07/10/2015

La Ministre de la Culture s'engage: "ne pas permettre la dégradation, voire la destruction, des moulins"

A l'initiative de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM), plusieurs députés ont proposé un amendement à la loi sur le patrimoine visant à exempter les ouvrages hydrauliques de moulins de l'obligation d'aménagement écologique prévu par l'article L 214-17 C env. L'amendement n'a pas été retenu, toutefois les échanges ont permis de souligner (une fois de plus) l'attachement de la représentation nationale à l'existence des moulins. Quelques morceaux choisis.

M. François de Mazières. Je m’exprime au nom de tous les collègues qui ont des moulins dans leur circonscription. Après les églises et les châteaux, les 60 000 moulins de France font en effet partie du patrimoine français. Aujourd’hui, ce patrimoine est menacé par des obligations environnementales souvent disproportionnées, notamment quand il s’agit de restaurer la continuité écologique et de supprimer les seuils des moulins. Certains moulins sont, comme chacun sait, très jolis et il s’agit donc de les protéger en les intégrant dans les mesures de protection du patrimoine.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Plusieurs d’entre nous ont été interpellés à propos du problème des moulins, qui sont en France au nombre de 60 000, ce qui n’est pas rien. Nous reconnaissons avec vous, monsieur de Mazières, madame Nachury, la nécessité de protéger les moulins, qui ont une importance patrimoniale que personne ne peut contester.

Mme Fleur Pellerin, ministre. Je partage moi aussi votre souci de ne pas permettre la dégradation, voire la destruction, des moulins, qui représentent un intérêt patrimonial, par une application trop rigide des textes destinés à favoriser les continuités écologiques. Cependant, comme le rapporteur, je pense que la rédaction actuelle de l’amendement poserait un problème d’application, car la notion d’usine hydraulique est très large. Je puis cependant m’engager au moins à ce qu’un groupe de travail soit mis en place au cours des prochaines semaines, réunissant mes services et ceux de ma collègue chargée de l’environnement, ainsi que la Fédération française des amis des moulins et toute autre association concernée, pour recenser les cas qui présenteraient des difficultés particulières, de définir les principes d’une application adaptée des objectifs de continuité écologique aux problématiques des seuils des moulins patrimoniaux et pour renforcer le dialogue sur cette question entre les directions régionales des affaires culturelles – DRAC – et les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement – DREAL –,afin que nous puissions trouver des solutions. 


Notre commentaire
La Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie et ses fidéicommis dans quelques bassins parmi les plus effaceurs (Loire-Bretagne, Seine-Normandie) sont de plus en plus isolés. Les élus découvrent, avec stupeur ou colère, que la mise en oeuvre dogmatique de la continuité écologique est en train de menacer l'existence même du troisième patrimoine de France, sans garantie d'effets notables sur nos obligations européennes de qualité de l'eau et en contradiction avec le principe d'aménagement non destructif retenu dans la loi sur l'eau 2006 et la loi de Grenelle 2009. Nous saluons la volonté de Fleur Pellerin de rétablir l'équilibre des arbitrages entre les administrations en charge de la culture et celles en charge de l'environnement.

De toute évidence, il est impossible d'aménager les 20.000 seuils en rivières classées dans de bonnes conditions et dans le délai très court prévu par la règlementation (soit d'ici 2017 ou 2018 selon les bassins). C'est d'autant moins possible que certains SDAGE portés par les Agences de l'eau s'apprêtent à ré-affirmer la priorité à la destruction des moulins, source inévitable de contentieux entre les riverains et les gestionnaires de l'eau. Il est devenu impératif de prononcer un moratoire sur la mise en oeuvre du classement des rivières, afin d'apaiser les esprits, de faire cesser l'état d'urgence artificiel lié au délai de 5 ans et de permettre une concertation en profondeur sur nos choix collectifs d'aménagement des ouvrages en rivières. Non seulement l'effacement doit redevenir l'exception, mais l'Etat doit trouver l'ambition d'une vraie politique de restauration énergétique, écologique et patrimoniale des moulins de France, source de progrès pour la qualité des milieux et la lutte contre le réchauffement climatique, créatrice de fierté et d'attractivité pour tous nos territoires.

06/10/2015

Aménagement de la Bèze: un état d'esprit ouvert et constructif

A l'invitation de la Commune de Bézouotte, l'association Hydrauxois a participé à une réunion de concertation et d'information sur l'aménagement de la Bèze. Cette rivière d'une trentaine de kilomètres naît d'une résurgence dans la ville éponyme de Bèze et se jette dans la Saône à Vonges. Elle a pour affluent principal l'Albane. Son hydrologie singulière est associée aux pertes de la Tille et de la Venelle, qui alimentent le réseau karstique local.

Classée en liste 2 au titre de la continuité écologique (art. L 214-17 C env), la Bèze fait l'objet d'un projet d'aménagement portée par le SIBA (syndicat intercommunal Bèze Albane). Cinq sites sont concernés dans les communes de Bèze, Mirebeau-sur-Bèze, Bézouotte, Drambon, Vonges.


Agence de l'eau RMC : pas d'a priori sur les aménagements
On doit d'abord souligner que l'Agence de l'eau Rhône-Méditerrannée-Corse (AERMC) tout comme les acteurs locaux se placent dans un état d'esprit ouvert et constructif. Peu de rivières sont classées en liste 2 dans le bassin rhodanien en comparaison des bassins de Loire et de Seine : ce caractère raisonnable permet de concentrer davantage de moyens, de concertation et de réflexion sur les cours d'eau à restaurer. Il y a moins de pression d'urgence que sur les bassins ayant choisi des programmes assez irréalistes de classement massif. Par ailleurs, l'Agence de l'eau RMC se refuse à fixer des prescriptions générales (comme la priorité de principe à l'effacement des ouvrages) ou des outils d'objectifs génériques (comme le taux d'étagement). Elle considère que chaque rivière et chaque ouvrage sur la rivière doivent faire l'objet d'une étude d'impact et d'une réflexion collective sur la meilleure solution à adopter. On ne peut que s'en féliciter et souhaiter que ces bonnes pratiques se répandent – hélas les AE Loire-Bretagne et Seine-Normandie n'ont pas pris ce chemin, en dépit des problèmes importants que posent leurs choix actuels sur la continuité écologique.

Cette gouvernance agile et ouverte des acteurs montre ses effets dans le cas de la Bèze. Dans le diagnostic et l'avant-projet initial du bureau d'études – qui incluaient les dimensions énergétiques, esthétiques, paysagères, patrimoniales et sociétales des ouvrages hydrauliques –, il avait été retenu 3 projets de franchissement piscicole (deux passes à poissons et un canal de contournement) et deux effacements.


Recherche de solutions sur les cas problématiques
La perspective d'un effacement des ouvrages de la poudrerie de Vonges a soulevé une vive émotion chez les riverains du bief, craignant sa mise à sec et la dégradation de leur cadre de vie (voir notre article). Un cycle de concertation a donc été ouvert et l'on s'oriente vers une solution permettant de garantir un niveau d'eau tout en améliorant la dynamique locale de la rivière. A l'ancienne forge de Bézouotte, l'absence d'usage et même de maître d'ouvrage clairement identifié, ainsi que la possibilité de gagner 1,8 km de linéaire à écoulement libre avec frayères à truites à l'aval de Mirebeau, a d'abord conduit à proposer un effacement total. Toutefois, l'issue est en discussion car le sol est argileux et plusieurs épisodes de sécheresse depuis 2010 ont mis en évidence une fragilisation du bâti en cas de baisse de niveau de l'eau. Le BRGM a produit un rapport constatant ce risque, à la demande de la Préfecture. Le choix définitif d'aménagement sur Bézouotte est donc encore en débat, sachant que l'échéance réglementaire est en 2018 sur le bassin.

Parmi les problèmes qui restent à traiter : les coûts de certains dispositifs de franchissement sont élevés et en l'absence d'un niveau important de subvention (plutôt 80% que 50%), ils représentent une charge difficile à affronter pour la commune (cas de Bèze qui a un projet hydro-électrique, coût estimé à 166 k€) ou pour l'exploitant (cas de l'usine privée de Drambon, coût estimé à 485 k€). Autre point : l'Onema avait prescrit une ouverture des vannes des ouvrages pour analyser le comportement de la rivière en écoulement moins contraint. Mais cette mesure n'est pas levée et tend à devenir permanente, ce qui pose des problèmes lors des sécheresses, comme en 2015. Les communes ne souhaitent pas que les vannes levées, si elles avaient un sens dans la phase diagnostique, deviennent une obligation réglementaire permanente.

Outre les enjeux de la Bèze, les représentants des communes, de l'Agence de l'eau et de l'association ont pu échanger sur de nombreux sujets : la menace de plus en plus palpable du réchauffement climatique et la difficulté de définir un état de référence des peuplements de la rivière (appelés à changer avec la température et les précipitations) ; la force d'inertie des systèmes naturels comme des impacts anthropiques, faisant que les objectifs trop ambitieux en calendrier risquent de provoquer des déceptions ; la nécessité d'une grande prudence quand on procède à des aménagements sans retour en arrière possible ; l'impact de l'agriculture et les difficultés concrètes de la profession à satisfaire des normes environnementales allant à l'encontre de ce qu'on a exigé d'elle depuis des décennies (nourrir la population puis exporter ses produits dans une logique productiviste).

Illustrations : la rivière Bèze à sa source et dans le village de Bèze.

02/10/2015

Rivières: l'administration trahit la loi de Grenelle et la LEMA 2006, nos députés et sénateurs doivent réagir!

Les représentants des citoyens français ont volontairement supprimé l'hypothèse d'effacement des seuils et barrages dans le cadre de la trame bleue, lors de l'élaboration de la loi Grenelle 1 de 2009, de même qu'ils ne l'ont pas mentionnée dans la LEMA 2006. Or, la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie et ses représentants en Agences de l'eau passent outre ce choix de prudence, exercent des pressions constantes en vue de détruire les ouvrages, refusent de financer de manière réaliste les dispositifs de franchissement et tentent aujourd'hui d'imposer l'effacement des seuils et barrages comme solution prioritaire de certains SDAGE 2016-2021. Nous appelons les députés et sénateurs, comme l'ensemble des élus, à faire cesser immédiatement cette dérive antidémocratique qui soulève une vague croissante d'indignation au bord des rivières.

M. Gérard Aubéry, président de l'Association des amis des moulins de l'Indre, nous a rappelé les éléments d'élaboration de la loi de Grenelle 1, en 2009. L'article 26 de cette loi (devenu article 29) a été débattu par la commission paritaire mixte entre l'Assemblée nationale  et le Sénat. Très clairement, et comme le montre cet extrait (cliquer pour agrandir), le débat portait sur la question de la mention de "l'effacement" des ouvrages.

La version finalement retenue de la loi parle de l'aménagement des ouvrages, et préfère exclure cette notion d'effacement. Elle réserve par ailleurs cet aménagement aux seuls cas les plus problématiques, et demande une "mise à l'étude" :
La trame bleue permettra de préserver et de remettre en bon état les continuités écologiques des milieux nécessaires à la réalisation de l'objectif d'atteindre ou de conserver, d'ici à 2015, le bon état écologique ou le bon potentiel pour les masses d'eau superficielles ; en particulier, l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude. Cette étude, basée sur des données scientifiques, sera menée en concertation avec les acteurs concernés.
Ce choix est conforme à l'article L-214-17 du Code de l'environnement qui, dans le domaine de la continuité écologique, ne mentionne nullement les mots arasement ni dérasement. Ce sont les notions positives de gestion, entretien et équipement qui sont mises en avant pour les ouvrages situées en rivière classée au titre de la liste 2 (obligation d'aménagement à 5 ans) :
Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant.
Par ailleurs, dans le texte du Grenelle 1 de 2009, députés et sénateurs ont fortement souhaité le développement de l'énergie hydraulique. L'article 19 est explicite :
La production d'électricité d'origine hydraulique dans le respect de la qualité biologique des cours d'eau fait partie intégrante des énergies renouvelables à soutenir.
Bien loin de détruire les ouvrages, la loi de Grenelle appelle donc à leur équipement énergétique, et écologique quand c'est nécessaire. Ce qui est au demeurant la position soutenue par notre association.

L'effacement des ouvrages tente de s'imposer par les voies opaques des SDAGE
La Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie a trahi ces orientations en imposant, à travers les représentants de l'administration au sein des Agences de bassin, une prime à l'effacement dans les textes d'orientation et programmation (SDAGE) de plusieurs Agences de l'eau. Rappelons à ce sujet que la soi-disant autonomie entre le Ministère et les Agences est une légende permettant au premier de se défausser sur d'autres de certaines de ses orientations, mais une légende qui a été parfaitement dénoncée par le Conseil d'Etat dans le rapport L'eau et son droit (pp. 86-87) :
"L’article 83 de la loi du 30 décembre 2006 a également encadré l’action des agences de l’eau (…) les agences sont quasiment devenues à cette occasion, malgré leur autonomie financière et la représentation minoritaire de l’État au sein de leur conseil, un outil aux mains de l’État, qui les utilise pour appliquer sa politique de l’eau et pour financer les actions qu’il décide."
Il convient également de rappeler que les Comités de bassins des Agences de l'eau n'ont qu'une représentation très appauvrie, et qu'en particulier les principaux concernés par la continuité écologique (association de moulins, de riverains, de protection du patrimoine, etc.) ne figurent pas dans le collège censé donner sa voix à la société civile. Le fonctionnement opaque et complexe des Agences de l'eau ne saurait en aucun cas produire une légitimité démocratique telle qu'il puisse prétendre contredire les engagements du législateur.

Or, les Agences de bassin font ouvertement fi de la mesure et de la prudence souhaitées par ce législateur. Ainsi, le projet de SDAGE 2016-2021 du bassin Loire-Bretagne pose à propos des obstacles à la continuité écologique :
La solution d’effacement total des ouvrages transversaux est, dans la plupart des cas, la plus efficace et la plus durable car elle garantit la transparence migratoire pour toutes les espèces, la pérennité des résultats, ainsi que la récupération d’habitats fonctionnels et d’écoulements libres ; elle doit donc être privilégiée. Cependant, d’autres méthodes peuvent être envisagées (ouverture des vannages, aménagement de dispositifs de franchissement adaptés). Sans préjudice des concessions existantes, les objectifs de résultats en matière de transparence migratoire à long terme conduisent à retenir l’ordre de priorité suivant :1. effacement. Pour les ouvrages transversaux abandonnés ou sans usages avérés cette solution sera privilégiée ;2. arasement partiel et aménagement d’ouvertures (échancrures...), petits seuils de substitution franchissables par conception
Au mépris des choix privilégiés dans les textes de loi, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne exerce ainsi une pression financière pour ne subventionner que les solutions d'effacement et d'arasement partiel, non prévues dans la loi de Grenelle de 2009 ni dans la loi sur les milieux aquatiques de 2006. Cette orientation a pour effet de pousser les propriétaires d'ouvrages vers la pseudo-solution contrainte de la destruction de leur bien, vu le coût exorbitant des travaux en rivière pour les dispositifs de franchissement. Elle est à l'origine de la plupart des contentieux de mise en oeuvre de la continuité écologique, alors qu'un financement public intégral de dispositifs de franchissement résoudrait la plupart des problèmes (voir ici le coût).

On retrouve exactement le même choix d'effacement dans le projet de SDAGE 2016-2021 du bassin de Seine-Normandie, qui spécifie :
L’effet résiduel cumulé des obstacles même équipés de dispositifs de franchissement conduit à privilégier des solutions d’effacement par rapport aux solutions d’équipement. Il convient de réduire le taux d’étagement afin de maximiser les fonctionnalités écologiques des cours d’eau classés en liste 2.

Conclusion : appel à moratoire et commission d'enquête
Les élus doivent être informés de la dérive de l'administration, qui poursuit un programme idéologique et irrationnel de destruction du patrimoine hydraulique français en même temps qu'elle est incapable d'obtenir des résultats convaincants pour l'application des directives européennes sur l'eau et les milieux aquatiques.

Nous appelons ces élus non seulement à s'engager en faveur d'un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, afin de retrouver l'apaisement nécessaire à la concertation, mais également à engager une commission d'enquête sur les dysfonctionnements graves de la politique de l'eau, qui a fait l'objet d'une impressionnante succession de rapports dénonçant des pratiques inefficaces voire douteuses, ainsi que de condamnations par l'Union européenne : rapports Cour des comptes 2013 sur l'Onema et 2015 sur les Agences de l'eau, rapport CGEDD 2012 sur l'absence de concertation dans la mise en oeuvre de la continuité écologique, rapports Lesage et Levrault sur les carences de résultats, rapport 2015 de la Commission européenne sur les carences du rapportage DCE 2000 et les retards sur les pollutions, condamnations à répétition depuis 2001 par la CJUE pour non application des directives nitrates et eaux usées.

Par les effets cumulés de sa complexité, de sa partialité, de son opacité et de son inefficacité, la politique publique de l'eau traverse une crise grave de légitimité. Sa transformation n'est plus une option, mais une nécessité.

Illustration : destruction de l'ouvrage Floriet sur la Seine en 2015, alors que les relevés de l'Onema indiquaient un Indice Poissons Rivières de bonne qualité écologique selon les termes de la DCE 2000. La destruction des ouvrages est aujourd'hui le choix privilégié par les autorités et gestionnaires de l'eau, à l'encontre des volontés du législateur comme de la majorité des riverains. L'argent public dépensé inutilement pour cette cosmétique de l'action pseudo-écologique ne l'est pas pour la lutte contre les pollutions de l'eau, où la France accuse un grave retard.

Assèchement du bief de Thoires: témoignage d'un riverain

Nous vous avons entretenu cet été à propos du désastre écologique de Vanvey (voir ici), où le choix d'accorder brutalement le primat au débit de la rivière malgré l'extrême sécheresse s'est traduit par une forte mortalité piscicole, y compris des espèces d'intérêt pour le classement des cours d'eau. Un lecteur nous révèle que des événements exactement similaires ont eu lieu à Thoires, là encore sur l'Ource. Nous publions son témoignage et ses photographies (cliquer pour agrandir).



"Le 20 août dernier, le vannage situé à l'entrée du village de Thoires, au droit du pont, a été levé dans le but de faire passer la totalité du débit de l'Ource dans le cours principal, le seuil de débit  minimal permettant la survie de la faune et de la flore ayant été soi-disant atteint. Nous n'avons aucune information concernant le mode de calcul de ce débit minimum ni à quel endroit il est calculé.

Résultat, le bief du moulin du bas a été asséché sur environ 400 m à l'amont et 500 m à l'aval, entraînant la mort de nombreuses truites, brochets, carpes et autres vairons et poissons blancs (cette partie de cours d'eau constituant la réserve de pêche de l'association locale), asséchant aussi une très belle frayère à truite.

Le niveau de l'eau ayant considérablement baissé (environ 80 cm) à l'amont dudit vannage, la chute d'eau est très réduite et l'oxygénation ne se fait plus. Dans ce tronçon, sur plusieurs centaines de mètres, la profondeur d'eau y est telle que des carpes circulent la nageoire dorsale à l'air libre. Depuis cette date, plusieurs hérons y ont élu domicile et y font un véritable festin. On n'entend d'ailleurs plus le chant du sonneur à ventre jaune.

N'aurait-il pas été préférable de continuer à fonctionner comme avant pour afin d'éviter cette catastropohe écologique?"

Notre commentaire
Saisie par plusieurs riverains de l'Ource à Vanvey, la DDT 21 a affirmé qu'aucune erreur n'avait été commise et considéré que le débit minimum biologique n'était pas concerné par une situation atypique justifiant dérogation. Quand un propriétaire de moulin, un agriculteur, un industriel provoque une mortalité piscicole, il est dénoncé et fait l'objet d'une enquête, voire d'une condamnation. Quand il s'agit d'une manoeuvre de vanne exigée par l'administration et exécutée par un syndicat de rivière, on trouve tout à fait normal de laisser crever la faune au soleil. Ce manque élémentaire de justice décrédibilise considérablement l'action publique auprès des riverains.

01/10/2015

Restauration morphologique de rivières: des résultats positifs en moyenne mais inégaux, peu prédictibles et pas toujours durables

Les opérations de restauration morphologique ont en moyenne des effets positifs sur l'abondance et la diversité de certains peuplements, mais les résultats sont très inégaux : les végétaux (macrophytes) ont une réponse 3 à 4 fois plus forte que les animaux (poissons, invertébrés) ; environ un tiers des opérations ont des effets négatifs à nuls ; les résultats positifs tendent à décliner dans le temps ; d'autres prédicteurs comme les usages agricoles des sols limitent les bénéfices ; le substrat sédimentaire du lit a un impact conséquent sur la réponse des poissons. Telles sont les principales conclusions d'une nouvelle étude menée par des chercheurs allemands, autrichiens et tchèques. 

Quels sont les effets tangibles des opérations de restauration morphologique de rivières?  Pour répondre à cette question, Jochem Kail et Kathrin Januschke (Université Duisburg-Essen), Karel Brabec (Université Masaryk, Brno) et Michaela Poppe (Université des ressources naturelles et sciences de la vie, Vienne) ont étudié 69 publications scientifiques (91 projets) et 64 bases de données non publiées.

Comme souvent dans ce type de méta-analyse, les opérations en rivière analysées sont de nature très diverse : restauration de débit, continuité latérale ou longitudinale, stabilisation ou aménagement de zones tampons de berge, enrochements et création de radiers, reméandrage, élargissement du lit, création d'annexes hydrauliques, management de la végétation rivulaire. Le cas particulier de la suppression de seuils à fin de restauration de continuité longitudinale n'est pas isolé comme tel dans les statistiques (compte tenu de la modestie de l'échantillon et de la diversité des opérations, le résultat ne serait pas forcément significatif).

Des résultats inégaux : un tiers des opérations à effet négatif à nul, la flore davantage bénéficiaire que la faune
Trois bio-indicateurs sont concernés : les poissons, les macrophytes et les macro-invertébrés. Les paramètres étudiés sont l'abondance / biomasse et la diversité / richesse spécifique. Des données biologiques plus précises n'étaient pas disponibles en quantité suffisante sur le panel des projets analysés, ce qui rappelle le problème récurrent de la qualité du suivi scientifique des opérations en rivière.

On peut trouver les réponses sur les boites à moustaches de la figure ci-dessus (le taux de réponse ∆x est le log du rapport entre les scores moyens avant et après l'intervention). Les auteurs observent: "considérant les trois groupes d'organisme (poissons, macro-invertébrés, macrophytes), l'effet global de la restauration sur les métriques biologiques était positif, bien que le taux de réponse varie considérablement et qu'un tiers des projets ne présente pas de réponse (∆r≤0). Le taux de réponse richesse/diversité et abondance/biomasse était de +0,85 et +0,51 respectivement (…) Cependant, la variabalité était considérablement élevée, avec une fourchette des percentiles 10-90 du taux de réponse de -0.25 à 0,91 (richesse/diversité) et de -0,76 à 1,80 (abondance / biomasse). Bien que la plupart des taux de réponse soient positifs, 35,5% en richesse/diversité et 28,8% en abondance/biomasse sont ≤ 0".

Les résultats montrent également que les compartiments biotiques ne répondent pas de la même manière : le taux moyen de réponse des macrophytes (0.57) est clairement plus élevé que celui des poissons (0.18) et des invertébrés (0.12). La réponse des macrophytes est principalement associée aux mesures d'élargissement de lit ou de réméandrage.

Des résultats pas toujours durables: baisse du gain dans le temps, importance des usages des sols
Les auteurs se sont intéressés aux prédicteurs de la réussite ou de l'échec d'une opération de restauration morphologique. Le seul prédicteur de bassin versant ayant un effet significatif concerne les poissons et les usages agricoles du sol, avec une tendance à dégrader les effets de restauration. Ce résultat est conforme à d'autres travaux sur cet impact.

En terme de caractéristique sédimentaire du tronçon, les effets de la restauration sont plus marqués sur les rivières à gravier, mais la réponse est nulle voire négative sur les rivières à sable et pour les poissons comme pour les invertébrés.
Enfin, comme le montre l'image ci-dessus, l'effet de la restauration est corrélé négativement au temps écoulé pour les macrophytes, c'est-à-dire que plus le temps passe et moins le résultat est tangible. L'âge du projet est, avec l'usage agricole des sols, le meilleur prédicteur. S'ajoute ensuite la largeur de la rivière.

Discussion
Beaucoup de travaux nord-américains et européens ont souligné le caractère très incertain des opérations de restauration morphologique de rivière (voir ici). Le travail de Kail et al 2015, s'il trouve un effet globalement positif, confirme ces résultats antérieurs en montrant la diversité de réponse des différents peuplements, l'existence de résultats négatifs et la tendance à voir les résultats s'effacer dans le temps.

Compte tenu des enjeux économiques et sociaux des travaux en rivières, ainsi que du besoin de légitimité politique dans le portage des projets, nous ne pouvons que souhaiter le rappel de ces incertitudes scientifiques dans la mise en oeuvre actuelle des restaurations des masses d'eau en France et en Europe. Il est très discutable que les gestionnaires aient choisi en France des engagements à grande échelle (comme le classement des rivières) et fort budget alors que la science de la restauration est encore en phase très précoce de ses expérimentations et modélisations. L'existence de résultats négatifs est en particulier alarmante, puisque cela revient dans cette hypothèse à dépenser l'argent public pour dégrader certains bio-indicateurs des rivières.

Référence : Kail J et al. (2015), The effect of river restoration on fish, macroinvertebrates and aquatic macrophytes: A meta-analysis, Ecological Indicators, 58, 311–321

Nous remercions les auteurs de nous avoir fait parvenir copie de leur travail.