22/03/2016

Les analyses coût-bénéfice sont défavorables à la directive-cadre européenne sur l'eau (Feuillette et al 2016)

Huit économistes (dont six en agences de l'eau) viennent de publier un article sur les analyses coût-bénéfice (ACB) appliquées à l'environnement, en prenant l'exemple de l'évaluation de la directive-cadre sur l'eau (DCE 2000) en France. On y apprend que 710 ACB ont été menées (alors qu'il y a plus de 11.500 masses d'eau), que les trois-quarts montrent des coûts excédant très largement les bénéfices, que ce résultat est aggravé en zones à faibles populations (soit toute la ruralité, par ailleurs riche en linéaire de rivière). Les auteurs concluent que l'ACB est un outil présentant de nombreux défauts. On pourrait aussi conclure à la nécessité de débattre publiquement de la mise en oeuvre de la DCE 2000, au lieu de l'actuelle confiscation des normes, des méthodologies et des évaluations par les experts. Entre ses exigences peu applicables dans les délais, sa mise en oeuvre complexe et opaque, ses bénéfices incertains et son détournement de la concertation démocratique, la politique de l'eau traverse décidément une crise grave.

Sarah Feuillette et ses collègues sont économistes dans les Agences de l'eau de la métropole, Harold Levrel chercheur à AgroParisTech et Blandine Boeuf à l'Université de Leeds. Ces auteurs viennent de publier un article sur l'utilisation des analyses coût-bénéfice dans les politiques environnementale à partir de l'exemple de la Directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000).

La DCE 2000 prévoyait que le bon état écologique et chimique des masses d'eau devait être atteint en 2015, sauf reports et exemptions prévus dans plusieurs cas : motif technique (pas de moyen pour arriver au bon état), motif naturel (temps trop long de réponse du milieu à la mesure) ou motif économique (coût des mesures disproportionné). L'article 4 en particulier indique que le coût disproportionné justifie soit le report 2021 ou 2017, soit un objectif moins ambitieux que les critères usuels du "bon état".

Plus généralement, les politiques publiques de l'environnement demandent des critères d'évaluation de leurs normes et de leur implémentation, en particulier la proportion dans laquelle l'amélioration de l'environnement contribue au bien-être et à l'intérêt général. Les analyses coût-bénéfice (ACB) font partie de la panoplie des instruments pour procéder à de telles évaluations.

L'ACB exige d'évaluer les coûts comme les bénéfices en équivalent monétaire. Les coûts ne posent pas de problème majeur, car ils correspondent au budget des mesures et de leurs suivis. (On notera qu'il y a cependant des incertitudes sur le coût final, par exemple quand des mesures environnementales ont des effets adverses imprévus demandant des travaux correctifs 5 ou 10 ans plus tard, ce qui n'est pas rare dans le domaine de l'eau).

Les bénéfices sont plus complexes : on distingue ceux qui ont une valeur d'usage (cas le plus simple, par exemple usage indirect comme la vente de carte de pêche ou usage direct comme la prévention de dommages liés aux inondations) et ceux qui ont une valeur de non-usage ou valeur d'existence. Ces derniers sont beaucoup plus subjectifs. Une méthode pour essayer d'objectiver est le consentement à payer sur un marché hypothétique : on analyse ce qu'une population de référence est prête à payer pour un service non-marchand, on rapporte au nombre d'usagers ou adeptes connus de ce service. Mais d'autres cas sont plus complexes, par exemple savoir le prix que l'on accorde à la présence ou l'absence de certaines espèces. Vu la difficulté donc le coût à réunir les conditions d'une bonne ACB, on tend à utiliser la technique des transferts de bénéfices, c'est-à-dire à adapter les bénéfices connus d'une situation déjà évaluée à une autre. Ce qui n'est pas sans poser d'autres problèmes, car toutes les populations n'ont pas forcément les mêmes évaluations de tous les usages.

Durant le premier cycle d'implémentation de la DCE 2010-2015, les Agences de l'eau ont procédé à 710 analyses coût-bénéfice. On notera que ce chiffre est faible en comparaison des 11.523 masses d'eau superficielles que compte le pays, même si un peu moins de la moitié d'entre elles sont considérées comme en bon état écologique ou chimique (la masse d'eau est l'unité hydrographique de mesure du bon état et donc, en théorie, d'ACB sur les moyens d'y parvenir). Les Agences de l'eau ont retenu comme critère du coût disproportionné le fait que le bénéfice représente moins de 80% du coût. Ce critère est arbitraire – on aurait aussi bien pu considérer que le bénéfice devait valoir le coût, ce qui serait logique si l'on vise l'intérêt général.

Les auteurs font observer que "les trois-quarts des 710 ACB ont montré des bénéfices considérablement moins élevés que les coûts". Ils donnent un exemple sur la masse d'eau Béthune et Arques où le coût est de 235 M€ pour un bénéfice de 18,2 M€. Le rôle de la population de référence joue : une zone rurale avec peu de bénéficiaires affronte des coûts relatifs plus importants qu'une zone urbaine. Par exemple, un train de mesures similaire sur la Vidourle (42.000 habitants) et sur le Lez-Mosson (414.000 habitants en raison de Montpellier) va produire une ACB très défavorable dans un cas, favorable dans l'autre. Dans un bassin comme Artois-Picardie, aucune analyse n'avait un bénéfice supérieur à 80% des coûts. En Seine-Normandie, 10% seulement étaient dans ce cas. C'est Adour-Garonne qui parvient au meilleur résultat (66% d'ACb favorables) à ceci près que ce bassin en met en avant que 4 ACB (contre par exemple 150 pour Loire-Bretagne).

Outre le biais géographique et démographique, les auteurs soulignent les autres limites : la difficulté à ramener à des termes monétaires des bénéfices relatifs à l'environnement; l'utilisation des ACB par des usagers économiques pour influer sur le processus en exagérant ses coûts pour défendre des intérêts privés. Ils suggèrent en conclusion d'utiliser des méthodes non-monétaires ou semi-qualitatives pour certaines dimensions des politiques de l'eau.


Les biais potentiels sont nombreux, pas seulement ceux des lobbies économiques
Les biais dans la réalisation et l'exploitation des ACB peuvent être nombreux, et on aurait tort de les limiter aux seules stratégies des entreprises pour défendre des intérêts privés (même si ces luttes d'influence sont une réalité) ou aux démographies des territoires. Les valeurs que l'on donne aux écosystèmes, à la biodiversité, à la présence de certaines espèces peuvent aussi bien être déformées par la pression organisée des convictions idéologiques (par exemple le conservationnisme) et des usages sectoriels non-marchands (par exemple la pêche). Plus généralement, il y a un problème de méconnaissance de ces questions dans la population générale, pour qui la rivière est d'abord un phénomène paysager et récréatif, éventuellement une menace (pollution, inondation) mais rarement un processus écologique complexe. Qui dit consentement à payer dit que le consentement ne doit pas être vicié, notamment que la personne doit se représenter correctement les tenants et aboutissants des objectifs comme des moyens. Or, c'est rarement le cas, notre action associative ne cesse de l'éprouver sur le terrain.

Les biais peuvent donc exister aussi bien dans la manière dont sont évalués des consentements à payer, en fonction par exemple du niveau de précision sur les bénéfices attendus ou des coûts à venir dans des enquêtes avec questionnaires. Ainsi, dans un domaine connexe, on observe que les sondages produits par les Agences en accompagnement des SDAGE (consultation du public) sont conçus de telle sorte qu'il est très difficile d'avoir un avis négatif sur la question posée ou de comprendre ses attendus (personne n'est contre une "biodiversité plus riche" ou une "rivière moins polluée" ; mais si ce genre de questions devient "avoir davantage d'insectes d'eaux vives", "démanteler les seuils, barrages et digues", "utiliser les propriétés riveraines comme champ d'expansion des crues" ou "interdire les pesticides et herbicides dans votre jardinage", ce sera nettement moins évident de recueillir de l'adhésion citoyenne… alors que ce serait beaucoup plus honnête).

Le principal enseignement de l'article étant que les coûts de la DCE semble outrepasser largement ses bénéfices sur les 710 ACB menées, on regardera avec un certain scepticisme la conclusion (peu développée) des auteurs sur l'opportunité de chercher d'autres méthodes. Non pas que l'ACB soit l'alpha et l'oméga de l'évaluation des politiques publiques, mais cette proposition de Feuillette et al ressemble fort à la recherche d'une technique permettant de valider malgré tout des objectifs posés a priori en sélectionnant l'outil qui finit par y parvenir – et en évacuant ainsi l'hypothèse dérangeante selon laquelle la politique en question est tout simplement mauvaise au regard de ce que la majorité des citoyens peut en retirer!

DCE 2000 et implémentation française,
entre sclérose technocratique et déficit démocratique

Deux chercheurs avaient déjà observé que "l'état de référence" écologique d'une masse d'eau, outil méthodologique central des visées normatives de la DCE, présente des biais dans sa conception et ne fait nullement consensus chez les scientifiques (voir Bouleau et Pont 2015). Ce nouvel article suggère que l'évaluation des coûts et bénéfices est lui aussi un exercice qui peut être biaisé. Sa conclusion actuelle (avec ou sans biais) paraît que les coûts de la DCE 2000 pour les citoyens excèdent le plus souvent les bénéfices qu'ils peuvent en attendre, en particulier dans les zones rurales peu peuplées, les plus riches en linéaires de cours d'eau.

Des normes complexes sont décidées à partir des savoirs (partiels, parfois concurrents) des experts et spécialistes, puis elles sont imposées de manière verticale. L'essentiel de la posture politique et administrative consiste aujourd'hui à habiller l'exercice d'application de ces normes d'un faux-semblant de débat démocratique, en prenant soin d'anesthésier l'opinion d'assertions grandiloquentes, forcément consensuelles et indiscutables ("il faut sauver la rivière", "nous devons préserver la nature", etc.), mais en modulant au final la rigueur d'application des normes dans des négociations très discrètes avec les principaux lobbies concernés.

Est-ce la "démocratie de l'eau" que nous voulons? En quoi le citoyen peut-il adhérer, ou même faire confiance, à une politique dont il est méthodiquement exclu – sauf comme contribuable sommé de payer ses coûts? Des blocages complets (Sivens, Notre-Dame-des-landes) vont-ils devenir la norme de politiques incapables de trouver une voie politique pour asseoir sinon des consensus, du moins des choix majoritaires ? Nos sociétés ne vivent-elles pas dans l'illusion qu'elles ont encore les moyens de payer des politiques publiques environnementales à forte ambition alors qu'il est de plus en plus difficile de solvabiliser ces mêmes politiques publiques dans des domaines jugés plus centraux par une large majorité de citoyens (emploi, santé, logement, etc.)? Y a-t-il une cohérence à poser la croissance marchande classique comme premier objectif de l'économie tout en demandant de réduire les impacts propres à la plupart des activités productives permettant cette croissance? La politique de l'eau souffre déjà de sclérose technocratique et de déficit démocratique : elle ne pourra pas échapper indéfiniment à ces questions de fond.

Référence : Feuillette S et al (2016), The use of cost–benefit analysis in environmental policies: Some issues raised by the Water Framework Directive implementation in France, Environmental Science & Policy, 57, 79–85

Illustration : la suppression des seuils et barrages est un cas classique de restauration des rivières, présentée en France comme l'un des moyens de remplir les objectifs de la DCE 2000 (ce qui est contesté au plan des résultats). La rigueur de l'analyse coût-bénéfice est mise à l'épreuve dans ce genre de travaux. Comment évalue-t-on les bénéfices réels (changements d'usage avérés) des pêcheurs, promeneurs, kayakistes, etc. en face des coûts pour la collectivité, le propriétaire, les riverains? Que vaut le manque à gagner au plan du patrimoine, du paysage, de l'esthétique? Avec quelle précision est évalué l'apport du chantier pour la biodiversité de la rivière (c'est-à-dire en quoi l'hydrosystème sans retenue a-t-il davantage d'espèces, des bactéries aux oiseaux en passant par les insectes, les poissons, les mammifères et toute la flore)? Si l'effet est de simplement changer des répartitions de telle ou telle espèce, quelle valeur a le changement en équivalent monétaire? Comment intègre-t-on les coûts d'accompagnement, y compris parfois à long terme si l'érosion des berges ou la fragilisation des bâtis demandent des travaux supplémentaires ? Il serait intéressant de disposer des méthodologies des Agences de l'eau pour contrôler la qualité de l'analyse des consentements à payer et des transferts de bénéfice dans ce genre de situation, d'autant que ces Agences financent de 80 à 100% les destructions, soit les barèmes les plus élevés en soutien public (chantier en Irlande, source, tous droits réservés).

21/03/2016

Lettre ouverte aux députés Dubois et Vigier sur certains oublis de leur rapport

L'association Hydrauxois et l'Association de sauvegarde des moulins et rivières de la Sarthe avaient été auditionnées par les députés Dubois et Vigier pour leur enquête parlementaire sur les continuités écologiques aquatiques. Mais elles ne figurent pas dans la liste des organismes consultés et, plus gravement, la plupart des points mis en avant ont été gommés du rapport. La réussite de la continuité écologique est impossible sans la participation des premiers concernés, à savoir les maîtres d'ouvrage et les riverains. Ce n'est pas en écartant leurs témoignages et leurs arguments que l'on parviendra à quoi que ce soit, sinon un blocage complet de la réforme. 

Madame la députée Françoise Dubois
Monsieur le député Jean-Pierre Vigier,

Nous avons apprécié certaines propositions  retranscrites dans le rapport n°3425 de la Commission de développement durable sur Les continuités écologiques aquatiques, paru en janvier 2016. En particulier, nous partageons votre volonté de
  • recentrer  la mise en œuvre prioritaire de la continuité écologique sur les axes grands migrateurs,
  • ne pas fixer un objectif a priori d’effacement des ouvrages comme solution préférentielle,
  • proposer un financement à 100 % des frais d’aménagement des propriétaires lorsque des travaux seront jugés utiles (après étude d’impact).
En Sarthe,  confrontés à la volonté d’effacement de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, et plus particulièrement à l’acharnement  de M. Jean-Paul Doron (vice-président  du comité de bassin),  nous apprécions particulièrement l’écoute  de Madame la Députée Françoise Dubois pour pondérer cette situation conflictuelle et nous espérons que la proposition de rencontrer Mme Pompili sur le terrain se concrétisera. Mais les problèmes de la Sarthe s’observent aussi bien sur d’autres bassins, comme celui de Seine-Normandie où la prime à la destruction des ouvrages est systématique et où presque tous les maîtres d’ouvrage sont insolvables à hauteur de ce qui est leur est demandé.

Cependant, nous observons que votre rapport est encore loin de refléter l’ensemble des observations et contributions faites.

Vous avez accepté par courrier du 29 mai 2015  le principe d’une contribution écrite valant audition de M. Charles-François Champetier, agissant en tant que président de l’association Hydrauxois et porte-parole de l’Observatoire de la continuité écologique. Vous avez accusé réception de sa contribution le 26 juin 2015. Pour le même rapport, vous avez effectué une réunion sur le terrain le 22 octobre 2015 au Moulin de La Lande à Vivoin, chez M. Arsène Poirier, président de l’Association de sauvegarde des moulins et rivières de la Sarthe (ASMR 72).

Nous observons que ces éléments ne sont pas mentionnés dans la liste des contributions au rapport et, plus gravement, que les informations communiquées à ces occasions n’y sont pas reprises.

Les points suivants vous ont notamment été exposés, et sont absents du rapport :

  • l’existence de rivières de contournement dans près de 70 % des ouvrages de la Sarthe, dispositifs de contournement en place, parties intégrantes du système hydraulique liés aux ouvrages, assurant la continuité piscicole sans destruction de seuils ni investissement inutile en passes à poissons. M. Poirier a remis en mains propres un dossier  sur les bras de contournement à MM Riguidel,  Doron, Nouvel (DDT Sarthe) ainsi qu’à Mme Dubois ;
  • le démenti concernant la méconnaissance des obligations des droits et devoirs des propriétaires de moulins, alors que nos adhérents sont régulièrement informés de l’ensemble des obligations réglementaires malgré l’extrême complexité du droit de l’environnement ;
  • l’absence intolérable de représentation des associations de moulins, riverains, protecteurs du patrimoine des rivières dans les Comités de bassin et les commissions techniques (Comina) des Agences de l’eau, ainsi que dans nombre de Commissions locales de l’eau des SAGE, comités consultatifs des MISEN ou des DIG portant sur plusieurs ouvrages en rivières classées L2 ;
  • le manque de motivation scientifique des réformes de continuité écologique et de certains de leurs outils (comme le taux d’étagement), alors que de nombreux travaux, dont certains de chercheurs français, montrent soit le faible impact des ouvrages sur la qualité piscicole au sens de la DCE 2000 (Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015) soit la faiblesse très problématique des protocoles de suivi de opérations de restauration morphologique (Morandi et al 2014) ;
  • l’insécurité permanente face à l’arbitraire interprétatif des services déconcentrés de l’Etat et l’inégalité patente devant les charges publiques, car chaque Agence de l’eau, chaque DDT(-M) et chaque service Onema procède à des interprétations différentes des enjeux de continuité comme à des financements différents des mises en conformité ;
  • le manque de transparence, d’efficacité et de légitimité des Agences de l’eau, qui tendent à créer dans les SDAGE des interprétations du droit de l’environnement allant très au-delà des textes de loi, qui ne publient pas les données sources des états des lieux écologiques et chimiques de chaque masse d’eau, qui sont même, dans le cas de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, incapables de donner un état chimique du bassin en 2015 malgré l’obligation qui leur en est faite par la transposition DCE de 2004 et par le droit à l’information environnementale des citoyens, garanti par la Constitution.

Madame la députée,
Monsieur le député,

En tant que défenseurs des moulins et autres ouvrages hydrauliques, souvent présents depuis des siècles, nous représentons des personnes qui vivent à côté des rivières, qui subissent leur loi, qui connaissent leur histoire et qui respectent leur vie.  Nous recevons et transmettons la mémoire de cette longue occupation humaine de nos vallées, dans le respect des patrimoines naturels et culturels.

Améliorer la circulation des poissons s’il existe des menaces avérées d’extinction, optimiser le transport sédimentaire s’il existe des déficits avérés de charge solide, nous n’y sommes nullement opposés.  Et au-delà, nous souhaitons une lutte contre les pollutions qui dégradent notre cadre de vie en même temps qu’elles affectent tous les milieux aquatiques.

Vous nous avez rencontrés, vous nous avez lus. Nos associations, comme des centaines d’autres en France, ne critiquent pas la réforme de continuité écologique au nom d’on ne sait quel conservatisme ou obscurantisme.

Elles la critiquent car la mise en œuvre actuelle de cette réforme est faible dans ses fondements scientifiques, expérimentale dans ses chantiers donc très incertaine dans ses résultats, coûteuse dans ses réalisations, distante des préoccupations environnementales des citoyens et coupée des réalités de terrain, ignorante des services rendus par les écosystèmes aménagés et, au final, trop souvent éloignée du véritable intérêt général commandant d’améliorer les milieux aquatiques sans pour autant sacrifier les dimensions économiques, culturelles, sociales et historiques de nos rivières.

Enfin, nous attachons une grande valeur au rôle du Parlement dans la vie de notre démocratie. C’est particulièrement vrai quand les dérives d’une interprétation administrative de la loi commandent aux citoyens de saisir leurs représentants démocratiquement élus, dépositaires de la volonté générale.

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que déplorer le caractère incomplet de votre rapport, la non-prise en compte de certaines de nos observations essentielles, le sentiment d’abandon et de révolte qui continue d’animer nos adhérents, et bon nombre de riverains exposés aux conséquences indésirables des excès de la politique de continuité.

Nous retenons votre proposition de continuer le travail sur cette réforme dont la mise en œuvre est aujourd’hui bloquée par les positions extrêmes de la Direction de l’eau et de la biodiversité du Ministère de l’Environnement comme par les dérives interprétatives de certaines Agences de l’eau.

Avec nos respectueuses salutations,

20/03/2016

En défense du seuil des brasseries de Ruoms (Ardèche)

L'Ardèche est une rivière dont les crues, liées aux épisodes cévenols, ont toujours été redoutables. Elles assurent un transport sédimentaire permanent, même pour des galets et blocs aisément charriés par des flots tumultueux. C'est aussi une rivière qui traverse des formations géologiques très diverses et présente plusieurs chutes naturelles, soit une fragmentation constitutive du lit. Le cours d'eau a été exploité de longue date pour son énergie, notamment à travers les moulinages. Nous avons reçu un remarquable dossier de l'Association de sauvegarde du patrimoine de la Bigournette en défense d'un seuil menacé de destruction dans le cadre de la continuité écologique. Nous le publions pour information, en espérant que des lecteurs riverains de l'Ardèche se joindront à ce combat nécessaire pour défendre le paysage, le patrimoine et le potentiel énergétique aux défilés de Ruoms.


Le monde évolue à grande vitesse et impose à ses disciples de s'adapter en permanence. Soit. Mais pouvons-nous pour autant effacer l'histoire et anéantir le patrimoine légué par nos aïeux, surtout si le changement n’est pas porteur d’améliorations incontournables et acceptées, notamment en termes de sécurité ?

Cette question, nombreux habitants de Ruoms, de Labeaume et d'ailleurs se la posent à la seule évocation de ce projet d'«effacement du seuil des Brasseries» sur la rivière de l'Ardèche. Erigé au nom de directives du droit communautaire, cette entreprise serait justifiée par la nécessité d'un rétablissement de la continuité écologique.

Un argument étonnant lorsque l'on sait que sept autres ouvrages (1) jalonnent le lit de la rivière en aval de Ruoms et qu'il conviendrait par conséquent dans cette logique de continuité de s'intéresser à l'ensemble des ouvrages plutôt qu'à un seul. Par ailleurs,  si l'objectif recherché est bien de permettre à la faune piscicole de remonter le cours de la rivière, ne serait-il pas plus opportun de commencer la réflexion par les ouvrages situés en aval? Nonobstant le fait que d'autres solutions moins impactantes existent pour y parvenir.

Cette incohérence, parmi de nombreuses autres, a été soulevée lors d'une réunion publique au printemps 2014 à Ruoms au cours de laquelle l'assemblée fort nombreuse a rappelé son attachement au patrimoine que constitue cet ouvrage et sa ferme opposition au projet de sa destruction (2). Il est par ailleurs légitime de s’interroger sur la pertinence du coût élevé (plusieurs dizaines de milliers d’euros) des études réalisées à ce jour qui tentent de défendre l’intérêt d’un tel projet. Ces études ont vocation à convaincre l'Etat, ultime décisionnaire.

Dans ce contexte, il est apparu nécessaire d'apporter une contre argumentation étayée et portée par une association tout nouvellement créée de défense de ce patrimoine (3). L'acte fondateur de cette démarche s’est traduit par l'organisation d'une réunion publique au printemps 2014 au cours de laquelle les arguments en faveur du maintien de l'ouvrage ont été pour la première fois exposés au plus grand nombre.

Voici en préalable de manière non exhaustive quelques-uns de ces arguments.

La sécurité de l’ouvrage en particulier, et de la rivière en général
La risques inhérents à la pratique des loisirs (pêche, canoë, natation, randonnée) sur une rivière ne sont aucunement liés à la rivière elle-même et à ses aménagements, mais au niveau d’eau qui peut en effet varier sensiblement à la faveur de fortes pluies. L’effet cumulé de la vitesse d’écoulement de l’eau et de la force des mouvements d’eau accroît le danger de manière proportionnelle à la hauteur d’eau. Par ailleurs, ces dangers concernent l’ensemble du linéaire de la rivière et non seulement les parties aménagées. L’observation de l’accidentologie de la rivière Ardèche au cours des vingt dernières années révèle en effet que les accidents graves surviennent bien davantage sur les parties naturelles de la rivière que sur les parties aménagées. Parmi de nombreux autres, les exemples des drames survenus récemment sur les rapides du Cirque de Gens (12 mai 2012), du Rocher de Cayre Creyt (30 août 2011), du Charlemagne (15 sept. 2004), de la Dent Noire (10 avril 2009 / 20 sept. 2012) ou encore de la Toupine (2 juin 2013 / 27 juil. 2014) nous le confirment de manière très claire. Faut-il pour autant « effacer » tous ces obstacles de la rivière ? La réponse est évidemment non. D’une part, le dénivelé naturel de la rivière ne permet pas de supprimer complètement un obstacle avant tout constitué par une rupture de pente, et d’autre part, il appartient avant tout aux acteurs de la rivière, aux premiers rangs desquels les gestionnaires institutionnels en concertation avec les professionnels de l’activité de location, de tout mettre en œuvre pour qu’une information pertinente et efficace soit mise en œuvre (orale et visuelle) et que des services de sécurité adaptés à la fréquentation de la rivière puissent se déployer sur les rapides pouvant constituer un danger comme cela est déjà le cas sur certains passages dans les Gorges de l’Ardèche (Dent Noire et Toupine).

Sur le plan réglementaire, les arrêtés régissant la navigation en aval de Sampzon sont très précis, en indiquant notamment une limite de hauteur d’eau à la location de canoë. Déterminée avec l’aide des professionnels de l’encadrement et de la location de canoë, cette indication de hauteur d’eau a été fixée selon le danger objectif des obstacles. La côte à partir de laquelle le danger devenait réel (par exemple l’apparition d’un siphon au passage d’un rapide ou du phénomène de rappel en pied de seuil par exemple) est devenue la référence au-delà de laquelle l’activité de location devenait interdite. Bien que cette réglementation n’élimine pas tous les dangers de la rivière, celle-ci a très certainement contribué à réduire sensiblement le nombre d’accidents. Pour la partie de rivière située en amont de Sampzon, la réglementation est en revanche beaucoup moins précise et se fonde sur la référence à une échelle (Vogüé) qui ne semble plus calibrée correctement en raison des mouvements du lit de la rivière. Cette situation crée un vide juridique, ce qui peut entraîner de réels dangers aussi bien sur les parties naturelles qu’aménagées de la rivière. Une extension à tout le linéaire de la rivière des règles appliquées en aval de Sampzon paraît donc primordiale en prévoyant notamment l’installation sur le secteur de Ruoms (en amont des confluences de la Beaume et du Chassezac) d’une échelle dé référence pour la partie amont. Enfin, en termes d’information, la signalétique mise en place sur la rivière est clairement défaillante. Il convient urgemment que les services auxquels cette mission de signalétique a été déléguée s’emploient au plus vite à y remédier.


La valeur patrimoniale de l'ouvrage (4)
Système hydrographique et installations humaines sont étroitement liés au site des Défilés de Ruoms depuis de nombreux siècles. Dès la Préhistoire, cette richesse aquatique n'a pas échappé aux habitants, comme en témoignent les nombreuses trouvailles faites le long des rivières, notamment de l'époque des premiers agriculteurs du Néolithique. L'occupation du lieu persiste à l'époque romaine sous le village médiéval actuel. Ce village que nous connaissons aujourd'hui s'est formé au Xème siècle autour d'une dépendance, un "prieuré" de la richissime abbaye de Cluny. Il s'agit d'une donation de terre, et probablement d'installations agricoles, faites du temps de l'abbé Mayeul (954-994). Second abbé du célèbre monastère bourguignon, il fut également un influent personnage de son époque. Différentes recherches historiques menées récemment ont révélé que le moulin attenant au seuil présente des méthodes de construction utilisant l'appareil à bossage, ce qui est caractéristique de l'époque médiévale et qui permet de dater l'ouvrage au 13ème siècle. Inventée dès l'Antiquité, le moulin à eau permettait d'utiliser par gravité la force motrice des cours d'eau pour transformer le grain en farine, les noix en huile, le chanvre en teille ou encore plus tard pour produire de l'énergie. Pour fonctionner, un moulin à eau doit disposer d'une certaine hauteur de chute d'eau (le dénivelé). La différence de hauteur nécessaire était obtenue grâce à des canaux d'amenée (le « béal » en occitan) ou par des seuils naturels ou artificiels. La partie amont du moulin constituait alors un réservoir appelé bief. Plusieurs ancrages décelés dans les fondations de l’ouvrage ruomsois attestent de la présence d'un ancien seuil construit en bois. Cette technique est maîtrisée et utilisée depuis plus de 3000 ans (5). Sans doute construit à l'aide de gabions sur un site naturellement propice (faible largeur de la rivière et enrochement sur les deux rives assurant un ancrage solide), ce seuil  permettait d'obtenir une retenue d'eau et ainsi le dénivelé nécessaire au fonctionnement mécanique du moulin. On devine par ailleurs les fondations d’une ancienne construction dans le lit de la rivière en aval de l’ouvrage actuel. Le seuil des Brasseries de Ruoms est donc très ancien, de plusieurs siècles, et constitue ainsi l’un des plus vieux ouvrages qui jalonnent le parcours de la rivière. Il est donc tout à fait légitime que les habitants y soient attachés et ne souhaitent pas que ce patrimoine séculaire disparaisse de leur territoire.

L’utilité de l’ouvrage
sur le plan énergétique
Le propriétaire de l’ouvrage et du moulin est favorable à la poursuite de son activité de production d’énergie hydraulique, une démarche qui s’inscrit dans la continuité de toutes les politiques environnementales actuelles qui plébiscitent sans réserve ce type d’activité non polluante. Toutefois, la pérennité de son activité est soumise au renouvellement de sa concession d’exploitation, laquelle est conditionnée par la construction – à ses frais – d’un dispositif permettant la remontée de la faune piscicole. Le coût de financement  d’un tel dispositif est trop important pour qu’il puisse y répondre favorablement et aucune aide publique ne lui a été proposée, contrairement à de nombreux autres ouvrages privés qui ont pu bénéficier de l’expertise de bureaux d’études et de subventions publiques. Dans le cadre de la fongibilité des crédits qu’imposent notamment les nouvelles lois organiques relatives au lois de finances, il aurait été opportun que les deniers publics qui ont servi au financement des études présentées puissent être plutôt fléchés vers une aide à ces aménagements dont l’intérêt public est incontestable.

sur le plan touristique 
Les acteurs du tourisme – dont les usagers de la rivière  (6) - considèrent que l’ouvrage est indispensable au maintien de leur activité et que rien ne garantit la possibilité d’une navigation en sécurité en cas de disparition de l’ouvrage en particulier sur tout le linéaire de sa zone d’influence en amont (près de deux kilomètres). Le plan d’eau en amont de l’ouvrage constitue une zone particulièrement propice à la navigation dans un environnement préservé sous les Défilés de Ruoms.


La continuité écologique
Au moins quatre ouvrages en aval : St Martin, Vallon, Salavas et le Mas Neuf ont été équipés ces dernières années de passes à canoës et de passes à poissons. Grâce au travail conjoint des services de l’Etat et des collectivités territoriales, le seuil des Brasseries de Ruoms a été équipé en 1989 d’une passe à canoës qui a permis d’ouvrir le parcours entre Balazuc et Ruoms, qui chaque année rencontre un succès grandissant tout en délestant les parcours des Gorges de l’Ardèche. D’autre part, cette ouverture a engendré une forte activité économique sur l’ensemble du bassin concerné et permis la création de nombreux emplois. Il apparaît donc étonnant que l’installation des passes à poissons des seuils situés en aval n’ait pas encore été possible à Ruoms d’autant plus que les projets existent déjà et ont été publiés dans le cadre d’une étude du programme Life consacrée à l’Apron pour un coût estimatif de 372 k€ (8). Les équipements proposés par cette étude sont en tous points similaires à ceux installés en aval.

D’autre part, le responsable de l’association de pêche locale, qui connaît parfaitement la rivière en amont comme en aval de l’ouvrage depuis plus de 40 ans atteste que la faune piscicole est bien présente sous les défilés en amont de l’ouvrage où la pratique de la pêche est non seulement possible mais aussi très appréciée.

Le transport des solides
Au moyen de simulations pour le moins étonnantes qui ne respectent ni le profil naturel de la rivière, ni les principes fondamentaux de l’écoulement des fluides, les études présentées auraient pour ambition de faire croire que le seuil des brasseries constituerait un obstacle au transport des solides (sables et galets). L’étude de la morphodynamique relative au transport des solides en rivière indique que la recherche fondamentale dans ce domaine reste empirique et très fluctuante en raison de la grande diversité de situations et de phénomènes selon les milieux étudiés. Pour autant, le recours aux nouvelles technologies permet d'affiner les connaissances, notamment par des modélisations de plus en plus fidèles aux réalités qui caractérisent la dynamique physique des cours d'eau. On sait notamment que le transport sédimentaire et donc les modifications morphologiques se produisent quasiment de manière exclusive pendant les périodes de crues qui constituent des phénomènes instationnaires et complexes (9). A l'étiage, le transport des solides est inexistant (10). Lors de la mise en charge du cours d'eau, consécutivement à de fortes précipitations sur le bassin versant, la vitesse et le débit s'accélèrent, les matériaux solides sont alors déplacés d'abord sur le fond (phénomène de charriage) puis transportés en suspension selon l'intensité de la crue. Plus la vitesse et le débit des écoulements sont importants, plus les solides sont transportés en suspension vers l'aval, leur permettant de franchir les obstacles. Dans le cas d’un seuil de faible hauteur, l'impact de l'ouvrage sur le transport des solides est nul lorsque le seuil est dit "atterri", c'est à dire lorsque la rivière a retrouvé son profil initial à l'aval du seuil, ce qui est précisément le cas de l'Ardèche en aval du seuil des brasseries, ou de tous les autres seuils anciens désormais intégrés à leur environnement.

Comme la plupart des autres ouvrages du linéaire de l’Ardèche, et contrairement aux ouvrages de bien plus grande ampleur - tels par exemple que celui de Malarce sur le Chassezac - le seuil des Brasseries de Ruoms n’oppose donc aucun obstacle au transport des solides. Pour s’en convaincre au-delà de ces éléments techniques, la simple observation des galets qui recouvrent abondamment la rive en aval de l’ouvrage, provenant du bassin versant et en tous points similaires à ceux que l’on trouve en amont, suffit à comprendre que les solides franchissent aisément le seuil. L’une des hypothèses avancée par les bureaux d’études consisterait à éventrer l’ouvrage de brèches béantes dont l’intérêt invoqué serait de permettre le passage de ces solides. Cette idée certes imaginative ne répond à aucune logique physique car la trajectoire des solides ne saurait en aucun cas être contrainte au point de passer de manière disciplinée par de telles ouvertures bien plus dangereuses qu’utiles.

Les conséquences désastreuses d’une destruction du seuil
Sur le plan écologique, les conséquences de la destruction de l’ouvrage seraient désastreuses. En premier lieu, le caractère séculaire de l’ouvrage a permis l’installation durable de biotopes particuliers sur sa zone d’influence en amont. La disparition de l’ouvrage entraînerait aussitôt la disparition de ces biotopes. Par ailleurs, les surfaces émergées après la disparition du plan d’eau en amont seraient très rapidement colonisées par des espèces invasives au premier rang desquelles l’ambroisie, véritable fléau local, cause de nombreuses pathologies allergènes. Rappelons à ce propos que la stabilité locale du plan d’eau et l’inaccessibilité de ses rives (la rivière est non domaniale sur ce bief) a permis l’installation d’une flore ripisylve sauvage et préservée d’une grande richesse, refuge de nombreuses espèces d’insectes, d’oiseaux et de rongeurs.

S’agissant de l’érosion, les conséquences seraient là aussi très importantes. D’une part, le plan d’eau en amont joue un rôle d’amortisseur des fluctuations du niveau de la rivière grâce à la hauteur d’eau garantie par le seuil. La disparition de l’ouvrage entraînerait inexorablement une érosion des berges d’autant plus marquée que ces surfaces sont immergées depuis plusieurs siècles. D’autre part, les deux piles du Pont de la Bigournette situé une centaine de mètres en amont du seuil ont été construites en 1895, postérieurement au seuil, et leurs fondations n’ont donc jamais subi les affres érosifs de l’oxygène. La destruction du barrage entraînera donc des coûts très onéreux de consolidation de l’ouvrage afin de prévenir les conséquences de l’érosion, notamment le déchaussement. Il en est de même pour les fondations du bâtiment des Brasseries.


En conclusion
Fort de ces éléments, et de l’attachement que les habitants portent à ce patrimoine de leur histoire, ce projet de destruction du seuil des Brasseries de Ruoms est tellement dénué de sens que l’on peine à en comprendre les vrais fondements. Notre démarche vise à démontrer que ce projet n’est d’aucune utilité et que la continuité écologique peut parfaitement être renforcée au moyen d’équipements largement expérimentés sur d’autres ouvrages similaires de la rivière. Nous souhaitons que ce projet destructeur soit définitivement abandonné au profit d’une gestion intelligente et pérenne de ce patrimoine séculaire et de son influence sur les milieux.

Enfin, au-delà de ces arguments techniques et patrimoniaux qui confortent le bon sens, il est évident que l’unité du lieu que lui confère précisément cette configuration du seuil et du plan d’eau qui le précède serait définitivement perdue en cas de destruction de l’ouvrage, entraînant de manière irrémédiable la disparition des magnifiques Défilés de Ruoms tels que nous les connaissons depuis plusieurs centaines d’années.

(1) Seuil de la confluence avec le Rhône, Seuil de St Martin d’Ardèche, Seuil de Vallon Pont d’Arc, Seuil de Salavas, Seuil du Mas Neuf, Seuil du Moulin de Sampzon, Seuil de l’Usine sous Roche
(2) Le Dauphiné Libéré du 22 avril 2013 / La Tribune du 25 avril 2013
(3) Association des riverains pour la Sauvegarde du Patrimoine du quartier de la Bigournette, des Brasseries et des défilés de Labeaume et de Ruoms.
(4) Recherches effectuées par Jean-Claude FIALON et Nicolas CLEMENT (Archéologue)
(5) Réf. SMITH 1970, SCHNITTER 1994
(6) Notamment par avis du Comité Départemental de canoë-kayak
(7) Eaux-Vives d’Ardèche – Claude Peschier – Grège 1997
(8) Etude préliminaire LIFNAT/FR/000083 programme Life Apron II - 2008
(9) in Th. P.Belleudy / nov. 2001
(10) G.Degoutte - Cours de Transport Solide en hydraulique fluviale - Paris Tech - 2007

Adresse de contact : Association de sauvegarde du patrimoine de la Bigournette – Mairie – 07120 Labeaume

Illustrations : © Mathieu Morverand

19/03/2016

L'Onema, l'alose et le bassin Dordogne-Garonne: c'est la faute aux barrages, forcément

Rapportant sur son site grand public un colloque tenu en 2015 sur la grande alose, l'Onema suggère que la baisse d'un facteur 100 depuis 1990 du recrutement de cette espèce en Garonne et Dordogne pourrait être due aux barrages. Extraordinaire, car ces ouvrages n'ont nullement été construits voici 20 ans, mais plus d'un siècle pour la plupart. Et la baisse s'observe dès l'aval des ouvrages. En fait, on ne sait pas pourquoi le recrutement de l'alose a baissé aussi drastiquement en l'espace de deux décennies. Mais taper sur les barrages, c'est devenu de l'ordre du réflexe à l'Onema.  

Le site de l'Onema observe dans cet article : "un autre constat bien plus négatif et sans appel est fait sur l’axe Gironde-Garonne-Dordogne. Une régression de la population est notable : au milieu des années 1990, 700.000 aloses remontaient la Garonne et la Dordogne, aujourd’hui, elles ne sont plus que 5 à 10000. Une des causes mise en avant est la difficulté à passer les ouvrages très présents sur les 2 axes (Mauzac, Tuilières, Bergerac, Golfech …), même lorsqu’ils comportent des passes à poissons."

Le barrage de Mauzac a été construit en 1839, rehaussé en 1921. Une passe à poissons y a été installé en 1986, une autre en 2004. Le barrage de Tuilières a été construit en 1844, puis rehaussé en 1905. Plusieurs passes ou ascenseurs à poissons ont été installés (1989, 1997). Le barrage de Bergerac a été construit en 1839. Des échelles à poissons y ont été construites en 185, 1872, 1887, 1987 et enfin 2010. Le barrage de Golfech (Malause) a été mis en service en 1973. Il a été équipé en 1985 d'un ascenseur à poisons. Tous ces barrages sont gérés par EDF. Le premier obstacle est à 270 km de l'estuaire sur la Garonne, à 190 km sur la Dordogne.

Donc, les rédacteurs de l'Onema rapportent sur deux décennies une baisse d'un facteur 100 de la présence d'aloses dans le bassin Gironde-Garonne-Dordogne, et ils en attribuent la cause probable à des ouvrages qui sont présents pour 3 d'entre eux depuis 100 à 150 ans, qui sont tous équipés de dispositifs de franchissement, qui ont plutôt amélioré leur gestion environnementale ces dernières décennies et qui sont fort à l'amont de l'embouchure. Les aloses étaient encore 700.000 au début des années 1990 et d'un seul coup, elles auraient été terrassées en masse par les barrages présents sur les lits depuis des générations. La baisse soudaine d'un recrutement piscicole attribué à une cause ancienne mais qui exprimerait une sorte d'effet-retard  : il faut évidemment un esprit assez tortueux pour avancer cela. Un peu comme la disparition rapide des anguilles à compter des années 1970 que certains attribuent à des moulins présents avant la Révolution française...

Au demeurant, l'étude des présentations du colloque (lien ci-dessous) montre que certaines communications ont analysé la franchissabilité des passes (qui est très médiocre, voir Epidor 2015) sans pour autant attribuer la baisse récente du stock à ce facteur causal (et sans envisager l'hypothèse de l'effacement des ouvrages – ce sont des barrages des amis d'EDF, pas de modestes moulins que l'on peut matraquer en paix). Certains affirment que l'Onema doit être respecté comme "conseiller technique et scientifique du gouvernement" et voudraient même que cela soit marqué comme tel dans une "charte des moulins". Mais l'Onema sera respecté quand il sera respectable. Une approche scientifique des milieux aquatiques, oui, avec dans ce cas toutes les précautions qu'implique la communication des hypothèses de science au grand public et aux décideurs ; un organe de propagande au service du dogme de la destruction des ouvrages, non merci, on a déjà divers lobbies qui excellent dans ce registre bas de gamme.

Au final, personne ne semble avoir la réponse à la question la plus importante : pourquoi donc observe-t-on une telle baisse de la présence de l'alose dans le bassin Adour-Garonne, à l'aval des ouvrages, y compris après le (très tardif) moratoire sur la pêche de 2008 ? Il nous manque manifestement des paramètres dans la compréhension de la variabilité (naturelle ? forcée ?) interannuelle et pluridécennale du recrutement de cette espèce. Cherchons et étudions un peu plus, réglementons, interdisons, aménageons et effaçons un peu moins…

A lireActes du colloque Life+ 2015 à Bergerac ; Brochure Life+ Alose
Illustration : déclin récent du recrutement d'aloses en Dordogne-Garonne, extrait de la communication d'A. Chaumel au colloque.

18/03/2016

Le sénateur Claude Kern interpelle le Ministère sur le blocage complet de la continuité écologique

Le sénateur du Bas-Rhin interpelle la Ministre de l'Environnement, de l'Energie et de la Mer sur le blocage complet de la politique de continuité écologique : échec de la Charte des moulins dont les termes imposés par la Direction de l'eau et de la biodiversité sont inacceptables, non-application des mesures déjà demandées par le CGEDD en 2012 ayant motivé une nouvelle mission en 2016, chantage des Agences de l'eau qui refusent le financement complet des aménagements non-destructifs alors qu'elles l'accordent généreusement aux effacements, pressions tatillonnes et permanentes de l'administration de plus en plus mal acceptées, succès de la demande de moratoire... Le programme de continuité écologique est d'ores et déjà un échec en raison des dérives maximalistes présidant à sa mise en oeuvre : il faut en faire le diagnostic complet pour trouver des issues, et non pratiquer le déni. Il faut aussi changer les interlocuteurs, car la confiance est définitivement rompue envers ceux qui ont provoqué ce marasme par leur mépris répété des réalités et leur manque systématique d'écoute.

Question écrite n° 20649 – M. Claude Kern attire l'attention de Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, sur la destruction en cours des 60 000 moulins de France. Le troisième patrimoine historique bâti de France fait l'objet d'une application déraisonnée et excessive de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, suite à l'application de la circulaire du 25 janvier 2010, dite « Borloo » qui prône l'effacement systématique des ouvrages et des seuils des moulins.

Les moulins de France constituent des ressources économiques et énergétiques, un maillage territorial et un patrimoine culturel incontestable. Pourtant, l'administration refuse de considérer la valeur patrimoniale de ces usages en les réduisant à des « obstacles » à la continuité écologique. Or, les propriétaires de moulins ne sont pas opposés au principe de la continuité écologique, mais à l'application excessive qui en est faite.

C'est pourquoi il est absolument nécessaire et urgent de trouver une solution entre la gestion équilibrée de la ressource en eau et la préservation du patrimoine.

La réunion de travail conjointe entre les deux ministères concernés (environnement et culture) n'a abouti à aucune solution concrète pour sauvegarder le patrimoine hydraulique. Alors qu'une nouvelle mission a été demandée au conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) actant ainsi l'échec des conclusions de la précédente, dans les territoires la situation continue de se dégrader (échec récent de la signature de la charte des moulins et demande d'un moratoire sur le classement des rivières).

Il souhaite donc connaître ses intentions pour permettre une conciliation harmonieuse des différents usages de l'eau dans le respect du patrimoine et des obligations de la France dans le cadre de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, et remédier enfin aux situations de blocage avec l'administration.

En attente de réponse du Ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargé des relations internationales sur le climat.

Adour-Garonne: scandaleuse prime à la casse des ouvrages hydrauliques sur argent public

L'Agence de l'eau Adour-Garonne avait la réputation d'être plutôt une "bonne élève" dans la gestion des ouvrages hydrauliques, avec des positions moins caricaturales et inégales que ses consoeurs de Loire-Bretagne et Seine-Normandie, notamment des financements de passes à poissons pouvant atteindre 80%. Mais voilà que cette Agence lance un "appel à projets continuité écologique" avec financement à 100% des seules destructions de seuils, barrages et autres ouvrages en rivière. On y débloque 5 millions d'euros d'argent public à une condition : la suppression totale. Jusqu'où s'abaissera l'administration en charge de l'eau dans son programme insensé de destruction du patrimoine hydraulique français aux frais du contribuable et au mépris de ce que demandent réellement nos lois? 

Le diagnostic : généralités et assertions sans preuve
"1200 à 1400 ouvrages présents sur les cours d’eau du bassin doivent faire l’objet de travaux pour restaurer la circulation des poissons et des sédiments d’ici 2018 ; cette obligation s’applique sur les rivières classées prioritaires en matière de restauration de la continuité écologique par le Code de l’environnement (L214-17 liste 2). Certains seuils sont aujourd’hui sans usage et parfois en mauvais état. Cette action de restauration de la continuité écologique contribue à améliorer de manière significative le fonctionnement naturel du cours d’eau et la qualité générale des milieux aquatiques. Cet appel à projets vise à apporter un soutien financier décisif aux propriétaires désireux de s’engager dans l’effacement de leurs seuils." 

Que la restauration de continuité écologique améliore de "manière significative" la qualité des milieux est une affirmation qui appelle des preuves. Car les travaux scientifiques émettent les plus grandes réserves sur ce point (voir cette synthèse d'une vingtaine de publications couvrant des milliers d'opérations en rivière, voir aussi Morandi et al 2014 en détail sur 44 projets français de restauration de rivière, dont des effacements de seuils).

Sans parler d'une analyse scientifique pour l'instant inexistante, les Agences de l'eau doivent a minima publier les scores de qualité chimique et écologique DCE 2000 des tronçons ayant bénéficié d'aménagements de continuité, afin que l'on vérifie si ces scores se sont améliorés, stabilisés, aggravés, et sur quels compartiments, avant et après la supposée "restauration". Mais d'après le rapport Dubois-Vigier, qui s'en agaçait assez clairement, l'administration française n'est pas capable de produire aux parlementaires une telle base de données – elle n'est même pas capable de dire combien de chantiers sont réalisés, a fortiori de croiser ces chantiers avec une analyse de qualité des eaux et un suivi scientifique un tant soit peu sérieux.

Il est donc insupportable que les citoyens français paient de leur poche ces pratiques d'apprentis-sorciers à grande échelle. Ce n'est au demeurant que la partie émergée de l'iceberg : c'est tout notre rapportage sur la qualité des eaux de surface à Bruxelles qui paraît vicié par des mesures incomplètes, des données manquantes, des évaluations à dire d'expert ou de modèle à faible niveau de confiance.

Le chantage : tout est payé si tout est détruit, prime à la casse sur argent public
"Les aides de l’Agence portent sur les projets d’effacement d’ouvrages c’est-à-dire de suppression totale ou d’arasement permettant un franchissement naturel par les poissons, dans la limite d’une enveloppe globale de 5 millions d’euros. (…) Les projets retenus dans le cadre de cet appel à projets pourront bénéficier d’un taux d’aide allant jusqu’à 100% des dépenses éligibles. Des acomptes seront versés au démarrage afin de faciliter le déroulement du projet."

Rappelons que la loi française (LEMA 2006 et Grenelle 2009) n'a jamais prévu l'effacement des ouvrages, mais demandé qu'ils soient "gérés, entretenus, équipés" ou que leur "aménagement" soit "mis à l'étude" pour "les plus problématiques" d'entre eux. Rappelons aussi que, de dérives en dérives, l'administration a interprété dans un sens maximaliste et doctrinaire la continuité écologique. Au nom de quoi une Agence de l'eau dont le Comité de bassin n'intègre même pas les représentants des moulins et des riverains premiers concernés, dont la légitimité démocratique ne repose nullement sur le suffrage, mais sur le bon-vouloir de nomination des Préfets, et dont la place dans la hiérarchie des normes juridiques est fort basse se permet-elle de réécrire la loi française et de proposer des "solutions" que les parlementaires ont exclues dans leurs délibérations? Sans parler de la réglementation européenne qui n'a jamais exigé le moindre effacement de barrage.

Les Agences de l'eau engagent l'argent des Français pour détruire tout un pan de leur patrimoine historique, paysager et culturel. Les ouvrages et leurs écosystèmes aménagés rendent de nombreux services qui sont systématiquement écartés, niés, minimisés, au profit de cette idéologie folle de la destruction portée par une minorité de bureaucrates et de lobbyistes estimant qu'elle n'a de comptes à rendre à personne.

Cette dérive doit cesser. Nous appelons nos consoeurs associatives d'Adour-Garonne à interpeller leurs élus du Comité de bassin pour savoir s'ils cautionnent cet appel à la casse du patrimoine sur fonds publics, à exiger de M. le Préfet de bassin qu'il justifie ce financement différentiel pour une option totalement absente des lois françaises et européennes, à informer Mme la Ministre de l'Ecologie de cette incitation à l'effacement dont elle a pourtant déploré à plusieurs reprises, récemment encore de la manière la plus claire, les effets négatifs sur le patrimoine et sur le potentiel de développement de l'énergie renouvelable.

Nota : plus que jamais, nos lecteurs doivent diffuser l'appel à moratoire sur la continuité écologique pour requérir la signature des élus, des associations et des personnalités de la société civile. Les derniers mois ont montré que cette initiative unitaire commence à porter ses fruits et oblige les politiques à prendre en considération la crise démocratique que représente la dérive autoritaire et agressive de l'administration en charge de l'eau. La pression du moratoire comme la saisine de la Ministre de l'Ecologie et des parlementaires doivent continuer tant que des décisions posant clairement un nouveau cap n'ont pas été actées dans le domaine de la continuité écologique.

17/03/2016

Le Conseil départemental de la Sarthe ne sait toujours pas pourquoi il construit des passes à poissons

Pierre-Antoine de Chambrun (Association Vègre, Deux Fonts, Gée ) avait saisi le Conseil départemental de la Sarthe pour s'enquérir de l'utilité du coûteux programme de passes à poissons sur la rivière (4 M€ en coût prévisionnel pour 7 ouvrages). Il posait des questions précises. M. Dominique Le Mèner, président du Conseil départemental, lui a répondu (voir courrier pdf).


On peut constater que cette réponse :
  • rappelle pour l'essentiel les contraintes administratives et réglementaires auxquelles sont soumis les élus,
  • ne donne aucune indication sur le nombre et la nature des poissons ayant emprunté les passes déjà construites,
  • ne précise aucune analyse coût-bénéfice préalable à cette lourde dépense, alors que le CD de la Sarthe, comme tant d'autres, admet qu'il doit restreindre ses investissements,
  • ne montre en rien que les passes à poissons contribueront au bon état chimique et écologique des masses d'eau, notre seule et vraie obligation DCE 2000 (outre les nitrates, les eaux usées, les pesticides et l'ensemble des pollutions où nous accumulons des retards et des amendes, l'Europe étant de plus en plus dubitative sur le rapportage français en ce domaine).
Dans le même temps, selon nos informations, le Conseil départemental du Maine-et-Loire n'a toujours pas équipé les barrages dont il est propriétaire à l'aval sur la Sarthe, réfléchissant à des alternatives moins coûteuses. Les anguilles venant de la mer en montaison, il est pour le moins étonnant que le programme de continuité destiné aux grands migrateurs amphihalins commence par l'amont des bassins au lieu de démarrer aux embouchures, ne serait-ce que pour vérifier par comptage le bon usage des dispositifs.  Mais ce n'est là qu'une des nombreuses aberrations d'un programme délirant de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie, devant conduire à effacer ou aménager en l'espace de 5 ans 15.000 ouvrages hydrauliques français, sans le commencement d'un objectif de résultat ni d'un coût global en face de cet objectif.

Les rares chantiers de continuité écologique effectivement engagés sont souvent réalisés sur des ouvrages dont les collectivités territoriales (ou leurs établissements intercommunaux de gestion des rivières) sont propriétaires ou gestionnaires. Et pour cause, les Agences de l'eau ont sur ces collectivités tous les moyens de pratiquer un chantage financier permanent pour accomplir leur programme ordonné par le Ministère, et dilapider ainsi l'argent public. L'Agence Loire-Bretagne (AELB) est connue pour être l'une des plus extrémistes dans ce domaine de la continuité écologique (voir la lettre ouverte au Président Joël Pélicot). Elle est aussi connue pour avoir un progrès quasi nul en 10 ans dans le domaine de la qualité écologique et chimique de ses eaux, cette absence totale d'efficacité des milliards d'euros dépensés ne provoquant aucune remise en cause des choix opérés, notamment en hydromorphologie où l'Agence se flatte d'être pionnière. L'AELB est même incapable de dresser un bilan de qualité chimique (pourtant obligatoire vis-à-vis de l'Europe et de la bonne information environnementale des citoyens) à l'occasion de l'état des lieux 2013 du bassin appuyant le SDAGE 2015 : on n'a entendu ni les élus ni les lobbies du comité de bassin s'émouvoir de cet incroyable aveu d'incompétence et d'impuissance face aux pollutions.

M. Le Mèner admet pour conclure : "je partage certaines de vos interrogations…" Tout le monde s'interroge mais la gabegie continue malgré tout, parce que nous ne sommes pas capables d'instruire au Parlement le procès d'une politique de l'eau catastrophique. Près de 1200 élus ont déjà signé l'appel à moratoire sur la continuité écologique : nous appelons plus que jamais à un sursaut démocratique au bord des rivières !

Illustration : panneau officiel près de la passe à poissons de Juigné-sur-Sarthe, indiquant le coût public de 484 680 TTC (pour un dispositif qui se trouve inopportunément hors d'eau, ce qui n'est pas très pédagogique, à moins que ce ne soit prémonitoire). En dessous, un article de Ouest France paru le 11 mars 2016 rappelle que le CD de la Sarthe est obligé de chercher des économies du fait de la baisse des dotations d'Etat aux collectivités et de la hausse des dépenses sociales.  Qu'à cela ne tienne, continuons d'utiliser l'argent public pour des anguilles qui étaient encore présentes sur la plupart des bassins jusque dans les années 1960-1970, malgré de nombreux seuils et barrages. A l'époque, les pêcheurs et "protecteurs du milieu aquatique" avaient même pour ordre de les tuer comme nuisibles en rivière de première catégorie...

16/03/2016

Cartographie: un bief classé cours d'eau ne devrait plus être soumis au débit minimum biologique

Si l'administration persistait à classer par défaut les biefs comme cours d'eau – ce que nous ne souhaitons pas, sauf exception motivée par la renaturation complète du bief après son abandon ou des cas hydrologiques très particuliers –, elle devrait admettre que l'obligation de débit minimum biologique ne s'applique plus à l'ouvrage. Un bief réputé cours d'eau aurait en effet le droit de capter (et turbiner) tout le débit en étiage, puisqu'il est ipso facto considéré comme l'un des deux bras de la rivière, aussi "naturel" que le lit mineur d'origine. Voilà qui promet de belles complications, dans une réglementation déjà illisible et inapplicable à force d'exprimer l'obsession de contrôle administratif sur chaque action au bord des rivières. 


Notre association considère par défaut les biefs et autres écoulements dérivés de moulins ou usines à eau (canaux de décharge ou de vidange, exutoires des déversoirs) comme n'étant pas des cours d'eau. Il y manque en effet un élément essentiel de la jurisprudence, l'origine naturelle de l'écoulement. Le bief est un canal artificiel créé de main d'homme : il n'a pas la même hydraulicité que la rivière, pas les mêmes besoins d'entretien ni le même régime d'autorisation et de propriété. Le bief n'a donc pas à être soumis aux mêmes règles de gestion que le lit mineur du cours d'eau. Cela reste vrai même s'il abrite diverses espèces (en contradiction avec la doxa les réputant comme habitats très dégradés) dont l'existence n'est pas spécialement menacée par la reconnaissance du caractère artificiel de l'écoulement.

Ce qui aurait dû être simple – naturel ou pas naturel, c'est facile à déterminer par la présence du moulin – devient immanquablement compliqué avec l'administration française en charge de l'eau. Aussi nombre de biefs ont-ils été classés comme cours d'eau dans les premières cartographies publiées, à ce jour sans explication ni motivation aux propriétaires et à leurs associations par les DREAL et les DDT. Nous n'acceptons pas ce classement a priori, et nous déplorons surtout cette nouvelle manifestation d'indifférence envers les riverains. Nous attendons un service public de l'eau destiné à aider les citoyens en concertation avec leurs besoins, pas un organe arbitraire de contrôle et de répression dont le seul horizon semble être devenu l'imposition de contraintes imprévisibles et de règles illisibles.

Sur cette question de la cartographie, nous signalons ici un point qui n'a éventuellement pas été envisagé par les services de l'Etat : tant qu'un bief est classé comme cours d'eau, nous considérons qu'il n'a plus à respecter le débit minimum biologique (art L 214-18 CE), c'est-à-dire s'obliger à garantir 10% du module dans le lit mineur de la rivière.

Assimiler un bief à un cours d'eau, c'est en effet considérer que la rivière se sépare en deux bras créés au droit de l'ouvrage répartiteur (le lit mineur et le bief). Peu importe dans ce cas qu'un bras soit à sec (y compris le lit mineur naturel) pourvu que l'autre soit en eau. On ne peut pas jouer sur les deux tableaux, essayer de naturaliser un bief tout en prétendant ensuite qu'il n'est pas vraiment naturel et ne mérite pas d'avoir un débit préférentiel à l'étiage. Si les services de l'Etat cherchent vraiment des complications, on voit qu'ils ne vont pas manquer d'en trouver. Mais tout le monde gagnerait à la simplicité.

L'incapacité de l'actuelle Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie, de ses services déconcentrés et de ses agences administratives à produire une gouvernance apaisée et concertée devrait quand même alerter le gouvernement et les parlementaires sur le dysfonctionnement manifeste de l'Etat. D'autant que la Cour des comptes a déjà dénoncé à plusieurs reprises la gestion défaillante des mêmes administrations. La fronde des moulins, c'est plus que jamais le signal d'alerte d'une dérive grave qui, bien au-delà du cas particulier des ouvrages hydrauliques, concerne le manque d'efficience et de transparence de la gestion publique de l'eau, ainsi que ses inquiétantes pulsions autoritaires.

A lire en complément
Cartographie des cours d'eau: gare aux qualifications arbitraires des biefs comme rivières
Cartographie des cours d'eau: où est la concertation?

Illustration : départ de bief sur la Seine en Châtillonnais, avec ouvrage répartiteur sur la droite. Si le bief est classé cours d'eau et donc bras de la rivière au même titre que le lit d'origine dans la cartographie, il devient légitime qu'il prenne si nécessaire tout le débit à l'étiage. Il faudrait alors faire exception à la règle du débit minimum biologique, qui perd son sens. C'est le genre de complication où peut mener le refus par l'administration de classer les biefs comme canaux artificiels, avec des règles très simplifiées de gestion permettant leur bon entretien. Mais le mot "simplifiées" heurte à n'en pas douter les principes de certains hauts fonctionnaires du Ministère de l'Ecologie, dont l'objectif est manifestement de multiplier les normes, règles, contraintes et contrôles inapplicables pour mieux prétendre ensuite que les moulins sont mal gérés et que leur destruction est une issue désirable.

15/03/2016

Idée reçue #14 : "Au bout de 10 obstacles même aménagés, aucun poisson ne peut passer"

Les passes à poissons n'ayant qu'une efficacité de l'ordre de 70%, les obstacles cumulés sur une rivière finissent par la rendre infranchissable vers ses zones amont, même s'il y a eu des aménagements de circulation piscicole. Cette idée est partiellement fausse : certaines passes destinées aux très grands migrateurs ont plus de 90% d'efficacité, la plupart des poissons n'ont pas de comportement de homing à longue distance (donc pas de besoin de franchir tous les obstacles d'un cours d'eau), la présence historique de migrateurs en têtes de bassin malgré des obstacles sans passe indique que le score d'efficacité ne résume pas toutes les stratégies de colonisation des espèces. Toutefois, cet argument est juste sur un point : il ne faut pas investir des sommes disproportionnées dans les passes, d'autant que le caractère dynamique du vivant rend bien souvent illusoire l'idée d'un retour à un "état originel" fantasmé de la rivière. 


Cette idée reçue de l'inefficacité des passes à poissons est énoncée ainsi par France Nature Environnement, qui en déduit bien sûr la nécessité de détruire les ouvrages hydrauliques : "Il existe bien les passes à poissons, ces systèmes inventés pour leur permettre de franchir l'obstacle. Seulement, si l’installation de tels dispositifs est préférable faute de mieux, il est important de garder à l’esprit qu’une passe à poissons permet, dans le scénario le plus optimiste, le franchissement de 70 % des poissons. Un taux respectable ? Pas tant que ça. Car après 10 obstacles rencontrés sur un cours d’eau, phénomène très courant en France, seuls plus de 3 % des poissons parviennent sur leur lieu de reproduction, en amont. Résultat peu enthousiasmant. C'est ainsi l’accumulation de plusieurs seuils, même aménagés, sur un seul tronçon de cours d’eau qui s’avère très néfaste."

Qu'en est-il au juste ? Les taux de franchissement des passes sont variables selon les travaux, et certains auteurs trouvent des valeurs inférieures à 70%. Noona et al 2012, sur la base d'une méta-analyse de 65 articles entre 1965 et 2011, obtiennent une efficacité moyenne de 41,7% en montaison (68,5% en dévalaison), le score étant plus élevé pour les salmonidés (61,7% et 74,6%). L'étude inclut cependant des dispositifs anciens et de moins en moins prescrits du fait de leurs mauvais résultats fréquents (passe Denil, ascenseurs à poissons). Cette étude ne corrèle pas non plus l'efficacité avec la hauteur de l'obstacle aménagé, ce qui reste un problème de déficit de connaissance quand l'essentiel des travaux d'aménagement concerne en France la très petite hydraulique.

Le chiffre de FNE paraît issu de l'article de Larinier et Travade 1998, voir page 49 de ce lien (pdf). Il y a toutefois des nuances opportunément oubliées :
  • les migrations à longue distance (type homing des saumons) doivent tenir compte de l'efficacité des passes spécifiques à ces espèces, or cet article de Larinier et Travade 1998 précise que "pour les salmonidés, une efficacité de 90 à 100% est couramment obtenue" ;
  • d'autres espèces migratrices au long cours, comme les anguilles, ne remontent pas impérativement jusqu'en tête de bassin mais cherchent d'abord des territoires de croissance en eaux douces. Donc la colonisation peut être plus lente et les obstacles de type seuils, chaussées ou petits barrages ne sont pas toujours des facteurs limitants ;
  • la plupart des espèces holobiotiques à comportement de dispersion et mobilité (improprement appelées "migratrices") exhibent une forte variabilité interindividuelle. Sur un linéaire libre, certains individus n'évoluent que sur quelques centaines de mètres, d'autres sur 10 ou 20 km, voire au-delà. L'enjeu des passes n'est pas ici d'ouvrir impérativement tout le linéaire, mais de permettre d'atteindre des zones de refuge ou de reproduction et des habitats d'intérêt. L'idée que tout poisson voudrait à tout prix explorer toute la rivière n'a pas de base écologique.

Par ailleurs, la présence de grands migrateurs est encore attestée très à l'amont de certains bassins au XIXe siècle, alors que l'essentiel de la petite hydraulique est déjà en place depuis un certain temps. Ces seuils, chaussées et petits barrages n'avaient généralement pas de dispositifs de franchissement Au regard du protocole ICE de l'Onema, ils seraient réputés infranchissables aujourd'hui à presque toutes les espèces. Cela suggère que les évaluations des scores de franchissabilité des ouvrages ou des passes doivent être relativisées. Leur méthodologie s'adresse à une population déterminée (souvent pucée et radiopistée) sur une période limitée, elle ne dit pas comment les espèces profitent de certaines opportunités (par exemple crue) pour franchir des obstacles. Le vivant a souvent plus d'imagination que les ingénieurs ou les policiers de l'environnement...

Cela étant, l'observation de l'efficacité relative des passes à poissons est fondée. S'y ajoute leur coût important. La conclusion que l'on doit en tirer, c'est qu'il est vain de promouvoir une transparence migratoire totale sur les cours d'eau français. Les peuplements piscicoles se sont considérablement modifiés en deux siècles, un "retour en arrière" n'a pas de sens au plan écologique, n'est pas à notre portée au plan économique et n'a pas une accceptabilité sociale suffisante pour un vrai portage démocratique. Ce n'est pas un problème de passes à poissons, car l'alternative (mise en avant par le lobby FNE-FNPF de la destruction) n'est pas plus envisageable : les coûts de démantèlement (dérasement) des ouvrages, de compensation des effets négatifs sur le bâti et sur le manque à gagner des exploitants, d'indemnisation des propriétaires (y compris les berges amont où reprend l'érosion) seraient évidemment hors de portée de la collectivité s'il fallait restaurer les 500.000 km de linéaire du réseau hydrographiques français, ou même une proportion significative de ce réseau.

Cela signifie qu'il faut repenser le périmètre et le rythme des réformes de continuité écologique : poser déjà des objectifs sur des espèces menacées et des rivières peu fragmentées, en observant à titre expérimental l'efficacité écologique, le coût économique et la gouvernance inclusive. Si les hauts fonctionnaires de la Direction de l'eau et de la biodiversité avaient procédé à de telles analyses rationnelles au lieu d'écouter systématiquement les sirènes extrémistes de FNE et de la FNPF depuis 10 ans, ils seraient arrivés à cette conclusion et la continuité écologique serait un chantier aujourd'hui accepté. Au lieu de cela, nous nous enfonçons dans une situation kafkaïenne : irréalisme des objectifs en nombre d'ouvrages et en calendrier, précipitation et pression sur les services de l'Etat pour "faire du chiffre", absurdité du saupoudrage de chantiers dispersés donc discontinus (un comble pour la continuité), maintien de la plupart des grands barrages infranchissables (publics pour beaucoup), profonde division au bord des rivières et défiance vis-à-vis de l'administration en charge de l'eau, gâchis d'argent public sans réelle efficacité sur l'objectif environnemental.

Remettons donc les idées à l'endroit : les passes à poissons et autres dispositifs de franchissement ont des scores variables d'efficacité selon leur conception, leur entretien, l'importance de l'obstacle, les espèces-cibles et l'hydraulicité des cours d'eau au droit de l'aménagement. Seules certaines espèces ont des comportements de migration à très longue distance, demandant de franchir tous les obstacles d'une série de cours d'eau. Pour les plus grands migrateurs salmonidés, on peut atteindre 90 à 100% de franchissement sur les modèles de passe les plus efficaces. Des dispersions locales pour atteindre des habitats d'intérêt sont suffisantes dans bien des aménagements en rivière, car la plupart des poissons explorent un territoire restreint. Néanmoins, le prix de ces dispositifs de franchissement, la nécessité de leur entretien et leur efficacité relative montrent la nécessité urgente de raisonner les ambitions de la continuité écologique. En effacement comme en aménagement, la transparence migratoire a souvent des coûts exorbitants et des effets indésirables sur d'autres dimensions de la rivière, qui relèvent elles aussi de l'intérêt général. La continuité doit donc être planifiée avec responsabilité et sélectivité, sur des rivières choisies selon un quadruple filtre : enjeu écologique, faisabilité technique, réalisme économique, acceptabilité sociale.

14/03/2016

Quelques réflexions sur la pêche, les pêcheurs et leurs représentants

La pêche en rivière est un loisir populaire. Avec 1,5 millions de pratiquants réguliers ou occasionnels, elle est aussi un facteur de mortalité et morbidité pour les poissons d'eaux douces, ainsi qu'une activité de gestion halieutique modifiant les assemblages piscicoles des rivières, hier comme aujourd'hui.  Les représentants départementaux et nationaux de la pêche développent souvent des discours négatifs sur la question des ouvrages hydrauliques. Dans les concertations ministérielles comme dans les commissions des Agences de l'eau, ils défendent plus qu'à leur tour des positions maximalistes, qui sont rarement les plus réalistes et qui ont contribué à détériorer les rapports avec d'autres riverains ou usagers depuis 10 ans. La question se pose aujourd'hui de la représentativité de certains parti-pris plus idéologiques que scientifiques de ces instances, alors que nombre d'AAPPMA vivent très bien avec les seuils et barrages, voire les défendent pour certaines. Par ailleurs, la pêche ne peut pas donner des leçons d'exemplarité à tout le monde et prétendre arbitrer dans les usages légitimes de l'eau tout en continuant de fuir l'examen scientifique de son propre impact historique et actuel sur les milieux.

C'est l'ouverture de la pêche, et l'occasion de (se) poser certaines questions. Les propriétaires d'ouvrages hydrauliques entretiennent souvent des bons rapports avec les associations locales de pêche (AAPPMA), généralement animées par des gens de terrain et de bon sens, qui n'ont pas le désir de donner suite à des mots d'ordre un peu trop idéologiques et systématiques de destructions d'ouvrages. Essayer d'améliorer la gestion des ouvrages hydrauliques, parfois défaillante, en même temps que le comportement de certains pêcheurs sur le domaine privé, parfois désagréable, tels sont des terrains simples de progrès sur lesquels on peut s'entendre entre riverains et usagers des mêmes eaux. Plusieurs AAPPMA ont déjà signé le moratoire sur les effacements d'ouvrages, montrant un consensus possible. La situation est cependant variable, et dans les zones où prospèrent certains mordus de la pêche à la truite ou au saumon, les rapports locaux peuvent être plus tendus. Rappelons que selon les données disponibles (Changeux in Keith et al 2011), l'attrait pour la pêche aux cyprinidés et aux carnassiers reste majoritaire (environ deux tiers des amateurs), les espèces concernées évoluant sans problème dans des hydrosystèmes aménagés (rivières, fleuves, canaux, étangs ou lacs).

Quand on progresse du terrain vers des représentations plus "officielles" de la pêche, les choses tendent cependant à se dégrader, d'abord avec les fédérations départementales (qui sont parfois maîtres d'ouvrage par délégation des campagnes d'aménagement très orientées sur les effacements), et plus encore avec la Fédération nationale pour la pêche en France (FNPF). Ce lobby est connu pour ses positions assez sectaires à l'encontre du patrimoine hydraulique comme de l'énergie hydro-électrique. Il est aussi connu pour ses contradictions, faisant de la surenchère écologique quand il s'agit de discuter avec les officiels des Agences de l'eau et du Ministère de l'Ecologie, mais défendant l'intérêt économique du loisir pêche qui, faut-il le rappeler, blesse ou tue tout de même quelques dizaines de millions de poissons chaque année dans nos rivières et nos lacs. Et le fait d'autant plus qu'il y a davantage de pratiquants.



On peut en voir l'exemple dans le numéro de Pêche Mag (bulletin de la FNPF) dédié à la loi sur la biodiversité (cliquer l'image ci-dessus pour agrandir). Dans les pages de ce magazine, un article expose la nécessité de protéger le brochet, espèce vulnérable inscrite sur la liste rouge de l'IUCN, notamment de ne pas détruire les prises en dessous de la taille réglementaire quand elles se font en première catégorie. (Car pendant que certains syndicats demandent aux maîtres d'ouvrage de casser leur seuil pour aider les brochets, on ordonne ainsi d'en tuer les juvéniles sur nos rives). La FNPF se flatte donc d'avoir déposé un amendement à la loi Biodiversité pour ne plus sacrifier le brochet, ce qui paraît de bon sens vu que les pêches électriques montrent sa présence fréquente en rivières dites de première catégorie (salmonicoles). Dans le même numéro cependant, la FNPF vante la pêche comme un atout du "tourisme vert" (France Nature Environnement appréciera) et Pêche Mag nous montre les inévitables photos du brochet fièrement sorti des eaux, la gueule encore harponnée du leurre synthétique. Pas franchement une image convaincante de la "protection des milieux aquatiques" ni une incitation à protéger l'espèce vulnérable qu'est devenu le brochet.

Au-delà de l'anecdote, la FNPF ne peut tenir plus longtemps des postures maximalistes sur certains aspects de l'écologie des milieux aquatiques tout en espérant s'absoudre des mêmes exigences envers le loisir qu'elle représente et le lobby qu'elle incarne. Le double discours consistant notamment à prendre un ton horrifié face à l'impact supposé des ouvrages hydrauliques tout en parsemant ses magazines, ses dépliants et ses forums de photos de poissons morts fièrement brandis pour vendre des cartes de pêche n'est pas tenable indéfiniment. Pas plus au demeurant que les stratégies trop visibles d'euphémisation vantant la pêche comme l'occasion de retrouver la nature, la famille et les copains, en omettant de signaler que ces retrouvailles se font quand même sur la base d'un goût partagé pour la prédation envers les espèces naturelles.

A notre connaissance, la pêche est le seul usage de la rivière qui, à ce jour, n'a fait l'objet d'aucune analyse d'impact de la part de l'Onema, de l'Irstea, de l'Inra, du MNHN ou autres instances censées assurer la synthèse des connaissances scientifiques et techniques pour procéder à des recommandations. Dans les discours administratifs (Agences), elle est surtout vantée comme un usage économique et social légitime, sans distance critique. Un tel aveuglement volontaire n'est évidemment pas crédible de la part de ces institutions, car la littérature scientifique internationale montre bel et bien des impacts : la prédation elle-même, moins marquée aujourd'hui qu'hier mais toujours existante ; les empoissonnements et alevinages, qui changent la structure des assemblages piscicoles tout en augmentant le risque invasif et pathogène, ou la concurrence territoriale avec des espèces patrimoniales ; le devenir des leurres plastiques ou métalliques perdus dans les cours d'eau ; la difficulté pour les chercheurs à disposer de statistiques fiables de capture, etc. Les pêcheurs sont souvent des acteurs impliqués dans la protection de la rivière, il ne s'agit pas de contester cette réalité ; mais les déclarations et les bonnes intentions ne suffisent pas, seul l'examen critique par la recherche scientifique permet d'évaluer l'impact des pratiques.

En terme de gouvernance, on peut avoir une co-existence pacifique au bord de nos rivières, en acceptant ses différents usages et en essayant d'améliorer notre rapport à l'environnement. On peut aussi avoir une posture agressive et intransigeante, militer pour nuire à des usages que l'on n'aime pas, répandre pour cela diverses idées reçues. Les représentants officiels de la pêche française se sont trop souvent engagés et égarés dans la seconde attitude depuis 2006 (en même temps que l'ancien Conseil supérieur de la pêche renommé Onema était propulsé conseiller scientifique du gouvernement sur les milieux aquatiques, ce qui n'est pas sans susciter des doutes sur l'objectivité de cette mission). Ces représentants ne contribuent pas à la réputation de la pêche en agissant ainsi, car la casse du patrimoine hydraulique n'est pas vraiment l'action la plus populaire dans la ruralité. S'ils sont cohérents avec eux-mêmes et s'ils persistent à vanter une "renaturation" supposant que l'on ne touche plus aux évolutions spontanées de la faune halieutique ni des écoulements de la rivière, ils exposent finalement leur propre loisir à des évolutions réglementaires de plus en plus draconiennes, qui ne manqueront pas d'en limiter l'attrait et d'en précipiter le déclin. Il va de soi que l'on ne tolérera pas de détruire le patrimoine hydraulique ou de consentir à des dépenses exorbitantes d'aménagement des rivières pour soi-disant sauver les truites, anguilles, brochets ou saumons tout en acceptant que ces espèces fassent ensuite l'objet de prédations ou de compétitions d'espèces introduites au nom d'un loisir (ou d'une activité professionnelle dans le cas des anguilles).

Nous invitons en conséquence les pêcheurs à une réflexion sur leurs pratiques, sur leurs rapports avec les autres usages de l'eau et sur la manière dont ils sont aujourd'hui représentés dans le débat public sur certains sujets polémiques, comme la destruction du patrimoine hydraulique des rivières.

13/03/2016

Délai de 5 ans pour la continuité écologique? Aucun dossier ne sera déposé sans les garanties indispensables

Les députés envisagent de donner un délai de 5 ans pour réaliser les travaux de mise en conformité à la continuité écologique, avec une condition suspensive : que le dossier administratif du chantier soit déjà déposé dans le terme prévu du classement (juillet 2017 à décembre 2018 selon les bassins). Cette mesurette ne change rien au problème de fond : les propriétaires ne déposeront aucun dossier administratif tant qu'ils n'auront pas des garanties sur l'absence d'effacement (total, partiel) du seuil, le respect de la consistance légale du bien, le financement public de tout aménagement d'intérêt général. Aucun propriétaire lucide ne mettra le doigt dans un engrenage qui peut l'amener à détruire son bien ou à dépenser des dizaines, voire des centaines de milliers d'euros. 


Un amendement à l'article L 214-7 CE (qui impose la continuité écologique dans les rivières classées liste 2) a été adopté par la Commission Développement durable de l'Assemblée nationale, en 2e lecture de la loi Biodiversité. Il doit encore franchir l'étape du vote de l'Assemblée. Cet amendement stipule qu'un délai de 5 ans est donné aux propriétaires ayant déjà déposé un dossier administratif de mise aux normes de la continuité pour réaliser des travaux. Dans le même temps, au cours d'une journée de travail sur le bassin Loire-Bretagne, on nous apprend que des DDT(-M) ont commencé à envoyer des courriers recommandés pour presser les propriétaires de s'engager, les menaçant implicitement de peines d'amende et de prison (!) si aucune décision n'est prise.

Nous rappelons que :

- par défaut, compte-tenu de l'ancienneté de son implantation, du nouvel équilibre du biotope local induit et du caractère dynamique de l'évolution des écosystèmes aquatiques, il est présumé qu'un moulin ne pose aucun problème grave de franchissement piscicole ni de transit sédimentaire, et n'est donc pas concerné par l'art. L 214-17 CE ;

- il revient à l'autorité administrative (non au propriétaire ni à l'exploitant) de démontrer l'existence d'un défaut de continuité ayant un impact écologique significatif et de proposer en conséquence des règles de gestion, entretien et équipement des ouvrages ;

- ces règles doivent être motivées dans le cadre d'une procédure contradictoire, au terme de laquelle il doit notamment être démontré par l'autorité administrative que l'aménagement demandé répond à un besoin piscicole et sédimentaire réel sur le tronçon, sans remettre en question la sécurité des biens et des personnes ni les droits des tiers, sans aggraver l'état chimique et écologique au sens de la DCE 2000 ;

- toute proposition d'un effacement (arasement, dérasement) dans un courrier administratif sera passible d'une poursuite judiciaire pour excès de pouvoir, puisque ni la loi française ni la loi européenne n'inclut cette option destructrice de la propriété ;

- toute proposition d'un dispositif de franchissement excédant la simple gestion des vannes (donc les solutions de type passes techniques ou rustiques, rampes en enrochement, création de rivières de contournement, etc.) doit être assortie d'une précision sur ses coûts et d'une proposition de subventions, permettant si besoin au maître d'ouvrage de faire jouer préalablement à tout chantier la clause indemnitaire pour "charge spéciale et exorbitante", prévue par la loi ;

- toute proposition d'un aménagement remettant en question la consistance légale (hauteur, débit) propre au génie civil d'un ouvrage fondé en titre doit faire l'objet d'une motivation spéciale de la part du Préfet dans les cas limitativement prévus par la loi, puisque les aménagements de continuité écologique doivent par défaut utiliser les seuls 10% du module propres au débit minimum biologique déjà prévus par l'article L 214-18 CE (débit prioritaire et permanent du lit mineur).

L'administration comme les élus doivent comprendre un message très simple : le seul moyen d'éviter que la continuité écologique ne s'enfonce encore davantage dans la confusion, le conflit et le contentieux, c'est de garantir un financement public des aménagements demandés dès lors qu'ils ont un effet écologique prouvé et proportionné à leur coût, qu'ils relèvent de l'intérêt général et qu'ils outrepassent largement la dépense raisonnable pour un particulier (comme l'exercice normal des devoirs de gestion du maître d'ouvrage hydraulique).

Les associations de moulins, de riverains et de protection du patrimoine sont d'ores et déjà préparées à organiser des actions judiciaires individuelles et collectives tant que ce principe ne sera pas acquis et que certaines Préfectures essaieront de procéder par intimidation pour engager des chantiers exorbitants, voire des destructions illégales.

Il est donc insuffisant de consentir législativement à des délais sur des chantiers tant que les conditions de définition de ces chantiers ne respectent pas un minimum de réalisme, a fortiori quand elles ne respectent pas la loi française.

Pour les propriétaires concernés, à lire impérativement :
Illustration : passe à poissons (rampe en enrochement) sur la rivière Cousin. On ne voit pas de différences si importantes entre l'écoulement en surverse du seuil ancien et celui (fort turbulent) de la passe. Le maître d'ouvrage observe en crue des fragilisations de la construction comme des berges, sans compter l'appel permanent des embâcles dans l'échancrure latérale ainsi créée. Nombre de moulins ont le sentiment désagréable d'être les cobayes des nouveaux apprentis-sorciers des rivières, dont les décisions n'ont pas toujours la rigueur scientifique ni le recul expérimental nécessaires. L'écologie des rivières sera un échec si elle n'améliore pas ses méthodes, ne raisonne pas ses objectifs et n'engage pas une vraie concertation avec les parties prenantes concernées, au lieu du monologue autoritaire de l'administration.

11/03/2016

Lettre ouverte à la députée Gaillard sur la fronde des moulins

Madame la Députée,

Dans les échanges sur la 2e lecture de la loi de biodiversité à l'Assemblée, en Commission développement durable dont vous êtes rapporteure, vous avez prétendu en rejetant l'amendement 51 undecies A que la DCE 2000 demande la continuité écologique et que la "fronde des moulins" refuse cette DCE.

C'est une double erreur.

La DCE 2000 mentionne la "continuité de la rivière" comme élément d'appréciation mais n'enjoint en rien de faire de l'hydromorphologie (dont la continuité longitudinale n'est qu'une dimension parmi d'autres) une condition du bon état. Voyez cet article sur ce que demande l'Europe, mais aussi sur ce qu'elle pense réellement de notre action sur l'eau. Il n'y a vraiment pas matière à s'en honorer pour la France, tant nos rapportages à l'Union sont défaillants, pour des raisons n'ayant strictement rien à voir avec la continuité écologique. Vous auriez là motif à une indignation plus légitime et plus nécessaire.

Quant aux moulins, ils n'ont jamais rejeté la DCE 2000 mais l'alternative intenable où ils sont placés par l'interprétation administrative française du L 214-17 CE : soit détruire leur bien (ce que ladite loi n'avait jamais prévu), soit dépenser des fortunes pour des passes à poissons très peu subventionnées, à l'utilité non scientifiquement démontrée dans bien des cas.

Le Ministère de l'Ecologie, les Agences de l'eau, l'Onema, les syndicats agissant sous leurs ordres engagent aujourd'hui des dépenses somptuaires sous couvert de continuité écologique, y compris pour détruire des ouvrages dans des rivières dont l'état piscicole DCE 2000 est déjà bon ou excellent (en contradiction manifeste avec un supposé intérêt prioritaire au regard de cette DCE, que vous mettez en avant). Voyez un exemple encore récent, il est très loin d'être isolé.

C'est une honte de jeter ainsi l'argent public dans la rivière et vous mesurez mal la colère que ces dérives suscitent sur nos territoires, alors que la France est en retard sur l'application de toutes les directives européennes (Nitrates ERU, DCE, Pesticides) et que tout le monde doit se serrer la ceinture du fait de la crise, y compris les collectivités.

Il est déplorable que les élus de la République continuent de déformer les textes et de méconnaître les réalités, aggravant ainsi le sentiment de distance croissante entre les représentés et leurs représentants.

La "fronde des moulins", Madame la Députée, c'est une fronde contre le dogmatisme et la gabegie, contre la destruction absurde du patrimoine historique et culturel des cours d'eau, contre la diversion de l'attention citoyenne sur des problèmes non essentiels pour la qualité écologique et chimique hélas dégradée de nos rivières. Cette fronde, nous en sommes fiers et nous la porterons aussi longtemps et aussi loin que l'exigera la lutte contre le dévoiement de l'action publique sur l'eau et les milieux aquatiques.

Avec nos respectueuses salutations,

Lettre ouverte au député Plisson sur les moulins et les poissons

Monsieur le Député,

Refusant dans le cadre de l'examen de la loi de biodiversité un amendement sur la continuité écologique (51 undecies A) qui demandait simplement une analyse coût-avantage avant d'envisager un effacement (quelle audace…), vous avez déclaré à vos collègues :

"Je préside une communauté de communes qui gère un bassin versant et nous nous efforçons de restaurer la continuité écologique, en concertation avec les propriétaires de moulins. Il faut savoir qu’une alose ne peut pas franchir cinq obstacles consécutifs. Nous devons donc privilégier, soit la biodiversité, soit les moulins. Or ceux-ci sont pour les poissons des obstacles infranchissables. N’est-ce pas une loi sur la biodiversité que nous examinons? À un moment donné, il y a des choix à faire ; et, en ce qui me concerne, je fais le choix du poisson." (retranscription)

Nous nous permettons de vous faire remarquer les points suivants relatifs à l'étude MIGADO des potentialités de l'Estuaire à laquelle vous faites allusion :
- l'alose ne figure pas dans les espèces cibles,
- l'étude considère 88 obstacles problématiques sur 175 (donc tous ne le sont pas),
- l'étude envisage dans sa synthèse 4 démantèlements seulement pour 84 aménagements non destructifs.

Ces solutions paraissent équilibrées, pourquoi ne les mettez-vous pas en avant ? Sachez qu'elle sont impossibles dans certains bassins où les Agences de l'eau ne financent convenablement que des solutions d'arasement et dérasement des ouvrages (Loire-Bretagne, Seine-Normandie par exemple). Sachez également que les moulins n'ont pas de problèmes en soi avec la continuité écologique quand elle concerne les grands migrateurs, mais ils n'ont tout simplement pas la possibilité de prendre à leur charge les 50 k€ par mètre de chute (évaluation coût moyen Agence de l'eau RMC) et frais supplémentaires de bureaux d'études que représentent ces réformes. Et quand de telles dépenses sont envisagées pour des poissons holobiotiques non migrateurs (ce qui est le cas dans nos têtes de bassin), ils en contestent l'urgence, voire en nient la nécessité si l'espèce cible est présente sans problème dans la rivière, dans ses zones de libre-écoulement.

Connaissez-vous, Monsieur le Député, beaucoup de réformes dont la conséquence est de demander à des particuliers non seulement d'accepter une servitude nouvelle (entretien à vie de la passe) mais encore d'engager à leurs frais, pour un dispositif d'intérêt général, des dépenses allant de dizaines à centaines de milliers d'euros? Connaissez-vous beaucoup de réformes où la loi commune de la République se traduit par une inégalité systématique des citoyens devant les charges publiques, car chaque Agence de l'eau, chaque DDT(M) et chaque service Onema interprète les besoins de franchissement et les propositions de financements de manière variable, y compris pour des problématiques similaires? Connaissez-vous beaucoup de réformes où l'on vient proposer aux gens de détruire leur propriété à la pelleteuse et de faire disparaître ainsi les qualités essentielles de leur bien, impactant du même coup tous les riverains à l'amont et à l'aval de l'ouvrage détruit?

Nous regrettons donc vivement que vous refusiez des amendements destinés à amener un peu de responsabilité et de pondération dans une mise en oeuvre actuellement fort problématique de la continuité.

Avec ou sans délai supplémentaire de 5 ans (autre amendement, adopté celui-là par votre commission), la réforme ne sera applicable que si les dispositifs de franchissement sont publiquement financés au même titre que les effacements, soit en général à 95%. La loi de 1865 sur les échelles à poissons a été très peu appliquée pour les mêmes raisons de coût et de complexité, vos prédécesseurs parlementaires l'observaient dans les années 1880. Il en va de même plus récemment pour les rivières classées au titre du L 432-6 CE. Il serait utile que la République possède la mémoire des réformes antérieures et de leurs limites, pour éviter de répéter encore et encore les mêmes erreurs.

Quant au bon mot consistant à préférer les poissons aux moulins, il ne rend pas justice à la situation, ne reflète pas les choix planifiés sur l'Estuaire et, subsidiairement, ne vous vaudra probablement pas beaucoup d'amis chez les amoureux du patrimoine hydraulique.

Avec nos respectueuses salutations