L'Observatoire national de la biodiversité, instance administrative rattachée au CGDD et au ministère de l'écologie, précise sur son site :
"Un premier indicateur vient illustrer le degré de naturalité des cours d’eau. Un cours d’eau naturel est une rivière sur laquelle on ne trouve aucune trace d’ouvrages humains (barrage, digue, bords bétonnés ...) ce qui représente en France 8,4% des rivières dites encore "sauvages", un chiffre plutôt stable."
Dans la note explicative de l'indicateur, il est exposé :
"Depuis 2011, le Cerema accompagne le projet « Rivières sauvages » pour lequel émargent via une convention les structures suivantes : le Fonds pour la Conservation des Rivières Sauvages, European Rivers Network, les Agences de l’Eau, l’Agence Française de la Biodiversité (AFB), le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire. Ce projet « Rivières sauvages » est parti du constat qu’en France seulement 7 % des masses d’eau sont en très bon état écologique et moins de 1 % des rivières pourraient être qualifiées de « sauvages ». Ainsi, ce constat est à l’origine de la création du Fonds pour la Conservation des Rivières Sauvages en 2010, née d’une initiative privée de naturalistes et scientifiques, pour favoriser aux niveaux national et européen l’émergence d’un réseau de rivières sauvages, grâce à la création d’une grille d’évaluation pour identifier les cours d’eau sauvages ; d’un label écologique, outil de gestion territoriale et de valorisation des rivières ; d’un fonds de dotation pour accompagner les projets et d’un réseau de rivières sauvages pour relier les acteurs de ces territoires."
Le critère est fondé sur neuf thématiques, dont cinq sont «notantes» et vont permettre d’évaluer le niveau de caractère sauvage du cours d’eau. Pour chaque critère, un système de pondération variant de un à six points a été mis en place en fonction de l’importance du critère vis-à-vis du fonctionnement global du cours d’eau et de son rôle dans la qualité écologique globale d’un cours d’eau. Chaque critère est évalué selon trois classes de notation, quantitative ou qualitative, correspondant à un niveau d’altération du tronçon : très faible altération (ou pas d’altération), faible altération et altération notable. Parmi les critères retenus : taux de rectitude contextualisé (cours d'eau rectifié, déméandré), taux de voies de communication à proximité du lit mineur, taux de digues dans le lit majeur, densité d’obstacles à l’écoulement, taux de boisement des berges (rideau d’arbres), occupation des sols et activités en fond de vallée, taux d’occupation du sol de type artificiel à proximité du lit mineur, taux de voies de communication dans le lit majeur, taux de boisement du lit majeur
La grille d’analyse (donc la notation) ne s’applique qu’aux petites et moyennes rivières, c’est-à-dire aux cours d’eau de rang de Strahler inférieur à 6 ; dont la largeur moyenne à pleins bords est inférieure à 50 mètres pour une rivière à chenal unique ou à 350 mètres pour une rivière en tresses.
Résultats
Ce tableau donne la répartition est classes de naturalité.
Ces schémas donnent la répartition par nombre de tronçons et longueur de linéaires.
Commentaires
Les deux-tiers des rivières ont reçu un mauvais classement administratif au titre de la DCE 2000. Ce critère montre que 65% des masses d'eau en France ont une morphologie qui a été fortement à très fortement modifiée par l'humain dans l'histoire. La directive cadre européenne 2000 sur l'eau prévoyait justement dans son article 5 le classement de tronçons de rivières en masses d'eau fortement modifiées, n'ayant de ce fait pas les mêmes critères d'évaluation que les autres (sauf pour le traitement de la pollution chimique, exigible partout). Normalement, les deux-tiers des rivières françaises auraient dû avoir cette classe: or, l'administration française y a recouru dans moins de 10% des cas. C'est une contradiction manifeste, risquant de pénaliser la France dans l'atteinte des objectifs de la DCE. C'est également révélateur du degré d'impréparation et d'approximation de ces questions: pourquoi aurions-nous confiance dans une parole administrative qui dit une chose et son contraire au regard des textes et critères qu'elle-même produit?
La naturalité ne renseigne en rien sur la biodiversité. L'idée même d'un indicateur de naturalité doit faire l'objet de débat public et d'explication aux citoyens. Quasiment aucun milieu en Europe n'est naturel au sens de sauvage ou vierge, tous ont été modifiés à des degrés divers par l'humain depuis le Néolithique. Les conditions aux limites de la nature sont de toute façon altérées désormais au niveau global par le climat, qui change et changera de manière non naturelle sur deux paramètres essentiels de la vie aquatique (précipitation, température). La recherche en écologie scientifique montre depuis plusieurs décennies que nous avons sous-estimé l'ancienneté et l'intensité des modifications (voir quelques références ci-dessous). Par ailleurs, il n'y a aucun rapport univoque de cause à effet entre un niveau de naturalité et un intérêt de biodiversité: de nombreux écosystèmes aquatiques et humides classés en zones de conservation (Ramsar, Natura 2000, ZNIEFF) sont d'origine humaine, par exemple. Ce qui importe, c'est de voir au cas par cas comment le vivant s'est adapté aux milieux naturels modifiés ou non, quelles espèces sont présentes et quels services écosystémiques sont rendus.
Un classement de protection au titre de la naturalité devrait concerner moins de 10% des masses d'eau. On peut concevoir que des rivières ayant très peu d'impacts morphologiques sur le lit, les berges et une partie du bassin versant fassent l'objet d'un classement de protection, afin que cette partie des masses d'eau conservent leur fonctionnement actuel. Ce peut être d'intérêt pour la biodiversité qui y est abritée, pour la recherche scientifique, pour l'agrément (tourisme vert). C'est un choix démocratique qui doit être débattu, car un tel classement entraîne aussi un abandon pour l'avenir de certains usages d'intérêt général pour la société humaine (eau potable, énergie, irrigation) et doit normalement être assorti de protections accessoires limitant d'autres usages sans effet morphologique mais pouvant altérer des milieux (excès de fréquentation par pêche, kayak, rafting, randonnée) ainsi que des effets morphologiques sur le lit majeur (activités agricoles et urbanisation modifiant le bassin versant). Si tel doit être le cas, le classement de protection devrait concerner les 8,4% de tronçons (18.000 km) ayant un fort taux de naturalité au sens de cet indicateur.
La recherche publique et les acteurs administratifs doivent écouter tous les acteurs sociaux. La création de cet indicateur de naturalité est le fait de la rencontre entre des instances publiques (Cerema, AFB, CGDD, ministère de l'écologie) et une initiative privée (Fonds rivières sauvages). Pourquoi pas, mais toutes les demandes sociales relatives à l'écologie devraient être examinées, ce qui n'est pas le cas. Notre association a par exemple produit un rapport de synthèse de quelques travaux scientifiques et observations directes de terrain montrant que les écosystèmes aquatiques d'origine humaine possèdent aussi des biodiversité et des fonctionnalités d'intérêt, aujourd'hui négligées. Notre site rappelle régulièrement ce fait à travers des exemples. Nous avons demandé que des critères de prise en compte de cette réalité soient désormais associés à tout chantier en rivière et toute programmation de bassin versant. Aucun acteur public n'a daigné répondre à cette demande, fut-ce pour démontrer qu'elle serait infondée. Or, chaque année en France, on fait disparaître des biefs, des canaux, des retenues, des étangs, des lacs qui sont autant de milieux aquatiques et humides. L'indifférence des représentants administratifs et publics de l'écologie à la nécessité de l'examen préalable de ces milieux est aujourd'hui intenable, précisément car une abondante littérature scientifique interdit de poser une égalité simple entre la naturalité et la biodiversité.
Quelques travaux scientifiques récents montrant que biodiversité et naturalité ne sont plus synonymes
- les biefs de moulins hébergent des moules protégées (Sousa et al 2019a)
- les canaux d'irrigation sont colonisés par des moules menacées (Sousa et al 2019b)
- les barrages sont à conserver et gérer pour le vivant et le débit en adaptation au changement climatique (Beatty et al 2017)
- l'indifférence et l'ignorance sur les écosystèmes aquatiques artificiels conduit à des mauvais choix de conservation biologique (Clifford et Hefferman 2018)
- les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013)
- un étang augmente la densité de certains invertébrés et la disponibilité d'eau pour le vivant (Four et al 2019)
- plans d'eau et canaux contribuent fortement à la biodiversité végétale (Bubíková et Hrivnák 2018)
- mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion européenne des bassins hydrographiques en raison de leurs peuplements faune-flore (Hill et al 2018)
- la fragmentation des milieux serait favorable à la biodiversité (Fahrig et al 2017, 2019)
- un effet positif des barrages est observé sur l'abondance et la diversité des poissons depuis 1980 (Kuczynski et al 2018)
- la biodiversité des étangs piscicoles est d'intérêt en écologie de la conservation (Wezel et al 2014)
- les canaux servent de corridors biologiques pour la biodiversité (Guivier et al 2019)
- la morphologie des rivières françaises est modifiée depuis déjà 3000 ans et nos choix de gestion l'ignorent (Lepsez et al 2017)
- les effacements d'ouvrages avantagent certaines espèces mais en pénalisent d'autres et ce n'est pas correctement évalué (Dufour et al 2017)
- l'écrevisse à pattes blanches bénéficie de la fragmentation des cours d'eau par les chutes naturelles et artificielles (Manenti et al 2018)
- des truites vivent depuis 200 générations dans un cours d'eau fragmenté (Hansen et al 2014)
- supprimer les ouvrages des moulins à eau incise les rivières et assèche leurs lits majeurs (Maaß et Schüttrumpf 2019)
- la moitié des rivières européennes devrait changer d'écotype d'ici 2050 (Laizé et al 2017)
- la notion de condition de référence d'une rivière est problématique (Bouleau et Pont 2014, 2015)
- la réalité des écosystèmes culturels questionne la cohérence de l'écologie de la restauration (Evans et Davis 2018)
- l'écologie aquatique doit modéliser les nouveaux écosystèmes de l'Anthropocène (Mooij et al 2019)
- les nouveaux écosystèmes révèlent la construction sociale de la nature (Backstrom et al 2018)
- les modifications des rivières datent de 15.000 ans déjà (Gibling et al 2018)
A lire aussi