effacer son barrage, il est entièrement libre de son choix"
Idée reçue #03: "Jadis, les moulins en activité respectaient la rivière, mais aujourd'hui ce n'est plus le cas"
Idée reçue #05: "l'Etat n'a jamais donné priorité aux effacements des ouvrages hydrauliques en rivière"
Idée reçue #06: "C'est l'Europe qui nous demande d'effacer nos seuils et barrages en rivière"
Idée reçue #13: "Les moulins n'ont plus d'usage, on peut donc détruire leurs ouvrages (seuils et biefs)"

5 commentaires:

  1. Espérons effectivement que la sagesse et le bon sens du CD de la Nièvre fassent école ! Il est temps de se reposer la question même du bien-fondé du dogme de la continuité écologique, introduit sans véritable réflexion et étude d'impact (comme le veut la loi..) dans la loi de 2006.
    Oui, bien sûr, la continuité écologique peut apporter dans certains cas des avantages environnementaux supérieurs aux inconvénients de tous ordres qu'elle génère, mais ce ne peut être une règle absolue, comme l'administration zélée a trop souvent voulu l'imposer !!!
    Il est temps aussi d'avoir une réflexion plus approfondie, dans les cas où des actions en faveur de cette continuité s'avèrent vraiment d'intérêt général, pour savoir à qui ces actions profitent, et donc qui donc les prendre en charge, et dans quelle proportion : si la collectivité publique, au nom de l'intérêt général, dépossède un particulier de ses droits, il est normal qu'elle contribue fortement aux dépenses qu'elle impose... Mais, surtout dans le contexte économique actuel, on ne comprend pas que la bureaucratie consacre inconsidérément autant de fonds publics à la destruction d'un patrimoine, au lieu d'investir utilement !!!

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    1. Les opérations de continuité écologique font l'objet de "déclaration d'intérêt général" (DIG) permettant de dépenser de l'argent public sur des propriétés privées. Donc l'intérêt général est acté... sauf qu'ensuite, sur pression Onema-Agence de l'eau-Fédé de pêche (principalement), on décrète que seule la destruction est de véritable intérêt général et bénéficie du plein régime d'aide publique 80-95%. C'est là que se situe la distorsion idéologique. D'une part les diagnostics écologiques sont souvent bâclés et orientés (on se garde bien d'essayer de quantifier des effets positifs des retenues ou des effets négatifs de leur effacement, alors que la littérature scientifique les signale). D'autre part, le véritable intérêt général ne concerne pas que les milieux aquatiques, il doit aussi inclure les préoccupations et intérêts des citoyens (esthétique, culture, paysage, énergie, patrimoine, etc.). En gros, le hold-up démocratique dans le domaine de la continuité écologique consiste à dire que "l'intérêt général" correspond à la vision de la rivière de certains militants pêcheurs et écologistes, et non pas à la vision plus complexe de l'ensemble de la population, et notamment des autres associations, des usagers, des citoyens riverains, etc.

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    2. Exemple : des pétitions pour soutenir des sites menacés (Semur-en-Auxois en 2012, Bellenod-sur-Seine en 2013, Saint-Marc-sur-Seine en 2014, Bessy-sur-Cure en 2015 pour prendre des exemples locaux) recueillent entre 700 et 2500 signatures. C'est un indice parmi d'autres que l'intérêt général compris comme vision de l'ensemble des enjeux de la rivière et de ses services rendus ne se confond pas avec la "renaturation", défendue soit par une poignée de relais militants que l'on ne voit pas beaucoup se manifester localement, soit par des instances bureaucratiques qui appuient sur des boutons sans esprit critique, avec un fort suivisme (le Ministère l'a dit l'Agence l'a dit, donc j'obéis et si j'efface mon quota d'ouvrages, j'aurai une bonne note pur mon profil de carrière).

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    3. Tout à fait d'accord avec votre analyse ! Il y a bien distorsion dans des dossiers orientés, rédigés et instruits par des instances focalisées sur l'obsession exclusive de la libre circulation des espèces,(se préoccupe-t-on des espèces invasives qui accompagnent le changement climatique...? et de la diversité des habitats que l'on veut banaliser...?). Ces dossiers sont donc tout sauf une analyse objective de l'ensemble des composantes à prendre en compte pour dire l'intérêt général ; et le problème est que les voix telles que celles de l'Hydrauxois sont trop rares, noyées par le flot médiatique entretenu par une minorité agissante d'idéologues militants.. Et que du coup, ces dossiers aboutissent sans que la majorité silencieuse réalise et se manifeste !
      J'ai effectivement connu il y a quelques années un haut responsable du Ministère de l'Environnement qui se glorifiait d'avoir fait effacer le premier barrage... Il aura l'air fin, demain, quand la moitié nord de la France connaîtra des sécheresses analogues à celles du Sud aujourd'hui...

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    4. Bonjour,
      il n'aura pas du tout "l'air fin": il coulera une paisible retraite dans le devoir accompli...celui qu'on lui aura demandé d'accomplir; il n'était pas de sa mission de réfléchir à la politique de l'eau.
      La politique de l'eau, elle ne réfléchit pas: elle dicte.
      point.

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