20/06/2017

Parc du Morvan: un joli petit film, de vilains petits oublis...

Le Parc du Morvan et le Parc des Ballons des Vosges ont profité du financement du programme Life+ Continuité écologique pour produire un film sur les travaux de restauration des milieux aquatiques sur leurs territoires. On y trouve de belles images, des points d'accord sur la nécessité de préserver les patrimoines naturels et culturels, mais aussi une dissimulation peu glorieuse de ce qui se passe sur le terrain et l'entretien de certaines idées fausses. L'écologie des rivières et milieux humides ne pourra pas progresser sur la négation des réalités et sans l'ouverture d'un véritable dialogue environnemental. 



Précisons tout d'abord nos points de convergence :

  • le Morvan et les Vosges disposent de territoires d'exception pour leurs patrimoines naturels, culturels et paysagers, dont la préservation est d'intérêt général;
  • les têtes de bassin sont des milieux écologiquement riches, et la préservation de certaines espèces menacées (comme la moule perlière) comme de certains biotopes fragiles est un enjeu légitime de mobilisation;
  • nous apprécions la volonté affichée dans cette vidéo de conciliation entre les activités humaines (dont leurs héritages) et la conservation des espaces naturels;
  • nous considérons le Parc du Morvan comme un animateur territorial tout à fait légitime, avec de beaux enjeux à faire valoir pour les générations présentes et futures.

En revanche, le film est trompeur pour le public car il évacue tous les problèmes concrets de gouvernance observés depuis plusieurs années dans le cas particulier et conflictuel de la continuité écologique (nous parlons ici du Morvan, notre territoire d'implantation, et non des Vosges).

En voici quelques rappels dans le domaine de la gouvernance :
  • la plupart des propriétaires de moulins et étangs subissent depuis 5 ans une pression constante en vue de détruire (araser, déraser) leurs ouvrages, seule solution qui est aujourd'hui financée par l'Agence de l'eau Seine-Normandie dans la plupart des cas. Le déni de ce chantage économique et de l'attitude brutale de l'administration a abouti à une rupture catastrophique de la concertation, qui est toujours impossible aujourd'hui faute d'une reconnaissance claire des problèmes et d'une proposition de solutions viables;
  • lors du programme Life + sur la zone Nature 2000 d'Avallon, plusieurs propriétaires étaient volontaires pour des passes à poissons, mais cette solution leur a été refusée alors qu'elle a été acceptée pour d'autres. Beaucoup perçoivent cela comme un arbitraire pur et simple des agents instructeurs;
  • malgré l'abondant financement public pour les trois passes à poissons finalement réalisées (plusieurs bureaux d'études!), l'une s'est révélée défaillante dès la première année (moulin Cayenne) et l'autre se trouve être un piège à embâcles dont le choix (passe à plots) et la conception sont peu adaptés à l'hydrologie du site (moulin Cadoux);
  • les représentants du Parc du Morvan, de la DDT, de l'Agence de l'eau, de l'AFB ont toléré ou engagé diverses dérives sur le bassin Yonne-Cure-Cousin au cours des années passées: refus de reconnaître qu'un moulin non connecté au réseau et en autoconsommation a un intérêt à garder son ouvrage (Cussy-les-Forges), refus d'admettre qu'une retenue très appréciée des riverains et inscrite au patrimoine communal a un intérêt de conservation (Bessy-sur-Cure); acharnement à essayer de casser des droits d'eau sans enjeu écologique ni riverain (Chastellux-sur-Cure), information insuffisante d'un propriétaire l'ayant conduit  à perdre l'essentiel de son droit d'eau et à échouer dans la vente de son moulin à des acquéreurs qui voulaient avant tout produire de l'énergie verte (Avallon), etc.

Par ailleurs, le film donne une image imprécise et partielle des enjeux écologiques :
  • on présente les étangs, les lacs, les retenues et les biefs comme des hydrosystèmes que l'on peut éventuellement tolérer en tant qu'héritages culturels ou lieux d'usages particuliers, mais qui en soi ont des impacts forcément négatifs sur le plan écologique. Or, c'est inexact. Des plans d'eau artificiels comme les étangs de Marrault, l'étang Taureau de Saint-Brisson (où est la Maison du Parc), les lacs de Saint-Agnan, de Chaumeçon, de Pannecière ont aussi un intérêt propre comme milieux récepteurs de certaines espèces (même s'ils ont un effet adverse sur d'autres espèces). Certains font d'ailleurs l'objet d'un classement pour leur intérêt faunistique et floristique; 
  • la biodiversité n'est pas un musée figé où chaque population de chaque espèce patrimoniale doit se répéter à l'identique dans le temps, c'est une réalité qui évolue, et qui évolue en particulier sous l'influence des activités humaines depuis plusieurs millénaires (par exemple les phases de boisement, déboisement, reboisement du Morvan, la construction des systèmes d'énergie et de flottage, etc.), dans une logique de "rivières hybrides", comme les a joliment appelées une équipe de chercheurs français;
  • il manque à la démarche du Parc du Morvan des éléments essentiels sur l'histoire et l'avenir de la diversité biologique. Multiplier des monographies descriptives de certains tronçons des milieux aquatiques actuels est une démarche d'observation intéressante, mais insuffisante pour ce qu'on attend en premier lieu de la science, à savoir des modèles explicatifs et prédictifs qui correspondent aux données observées et permettent d'anticiper avec un degré raisonnable de certitude l'effet des actions envisagées. Par exemple, sur la population repère de truite (indispensable au cycle de vie de la moule perlière), nous n'avons à notre connaissance aucune donnée fiabilisée sur les abondances passées, sur la variabilité interannuelle et interdécennale des peuplements, sur la pondération des nombreux facteurs pouvant expliquer une (éventuelle) tendance, sur le potentiel truiticole total des masses d'eau, sur l'évolution de ce potentiel en situation de réchauffement climatique, sur le coût et l'efficacité relative des différentes actions envisageables (dont les moulins et étangs, mais pas seulement : les ripisylves, les pollutions, les charges sédimentaires venant des versants et apportant ou non la bonne granulométrie de frayères, les connexions de ruisseaux pépinières, les pratiques de pêche, la dynamique des espèces prédatrices ou concurrentes, etc.). 

Enfin, le Parc du Morvan doit répondre avec davantage de précision de ses actions. Ainsi, le 15 octobre 2016, un responsable du PNR avait affirmé à la presse (Yonne républiciane) :
Sur le plan écologique, « normalement, c'est plutôt long d'obtenir des résultats. Mais on a déjà mesuré les impacts des travaux menés en 2013 et 2014 ( N.D.L.R. : sur des ouvrages privés). Le milieu s'est considérablement amélioré en une année. Au niveau de l'ouvrage Michaud, en amont du camping, où il y a eu un arasement partiel, on constate le retour des perlas, une espèce bioindicatrice. Les truites sont aussi revenues au moulin des Templiers ».
Depuis cette date, nous demandons sans succès la transmission des études démontrant le résultat avancé (et son caractère significatif). Après 8 mois de tergiversation (et toujours pas de document disponible), le responsable du Parc nous dit que ces analyses ne concernent finalement pas la truite… alors que la déclaration aux médias affirmait le contraire (et que la truite fait l'objet d'empoissonnement par les pêcheurs, ce qui pose de toute façon la question du sens de ces observations par rapport à une "naturalité" pisciaire). Ce n'est certainement pas en procédant ainsi que l'on va instaurer des rapports de confiance avec les riverains ni démontrer de bonne foi que les dépenses écologiques sur les ouvrages hydrauliques correspondent à des gains proportionnés pour les milieux aquatiques.

3 commentaires:

  1. Philippe Benoist23 juin 2017 à 15:00

    Je partage votre point de vue. J’y ajoute quelques réflexions :
    Indéniablement, à chaque fois que l’homme a aménagé la nature, il y a eu impact environnemental : soit un gain soit une perte, mais toujours une rupture. Quoi qu’il en soit, les anthroposystèmes se sont reconstitués au fil des siècles.
    .
    Pour étudier sérieusement les impacts des aménagements hydrauliques sur les cours d’eau, il faudrait pouvoir disposer de l’état des lieux originel (15ème siècle par exemple) pour le comparer à l’état actuel, ou disposer d’un modèle qui teste les évolutions. En fonction des usages et des modes, les analyses et commentaires varient à 180°. Depuis la LEMA 2006, nous observons une lecture dogmatique et très manichéenne du cours d’eau et sommes stupéfaits d’affirmations qui relèvent de la croyance au lieu d’études scientifiques robustes.
    Les éléments suivants illustrent un dysfonctionnement profond de la pensée actuelle :
    .
    a) La présence des nombreux seuils de moulins n’a pas été rédhibitoire pour la création du PNR. Le site a été classé tel qu’il était. En quoi ses composantes seraient-elles devenues des points après la création ? Le PNR protège l’existant, mais sauf erreur, n’exige pas le retour à la situation originelle (cf. la Sologne assainie sur 1 million d’hectares : qui regrette les insectes responsables de mortalité humaine?)
    .
    b) Le transport solide intéressant n’existe plus depuis des siècles. Depuis lors, les sédiments n’ont aucun intérêt pour les cours d’eau… et encore moins pour l’océan. Qu’ils soient captés par les étangs, est-ce un préjudice pour le cours d’eau ou un service écosystémique gratuit qu’assurent les propriétaires de ces bassins de décantation?
    .
    c) Aucune étude n’a jamais été réalisée sur les réels impacts de la pêche de loisir qui a profondément perturbé et modifié les peuplements piscicoles depuis 1950. La TAC (truite arc en ciel) a été introduite inconsidérément, sans jamais étudier les impacts de cette gestion intrusive. Si la truite fario est lâchée, est-ce pour le service qu’elle rend à la moule perlière ou pour la satisfaction du pêcheur immédiatement après les lâchers?
    à suivre

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  2. Philippe Benoist23 juin 2017 à 15:01

    d) Comment expliquer que les populations de moule perlière encore abondantes récemment soient désormais en voie d’extinction alors que l’hydromorphologie du cours d’eau s’est réadaptée depuis des siècles consécutivement aux aménagements hydrauliques ?
    .
    e) Dans certains endroits on découvre un véritable tapis de coquilles de corbicule asiatique (corbicula fluminea). Ce mollusque invasif est apparu ~1980. Au plan écologique, Corbicula entre directement en compétition, en termes d’habitat et de ressources trophiques, avec la moule perlière. Son impact a-t-il été étudié ?

    Corbicula est très invasif. Dans certains cours d’eau colonisés, on observe des densités de l’ordre de 100 à 200 individus/m². Dans les canaux, on peut dénombrer 200 à 400 individus/m² et, aux Etats-Unis, certains lacs présentent des densités de plus de 3 000 individus/ m².
    La prolifération de l’espèce engendre des modifications de l’écosystème aquatique, du type et de la qualité des substrats qui deviennent moins biogènes, voire inhospitaliers pour les espèces benthiques indigènes. L’écosystème est donc profondément modifié.
    L’activité physiologique des individus entraîne également une forte consommation en oxygène dissous et un relargage significatif de dioxyde de carbone dans l’eau. Les fèces de ce bivalve sont très concentrées en nitrate, en azote ammoniacal ainsi qu’en phosphore.
    Les caractéristiques physico- chimiques de l’eau et des sédiments peuvent donc être perturbées par le corbicule avec de probables incidences significatives sur le milieu. La concurrence corbicule/mollusques indigènes tournerait-il à l’avantage de l’envahisseur? Ces facteurs sont-ils étudiés?
    .
    f) Le dernier sujet tabou, et non des moindre, jamais étudié: quel est l’impact de la prédation d’une espèce protégée (la loutre) sur une espèce menacée (la moule perlière) et sur une espèce emblématique (la truite fario). Issues d’élevages, ne sont-elles pas des mets de choix pour la loutre ? Quelle étude scientifique sur ce sujet ?
    .
    A défaut d’étudier tous les facteurs impactant, il apparait plus commode « d’affirmer » et de stigmatiser des boucs émissaires. C’est ainsi que les seuils deviennent «de plus en plus» responsables.
    Cet argumentaire, aussi pauvre qu’affligeant, ne convainc personne mais créée un réel préjudice aux propriétaires d’ouvrages hydrauliques.
    Philippe Benoist

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  3. Merci de vos observations tout à fait pertinentes. On pourrait en ajouter bien d'autres, par exemple sur nos rivières ici : la reprise forestière du Morvan a eu un effet sur l'activité sédimentaire des versants (moins de transport par le ruissellement) et sur la productivité biologique (moins de lumière sur les rives reboisées signifie moins de végétation aquatique et moins de certaines classes d'invertébrés). Sait-on quantifier le phénomène? Non. Sait-on quantifier l'effet sur les truites et in fine les moules? Encore moins, par définition.

    Ce n'est pas un problème en soi d'avoir des carences de connaissance, surtout en écologie dont le domaine d'étude concerne des systèmes complexes, biotiques et abiotiques. Cela devient un problème quand on assiste à un refus de reconnaître les limites actuelles de nos connaissances et à une volonté de prendre malgré tout des mesures mal informées, des mesures non de conservation (toujours défendables en soi si une espèce ou un biotope d'intérêt existe) mais de transformation et de modification des milieux en place de longue date, au détriment des tiers (cas des restaurations, renaturations, etc.).

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