16/01/2023

Bilan de la continuité en long des rivières sur le bassin Adour-Garonne

L’agence de l’eau Adour-Garonne (Eau Grand Sud Ouest) a commandité un audit sur le classement des rivières en continuité écologique depuis 10 ans. Un premier rapport de synthèse donne quelques faits et chiffres globaux du bassin ici reportés. Si le bassin Adour-Garonne est loin d’être le pire en matière de mise en œuvre de la continuité écologique, notamment pour ce qui est du dogme de l’effacement d’ouvrage, on y constate les mêmes problèmes qu’ailleurs : retard considérable sur la mise en conformité des ouvrages, dimension irréaliste du classement de 2012-2013, situation illégale de la grande majorité des sites à l’arrivée au terme du classement, pas de résultats très probants sur les migrateurs malgré les dizaines de millions d’euros déjà dépensés et les dommages causés sur les usages des ouvrages hydrauliques… Le gouvernement, le parlement, les agences de l’eau et les préfectures n’échapperont pas au besoin de redéfinir sérieusement cette politique de continuité écologique, qui est controversée pour de bonnes raisons. 


La loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 prévoyait des rivières où serait demandée au niveau des  ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, écluses, gués, etc.) la capacité de circulation des poissons migrateurs et de transit des sédiments. Cette loi posait ainsi le principe dit de "continuité écologique" mais sans préciser le détail des rivières où il y avait de tels enjeux. 

Voici 10 ans, par une série d’arrêtés, les préfets de bassin hydrographique ont classé des rivières françaises au titre de cette continuité écologique en long.  Dans le cas des classements dits en liste 1, cela signifie qu’aucun obstacle au franchissement de poisson ou au transit de sédiment ne peut être construit (mais un ouvrage assurant ces deux fonctions peut l'être). Dans les classements dits en liste 2, cela signifie que tous les obstacles présents (seuils, chaussées, digues, vannes, barrages) devaient obligatoirement être aménagés dans un délai de 5 ans, prorogé une fois de 5 ans par la suite.

Ce classement a dans l’ensemble été aberranthttp://www.hydrauxois.org/2022/11/voici-dix-ans-le-classement-aberrant-de.html, comme nous l’avons récemment rappelé, en raison du nombre délirant de rivières et d’ouvrages concernés sur un délai légal aussi court, ainsi que du manque total de rigueur et de méthode dans la priorisation des enjeux écologiques par l’administration en charge du sujet. 

L’agence de l’eau Adour-Garonne a profité des dix ans du classement des rivières pour commanditer un rapport d’audit. Nous publions et commentons ici quelques données-clés de ce rapport. 

Linéaire de rivières classées
  • les tronçons de cours d’eau classés en liste 2 représentent 7 598 km soit 6,4% du réseau hydrographique
  • le linéaire de cours d’eau classé en liste 1 est de 34 693 km, soit 29,3% du réseau hydrographique, dont 6 815 km en double classement liste 1 et liste 2
Espèces concernées
  • le saumon et la truite de mer constituent des espèces cibles du classement avec respectivement 34 et 37% des linéaires de rivières
  • l’anguille constitue une espèce cible sur pratiquement 71% des cours d’eau classés
  • la lamproie marine est un enjeu sur pratiquement la moitié des rivières classées tandis qu’1/4 des cours d’eau sont concernés par l’enjeu grande alose.
  • sur l’ensemble des rivières, 1/5ème est concerné par un seul enjeu propre à la truite commune
Ouvrages concernés
  • environ 3 500 ouvrages concernés par le classement en liste 2, soit environ 17,5% du nombre total d’ouvrages recensés sur le bassin.
  • 16% des ouvrages sont dédiés à la production hydroélectrique.
  • 68% des ouvrages classés se situent dans des tronçons à enjeu biologique grand migrateur et 32% à enjeu d’espèces holobiotiques.
Aides agence de l’eau
  • 407 ouvrages ont reçu une aide de l’Agence de l’eau entre 2013 et 2020 (moins de 12% des ouvrages classés liste 2),
  • 63% des aides ont concerné des équipements d’ouvrages et 37% des effacements (effacements majoritaires sur les cours d’eau à enjeux holobiotiques),
  • 41% des aides ont été versées à des aménagements hydroélectriques,
  • montant total d’aide versé : 50.8 M€, 87% pour les équipements (259 ouvrages), 13% pour les effacements (148 ouvrages)
Concernant l’efficacité de cette politique, les auteurs redoublent de prudence pour dire que le bilan biologique doit être fait sur une longue période, qu’il doit intégrer les autres impacts environnementaux et la chronologie des interventions, etc. 

Les rares données globales (à échelle du bassin) produites dans le rapport ne suggèrent pas pour le moment un bilan très enthousiasmant. 


Ainsi l’évolution du saumon atlantique (ci-dessus) montre un schéma en dent de scie, sans que l’ouverture de nouveaux axes ou de nouveaux habitats par la continuité se traduise par une évolution démographique remarquable sur dix ans (malheureusement, on n’a pas de données des trente années précédentes, mais voir la publication de Legrand et al 2020 pour une analyse des migrateurs sur la France entière et en longue période).


Quant à la lamproie marine (ci-dessus), elle connaît un effondrement démographique sur la période récente, ce qui rappelle que la continuité est loin d’être le seule problème des espèces migratrices. 

En conclusion
  • Il est bon que les agences de l’eau fassent de tels bilans sur la politique très contestée de continuité écologique.
  • En Adour-Garonne comme ailleurs, la grande majorité des ouvrages ne sont pas en conformité à la continuité écologique alors que le délai légal est dépassé. Il est inacceptable de laisser pourrir la dimension juridique du sujet : soit la loi supprime la notion de délai (dépassé), soit le préfet de bassin publie un nouveau classement (plus réaliste, donc avec beaucoup moins de tronçons) des rivières en liste 2. 
  • En terme de révision des classements, on doit poser la question des cours d'eau classés uniquement pour la truite commune, espèce largement répandue et non menacée, car ce choix correspond éventuellement à des attentes halieutiques mais pas à une priorité écologique en niveau de menace d'extinction.
  • Le bilan doit intégrer des chiffres clairs sur l’évolution de toutes les espèces de poissons cibles, bassin par bassin et au global, car la hausse démographique de ces poissons est bien la promesse de cette politique et la justification des nuisances qu’elle crée par ailleurs.
  • L’agence de l’eau Adour-Garonne est loin d’être l’institution la plus problématique pour la mise en œuvre de la continuité écologique. Comme sa consœur Rhône-Méditerranée, et sans doute en raison d’une composante hydraulique et hydro-électrique dans la culture gestionnaire, cette agence a classé un nombre raisonnable de rivières en 2012-2013 au titre de la continuité écologique. Et elle n’a pas engagé des incitations politiques fortes en direction de la seule destruction. On ne peut en dire autant d’autres agences de l’eau, comme Loire-Bretagne ou Seine-Normandie, qui ont cumulé les deux défauts : irréalisme du classement continuité écologique, sectarisme dans sa mise en œuvre (voir les chiffres comparés disponibles dans le rapport CGEDD 2016)..
  • En 2023 comme auparavant, cette politique de continuité écologique est problématique : chère, mal acceptée par les riverains pour des raisons de patrimoine, de paysage ou d’usage, contradictoire avec le rôle des ouvrages pour l’énergie et le stockage d’eau, sans résultat très intéressant et sans démonstration que les résultats (in fine des variations de densités de poissons) représentent un intérêt général prioritaire.

13/01/2023

Etangs, pesticides et effets épurateurs des retenues (Le Cor 2021)

La très intéressante thèse de François Le Cor, consacrée à l'étude des pesticides et de leurs produits de transformation dans l'eau des têtes de bassin versant, particulièrement dans les systèmes d'étangs, a été publiée en ligne. Ce travail confirme que les retenues d'eau ont un pouvoir épurateur vis-à-vis des intrants chimiques indésirables. Tout le contraire de ce qui avait été affirmé par certains acteurs publics (agences de l'eau, OFB, syndicat de rivières) sur la soi-disant capacité d'auto-épuration de la rivière par destruction de ses ouvrages hydrauliques et de ses retenues. Cette manipulation flagrante de l'opinion dans les années 2010 avait contribué à miner la crédibilité des politiques de continuité écologique, fondées sur la négation de tout intérêt des ouvrages et sur la survalorisation des effets positifs de leur disparition.  


Résumé de la thèse
"L’utilisation des produits de protection des plantes (PPP) dans les systèmes agricoles conventionnels depuis les années 1960 a conduit à une large contamination des écosystèmes aquatiques. Des travaux récents ont mis en évidence un transfert de PPP depuis les parcelles agricoles vers les cours d’eau de tête de bassin versant (BV) ainsi que vers les plans d’eau qui ponctuent ces réseaux hydrographiques: les étangs. En aval de ces derniers, les concentrations en PPP dissous mesurées étaient significativement plus basses qu’en amont, traduisant un effet tampon de ces systèmes lentiques.

Dans le cadre des travaux de thèse présentés, nous nous sommes fixés pour objectif d’apprécier, d’une part, l’occurrence des PPP au sein de ces masses d’eau de tête de BV, et, d’autre part, de leurs produits de transformation (TP). Ensuite, nous nous sommes attachés à déterminer l’abattement des PPP et TP par l’étang dans les fractions dissoutes et particulaires. En complément, le suivi de la contamination de différentes matrices environnementales (i.e. eau, sédiments, ichtyofaune) au sein de l’étang a été entrepris dans l’objectif d’apporter des éléments d’appréciation des processus susceptibles d’intervenir dans cet abattement. La mise en place de stations de prélèvement asservies au volume en entrée et en sortie d’étang de barrage a permis un échantillonnage exhaustif des masses d’eau de tête de BV durant un cycle piscicole complet. Ensuite, le suivi mensuel des compartiments sédimentaires et aquatiques, ainsi que l’échantillonnage en début et fin de cycle piscicole des poissons produits, ont permis d’apprécier les contaminations des différentes matrices sélectionnées. La méthodologie analytique mise en œuvre, basée sur la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem a permis la recherche de composés d’intérêts, en lien avec les traitements réalisés sur le bassin versant, dans les différentes matrices échantillonnées.

Ces travaux de thèse mettent en évidence l’occurrence des PPP et de certains TP dès la base du réseau hydrographique. Les échantillons d’eau récoltés attestent de la présence a minima de cinq composés différents par échantillon, à des concentrations maximales cumulées pouvant atteindre 27 µg/L en amont. Les TP représentent plus de 50 % des composés détectés. En aval de l’étang, les concentrations maximales (2,2 µg/L) ainsi que le nombre de composés détectés sont atténués. Le suivi annuel des volumes d’eau ainsi que des quantités de matières en suspension a permis de réaliser un bilan des flux amont/aval des contaminants, mettant en avant l’abattement de 74,2 % des quantités globales en PPP et TP. L’exploration des compartiments intra-étang met en évidence la présence majoritaire des TP dans la colonne d’eau et, selon les molécules, la diminution de leur concentration moyenne au cours du cycle piscicole avec des maximums observés lors des premières précipitations qui font suite aux périodes d’épandage sur les parcelles agricoles. De même, dans les sédiments, certains PPP et TP présentent des diminutions significatives de leurs concentrations moyennes au cours de ce cycle. Enfin, nous avons mis en évidence l’accumulation de prosulfocarbe chez trois espèces de poisson d’étang (C. carpio, S. erythrophthalmus et T. tinca) pendant le cycle piscicole, en lien avec la contamination constatée dans les sédiments de l’étang au cours de l’année.

Les résultats obtenus fournissent des données de référence sur l’occurrence des PPP/TP dans différentes matrices environnementales en tête de BV. Une réduction des concentrations en PPP an aval de l’étang a été confirmée. Ce travail de thèse a permis de mettre en évidence que cet abattement est observable aussi bien pour les formes dissoutes que particulaires des PPP étudiés mais également pour leurs TP dont l’occurrence s’est avérée déjà conséquente en amont de l’étang."

Référence : Le Cor François (2021), Etangs et qualité des cours d’eau de têtes de bassins versants agricoles : impact sur le devenir des pesticides et leurs produits de transformation, thèse doctorale, Université de Lorraine, École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

11/01/2023

Forte progression des espèces exotiques dans les communautés de poissons du Rhin (Le Hen et al 2023)

Gwendaline Le Hen et neuf collègues ont étudié la composition piscicole du Rhin supérieur en Allemagne, sur 35 ans de données. La tendance est marquée par la forte progression des espèces exotiques, qui représentent aujourd'hui 30% des espèces et 32% des individus, contre respectivement 5% et 0,1% au début des années 1980. Le changement climatique favorise cette évolution de la biodiversité qui modifie les traits fonctionnels des communautés biotiques. Ce phénomène de diversification des espèces de poisson, déjà généralisé dans les grands fleuves connectés et ayant tendance à s'accélérer, pose la question des conditions de référence et des objectifs de conservation que les politiques publiques choisissent en gestion de la biodiversité aquatique. De toute évidence, le vivant évolue rapidement à l'Anthropocène.


Voici le résumé du travail des chercheurs :

"Les poissons exotiques ont un impact considérable sur les communautés aquatiques. Cependant, leurs effets sur la composition des traits restent mal compris, en particulier à de grandes échelles spatio-temporelles. Ici, nous avons utilisé des données de biosurveillance à long terme (1984-2018) de 31 communautés de poissons du Rhin en Allemagne pour étudier les changements de composition et fonctionnels au fil du temps. 

La richesse communautaire totale moyenne a augmenté de 49 % : elle a été stable jusqu'en 2004, puis a diminué jusqu'en 2010, avant d'augmenter jusqu'en 2018. L'abondance moyenne a diminué de 9 %. Partant de 198 individus/m2 en 1984, l'abondance a largement décliné à 23 individus/m2 en 2010 (−88 %), puis a augmenté de 678 % jusqu'à 180 individus/m2 jusqu'en 2018. Les augmentations d'abondance et de richesse à partir de 2010 environ étaient principalement entraînée par l'implantation d'espèces exotiques : alors que les espèces exotiques représentaient 5 % de toutes les espèces et 0,1 % du total des individus en 1993, elles sont passées à 30 % (7 espèces) et 32 % des individus en 2018. Concomitant à l'augmentation des espèces exotiques , la richesse et l'abondance moyennes des espèces indigènes ont diminué de 26 % et 50 % respectivement. Nous avons identifié l'augmentation de la température, les précipitations, l'abondance et la richesse des poissons exotiques comme forces motrices de changements de composition après 2010. 

Pour mieux comprendre les impacts des espèces exotiques sur les communautés de poissons, nous avons utilisé 12 caractéristiques biologiques et 13 caractéristiques écologiques pour calculer quatre métriques de caractéristiques chacune. La dispersion des traits écologiques a augmenté avant 2010, probablement en raison de la diminution des espèces indigènes écologiquement similaires. Aucun changement dans les paramètres de trait n'a été mesuré après 2010, bien que les parts relatives des modalités de trait exprimées aient considérablement changé. Le changement observé dans les modalités des traits a suggéré l'introduction de nouvelles espèces portant des modalités de traits à la fois similaires et nouvelles. Nos résultats ont révélé des changements significatifs dans les compositions taxonomiques et caractéristiques suite aux introductions de poissons exotiques et au changement climatique. 

Pour conclure, nos analyses montrent des changements taxonomiques et fonctionnels du Rhin sur 35 ans, probablement indicatifs de changements futurs dans les services écosystémiques."

Discussion
L'introduction et la dispersion des espèces exotiques est un phénomène devenu commun sur les fleuves et rivières connectés, en Europe comme dans le reste du monde. Concomitamment, des espèces endémiques et spécialisées voient souvent leur population se restreindre, tant sous l'effet du changement climatique que sous la pression de compétiteurs dans leur niche trophique. Nous avions commenté une étude sur la Seine montrant que 46% des espèces de ce bassin sont désormais d'origine exotique, avec une accélération du phénomène depuis un siècle (voir Belliard et al 2021). L'analyse de Gwendaline Le Hen et de ses collègues sur le Rhin confirme les mêmes tendances, mais de manière plus accélérée et sur trois décennies seulement.

L'arrière-plan de la politique écologique des rivières en Europe est de conserver une biodiversité représentative des "conditions de référence" de chaque cours d'eau, selon les termes choisis par la directive européenne. Mais plus nous avançons dans la condition anthropocène – que ce soit ici le changement climatique ou le brassage des espèces – et plus cette idée d'un référentiel fixe de biodiversité ou de fonctionnalité des communautés biotiques paraît irréelle.

Référence : Le Hen G et al (2023), Alien species and climate change drive shifts in a riverine fish community and trait compositions over 35 years, Science of The Total Environment, 867, 161486

09/01/2023

Perturbation du cycle océanique du saumon atlantique (Vollset et al 2022)

Les saumons atlantiques connaissent une accélération de leur maturation et une réduction tendancielle de taille quand ils reviennent migrer en rivière, ce qui a des conséquences sur leur survie. Une étude norvégienne sur plus de 25 ans de suivi de dizaines de milliers de saumons suggère que cette évolution serait due au changement climatique affectant le plancton en zone arctique, où grossissent les saumons. Ce travail rappelle que la gestion des poissons migrateurs doit envisager l'avenir des populations en intégrant tous les facteurs causaux et les trajectoires probables des prochaines décennies.  


Des études sur la croissance du saumon atlantique ont déjà révélé que sa taille selon l'âge a diminué dans de grandes parties de l'Atlantique Nord-Est, parallèlement à une réduction de la survie, affectant particulièrement les populations du sud de l'Europe. Plusieurs travaux ont suggéré que ces changements pourraient être liés au réchauffement des océans et aux changements du fonctionnement de l'écosystème marin. Knut Wiik Vollset ont compilé des données sur la croissance des poissons individuels au cours de leur première année en mer, qui correspond au stade de vie appelé post-smolt, soit le suivi de plus de 52 000 saumons atlantiques sur 180 rivières à travers la Norvège, entre 1989 et 2016. 

Voici la conclusion à laquelle parvienne les chercheurs :

"Des données uniques sur la croissance de la longueur corporelle au cours des premiers mois en mer obtenues à partir de la lecture des écailles du saumon atlantique ont révélé une réduction brutale de la croissance en 2005 pour de nombreuses populations migrant à travers la mer de Norvège depuis le sud et le centre de la Norvège. Cette croissance réduite s'est accompagnée d'une baisse du nombre de saumons atlantiques qui sont retournés dans les rivières au cours de l'année suivante après avoir passé un an en mer (appelés saumons atlantiques à un seul hiver ou castillon). 

Notre analyse a révélé une diminution océanographique coïncidente de l'étendue des eaux arctiques dans la mer de Norvège. Cette diminution des eaux arctiques a entraîné un réchauffement d'environ 1°C de la température, ce qui était corrélé à une réduction de près de 50 % de l'abondance du zooplancton avant l'émigration des smolts de saumon atlantique des rivières vers les régions de la mer de Norvège. Une réduction soudaine de la croissance corporelle a également été observée chez le maquereau bleu suite à cette réduction du plancton. Une croissance réduite du saumon atlantique vers 2005 a également été observée en France et en Écosse, suggérant que les facteurs affectant les populations du sud de la Norvège ont affecté les populations de saumon dans une vaste zone géographique. 

Nous émettons l'hypothèse que le changement océanographique dans les eaux arctiques a provoqué un changement de régime synchrone entre les niveaux trophiques dans une vaste zone de l'océan Atlantique nord-est."


Ces graphiques montrent la simultanéité de divers phénomènes avec un changement apparent de régime autour de l'année 2005 : (A) Proportion de saumons atlantiques retournant sur les côtes norvégiennes pesant plus de 3 kg. (B) Proportion de saumons multi-mer-hiver (MSW) par rapport au nombre total de saumons revenant de l'océan Atlantique à différentes années vers l'Europe du Nord (en rouge) et du Sud (en bleu). (C) Proportion d'eau arctique dans la mer de Norvège en mai. (D) Température moyenne de la surface de la mer (SST) en mer de Norvège de janvier à mai. (E) Biomasse de zooplancton définie en grammes de poids sec par mètre carré. (F) Longueur du maquereau de 6 ans. 

03/01/2023

La directive européenne sur l’eau repose sur une fiction de rivière sans humain, sa réforme en 2027 est notre horizon d’action

La directive cadre européenne sur l’eau est l’une des plus importantes législations environnementales dans le monde. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ses fondements intellectuels ont été posés par une expertise très restreinte au sein de la Commission européenne, avec fort peu de débats politiques et de surcroît des désaccords scientifiques observables dès la naissance du texte. Car l'édifice normatif repose sur l’idée fausse que la rivière est un fait naturel séparé des humains et sur l’espoir insensé que l’on pourrait tendre très vite vers des masses d’eau sans impacts notables issus d’activités humaines. Cette idéologie naturaliste déjà datée en 2000 s’est cognée depuis vingt ans au réel, ce qui aboutit à l’échec des objectifs posés. Mais l’échec était inscrit dans la manière de penser la question de l’eau : c’est cela qu’il faut modifier d’ici 2027, terme de l’actuelle directive.


Le 22 décembre 2000 est une étape marquante dans l'histoire des politiques de l'eau en Europe : à cette date, la directive-cadre sur l'eau (DCE ou directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour l'action communautaire dans le domaine de la politique de l'eau) a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes et est entrée en vigueur.

La DCE prévoyait que toutes les «masses d’eau» superficielles (rivières, plans d’eau, estuaires) et souterraines (nappes) atteindraient un «bon état écologique et chimique» en 2015, avec deux périodes prorogatoires jusqu’en 2027 pour les cas où le bon état n’aurait pas été atteint dès 2015. 

La DCE est un échec, cet échec doit être analysé
Nous pouvons d’ores et déjà dire que la DCE est un échec car la plupart des pays ne parviennent pas aux objectifs fixés et les progrès au fil des rapportages tous les 5 ans sont très lents. De surcroît, l’état chimique est une notion assez artificielle dans la construction des indicateurs en vigueur car les polluants de synthèse ne sont pas réellement mesurés et suivis en routine sur toutes les masses d’eau (Weisner et al 2022).

Au-delà de cet échec, le problème est dans la conception même de la directive. La direction générale Environnement de la Commission européenne, travaillant avec un cercle restreint d’experts (d’inspiration plutôt naturaliste et de formation plutôt hydrobiologiste), a proposé dans les années 1990 un texte normatif dont la construction intellectuelle relève de l’écologie telle qu’on la concevait dans les années 1960. Les parlementaires et les chefs d’Etat ont accepté ce travail sans faire preuve à l’époque d’esprit critique. Une raison est sans doute parce que les thématiques écologiques sont assez techniques et que les élus ne se représentent pas forcément les conséquences de choix théoriques qui paraissent assez abstraits sur le papier. Une autre raison est que la démarche DCE, à défaut d’être sensée comme l’expérience le révélera, avait le mérite de repose sur l’idée d’indicateurs chiffrés et de calculs coût-bénéfice, un langage apprécié par les gouvernances technocratiques (Bouleau et Pont 2014).

En fait, la directive européenne sur l’eau repose sur une fiction et une utopie :
  • La fiction est celle d’une rivière sans impact humain et à l’équilibre comme modèle réplicable partout de la rivière «normale».
  • L’utopie est la capacité à (re-)produire de telles rivières à l’âge anthropocène, c’est-à-dire à l’époque où non seulement les bassins versants sont très occupés par les humains, mais où les cycle de l’eau, de carbone, des sédiments, de l’azote, du phosphore et bien d’autres sont dynamiquement modifiés sans espoir réaliste de changement brutal de cette modification (Steffen et al 2015).
On a axé la politique publique des cours d’eau et plans d’eau sur un schéma théorique très éloigné des conditions réelles, avec injonction de changer cette réalité sans mesure sérieuse de ce que cela impliquerait.

La « condition de référence » de la rivière, une construction intellectuelle hors sol
L’erreur de la DCE s’est matérialisée dans l’idée de «condition de référence» : l’Union européenne demande au gestionnaire publique d’évaluer l’état chimique et écologique du cours d’eau à partir d’une référence «normale», c’est-à-dire de ce qui est attendu pour ce cours d’eau. La normalité écologique s’apprécie à partir d’indicateurs biologiques choisis (poissons, insecte, plantes) indiquant que le milieu est en «bon» état. Mais le «bon» état équivaut en fait à des rivières très isolées des influences humaines: il a été demandé aux experts et gestionnaires de mesurer la biologie de rivières proches de conditions «vierges» de présence et influence humaines, puis de faire de cette mesure l’étalon de l’état à viser, même sur des rivières où l’humain est nettement plus intervenu – plus encore que la rivière elle-même, ou le plan d’eau, sur des bassins versants entiers où l’humain est plus ou moins présent, puisqu’un acquis de l’écologie aquatique est que les usages du bassin versant impacte la rivière, pas uniquement les usages de la rivière elle-même. 

La définition normative d’un « très bon statut écologique » formant la « condition de référence » d’une masse d’eau (rivière, plan d’eau, estuaire) est la suivante (annexe V 1.2):
« Il n'y a pas ou très peu d'altérations anthropiques des valeurs des éléments de qualité physico-chimiques et hydromorphologiques pour le type de masse d'eau de surface par rapport à celles normalement associé à ce type dans des conditions non perturbées.
Les valeurs des éléments de qualité biologique pour la masse d'eau de surface reflètent celles normalement associées à ce type dans des conditions non perturbées et ne montrent aucun signe de distorsion ou seulement très peu. »
La DCE a produit divers guides d’interprétation pour inciter le gestionnaire à suivre sa logique (voir ce lien pour les consulter). Il faut noter que la DCE prévoyait la possibilité de classer des masses d’eau comme «naturelles», «fortement modifiées» ou «artificielles», mais en laissant à chaque pays ou à chaque district hydrographique la liberté d’estimer cela. Alors que la logique eût voulu de classer quasiment tous les bassins européens comme fortement modifiés voire comme artificiels, la plupart des gestionnaires ont conservé une part prépondérante à des classements en masse d’eu «naturelle» – un choix qui entraîne automatiquement la « condition de référence » (donc avec peu d’impact humain) comme objectif pour cette masse d’eau. Soulignons au passage que la France a été particulièrement naïve (ou doctrinaire), l'administration ayant considéré à rebours des faits observables que 95% des masses d'eau superficielle du pays sont naturelles. D'autres pays ont été plus réalistes.

Les critiques scientifiques de l’idée de « référence » naturelle
Un travail très intéressant mené par deux chercheurs en science politique a montré que la genèse de la directive cadre européenne sur l’eau fut assez confuse (Loupsans et Gramaglia 2011). Dès l’origine, des chercheurs n’étaient pas d’accord sur son armature intellectuelle, certains y voyant un non-sens ou une vision très datée de l’écologie. Ces critiques sont exprimées dans plusieurs publications (par exemple Steyaert et Ollivier 2007, Dufour et Piégay 2009, Bouleau et Pont 2015, Linton et Krueger 2020 ), en particulier sur l’idée que des conditions de référence définies par une certaine taxonomie en biologie pourraient indiquer une direction réellement utile. Parmi les arguments principaux, on notera :
  • L’anthropisation (transformation humaine) des bassins versants européens est un processus de très long terme ayant commencé au néolithique, donc il est vain d’imaginer un état stable passé comme une référence.
  • L’influence humaine ne se limite pas au lit de la rivière, tout le bassin versant influe sur l’écologie du cours d’eau et donc tout le bassin versant serait censé retrouver une hypothétique niveau « de référence ».
  • Certaines évolutions comme le changement climatique engagent des modifications peu réversibles à court terme, mais avec des conséquences majeures sur les déterminants des peuplements aquatiques (hydrologie, température). Il en va de même pour l'introduction d'espèces exotiques qui rebattent durablement les cartes des communautés biotiques.
  • L’ontologie sous-jacente de la DCE sépare et oppose l’humain et le non-humain, la société et la nature, l’histoire et le vivant. Or ce mode de pensée ignore la réalité hybride de l’eau où les humains depuis toujours interagissent avec leurs milieux de vie.
Horizon 2027 pour le mouvement des ouvrages hydrauliques et des riverains
Le cas de l’ouvrage hydraulique (formant moulin, étang, plan d’eau, lac de barrage…) a agi en France comme un révélateur des contradictions et limites de la DCE. Dans ce cas particulier, revenir aux «conditions de référence» de la rivière signifie détruire ses ouvrages.  Mais ceux-ci sont les témoins et héritiers de deux millénaires de modification des écoulements pour diverses motivations : énergie, irrigation, eau potable, régulation de crue, agrément, etc. Ces usages ne vont certainement pas disparaître au 21e siècle, d'autant que la question climatique rend l'eau plus critique que jamais pour la société.

L’ouvrage hydraulique a aussi été le cristallisateur de la contestation sociale, car son bâti et ses paysages font l’objet d’un attachement riverain. On en est venu à se poser la question : quelle rivière voulons-nous? Et celles qui suivent naturellement : qui décide de la rivière que nous sommes censés vouloir? Et pourquoi au juste? Les destructions d’ouvrages et d’usages objets d’un attachement riverain ont donc mené à une conscientisation critique des citoyens et une déconstruction de récits technocratiques affirmant la «condition de référence».

La DCE 2000 arrivera en 2027 à l’échéance de ses actions prévues, et devra alors être révisés. Le processus a déjà commencé. Comment éviter que se reproduisent aujourd'hui les mêmes erreurs que dans la décennie 1990? Voici quelques pistes de travail – un travail qui commence maintenant, vu le temps d’évolution des superstructures publiques et le fort conservatisme qui y règne. 

Rendre plus transparente, diverse et inclusive l’expertise
Le mode de fonctionnement technocratique donne une place importante aux experts (ici de la DG Environnement de la Commission) qui conçoivent des normes de manière assez isolée des élus et des citoyens, voire d’autres experts de disciplines connexes mais non mobilisées. Ce n’est pas satisfaisant : l’essentiel du travail se fait dans cette phase d’expertise : comme le résultat a une forte technicité et complexité, les élus peinent ensuite à s’approprier et modifier les textes dans le travail parlementaire normal de discussion des orientations publiques. Le premier objectif est donc de sortir de cet entre-soi trop opaque pour que les travaux préparatoires soient connus, médiatisés. Qu’ils soient aussi inclusifs de certaines expertises qui seraient ignorés dans les phases de discussion initiale, alors que ces expertises sont pertinentes. Le duopole actuel d’une vision uniquement écologique et économique de la rivière ignore la dimension sociale, culturelle et historique.

Politiser l’expertise
Les choix technocratiques de l’Union européenne tendant à avancer deux manières de dépolitiser. D’une part, la référence à «la nature» serait universelle et au-dessus des débats par son simple énoncé (procédé de naturalisation). D’autre part, les «sciences de la nature» diraient à la fois ce qu’il faut connaître (fonction explicative) et ce qu’il faut faire (fonction prescriptive). Or, il n’en est rien. Il existe des appréciations sociales divergentes de la nature. Au sein des disciplines scientifiques, il existe des paradigmes et des angles de recherche qui sont en eux-mêmes porteurs de certains biais a priori. Tout cela doit être dit dans la phase de discussion démocratique des textes normatifs, avec le souci d’assurer un réel pluralisme (des visions de la nature, des sciences et expertises mobilisées au sujet de la nature). Le mot «politiser» ne signifie pas ici qu’il faire de la politique politicienne, mais qu’il faut assumer l’existence de divergences sur les visions de l’eau et l’existence de préférences, y compris parfois au sein d’une expertise que l'on se représente comme «neutre». 

Poser l’eau hybride comme norme
Au cœur de l’édifice normatif de l’actuelle DCE, il y a le refus de considérer l’eau comme un fait hybride nature-culture et la volonté de la définir comme un fait naturel où l’humain serait un intrus. C’est ce point qu’il faut travailler en priorité au plan intellectuel et programmatique : un texte normatif doit reconnaître que le destin des rivières et plans d’eau est la co-évolution avec les sociétés humaines hier, aujourd’hui et demain, que les options de « renaturation » ne sont pas des retours à un hypothétique Eden perdu ni des directions nécessaires pour tous les cours d’eau mais des choix de fonctionnalités qui restent localement décidés par les humains. 

Poser la subsidiarité comme règle
Au plan de la gouvernance, les citoyens sont de plus en plus rétifs à des règles trop précises décidées trop loin du terrain. L’extraordinaire diversité des configurations de l’eau – non seulement par le fait naturel de l’organisation en réseau des cours d’eau dans des contextes géologiques, hydrologiques, biologiques et climatiques très différents, mais aussi par le fait culturel de la pluralité des appropriations humaines de l’eau dans l’histoire – doit se refléter dans une gouvernance qui édicte moins de normes au sommet et laisse davantage de libertés de choix à la base. Ce principe de subsidiarité fait au demeurant partie des règles européennes, mais il tend à être subverti par le désir de contrôle des administrations centrales. 

Pour affirmer ces positions à Bruxelles, le mouvement des ouvrages hydrauliques et des riverains devra s’organiser au niveau européen, se doter d’outils de contacts et d’influence auprès des décideurs, se trouver des alliés et mobiliser les citoyens afin qu’ils exercent une pression de transparence sur les exercices bien trop confidentiels et fermés d’expertises. Vaste travail collectif en vue. Hydrauxois en sera un acteur. 

24/12/2022

Quelques remarques critiques sur l’accord de Kunming Montréal à la COP 15 de la biodiversité

Un accord international guidant les politiques de biodiversité vient d’être signé au Canada, à l’occasion de la COP 15 de la biodiversité. Quelques analyses critiques sur ces déclarations qui semblent manipuler des concepts détachés des réalités, passer sous le tapis l’autocritique des échecs passés, additionner des directions contradictoires sans méthode ni cohérence.  


On appelle COP les «conférences de parties» autour des grands traités environnementaux sur le climat et l’énergie. La COP 15 de la Convention sur la biodiversité biologique vient de s’achever au Canada. Beaucoup ont salué l’accord final de cette COP 15 comme un succès inespéré (téléchargez ici le pdf en français de cet accord dit de Kunming Montréal). D’autres sont davantage sceptiques sur le réalisme de l’accord et sur la capacité à le traduire en actes dans les politiques publiques nationales, d’autant que les objectifs sont seulement indicatifs et non contraignants.  

Les objectifs d’Aïchi 2020 n’ont jamais été atteints, sans analyse critique des causes de l’échec
A l’appui des sceptiques, il faut d’abord rappeler que l’accord de Kunming-Montréal signé à la 15e COP en 2022 fait suite à un précédent engagement datant de plus de 10 ans et ayant largement échoué à se réaliser.

La précédente déclaration internationale d’importance pour la biodiversité était les «Objectifs d'Aichi» (au nombre de vingt), qui formait le «Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020», adopté par les parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB) en octobre 2010. Or ces objectifs n’ont pas du tout été atteints en 2020

Quand une politique publique échoue, elle devrait déjà consacrer un exercice sincère et transparent d’analyse des causes de l’échec et de débat sur la capacité ou non à surmonter ces causes. Ce n’est pas vraiment le cas : on voit des déclarations succéder à des déclarations sans explication sur les échecs passés ni les capacités d’assurer les réussites futures. C'est démobilisateur car on entretient un effet «langue de bois» où les mots perdent leur sens et les élites leur crédibilité. 

Nous avons déjà vécu le même phénomène avec le climat, sujet traité de manière plus pressante que la biodiversité : les COP se succèdent avec des promesses toujours plus fortes, mais après un quart de siècle de ces COP, l’énergie fossile représente toujours 80% de l’énergie finale consommée par les humains et des records d’émission de CO2 sont toujours battus. Le fossé entre les déclarations et les actes finit par entraîner une radicalisation d'une partie de la population, ainsi que des difficultés pour les gouvernants faisant des promesses qu'ils ne savent pas matériellement tenir. 

Les causes identifiées de perturbation de la biodiversité exigeraient une décroissance rapide du volume de l’économie
La déclaration de Kunming-Montréal de 2022 énonce en liminaire : «Les facteurs directs de changement dans la nature ayant le plus d'impact au niveau mondial sont (en commençant par ceux qui ont le plus d'impact) les changements dans l'utilisation des terres et de la mer, l'exploitation directe des organismes, le changement climatique, la pollution et l'invasion d'espèces exotiques.»

C’est un reflet de ce que dit la littérature scientifique, mais cette énumération concerne en fait l’ensemble des activités humaines d’extraction, production et échange. Ce n'est pas exactement un détail...

Il n’existe pas d’économie en croissance ou en développement sans usage d’énergie, de matières premières, donc de surface maritime ou continentale. C’est bien l’activité économique (plus ou moins couplée à des demandes sociales) qui conduit à utiliser des terres et des mers, à exploiter des ressources naturelles dont des espèces sauvages, à changer le climat par usage d’énergie fossile et déforestation, à émettre des pollutions diverses et, involontairement, à permettre à des espèces exotiques de franchir des barrières naturelles pour s’installer dans de nouveaux milieux. Le cadre de Kunming-Montréal ne remet pas en cause ce développement humain : «Reconnaissant la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement de 1986, le cadre permet un développement socio-économique responsable et durable qui, en même temps, contribue à la conservation et à l'utilisation durable de la biodiversité.»

Or, dans un contexte de hausse démographique attendue jusqu’en 2050 au moins, voire 2100, et alors que les trois-quarts des humains n’ont pas atteint le niveau de vie moyen des pays déjà développés, aucune «recette» n’est donné pour rendre réellement compatible l’économie et l’écologie, la transformation de la nature pour créer des richesses et la protection de la nature pour préserver sa biodiversité. Les propositions qui sont faites (protéger des importantes quantités de surface et y interdire les perturbations, réduire l’usage de pesticides et de nutriments, revenir à une exploitation bien plus raisonnable des espèces sauvages, etc.) sont plutôt dépressives pour l’économie si elles sont appliquées sérieusement du point de vue de l’écologie. Mais sans l’assumer : mauvaise habitude d’additionner des choses contradictoires en fuyant l’affrontement intellectuel avec les contradictions. On peut penser que cet évitement des sujets qui fâchent est à l’origine de l’échec des objectifs d’Aichi et risque de mener à la même issue pour les objectifs de Kunming-Montréal.

Nous rappelons ci-dessous quelques-unes des courbes de l’Anthropocène dans la publication de Steffen 2015 que nous avions recensée. Il faudrait que presque toutes ces courbes connaissent une nette inflexion vers le bas au cours de la présente décennie. Est-ce crédible? Est-ce réaliste?



Des concepts à foison, sujets à interprétations et conflits
Un autre point ambigu concerne les concepts utilisés dans l’accord. Ainsi il est dit que «l'intégrité, la connectivité et la résilience de tous les écosystèmes sont maintenues, améliorées ou restaurées, ce qui accroît considérablement la superficie des écosystèmes naturels d'ici à 2050». Ou bien encore : «La biodiversité est utilisée et gérée de manière durable et les contributions de la nature aux populations, y compris les fonctions et les services des écosystèmes, sont valorisées, maintenues et renforcées, et celles qui sont en déclin sont restaurées, ce qui favorise la réalisation du développement durable, au profit des générations actuelles et futures d’ici à 2050.»

Il est un peu inquiétant qu’un texte juridique, censé être sobre en mots et clair en intentions, se permette une telle profusion de concepts. La notion d’intégrité date plutôt de l’écologie des années 1970-1980, elle est moins usitée aujourd’hui car les écosystèmes sont dynamiques et on doit éviter l’illusion que leurs espèces et populations sont stables dans le temps – en particulier à l’Anthropocène où les forces de changement impulsées par la société industrielle vont continuer à exercer leurs effets à différents échelles de temps et d’espace. Les fonctions et services liés aux écosystèmes peuvent donner lieu à des interprétations diverses, en particulier s’ils s’opposent à l’idée d’une «valeur intrinsèque» de la nature et permettent des exploitations ayant des effets perturbateurs malgré tout.

L’accord admet aussi un pluralisme des visions de «la nature» – ce qui en soi une bonne chose car on ne voit pas pourquoi un concept aussi lourd que «la nature» ferait d’objet d’un discours mono-interprétatif chez les humains, fut-ce un discours scientifique –, mais l’accord ne fixe pas les conditions d’exercice de ce pluralisme : «La nature incarne différents concepts pour différentes personnes, notamment la biodiversité, les écosystèmes, la Terre nourricière et les systèmes de vie. Les contributions de la nature aux personnes incarnent également différents concepts, tels que les biens et services des écosystèmes et les dons de la nature.» Comment s’articulent le débat démocratique et la conservation écologique ? Comment passe-t-on du discours (technique, scientifique) des faits naturels aux échanges (philosophiques, politiques, symboliques, existentiels) sur les interprétations et valeurs attachées aux faits naturels? Comment évite-t-on dans les sociétés occidentales et parfois ailleurs l’actuel «scientisme» ou «technocratisme» où la politique de biodiversité semble se résumer à l’avis d’experts sur la biodiversité au lieu que cet avis ne soit qu’un des éléments du débat ? Même pour les discours d’expertise, comment améliore-t-on le manque énorme de données locales et de modèles du vivant, alors que la biodiversité (contrairement au climat) est toujours le fait de choix contextuels et contingents, concernant des lieux précis dans des dynamiques précises?

30% d'espaces protégés en 2030.... faire presque autant en dix ans qu'on en a fait en demi-siècle? 
Dans les ambiguïtés, la mesure phrase de protection de 30% des milieux ne dit pas comment ces milieux doivent être gérés bien que soient mentionnés leur «utilisation durable» et les «droits … des communautés locales» : «Faire en sorte et permettre que, d'ici à 2030, au moins 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines, en particulier les zones revêtant une importance particulière pour la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques, soient effectivement conservées et gérées par le biais de systèmes d'aires protégées écologiquement représentatifs, bien reliés et gérés de manière équitable, et d'autres mesures efficaces de conservation par zone, en reconnaissant les territoires autochtones et traditionnels, le cas échéant, et intégrés dans des paysages terrestres, marins et océaniques plus vastes, tout en veillant à ce que toute utilisation durable, le cas échéant dans ces zones, soit pleinement compatible avec les résultats de la conservation, en reconnaissant et en respectant les droits des peuples autochtones et des communautés locales, y compris sur leurs territoires traditionnels.» 

Les expériences en écologie de la conservation (ou de la restauration) montrent de fréquents conflits sociaux entre les aspirations des populations locales et les injonctions propres à la gestion de biodiversité souvent décidées par des expertises éloignées du territoire (voir Blanc 2020). En excès inverse, certains parcs naturels offrent des "protections de papier" que ne protègent pas grand chose (même avec cette légèreté, il a fallu 60 ans pour passer de 2 à 17% des zones officiellement protégées, ce qui rend douteux de passer de 17 à 30% en quelques années). 

En outre, la restauration écologique de milieux dégradés reste une discipline expérimentale, qui coûte rapidement de l’argent si un foncier important est concerné, qui n’a pas toujours de bons retours d’expérience, qui manque le plus souvent de données et de modèles pour être sûre de sa compréhension des écosystèmes locaux, qui n’est pas encore mûre pour devenir une pratique banale à résultats garantis sans mauvaises surprises et sur de larges surfaces. Etendre tout cela (conservation et restauration) à 30% des espaces en 10 ans paraît bien trop optimiste. Et la biodiversité ordinaire des 70% d’espaces restant n’a pas vraiment de guide dans ce schéma.

Conclusion
Face au risque élevé d’extinction d’espèces et de perte de services écosystémiques utiles, il est normal que la biodiversité figure dans les politiques publiques – ce qui était déjà le cas (timidement) sous le nom de "protection de la nature" au 20e siècle. Mais le sujet est trop confiné dans des cercles spécialisés, pas assez confronté à diverses contradictions avec notre système de production, pas assez ouvert au débat démocratique sur les natures que désirent en dernier ressort les citoyens.

20/12/2022

L'échec français de la continuité des rivières par destruction de seuils et barrages, une leçon pour l'Europe

Dans les années 2000 et surtout 2010, la France est le premier pays européen à avoir testé une politique systématique de destruction des ouvrages des cours d'eau par pressions financières et règlementaires en ce sens. Une controverse est née immédiatement autour d'ouvrages présentant un fort attachement riverain et certains usages comme les moulins, les étangs, les plans d'eau, les lacs de barrage ou les canaux. Le résultat du choix français de prime à la destruction des ouvrages hydrauliques est un échec social, écologique, juridique et politique, avec de fortes contestations et la délégitimation d'une politique publique de l'eau. Alors que l'Europe songe à engager une "restauration de la nature" fondée sur la même idéologie en ce qui concerne les rivières, nous constatons que ses décideurs ne sont pas informés des controverses et que les experts naturalistes conseillant la Commission ne manifestent guère d'intérêt pour les enjeux riverains ni pour l'examen concret des résultats dans les rivières aux ouvrages détruits. La négation des retours d'expérience ne produira que des confusions évitables. Avec la coordination Eaux et rivières humaines, nous proposons un dossier d'information en langue française et anglaise pour que les décideurs européens développent une pensée critique sur le sujet.








18/12/2022

Les pesticides sous-évalués dans la mise en œuvre de la directive cadre européenne sur l’eau (Weisner et al 2022)

En échantillonnant des cours d’eau de zones agricoles, des chercheurs montrent que la mise en œuvre de la directive cadre sur l’eau minore largement la pollution des rivières par les pesticides. Ils proposent de changer les méthodologies pour avoir une mesure plus juste du poids des toxiques dans les impacts aquatiques. Leur étude est allemande, mais les mêmes problèmes se posent en France et dans les autres Etats-membres. Alors que toutes les analyses en hydro-écologie quantitative ont montré que les pollutions et les usages des sols du bassin versant sont les deux premiers prédicteurs de mauvaise qualité écologique d’une masse d’eau, trop de gestionnaires publics divertissent l’attention sur des sujets très secondaires. 


La directive cadre européenne sur l’eau 2000 a exigé de tous les Etats-membres une analyse par indicateur de la qualité chimique et écologique des cours d’eau, des plans d’eau, des estuaires et des nappes. Mais encore faut-il que les indicateurs soient corrects. Oliver Weisner et huit collègues viennent de montrer que l’analyse de la présence des pesticides dans l’eau est défaillante.

Voici le résumé de leur étude

« La directive-cadre sur l'eau (DCE) exige qu'un bon état soit atteint pour toutes les masses d'eau européennes. Alors que la surveillance gouvernementale dans le cadre de la DCE conclut principalement à un bon état de la pollution par les pesticides, de nombreuses études scientifiques ont démontré des impacts écologiques négatifs généralisés de l'exposition aux pesticides dans les eaux de surface. 

Pour identifier les raisons de cet écart, nous avons analysé les concentrations de pesticides mesurées lors d'une campagne de surveillance de 91 cours d'eau agricoles en 2018 et 2019 en utilisant des méthodologies qui dépassent les exigences de la DCE. Cela comprenait une stratégie d'échantillonnage qui prend en compte l'occurrence périodique des pesticides et un spectre d'analytes différent conçu pour refléter l'utilisation actuelle des pesticides. Nous avons constaté que les concentrations acceptables réglementaires (RAC) étaient dépassées pour 39 pesticides différents dans 81 % des sites de surveillance. En comparaison, la surveillance conforme à la DCE des mêmes sites n'aurait détecté que onze pesticides comme dépassant les normes de qualité environnementale (NQE) basées sur la DCE sur 35 % des sites de surveillance. 

Nous suggérons trois raisons pour cette sous-estimation du risque lié aux pesticides dans le cadre de la surveillance conforme à la DCE : 
(1) L'approche d'échantillonnage - le moment et la sélection du site sont incapables de saisir de manière adéquate l'occurrence périodique des pesticides et d'enquêter sur les eaux de surface particulièrement sensibles aux risques liés aux pesticides ; 
(2) la méthode de mesure - un spectre d'analytes trop étroit (6 % des pesticides actuellement autorisés en Allemagne) et des capacités analytiques insuffisantes font oublier des facteurs de risque; 
(3) la méthode d'évaluation des concentrations mesurées - la niveau de protection et la disponibilité de seuils réglementaires ne suffisent pas à assurer un bon état écologique. 

Nous proposons donc des améliorations pratiques et juridiques pour améliorer la stratégie de surveillance et d'évaluation de la DCE afin d'obtenir une image plus réaliste de la pollution des eaux de surface par les pesticides. Cela permettra une identification plus rapide des facteurs de risque et des mesures de gestion des risques appropriées pour améliorer à terme l'état des eaux de surface européennes. »

Discussion
Le problème pointé ici en Allemagne est répandu dans toute l’Europe (voir nos articles sur les pollutions par pesticides). Les chercheurs admettent qu’il circule bien davantage de substances toxiques que celles «officiellement» et occasionnellement mesurées sur les points de contrôle de la DCE. Le problème ne concerne d’ailleurs pas que les pesticides (par exemple les microplastiques et les médicaments sont mal cernés), ni que l’eau (les sédiments sont aussi contaminés).

Cette sous-estimation pose un problème évident dans la construction des politiques publiques. L’objectif de bonne qualité écologique de l’eau suppose que l’on mesure et pondère correctement ce qui affecte la vie aquatique. Or, si un facteur connu comme nuisible au vivant est ignoré ou minimisé, cela fausse les analyses, les conclusions et les orientations d’action.  Aujourd’hui, les études d’hydro-écologie quantitative comparent l'état de nombreuses rivières en fonction des impact connus de leur bassin versant, afin de hiérarchiser ces impacts et de définir les plus délétères. La pollution chimique y est souvent estimée à partir des marqueurs nitrates et phosphates, faute de données suffisantes sur d’autres substances. Même avec cette limitation, ces études concluent déjà que la pollution est (avec l’usage des sols du bassin versant) le premier prédicteur de dégradation écologique. D’autres causes qui sont souvent mises en avant par des gestionnaires publics (comme la morphologie et, en particulier, les ouvrages hydrauliques) n’ont qu’un poids faible sur les différences écologiques entre masses d’eau, au moins telles que les mesure la DCE. 

Référence : Weisner O et al (2022), Three reasons why the Water Framework Directive (WFD) fails to identify pesticide risks, Water Research,  208, 117848

16/12/2022

La LPO ne laissera pas assécher l'étang du Pont de Kerlouan au nom de la continuité écologique

Le dogme de la continuité écologique des rivières conduit partout en France à assécher des étangs, des plans d'eau, des canaux et leurs marges humides, au nom du retour à une hypothétique "naturalité". Mais dans les faits, cela concerne des milieux en place depuis des décennies à des siècles, ayant été colonisés par le vivant et présentant parfois de l'intérêt pour la faune et la flore. En Bretagne, la tentative de destruction de l'étang du Pont de Kerlouan vient de rencontrer l'opposition de l'antenne locale de la LPO, qui souligne la présence de 112 espèces d'oiseaux dont 57 patrimoniales et 36 protégées. Le bureau d'études en charge de certifier l'intérêt du projet pour la biodiversité n'avait curieusement rien vu... Mais pour un site étudié par des amoureux des oiseaux, combien d'autres plus modestes ont été négligés et condamnés au terme d'une instruction bâclée et à charge?  



Les défenseurs du site soulignent ses multiples intérêts (source). 

Depuis quelques années, un projet d'imposition de la continuité écologique est porté sur le ruisseau du Quillimadec, à hauteur de l'étang du Pont sur la commune de Kerlouan, malgré l'avis négatif de nombreux riverains attachés au site (voir cet article de 2021 et la pétition des citoyens). 

Aujourd'hui, les protecteurs de l'étang et de ses marges humides viennent de trouver un allié de poids : la ligue de protection des oiseaux.

Nous publions ci-après un extrait de la lettre de la LPO à la Communauté Lesneven Côtes des Légendes, porteur du projet.

"Datant probablement du 19ème siècle, l'étang du Pont a été créé sur le cours d'eau du Quillimadec. Les ouvrages hydrauliques situés en aval de l'étang, liés à l'histoire du site et l'activité meunière, entravent aujourd'hui la libre circulation des poissons et des sédiments. Identifié comme cours d'eau à intérêt pour les grands migrateurs, l'enjeu actuel imposé par la DCE1 est de rétablir la continuité écologique du Quillimadec. Le bureau d'études SINBIO, missionné sur ce dossier a rendu son rapport et présenté 5 scénarios et ses variantes pour répondre à l'enjeu précité. La majorité des acteurs consultés se sont positionnés en faveur du scénario 1 présenté par le bureau d'études SINBIO, soit l'effacement de l'étang et le reméandrage du cours d'eau ; choix validé par les élus communautaires en octobre 2021 d'après la presse.

Il s'avère en effet que dans de nombreux cas d'étangs sur cours d'eau, ce choix technique est pertinent pour de multiples raisons que la LPO Bretagne partage. Cependant dans le cas de l'étang du Pont, il nous apparaît que les conséquences de ce scénario sur la biodiversité n'ont pas été correctement évaluées. Nous faisons en effet le constat que le dossier ne prend pas suffisamment en compte les implications du projet sur les milieux naturels impactés et sur l'ensemble des espèces présentes. Or, le site concentre de forts enjeux pour l'avifaune nicheuse et migratrice, qui semblent avoir été totalement oubliés.

Les études naturalistes réalisées par Bretagne Vivante ont ainsi démontré que le site de l'Étang du Pont est un « site original et attractif en l'état pour les oiseaux». Sur la période 2019-2020, 112 espèces d'oiseaux ont été recensées sur le site dont 57 patrimoniales ou indicatrices et 36 autres intégralement protégées.

Il est donc absolument nécessaire que le projet intègre à sa réflexion les enjeux liés à l'avifaune nicheuse, laquelle comporte notamment un cortège très spécifique d'oiseaux paludicoles, présentant des enjeux de conservation (espèces inféodées aux étendues de roselières, cariçaies, mégaphorbiaies), mais aussi les enjeux liés à l'avifaune migratrice et hivernante, très riche et originale sur le site, et qui exploite les surfaces de vasière et d'eaux peu profondes.

La restauration du lit naturel du cours d'eau, telle que prévue, bouleverserait les habitats naturels en place, et de fait, les cortèges faunistiques associés. Ce phénomène n'est pas décrit dans le dossier.

Par ailleurs, il est constaté que le projet d'effacement de l'étang s'accompagne de la création de mares, qui vise à recréer des niches écologiques intéressantes. Cependant, cette mesure condui­rait à un fractionnement des habitats naturels dont dépendent des espèces à enjeux de conserva­tion aujourd'hui présentes. Certaines de ces espèces à enjeux de conservation ne se reporteront pas sur les espaces humides plus petits et moins homogènes que sont les mares. Par ailleurs la pérennité de ces mares n'est pas garantie, elles seront très vite colonisées par le saule et natu­rellement comblées en quelques années. La création de mares ne compenserait donc pas les ha­bitats humides en place aujourd'hui, et conduirait à un appauvrissement et à une banalisation du milieu naturel.

On ne peut donc pas résumer le scénario 1 à « un gain de biodiversité », comme cela est présenté actuellement, car il convient de bien considérer la perte des habitats occasionnée pour de nom­breuses espèces protégées. La LPO Bretagne craint donc au contraire que ce projet, en l'état, soit facteur d'une baisse notable de biodiversité sur le site.

Il est en outre à noter que lors d'échanges que nous avons partagés avec des riverains, il semble­ rait que toutes les pistes n'aient pas été explorées à ce jour: la restauration du lit mineur, l'exis­tence d'une échelle à poissons à réhabiliter, la piste d'entretien de l'étang par pompage dans un puits à sédiments avant l'exutoire, etc..

C'est pourquoi, au regard des éléments énoncés en substance, la LPO Bretagne demande à relan­cer le débat avec l'ensemble des acteurs afin de trouver une issue technique qui n'oppose surtout pas la faune piscicole et l'équilibre de la rivière à l'avifaune. Elle alerte par ailleurs le porteur de projet et les autorités sur la nécessité de déposer une demande de dérogation espèces protégées dans l'hypothèse où le scénario 1 serait mis en œuvre et de présenter le cas échéant des mesures d'évitement, de réduction et/ou de compensation."

Commentaire
Le déni de l'intérêt des milieux aquatiques et humides créés par les ouvrages hydrauliques est un véritable scandale public, qui a déjà abouti à la disparition de milliers de sites dans la plus grande indifférence des services officiels de la biodiversité. 

Partout en France, on a détruit et asséché des retenues, de plans d'eau, des canaux, parfois vieux de plusieurs siècles, sans aucune étude sérieuse de leur biodiversité aquatique et terrestre. Tout cela au nom de deux dogmes qui dominent trop souvent les instructions : un milieu artificiel ne peut pas être intéressant par principe (position de nombreux agents instructeurs de l'OFB et de techniciens de syndicats de rivière); l'enjeu essentiel est censé être le retour à des rivières lotiques pour des poissons de milieux lotiques (position de diverses fédérations de pêche qui prétendent monopoliser la définition des milieux d'intérêt, en particulier en zone salmonicole). 

Nous avons maintes fois alerté les services de l'Etat, diffusé des dossiers montrant que des chercheurs soulignent la nécessité d'étudier la faune et la flore des habitats anthropiques avant d'intervenir. En vain dans la plupart des cas. Notre association est toujours en contentieux concernant la destruction de l'étang de Bussières, en Bourgogne, malgré l'intérêt de ses habitats et la présence d'espèces patrimoniales.

Désormais et fort heureusement, le conseil d'Etat a rétabli la nécessité de l'étude d'impact et de l'enquête publique avec d'imposer des solutions perturbant un site. Nous appelons évidemment tous les citoyens à recenser l'ensemble des services écosystémiques associés aux plans d'eu et canaux, ainsi qu'à inventorier leur faune et leur flore pour répondre au déni des services instructeurs et de certains lobbies.

13/12/2022

L’Europe va-t-elle voter en catimini la destruction en série des barrages, moulins, étangs, retenues, canaux et plans d’eau ?

La règlementation Restore Nature, inspirée à la commission européenne par les lobbies et experts militant pour le retour à la rivière sauvage, prévoit comme seule option sur les cours d’eau concernés la destruction des ouvrages hydrauliques. Ce choix radical a pourtant déjà mené à des conflits, contentieux et condamnations en France, pays qui a tenté d’en faire l’essentiel de sa politique publique des ouvrages en 2010, avant d’abandonner. Nous appelons les députés européens à mener leur travail politique d’analyse critique des positions bien trop radicales de la commission sur ce sujet, d’autant qu’elles viennent d’être aggravées et non améliorées par le rapporteur environnement du Parlement. L’eau et l’énergie sont des dimensions critiques pour les populations européennes , elles vont le devenir de plus en plus au cours de ce siècle. L'avenir des ouvrages hydrauliques se réfléchit à la lumière de ces enjeux. Quant à la négation de six millénaires de relations humaines aux rivières au nom d’une vision théorique de la nature déshumanisée, c’est un choix idéologique n’ayant certainement pas vocation à inspirer une politique publique à échelle du continent. Une réécriture plus démocratique, plus intelligente et plus inclusive du texte est indispensable.


La commission environnement du parlement européen vient de rendre un premier rapport préliminaire d’évolution de la règlementation «Restore Nature» (lien pdf).

Nous sommes au regret de constater que le rapporteur principal Cesar Luena (S&D, Espagne) n’a pour le moment tenu aucun compte de nos observations faites sur les défauts du texte de la commission concernant la restauration de rivière, et qu’il les a même aggravés.

Rappelons que cette règlementation européenne, dans son article 7, propose la seule «destruction d’obstacle» comme outil de restauration de rivière. Concrètement, détruire les barrages, seuils, chaussées, digues, assécher leurs milieux aquatiques attenants, faire disparaître leur patrimoine paysager et culturel, éliminer leurs usages sociaux. Ce choix est navrant par sa radicalité, car il correspond aux seules demandes des lobbies intégristes du retour à la rivière sauvage – lobbies soutenus par une fraction de la recherche en écologie de la conservation, qui est sur cette même ligne idéologique (mais qui ne résume évidemment et heureusement pas tout ce que les sciences peuvent dire des ouvrages hydrauliques). Il est possible de restaurer des fonctionnalités au droit d’un ouvrage en rivière par des mesures de gestion ou d’équipement, options qui doivent donc figurer dans le texte de la réglementation. La destruction doit être l'exception, pas la norme.

Par ailleurs, si le texte actuel rappelle que la mesure est censée concerner des sites «obsolètes» sans usage d’énergie ou de stockage d’eau, il oublie de nombreuses dimensions qui ont été soigneusement niées par les lobbies (et parfois les experts) : existence d’habitats anthropiques d’intérêt sur les  sites anciens , patrimoines locaux, régulation de crues et sécheresses, etc. L’ajout fait par Cesar Luena et deux co-rapporteurs tend même à aggraver le texte initialement proposé par la Commission, puisqu’il inclut désormais sans réserve d’usage des «barrières dont la suppression a un fort impact écologique». C’est notamment ici la demande du lobby naturaliste WWF, de Dam Removal et de quelques autres acteurs ne faisant pas mystère de leur souhait de détruire des barrages même s’ils produisent de l’hydro-électricité ou assurent des stocks d’eau. Un choix qui indigne le citoyens partout où il est proposé.

Nous allons bien évidemment appeler les parlementaires européens à revenir à la raison. Un dossier consacré à l’échec français en matière de continuité écologique commence à leur être diffusé (il sera bientôt disponible sur ce site). 

Ce texte européen  se veut un banc d’essai sur quelques dizaines de milliers de kilomètres de rivières à restaurer, avec une amplification après 2030. Il doit partir sur des bonnes bases :
  • L’Europe affrontera des besoins critiques en eau et en énergie, qui doivent avoir primauté normative non ambigüe sur les options de «ré-ensauvagement» des milieux aquatiques.
  • Les tentatives d’imposer aux populations locales des solutions uniques décidées par des technocraties lointaines échouent partout, elles se traduisent par des injustices territoriales et par une régression de la perception de l’écologie.
  • Les rivières européennes sont des réalités anthropisées depuis 6 millénaires, tandis que le réchauffement climatique est en train de changer les conditions de tous les systèmes aquatiques. Il est donc simpliste et même aberrant de faire encore croire aux citoyens qu’une «nature» se «restaure» dans un état antérieur sous prétexte que tel ouvrage est ou non présent.
  • L’obsession du retour à une nature pré-humaine peut aussi se traduire par la destruction d’habitats anthropiques d’intérêt, cette issue doit donc être clairement traitée par le droit en exigeant des inventaires préalables complets de biodiversité sur site, en interdisant des perturbations ne correspondant à aucun intérêt public réel, ou ayant des alternatives meilleures. 
  • Il est tout à fait possible de préférer des aménagements de tronçons de rivière en vue d’avoir une  haute «naturalité» (entendue comme faible impact humain), mais un tel choix doit relever des préférences locales au cas par cas, avec justification forte et adhésion réelle. Un tel choix constitue par ailleurs lui aussi et en dernier ressort un aménagement anthropique (la création d’un certain type de paysage fluvial désiré par des riverains). Opposer l’humain et la nature n’a pas ici de sens, ce sont toujours des relations nature-culture qui se décident et se déploient. 
  • La technocratie européenne doit écouter l'ensemble des parties prenantes concernées dans la construction de ses décisions, et non une sélection d'acteurs confortant des choix administratifs sectoriels. Elle doit aussi respecter le principe de subsidiarité et ne pas imposer aux Etats et aux communautés des choix prédéfinis là où il existe des alternatives.

10/12/2022

Pas de politique de stockage et de gestion de l’eau sans progrès des connaissances et sans intégration de tous les acteurs concernés

Alors que le Sénat publie un rapport sur la question du stockage de l'eau, notre association constate deux problèmes de gouvernance. D'une part, il existe entre 500 000 et 1 million de plans d'eau d'origine humaine qui sont très mal connus aujourd'hui, peu étudiés au plan scientifique et pluridisciplinaire, négligés par l'administration de l'écologie car leur origine artificielle fait présumer qu'ils seraient sans intérêt, voire qu'ils devraient être détruits et asséchés. D'autre part, les propriétaires et gestionnaires des ouvrages et sites concernés ne sont pas associés de manière permanente aux politiques publiques et aux instances de réflexion, ce qui a conduit à des échecs de certaines de ces politiques, comme dans le cas de la continuité écologique. Le problème sera le même demain sur la gestion quantitative et qualitative des plans d'eau pour la société et le vivant. Nous appelons les représentants politiques et administratifs à changer de vision et à admettre que la gestion future de l'eau pour de multiples usages doit intégrer cette réalité aussi massive que niée.


Notre association salue le rapport sénatorial de prospective Comment éviter la panne sèche ? huit questions sur l'avenir de l'eau en France, rendu public ce jour. 

Parmi les nombreux points soulevés dans ce travail, on trouve la question des outils actuels de stockage et régulation de l’eau. En particulier les petits ouvrages hydrauliques, bien moins connus que les grands réservoirs dont la gestion est souvent publique.
 
Il existe aujourd’hui 50 000 à 70 000 moulins à eau en lit mineur, 200 000 à 250 000 étangs en lit mineur ou majeur, 500 000 à 700 000 plans d’eau de toutes dimensions en lit majeur.

Ces réalités sont très anciennes puisque le stockage et usage d’eau a commencé dès l’Antiquité et s’est accéléré à partir du Moyen Âge. D’autres ouvrages ont été bâtis au 20e siècle, en particulier avant la loi de 1992 qui a davantage réglementé la création de plans d’eau.

Même si ces plans d’eau (et canaux) sont de petites dimensions, leur grand nombre fait qu’ils représentent un volume d’eau considérable pour la société, l’économie et le vivant.

Problème n°1 : défaut de connaissance
Hélas, cette réalité est encore peu traitée du point de vue de la connaissance. Un inventaire national des plans d’eau est en cours de constitution et sa première version sera rendue publique en 2023. Il existe un référentiel des obstacles à l’écoulement (ROE) pour les ouvrages en lit mineur, avec déjà plus de 100 000 entrées. 

Cependant, la réalité derrière les nomenclatures administratives n’est pas analysée sérieusement. L’objectif quasi unique du gestionnaire public a été la continuité écologique en long sur les ouvrages en lit mineur, alors que la science a démontré que des dizaines de services écosystémiques sont associés aux plans d’eau (et aux canaux parfois annexes des plans d’eau), en particulier : 
  • Régulation des crues et sécheresses
  • Biodiversité de milieux lentiques et humides
  • Zone refuge en étiage
  • Dépollution des intrants et auto-épuration
  • Production d’énergie, pisciculture
  • Adaptation au changement climatique par îlot de fraîcheur
  • Réserves incendie très réparties
  • Agréments culturels, paysagers et de loisirs

Problème n°2 : défaut de représentation et concertation
A la carence de connaissances s’ajoute le problème du défaut de représentation institutionnelle.

Aujourd’hui, ces ouvrages ne sont pas représentés de manière permanente au comité national de l’eau, aux comités de bassin des agences de l’eau, ni parfois dans les enquêtes parlementaires sur les thèmes les concernant. 

C’est la raison pour laquelle la réforme de continuité écologique en long s’est très mal passée, ayant été conçue sans travail sérieux avec les premiers concernés pour envisager sa faisabilité et son acceptabilité. Le problème sera le même pour la politique de gestion quantitative et qualitative de l’eau. 

Nous demandons en conséquence une double évolution des pratiques :
  • Une politique d’acquisition de connaissances sur la diversité des plans d’eau, leurs services écosystémiques et leurs dimensions d’intérêt pour les politiques de l’eau, en vue non de les faire disparaître au nom de la « renaturation » ou de la « continuité », mais de les valoriser et de les associer aux objectifs d’intérêt général,
  • Un élargissement des instances de réflexion et concertation de l’eau aux acteurs représentant les ouvrages hydrauliques concernés (moulins, étangs, canaux,  plans d’eau).
A lire sur ce thème

09/12/2022

"Disqualifier globalement le stockage d'eau ne paraît pas fondé scientifiquement"

Cécile Cukierman, Alain Richard, Catherine Belrhiti et Jean Sol ont présenté hier les conclusions de leur rapport "Comment éviter la panne sèche ? huit questions sur l'avenir de l'eau en France", fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective. Nous proposons ici un extrait du rapport sur le stockage de l’eau, dont l’une des conclusions est qu'il n'y a pas de base scientifique au refus de principe du stockage. 


Le stockage de l'eau : un sujet sensible

Dès lors que les précipitations sont abondantes en hiver et réduites en été, la constitution de réserves d'eau jouant un rôle d'amortisseur inter-saisonnier apparaît comme une solution de bon sens. La pratique est d'ailleurs déjà mise en oeuvre à travers de nombreux barrages et lacs de retenue, qui servent au soutien d'étiage et contribuent au développement des activités humaines.

La France ne retient qu'assez peu l'eau qu'elle reçoit : seulement 4,7 % du flux annuel d'eau est stocké en France (nos barrages ont une capacité de 12 milliards de m3 pour une pluie efficace de 190 à 210 milliards de m3), alors que l'on atteint presque 50 % en Espagne (54 milliards de m3 sur 114 milliards de m3 de pluies efficaces)70(*). Mais la politique de stockage de l'eau est très critiquée et n'est pas considérée de manière consensuelle comme une solution durable. Elle est pourtant un enjeu pour toute société humaine sédentarisée.

a) L'amélioration des capacités de stockage existantes
Il existe une multitude de retenues permettant de stocker l'eau, très variables selon leur taille, leur mode d'alimentation - retenue collinaire alimentée par ruissellement et retenue de substitution alimentée par pompage - ou encore leur mode de gestion, individuelle ou collective. Les finalités des retenues peuvent être aussi variées : production hydroélectrique, soutien d'étiage, irrigation, pisciculture ou pêche de loisir, tourisme, sports d'eau, neige de culture, réservoir pour lutter contre les incendies ...

Dans une publication de 2017 consacrée à l'impact cumulé des retenues d'eau sur le milieu aquatique, un collectif d'experts indiquait que jusque dans les années 1990, la France avait vu les retenues d'eau se multiplier pour répondre notamment aux besoins d'irrigation agricole71(*). Mais la même publication soulignait qu'on ne disposait pas aujourd'hui de recensement précis de ces retenues, en particulier des petites retenues. S'appuyant sur des travaux du début des années 2000, cette publication estimait qu'il existait « environ 125 000 ouvrages de stockage pour une surface de 200 à 300 000 ha et un volume total d'environ 3,8 milliards de m3 stockables. Près de 50 % des retenues recensées avaient une superficie inférieure à un hectare, pour un volume inférieur dans 90 % des cas à 100 000 m3 et une profondeur inférieure à 3 m dans 50 % des cas et 5 m dans 90 % des cas ». Le volume moyen des ouvrages destinés à l'irrigation agricole était estimé autour de 30 000 m3, soit l'équivalent d'une dizaine de piscines olympiques.

Or, une partie de ces retenues est mal utilisée et connaît d'importants taux de fuite. Une stratégie de remobilisation et de modernisation de ces retenues pourrait déjà être entreprise mais elle se heurte à des difficultés de financement, la mise aux normes n'entrant pas dans le périmètre des opérations subventionnables lorsqu'il n'y a aucune économie d'eau à la clef. Une autre possibilité consiste à augmenter la capacité de retenues existantes en les rehaussant. La remobilisation des réserves est parfois difficile lorsque la propriété des terrains a évolué et, en pratique, peu de propriétaires sont ouverts à la réutilisation de leurs plans d'eau par des tiers.

b) La création de retenues supplémentaires
L'ensemble des représentants du monde agricole auditionnés a insisté sur la nécessité d'aller vers la constitution de retenues nouvelles. Il s'agirait de retenues de substitution, en cela qu'elles viseraient à davantage stocker pendant les périodes de hautes eaux pour moins puiser l'été dans les cours d'eau ou les nappes phréatiques.

L'objectif consiste à sécuriser la disponibilité de la ressource en eau et donc la production agricole. Les retenues peuvent aussi être utiles pour lutter contre les incendies dont l'année 2022 a montré qu'ils pouvaient se déclencher partout en cas de fortes chaleurs, y compris en Bretagne ou en Anjou.

Les Agences de l'eau ne peuvent d'ailleurs pas subventionner de projets de stockages d'eau supplémentaires qui ne viseraient pas, d'abord, à effectuer des économies durant la période d'étiage. Seule la partie de l'ouvrage correspondant au volume de substitution est éligible au soutien des Agences de l'eau jusqu'à 70 % du coût du projet.

Si les retenues collinaires sont globalement mieux acceptées que les retenues en plaine, qualifiées de « bassines », dans la mesure où les premières sont alimentées exclusivement par le ruissellement quand les secondes le sont par pompage, les deux modalités, parfois confondues dans le langage courant, se heurtent à des oppositions de principe exprimées fortement par les associations environnementales, notamment en réaction aux conclusions du Varenne de l'eau début 2022. Ainsi, France Nature Environnement (FNE) a estimé que les impacts hydrologiques (interception des flux d'eau, moindre débit en aval, étiage accentué, blocage du transit sédimentaire), physico-chimiques (eutrophisation d'une eau stagnante) et biologiques (perte d'habitat en cas d'assèchement des zones humides avoisinantes, atteintes à la continuité écologique) des retenues étaient globalement négatifs.

Les opposants au développement des retenues soulignent en outre qu'une stratégie fondée sur les retenues d'eau inciterait à ne pas réfléchir à une agriculture moins consommatrice d'eau et créerait un faux sentiment de sécurité, alors même que l'accélération du réchauffement climatique pourrait conduire ces retenues à être à sec même si les règles initiales de prélèvement étaient respectées, en cas de déficit prolongé de pluviométrie ou de ralentissement structurel du rythme de recharge des nappes.

Au final, les opposants aux retenues contestent l'utilité de dépenses publiques importantes pour mettre en place des infrastructures qui ne bénéficient qu'à quelques agriculteurs utilisateurs de l'eau, ce qui constitue à leurs yeux une atteinte inacceptable au caractère de bien public attribué à l'eau.

À l'inverse, les agriculteurs insistent sur la nécessité de faciliter les procédures extrêmement lourdes et coûteuses qui forment des obstacles quasi-infranchissables sur le chemin de la création d'une nouvelle retenue. Dans l'Ardèche, il a été indiqué que l'état actuel de la réglementation empêchait concrètement tout nouvel ouvrage en zone humide. Il a été souligné que le coût des études d'impact était parfois supérieur au coût des travaux, conduisant les porteurs de projets à y renoncer. Il est significatif de constater que si, dans les Pyrénées-Orientales, la chambre d'agriculture a identifié 20 sites permettant de réaliser des retenues d'eau, aucun projet n'a pu se concrétiser depuis plus d'une décennie.

Faut-il rejeter par principe le stockage de l'eau, alors qu'une partie du développement agricole avait reposé jusqu'à présent sur la mise en place d'ouvrages et d'équipements d'irrigation ? La réponse est négative. Le rapport de la délégation à la prospective de 2016, déjà, insistait sur la nécessité de mettre en place une stratégie de stockage d'eau. La réglementation est très stricte et ne permet pas de faire des stockages de confort. Les études d'impact demandées sont très détaillées et les autorisations ne sont délivrées que lorsqu'il n'y a pas d'effets négatifs sur l'environnement. Il convient naturellement de contrôler avec soin les conditions de fonctionnement de ces réserves, une fois celles-ci construites et de surveiller les effets sur la ressource en eau des nouveaux ouvrages. Mais disqualifier globalement le stockage d'eau ne paraît pas fondé scientifiquement. C'est une analyse au cas par cas, à travers des procédures déjà très exigeantes, qui doit déterminer s'il est possible, territoire par territoire, de créer de nouvelles réserves.

Source : Éviter la panne sèche - Huit questions sur l'avenir de l'eau, Rapport d'information n° 142 (2022-2023) de Mmes Catherine BELRHITI, Cécile CUKIERMAN, MM. Alain RICHARD et Jean SOL, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, déposé le 24 novembre 2022