06/12/2015

Faut-il 50 ans pour exécuter le classement des rivières? L'exemple de la DDT 63

Un document de la DDT 63 illustre certains problèmes de la continuité écologique: interprétation hasardeuse ou tendancieuse du droit (demande de justification de la légalité de l'ouvrage, proposition d'effacement d'un ouvrage autorisé), refus de prescrire des solutions de gestion, d'entretien et d'équipement alors que la loi y oblige l'administration, nombre d'ouvrages traités (10 par an) dix fois trop faible pour tenir le délai légal de cinq ans imposé par les classements des rivières, soit 2017-2018. 

Un document intéressant de la DDT 63 (Puy-de-Dôme) a été mis en ligne sur un site de partage public. Il s'agit d'une présentation de l'état d'avancement du traitement du classement des rivières et de la mise aux normes des ouvrages dans le Puy-de-Dôme, à l'occasion d'une journée dédiée à la continuité écologique.

On apprend qu'une première phase de décompte des ouvrages en liste 2 aboutit à "525 ouvrages recensés comme infranchissables, ou franchissables avec difficulté". Plus de 500 ouvrages sur un seul département... on mesure à ce chiffre l'ampleur du classement des rivières. Il ne concerne pas quelques sites sur des axes importants de certains bassins versants, mais impacte bel et bien l'ensemble du patrimoine hydraulique de nos territoires.

La DDT 63 a envoyé aux propriétaires un courrier "leur demandant de faire part de leur décision sur la solution d’aménagement envisagée". Nous rappelons que les propriétaires n'ont pas à s'exécuter devant ce genre d'injonction : le texte de la loi est clair (voir ici son analyse détaillée), c'est à l'administration qu'il revient de prescrire (donc motiver) des solutions de gestion, équipement et entretien (voir cet article). Il est particulièrement important que les maîtres d'ouvrage, leurs associations et leurs fédérations homogénéisent la réponse aux DDT-M sur ce point.

On observe que parmi les "solutions", la DDT inclut "effacement": il convient sur ce point de demander au Préfet au nom de quel texte légal ou réglementaire cette destruction est ainsi suggérée par son administration. Sur un ouvrage autorisé (et tous les fondés en titre le sont au terme du L214-6 al. II CE), la consistance légale (hauteur, débit) doit être respectée et il ne revient certainement pas à un service de l'Etat de proposer sans base légale ni réglementaire une destruction pure et simple de la propriété privée. Si cette proposition d'effacement faisait partie des courriers envoyés aux propriétaires, il y aurait probablement matière à recours en abus de pouvoir contre les services de la Préfecture (voir de manière générale cet article sur le cadre juridique des effacements, ainsi que ces précisions sur les sédiments et sur les espèces invasives).

On observe également dans la présentation DDT 63 que l'Etat demande indistinctement aux propriétaires de justifier le droit d'eau. Situation hélas classique, mais tout ouvrage en rivière est présumé autorisé et l'Etat ne saurait faire peser une suspicion collective d'illégalité non motivée (voir cet article). En fait, à l'occasion du passage des services de Ponts et Chaussées aux DDE-DDA dans les années 1960, on sait que nombre d'archives ont été perdues ou détruites, et que l'administration a fait preuve d'une longue négligence dans la gestion des moulins en raison du déclin de leur activité économique première. Dans le cadre d'une modernisation de l'action publique qui équivaut parfois à la casse pure et simple des services publics, cette administration aimerait aujourd'hui faire disparaître les droits d'eau et règlements d'eau dont elle a déjà mal assuré le contrôle au cours de quatre dernières décennies. Les propriétaires n'ont évidemment pas à céder à ces menaces, d'autant que l'immense majorité des ouvrages sont apparus entre le Xe et le XVIIIe siècles, et sont donc de droits fondés en en titre (quand bien même leur règlement aurait été égaré).


Quel est le bilan de l'action de la DDT 63? On lit dans le document que 196 courriers spécifiques ont été envoyés pour le L214-17 CE, les autres ouvrages du département étant déjà classés et avertis au titre du L432-6 CE. Ce dernier article du Code de l'environnement (aujourd'hui abrogé) est l'ancêtre du L214-17 CE. Il permettait d'imposer sur une rivière particulière la continuité piscicole (on parlait de "cours d'eau passes à poissons"), à condition que le Préfet ait pris un arrêté précisant les motifs du classement (et que les services de l'eau de la Préfecture motivent le classement à tout propriétaire qui en fait la demande, point ayant déjà entrainé condamnation de l'Etat pour avoir refusé de produire les éléments de cette motivation).

Suite à la salve des lettres de la DDT 63, il n'y a que 72 réponses. En 2015, 17 sites ont été visités, 10 mises en demeure sont prévues. En 2014, 10 ouvrages ont été aménagés, 10 autres sont prévus en 2015. Il faut supposer que ce sont les cas les plus simples qui sont traités les premiers – ouvrages déjà sérieusement dégradés, exploitant industriel voulant se mettre aux normes, collectivité ayant les moyens de le faire ou voulant au contraire effacer l'ouvrage pour limiter ses charges, propriétaire naïf cédant aux pressions. Ce qui ne préjuge pas d'une suite facile vu le nombre d'ouvrages de ce département.

Vu les chiffres, la conclusion est claire : à ce rythme-là, il faudrait 50 ans pour mettre aux normes les seuils et barrages du Puy-de-Dôme, alors que le délai légal est en 2017 (pour le bassin Loire-Bretagne) ou 2018 (pour le bassin Adour-Garonne). Nous n'avons aucune chance de tenir le délai légal de 5 après le classement des cours d'eau, parce que les services instructeurs de l'Etat n'ont pas la capacité de traiter plus de dossiers. Ils l'auront encore moins quand les propriétaires exigeront le respect du droit et la motivation complète de l'aménagement sur chaque ouvrage, au lieu des approximations voire des abus qui ont eu cours dans les premières années du classement.

Ces chiffres sont convergents avec ceux des différentes Agences de l'eau, dont les plus importantes en terme de linéaire classé admettent ne pouvoir traiter qu'une centaine de dossiers par an, soit de l'ordre de la dizaine par département. Dans les bassins qui ont eu la sagesse de classer très peu de rivières en liste 2 (comme Rhône-Méditerrannée-Corse), le rythme est éventuellement tenable dans le délai de 5 ans, avec de légers retards. Mais dans les autres, nous sommes d'ores et déjà dans le rouge : les autorités et gestionnaires n'ont manifestement pas la capacité de mobiliser les moyens au service des règlementations qu'ils ont eux-mêmes promulguées.

Le risque de cet énorme retard dans la mise en oeuvre de la continuité écologique est évident : entrer dans une zone de non-droit et aboutir à l'engorgement des tribunaux administratifs par les contentieux. Ces contentieux seront aussi bien le fait des propriétaires de moulins et riverains, qui ne supportent plus le chantage à l'effacement et le matraquage des coûts exorbitants, que le fait de FNE, FNPF ou autres lobbies de la destruction, ces derniers ne manquant pas de faire pression sur l'Etat pour qu'il exécute le classement et casse le maximum de barrages. Pour calmer tout le monde, il convient donc de prononcer un moratoire à l'exécution du classement des rivière. Et d'inviter dans une concertation élargie tous ceux que la question concerne, et non plus seulement quelques privilégiés de l'administration s'estimant les représentants autoproclamés de la rivière, de son peuplement piscicole et de ses usages.

Le classement tel qu'il a été conçu n'est pas applicable. On doit en revoir la conception (la motivation scientifique réelle de classer chaque masse d'eau), la priorisation (la probabilité d'atteindre un bon état DCE si la morphologie est traitée) comme l'exécution (le financement de travaux qui représentent des sommes exorbitantes, l'analyse coût-efficacité de cet investissement public). Ce ne sera ni le premier ni le dernier "grand chantier" de l'Etat qui doit admettre sa mauvaise planification. Mais comme ce chantier-là a la prétention inouï d'inciter à la destruction systématique du patrimoine hydraulique français, les propriétaires, usagers, riverains, protecteurs de notre héritage historique et de notre paysage de vallée seront désormais mobilisés jusqu'à l'obtention d'une issue claire et acceptable par toutes les parties prenantes. 

04/12/2015

Continuité écologique: le Ministère ne comprend pas (mais on continuera de lui expliquer…)

Le Ministère de l'Ecologie publie sur son site Internet quelques pages censées exposer les bonnes raisons pour rétablir la continuité écologique et dissiper les malentendus. Mais le texte composé de généralités ne répond en rien aux demandes précises et aux objections nombreuses que nous formulons vis-à-vis de la politique actuelle du gouvernement en ce domaine. Plus inquiétant encore, au lieu de défendre l'intérêt général au nom d'une vision équilibrée de la rivière et de ses usages, ce texte continue de verser sans réserve dans l'idéal maximaliste et irréaliste d'une renaturation des cours d'eau par restauration massive des habitats. Mise au point. 

Sur le site du Ministère de l'Ecologie, un nouveau texte sur la continuité écologique vient d'être publié. Il affirme : "depuis la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, la restauration de la continuité écologique des cours d’eau suscite beaucoup d’interrogations, de scepticismes voire d’oppositions, parfois très tranchées et très diffusées. Beaucoup d’idées fausses circulent d’ailleurs sur la nécessité de maintenir tous les seuils en rivière, sur l’absence de priorité de leur aménagement voire sur les perturbations négatives que déclencherait leur suppression."

Nous sommes bien d'accord, beaucoup d'idées fausses circulent et nous leur avons même consacré une rubrique à part entière de ce site, visant à la déconstruction des "idées reçues". Hélas, ces dernières ont été en partie diffusées… par le Ministère ou par des établissements administratifs!



Les absences de rigueur, motivation et suivi dans la politique de continuité
Le texte paru sur le site du Ministère reprend des généralités, déjà mille fois lues, sur la continuité écologique. Il n'y a pas grand chose à en dire : la question est mal posée. En effet, ces berceuses en forme de rappels théoriques du fonctionnement de la rivière ne répondent pas aux problèmes que nous soulevons, à savoir l'absence de :
  • mesure de tous les paramètres de qualité (biologique, physico-chimique, chimique, morphologique) DCE sur chaque masse d'eau;
  • modélisation des impacts en rivières à partir des bassins versants et de l'ensemble des données DCE; 
  • profondeur historique dans l'étude des peuplements piscicoles et de leur variabilité naturelle / forcée;
  • mesure de l'impact relatif du compartiment morphologique sur les paramètres biologiques / chimiques de qualité; 
  • analyse d'effet des ouvrages selon leurs profils et dimensions (distinction petite et grande hydraulique, formes des seuils, exutoires latéraux, pente du déversoir, etc.); 
  • intégration du changement climatique dans les évolutions hydrologiques et écologiques à venir;
  • suivi scientifique des effets dans la durée des restaurations morphologiques;
  • analyse coût-efficacité et coût-bénéfice de ces restaurations;
  • estimation de probabilité d'atteindre les critères DCE et d'objectifs chiffrés des restaurations;
  • évaluation réaliste du bilan des services rendus par les écosystèmes suite aux restaurations;
  • débat démocratique sur ce qu'il est légitime ou non de sacrifier pour un certain état du peuplement biologique de la rivière ;
  • concertation avec les premiers concernés par la continuité écologique (maîtres d'ouvrage);
  • solutions autres que la destruction de propriété ou l'imposition d'aménagements exorbitants.



Sortir des généralités et trivialités 
La liste ci-dessus en oublie sans doute, mais cela fait déjà beaucoup d'absences que nous déplorons, et ce ne sont pas les trois pages généralistes de le prose ministérielle qui comblent ces manques.

Nous l'avons écrit maintes fois : personne ne conteste que les ouvrages hydrauliques modifient d'une manière ou d'une autre les rivières, cela relève de la physique, de la chimie, de la biologie et de l'écologie élémentaires. Ce qui est contesté en revanche, c'est l'évaluation de la gravité relative des impacts de cette modification et de la proportionnalité des mesures correctrices demandées (la proportionnalité s'entendant comme la comparaison entre le bénéfice environnemental attendu et l'ensemble des coûts économiques, sociaux, patrimoniaux, à condition que les bénéfices comme les coûts soient correctement objectivés).

Exemple : les poissons rhéophiles (aimant le courant vif) sont pénalisés par les seuils. Certes, mais cela ne répond à rien, c'est un simple constat trivial qu'un milieu lentique de retenue ne leur plaît pas. On se demande donc : dans quelle proportion ? Avec quels effets démographiques ou risques d'extinction ? Avec quel niveau d'équilibre sur la durée ? Avec quelles signatures génétiques et quelle gravité sur les fonctions adaptatives de la population locale ?  Avec quel niveau de pression en comparaison du reste des impacts (pêche, pollution, berge, ripisylve, réchauffement, espèces invasives concurrentes, pathogènes, etc.) ? Avec quels effets sociaux et économiques (en terme de services rendus par ces populations piscicoles) ? Et qu'en pensent les riverains et usagers en tout état de cause ?

Qu'il y ait moins de chevaines ou de barbeaux ou de truites (ou de n'importe quelle espèce au-delà de notre exemple) dans une partie d'un tronçon de rivière n'est pas une information suffisante pour fonder une politique prétendant modifier brutalement le profil actuel de cette rivière et supprimer des pans entiers du patrimoine. Une personne qui ne comprend pas cela n'a pas sa place dans un Ministère, où l'on fait des arbitrages politiques en vue de l'intérêt général et non pas de la recherche, de l'observation ou de la militance écologiques. Chacun dans son rôle, mais il y a manifestement confusion des genres dans certains bureaux de la Direction de l'eau et de la biodiversité.


Le Ministère continue à angler sur la "renaturation"
Nous observons par ailleurs un point. Le site du Ministère de l'Ecologie écrit dans la justification de la continuité : "Comme les différents habitats de la rivière servent également aux autres espèces de faune et de flore qui constituent soit un maillon de la chaîne alimentaire (diatomées, invertébrés, etc.), pour les poissons notamment, soit un support pour une phase du cycle de vie d’espèces non aquatiques une fois adultes (larves de libellule par exemple), la préservation et la restauration de cette diversité d’habitats est indispensable à la préservation ou la restauration de la biodiversité aquatique, principalement, mais aussi de toute la biodiversité dépendante du fonctionnement naturel des cours d’eau. (…) La diversité des milieux aquatiques est principalement liée au fonctionnement hydrologique qui les façonne. Toute perturbation du régime hydrologique naturel d’un cours d’eau aura indubitablement des conséquences sur les milieux, la faune, la flore et les sociétés humaines."

Or, dans l'introduction de la Circulaire du 18 janvier 2013 sur le classement des rivières, le directeur de l'eau et de la biodiversité du même Ministère (Laurent Roy à l'époque) écrivait : "L’objectif de la liste 2 est l’amélioration du fonctionnement écologique des cours d’eau. Il ne s’agit pas de rendre au cours d’eau son état naturel d’origine mais de rétablir des fonctions écologiques et hydrologiques à un niveau permettant notamment l’atteinte des objectifs de la DCE".

Le glissement peut paraître subtil, mais il est patent. Le Ministère évoque tantôt un besoin fonctionnel lié à un objectif DCE (aménagement d'ouvrage uniquement si nécessaire) tantôt une volonté plus ou moins explicite de renaturer la rivière et de restaurer des habitats (ce qui va impliquer la destruction des ouvrages, dont la retenue et la chute ne sont pas spécialement "naturelles"). Le Ministère ne comprend manifestement pas que cette posture de "renaturation" conduisant à la suppression du maximum d'obstacles est précisément ce qui a rendu sa politique impopulaire et inapplicable, car extrémiste,  déséquilibrée, ruineuse, indifférente à tout ce qui dépasse la "naturalité" de la rivière mais qui forme depuis des millénaires l'essentiel de l'expérience humaine sur ses rives.

Alors on fait quoi ?
Classer les rivières selon un enjeu écologique incluant l'hydromorphologie: nous sommes d'accord sur le principe, à condition que chaque classement soit scientifiquement établi, démocratiquement concerté et raisonnablement mis en oeuvre (trois conditions manquantes dans la plupart des cas aujourd'hui).

Désigner des rivières dans un très bon état écologique où il est interdit de créer de nouveaux ouvrages (équivalent liste 1): nous sommes à nouveau d'accord sur le principe, mais aux mêmes conditions, à quoi s'ajoute que la morphologie ne doit pas être la seule concernée dans ces rivières (interdiction de nouveaux ouvrages, certes, mais interdiction d'extension de la pêche professionnelle ou de loisir, interdiction de nouvelles activités polluantes sur le bassin versant, etc.).

Désigner des rivières où les obstacles à l'écoulement pénalisent fortement des migrations d'espèces par ailleurs menacées, et où des plans de franchissabilité piscicole sont à déployer (équivalent liste 2): nous sommes encore d'accord, mais à l'ensemble des conditions précédemment établies (notamment l'interdiction de toute prédation sur les espèces menacées), auxquelles s'ajoute la nécessité d'un financement public vu le coût élevé des travaux en rivière et charges sur les propriétés riveraines concernées.

Ces positions sont logiques, raisonnables, équilibrées. Elle peuvent probablement recueillir un large consensus. Aller au-delà relève d'un extrémisme militant et minoritaire, et d'un défaut de réalisme condamnant la réforme à l'échec.

Elus, personnalités, associations : merci de vous engager dans l'appel à moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, déjà soutenu par plus de 1000 grandes signatures dont 600 élus. La destruction du patrimoine hydraulique et la gabegie d'argent public doivent cesser et céder la place à la concertation. Nos rivières ont besoin de vous !

Illustrations : un seuil de moulin sur la Brenne (Côte d'Or) et son hydrosystème. Le Ministère de l'Ecologie persiste à désigner comme "dégradé" tout habitat qui ne serait pas "naturel". Ce n'est pas tenable, cela fait plusieurs millénaires que le profil et le peuplement des cours d'eau sont modifiés par la présence humaine. La morphodiversité créée par les seuils est une donnée déjà ancienne des rivières françaises, ses impacts sont très variables, certains de ses effets sont positifs en l'état des autres pressions sur les bassins versants, la modification des peuplements reste souvent modeste et sans gravité particulière. En témoigne d'ailleurs le très grand  nombre de rivières à seuils et barrages ayant été classées en liste 1 en raison de leur intérêt écologique ou ayant un Indice Poisson Rivière (IPR) de bonne voire excellente qualité. Il faut cesser les généralités et les préjugés, surtout dans une prose ministérielle où l'on attend une défense de l'intérêt général et des services rendus par les écosystèmes, pas un jusquau-boutisme de restauration écologique indifférent aux usages comme aux avis des populations.

03/12/2015

Consultation de la Sélune: 98,89% de voix contre la suppression des barrages

Le Président de la République avait suggéré un référendum local pour trancher la question de la suppression ou conservation des barrages de la Sélune. Mais ceux qui vantent bruyamment la «démocratie de l’eau» se sont bien gardés de donner ainsi la parole aux riverains. Une consultation populaire a été organisée par l’association les Amis des barrages. Sur 19.276 participations, le refus de supprimer les ouvrages frôle les 99%.  

Voici la déclaration de l’Associations les Amis du barrage, à travers son président John Kaniowsky :
"C’est bien évidemment un succès à la fois indéniable et inespéré. Mais, au-delà de ces considérations, on ne pourra s’empêcher de comparer ce résultat à celui de l’enquête publique qui s’était déroulée du 15 septembre au 17 octobre 2014 inclus. On nous avait alors annoncé que sur 4 589 opinions exprimées, 53 % des avis étaient favorables à l’arasement des barrages contre seulement 47 % en faveur de leur maintien. Plusieurs voix, dont les nôtres, s’étaient élevées pour dénoncer le décalage de ce résultat avec les opinions majoritairement exprimées à de nombreuses reprises, que ce soit à l’occasion de réunions publiques ou de manifestations diverses. On aurait pu facilement comprendre et admettre une différence de 10 %. Mais comment expliquer plus de 52 % d’écart en à peine une année ? La réponse tombe sous le sens : les avis validés par la commission d’enquête ont été majoritairement émis par simple idéologie et par des personnes qui ne sont pas concernées par l’avenir de la Sélune et de notre Sud-Manche, et dont ils ignorent, pour la plupart, la situation géographique exacte. Britanniques, Canadiens, Américains et autres amis étrangers se sont exprimés en masse à la demande d’associations dites 'écologistes'" Source


Le député Guénhaël Huet remettra en mains propres ces résultats à la Ministre de l’Ecologie. L'ensemble de la procédure a été consigné par huissier.

Commentaires
  • Cette consultation a une participation 4 fois supérieure à celle organisée "officiellement" par les gestionnaires de l'eau sur la Sélune – et 5 fois supérieure à l'ensemble de la participation à la consultation publique du SDAGE Seine-Normandie 2016-2021 (sur 18 millions d'habitants!).
  • Une des raisons en est que les formes institutionnelles de consultation sont conçues pour dépolitiser la question de l'eau, et en particulier de la continuité : jargon technocratique, euphémisation, analyse coût-bénéfice biaisée, information incomplète, pressions réglementaires et institutionnelles en faveur d'une des options, etc.
  • Dans les cas où il existe des alternatives et des fortes oppositions, nous sommes favorables à l'usage de consultations locales comme l'a suggéré le Président de la République. C'est aux habitants des vallées et des rives de décider de l'avenir de leur cadre de vie, pas aux groupes de pression ni aux bureaucraties non élus démocratiquement.
  • La continuité écologique prétend être une mesure d'intérêt général. Ce n'est pas le cas. C'est une mesure qui vise à améliorer certaines dimensions de la rivière et certains usages de cette rivière, ce qui n'est pas contestable, mais qui pénalise d'autres dimensions et d'autres usages. Personne ne peut s'autoproclamer "seul défenseur du bien commun" au nom d'une vision particulière de la nature, en parfait mépris du pluralisme de la société, de la diversité des images et des usages de la rivière, de la nécessité de concilier les enjeux environnementaux avec les enjeux sociaux, patrimoniaux, énergétiques, paysagers, etc.
  • Pour la Sélune comme pour l'ensemble des ouvrages classés, nous demandons un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique afin d'apaiser les conflits, de prévenir les contentieux et d'organiser une vraie concertation, avec la totalité des parties prenantes et non plus avec une sélection limitée et biaisée d'interlocuteurs. La situation actuelle est le fruit du mépris et de l'exclusion dont sont victimes les premiers concernés par les ouvrages hydrauliques, ainsi que de l'incapacité manifeste de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie à reconnaître le caractère problématique du classement des cours d'eau. Cette supposée "écologie" punitive et destructive réussit en tout et pour tout à braquer le corps social contre les améliorations qu'elle entend promouvoir. C'est donc un échec à tout point de vue. Arrêtons les frais et reprenons le dossier à partir du retour d'expérience des 6 années écoulées depuis le premier Plan de restauration (Parce 2009). 

02/12/2015

Comités de bassin des Agences de l'eau: sortir du déni démocratique

L'eau est un milieu naturel. C'est aussi un milieu culturel, social, historique, n'en déplaise à ceux qui défendent une approche réductionniste ou exclusive de la rivière. Comme nous l'avons souligné et déploré à plusieurs reprises, les Comités de bassin des Agences de l'eau excluent de la représentation des usagers des catégories entières d'acteurs de la rivière : riverains, propriétaires de moulins sans usage industriel ou artisanal, défenseurs du paysage et du patrimoine bâti. Nous demandons donc une évolution du droit sur ce point, formalisée ci-dessous.  

La composition des Comités de bassin est fixée par les articles D214-17 et suivants du Code de l'environnement. Il existe 3 grands collèges:
  • l'Etat (20% des membres)
  • les élus (répartis en représentant des conseils régionaux, conseils départementaux et communes) (40% des membres)
  • les usagers (40% des membres).
Les usagers sont répartis en 3 sous-collèges (depuis le décret du 27 juin 2014):
  • usagers non professionnels;
  • usagers professionnels "Agriculture, pêche, aquaculture, batellerie et tourisme";
  • usagers professionnels "Entreprises à caractère industriel et artisanat".
Concernant la composition des usagers non-professionnels, l'arrêté du 27 juin 2014 dispose:
"1° Le sous-collège des usagers non professionnels est composé des représentants des associations agréées de défense des consommateurs, des représentants des associations agréées de protection de la nature, des représentants des activités nautiques, des représentants des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique ainsi que, le cas échéant, des représentants des organismes de protection des marais"
C'est donc à ce point que se niche le déni de démocratie. En effet, on ne trouve pas dans les usagers non-professionnels de représentants des :
  • riverains,
  • propriétaires de moulins et autres ouvrages hydrauliques,
  • défenseurs du patrimoine et du paysage.
Or, ces groupes ont des associations ou fédérations représentatives au niveau national, ils sont directement concernés par la politique de l'eau et ils ont évidemment leur mot à dire sur la restauration des rivières qui concerne à la fois leurs propriétés (en cours d'eau non domaniaux, majoritaires), le patrimoine bâti de la nation (moulins, étangs, douves et remparts, fontaines, lavoirs, canaux et biefs, etc.), la valeur immatérielle mais essentielle des paysages structurant le cadre de vie.

Nous suggérons donc aux institutions engagées dans la discussion avec le Ministère de porter l'évolution suivante de l'arrêté d'application sur la composition des Comités de bassin  :
"1° Le sous-collège des usagers non professionnels est composé des représentants des associations agréées de défense des consommateurs, des représentants des associations agréées de protection de la nature, des représentants des activités nautiques, des représentants des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique, des représentants des propriétaires de moulin, des représentants des riverains, des représentants des associations de défense du patrimoine et du paysage, ainsi que, le cas échéant, des représentants des organismes de protection des marais"
Cette évolution représenterait une approche plus démocratique de la société civile, notamment dans le domaine de la continuité écologique et de la restauration morphologique des rivières, qui forme une composante significative des politiques publiques de l'eau, mais aussi dans le respect du principe général de "gestion équilibrée et durable" de la ressource (art. L211-1 CE). Cette évolution serait aussi de nature à produire des délibérations et des décisions plus représentatives de l'intérêt général.

01/12/2015

Energie hydraulique, continuité écologique: les bonnes questions du sénateur Jean-Jacques Lasserre

Jean-Jacques Lasserre, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, interpelle le gouvernement sur les contradictions entre la volonté affichée de lutter contre le réchauffement climatique et le découragement de l'énergie hydro-électrique par des demandes administratives sans réalisme économique ni proportion aux enjeux écologiques. (Source)

M. Jean-Jacques Lasserre . - Il existe en France plusieurs milliers de moulins qui produisent de l'hydroélectricité, et plusieurs milliers d'autres qui pourraient en produire. Mais la complexité des demandes d'autorisation, le coût de l'investissement dans les équipements et les barrières administratives opposées par la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) sont autant de freins. Il y a une contradiction évidente entre la volonté du ministère de développer cette énergie alternative et la piètre mise en valeur de ce potentiel par les services de l'État.

La petite hydroélectricité, en plus d'être une énergie renouvelable, respecte l'environnement puisque les plans d'eau créés par les microcentrales sont autant d'écosystèmes protégés et de sites touristiques attractifs. Elle constitue un apport énergétique non négligeable. Les installations en rivière contribuent aussi à l'étalement des crues - ce que nous apprécions, au Pays basque. La destruction des seuils naturels ou artificiels en rivière au motif de continuité écologique est une grave erreur. Enfin, la petite hydroélectricité crée de l'activité dans les campagnes. Que compte faire le Gouvernement?

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale . - La petite hydroélectricité est une filière de production d'énergie renouvelable qui présente bien des atouts en milieu rural. Dans la loi pour la transition énergétique, le Gouvernement a soutenu la reprise des petites installations en mettant au point une autorisation unique ; le tarif de rachat sera réévalué, les très petites installations y seront éligibles. Enfin, des appels d'offres seront lancés, certaines seront ciblées sur les installations de très petite puissance comme les moulins.

M. Jean-Jacques Lasserre. - Sans mettre en cause vos bonnes intentions, j'espère que les administrations suivront dans les départements.


Commentaires
Le sénateur a résumé en quelques mots les atouts du patrimoine hydraulique et l'intérêt de son équipement. Il est fondé à s'interroger sur le comportement des administrations dans chaque département. Mais il conviendrait également de pointer la responsabilité de la Direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l'Ecologie, ainsi que celle de l'Onema. Car après tout,  dans le domaine de l'eau, la plupart des services déconcentrés de l'Etat ne font que suivre les instructions de la DEB ou les prescriptions techniques de l'Office.

Rappelons que :
  • jamais les députés et sénateurs n'ont voté l'effacement des ouvrages dans la loi sur l'eau de 2006 ni dans la loi de Grenelle de 2009 (voir cet article et voir le compte-rendu de la commission des lois de 2006); 
  • c'est une interprétation abusive de l'administration qui a introduit, dans les Circulaires de 2010 (application du Parce 2009) et 2013 (application du classement des rivières), en même temps que dans les préconisations des représentants de l'Etat au sein de certaines Agences de l'eau, l'effacement prioritaire des ouvrages (voir cet article);
  • alors que la Ministre de l'Ecologie appelle à ne plus détruire les moulins (voir cet article), tout comme la Ministre de la Culture (voir cet article), rien ne change dans le comportement administratif, de sorte que l'autorité de l'Etat sur sa propre administration commence à être questionnée, en particulier dans ce domaine de l'eau où certains éléments des directions ministérielles et certains établissements administratifs poursuivent manifestement des programmes idéologiques allant bien au-delà de l'application de la loi;
  • la dérive est loin d'avoir cessé, puisque le décret du 1er juillet 2014 et l'arrêté du 11septembre 2015 illustrent l'acharnement persistant de l'administration à compliquer la vie des propriétaires d'ouvrages hydrauliques, en l'occurrence à faciliter la casse des droits d'eau et règlements d'eau, soumettre au bon vouloir du Préfet toute restauration énergétique de moulin, imposer des mesures d'aménagement disproportionnées qui coûtent des dizaines à des centaines de milliers d'euros sur chaque ouvrage, même modeste, qui découragent toute action et qui n'ont jamais fait l'objet d'une analyse coût-efficacité sérieuse à échelle des bassins où elles prétendent s'appliquer;
  • l'appel à projets du 13 novembre 2015 lancé par Ségolène Royal, s'il va dans le bon sens, ne corrige hélas pas la tendance de fond car il ne concerne que 50 projets entre 36 et 150 kW (sur un total de sites équipables supérieur à... 70.000), il impose des encadrements disproportionnés pour ce type de petites puissances, il ne permet pas des tarifs de revente assez élevés pour compenser les coûts énormes des mises aux normes écologiques demandées dans le cahier des charges.
Comme en témoigne le soutien de plus en plus massif que reçoit l'appel à moratoire sur la continuité écologique, le fossé se creuse entre les riverains, les usagers et leurs élus d'une part, l'administration centrale, les services déconcentrés, les Agences de l'eau et l'Onema d'autre part. L'action publique est perçue comme opaque, complexe, déraisonnable et inefficace, quand elle n'est pas jugée partiale voire arbitraire. A ceux qui affirment au sommet de l'Etat qu'il ne faut plus détruire mais aménager et équiper les ouvrages hydrauliques, nous demandons davantage que des bonnes paroles : nous voulons des décisions claires, des textes opposables par les propriétaires d'ouvrages à toute tentative de les pousser à l'effacement de leur bien ou au renoncement de son équipement énergétique.

Illustration : France 3, droits réservés. Pendant que le gouvernement fait de vagues promesses, les programmes de destruction continuent. Si l'effacement produit un bénéfice écologique conséquent et prouvé (ou améliore la sécurité publique), et s'il relève d'un choix libre, éclairé, informé, sans chantage économique ni pression réglementaire du maître d'ouvrage et des riverains dans l'influence du barrage, pourquoi pas? Mais ces conditions sont aujourd'hui très rarement réunies.