23/01/2018

Etude de biodiversité des chaussées de la Sarthe: "Toute destruction sans connaissance préalable de la faune présente est un non sens!"

Suite à la publication de notre rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques, l'Association de sauvegarde des moulins et rivières de la Sarthe nous a fait parvenir un document très intéressant. Il s'agit d'un inventaire partiel de biodiversité (odonates, papillons, reptiles, amphibiens) des ouvrages hydrauliques de la Sarthe, de l’Huisne et du Loir, qui a été réalisé en 2009 par la Société d’histoire naturelle Alcide d’Orbigny. Nous en publions ci-dessous de courts extraits. Les naturalistes montrent que chaque ouvrage est plus ou moins intéressant pour la biodiversité, et que plusieurs espèces protégées profitent de leurs habitats. Chaque site est particulier, toute destruction sans étude préalable du vivant et des enjeux réels de biodiversité est donc un non-sens écologique. 

Introduction (extraits) 
Les rivières de la Sarthe, de l’Huisne et du Loir sont parcourues par de nombreux moulins et bar- rages de taille et d’usages divers, installés pour la plupart depuis plusieurs siècles. Pour l’essentiel, ils sont référencés dans la carte de Cassini établie au XVIIIème. Ces moulins et barrages modifient, souvent depuis le Moyen-âge, le régime de la rivière par rapport à un fonctionnement antérieur, dit « naturel ». La directive cadre sur l’eau du 23 octobre 2000 adoptée par le Conseil et par le Parlement européen définit un cadre pour la gestion et la protection des eaux par grand bassin hydrographique au plan européen. Elle fixe des objectifs ambitieux pour la préservation et la restauration de l’état des eaux superficielles (eaux douces et eaux côtières) et pour les eaux souterraines. Aussi un retour à une plus grande naturalité de ces rivières est actuellement souhaité, menaçant à terme l’existence de nombreux barrages et moulins. 


Dans ce travail nous nous intéresserons au potentiel biologique des eaux au niveau des barrages. Ces derniers sont-ils néfastes à la diversité de la vie aquatique, ne peuvent-ils pas être également générateurs de milieux favorables à certaines espèces, remarquables de par leur rareté et leur valeur patrimoniale (statuts de protection)?

Conclusion (extrait)
En conclusion de ce travail, nous pouvons affirmer qu’il ne faut pas généraliser les conclusions sur l’impact des barrages d’un point de vue écologique. La destruction d’un barrage peut se révéler pertinente dans un cas et ne pas l’être dans un autre. L’environnement global de la rivière est très certainement sous-estimé dans cette problématique. La destruction de barrages dans des zones d’eau polluées permettrait elle de retrouver un fonctionnement naturel ? Rien n’est moins sûr tant que tous les facteurs environnementaux ne sont pas pris en compte.

Chaque cas est particulier et doit être pris individuellement. Des équilibres se créent et les espèces sont capables d’adaptation (comme l’illustre les espèces d’Odonates qui affectionnent les zones calmes des rivières), ce qui est d’autant plus vrai dans le cas de barrages et seuils anciens, qui représentent aujourd’hui la majorité des ouvrages sur les rivières considérées.

Les espèces se sont adaptées au cours du temps à leur environnement et des espèces rares profitent des milieux crées par les barrages. En témoigne la Cordulie à corps fin, Oxygastra curtisii, protégée au niveau européen (Annexes II et IV de la Directive habitat). L’espèce est protégée mais également ses milieux de développement, c’est-à-dire la rivière elle-même. Détruire le barrage dans ce cas précis revient à détruire un habitat protégé au niveau européen! Toute destruction sans connaissance préalable de la faune présente est un non sens!

Ce que vous devez faire
Les associations de propriétaires et riverains comme les associations naturalistes doivent se saisir pleinement de cette question de la biodiversité. La destruction actuelle des ouvrages au nom de la continuité écologique obéit trop souvent à des enjeux halieutiques et piscicoles, non pensés dans une approche écologique globale. Il convient désormais pour les associations de :
  • motiver les propriétaires à étudier, documenter, protéger la biodiversité au droit de leurs ouvrages hydrauliques et des annexes (souvent les plus riches),
  • rechercher des partenariats pour étudier cette biodiversité orpheline, à ce jour largement ignorée par l'Agence française pour la biodiversité et par certaines structures naturalistes posant à tort que tout habit anthropique serait sans intérêt pour le vivant,
  • demander aux syndicats, parcs , fédérations de pêche et tous autres EPCI ou collectivités en charge de l'eau une étude préalable de biodiversité avant toute destruction d'ouvrage hydraulique,
  • engager des contentieux judiciaires si des chantiers de destruction de zones humides et de milieux d'intérêt sont engagés sans examen préalable de leur biodiversité, s'il est décidé de détruire malgré une perte nette de biodiversité, si les espèces invasives ne sont pas prises en compte, de manière générale si toutes les précautions demandées par la loi ne sont pas respectées (pour un aperçu de ces obligations, voir les annexes juridiques de la Grille des bonnes pratiques en effacement d'ouvrage).
Source : Société d’Histoire naturelle Alcide d’Orbigny (2009), Inventaires naturalistes des rivières de la Sarthe, de l’Huisne et du Loir. Département de la Sarthe (72), 31p.

20/01/2018

1392 élus et 349 associations demandent à Nicolas Hulot un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique

Détruire le patrimoine hydraulique français et dépenser chaque année des centaines de millions d'euros pour des bénéfices incertains : la réforme de continuité écologique ne passe décidément pas en France. Ainsi, 1392 élus dont 36 parlementaires, 514 personnalités du monde économique, artistique, technique et scientifique, 349 associations représentant 110.000 adhérents directs ont signé l'appel à moratoire sur la destruction des ouvrages dans le cadre de la continuité écologique. Le texte et les signatures ont été officiellement déposés le 12 janvier 2018 au secrétariat de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire. Les 12 organisations nationales qui portent le moratoire ont demandé audience. Nous publions leur lettre d'accompagnement. Cette remise du moratoire au ministre inaugure une campagne nationale d'information des élus et de préparation d'actions sur les sites problématiques. L'administration en charge de l'eau doit cesser d'ignorer les nombreux rappels à l'ordre des parlementaires et stopper les choix les plus réprouvés d'une réforme mal concertée, mal financée, mal acceptée.


Monsieur le Ministre d’Etat,

Sur tous les territoires de notre République, la destruction des ouvrages de moulins, forges, étangs, lacs, usines hydroélectriques, canaux d’irrigation, soulève  une vive émotion et des contestations ouvertes. Des riverains sont déconcertés, des services de l’État interpellés, et des élus locaux désemparés.

Face à ce problème, nous avons lancé voici 2 ans un appel à moratoire sur la destruction des ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique (voir annexe 1).

A ce jour, 1392 élus dont 36 parlementaires, 514 personnalités du monde économique, artistique, technique et scientifique, 349 associations représentant 110.000 adhérents directs l’ont signé, auxquels s'ajoutent 66 questions écrites de parlementaires.

Leur souhait ? Que le rétablissement du transit sédimentaire et de la circulation piscicole sur les rivières classées au titre de la continuité écologique se fasse dans le respect de  l’art. L 211-1 du code de l’environnement, c'est-à-dire dans le respect de tous les usages au sein d’une «gestion équilibrée et durable de l’eau».

Les ouvrages hydrauliques ont un intérêt historique, économique, social, patrimonial et paysager.  Beaucoup sont présents depuis des siècles et tous participent au cadre de vie des vallées françaises.

Mais nous tenons à rappeler que ces ouvrages concernent aussi des enjeux écologiques, qui ont été rappelés par divers travaux scientifiques ces dernières années :

  • ils génèrent des zones humides (étangs, lacs, retenues, biefs, canaux), qui hébergent de nombreuses espèces, et alimentent l’hydrologie de la plaine alluviale; 
  • ils préservent, stockent et régulent l’eau à l’heure où le climat change, où les sécheresses deviennent fréquentes et les étiages sévères; 
  • ils contribuent souvent à l’épuration des nutriments et phytosanitaires circulant dans les masses d’eau;
  • ils peuvent pour certains produire une énergie très bas-carbone à l’heure où il nous faut accélérer la transition énergétique sur tous les territoires.

La destruction pure et simple des seuils est, dans la majorité des cas, prioritairement préconisée par tous les services administratifs – DDT[M], Agences de l'Eau et AFB –à grand renfort de subventions bonifiées, alors que cela n'a jamais été inscrit dans la loi sur l'eau de 2006 qui demande uniquement que chaque ouvrage sur cours d'eau en liste 2 soient « équipé, géré et entretenu ». Ces arasements sont aussi contraires à de nombreuses autres politiques publiques.

Le rapport récent du CGEDD, demandé par Mme Royal, acte de nombreux dysfonctionnements dans la mise en œuvre de la continuité écologique. Vous en trouverez une synthèse en annexe de la présente (voir annexe 2). Un premier rapport du CGEDD en 2012 pointait déjà des problèmes, mais ses recommandations sont restées sans effet.

Le coût estimatif de l’application complète du classement au titre de la continuité écologique dépasserait les 2 milliards d’euros d’argent public, auxquels il faut ajouter la part de financement privé. Par ailleurs, au rythme actuel des opérations, il faudrait cinq décennies (et non les 5 ans du délai légal) pour respecter la mise en conformité du nombre manifestement déraisonnable de cours d’eau classés la plupart du temps sans justification avérée.

Ces données du CGEDD démontrent que la réforme de continuité écologique a été mal préparée, mal gérée et mal acceptée.

Nos demandes ont fait l’objet d’une écoute de la part de certains pouvoirs publics et de beaucoup d'élus. On a pu observer ces trois dernières années :

  • des demandes des ministres de l’environnement et de la culture comme des parlementaires de cesser désormais la destruction du patrimoine ancien et/ou industriel ;
  • le vote de la loi «création architecture et patrimoine» de 2016 introduisant une mesure de sauvegarde, mais seulement pour le patrimoine déjà classé ; 
  • le vote de la loi «biodiversité» de 2016, ajoutant un délai de 5 ans pour l’exécution des travaux demandés ;
  • le vote loi de ratification des ordonnances sur l’autoconsommation énergétique de 2017 exemptant les moulins producteurs et encourageant leur équipement hydroélectrique.

Nous constatons, hélas, que certains services instructeurs (DDT-M), certains représentants de l’État au sein des Agences de l’eau et de l’Agence française pour la biodiversité prennent insuffisamment en compte ces nouvelles orientations.

En effet :

  • certains services de l’État et des établissements administratifs ignorent les grilles multi-critères sur chaque chantier; 
  • des ouvrages et des plans d’eau sont effacés sans inventaire de leur biodiversité, au risque d’avoir un bilan écologique négatif;
  • les riverains ne sont pas intégrés dans la concertation en amont, se trouvant mis en face d'une mise en œuvre opaque et autoritaire;
  • même lorsque l’enquête publique émet des réserves ou conclut à un avis négatif, l’administration n’en tient pas compte;
  • les sommes demandées pour des aménagements non destructeurs (passes à poissons, rivières de contournement) sont exorbitantes et l’État refuse de les indemniser alors qu’il s’y était engagé en 2006;
  • les solutions les plus simples, comme la gestion des vannes sur les ouvrages modestes, ne sont quasiment jamais évoquées;
  • les projets hydroélectriques font l’objet d’instructions très longues et de prescriptions complémentaires, aléatoires, la plupart du temps en logique de moyens et non de résultats,  sans réelle évaluation du coût-bénéfice des mesures imposées, et sans prise en compte du diagnostic de l’état initial. 

Monsieur le Ministre d’Etat, la France et l’Europe affrontent aujourd’hui des défis écologiques sans précédent.

La politique de destruction des ouvrages hydrauliques et de refus de leur équipement hydroélectrique néglige tous les enjeux autres que piscicoles et sédimentaires, tels que patrimoine, paysage, usages, biodiversité et énergie renouvelable. La transition énergétique ne peut réussir sans la capacité des ouvrages hydroélectriques à accompagner les autres énergies renouvelables intermittentes. Cette politique de destruction bafoue également la démocratie locale, en particulier dans des territoires ruraux qui souffrent aujourd’hui d’un manque d’écoute sur ce qu’ils estiment être leurs enjeux de développement.

C’est la raison pour laquelle, au nom de tous les signataires de notre appel, des plus de 110.000 adhérents qu’ils représentent et des 12 organisations nationales qui le portent, nous sollicitons un moratoire sur les effacements d’ouvrages hydrauliques, d'étangs et plans d’eau, le temps d'instaurer une vraie concertation sur une nouvelle manière d’envisager les enjeux piscicoles et sédimentaires des rivières françaises, en lien avec les autres usages de l’eau et les autres politiques publiques. Nos organisations se tiennent à disposition pour vous rencontrer rapidement et pour trouver la meilleure manière d’avancer sur cette question.


Signataires nationaux
Association des riverains de France (ARF)
Coordination rurale (CR)
Electricité autonome française (EAF)
Fédération des moulins de France (FMDF)
Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM)
France hydro électricité (FHE)
Fédération nationale des syndicats de forestiers privés (FRANSYLVA)
Maisons paysannes de France (MPF)
Observatoire de la continuité écologique et des usages de l’eau (OCE)
Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF)
Union nationale des syndicats et associations des aquaculteurs en étangs et bassins (UNSAAEB)
Vieilles maisons françaises (VMF)

Et 1392 élus, 349 associations, 514 personnalités

18/01/2018

Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes

Le Comité national de l'eau a ouvert un cycle de discussion sur les problèmes rencontrés dans la mise en oeuvre de la continuité écologique et les meilleurs moyens d'y remédier. A cette occasion, notre association et l'Observatoire de la continuité écologique ont publié un rapport sur la question de la biodiversité et des fonctionnalités écologiques négligées des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes. Sa diffusion est libre et conseillée, pour informer les élus, les commissaires enquêteurs, les animateurs de syndicats, etc. 

Téléchargement du rapport (pdf)

Introduction
Les ouvrages hydrauliques ont des impacts physiques, chimiques, biologiques sur la rivière, et modifient localement le vivant. Dans certains cas, les modifications excèdent la station et s’observent sur un tronçon de rivière, voire un bassin versant. Des espèces de poissons ayant besoin de grandes migrations sont pénalisées, d’autres ayant une préférence pour les eaux vives voient leurs habitats restreints sur le bassin versant.

Mais les ouvrages hydrauliques, dont beaucoup sont anciens en France, produisent aussi des habitats qui leur sont propres, ils augmentent la surface en eau du bassin versant, ils dessinent des zones humides artificielles.

La politique de continuité écologique aboutit aujourd’hui à la destruction d’ouvrages et de leurs annexes hydrauliques, choix majoritaire dans plusieurs bassins majeurs (Seine-Normandie, Artois-Picardie Loire-Bretagne). Ces ouvrages conditionnent l’existence de divers milieux aquatiques et humides : retenues, réservoirs, lacs, étangs, canaux, biefs, rigoles de déversoir, annexes humides, etc.

Outre la mauvaise prise en compte de certaines dimensions d’intérêt général (paysage, patrimoine, énergie, etc.), les conditions de mise en œuvre de ces destructions sont problématiques :

  • La biodiversité et les fonctionnalités (comme l’épuration) des systèmes hydrauliques concernés ne sont pas étudiées.
  • Le choix de favoriser la biomasse de certains poissons spécialisés (parfois non migrateurs et non amphihalins) ne signifie pas un gain total de biodiversité (ignorance presque totale des oiseaux, amphibiens, mammifères, insectes, végétaux, etc.). Les gains ne sont pas évalués en vérifiant des pertes pour d’autres assemblages biologiques.
  • Les milieux lentiques sont assimilés par construction à des milieux « dégradés » par rapport à des milieux lotiques, alors qu’ils sont aussi des habitats pour des espèces adaptées.
  • Une certaine vision de la nature idéale comme « nature sans l’homme » voire « nature avant l’homme » est mise en avant alors qu’elle est loin d’être consensuelle dans la communauté savante et encore moins chez les riverains (loin aussi d’être avancée de manière aussi brutale dans les autres compartiments des politiques publiques).
  • Les renaturations de rivières ont des coûts conséquents avec des impacts sur les usages ou aménités, sans qu’il soit clairement démontré que les services rendus par les écosystèmes aux citoyens sont modifiés dans un sens favorable.

Des travaux de recherche, y compris français et récents, critiquent désormais certains aspects de cette politique de restauration physiques des rivières, appelant à une approche plus intégrée et plus rigoureuse des choix publics.

Nous proposons pour l’avenir de

  • Séparer plus nettement la gestion halieutique (poisson et pêche) et la gestion écologique (diversité du vivant et des habitats) des rivières
  • Mieux préparer les chantiers en développant une grille d’analyse de biodiversité et de fonctionnalité des sites, préalable à toute destruction
  • Rehausser le niveau d’étude des bassins versants, avec une écologie du terrain et de la donnée évitant d’appliquer de manière trop rigide les orientations trop systématiques des programmations administratives.
  • Solvabiliser ce niveau d’ambition, qui ne peut relever que des politiques publiques d’expertise et non des particuliers ou exploitants.

Chaque rivière a une histoire de vie qui lui est propre, chaque site est un cas particulier. La réalité écologique doit être étudiée sans préjugé avant intervention.

17/01/2018

Après Notre-Dame-des-Landes, les luttes riveraines sont légitimes

Le gouvernement a décidé de l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes. Cette question n'entre pas dans le domaine d'expertise et d'intervention de notre association, hormis sur un point : l'attitude des citoyens vis-à-vis des politiques publiques, et en particulier du pouvoir exécutif et de son administration. Nous recevons ainsi ce message de l'Etat : les luttes pour protéger les cadres de vie menacés par des politiques jugées brutales et inutiles par les riverains sont désormais légitimes en France. L'immense et ruineuse folie de la destruction des patrimoines historique, culturel et naturel des rivières, des étangs, des lacs doit donc être combattue sur le terrain comme devant les tribunaux tant que le gouvernement et son administration n'entendent pas les attentes des citoyens.



Quels que soient ses qualités et ses défauts, le projet de NDDL avait été validé par l'ensemble des votes intermédiaires, des enquêtes publiques, des contentieux judiciaires. Il avait aussi donné lieu à une procédure exceptionnelle de référendum local, avec issue favorable au projet.

Le gouvernement a néanmoins jugé préférable de donner raison aux opposants, incarnés notamment par la "zone à défendre" ayant pris la place de la zone d'aménagement différée dans le bocage de la région nantaise.

L'évacuation de cette "ZAD" et les justifications apportées par le gouvernement sont ici secondaires par rapport au message principal que contient la décision : les citoyens voient reconnaître la légitimité d'une opposition aux choix néfastes de la puissance publique. Et cela au-delà des procédures de concertation ou de contentieux, qui avaient été respectées dans le cas de Notre-Dame-des-Landes.

Ce droit de résistance aux décisions publiques absurdes, nous le revendiquons donc ici, maintenant et partout pour la défense des ouvrages hydrauliques menacés de destruction.

Nous rappelons que la réforme dite de "continuité écologique", initialement conçue pour aider des poissons grands migrateurs à remonter les rivières là où l'intervention avait un bilan coût-bénéfice raisonnable, est devenue une machine administrative folle à détruire les cadres de vie appréciés des riverains et les paysages hérités des vallées françaises.

Le ministre Nicolas Hulot a encore pris le 4 novembre 2017 la décision isolée et autoritaire de programmer la destruction des deux grands barrages de la Sélune, contre l'avis de dizaines de milliers de riverains et en ignorance des discussions en cours. Des centaines de moulins, forges, étangs sont déjà détruits chaque année dans le pays.

Cette réforme dite de continuité écologique :
  • est menée dans le mépris des citoyens avec une concertation minimaliste et des comités de pilotage fermés,
  • coûtera plus de 2 milliards € d'argent public sur les 20 000 ouvrages menacés,
  • détruit à marche forcée le patrimoine hydraulique français,
  • fait disparaître des zones humides et milieux d'intérêt,
  • contredit la lutte contre le changement climatique en sacrifiant des énergies locales et bas-carbone.
La continuité écologique telle qu'elle est aujourd'hui pratiquée par l'administration française a toutes les caractéristiques des "grands projets inutiles et coûteux". Elle relève d'abord de l'abus de pouvoir des bureaucraties autoritaires, et non de la volonté des citoyens comme de leurs représentants élus.

Cela doit cesser.

Les riverains sont fondés à s'engager par tous les moyens démocratiques à leur disposition pour lutter contre la destruction des ouvrages hydrauliques. Après Notre-Dame-des-Landes, le choix des possibles s'est élargi pour cette mobilisation nécessaire, urgente, collective.

15/01/2018

Trois orientations simples pour une politique apaisée des ouvrages hydrauliques

Dans les coursives du ministère de la Transition écologique et solidaire, dans les cénacles du Conseil national de l'eau, dans les bureaux des administrations aquatiques, on discute beaucoup des issues à trouver pour la réforme ratée de continuité écologique, décrite comme une "épine dans le pied" des politiques environnementales par le récent rapport du CGEDD. Hélas, ces discussions tendent toujours à contourner les problèmes principaux. Nous revenons ici à trois idées simples formant la base des attentes des propriétaires et des riverains. Et revenant surtout sur ce que dit la loi française. Nous invitons les associations, syndicats et collectifs à les rappeler aux administrations et gestionnaires, en demandant si, oui non, ils s'engagent à respecter ces trois orientations. Si la réponse est négative, les problèmes ne pourront pas trouver de solutions. Si la réponse est positive, la continuité écologique sera apaisée.


Une continuité écologique privilégiant la gestion, l'équipement, l'entretien des ouvrages
Enjeu : la loi française (article L 214-17 Code de l'environnement) a demandé que chaque ouvrage soit "géré, équipé, entretenu" dans le cadre de la continuité écologique. Ce qui signifie : ouverture des vannes, passes à poissons, rivières de contournement, rampes enrochées. Certains établissements administratifs comme les Agences de l'eau ou l'Agence française pour la biodiversité expriment une préférence pour la destruction des ouvrages, choix qui n'est pas spécifié par les parlementaires. Or, il ne revient pas à l'administration d'interpréter la loi, mais de l'exécuter en conformité à la volonté générale. Des destructions sont possibles dans certains cas, mais elles n'ont aucune légitimité à devenir le choix des pouvoirs publics.
Attente : la politique de continuité doit revenir à son orientation première, cesser les destructions qui posent problème et privilégier les solutions non destructrices.

Une continuité écologique indemnisant les solutions inabordables pour les maîtres d'ouvrage
Enjeu : les aménagements de continuité écologique, visant au bien commun, ont des coûts considérables. Ils ne sont donc pas abordables pour les particuliers et petits exploitants, ces derniers ayant déjà la servitude lourde de surveiller et gérer les dispositifs de franchissement. La loi de 1984 avait programmé le franchissement piscicole sur certaines rivières à migrateurs, mais elle avait été très peu appliquée car elle ne prévoyait justement pas d'indemnisation des travaux, aboutissant à un blocage de terrain. La loi de 2006 a corrigé cette erreur en prévoyant l'indemnisation des travaux représentant une charge spéciale et exorbitante.
Attente : les solutions de continuité écologique doivent faire l'objet d'un financement public, les solutions les moins coûteuses étant privilégiées.

Une continuité écologique respectant la gestion équilibrée et durable des rivières
Enjeu : la continuité écologique n'est qu'un des nombreux éléments définissant dans la loi la "gestion équilibrée et durable" de l'eau (article L 211-1 Code de l'environnement). Sa mise en oeuvre doit donc être compatible avec les autres dimensions de la rivière. Dès 2012, le Conseil général de l'environnement et du développement durable a demandé que les ouvrages soient analysés selon une grille multicritères incluant le patrimoine, le paysage, l'énergie, les usages locaux, la valeur foncière, la biodiversité en dehors des poissons spécialisés, etc.
Attente : les projets de continuité écologique doivent améliorer le franchissement piscicole et le transit sédimentaire en tenant compte des droits établis, des autres attentes d'intérêt général, des différents aspects de l'écologie, sur la base d'analyse coûts-avantages.

14/01/2018

Guide de bonnes pratiques pour les projets d’effacement de seuils et barrages en rivière

Les collectifs ou les associations de riverains sont souvent confrontés au même problème dans le domaine de la continuité écologique: un bureau d'études, un syndicat de rivière ou une fédération de pêche présente un projet d'effacement d'un ouvrage hydraulique qui ne correspond pas à la réalité perçue et vécue de l'ouvrage. La raison en est que dès le départ, le diagnostic du site a été biaisé par des mauvaises pratiques, avec l'oubli de nombreux éléments à étudier. Pour les collectifs et les associations, nous proposons une grille d'élaboration des diagnostics et avant-projets d’effacement de seuils et barrages en rivière (version 1.3, janvier 2018). Il s'agit de l'adresser au début de toute étude à la structure en charge du diagnostic. Si vous rencontrez un interlocuteur fermé et peu disposé à entendre la nécessité d'une approche complète, objective et concertée de l'ouvrage hydraulique, contactez-nous. 


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Introduction du document :

Depuis le vote de la LEMA en 2006, la mise en œuvre de la continuité écologique se traduit par la multiplication des commandes pour les bureaux d’études, le plus souvent des commandes publiques ou financées par argent public.

Mais les dossiers qui en résultent font apparaître un certain nombre de problèmes, le plus souvent fonction du maître d’oeuvre : lacunes, erreurs, improvisations, distorsion des commentaires ou des conclusions par rapport aux résultats de calcul, etc.

Ces travers sont particulièrement marqués dans le cas des effacements d’ouvrages, auxquels cette note est spécifiquement dédiée. Une autre note évoquera la question des aménagements non destructifs.

De manière non exhaustive, on citera :

  • mauvaise information sur les bases juridiques du droit d’eau / règlement d’eau, voire oubli pur et simple de cette dimension ;
  • absence d’évaluation économique de ce droit d’eau (et de compensation afférente en cas de disparition) ;
  • carence d’évaluation des éléments immatériels (histoire, paysage, patrimoine) impliqués dans la valeur foncière du site ;
  • centrage sur les poissons, non prise en compte de la biodiversité ordinaire et des fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes humides ;
  • absence d’objectifs chiffrés et d’analyse coût-avantage de la restauration écologique envisagée (seule et en comparaison au coût-avantage de mesures compensatoires pour les milieux) ;
  • défaut de concertation élargie à l’ensemble des riverains impactés par la modification du lit suite à l’effacement ;
  • manque d’indépendance vis-à-vis du financeur de l’étude, dévalorisation de la qualité technique des travaux et donc de la signature du bureau.

Pour restaurer la crédibilité des BE, respecter les droits des propriétaires et riverains, produire une réforme de continuité écologique en phase avec les exigences du public, il est donc nécessaire de produire des études de restauration écologique / morphologique plus solides et plus équilibrées.

Ce guide a été réalisé à partir de l’étude de la littérature technique / scientifique et du retour d’expérience d’une cinquantaine d’ouvrages en France ayant fait l’objet d’une étude d’impact / étude de faisabilité en restauration. Distribué aux maîtres d’ouvrages, il sera pour eux la garantie que le BE mandaté par eux-mêmes, l’EPCI-EPTB ou l’Agence de l’eau accomplira un travail complet et objectif sur les différentes dimensions des ouvrages hydrauliques, les enjeux réels des chantiers et de tous leurs impacts.

Chaque volet du guide doit être rempli lors des travaux d’analyse diagnostique et une analyse coût-avantage doit intégrer l’ensemble des volets, afin que la décision d’effacement reflète fidèlement l’ensemble des coûts réels pour le maître d’ouvrage et pour la collectivité.

11/01/2018

La restauration physique de rivière peine à modifier les peuplements aquatiques dans la durée (Lorenz et al 2018)

Une nouvelle étude de chercheurs allemands montre que même après 15 ans, les mesures de restauration morphologique des rivières ne parviennent pas à produire le bon état écologique au sens de la directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000). Les résultats sont plus notables en berge (carabes, végétation riveraine) que dans les peuplements aquatiques (poissons, invertébrés, macrophytes), ces derniers ne permettant pas d'observer des variations significatives dans le temps.  Il paraît donc important que les gestionnaires publics des rivières ré-évaluent la portée de leurs actions : recalage des objectifs de la DCE, rigueur dans le suivi des opérations, évaluation comparée plus fine des différentes mesures de restauration, débat sur le coût des interventions et l'évolution avant-après des services rendus par les écosystèmes aux citoyens.

La recherche en écologie appliquée a montré que la restructuration hydromorphologique des rivières a souvent peu d'effets sur le biote aquatique, même en cas de forte altération de l'habitat. Les scientifiques supposent que la réponse biotique est simplement retardée car les espèces ont besoin de plus de temps pour recoloniser les nouveaux habitats et établir des populations.

Pour identifier et spécifier ce temps de latence supposé entre la restauration et la réponse biotique, Armin W. Lorenz et ses 4 collègues ont étudié 19 tronçons de rivière réaménagés, et cela deux fois (2007-2008, 2012-2013) dans un intervalle de cinq ans. Les sites avaient été restaurés un à dix ans avant le premier échantillonnage, ce qui permet de vérifier si les variations de durée écoulée depuis la restauration se traduisent par des variations biologiques (espèces observées). Ces rivières se situent en plaine ou en basse montagne.

Les chercheurs ont échantillonné trois assemblages d'espèces aquatiques (poissons, invertébrés benthiques, macrophytes) et deux groupes d'organismes riverains (Carabidés, c'est-à-dire des coléoptères terrestres, et végétation riveraine). Ils ont analysé les changements dans la composition des assemblages de ces espèces et dans les paramètres biotiques. Ils ont aussi vérifié si l'état écologique de la rivière tel qu'il est mesuré par la directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) a changé avant et après la restauration.


Changements dans le nombre de taxons (a), l'abondance (b),le nombre (c) et le % d'abondance (d) des espèces indicatrices. FI = poisson, MIV = macro-invertébrés, MP = macrophytes, RV = végétation riveraine, GB = carabes. La ligne centrale indique la médiane des données, le premier et le troisième quartiles définissent la boîte à moustaches. Cliquer pour agrandir. Source : art cit, droit de courte citation

Les chercheurs résument ainsi leur principaux résultats : "À l'exception des assemblages de carabes, nous n'avons observé aucun changement important dans les paramètres de mesure de la richesse et de l'abondance utilisés pour l'évaluation biologique. Toutefois, les taxons indicateurs des conditions d'habitat quasi naturel dans la zone riveraine (indicateurs d'inondation régulière chez les plantes et de spécialistes des berges chez les carabes) se sont considérablement améliorés au cours de l'intervalle de cinq ans. Contrairement aux attentes générales en matière de planification de la réhabilitation des rivières, nous n'avons pas observé de succession distincte de communautés aquatiques ni de tendance générale vers un 'bon état écologique' au fil du temps. De plus, plusieurs modèles de régression linéaire ont révélé que ni le temps écoulé depuis la restauration ni l'état morphologique n'ont eu d'effet significatif sur les mesures biologiques et les résultats de l'évaluation. Ainsi, la stabilité des assemblages aquatiques est forte, ce qui ralentit les effets de restauration dans la zone aquatique, alors que les assemblages riverains s'améliorent plus rapidement."

Les auteurs rappellent que plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer la relative stabilité des assemblages aquatiques malgré les restaurations morphologiques :
  • longueur insuffisante des tronçons de rivières restaurées,
  • potentiel de recolonisation (populations sources) absentes,
  • influences prédominantes d'autres impacts du bassin versant,
  • durée longue nécessaire au retour de la biodiversité attendue.
Ils concluent en soulignant que des ré-introductions artificielles d'espèces cibles peuvent aider à accélérer le processus de recomposition biologique.

Discussion
Quand le bilan de restauration physique des rivières est réalisé par des scientifiques plutôt que par des associatifs ou des organismes administratifs, la conclusion est généralement plus sévère. Ce point avait été soulevé en France dans un travail montrant que le bénéfice des opérations est inversement proportionnel à la rigueur de l'examen des résultats (Morandi et al 2014). Contrairement à une idée reçue, les discussions des chercheurs en écologie appliquée à la restauration de rivières sont plutôt dominées depuis une dizaine d'années par un constat d'écart entre les attentes et les résultats (voir cette synthèse sur 2005-2015)

Les rivières et leurs bassins versants sont soumis à de multiples pressions, à différentes échelles spatiales et temporelles, avec des effets complexes (additifs, synergistiques, antagonistes). Ces hydrosystèmes sont modifiés, parfois lourdement, et généralement depuis longtemps. Des travaux de modélisation ont souvent montré que les usages des sols sur le bassin versant - pression diffuse et difficile à corriger - exercent un impact plus notable que des altérations locales d'habitats.

Par ailleurs, la restauration physique de rivière concerne des interventions différentes sur le lit mineur, la berge ou le lit majeur - en Allemagne, on pratique plus souvent des interventions stationnelles pour créer des micro-habitats, en France on investit davantage dans la continuité longitudinale. Il faut donc aller dans le détail des types de mesures et des résultats pour vérifier leurs effets relatifs.

Quoiqu'il en soit, ces travaux de recherche sur l'évaluation critique de la restauration devraient conduire les gestionnaires à rappeler plusieurs choses :

  • l'espoir que la restauration physique / morphologique de rivière parvienne à produire le bon état écologique au sens de la DCE dans les délais impartis par l'Europe (en 2015, 2021 ou 2027 au maximum) n'est guère fondé,
  • le caractère multifactoriel, ancien et profond des altérations de bassins versants implique que les coûts d'intervention et de restauration vont être cumulatifs et considérables, ce qui pose la question du consentement à payer des citoyens pour les objectifs que l'on se fixe, pour le délai espéré dans l'atteinte ces objectifs et pour les services réellement rendus par les écosystèmes restaurés.

La DCE 2000 va connaître un cycle de ré-examen sur la période 2019-2021. Il serait utile que les chercheurs, les administratifs et les politiques en profitent pour tenir un discours de vérité, et repenser les objectifs de manière plus réaliste (au plan écologique et biologique, mais aussi économique et social).

Référence : Lorenz AW et al (2018), Revisiting restored river reaches – Assessing change of aquatic and riparian communities after five years, Science of the Total Environment, 613–614,1185–1195

08/01/2018

Les communes du pays de Bitche se battent pour sauver six étangs de la destruction

Située dans l'ancienne Vasgovie ou Wasgau ("forêt des aurochs"), la forêt de Bitche est à la charnière de deux parcs régionaux classés en réserve mondiale de biosphère (Vosges du Nord, Pfälzerwald). L'Office national des forêts et l'administration de Moselle ont hélas entrepris une politique de destruction des nombreux étangs de cette région, avec la caution de l'Agence française pour la biodiversité qui, comme à son habitude, manque à son rôle élémentaire de diagnostic du vivant. C'est le cas dans la vallée de la Weissbach, où un chapelet de six étangs est sous le menace d'une destruction prochaine. L'association des amis de la forêt de Bitche et les cinq communes riveraines sont vent debout contre cette nouvelle atteinte au patrimoine vivant et culturel du pays. L'association Hydrauxois a déposé auprès du préfet de la Moselle un recours amiable contre le chantier, dont la préparation a été bâclée : simple déclaration alors que plus de 100 m de profil en long sont modifiés ce qui exige un dossier d'autorisation, absence totale d'inventaire de biodiversité alors que les petits plans d'eau sont d'un intérêt majeur pour de nombreuses espèces présentes dans ce site Natura 2000. Nous demandons une étude d'impact environnemental et une concertation en vue de trouver la solution la plus favorable au vivant comme aux riverains. La casse des ouvrages hydrauliques et de leurs biotopes doit cesser. Dans le pays de Bitche comme partout ailleurs en France.



Association des amis de la forêt du pays de Bitche 
Motion pour la sauvegarde des étangs domaniaux de la valle de Weissbach  

Par déclaration du 11 juillet 2017, au titre des articles L214-1 et L214-6 du code de l'environnement, l'Office National des Forêts (ONF) a présenté aux services de l'Etat un projet de restauration de la continuité écologique de la vallée de Weissbach portant suppression de 6 étangs domaniaux dans celle-ci. Alors que l'Etat a délivré un récépissé le 05 septembre 2017, autorisant ainsi les travaux projetés, cette opération appelle de la part des membres de notre association, réunis en Assemblée Générale ce 14 octobre 2017, les observations suivantes :

1- Au coeur d'un massif boisé domanial de 20.000 ha, dans un milieu particulièrement apprécié des touristes, où le manteau de verdure s'enrichit de la couleur rose du grès vosgien et la couleur bleu des étangs, les visiteurs ne comprennent pas la brutalité dans cette manière de perturber le paysage.

2- Ces étangs constituent avec les forêts, les rochers, les tourbières et les friches qui les séparent les uns des autres, un biotope particulièrement riche et varié pour la faune et la clore. Ils font partie des 7 habitats de la directive « flore et faune » dont 6 qui sont classés prioritaires. Un inventaire réalisé en 2009., à l'initiative des services de l'Etat, a révélé la présence dans ces habitats dont font partie les étangs domaniaux, entre autres, et pour l'essentiel, de :
• 39 espèces de mammifères dont 14 bénéficiant d'une protection nationale ;
• 140 espèces d'oiseaux dont 131 bénéficiant d'une protection nationale ;
• 6 espèces de reptiles bénéficiant toutes les 6 d'une protection nationale ;
• 10 espèces d'amphibiens bénéficiant toutes les 10 d'une protection nationale ;
• Plus de 600 espèces de plantes, alors que 13 bénéficient d'une protection nationale.
L'eau de ces étangs est de bonne température et d'une fraîcheur telle, qu'elle plaît aux truites sauvages et aux écrevisses à pattes rouges, dont la présence n'est pas contestée. La destruction de ces étangs modifierait le milieu, et créerait un véritable traumatisme au coeur d'un écosystème qui a mis plusieurs millénaires à se former.

3- Ces étangs font partie du patrimoine historique du Pays de Bitche. A titre d'exemple : • L'étang « du tabac » sur la commune d'Eguelshardt, déjà supprimé par l'ONF, se trouvait sur la route historique « des Princes » qui joignait Bouxwiller, siège des comtes de Hanau, à Pirmasens, siège des landgraves de Hessen. Ce point d'eau constituait alors un relais pour les chevaux, accompagné d'un bureau de douane où l'on taxait le tabac qui transitait d'un comté à l'autre. Aujourd'hui, il figure encore sur les cartes touristiques, alors que les visiteurs ne le retrouve plus, les lieux ayant été colonisés par la forêt.
• Les étangs de Bildmühle, eux-aussi déjà supprimés par l'ONF, n'étaient pas de constructions récentes, comme il a été dit par certains, mais existaient déjà dans cette vallée du temps des romains : sur un rocher proche de la source, se trouve une sculpture gallo-romaine célèbre, connue des habitants et visitée par les randonneurs, qui représente une divinité incarnant la protection et l’abondance.
• Les 2 étangs de la vallée de Moosbach sur le territoire communal de Bitche et ceux de Schnepfenbach et de Vatersthal sur le territoire communal de Sturzelbronn, au nombre de 6 (ou plus?) également détruits par l'ONF, constituaient une page de l'histoire du couvent du Sturzelbronn car ils avaient été construits à partir du 14ème siècle par les moines de cette Abbaye pour l'élevage de carpes, de truites et d'écrevisses.

4- Ces étangs jouent le rôle de correcteurs de torrents et de rétenteurs de sable. Ceux de la vallée de Krappenthal, supprimés par l'ONF, situés en aval du déversoir d'orage de Goetzenbrück, ont joué longtemps ce rôle mais aujourd'hui, l'étang de la Vielle fonderie (privé) tout comme l'étang communal de Mouterhouse, sont en voie d'ensablement suite à une telle erreur.

5- Ces étangs constituent un salutaire moyen de conserver des chablis par immersion en cas de tempête. Ce fut précisément le cas en 2000, suite à la tempête Lothar du 26.12.1999, quand furent construits les 2 étangs nouveaux les plus en aval dans la vallée de Weissbach, qui, aujourd'hui font partie de ce projet de destruction que nous dénonçons. Leur construction fut financée par des crédits spéciaux accordés par l'Etat. Ils furent mis à la disposition de la scierie Wagenheim de Goetzenbrück qui y immergea et y retira durant plusieurs années après la tempête plusieurs milliers de mètres cubes de grumes de hêtres pour les sauver de la pourriture, alors que le marché du bois était débordé. Ces étangs méritent, au même titre que tous les autres, d'être conservés pour le stockage de bois après la prochaine tempête.

6- Ces étangs constituent de précieuses réserves d'eau pour la lutte contre les feux de forêts, leur présence faisant gagner un temps précieux aux pompiers qui trouvent immédiatement sur place l'eau nécessaire à l'extinction des incendies dans les peuplements forestiers qui leur sont proches. Les supprimer nous paraît particulièrement irresponsables, alors que les perspectives du réchauffement climatique s'accompagnant facilement de feux de forêts, semblent très sérieuses.

Fort de ce qui précède, à l’unanimité, les membres de l'association des Amis de la Forêt du Pays de Bitche, demande à Monsieur le Préfet d'annuler le projet de suppression des étangs de la vallée de Weissbach ainsi que tous ceux qui pourraient être en préparation.

Illustration: l'étang de Bærenthal dans le pays de Bitche. Thierry Dichtenmuller, CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons

05/01/2018

Idée reçue #18: "détruire les ouvrages hydrauliques, c'est la victoire de l'intérêt général sur les intérêts particuliers"

Les timides évolutions de la loi sur la continuité écologique ont soulevé ces deux dernières années la colère de militants contrariés dans ce qu'ils croyaient être acquis, à savoir l'impulsion par l'administration française d'un programme de destruction massive des ouvrages hydrauliques. Fort heureusement, on s'avise que la protection ou l'amélioration des rivières ne peut être promue comme une altération systématique des cadres de vie riverains, que la prétention à accabler les seuils et barrages de tous les maux après des décennies de laxisme, voire parfois d'encouragement, vis-à-vis des pollutions de toute nature n'a guère de sens. A en croire certains, la destruction des ouvrages serait pourtant l'expression de l'intérêt général, leur conservation la victoire d'intérêts particuliers. A travers la lecture des deux articles du code de l'environnement qui définissent la doctrine française de cet intérêt général (art L 110-1 CE et L 211-1 CE), nous montrons qu'en réalité, la préservation des ouvrages hydrauliques répond à davantage d'enjeux normatifs que leur destruction. Cela devrait inciter à choisir plus souvent des aménagements qui préservent les atouts des rivières aménagées tout en améliorant certaines fonctionnalités écologiques. Mais surtout à ouvrir un débat réel avec les citoyens sur chaque rivière, en reprenant les éléments de la loi qui ouvre les possibles, et non ceux de la programmation administrative actuelle qui les cadenasse.



On entend parfois certains militants d'associations halieutiques ou environnementalistes, voire certains représentants de services administratifs, affirmer que la destruction d'ouvrage au nom de la continuité écologique serait d'intérêt général, s'opposant en cela à des intérêts particuliers.

Un slogan revient ainsi souvent dans les échanges autour de l'avenir des ouvrages hydrauliques : telle ou telle orientation serait "contraire à l'intérêt général". Si les moulins obtiennent de ne pas être détruits parce que rejetés d'un revers de main bureaucratique comme "inutiles et sans usage", si les riverains obtiennent la prise en considération du paysage au sein duquel ils veulent vivre, ce serait "la victoire des intérêts particuliers".

Quand des visions particulières prétendent au monopole de l'intérêt général
Il faut une certaine dose de naïveté ou de prétention pour que tel ou tel acteur social imagine être le dépositaire de l'intérêt général, s'arrogeant ainsi le privilège exorbitant de parler à la place de tous les citoyens pour définir en leur nom ce qui serait bon ou juste.

Nous vivons dans des sociétés démocratiques, ouvertes, complexes, plurielles. Nous avons des valeurs, des désirs, des goûts, des intérêts que certains partagent et d'autres non. Ce que l'on défend comme étant d'intérêt général n'est pas toujours clair, et peut se trouver aisément contredit. Un promeneur naturaliste peut rêver d'une rivière sauvage où l'on a interdit nombre d'activités locales, cela ne fait pas de son idéal singulier un intérêt général pour la société. Un pêcheur de salmonidés peut souhaiter davantage de truites ou de saumons dans la rivière, si ce souhait converge avec son loisir particulier, cela n'a pas de rapport avec un bien commun reconnu par les non-pêcheurs. Des agriculteurs représentant la majorité d'une population locale peuvent souhaiter que la rivière devienne le canal de décharge de leurs drains et de leurs intrants au nom de l'emploi local, leur consensus localement majoritaire n'en ferait pas pour autant un synonyme d'intérêt général.

Ainsi, la valeur de vérité des propositions suivantes est indécidable, et leur juxtaposition peut être contradictoire:

  • il est dans l'intérêt général de sauvegarder la biodiversité
  • il est dans l'intérêt général de produire une énergie décarbonée
  • il est dans l'intérêt général de stocker, réguler, contrôler l'eau
  • il est dans l'intérêt général de préserver le patrimoine historique
  • il est dans l'intérêt général de développer l'activité économique

On constate évidemment que, appliqué au cas des ouvrages hydrauliques, ce que l'on considère comme d'intérêt général peut amener à les effacer ou (plus souvent) à les conserver.

Construire un intérêt général dans ces conditions, c'est donc construire un équilibre difficile entre les visions des uns et des autres. Dans bien des cas, c'est d'abord construire un certain consensus sur les faits, à partir de nos connaissances et de nos expériences. Les préconisations et solutions découlent du diagnostic partagé.

La continuité écologique échoue dans sa mise en oeuvre actuelle car elle a prétendu s'affranchir de cette étape : bancale dans son respect du droit des gens, bancale dans sa concertation des parties prenantes, bancale dans sa prise en compte des dimensions multiples de la rivière, bancale même dans son savoir écologique (construit sur des généralisations à partir de grands barrages davantage que sur un examen solide des divers types de fragmentations), son édifice vacille aujourd'hui de ses propres faiblesses constitutives. En accuser tel ou tel, c'est se voiler la face. Ou espérer faire oublier ses propres erreurs, quand on avançait hier ses propres intérêts en ignorant ou méprisant ceux des autres.


Retour à ce que dit la loi, expression de la volonté générale
En démocratie, c'est la loi qui exprime la volonté générale, et c'est la concertation qui la réalise dans l'exécution de cette loi. La manière dont nous voulons gérer l'eau n'est pas écrite dans le programme de tel ou tel acteur de la rivière, fut-il le bruyant prétendant au monopole de l'intérêt général, mais dans la loi.

Le code de l'environnement dispose de deux articles à ce sujet.

L'article L 110-1 du code de l'environnement énonce les principes généraux du droit de l'environnement.
I Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d'usage. (…)
II Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.
III L'objectif de développement durable, tel qu'indiqué au II est recherché, de façon concomitante et cohérente, grâce aux cinq engagements suivants :
1° La lutte contre le changement climatique ;
2° La préservation de la biodiversité, des milieux, des ressources ainsi que la sauvegarde des services qu'ils fournissent et des usages qui s'y rattachent ;
3° La cohésion sociale et la solidarité entre les territoires et les générations ;
4° L'épanouissement de tous les êtres humains ;
5° La transition vers une économie circulaire.
Au regard de ces dispositions, et sauf si une étude détaillée en fournit la preuve contraire, la destruction d'un ouvrage hydraulique, de sa retenue, des zones humides attenantes et des espèces hébergées, aquatiques ou rivulaires peut très bien :

  • contrevenir à la biodiversité,
  • contrevenir à la protection des sites et paysages,
  • contrevenir à la sauvegarde des services rendus par les écosystèmes (récréatifs, patrimoniaux, esthétiques, économiques),
  • contrevenir à la lutte contre le changement climatique.

Concernant l'eau en particulier, l'article L 211-1 du code de l'environnement énonce les conditions de "gestion équilibrée et durable" de l'eau, formant la doctrine publique de l'intérêt général.
I.-Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer :
1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ;
2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ;
3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ;
4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ;
5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ;
5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ;
6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ;
7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques.
(…)
II.-La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences :
1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ;
2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ;
3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées.
III.-La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.
Au regard de ces dispositions, la continuité écologique (I-7°) n'est qu'une dimension de la gestion équilibrée et durable de l'eau : elle est à prendre en compte, donc, mais les choix pour restaurer cette continuité doivent dans la mesure du possible ne pas contredire les autres dimensions d'intérêt de la ressource.

Au lieu de privilégier des solutions douces et réversibles de franchissement, la destruction d'un ouvrage hydraulique, de sa retenue, des zones humides attenantes et des espèces hébergées, aquatiques ou rivulaires peut très bien :
  • contrevenir à la préservation des zones humides et des écosystèmes aquatiques propres aux milieux anthropisés,
  • contrevenir à l'épuration de l'eau dans les retenues (augmentation du temps de résidence hydraulique, sédimentation et activité biologique) et donc à la qualité de l'eau à l'aval,
  • contrevenir à la valorisation de l'eau comme ressource économique,
  • contrevenir au stockage de l'eau et à l'évitement des effets locaux d'étiages sévères (assecs),
  • contrevenir à divers usages de l'eau, et en particulier l'hydro-électricité et l'irrigation,
  • contrevenir à la conservation et à la transmission du patrimoine culturel.
Conclusion : la loi française est beaucoup plus ouverte et équilibrée que ne le sont aujourd'hui ses interprétations dominantes par l'administration en charge de l'eau.

A noter : les éléments ici présentés sur le L 110-1 CE et le L 211-1 CE peuvent être repris (avec quelques adaptations au cas particulier) dans les contentieux des associations contre les projets de destructions d'ouvrages, canaux, lacs et autres sites d'intérêt.

Illiustrations : en haut, le lavoir de Garchy adossé à son plan d'eau. Le site soulève l'inquiétude des riverains car l'administration de la Nièvre exerce des pressions sur la commune pour rétablir la continuité écologique, au risque de voir les écoulements actuels altérés. En bas, le lac et barrage du Crescent sur la Cure, un site EDF produisant de l'électricité et servant aux loisirs locaux.

03/01/2018

Proximité de l'eau et valeur foncière des propriétés (Nicholls et Crompton 2017)

Deux chercheurs de l'Université du Michigan ont passé en revue 25 études sur la valorisation des biens immobiliers en fonction de la vue sur l'eau (rivières, canaux). Il en ressort que ce critère a une influence positive sur le prix. Cette travail rappelle que la valeur économique des aménités culturelles, esthétiques et récréatives liées au patrimoine hydraulique est un élément totalement négligé des politiques publiques de continuité écologique. Cela fait partie des points à intégrer dans une grille d'analyse multicritères des choix d'aménagement, afin d'objectiver les coûts et bénéfices de chaque option. Une évolution demandée par le CGEDD dès son rapport de 2012, mais que le ministère de l'écologie refuse obstinément de mettre en place. En soi, les travaux de "renaturation" d'un cours d'eau peuvent apporter eux aussi des bénéfices aux propriétés riveraines, mais à condition qu'ils le prévoient explicitement dans leur conception, au lieu de considérer l'intérêt des habitants et usagers comme quantité négligeable.



Depuis toujours, la proximité de l'eau est recherchée par les humains. D'abord pour des raisons de subsistance et d'hygiène, puis pour d'autres valorisations à mesure que les sociétés se sont complexifiées. Dans les sociétés industrialisés, la qualité de l'environnement fait partie des atouts appréciés, et la proximité d'une eau courante (rivières, canaux) ou stagnante (étangs, lacs) est un critère d'information sur la valeur d'un bien.

Ce critère a-t-il un effet sur le prix ? S. Nicholls et J.L.Crompton (université d'Etat du Michigan, Etats-Unis) se sont penchés sur la question de l'effet des rivières et canaux sur la valeur des propriétés foncières (leur étude n'intègre pas les eaux stagnantes).

La méthode des prix hédoniques (MPH) appliquée aux biens environnementaux repose sur l’idée que le prix d’un bien immobilier dépend de ses différentes caractéristiques, parmi lesquelles la qualité de l’environnement. A caractéristique identique, le consentement à payer pour l'achat d'un bien peut varier en fonction de ce qui est valorisé par les acheteurs, en particulier donc son insertion dans l'environnement et dans certaines spécificités de cet environnement. En comparant une grande quantité de transactions dont on connaît les variables, on peut isoler celles qui co-varient : ici, le prix et la proximité de l'eau.

Les deux chercheurs ont ainsi analysé 25 études utilisant la MPH pour évaluer la valeur de proximité de l'eau, en écoulement naturel ou artificiel (rivières, ruisseaux, canaux), dans des contextes urbains, ruraux ou mixtes, aux Etats-Unis et en Europe.

La vue sur l'eau apparaît comme un critère de valorisation foncière pour l'ensemble des types d'écoulement, avec un effet plus marqué en milieu urbain (hausse de 10-30% des prix). Les milieux ruraux voient une valorisation moindre, probablement en raison de la présence ubiquitaire de l'eau sous différentes formes dans les paysages.

"Dans l'ensemble, les études passées en revue démontrent que les aménités récréatives et esthétiques peuvent être une source majeure de hausse d'une valeur foncière au long des linéaires en eau", soulignent les chercheurs.

De manière intéressante pour les débats français actuels, S. Nicholls et JL Crompton cite dans leur publication un exemple de restauration écologique ayant conduit à une perte de valeur foncière : les mesures du Plan de l'Oregon pour le saumon et les cours d'eau ont conduit à élargir la bande tampon boisée en rive, ce qui a induit une perte de 3-11% de la valeur foncière moyenne des biens concernés.

Les deux scientifiques concluent : "Les bénéfices récréatifs et esthétiques pour les propriétaires vivant à proximité sont une valeur importante à considérer dans les analyses coûts-bénéfices des programmes de restauration, ie en plus de la réduction des dommages matériels résultant probablement de ces mesures. Des données précises et fiables, qui représentent adéquatement la gamme complète des avantages procurés par les écosystèmes, sont une condition préalable essentielle au développement d'efforts de gestion axés sur les parties prenantes de prévalence et d'importance croissantes dans le domaine de la ressource en eau (par ex Bell, Lindenfeld, Speers, Teisl et Leahy 2013, Snell, Bell et Leahy 2013)".

Discussion
Le travail de Nicholls et Crompton rappelle que dans la notion de "services rendus par les écosystèmes", le gestionnaire public doit intégrer l'ensemble des aménités, y compris de nature culturelle, esthétique, récréative.

En France, la restauration de continuité écologique est aujourd'hui la politique publique la plus concernée par cette dimension. Ce programme vise en effet à modifier substantiellement les écoulements en place, en particulier à mettre à sec des retenues et des canaux au profit d'une rivière retrouvant son lit mineur antérieur à l'aménagement dans les cas de destruction, qui sont les plus problématiques. Parfois, plusieurs kilomètres de chenaux détournés par un ouvrage peuvent se retrouver en assec partiel ou total, en particulier en été quand la présence de l'eau est la plus appréciée. Nous avons déjà observé sur le terrain la mobilisation de riverains en milieu urbain craignant de perdre l'atout que représente la proximité d'un bief ou d'un canal de décharge en eau (Vonges, Is-sur-Tille).

Certains biens, comme les moulins et forges, ont d'autres enjeux spécifiques qui s'ajoutent à la valeur esthétique et récréative, notamment le droit d'eau qui permet l'exploitation énergétique et économique de la chute. Par ailleurs, le "cachet" d'un moulin ou d'une forge dépend souvent de la présence d'eau autour du bien. Pour certains biens anciens, isolés, demandant de lourds travaux de mise aux normes de confort et de sécurité, il n'est pas exagéré de dire que le  statut de propriété avec droit d'eau et vue sur l'eau est l'un des seuls éléments tangibles de valorisation. (A titre d'exemple, on trouve la mention "french watermill" comme argument de vente sur certains sites immobiliers dédiés aux publics non francophones désirant investir dans une résidence secondaire en France.)

Hélas, ces points sont généralement négligés dans les études préparatoires de la continuité écologique, dont le financeur principal (agence de l'eau) n'a probablement pas très envie de devoir estimer sérieusement, au cas par cas, les plus-value et moins-value créées par sa programmation (SDAGE). Cette négligence s'inscrit parmi bien d'autres et signale le caractère précipité et fermé de cette réforme, conçue dans l'ignorance quasi-totale des dimensions autres qu'hydrobiologiques et hydromorphologiques, en particulier des dimensions sociétales et économiques (voir Zingraff-Hamed et al 2017 sur ce travers fréquent).

Il appartient aux propriétaires mais aussi aux riverains de chaque projet de continuité écologique ou de restauration morphologique de rivière de se signaler aux autorités administratives dès la phase préparatoire, et de demander la prise en compte de ces éléments d'appréciation dans le devenir des sites. Le refus pourra faire l'objet d'une réclamation au préfet et aux élus, d'avis négatifs en enquête publique et, dans certains cas, d'une saisine du tribunal.

Référence : Nicholls S, Crompton JL (2017), The effect of rivers, streams, and canals on property values, River Res Applic, 33, 9, 1377-1386

Illustration : bief d'Is-sur-Tille (21), DR. Quand les aménagements de continuité écologique remettent en cause la gestion, et parfois l'existence, des canaux urbains, une analyse économique sur la valeur des biens impactés est nécessaire. Et le refus d'associer l'ensemble des riverains ne peut qu'alimenter des conflits. Une écologie intelligente passe par l'information, la concertation et la prise en compte de l'ensemble des dimensions de la rivière.

01/01/2018

Le Morvan des loups et des moulins au temps de Vauban

Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (1633-1707) est né à Saint-Léger-de-Fougeret, devenu Saint-Léger-Vauban en 1867, et possédait des terres autour de Bazoches. Des ses Oisivetés, l'ingénieur consigne ses observations et réflexions sur la France qu'il parcourt, et notamment sur les terres de son enfance. Voici quelques pages sur le Morvan des moulins, des étangs de flottage, des taillis et des loups à la fin du XVIIe siècle. On y note l'exploitation précoce des eaux et des bois. Aujourd'hui, les moulins et étangs sont toujours présents sur les rivières du Morvan, les loups ne sont pas encore revenus durablement dans ses forêts.


En, janvier 1696, Vauban rédige sa Description géographique de l'élection de Vézelay, contenant ses revenus, sa qualité, les mœurs de ses habitants, leur pauvreté et richesse, la fertilité du pays et ce que l'on pourrait y faire pour en corriger la stérilité et procurer l'augmentation des peuples et l'accroissement des bestiaux.

En voici un extrait sur le Morvan de la fin du XVIIe siècle. On y constate que les eaux et forêts sont déjà exploitées à cette époque, dans un milieu humain par ailleurs pauvre et peu développé économiquement.

Le pays est partout bossillé comme nous avons déjà dit, mais plus en Morvand qu'ailleurs. Les hauts, où sont les plaines, sont spacieux, très-pierreux et peu fertiles. Les fonds le sont davantage, mais ils sont petits et étroits. Les rampes participent de l'un et de l'autre, selon qu'elles sont plus ou moins roides, et bien ou mal cultivées.

Le pays est fort entrecoupé de fontaines, ruisseaux et rivières, mais tout petits comme étant près de leurs sources.

Les deux rivières d'Yonne et de Cure sont les plus grosses , et peuvent être considérées comme les nourrices du pays, à cause du flottage des bois. On pourrait même les rendre navigables, l'une jusqu'à Corbigny et l'autre jusqu'à Vézelay; ce qui serait très-utile au pays. Les petites rivières de Cuzon, de Brangeame, d'Anguisson, du Goulot, d'Armanée sont de quelque considération pour le flottage des bois.

Il y a encore plusieurs autres ruisseaux moindres que ceux-là, qui font tourner des moulins, et servent aussi au flottage des bois, quand les eaux sont grosses, à l'aide des étangs qu'on a faits dessus. On en pourrait faire de grands arrosements qui augmenteraient de beaucoup la fertilité des terres et l'abondance des fourrages, qui est très-médiocre en ce pays-là, de même que celle des bestiaux, qui y croissent petits et si faibles qu'on est obligé de tirer les bêtes de labour d'ailleurs, ceux du pays n'ayant pas assez de force; les vaches même y sont petites, et six ne fournissent pas tant de lait qu'une en Flandre, encore est-il de bien moindre qualité.

Il y vient très-peu de chevaux, et ceux qu'on y trouve sont de mauvaise qualité et propres à peu de chose, parce qu'on ne se donne pas la peine ni aucune application pour en avoir de bons, les paysans étant trop pauvres pour pouvoir attendre un cheval quatre ou cinq ans; à deux ils s'en défont, et à trois on les fait travailler, même couvrir, ce qui est cause que très-rarement il s'y en trouve de bons.

La brebialle y profite peu, parce qu'elle n'est point soignée ni gardée en troupeaux par des bergers intelligents, chacun ayant soin des siennes comme il l'entend; elles sont toutes mal établées, toujours à demi dépouillées de leur laine par les épines des lieux où elles vont paître, sans qu'on apporte aucun soin ni industrie pour les mieux entretenir.

Bien qu'il y ait quantité de bourriques dans le pays, on n'y fait pas un seul mulet, soit faute d'industrie de la part des habitants, ou parce qu'ils viendraient trop petits.

Pour des porcs, on en élève comme ailleurs dans les métairies et chez les particuliers, mais non tant que du passé, parce qu'il n'y a plus ni glands, ni faînes, ni châtaignes dans le pays où il y en avait anciennement beaucoup.

Il y aurait assez de gibier et de venaison, si les loups et les renards, dont le pays est plein, ne les diminuaient considérablement, aussi bien que les paysans qui sont presque tous chasseurs directement ou indirectement.

Les mêmes loups font encore un tort considérable aux bestiaux, dont ils blessent, tuent et mangent une grande quantité tous les ans, sans qu'il soit guère possible d'y remédier, à cause de la grande étendue des bois dont le pays est presqu'à demi couvert.

Nous distinguerons ces bois en trois espèces, savoir, en bois taillis, bois de futaie et bois d'usage. Il y a 60 à 70 ans que la moitié ou les deux tiers de ces bois étaient en futaie; présentement il n'y a plus que des bois taillis où les ordonnances sont fort mal observées. Les marchands qui achètent les coupes sur pied, abattent indifféremment les baliveaux anciens et modernes, et n'en laissent que de l'âge du taillis et sans choix, parce qu'ils se soucient peu de ce que cela deviendra après que les ventes seront vidées et leurs marchés consommés.

Il n'y a plus de futaie présentement; et c'est une chose assez étrange que, dans l'étendue de 54 paroisses, où il y a plus de 37,000 arpents de bois, il ne s'y en soit trouvé que 8.

Les bois d'usage dont il y a quantité en ce pays-là, sont absolument gâtés, parce que les paysans y coupent en tout temps à discrétion, sans aucun égard, et, qui plus est, y laissent aller les bestiaux qui achèvent de les ruiner.

Il arrive donc que, par les inobservations des ordonnances , dans un pays naturellement couvert de bois, on n'y en trouve plus de propre à bâtir, ce qui est partie cause qu'on ne rétablit pas les maisons qui tombent ou qu'on le fait mal ; car il est vrai de dire que les bois à bâtir n'y sont guère moins rares qu'à Paris : on ne sait ce que c'est que gruerie, grairie, tiers et danger dans cette élection.

Les pages de Vauban rappelle aussi la pauvreté extrême dans laquelle vivaient les classes inférieures de son temps, avec par exemple une consommation de viande limitée à quelques jours par an :

Le pays en général est mauvais, bien qu'il y ait de toutes choses un peu ; l'air y est bon et sain, les eaux partout bonnes à boire, mais meilleures et plus abondantes en Morvand qu'au bon pays. Les hommes y viennent grands et assez bien faits, et assez bons hommes de guerre quand ils sont une fois dépaysés; mais les terres y sont très-mal cultivées, les habitants lâches et paresseux jusqu'à ne pas se donner la peine d'ôter une pierre de leurs héritages, dans lesquels la plupart laissent gagner les ronces et méchants arbustes. Ils sont d'ailleurs sans industrie, arts, ni manufacture aucune, qui puissent remplir les vides de leur vie, et gagner quelque chose pour les aider à subsister, ce qui provient apparemment de la mauvaise nourriture qu'ils prennent; car tout ce qui s'appelle bas peuple ne vit que de pain d'orge et d'avoine mêlées, dont ils n'ôtent pas même le son, ce qui fait qu'il y a tel pain qu'on peut lever par les pailles d'avoine dont il est mêlé. Ils se nourrissent encore de mauvais fruits, la plupart sauvages, et de quelque peu d'herbes potagères de leurs jardins, cuites à l'eau, avec un peu d'huile de noix ou de navette, le plus souvent sans ou avec très-peu de sel. Il n'y a que les plus aisés qui mangent du pain de seigle mêlé d'orge et de froment.

Les vins y sont médiocres, et ont presque tous un goût de terroir qui les rend désagréables.

Le commun du peuple en boit rarement, ne mange pas trois fois de la viande en un an, et use peu de sel, ce qui se prouve par le débit qui s'en fait. Car si douze personnes du commun peuvent ou doivent consommer un minot de sel par an pour le pot et la salière seulement, 22,500 personnes qu'y y a dans cette élection en devraient consommer à proportion 1,875, au lieu de quoi ils n'en consomment pas 1,500, ce qui se prouve par les extraits du grenier à sel. Il ne faut donc pas s'étonner si des peuples si mal nourris ont si peu de force. A quoi il faut ajouter que ce qu'ils souffrent de la nudité y contribue beaucoup, les trois quarts n'étant vêtus, hiver et été, que de toile à demi pourrie et déchirée, et chaussés de sabots dans lesquels ils ont le pied nu toute l'année. Que si quelqu'un d'eux a des souliers, il ne les met que les jours de fêtes et dimanches.

Référence : Vauban, Sébastien Le Prestre (1633-1707 ; marquis de), Oisivetés, Tome 1-3 , éditées par le Cel Antoine-Marie Augoyat et publiées par J. Corréard (Paris), 1842.

80 000 moulins en France au temps de Vauban?

Dans son Projet de capitation sur le pied du denier quinze, levé indifféremment sur tout ce qui a moyen de payer, Vauban note à propos des moulins de France :  "Il y a dans le royaume plus de 80,000 moulins qu'on peut estimer 200 livres de rente chacun, l'un portant l'autre; sur quoi réglant la capitation sur le pied du denier vingt, parce que ce sont de mauvais biens, cet article monterait à huit cent mille livres, ci.. 800,000 J'estime qu'il y a du moins dans le royaume cette quantité de moulins, et même plus par rapport aux observations que j'en ai faites". Toutefois, Vauban ne donne aucune indication sur la manière dont il parvient à ce chiffre, que l'on doit donc prendre comme une approximation. Les statistiques de la Révolution (enquête sur les subsistances) puis des services hydrauliques de l'Etat donneront 100 000 à 110 000 moulins en France au XIXe siècle, chiffres cohérents avec l'estimation de Vauban 100 à 150 ans plus tôt. Ces chiffres, auxquels il faudrait ajouter les ouvrages de navigation et les étangs piscicoles, rappellent l'ancienneté des modifications morphologiques des rivières françaises.

Illustration : en haut Corot, Chaumière et moulin au bord d'un torrent (1831) ; en bas, Jacob van Ruisdael, Deux moulins à eau et une écluse près de Singraven (1650).

29/12/2017

Quand les alevinages des pêcheurs influencent davantage la génétique des poissons que les ouvrages hydrauliques (Prunier et al 2018)

Des chercheurs français ont étudié la structure génétique des goujons et des vairons du Célé et du Viaur, deux rivières du Sud-Ouest de la France. Ils concluent que les facteurs naturels (topologie du réseau hydrographique) restent déterminants pour expliquer les variations observées. Au sein des impacts humains, les ouvrages hydrauliques pourtant anciens et nombreux ne montrent pas d'influence cohérente, ce qui interdit toute généralisation à leur sujet. Amusante découverte : les empoissonnements pour la pêche ont une influence génétique plus notable que les ouvrages. Séparer en France les questions halieutiques et écologiques devient un enjeu de plus en plus manifeste, car la pêche est avant tout un usage des milieux ayant des impacts, et ses instances n'ont plus la capacité de développer des méthodes conformes à l'évolution rapide des connaissances en écologie des milieux aquatiques.



La diversité génétique des poissons est connue pour être affectée par de nombreux facteurs, le premier d'entre eux étant naturel : l'organisation en réseau des écoulements hydrographiques, pouvant isoler des branches de ce réseau en pools reproductifs autonomes, du moins à moindre fréquence d'échanges, ainsi que faire varier les structures génétiques de l'amont et de l'aval. Des facteurs anthropiques peuvent également influer sur cette diversité. Parvenir à pondérer ces facteurs naturels et humains permet une meilleure compréhension de l'évolution des lignées locales de poissons, le cas échéant une meilleure anticipation de leur capacité future d'adaptation (par exemple au changement climatique).

Jérôme G. Prunier et ses collègues (Station d’écologie théorique et expérimentale UMR 5371, Institut méditerranéen de biodiversité  et d’écologie marine et continentale UMR 7263, Laboratoire évolution et diversité  biologique UMR 5174) ont étudié les rivières Célé et Viaur dans le bassin Adour-Garonne. Les superficies de bassin versant (1350 et 1530 km2) et les linéaires (136 et 168 km) de ces cours d'eau sont comparables, mais la topologie du réseau hydrographique, la fragmentation par les ouvrages humains et le usages des sols diffèrent, ce qui permet des comparaisons.

Les chercheurs ont étudié deux poissons largement distribués dans le Sud-Ouest : le goujon du Languedoc (Gobio occitaniae) et le vairon (Phoxinus phoxinus). Plus d'une vingtaine de sites (22 et 25) ont été choisis sur chaque rivière, à des emplacements permettant de caractériser par ailleurs des variables d'intérêt de l'environnement. Des marqueurs microsatellites (11 pour le goujon et 16 pour le vairon) ont été isolés pour quantifier trois indices de diversité génétique : la richesse allélique, la richesse allélique privée et l'unicité génétique.

Les prédicteurs environnementaux de la diversité génétique retenus dans cette étude ont été formés de 18 variables répartis en 4 familles : caractéristiques naturelles de la rivière, fragmentation humaine du lit mineur, usage des sols en proximité du lit et probabilité locale d'influence des empoissonnements pour la pêche.

Les principaux résultats sont les suivants :

  • les caractéristiques naturelles du réseau hydrographique (notamment la place dans le gradient amont-aval) sont le premier prédicteur de la diversité génétique des poissons, avec un poids 1,82 fois supérieur à l'ensemble des facteurs anthropiques,
  • parmi les facteurs anthropiques, seul l'empoissonnement de pêche a une influence forte et consistante, notamment sur les goujons,
  • la distance de circulation (home range) entre deux obstacles a montré des influences sur la richesse allélique des goujons dans le Viaur et dans une moindre mesure des vairons dans le Celé,
  • le taux d'urbanisation à 2 km de la station influence l'unicité génétique.


Les auteurs soulignent que "les influences locales de la dégradation et de la fragmentation sont spécifiques à chaque rivière et à chaque espèce, variant parfois même au sein du même lit mineur, ce qui interdit toute généralisation".

Et ils concluent : "la structure naturelle des réseaux et l'empoissonnement de pêche influencent fortement les caractéristiques spatiales de la diversité génétique selon une direction prévisible, alors que l'influence des autres activités humaines peut être plus difficile à prédire selon les espèces et les contextes".

Discussion
Cette étude sur la génétique des poissons des rivières du Sud-Ouest rejoint dans ses conclusions de nombreuses autres montrant que les variations observées dans les cours d'eau restent difficiles à prévoir : les modèles n'expliquent qu'une part de la variance, et la diversité des résultats indique la forte influence des contextes et de l'histoire de vie propre à chaque hydrosystème. Cela doit inciter le gestionnaire public à se défaire de l'idée que des règles simples et uniformes pourraient s'appliquer dans tous les cas de figure. On ne fera de la bonne écologie qu'avec une étude rigoureuse de chaque rivière en son bassin versant, ce qui prend certes du temps (et coûte de l'argent) mais qui évite d'engager des programmes inadaptés aux enjeux locaux et peu susceptibles d'obtenir des résultats significatifs.

Le constat de l'influence des alevinages et empoissonnements comme cause anthropique la plus claire de certains changements génétiques locaux ne vient pas commune une surprise : cela fait plusieurs siècles que les populations pisciaires sont changées par des activités halieutiques, sans considération particulière pour les souches concernées dans le cas des alevinages et déversements (sauf à date assez récente, et surtout pour les salmonidés focalisant l'attention pour leur intérêt de pêche). On peut en tirer certaines conclusions institutionnelles. D'une part, il est regrettable que la pêche de loisir en France soit quasiment le seul usage de l'eau à ne pas faire l'objet d'un programme systématique d'évaluation de son impact biologique et écologique. D'autre part, il est anormal que cet usage de l'eau jouisse encore d'une préséance particulière en gestion écologique des milieux aquatiques. Cet héritage du XXe siècle n'a plus lieu d'être aujourd'hui car les approches et méthodes sectorielles développées par les pêcheurs ne sont plus tellement en phase avec l'évolution globale des connaissances sur l'écologie des milieux aquatiques.

Référence : Prunier JG et al (2018), The relative contribution of river network structure and anthropogenic stressors to spatial patterns of genetic diversity in two freshwater fishes: A multiple-stressors approach, Freshwater Biology, 1, 6-21

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