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13/12/2019

Observations sur un nouvel indicateur de naturalité des cours d'eau

L’Observatoire national de la biodiversité annonce qu'il incorpore un indicateur de naturalité des cours d'eau aux 89 autres critères pour analyser l’état de la biodiversité en France et sa prise en compte par la société. Nous montrons ici qu'au regard de cet indicateur, au moins 65% des rivières françaises auraient dû être classées en "masses d'eau fortement modifiées" au titre de la directive européenne sur l'eau, et non pas 10% comme aujourd'hui. Si des classements de conservation de milieux très peu impactés doivent être créés – ce qui n'est pas absurde en soi –, ils concernent moins de 10% des cours d'eau au regard de la mesure de leur faible modification par le nouvel indicateur. Par ailleurs, nous rappelons que cette naturalité, concept non scientifique, n'est pas en lien nécessaire avec la biodiversité : l'écologie montre que tous les milieux ou presque ont été modifiés depuis le néolithique, mais aussi que certains milieux d'origine artificielle peuvent être des réservoirs de biodiversité rare comme ordinaire. Nous soulignons enfin que les acteurs administratifs écoutent certaines attentes sociales (ici le label privé "Rivières sauvages") mais pas d'autres (celles des associations demandant l'étude et la reconnaissance de l'intérêt des milieux aquatiques d'origine humaine). Il y a une urgente nécessité de débat démocratique en France sur le sens de ces indicateurs techniques et sur les usages que nous, citoyens, voulons en faire sur chaque rivière. 



L'Observatoire national de la biodiversité, instance administrative rattachée au CGDD et au ministère de l'écologie, précise sur son site :

"Un premier indicateur vient illustrer le degré de naturalité des cours d’eau. Un cours d’eau naturel est une rivière sur laquelle on ne trouve aucune trace d’ouvrages humains (barrage, digue, bords bétonnés ...) ce qui représente en France 8,4% des rivières dites encore "sauvages", un chiffre plutôt stable."

Dans la note explicative de l'indicateur, il est exposé :

"Depuis 2011, le Cerema accompagne le projet « Rivières sauvages » pour lequel émargent via une convention les structures suivantes : le Fonds pour la Conservation des Rivières Sauvages, European Rivers Network, les Agences de l’Eau, l’Agence Française de la Biodiversité (AFB), le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire. Ce projet « Rivières sauvages » est parti du constat qu’en France seulement 7 % des masses d’eau sont en très bon état écologique et moins de 1 % des rivières pourraient être qualifiées de « sauvages ». Ainsi, ce constat est à l’origine de la création du Fonds pour la Conservation des Rivières Sauvages en 2010, née d’une initiative privée de naturalistes et scientifiques, pour favoriser aux niveaux national et européen l’émergence d’un réseau de rivières sauvages, grâce à la création d’une grille d’évaluation pour identifier les cours d’eau sauvages ; d’un label écologique, outil de gestion territoriale et de valorisation des rivières ; d’un fonds de dotation pour accompagner les projets et d’un réseau de rivières sauvages pour relier les acteurs de ces territoires."

Le critère est fondé sur neuf thématiques, dont cinq sont «notantes» et vont permettre d’évaluer le niveau de caractère sauvage du cours d’eau. Pour chaque critère, un système de pondération variant de un à six points a été mis en place en fonction de l’importance du critère vis-à-vis du fonctionnement global du cours d’eau et de son rôle dans la qualité écologique globale d’un cours d’eau. Chaque critère est évalué selon trois classes de notation, quantitative ou qualitative, correspondant à un niveau d’altération du tronçon : très faible altération (ou pas d’altération), faible altération et altération notable. Parmi les critères retenus : taux de rectitude contextualisé (cours d'eau rectifié, déméandré), taux de voies de communication à proximité du lit mineur, taux de digues dans le lit majeur, densité d’obstacles à l’écoulement, taux de boisement des berges (rideau d’arbres), occupation des sols et activités en fond de vallée, taux d’occupation du sol de type artificiel à proximité du lit mineur, taux de voies de communication dans le lit majeur, taux de boisement du lit majeur

La grille d’analyse (donc la notation) ne s’applique qu’aux petites et moyennes rivières, c’est-à-dire aux cours d’eau de rang de Strahler inférieur à 6 ; dont la largeur moyenne à pleins bords est inférieure à 50 mètres pour une rivière à chenal unique ou à 350 mètres pour une rivière en tresses.

Résultats

Ce tableau donne la répartition est classes de naturalité.


Ces schémas donnent la répartition par nombre de tronçons et longueur de linéaires.



Commentaires

Les deux-tiers des rivières ont reçu un mauvais classement administratif au titre de la DCE 2000. Ce critère montre que 65% des masses d'eau en France ont une morphologie qui a été fortement à très fortement modifiée par l'humain dans l'histoire. La directive cadre européenne 2000 sur l'eau prévoyait justement dans son article 5 le classement de tronçons de rivières en masses d'eau fortement modifiées, n'ayant de ce fait pas les mêmes critères d'évaluation que les autres (sauf pour le traitement de la pollution chimique, exigible partout). Normalement, les deux-tiers des rivières françaises auraient dû avoir cette classe: or, l'administration française y a recouru dans moins de 10% des cas. C'est une contradiction manifeste, risquant de pénaliser la France dans l'atteinte des objectifs de la DCE. C'est également révélateur du degré d'impréparation et d'approximation de ces questions:  pourquoi aurions-nous confiance dans une parole administrative qui dit une chose et son contraire au regard des textes et critères qu'elle-même produit?

La naturalité ne renseigne en rien sur la biodiversité. L'idée même d'un indicateur de naturalité doit faire l'objet de débat public et d'explication aux citoyens. Quasiment aucun milieu en Europe n'est naturel au sens de sauvage ou vierge, tous ont été modifiés à des degrés divers par l'humain depuis le Néolithique. Les conditions aux limites de la nature sont de toute façon altérées désormais au niveau global par le climat, qui change et changera de manière non naturelle sur deux paramètres essentiels de la vie aquatique (précipitation, température). La recherche en écologie scientifique montre depuis plusieurs décennies que nous avons sous-estimé l'ancienneté et l'intensité des modifications (voir quelques références ci-dessous). Par ailleurs, il n'y a aucun rapport univoque de cause à effet entre un niveau de naturalité et un intérêt de biodiversité: de nombreux écosystèmes aquatiques et humides classés en zones de conservation (Ramsar, Natura 2000, ZNIEFF) sont d'origine humaine, par exemple. Ce qui importe, c'est de voir au cas par cas comment le vivant s'est adapté aux milieux naturels modifiés ou non, quelles espèces sont présentes et quels services écosystémiques sont rendus.

Un classement de protection au titre de la naturalité devrait concerner moins de 10% des masses d'eau. On peut concevoir que des rivières ayant très peu d'impacts morphologiques sur le lit, les berges et une partie du bassin versant fassent l'objet d'un classement de protection, afin que cette partie des masses d'eau conservent leur fonctionnement actuel. Ce peut être d'intérêt pour la biodiversité qui y est abritée, pour la recherche scientifique, pour l'agrément (tourisme vert). C'est un choix démocratique qui doit être débattu, car un tel classement entraîne aussi un abandon pour l'avenir de certains usages d'intérêt général pour la société humaine (eau potable, énergie, irrigation) et doit normalement être assorti de protections accessoires limitant d'autres usages sans effet morphologique mais pouvant altérer des milieux (excès de fréquentation par pêche, kayak, rafting, randonnée) ainsi que des effets morphologiques sur le lit majeur (activités agricoles et urbanisation modifiant le bassin versant). Si tel doit être le cas, le classement de protection devrait concerner les 8,4% de tronçons (18.000 km) ayant un fort taux de naturalité au sens de cet indicateur.

La recherche publique et les acteurs administratifs doivent écouter tous les acteurs sociaux. La création de cet indicateur de naturalité est le fait de la rencontre entre des instances publiques (Cerema, AFB, CGDD, ministère de l'écologie) et une initiative privée (Fonds rivières sauvages). Pourquoi pas, mais toutes les demandes sociales relatives à l'écologie devraient être examinées, ce qui n'est pas le cas. Notre association a par exemple produit un rapport de synthèse de quelques travaux scientifiques et observations directes de terrain montrant que les écosystèmes aquatiques d'origine humaine possèdent aussi des biodiversité et des fonctionnalités d'intérêt, aujourd'hui négligées. Notre site rappelle régulièrement ce fait à travers des exemples. Nous avons demandé que des critères de prise en compte de cette réalité soient désormais associés à tout chantier en rivière et toute programmation de bassin versant. Aucun acteur public n'a daigné répondre à cette demande, fut-ce pour démontrer qu'elle serait infondée. Or, chaque année en France, on fait disparaître des biefs, des canaux, des retenues, des étangs, des lacs qui sont autant de milieux aquatiques et humides. L'indifférence des représentants administratifs et publics de l'écologie à la nécessité de l'examen préalable de ces milieux est aujourd'hui intenable, précisément car une abondante littérature scientifique interdit de poser une égalité simple entre la naturalité et la biodiversité.

Quelques travaux scientifiques récents montrant que biodiversité et naturalité ne sont plus synonymes
  • les biefs de moulins hébergent des moules protégées (Sousa et al 2019a)
  • les canaux d'irrigation sont colonisés par des moules menacées (Sousa et al 2019b)
  • les barrages sont à conserver et gérer pour le vivant et le débit en adaptation au changement climatique (Beatty et al 2017
  • l'indifférence et l'ignorance sur les écosystèmes aquatiques artificiels conduit à des mauvais choix de conservation biologique (Clifford et Hefferman 2018)
  • les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013
  • un étang augmente la densité de certains invertébrés et la disponibilité d'eau pour le vivant (Four et al 2019)
  • plans d'eau et canaux contribuent fortement à la biodiversité végétale (Bubíková et Hrivnák 2018
  • mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion européenne des bassins hydrographiques en raison de leurs peuplements faune-flore (Hill et al 2018)
  • la fragmentation des milieux serait favorable à la biodiversité (Fahrig et al 2017, 2019)
  • un effet positif des barrages est observé sur l'abondance et la diversité des poissons depuis 1980 (Kuczynski et al 2018)
  • la biodiversité des étangs piscicoles est d'intérêt en écologie de la conservation (Wezel et al 2014)
  • les canaux servent de corridors biologiques pour la biodiversité (Guivier et al 2019)
  • la morphologie des rivières françaises est modifiée depuis déjà 3000 ans et nos choix de gestion l'ignorent (Lepsez et al 2017)
  • les effacements d'ouvrages avantagent certaines espèces mais en pénalisent d'autres et ce n'est pas correctement évalué (Dufour et al 2017)
  • l'écrevisse à pattes blanches bénéficie de la fragmentation des cours d'eau par les chutes naturelles et artificielles (Manenti et al 2018
  • des truites vivent depuis 200 générations dans un cours d'eau fragmenté (Hansen et al 2014)
  • supprimer les ouvrages des moulins à eau incise les rivières et assèche leurs lits majeurs (Maaß et Schüttrumpf 2019)
  • la moitié des rivières européennes devrait changer d'écotype d'ici 2050 (Laizé et al 2017)
  • la notion de condition de référence d'une rivière est problématique (Bouleau et Pont 2014, 2015)
  • la réalité des écosystèmes culturels questionne la cohérence de l'écologie de la restauration (Evans et Davis 2018)
  • l'écologie aquatique doit modéliser les nouveaux écosystèmes de l'Anthropocène (Mooij et al 2019)
  • les nouveaux écosystèmes révèlent la construction sociale de la nature (Backstrom et al 2018)
  • les modifications des rivières datent de 15.000 ans déjà (Gibling et al 2018)
A lire aussi

03/12/2019

Comment les humains accélèrent l'érosion et le transfert des sédiments depuis 4000 ans (Jenny et al 2019)

Une équipe de chercheurs internationaux de l'Inra et l'Institut Max Planck ont analysé les changements dans l'érosion des sols à travers des dépôts de sédiments lacustres dans plus de 600 lacs à travers le monde. Ils ont montré que l'accumulation des sédiments a ponctuellement augmenté de manière significative voici déjà 4000 ans. A cette même période, le couvert forestier a diminué. Les changements des taux d'accumulation de sédiments au niveau régional sont corrélés aux développements socio-économiques et à l'implantation des populations humaines dans l'histoire, altérant peu à peu les écosystèmes terrestres et aquatiques. Cela pose question sur les effets des évolutions encore plus rapides des usages des sols de nombreux bassins versants depuis un siècle, suggérant que les hydrosystèmes tels que nous les observons sont en phase de réponse dynamique à ces impacts. 


(Extrait de Jenny et al 2019, art cit)

Au cours du Holocène (période naissant à la fin de la dernière glaciation), les modifications anthropiques des bassins versants, comme le défrichement et le brûlis de la végétation, l'expansion agricole et urbaine, ont entraîné des fluctuations rapides des taux d'érosion des sols. On estime que cela a pu accélérer l'érosion de 10 à 100 fois dans certaines régions. Mais il est encore difficile de savoir à quel moment une partie importante de la surface de la Terre est passée des taux d’érosion des sols par cause climatique à des taux dominés par des causes anthropiques.

Jean-Philippe Jenny (Centre alpin de recherche sur les réseaux trophiques et les écosystèmes limniques) et 11 collègues viennent de publier dans la revue PNAS une compilation remarquable d'analyse de sédiments lacustres à travers le monde pour comprendre cette dynamique à long terme des transferts de sédiments (illustration ci-dessus : les sites étudiés).

Voici le résumé de leur recherche :

"L'érosion accélérée des sols est devenue une caractéristique omniprésente dans les paysages du monde entier et il est reconnu qu'elle a des implications importantes pour la productivité des terres, la qualité de l'eau en aval et les cycles biogéochimiques. Cependant, la rareté des synthèses globales prenant en compte les processus à long terme a limité notre compréhension de la période, de l'amplitude et de l'étendue de l'érosion des sols sur des échelles de temps millénaires. Dès lors, nous ne sommes pas en mesure de prédire les réactions de l'érosion des sols aux changements du climat et de la couverture des sols à long terme. 

Ici, nous reconstruisons les taux de sédimentation pour 632 lacs sur la base de chronologies contraintes par 3 980 datations au carbone 14 calibrées afin d'évaluer les changements relatifs des taux d'érosion des bassins versants au cours des 12 000 dernières années. La dynamique estimée de l'érosion du sol a ensuite été complétée par des reconstitutions de la couverture terrestre déduites de 43 669 échantillons de pollen et par des séries chronologiques sur le climat issues du modèle de système terrestre de l'Institut Max Planck. 

Nos résultats montrent qu’une partie importante de la surface de la Terre a déjà bifurqué vers un taux d’érosion des sols provoqué par l’homme voici 4 000 ans. En particulier, les taux inférés d’érosion des sols ont augmenté dans 35% des bassins versants, et la plupart de ces sites ont montré une diminution de la proportion de pollen arboricole, ce qui serait attendu avec un défrichement. Une analyse plus approfondie a révélé que le changement de couverture terrestre était le principal facteur d'érosion présumée des sols dans 70% des bassins versants étudiés. Cette étude suggère que l'érosion des sols altère les écosystèmes terrestres et aquatiques depuis des millénaires, entraînant des pertes de carbone (C) qui auraient pu induire des rétroactions sur le système climatique".

En conclusion de la recherche, les auteurs précisent :

"Ces résultats suggèrent que l'abondance des arbres dans les bassins versants était le principal facteur expliquant les variations temporelles de l'érosion des sols, la déforestation anthropique expliquant l'accélération de l'érosion au cours des derniers millénaires. Nos résultats mettent en évidence l’importance de la grande échelle (en termes de distribution des données lacustres au niveau mondial, mais pas en termes de superficie totale contributive) et des processus à long terme sur l’érosion des sols déduits des taux d'accumulation sédimentaire, et la manière dont les activités humaines ont commencé à agir sur ces processus beaucoup plus tôt que d’autres signatures de l’Anthropocène à l’échelle mondiale, par exemple, l’appropriation humaine du cycle de l’azote depuis 1860. Cette analyse à l'échelle mondiale des archives paléolimnologiques ajoute aux preuves croissantes que les humains augmentent simultanément le transport fluvial de sédiments par l'érosion des sols et réduisent ce flux vers la zone côtière grâce à la rétention des sédiments dans les réservoirs."

Discussion
Beaucoup d'auteurs proposent de nommer notre époque Anthropocène, en raison de l'influence humaine prépondérante sur la planète, et de dater le début de cette époque à la révolution industrielle. Mais d'autres travaux dessinent un portrait plus graduel de cette influence humaine, avec de notables changements perceptibles dès la croissance démographique ayant accompagné la sédentarisation néolithique. Au point que l'Anthropocène pourrait peut-être se confondre avec l'ensemble du Holocène...

Dans une conférence donnée à notre association, Jean-Paul Bravard avait exposé combien la dynamique géo- et hydromorphologique des bassins versants doit s'interpréter sur le temps long, car des impacts croisés à plusieurs échelles spatiales et temporelles s'observent dans ces bassins. Ces travaux en sont une illustration, et ils rejoignent d'autres recherches ayant analysé sur le long terme la morphologie de bassins versants (par exemple Lespez 2015, Verstraeten et al 2017, Brown et al 2018).

Une chose paraît sûre : quand la politique publique de l'eau en France parle de la "circulation des sédiments", elle renvoie à une réalité qui est très modifiée par l'humain, pas seulement à travers l'obstacle à la circulation de ces sédiments (qui focalise l'attention et l'action), mais déjà à travers les sources de ces sédiments dans les bassins versants. Au regard des évolutions agricoles et urbaines accélérées depuis 100 ans, il paraît difficile de mener une gestion sédimentaire de bassin sans analyser les dynamiques des usages des sols et de leurs effets.

Référence : Jenny JP et al (2019), Human and climate global-scale imprint on sediment transfer during the Holocene, PNAS, 116,46,22972-2297.

21/09/2019

L'idéologie du retour à la nature est simpliste et vit dans le déni des milieux humains

Un imaginaire plutôt binaire s'est développé depuis une quinzaine d'années chez les gestionnaires de l'eau : le milieu "naturel" serait bon, le milieu "modifié par l'homme" serait mauvais, il faudrait "renaturer". La nature devient une sorte de paradis perdu que nous pourrions retrouver. Cette image parle aux esprits par sa simplicité, mais elle est en réalité simpliste: les milieux aquatiques et humides, comme tous les autres, ont co-évolué avec l'humain depuis longtemps. Les propriétés de leurs habitats et les assemblages de leurs espèces ont changé, ils continueront de le faire à l'avenir. Beaucoup d'habitats créés par l'humain sont colonisés par le vivant et considérés comme intéressants à ce titre, de sorte que l'origine naturelle ou artificielle d'un site devient désormais assez secondaire.  Les sociétés humaines doivent débattre de ces milieux en fonction de leur inventaire actuel de biodiversité et de fonctionnalité, sans référence particulière à une situation passée, et aussi en fonction des attentes qu'elles ont sur les services rendus par les écosystèmes.


Il existe des lacs naturels, qui ont de multiples origines : ancien océan bloqué par des mouvements géologiques, cratères volcaniques, dépressions d'érosion glaciaire, éboulements de falaises, affaissements karstiques, etc.

Il existe aussi des étangs naturels, moins nombreux : cuvettes de fond de thalweg, zones régulièrement inondées du lit majeur, entrées maritimes en zones littorales.

Ces milieux sont considérés comme riches en biodiversité, et ils ont été à l'origine de la limnologie, la science des eaux lentiques (c'est-à-dire des eaux calmes, stagnantes). Cette discipline est l'une des ancêtres de l'écologie scientifique moderne, à laquelle elle a apporté divers méthodes et concepts. L'étude des "limnosystèmes" reste aujourd'hui un enjeu de connaissance, hélas peu développé et peu abondé en France par rapport aux systèmes lotiques (voir Touchart et Bartout 2018).

Les lacs et étangs d'origine naturelle sont cependant minoritaires aujourd'hui: la plupart des masses d'eau lentiques ont été créées par l'homme. Certaines sont anciennes, d'un âge dépassant le millénaire. D'autres sont récentes. Le nombre exact est inconnu, plusieurs dizaines de milliers à coup sûr, probablement entre 100.000 et 200.000 pour la métropole. C'est une réalité massive des bassins versants, paradoxalement peu étudiée par l'écologie alors que le vivant aquatique trouve là une surface considérable (voir Hill et al 2018).

Dans le détail, les fonctionnalités des lacs, étangs et autres retenues divergent selon leur âge, leur situation et leur gestion. Mais qu'ils soient naturels ou artificiels, ce sont souvent des milieux d'intérêt, beaucoup étant classés pour la conservation écologique (ZNIEFF, Natura 2000, Ramsar) en raison des espèces qui colonisent leurs eaux et leurs rives : poissons, amphibiens, insectes, oiseaux, crustacés, mollusques, plantes, etc.

Pourtant, à l'occasion des réformes de "continuité écologique", on a vu émerger une posture étrange : ces mêmes milieux que l'on dit d'intérêt pour diverses propriétés lorsqu'ils sont naturels deviennent selon certains des "altérations" quand ils ont été créés par l'homme dans l'histoire et sur les lits des rivières. Les mêmes traits structuraux - une certaine profondeur, une eau plus calme et lente, un fond plus limoneux, une charge en nutriment souvent plus eutrophe, une température plus élevée ou stratifiée etc. - sont alors transformés en "problèmes". Du même coup, on ne prend pas la peine d'étudier les biodiversités et les fonctionnalités de ces milieux qui sont juste réputés "dégradés", sans faire d'analyse.


Pourquoi?

En fait, deux discours ont tenté de justifier ce qui ressemble à des acrobaties intellectuelles.

Le premier discours est l'idéologie de la naturalité : seule vaudrait une nature "pré-humaine", ses habitats et ses peuplements. Donc les étangs, lacs et plans d'eau installés par l'homme sur une rivière doivent être jugés par rapport à la biodiversité et aux fonctionnalités antérieures de la rivière, non par rapport à leurs traits propres. A ce compte là bien sûr, pas beaucoup de nature en France n'est éligible, car tous les milieux du Pléistocène ont été progressivement modifiés par la colonisation humaine au fil des millénaires, les rivières et les zones humides ne faisant pas exception (par exemple Lespez et al 2015, Brown et al 2018Gibling 2018). On pourra toujours dire que les habitats présents sont une "dégradation" de ce qu'ils furent, et envisager une "restauration" vers un état qui ressemblerait (un peu) à celui du temps passé. Mais cette logique "fixiste" qui idéalise une strate antérieure de l'évolution n'est pas très cohérente (par exemple Bouleau et Pont 2015). Et elle n'explique pas comment elle conjure les évolutions présentes et futures – à part interdire toute activité humaine. Loin d'être marginale, cette idéologie de la naturalité a inspiré des "sachants" qui ont proposé la notion d'"état de référence" d'une masse d'eau dans la directive cadre européenne sur l'eau de 2000. On se retrouve après ce choix avec des milieux très éloignés de ce qu'ils étaient sans impact humain, et des milliards de travaux à prévoir sur chaque bassin pour revenir hypothétiquement à un état antérieur "de référence". Cette idéologie anime aussi nombre de représentants de l'Office français de la biodiversité, donc les conseillers de la politique publique de la rivière en France.

Le second discours est beaucoup plus prosaïque : le lobby des pêcheurs de salmonidés (truites, ombres, saumons), traditionnellement écouté par les administrations en charge des rivières car actif depuis un siècle, voue un véritable culte à ces poissons d'eaux vives (il suffit de lire ses forums associatifs de passionnés) et ne supporte pas ce qui en diminue le nombre. La pollution des eaux, mais aussi la morphologie des lits : de toute évidence, certaines rivières progressivement modifiées par des plans d'eau présentent un profil moins favorable à des espèces d'eaux vives et froides, voire migratrices. Ces espèces ne disparaissent pas complètement, mais elles ont des habitats réduits (truites) ou des accès plus difficile en tête de bassin (saumons). Pour le non-pêcheur, ce n'est pas forcément une tragédie car d'autres poissons s'installent de toute façon (sans compter les autres espèces que les poissons, dont celles plus visibles pour les promeneurs). Mais pour le pêcheur passionné, la régression des salmonidés est vécue comme une remise en question de son activité et de l'intérêt de la rivière.

Une politique publique des rivières doit-elle être indexée sur l'idéologie de la naturalité ou sur la maximisation de salmonidés? Nous ne le pensons pas. Ces idéaux sont défendus par certains acteurs (c'est légitime), mais ce sont justement des points de vue d'acteurs, certainement pas une sorte d'instance neutre qui dirait une "vérité" de la nature. C'est un certain choix, une certaine lecture, et l'on peut tout à fait en développer d'autres, y compris sous le label de "la science" (voir des réflexions chez Dufour et al 2017, Dufour 2018).

Qu'il soit d'origine humaine ou non humaine, un site ne devrait plus s'évaluer a priori par référence à une quelconque "naturalité" ou "peuplement de référence" ou "biotypologie". Il s'agit plutôt de savoir quelles espèces y ont résidence, quelles relations ces espèces y entretiennent, quel bilan de matière et d'énergie s'y noue, quels avantages et quels inconvénients cet habitat présente par rapport à des objectifs de gestion, quels usages sociaux, économiques, symboliques il permet. Il s'agit aussi d'écouter les riverains et les collectivités territoriales, car ce sont eux qui résident dans ces cadres de vie et y recherchent du bien-être.

La "nature" n'existe pas si l'on entend par "nature" une sorte d'entité externe fixe, qui existerait de manière indépendante de la plus dynamique de ses espèces (l'humain). La nature existe comme évolution permanente du vivant et de ses habitats sur la surface de la Terre. Et notamment comme co-construction par l'homme de ses milieux. Nos politiques publiques de l'environnement doivent désormais refléter cette réalité et apprendre aux citoyens à en débattre. Car nous avons la responsabilité collective de l'évolution de ces milieux, notamment la responsabilité de veiller à ce que leur modification n'induise pas des conséquences dommageables pour la société comme pour la capacité du vivant à continuer son évolution.

13/09/2019

Les modifications des rivières depuis 15 000 ans (Gibling 2018)

La directive cadre européenne sur l'eau affirme que les rivières pourraient être conformes à un "état de référence" entendu comme peu impacté par l'homme. Si cela a un sens pour la mesure de pollutions, qu'est-ce que cela signifie au juste en évolution de la biologie et de la morphologie? Quelle "référence" serait celle de la nature? Dans un article récent visant à réfléchir à la notion d'Anthropocène, le géologue Martin R. Gibling montre ainsi que les premières altérations humaines des rivières sont nettement perceptibles voici 10 000 ans, puis que les cours d'eau commencent à être plus ou moins largement modifiés dans le monde voici 6500 ans, avec les techniques d'irrigation et de diversion de l'eau pour les populations sédentaires. Alors quel est donc "l'état de référence" d'une rivière française actuelle? Pourquoi faudrait-il revenir à une forme fluviale de 1900, de 1700 ou d'un âge antérieur, forme qui n'est pas plus "naturelle" qu'une autre si l'on entend par là "non-humaine"? La politique de l'eau doit réviser ses concepts en intégrant les données nouvelles de l'écologie et de l'archéologie de l'environnement. 



Schéma illustrant l'ampleur des influences anthropiques sur les systèmes hydrologiques. Les exemples illustrés proviennent principalement de milieux à influence technologique modeste, en particulier sur une période d'environ 10 000 à 4 000 ans BP. Figure conçue et rédigée par Meredith Sadler, extrait de Ginling et al 2018, art cti

Voici le résumé de l'article de Martin R. Gibling (Université Dalhousie, Canada):

"Les rivières sont au centre des débats sur l’Anthropocène car de nombreuses activités humaines depuis l’antiquité se sont concentrées sur leurs cours et dans les plaines inondables.

Une compilation de littérature sur le début de la modification humaine des rivières identifie six étapes qui représentent des innovations clés, concentrées au Proche-Orient et dans les zones voisines:

(1) des effets minimaux avant environ 15 000 BP, avec utilisation du feu et cueillette de plantes et de ressources aquatiques;
(2) des effets mineurs dus à une culture accrue après environ 15 000 ans BP, avec domestication des plantes et des animaux après environ 10 700 ans BP;
(3) l'ère agricole débutant environ 9800 ans BP, avec les sédiments mobilisés, l'utilisation répandue du feu, les premiers barrages et l'irrigation, la fabrication de briques;
(4) la période de l'irrigation à partir d’environ 6500 ans BP, avec irrigation à grande échelle, grandes villes, premiers grands barrages, approvisionnement en eau en milieu urbain, utilisation accrue des eaux souterraines, navigation sur rivières et exploitation alluviale;
(5) l'ère de l'ingénierie avec des remblais, des barrages et des moulins à eau après environ 3000 ans BP, en particulier dans les empires chinois et romains;
(6) l'ère technologique après environ 1800 de notre ère.

Les effets anthropiques sur les rivières étaient plus variés et plus intenses qu'on ne le reconnaît généralement, et ils devraient être systématiquement pris en compte dans l'interprétation des archives fluviales du Pléistocène supérieur et du Holocène".

Référence: Gibling MR (2018), River Systems and the Anthropocene: A Late Pleistocene and Holocene Timeline for Human Influence, Quaternary, 1, 3, 21

01/08/2019

L'écologie aquatique face aux nouveaux écosystèmes de l'Anthropocène (Mooij et al 2019)

Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs ayant développé un modèle du lac Victoria revient dans une publication récente sur la nécessité d'acter la réalité des nouveaux écosystèmes aquatiques créés par l'humain au fil de l'histoire, mais aussi de prendre en compte les effets de l'Anthropocène sur les dynamiques accélérées du vivant. C'est une tendance de fond en écologie scientifique, s'opposant à certaines visions du 20e siècle qui voyaient la nature comme une référence stable dans le temps et un phénomène susceptible de revenir facilement à son état antérieur après perturbation.  Cette idée est dépassée mais elle irrigue encore des textes de programmation publique, comme la directive cadre européenne sur l'eau. Nous avons besoin d'une révision des concepts et des pratiques en écologie de l'eau.

Les modèles mathématiques sont désormais des outils essentiels pour construire nos connaissances sur les relations complexes de causalité entre activités humaines et impacts environnementaux, afin de les traduire en hypothèses et scénarios de développement durable. Les modèles climatiques en sont un exemple connu. On voit aussi émerger des modèles hydro-écologiques. Wolf M Mooij et ses collègues ont développé à partir de l'étude du lac Victoria le modèle PCLake, d'abord pertinent pour des lacs peu profonds, puis généralisé aux lacs profonds, et en cours d'extension sur des zones humides.

Les auteurs exposent "trois défis majeurs" pour améliorer l'applicabilité de tels modèles d'écosystème aquatique (des modèles écologiques en général) au développement durable en période de changement environnemental mondial :
"Le premier défi découle de la notion selon laquelle si le changement de société entraîne un changement environnemental, il conduira finalement à des réponses adaptatives chez les organismes et les espèces par le biais d'une dynamique éco-évolutive. Deuxièmement, étant donné que chaque espèce résout le 'puzzle adaptatif' d’une manière unique ou peut s’éteindre, cela entraînera de nouvelles interactions entre espèces et une nouvelle dynamique écosystémique. Troisièmement, non seulement les écosystèmes mais aussi les sociétés montrent des réponses non linéaires et parfois hystérétiques au stress, conduisant à une dynamique socio-écologique compliquée. Ces défis sont logiquement organisés selon un axe de complexité qui va des individus aux sociétés entières."
Ce schéma montre que les espèces répondent à des changement selon deux régimes, l'un comportemental (au cours de la vie de l'individu et de la population locale), l'autre évolutif (par micro-évolution faisant bifurquer la trajectoire de l'espèce).


Les auteurs remarquent : "Les systèmes biologiques ont deux mécanismes fondamentalement différents pour s'adapter aux conditions environnementales changeantes: par l'adaptation écologique ou évolutive. Au sein du domaine écologique, les organismes peuvent réagir à des conditions locales changeantes, par le biais de leur comportement et de leur plasticité phénotypique, à des échelles de temps différentes, ou en évitant ces conditions changeantes par le mouvement ou la migration. Les communautés d'espèces peuvent réagir aux conditions locales changeantes en procédant au tri des espèces ou en évitant ces conditions en modifiant leur aire de répartition. Aucune de ces réponses ne nécessite d'évoluer en modifiant la constitution génétique d'organismes ou d'espèces, mais la plupart de ces réponses créent de nouveaux régimes de sélection et peuvent donc conduire à une microévolution. Cette microévolution peut alors à son tour invoquer de nouvelles réponses écologiques conduisant à une dynamique éco-évolutive."

Autre enjeu de l'Anthropocène : les interactions rapidement changeantes entre espèces.


Les chercheurs commentent : "Les interactions entre les espèces dans les réseaux trophiques ont évolué dans des conditions relativement stables de l’Holocène, et se modifieront radicalement en raison des changements rapides de l’environnement mondial dans l’Anthropocène. Par exemple, les espèces envahissent (1), remplacent potentiellement d’autres espèces (2), disparaissent (3), ont des réponses phénotypiques différentielles menant à une inadéquation trophique (4), ou s’adaptent en exploitant une nouvelle ressource (5), toutes conduisant à nouvelle dynamique des écosystèmes."

Un point soulevé par les scientifiques retient notre attention : la dynamique des nouveaux écosystèmes et le changement de paradigme dans la recherche en écologie.

Wolf M Mooij et ses collègues soulignent ainsi : "Reconnaître l'émergence de nouveaux écosystèmes stimulera une nouvelle approche de la gestion et de la modélisation des écosystèmes. Jusqu'à récemment, la restauration écologique était la vision dominante selon laquelle nous devions essayer de préserver autant que possible la biodiversité et les zones naturelles de la Terre qui se sont développées pendant le climat relativement stable de l'Holocène et qui étaient toujours en place au début de la grande accélération. Dans ce paradigme, il semblait logique de centrer nos modèles d'écosystème et de paysage sur la nature telle qu'elle était jadis. Une compréhension complète des changements en cours dans l'Anthropocène a donné lieu à une vision radicalement différente de la restauration écologique et à l'émergence du concept de nouveaux écosystèmes. Les nouveaux écosystèmes font partie de l’environnement et de la niche humains, y compris les zones urbaines, suburbaines et rurales, mais se déploient également là où la plupart des espèces endémiques se sont éteintes, qu’elles soient ou non dues aux invasions d’exotiques. En l’absence d’analogues naturels, les modèles pourraient servir de réalité virtuelle pour estimer ce qui serait possible au sein de nouveaux écosystèmes."

Discussion
Les politiques européennes de l'eau, rassemblées dans la directive cadre européenne 2000, ont introduit voici 20 ans la notion d'un "état de référence" d'une rivière ou d'un lac : ce à quoi devrait ressembler la biologie, la physique, la chimie de la masse d'eau. Cette démarche s'inscrit dans la nécessité pour toute technocratie voulant poser une norme d'avoir une métrique de mesure de la normalité et de l'écart à la normalité. Mais on peut bien sûr se demander s'il existe la moindre "normalité" dans l'évolution du vivant et si le rôle d'une autorité bureaucratique est de statuer sur cette normalité.

Au-delà de sa dimension politique, cette idée de l'état de référence d'un milieu est surtout issue d'une recherche en écologie du 20e siècle qui a été largement dépassée au cours des 3 dernières décennies (lire par exemple Bouleau et ont 2014, 2015; Alexandre et al 2017; Lévêque 2017; Backstrom et al 2018 ; Evans et Davies 2018). Ainsi :
  • l'influence humaine sur le vivant est bien plus ancienne qu'on le croyait, elle est observable dès le néolithique et des milieux perçus comme "vierges", "sauvages", "naturels" ne le sont pas en réalité. Avec des changements globaux comme la modification du régime thermique et hydrologique (changement climatique) ou l'introduction continue de nouvelles espèces sur tous les continents (globalisation), il est manifeste que le cadre ancien de représentation est inadapté à nos réflexions;
  • le vivant est aussi plus dynamique qu'on ne le pensait, il ne tend pas spontanément vers un état d'équilibre stable (le "climax" comme on l'appelait) mais il s'ajuste plutôt en permanence à des changements locaux ou globaux (la vie n'est pas "à l'équilibre" au sens où les milieux que nous voyons sous nos yeux, et qui paraissent parfois stables, répondent en réalité à divers changements déjà impulsés, dont la période d'action va du jour au siècle voire au millénaire);
  • la dynamique du vivant est non-linéaire et non-réversible, l'imaginaire physique du pendule qui revient à son état initial lorsqu'on cesse une action (imaginaire irriguant le modèle "pression-impact-réponse") n'est pas adapté à la réalité biologique et écologique (à la fois parce qu'il y a un très grand nombre de paramètres en interaction dans un écosystème, faisant émerger des réponses chaotiques, et parce que les propriétés biologiques sont capables de mutations, comme si le pendule ne se contentait pas de répondre à une poussée mais changeait sa forme et sa masse selon les poussées).
Les limites de "l'état de référence" et de la "restauration" d'écosystèmes dans un état antérieur sont probablement celles qui s'opposeront aussi en partie à l'objectif de Wolf M Mooij et de ses collègues d'obtenir des modélisations vraiment opérationnelles. On peut certes mieux décrire la complexité, mais de là à la dompter dans un modèle pour affirmer au décideur qu'un état futur d'un écosystème est prédictible, il y a un pas qui éveille notre scepticisme. Nous sommes plus vraisemblablement condamnés à prendre des décisions en situation structurelle d'incertitude sur leurs conséquences dès qu'on s'éloigne un peu dans le temps. Ce qui devrait nous pousser à débattre du régime de ces décisions en écologie, et à y ré-affirmer le rôle premier de la société.

Référence : Mooij WM et al (2019), Modeling water quality in the Anthropocene: directions for the next-generation aquatic ecosystem models, Current Opinion in Environmental Sustainability, 36, 85–95

30/06/2019

Eau, climat, vivant, paysage : s'engager pour les biens communs

Moulins, forges, étangs et autres ouvrages anciens ont souvent une conscience aigüe du patrimoine et du long terme. Ils ont accompagné les générations dans l'histoire, et leurs enjeux toujours différents. Aujourd'hui, ils doivent se projeter dans le 21e siècle et s'engager dans la protection des biens communs menacés ou perturbés que sont l'eau, le climat, le vivant, le paysage. 


L'eau est un bien jadis abondant mais qui, selon les lieux, devient de plus en plus rare du fait d'un usage intensif par les populations et des évolutions climatiques. Cette eau est aussi polluée par les rejets d'activités humaines.

Le climat se dérègle du fait des émissions excessives de gaz carbonés à effet de serre, et les chercheurs prédisent que les désagréments liés au réchauffement vont devenir de plus en plus importants, au point de dépasser les quelques avantages.

Le vivant affronte une baisse de sa biodiversité, comparée par certains experts au début d'une 6e extinction, en raison de la raréfaction des habitats, de la surexploitation des espèces ou de la pollution des milieux.

Le paysage, enfant des interactions sociétés-milieux, a été un peu partout défiguré par des artificialisations hâtives des sols et par des choix insensibles à l'intérêt d'une évolution lente des mondes vécus.

Ces différents enjeux sont des biens communs : ils n'appartiennent à personne, mais ils résultent de l'action de tous.

Ces biens communs sont en crise et notre époque ("l'Anthropocène") est marquée par une prise de conscience : nous ne pouvons plus agir dans l'ignorance et l'amnésie, nous ne pouvons plus sacrifier partout et toujours la durée au court-termisme et la coopération intelligente à la compétition de tous contre tous.

Les moulins, comme les forges, étangs et d'autres ouvrages hydrauliques hérités de l'histoire, ont un rôle à jouer face à la crise contemporaine des biens communs.

Une politique bien intentionnée mais mal conduite, dite de "continuité écologique" a fâché les ouvrages hydrauliques avec l'action publique en France. Cette politique proposait une doctrine de "renaturation" où l'ouvrage en rivière est simplement vu comme anomalie à faire disparaître. Mais l'expérience et l'évolution des connaissances montrent que cette vision était trop binaire, trop simpliste, aussi trop brutale pour créer l'union nécessaire. Elle a méconnu tout ce que les ouvrages peuvent apporter localement :
  • l'ouvrage hydraulique peut gérer l'eau, recharger la nappe en hiver, héberger du vivant en été, contribuer à réguler et ralentir des crues, freiner des pollutions aiguês et épurer des pollutions diffuses;
  • l'ouvrage hydraulique peut produire de l'énergie peu carbonée et réduire les émissions de gaz à effet de serre, il peut servir de refuge climatique en étiage, il peut aider à rafraîchir des communes;
  • l'ouvrage hydraulique possède aussi des habitats et son usage de l'eau peut être optimisé pour favoriser localement le vivant aquatique, tout en baissant ses impacts sur des espèces migratrices;
  • l'ouvrage hydraulique a bâti le paysage des fonds de vallée, il est intégré dans l'histoire et il contribue aux identités locales.

Moulins, forges, étangs et autres ouvrages ont ainsi la capacité de s'engager pour la défense des biens communs. Ils doivent en avoir la volonté.

Pour y parvenir, il ne faut évidemment pas traiter l'ouvrage hydraulique en anomalie à faire disparaître, mais en partenaire à mobiliser dans une perspective de gestion adaptative de l'eau, de la biodiversité, du climat et du paysage.

Beaucoup de propriétaires et riverains d'ouvrages anciens ont une conscience du long terme, le sentiment de n'être qu'une étape dans une longue chaîne de transmission des biens bâtis. Ils savent que défaire est aisé, mais faire est difficile. Les propriétaires et riverains doivent élargir cette conscience au-delà du patrimoine bâti, tout en continuant à le respecter, l'entretenir et le transmettre.

Il y a souvent eu, dans la séquence 1950-2000, une perte de la culture hydraulique, une perte de la vocation des ouvrages en rivière. Aussi une rupture des expériences vécues avec la nature, et la disparition d'un certain bon sens. Aussi un laisser-aller, où l'on attendait tout de l'Etat sans se prendre en main au niveau de chaque territoire. Mais cette période se referme rapidement. Le monde des moulins et étangs doit se projeter dans les défis de son siècle et il doit aider à les relever. C'est aussi à ce prix que nous formerons des politiques durables et partagées des rivières et de leurs ouvrages hydrauliques.

Illustration : le moulin de Rainville dans l'Orne, au coeur de la mobilisation dans ce département.

23/06/2019

Des chercheurs appellent à revoir les méthodes de la gestion écologique des rivières

La gestion écologique des rivières au 20e siècle consistait le plus souvent à s'inspirer des fonctionnements et peuplements antérieurs pour essayer d'y revenir, en supposant possible le retour à l'état d'origine avant perturbation, et considérant comme suffisant cet objectif. Mais avec le changement climatique imposant des conditions nouvelles, parfois extrêmes, de débit et température, ce paradigme entre en crise, préviennent neuf chercheurs dans la revue scientifique internationale Nature. Nous devons aujourd'hui apprendre à gérer les rivières à l'âge Anthropocène pour éviter l'effondrement de leurs populations et la ruine de services écosystémiques rendus aux humains. Cette gestion adaptative peut inclure les instruments nés de l'exploitation de la rivière, comme les barrages permettent de réguler débits et réserves d'eau. Ce qui pose question : avec son objectif de disparition du maximum d'ouvrages et retenues au nom de la continuité en long et de la préférence aux habitats originels plutôt qu'anthropisés, la gestion publique française est-elle en retard d'une guerre en période de changement climatique? 


Mort en masse de poissons dans des canicules et sécheresses en Australie, Allemagne, Suisse, Espagne... l'actualité commence à donner quelques aperçus de ce que signifie le changement climatique pour la variation future des débits. Ce qui reste aujourd'hui exceptionnel pourrait devenir la norme en 2050. Et s'aggraver même ensuite, impliquant des changements majeurs dans les deux paramètres directeurs des écosystèmes de rivière: le débit et la température.

Jonathan D. Tonkin, N. LeRoy Poff et sept collègues publient dans la revue scientifique Nature une tribune alertant les gestionnaires de rivière sur les implications des prédictions climatiques.

Leur constat : l'idée qu'il faut simplement revenir à l'idée d'origine de la rivière n'est plus valable. "Que doivent faire les gestionnaires de rivière? Ils ne peuvent plus utiliser des outils anciens: des techniques de gestion conventionnelles visant à restaurer les écosystèmes dans leur état d'origine. Le développement humain en cours et le changement climatique font que ce n’est plus possible. Et les modèles fondés sur les corrélations passées ne permettent guère de prédire comment les espèces pourraient réagir dans le futur à des changements sans précédent. Une approche différente s'impose."

En lieu et place d'une tentative de restauration de profils et peuplement antérieurs de rivière, les chercheurs préconisent une gestion adaptative : "Afin de maintenir les réserves d'eau et d'éviter des effondrements dévastateurs de population, les rivières doivent être gérées de manière adaptative, ce qui améliore leur résilience et limite les risques. Les chercheurs doivent également mettre au point de meilleurs outils de prévision permettant de prévoir comment les espèces clés, les stades de la vie et les écosystèmes pourraient réagir aux changements environnementaux. Cela signifiera aller au-delà du simple suivi de l'état des écosystèmes pour modéliser les mécanismes biologiques qui sous-tendent leur survie."

Sont cités en exemple la gestion fine des débits pour assurer la germination (dépendante du débit) des peupliers indigènes (Populus spp.) des Etats-Unis en raison de leurs services rendu ou  l'assistance à traverser l'étape critique pour le stade juvénile du saumon coho (Oncorhynchus kisutch) que forment les sécheresses estivales.

Quatre étapes pour construire la gestion des rivières
Pour les scientifiques, une démarche en quatre étapes s'impose afin de parvenir à accompagner les changements hydro-climatiques.

"Recueillir des données sur les mécanismes. Nous appelons à une nouvelle campagne mondiale pour rassembler des données d'histoire naturelle sur les réponses de la biodiversité aux changements du débit des rivières. Les estimations de la fécondité et de la survie à différents stades de la vie nécessiteront une surveillance sur le terrain. D'autres informations, telles que les taux de mortalité induite par les débits, pourraient être recueillies par le biais d'expériences sur le terrain et en laboratoire. Les données provenant de différentes sources peuvent également être combinées, notamment les caractéristiques des espèces, l'abondance de la population à tous les stades de la vie et les données de télédétection sur l'état des écosystèmes à des échelles plus larges. Nous exhortons les agences locales, nationales et fédérales, ainsi que les chercheurs, les organisations non gouvernementales et d'autres organismes, à mettre à disposition les données existantes.

Décrire les processus clés dans les modèles. Les scientifiques doivent mieux articuler les relations entre la dynamique de la population et les schémas d'écoulement de l'eau dans des modèles basés sur des processus. Par exemple, les modèles doivent décrire le degré de reproduction ou de survie des plantes à différents stades de leur vie lors d'inondations ou de sécheresses, les conditions et le moment d'écoulement nécessaires au poisson pour se reproduire ou les taux de croissance des populations d'insectes après des inondations de tailles différentes. Les résultats doivent être clairement exprimés pour que les gestionnaires de rivière et les décideurs puissent les comprendre et les utiliser.

Se concentrer sur les goulots d'étranglement. Des interventions ciblées visant à éviter l'effondrement des populations lors d'écoulements extrêmes constitueront la pierre angulaire de la gestion des rivières pour leur résilience à l'avenir. En conséquence, les gestionnaires de barrages devraient se concentrer sur les étapes de la vie les plus vulnérables ou les plus sensibles, et pas seulement sur l'abondance de la population. Malheureusement, à mesure que les conditions extrêmes de débit se généraliseront, les scientifiques et les gestionnaires pourront observer les dépérissements et calibrer les modèles.

Préciser l'incertitude. Le niveau de confiance des gestionnaires dans les résultats des modèles influera sur leur volonté de faire face à divers niveaux de risque. Les prédictions devraient donc quantifier le niveau de confiance que l'on peut leur accorder. Les scientifiques doivent présenter clairement les incertitudes des prévisions. Les modèles doivent être testés par analyse rétrospective (prédire la taille passée ou présente de la population, par exemple), et les incertitudes du modèle doivent être retracées des données d'entrée jusqu'aux résultats. Les lacunes dans les connaissances qui compromettent le plus la précision doivent être identifiées. Les modèles doivent être régulièrement mis à jour, testés et améliorés à mesure que de nouvelles données arrivent."

Notre association ayant régulièrement déploré le manque de disponibilité de données et d'utilisation de modèles dans la gestion des rivières, nous ne pouvons que nous féliciter de cette mise en avant du problème dans une revue très influente. Une certaine prudence s'impose toutefois concernant la modélisation, comme les auteurs le rappellent en insistant sur les incertitudes : elle reste très complexe à mettre en oeuvre pour l'évolution du vivant, domaine où les contextes locaux, les perturbations aléatoires, les capacités adaptatives endogènes de chaque espèce et les interactions espèce-espèce espèce-milieu en quantités rapidement "explosives" jouent un rôle prépondérant.

Concernant les politiques menées en France, on peut faire les remarques suivantes :
  • la doctrine opposant "l'état de référence" passé d'un cours d'eau à son état présent n'a guère de sens en écologie si les prédictions des modèles climatiques sont correctes et si les conditions aux limites du vivant aquatique changent de manière importante;
  • une gestion adaptative suppose de disposer des outils de gestion, notamment tout ce qui régule le débit et la rétention d'eau dans les bassins. Casser aujourd'hui ces outils (en effaçant des barrages et vannes) au lieu de les adapter (par des dispositifs de montaison-dévalaison), c'est se priver  de leur potentialité et d'une liberté d'action future;
  • le souci de l'environnement, l'expérimentation dans les méthodes et l'agilité dans la gestion des rivières gagneraient à faire des propriétaires et gérants d'ouvrages hydrauliques des alliés de ces enjeux importants pour le vivant et pour la société, plutôt qu'à diviser sur des approches passées, voire dépassées.

Référence : Tonkin JD et al (2019), Prepare river ecosystems for an uncertain future,
Nature 570, 301-303 (2019)

Illustration: Jsayre64, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0.

A lire sur le même thème
Les poissons des fleuves français reflètent déjà clairement le changement climatique (Maire et al 2019)
Des rivières naturelles aux rivières anthropisées en Europe: poids de l'histoire et choix des possibles pour l'avenir (Brown et al 2018)
Les barrages comme refuges? Intégrer le changement climatique dans les choix sur les ouvrages hydrauliques (Beatty et al 2017) 
La moitié des rivières européennes devrait changer d'écotype d'ici 2050 (Laizé et al 2017) 
Idée reçue #17: "L'effacement des ouvrages hydrauliques permet de s'adapter au changement climatique"

12/06/2019

La réalité des écosystèmes culturels questionne la cohérence de l'écologie de la restauration (Evans et Davis 2018)

Deux chercheurs en science de l'environnement s'interrogent sur les liens entre la restauration écologique et les "écosystèmes culturels", définis comme les modifications de milieux par l'activité humaine au cours des siècles et millénaires passés. Comme un nombre croissant de collègues, ils expriment le besoin de sortir l'écologie de la référence à un état naturel non modifié par l'homme, qui fait de moins en moins sens au regard des observations et connaissances sur l'ancienneté de la fabrique humaine de la nature telle que nous la voyons aujourd'hui. L'écologie doit-elle dépasser l'amnésie et l'utopie d'une nature atemporelle qui pourrait rester toujours identique à elle-même? Comment la société peut-elle participer à la construction des états de nature qu'elle désire?   


Le contrôle de l'eau dans l'hydraulique maya, site de Palenque, rivière Otulum.

La société pour la restauration écologique (SER, Etats-Unis), groupe de praticiens et théoriciens, a proposé en 2016 un "Standard international pour la pratique de la restauration écologique". Celui-ci donne lieu à d'intéressants débats entre experts, où l'on s'aperçoit que la restauration écologique ne coule pas de sources dans ses méthodes, ses paradigmes et ses finalités.

Nicole M. Evans et Mark A. Davis (université de l'Illinois) observent ainsi que le Standard proposé prend en compte la notion d'écosystème culturel, défini comme "les écosystèmes qui se sont développés sous l'influence conjointe des processus naturels et des organisations imposées par l'homme pour fournir une structure, une composition et une fonctionnalité plus utiles pour l'exploitation humaine".

Mais selon cette définition, font remarquer Evans et Davis, "il semble que tous les écosystèmes sont culturels, de manière plus ou moins prononcée". La SER a tenté d'anticiper la critique en parlant de systèmes qui resteraient dans une fourchette de "variation naturelle". Le Standard de la SER parle aussi des écosystèmes culturels pré-industriels qui "montrent des états très similaires à ceux survenant dans des aires non modifiées". Mais, notent Evans et Davis, "alors que la majeure part de la littérature scientifique démontre que les peuples indigènes de l'âge préindustriel étaient des forces majeures sur leurs écosystèmes (Martinez 2003; Krech 2000; Anderson 2005), le Standard dépeint leurs paysages comme des états non modifiés. Un rapide examen de plusieurs exemples montre pourquoi cette généralisation est une représentation grossière et une simplification excessive des peuples du passé et de leurs impacts".

Parmi les exemples, les auteurs rappellent l'exploitation très large de la forêt amazonienne à l'époque pré-colombienne, l'influence cumulée de l'agriculture européenne depuis l'Antiquité, les changements majeurs ayant accompagné l'arrivée de l'homme en Australie et dans la zone océanique.

Les universitaires mettent en avant plusieurs "implications conceptuelles" de leurs critiques:
"Les états naturels [de référence] ne doivent pas être la base pour déterminer si une activité remplit les conditions requises de restauration écologique, car cela pourrait empêcher la restauration nécessaire dans de nombreux endroits dans le monde"

"Lors du choix des références, l’idée d'une référence "originelle" intacte devrait être remplacée par des manières plus nuancées de considérer des impacts bons, mauvais et neutres de l'homme sur des écosystèmes, non basées sur une division de temporalité pré- et post-industrielle"

"Un point de départ pour marier la restauration culturelle et la restauration naturelle est d'intégrer des considérations sociales, culturelles et politiques à côté des considérations écologiques"

Discussion
La question de la "naturalité" ou de l'"état de référence" des systèmes naturels est un problème en écologie de la restauration. Evans et Davis le pointent ici à travers les usages historiques traditionnels de la nature ou les effets de la colonisation, mais leurs objections sont généralisables : nous ne sommes jamais passés d'un état de nature originelle à un état de nature modifiée par une transition brutale aux causes identifiables et réversibles, mais par un long travail de transformation de l'environnement par toutes les grandes civilisations passées et présentes. La modernité accélère bien sûr le phénomène depuis deux siècles, par la croissance démographique et par les moyens technologiques inédits (d'où la proposition de nommer notre époque géologique "Anthopocène"). Mais si nous pouvons, par conscience environnementale nouvelle, choisir de moins modifier certains milieux (par exemple moins exploiter les forêts, moins barrer les rivières, moins artificialiser les sols, moins émettre de carbone, moins produire de polluants persistants, etc.), nous ne pouvons pas pour autant effacer les usages passés ni cesser complètement d'influer sur la nature au vu des besoins ou des préférences socio-économiques des humains. L'évolution étant non réversible, avec une complexité combinatoire des influences entre facteurs biotiques et abiotiques, nous ne pouvons pas davantage revenir à un état bien défini de conditions passées (que ces conditions soient biologiques, thermiques, hydrologiques ou autres).

Si les écosystèmes sont en réalité des co-créations culturelles, techniques et naturelles, ou des phénomènes fondamentalement hybrides comportant une part de volonté humaine dans leur condition d'existence, que voulons-nous pour leur avenir? Pourrions-nous, par exemple, créer volontairement des configurations nouvelles d'habitats et de biodiversités? Avons-nous, sur les états de la nature, la même liberté que sur les états de la culture? Que devons-nous faire d'habitats anciens ou récents qui ont fini par héberger des faunes et des flores propres, parfois endémiques, parfois exotiques, mais ayant en tout état de cause leurs diversités spécifique, génétique, fonctionnelle?

Ces questions sont d'actualité puisque l'écologie de la restauration est devenue une politique publique, impliquant des dépenses et des contraintes, donc des débats démocratiques sur les finalités et les justifications de l'action. Malheureusement, les connaissances sur l'écologie restent peu diffusées, les réflexions à son sujet moins encore : la discussion est trop souvent réduite à des effets d'annonce, les choix alternatifs ne sont pas exposés ni pensés avec clarté, certaines options sont (indument) présentées par effet d'autorité comme le seul discours légitime au plan scientifique ou épistémologique. Une situation qui doit changer, car elle est défavorable à des choix avisés et informés sur l'avenir commun des sociétés et des milieux. En France, cela passe par une réforme en profondeur de la gouvernance publique de ces questions, aujourd'hui défaillante à produire de l'information, de la participation et de la délibération de qualité.

Référence : Evans NM et Davis MA (2018), What about cultural ecosystems? Opportunities for cultural considerations in the International Standards for the Practice of Ecological Restoration, Restoration Ecology, 26, 4, 612–617.

A lire sur ce thème
Les nouveaux écosystèmes et la construction sociale de la nature (Backstrom et al 2018) 
Restauration de la nature et état de référence: qui décide au juste des objectifs, et comment? (Dufour 2018)
Quelques millénaires de dynamique sédimentaire en héritage (Verstraeten et al 2017) 
Rivières hybrides: quand les gestionnaires ignorent trois millénaires d'influence humaine en Normandie (Lespez et al 2015) 
Une rivière peut-elle avoir un état de référence? Critique des fondements de la DCE 2000 (Bouleau et Pont 2014, 2015) 

27/05/2019

Augmentation de la richesse fonctionnelle et spécifique des poissons d'eau douce depuis 2 siècles (Toussaint et al 2018)

Etudiant l'évolution depuis deux siècles des poissons d'eau douce dans plus de 1500 bassins répartis en 6 domaines biogéographiques mondiaux, des chercheurs montrent que la richesse spécifique (diversité d'espèces) a augmenté de 15% et la diversité fonctionnelle (traits des assemblages de poissons) de plus de 150%. La tendance s'observe aussi en Europe, dans le domaine dit "paléarctique". Ce résultat signifie que, pour le moment, les introductions de nouvelles espèces  dans les bassins ont fait plus que compenser les disparitions d'espèces endémiques. Cela pose question sur la biodiversité de l'Anthropocène, et sur la manière dont ce sujet est aujourd'hui discuté dans le débat public sur les rivières. S'intéresse-t-on à la diversité locale du vivant et aux services rendus par les écosystèmes? Ou alors veut-on conserver voire restaurer un état ancien de la nature, qui est déjà modifié structurellement et qui continuera de l'être, ne serait-ce que par le changement climatique et la dispersion des espèces? 

Aurèle Toussaint et sept collègues travaillant en France (CNRS, IRD, Ifremer, université de Toulouse et Montpellier,  Estonie (Université de Tartu) et Belgique (Flanders Marine Institute VLIZ ; Université d'Anvers) ont analysé les occurrences historiques et actuelles d'espèces de poissons d'eau douce grâce aux deux plus grandes bases de données spatiales (Brosse et al 2013; Tedesco et al 2017) couvrant plus de 3000 bassins hydrographiques dans le monde. Chaque bassin fluvial a été affecté à l'un des six domaines biogéographiques : afrotropical, australien (y compris océanien), néarctique, néotropical, oriental et paléarctique (Eurasie).

La composition historique de ces bassins fait référence à la faune passée avec uniquement des espèces endémiques de la période préindustrielle (avant le 18e siècle) : l'industrialisation et la globalisation économique sont reconnues comme le principal moteur de l'introduction de poissons (ainsi que d'autres animaux) pour l'aquaculture, la pêche et l'ornement. La composition actuelle des bassins fait référence à la faune présente avec les espèces non natives et sans les espèces endémiques éteintes. Les espèces éteintes ont été extraites de travaux antérieurs (Brosse et al 2013, Dias et al 2017), mis à jour avec les listes rouges de l'UICN (IUCN 2018). Les occurrences d'espèces non natives ont été séparées en espèces "exotiques" (espèces introduites dans un domaine dont elles étaient totalement étrangères), et "transférées" (espèces introduites depuis un domaine où elles étaient présentes par ailleurs comme endémiques, mais pas dans le bassin concerné ; par exemple un poisson présent dans le bassin rhodanien ou rhénan qui aurait été introduit dans le basin de la Seine ou de la Loire).

Outre ces données d'occurrence d'espèces, les chercheurs ont également étudié des données dites fonctionnelles :

"Nous avons utilisé la base de données fonctionnelle la plus complète existante à ce jour pour décrire la morphologie des poissons d'eau douce (Toussaint et al 2016). Cette base de données comprend 9534 espèces de poissons d'eau douce sur environ 13 000 espèces de poissons d'eau douce strictement décrites (Nelson et al 2016) couvrent ainsi 73% de la faune de poissons d'eau douce documentée dans le monde. Chaque espèce est décrite avec dix traits fonctionnels (...), parmi lesquels la taille corporelle est un trait clé lié à toutes les fonctions associée au métabolisme (Blanchet et al 2010) et a été estimée à la longueur corporelle maximale enregistrée sur Fishbase (www.fishbase.org, Froese & Pauly 2012). Les neuf autres caractères décrivent la forme et la position des caractéristiques anatomiques externes des poissons (c.-à-d. têtes, yeux, bouche, nageoires pectorale et caudale) qui affectent leur alimentation et leur locomotion. (...) Bien que ces dix traits morphologiques ne puissent expliquer tous les rôles réels joués par les poissons dans les écosystèmes (par exemple, le recyclage des nutriments ou le contrôle trophique d’autres taxons), ils restent informatifs pour décrire au moins deux fonctions clés remplies par les poissons, à savoir l’acquisition et la localisation des aliments."

La combinaison des bases de données fonctionnelles et des bases d'occurrences a permis de décrire les changements temporels dans la diversité fonctionnelle de 1569 assemblages de poissons d'eau douce à travers le monde, pour lesquels plus de 80% des espèces étaient décrites fonctionnellement.

"Pour chaque assemblage, expliquent les chercheurs, nous avons calculé la richesse taxonomique (TRic) en tant que nombre d'espèces dans chaque bassin hydrographique. La structure fonctionnelle des assemblages de poissons dans chaque bassin hydrographique a été évaluée à l'aide de trois indices de diversité fonctionnelle complémentaires: la richesse fonctionnelle (FRic), la divergence fonctionnelle (FDiv) et l'identité fonctionnelle (FIde)".

La principale conclusion des chercheurs est une hausse de la richesse taxonomique et une hausse, dix fois plus marquée, de la diversité fonctionnelle:

"alors qu'en deux siècles, le nombre d’espèces de poissons par rivière a augmenté en moyenne de 15% dans 1569 bassins dans le monde, la diversité de leurs attributs fonctionnels (richesse de leurs fonctions) a augmenté en moyenne de 150%. L'inflation de la richesse fonctionnelle s'est accompagnée de modifications de la structure fonctionnelle des assemblages, avec des décalages de la position des espèces vers la limite de l'espace fonctionnel des assemblages (c'est-à-dire une divergence fonctionnelle accrue). En outre, les espèces non indigènes ont modifié l'identité fonctionnelle en faveur d'espèces de plus grande taille corporelle et moins allongées pour la plupart des assemblages dans le monde. Bien que variables entre les rivières et les domaines biogéographiques, de tels changements dans les différentes facettes de la diversité fonctionnelle pourraient encore augmenter à l'avenir en raison d'une invasion croissante d'espèces et pourraient modifier davantage le fonctionnement de l'écosystème."

Ce tableau montre le ratio de diversité fonctionnelle et le ratio de richesse spécifique entre la situation actuelle et la situation ancienne (un ratio supérieur à 1 signifie donc des gains), ainsi que le nombre de rivières pour lesquelles on dispose de données par grands domaines biogéographiques :


Extrait de Toussaint et al 2018, art cit.

Ce graphique montre la régression entre changement de richesse taxonomique (abscisses) et changement de richesse fonctionnelle (ordonnées) dans les six grands ensembles biogéographique (l'Europe est dans le domaine paléarctique) :



Figure extraite de Toussaint et al 2018 (art cit). La pente de la droite de régression indique la tendance positive des richesses taxonomique et fonctionnelle, la (plus ou moins) faible dispersion des points autour des droites de régression indique l'association entre les deux phénomènes.

Les chercheurs soulignent que cette tendance observable rencontre celle (contraire) de l'extinction de certaines espèces endémiques de poissons, notamment consécutive aux introduction d'espèces exotiques :

"En outre, l’inflation de la diversité fonctionnelle des poissons que nous rapportons pourrait, dans un proche avenir, rencontrer l’augmentation prévue des taux d’extinction (Tedesco et al 2013) et éventuellement conduire à une perte de diversité fonctionnelle, les espèces les plus vulnérables supportant généralement des attributs fonctionnels unqiues (Mouillot et al. 2013a; Leitão et al 2016). Prédire si des espèces non natives pourront compenser des pertes futures en diversité fonctionnelle reste une question clé pour déterminer les éventuels changements dans le fonctionnement des écosystèmes."

Discussion
Ces résultats d'Aurèle Toussaint et ses collègues pourront surprendre le lecteur : encore récemment, l'IPBES (le "Giec de la biodiversité") ne mettait-il pas en garde contre un déclin sans précédent de la biodiversité dans le monde (voir IPBES 2019)? Que signifie alors ce constat contraire d'une augmentation de la richesse en espèces de poissons des rivières, et plus encore d'une hausse de la diversité fonctionnelle des assemblages de poissons? En fait, on ne parle pas de la même chose.

Les écologues de la conservation regardent l'évolution des abondances de populations et ils comptabilisent avant tout les espèces endémiques (natives, propres à un lieu). Par exemple si un fleuve perd 2 espèces endémiques mais gagne 5 espèces exotiques de poissons, c'est la disparition des endémiques qui sera relevée dans une logique de conservation. Or, cette manière de voir soulève des débats entre experts, car elle tend à véhiculer une image "fixiste" de la nature qui ne rend pas compte des évolutions rapides en cours (voir par exemple nos recensions d'Alexandre et al 2017; de Vellend et al 2017; Schlaepfer et al 2018). Et cela justifie aussi des débats entre citoyens. La question est de savoir si l'on valorise certains états de la nature du Holocène (la nature telle qu'elle était voici 300 ans par exemple, avant les effets massifs de la révolution industrielle moderne) et si l'on accorde une valeur en soi à chaque espèce endémique. Ou bien si l'on accepte l'Anthropocène comme réalité et si l'on s'intéresse d'abord à la diversité des espèces présentes sur des sites actuels et futurs, sans égard particulier pour leur origine (endémique et exotique), en veillant à ce que les services rendus par les écosystèmes soient préservés et que les habitats aquatiques présentent assez de diversité pour accueillir des espèces de provenance diverse.

Il s'agit là d'une des sources de désaccord entre notre association (dont le point de vue est partagé par de nombreuses autres au bord des rivières ou plans d'eau) et l'AFB : nous ne pensons pas qu'une écologie de la conservation dont les orientations et métriques sont axées sur les seules espèces endémiques correspond à la perception sociale de la nature, ni à une bonne politique publique des rivières en général.

La réalité que nous observons autour de nous, et qu'observent aussi bien des chercheurs, ce sont d'abord des bassins versants déjà modifiés par des millénaires d'agriculture et d'usages de l'eau (par exemple Lespez et al 2015, Verstraeten et al 2017), des nouveaux écosystèmes aquatiques créés par l'homme (lacs, canaux, étangs) parfois en lieu et place d'autres disparus (zones humides, rivières divagantes en tresses ou anastomoses), des espèces de poissons introduites en grand nombre (souvent pour la pêche, par exemple Haidvogl et al 2015, Belliard et al 2016, Prunier et al 2018), des effets du changement climatique qui sont déjà perceptibles et qui devraient s'accentuer considérablement au cours des prochaines décennies (par exemple Laizé et al 2017,  Maire et al 2019). S'il est tout à fait compréhensible de créer des zones de conservation "témoins" dans des parcs naturels ou des grands espaces Natura 2000, comme de développer des programmes sur des espèces-clés d'écosystème en danger critique de disparition, s'il est opportun (en hypothèse d'accord des riverains) de créer des habitats différents en lit mineur ou lit majeur pour analyser de manière expérimentale leur colonisation, il nous paraît en revanche vain voire contre-productif de promouvoir partout une politique de "naturalité" et de "renaturation" fondée sur le présupposé qu'un état antérieur des rivières formerait une norme, qu'une perte d'espèce endémique signifierait forcément une perte de fonctionnalité des assemblages présents ou une baisse de services rendus à la société par l'écosystème, que nous pourrions revenir à des "références" du vivant existant dans le passé, mais non dans le présent (et probablement pas dans l'avenir non plus).

Il ne suffit pas de constater que nous sommes entrés dans l'Anthropocène : il faut aussi en tirer les conséquences sur ce que cela implique dans notre rapport à la nature.

Référence : Toussaint A et al (2018), Non-native species led to marked shifts in functional diversity of the world freshwater fish faunas, Ecology Letters, 21, 11, 1649-1659

06/05/2019

Note sur la "restauration de la nature" et ses contradictions

Des chercheurs nous disent que "restaurer la nature" est une idée naïve, mais parlent de restaurer des habitats ou des fonctions ou des populations... ce qui revient en réalité au même. Quelques réflexions à ce sujet, afin de contribuer à une pensée de la nature à l'Anthropocène.


Les choix faits sur les ouvrages hydrauliques sont un cas particulier de l'écologie de la restauration, qui vise à intervenir sur les milieux pour les modifier (et non seulement à protéger des zones d'impacts nouveaux, comme les réserves naturelles en écologie de la conservation).

Autour de cette question, l'agence française pour la biodiversité a mis en ligne les vidéos d'un séminaire scientifique sur la continuité écologique des cours d’eau qui s'est tenu le 11 avril 2018 à Paris. Il était organisé par le Comité national de l'eau (CNE), avec l'appui scientifique de la direction de l'eau et de la biodiversité (MTES) et de l'AFB. On peut y entendre les contributions de Bernard Chevassus-au-Louis (inspecteur général de l’agriculture, docteur agrégé en sciences- biologie, écologie, enjeux de biodiversité, services écologiques, qualité de l’eau), Emmanuèle Gautier (professeure de géographie - Université Paris 1-Sorbonne - géographie physique et environnementale, géomorphologie fluviale, relations homme/milieux), Yanni Gunnell (professeur de géographie - Université Lyon 2 - écologie, géographie environnementale, relations homme/milieux), Christian Lévêque (directeur de recherche émérite – Institut de recherche pour le  développement - hydrobiologie) et Jean-Michel Olivier (chercheur - CNRS Lyon - biologie : invertébrés, poissons, écologie fonctionnelle).

Restaurer la nature serait naïf...
Il semble désormais convenu pour les biologistes, écologues, géographes et autres scientifiques que "restaurer la nature" ne signifie pas grand chose. En particulier si l'on vise un retour à un référentiel ancien, un état antérieur de la nature, la nature telle qu'elle était hier, ou avant-hier.

D'abord, c'est impossible de faire tourner le film de l'évolution à l'envers, pas plus que le film de l'histoire : tout change, et tout change de manière irréversible. Ensuite, le mot "nature" est lourdement chargé de sens, et des sens très différents chez les humains. Non seulement au sein des sciences elles-mêmes, qui ne "lisent" pas la même chose dans le réel selon leur spécialité. Mais aussi dans toutes les représentations non scientifiques du monde, aussi légitimes que la science après tout (comme le rappellent sociologues, ethnologues, anthropologues, philosophes, historiens et bien d'autres).

Donc restaurer la nature, cela ne veut rien dire, ou pas grand chose, on en convient volontiers entre gens fort éduqués.

Une fois ce point acquis, on assiste pourtant... à l'étonnante résurrection de l'idée dignement enterrée!

...mais on vise pourtant à le faire
Ainsi, certains parlent de "restaurer des habitats". Or changer le mot ne change pas ici la chose : la nature est formée d'habitats, si l'on veut revenir à un habitat ancien (par exemple une rivière lotique) en changeant un habitat que l'homme a créé (par exemple une retenue), on veut tout bonnement restaurer la nature d'avant. On choisit un autre mot, mais cela signifie la même chose.

D'autres parlent de "restaurer des fonctions". Le contournement est un peu plus subtil, mais tout aussi énigmatique. Une fonction, c'est une description de la manière dont un système fonctionne. Or le fait qu'un système anthropisé fonctionne différemment d'un système pré-anthropique ne dit rien de particulier sur la qualité des fonctions concernées. Restaurer une fonction ancienne (par exemple évacuer rapidement des sédiments) au détriment une fonction nouvelle (par exemple retenir plus longtemps les sédiments), c'est encore en fait restaurer la manière dont la nature fonctionnait avant.

On voudrait aussi "restaurer des populations". Mais on comprend vite que le problème est le même s'il s'agit de revenir aux populations telles qu'elles étaient jadis, éventuellement au détriment de populations telles qu'elles sont maintenant. Sans oublier que pas grand monde ne fait la comptabilité réelle de toutes les populations vivantes qui sont présentes en un lieu donné.

L'instauration de la nature et le débat de l'Anthropocène
C'est manifestement le mot "restaurer" qui ne convient pas. Ou ses équivalents, rétablir, renaturer etc.

L'action humaine instaure des états de la nature, la société humaine apprécie ces états.

Par exemple, une construction de barrage instaure un état de la nature, une destruction de barrage instaure un autre état.

Sur ces questions, il conviendrait ainsi d'avoir à l'esprit quelques idées claires pour organiser le débat démocratique sur la nature:
  • la nature est l'ensemble de ce qui est et devient, humain comme non-humain;
  • des descriptions savantes de mécanisme de la nature par l'écologie (biosphère, écosystème etc.) enrichissent le débat des rapports humains à la nature mais sans en changer réellement les termes fondamentaux au plan philosophique, moral ou politique;
  • ce que nous appelons "nature" est le co-produit de l'activité humaine, l'humain et les actions de l'humain font partie intégrante de la nature;
  • l'Anthropocène est la période où l'action humaine commence à dominer sur Terre les dynamiques et variations de la nature par rapport à d'autres causes;
  • nous avons des préférences sur ce que la nature pourrait ou devrait être, mais ce sont toujours des préférences humaines (même celui qui valorise une part "non-humaine" de la nature exprime ainsi une préférence humaine);
  • il existe une pluralité (convergences, divergences) des préférences humaines relativement à la nature, il n'existe pas de consensus a priori sur ce que nous aimons, espérons, attendons, valorisons, déplorons dans la nature, de tels avis changent selon les individus, les communautés, les lieux, les époques;
  • la science peut éclairer des faits et des causes à l'oeuvre dans la réalité par des méthodes objectives (vérifiables, réfutables, répliquables), mais la science n'a pas d'autorité particulière sur ce qu'est une "bonne" ou une "mauvaise" nature (ni habitat, ni fonction, ni toute autre périphrase);
  • l'information que donnent les sciences est un commencement, et non la fin, du débat démocratique, à partir d'elle s'expriment des avis mieux informés des citoyens, sans que ces avis des citoyens ne s'irriguent pour autant à la seule science;
  • des états et produits de la nature (biodiversités, fonctionnalités, services, etc.) changent selon les choix humains, une description de ces états et de leurs évolutions permet de mieux réfléchir à nos préférences;
  • il est impossible (ou dénué de sens) d'instaurer la nature elle-même comme norme, celui qui prétend le faire tente en général d'imposer une croyance soustraite au débat contradictoire et de masquer le fait que sa norme est toujours non la nature elle-même mais un certain discours de la nature, portant certaines préférences.