18/04/2019

Prendra-t-on le risque de détruire le château de Chenonceau au nom des poissons migrateurs?

Les eaux du Cher sont basses et cela fragilise les fondations de l'aile nord du château de Chenonceau. Si la sécheresse explique le faible niveau d'eau, elle n'est pas seule en cause : la préfecture interdit de remonter le barrage à aiguilles de Civray-de-Touraine en hiver et au printemps au nom de la priorité donnée aux poissons migrateurs... cela alors qu'on a payé une passe à poissons d'un demi-million d'euros sur ce barrage. Un conseiller départemental a même dû se mettre dans l'illégalité l'hiver dernier, de peur de voir le château souffrir du manque d'eau. Jadis, c'était un moulin qui faisait office de régulateur et rehausse des eaux de Chenonceau. Ce qui se passe sur cette merveille du patrimoine français se passe partout en France sur des sites plus modestes, où les berges et bâtis anciens souffrent des apprentis sorciers de la continuité écologique et de la rivière renaturée. L'arasement et le dérasement d'ouvrages hydrauliques mettent en danger des équilibres multiséculaires de l'eau et des rives au nom de dogmes ayant davantage à voir avec l'intégrisme qu'avec l'écologie. Combien de temps encore les citoyens devront-ils subir ces nuisances? Qui va ordonner à une administration de l'eau totalement à la dérive de revenir au bon sens et de redéfinir les vraies priorités? 



C'est une incroyable histoire que raconte Olivier Collet sur le site Info-Tours. En cette mi-avril, les eaux du Cher sont basses. Dangereusement basses. Car sur le Cher se situe le château de Chenonceau, spendeur du Val de Loire, seul château qui y enjambe une rivière. Or, comme le relève le conseiller départemental du canton de Bléré Vincent Louault, "les fondations de Chenonceau nécessitent qu’il y ait de l’eau en permanence afin de ne pas abimer le bâtiment. Avec cette sécheresse exceptionnelle, on observe des rapides sous le château. Comme en Dordogne. La conséquence c’est un effet abrasif et que toute une partie des fondations sont hors d’eau."

Si la partie sud du Château repose sur de la roche, sa partie nord est bâtie sur pieux en bois dans un sol moins stable. Ce risque est bien connu : nombre de fondations anciennes ont été conçues pour être en eau en permanence. Et des variations de l'eau provoquent divers désagréments : rétraction d'argile, pourrissement de bois, affouillement et érosion sur les fondations. Avec à l'arrivée de possibles effondrements.

Malgré une passe à poissons à 530 000 €, il faut encore baisser le barrage: le dogme bureaucratique en action
Mais les variations des niveaux de l'eau sont chose courante depuis des siècles, avec des sécheresses parfois plus extrêmes dans le passé que celles que nous connaissons aujourd'hui. Où se situe le problème ?

Selon Vincent Louault, c'est l'évolution de la gestion du barrage à aiguilles de Civray-de-Touraine qui pose problème. Actuellement, il est interdit de remonter le barrage avant le dernier vendredi de mai en vertu d’un règlement préfectoral pour ne pas perturber la migration des poissons. Du coup, le niveau de l’eau obéit désormais aux caprices de la nature, et il peut être particulièrement bas si les hivers et printemps sont secs.

Aujourd'hui, le Conseil départemental d’Indre-et-Loire en appelle à l’Etat pour obtenir une dérogation. Le refus de rehausser le barrage est d’autant moins compréhensible qu'une passe à poissons d'un demi-million  d'euros y a été créée!

Vincent Louault fait un aveu au journaliste : "l’eau est déjà descendue si bas en décembre ce qui avait nécessité la remontée du barrage pendant deux mois à une période où il n’y a pas de remontée de poissons migrateurs. Je n’avais pas eu l’autorisation de l’Etat, c’était illégal et j’avais écopé d’un rappel à la loi. Chenonceau vit grâce à ces barrages à aiguilles. Et avant grâce à un moulin. Il y a toujours eu de l’eau sous le château. Si l’Etat me donne l’autorisation je peux remonter le barrage en 6h."

Au-delà de cette urgence, l’élu attend de l’Etat une doctrine pérenne qui permette la remontée du barrage dès que le Cher descend sous un certain niveau.

Pour l'instant, la préfecture parle d'un simple arrêté dérogatoire. Mais la question n'est pas là : les fondations se fragiliseront chaque année au gré des lenteurs administratives si l'on ne fait pas clairement de la protection du patrimoine hydraulique une priorité.

Partout en France, berges et bâtis sont menacés
Ce problème observable à Chenonceau se pose partout : les berges et les bâtis de nos rivières ont été conçus autour des ouvrages en place, qu'il s'agisse des anciens moulins omniprésents ou des barrages plus récents. Il en va de même pour le régime des crues et assecs, le niveau des nappes, l'inondation permanente des fondations.

En effaçant les ouvrages, en modifiant le lit des rivières, en asséchant des biefs et canaux, les amnésiques de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie comme les élus et les fonctionnaires (agences de l'eau, syndicats) qui exécutent leurs ordres prennent la responsabilité de dommages qui surviendront parfois plusieurs années à plusieurs décennies après le changement des niveaux d'eau. Les riverains et les propriétaires doivent refuser tout chantier d'arasement ou dérasement d'ouvrages qui ne soit pas assorti d'une analyse géotechnique, d'un état des lieux initial très précis mais surtout d'une reconnaissance explicite de  responsabilité civile et pénale. En cas de refus, nous vous conseillons de vous opposer au chantier, y compris en portant l'affaire en justice si le maître d'ouvrage public prétend ignorer vos demandes : car ce ne sont pas quelques élus syndicaux et fonctionnaires de passage qui relèveront vos biens s'ils s'écroulent dans 5, 10 ou 25 ans.

Au-delà des ces gênes et dommages potentiels sur les propriétés privées, c'est tout un patrimoine séculaire des rivières qui est aujourd'hui menacé par la volonté précipitée, dangereuse et souvent dogmatique de changer rapidement les écoulements au nom d'une continuité "écologique" devenue un dogme destructeur. Les parlementaires ont rappelé à de nombreuses reprises leur attachement au paysage et au patrimoine des vallées françaises, tout comme des centaines d'associations et des milliers d'élus locaux. Pourquoi les préfectures et leur tutelle du ministère de l'écologie continuent-elles d'agir au mépris de cette volonté démocratique? Que doivent faire les citoyens pour que cessent enfin ces nuisances?

Illustration : les galeries sur la rivière du château de Chenonceau, Ra-smit, Wikimedia Commons.

6 commentaires:

  1. Bonjour, comment comprendre que l'Etat s'oppose à la remontée du barrage alors qu'une passe à poissons (500000 euros!!) a été mise en place et permet de résoudre le problème de la remontée des poissons? Vous évoquez un "dogme bureaucratique": je veux espérer que cette situation ubuesque ne peut s'expliquer (uniquement) par une incompétence de l'administration. Qui décide de mettre en place une passe à poissons? L'Etat? Le propriétaire du barrage? Qui finance? Est-ce que le propriétaire privé de Chenonceau, qui semble-t-il a intérêt au barrage à l'aval, a financé une partie de la passe à poissons? Personnellement, sans connaître la situation, j'espère que oui. Sauf si on considère que préserver le château est d'intérêt général, mais comment son propriétaire contribue financièrement à cet intérêt général? Par les impôts fonciers? Par une taxe auprès des financeurs de l'eau? J'avoue que je peine à défricher la situation...

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    1. Nous ne pouvons que vous inviter à parcourir l'ensemble de ce site pour "défricher la situation" : vous constaterez le caractère ubuesque de la gestion de l'eau en France, tout particulièrement de la question des ouvrages hydrauliques.

      Sur le caractère d'intérêt général, vos questions sont pertinentes, mais il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin. En quoi le fait d'avoir sur un tronçon un peu plus ou moins d'anguilles plutôt que de carpes, de brochets plutôt que de chevesnes ou de lamproies plutôt que de barbeaux représenterait-il quelque chose comme un intérêt général de tous les citoyens? On a consulté ces citoyens là-dessus ? On a évalué leur consentement à payer pour ce genre de résultats? On a apporté toute garantie sur l'effet garantie de la dépense? Comment sont prises concrètement les décisions inscrites dans la loi ou de la règlementation, qui est consulté par le parlement ou l'administration, en quoi ces processus reflètent-ils réellement la volonté informée du corps social?

      Vous voyez, si l'on veut déconstruire ce que les gens avancent comme "intérêt général" (bien souvent pour justifier leur vision personnelle et donc particulière de ce que devrait être un tel intérêt général), il faut aller jusqu'au bout et user de la raison critique sur tous les sujets, même ceux à la mode...

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  2. Vous êtes meilleurs quand vous parlez de dossiers que vous connaissez.
    1) la dérogation a été accordée, donc finalement il n'y a peut-être pas tant de dogme que ça.
    2) la passe à poissons n'a été construite que pour permettre, pour des motifs strictement économiques (navigation de loisir), de relever artificiellement le niveau du Cher un mois plus tôt que les autres barrages à aiguilles du Cher canalisé. Cette passe n'est pas censée fonctionner en hiver/début de printemps, dans des conditions normales de débit à cette période.
    3) Tout cela relève en fait d'un compromis, qui a été âprement discuté, pendant de longues années, dans le cadre d'un Schéma d'aménagement et de gestion des eaux. Les règles de gestion des barrages du Cher canalisé sont fixées dans le règlement du Sage.
    4) La situation de débit exceptionnellement bas du Cher à cette époque de l'année justifie une dérogation exceptionnelle.
    5) On peut espérer qu'une étude approfondie permette d'y voir réellement plus clair sur la stabilité de ce monument exceptionnel, et permette de prendre plus sereinement dans l'avenir les décisions adéquates.
    En conclusions, quand on s'y penche un peu sérieusement, il n'y a pas grand chose de scandaleux dans cette affaire, c'est juste un dossier complexe.

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    1. Si un élu se met dans l'illégalité pour prévenir un trouble, c'est que le compromis n'est pas bon.

      Vous dites que le dossier est complexe mais la solution est simple, remettre les aiguilles pour garantir le niveau d'équilibre permanent au droit des bases du château, trouver d'autres options pour les migrateurs (ou s'en passer si le coût public excède l'intérêt public).

      Le souci des acteurs trop plongés dans un dossier problématique, c'est souvent qu'ils ne voient plus que les conditions premières de leur dossier créent le problème, donc que la solution demandera de changer de perspective et de repartir sur une autre base.

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  3. C'est votre réponse qui est dogmatique! Non, la solution n'est pas simple. Sauf à considérer qu'il n'y a pas d'enjeu migrateurs sur le Cher, mais permettez quand même que tout le monde ne partage pas cette approche des choses (cet axe est classé pour les migrateurs depuis le début du 20e siècle, ça laisse supposer quand même que c'est un vrai sujet, à défaut d'être le seul...). Je vous invite à vous plonger dans l'histoire de la canalisation du Cher, c'est absolument passionnant, et ça vous montrera sans l'ombre d'un doute que l'adjectif simple n'a pas sa place sur ce territoire (ni sur aucun autre, d'ailleurs).
    Donc peut-être que le compromis trouvé n'est actuellement pas idéal, puisqu'il ne permet peut-être pas de gérer fluidement une situation exceptionnelle "d'étiage hivernal". D'où l'intérêt de cette dérogation exceptionnelle, et évidemment on l'espère d'un retour d'expérience pour voir s'il faut adapter la règle...
    Je suppose que quand vous parlez "d'acteurs trop plongés dans un dossier problématique", vous vous basez sur votre propre expérience? Votre lucidité vous honore.

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    1. Non, nous pensions justement au fait que la question des migrateurs date de 1865 dans les politiques publiques, que beaucoup se sont ré-investis avec les plans et comités migrateurs des années 1980, que le sujet est ressorti avec une volonté de généralisation dans la LEMA 2006 et donc qu'au terme de 150 ans de politique publique, et de 30 ans d'investissement pour certains acteurs actuels, quand on voit des problèmes récurrents, voire s'aggravant, on doit davantage s'ouvrir à des approches nouvelles, des paradigmes nouveaux, des priorités nouvelles.

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