21/03/2018

Mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion des bassins hydrographiques (Hill et al 2018)

Une équipe de 11 chercheurs appelle à une prise en compte urgente des mares, étangs et petits plans d'eau dans la politique des milieux aquatiques. Au cours des années 2000, la recherche a montré que ces milieux, souvent moins présents à l'esprit des gestionnaires et décideurs que les rivières et les lacs, abritent pourtant une biodiversité plus importante par unité de surface. Ce message doit être entendu en France où des destructions d'étangs et plans d'eau sont trop souvent menées au nom d'une approche rigide et mal informée de la continuité en long, sans aucune étude de leur biodiversité et de leur connexion aux milieux environnants, sans compensation lorsque l'on fait disparaître des surfaces en eau et des milieux humides profitant localement au vivant. 


Le terme anglais "pond" désigne la mare, l'étang et par extension la zone lentique de faible superficie et de faible profondeur. Elle se distingue du lac par l'absence de zone profonde aphotique (fond privé de lumière) et thermiquement stratifiée. Au Royaume-Uni, où ces habitats sont suivis de manière poussée par rapport à d'autres pays d'Europe, le rapport d'inventaire de Williams et al 2010 avait apporté des informations intéressantes pour le cas anglais :  478000 sites (entre 1,8 et 2,2 par km2), 205 espèces de plantes représentant la moitié de toutes les espèces spécialisées en milieux humides et aquatiques (dont 5 protégées et 40 rares), 63% des mares, étangs et plans d'eau directement reliés à la rivière (dont les 2/3 en lit avec exutoire).

Ces habitats lentiques de taille modeste ont longtemps été négligés, l'attention des pouvoirs publics mais aussi des gestionnaires et chercheurs se tournant vers les rivières, les grands lacs ou les eaux côtières. Mais à compter des années 2000, une moisson de travaux a changé la donne. On s'aperçoit que des ensembles de petits habitats offrent généralement une valeur de conservation aussi élevée (ou plus élevée) qu'un seul grand habitat de même superficie.

Matthew J Hill et dix collègues spécialistes de ces milieux rappellent ainsi:

"Des preuves récentes indiquent que les paysages d'étangs et mares soutiennent une biodiversité élevée (voir The Pond Manifesto: EPCN 2008) et contribuent de manière proportionnellement bien plus forte à la biodiversité aquatique des bassins hydrographiques que les masses d'eau douce plus vastes et plus étudiées comme les rivières et les lacs (Davies et al 2008). En outre, les mares et étangs fournissent un habitat essentiel à de nombreuses espèces rares et menacées à l'échelle nationale et internationale, et constituent des refuges importants dans les paysages urbains et agricoles (Davies et al 2008, Chester et Robson 2013). La contribution significative des trame de mares et étangs à la biodiversité aquatique locale et régionale peut être attribuée à (i) les petits bassins individuels de chaque système, produisant des conditions environnementales idiosyncratiques et une complexité de l'habitat, conduisant à l'hétérogénéité de l'habitat à l'échelle du paysage (Davies et al 2008), (ii) la valeur des plans d'eau anthropiques (par exemple mares de fermes) pour augmenter la superficie d'habitats aquatiques disponible pour la vie sauvage, (iii) la fourniture d'habitats de refuge pour les communautés aquatiques, en particulier quand les zones humides naturelles ont été largement converties en fermes ou rizières (Takamura 2012, Chester & Robson 2013). Les mares et étangs jouent également un rôle important dans le soutien de la faune et de la flore semi-aquatique et terrestre, par exemple les zones agricoles qui contiennent des mares et étangs détiennent une richesse et une abondance d'espèces terrestres supérieures aux zones agricoles sans ces plans d'eau (Stewart et al 2017; : Davies et al 2016)."

Ces observations n'ont cependant pas encore été traduites en choix publics. Les chercheurs observent:

"Les politiques internationales de conservation de l'environnement et de la nature (telles que la Convention de Ramsar, la Convention sur la diversité biologique et la Directive-cadre européenne sur l'eau) sont importantes pour protéger les espèces et les habitats face aux pressions anthropiques croissantes (Dudgeon et al. 2006). Malgré cela, le nombre d'espèces menacées figurant sur la Liste rouge de l'UICN continue d'augmenter, les terres modifiées par les humains (urbaines, agricoles) continuent de remplacer les terres naturelles (Decker et al., 2016) et un certain nombre d'habitats terrestres et d'eau douce continuent à être négligés par les décideurs. Les mares et étangs, définis au Royaume-Uni et dans la majeure partie de l'Europe comme des plans d'eau lentiques de moins de 2 ha (Williams et al., 2010), et la trame des plans d'eau [pondscape], définie comme un réseau de mares et étangs avec leur matrice terrestre environnante, sont l'un de ces habitats historiquement négligés. Récemment, il y a eu une hausse significative de la reconnaissance par les communautés scientifiques et non scientifiques de l'importance des mares, étangs et de leur trame pour la biodiversité et les services écosystémiques. Pourtant, ces petits plans d'eau restent largement en dehors des attributions de la législation internationale, et dans de nombreux cas nationale, de la conservation et de l'environnement."

Une série de recommandations est produite, à commencer par un approfondissement de la recherche scientifique et des inventaires de biodiversité dans ces hydrosystèmes négligés. Ce que notre association réclame aujourd'hui, alors que l'AFB est défaillante à produire des exigences de bonnes pratiques écologiques, notamment avant toute destruction des ouvrages et de milieux lentiques.

Référence : Hill MJ et al (2018), New policy directions for global pond conservation, Conservation Letters, doi.org/10.1111/conl.12447

A lire sur ce thème
Vers une étude du limnosystème (Touchart et Bartout 2018) 
Etudier et protéger la biodiversité des étangs piscicoles (Wezel et al 2014)
La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)

Un exemple en Morvan
Etangs de Marrault: quand le patrimoine historique enrichit la biodiversité 

Illustration : étang de Montigny en Côte d'Or. Un exemple de gestion administrative déplorable des milieux aquatiques. Alors que ce plan d'eau a été créé comme retenue collinaire, que le fossé de quelques centaines de mètres avant la source (supposée) est intermittent dans sa mise en eau (absente 4 à 6 mois de l'année), qu'aucune espèce migratrice de poisson n'est évidemment attestée à l'amont, la DDT et l'AFB focalisent sur la soi-disant nécessité de restaurer une continuité en long (revenant à vider la retenue) tout en ne témoignant aucun intérêt pour la biodiversité aquatique et rivulaire du site. De telles approches dogmatiques et haliocentrées nuisent aux milieux et représentent le même type d'erreur que l'arasement des haies dans les années 1960-1970. Ces petits plans d'eau et zones humides en contexte agricole ont de l'intérêt pour le vivant, il faut s'en féliciter au lieu de chercher à les faire disparaître ou d'exiger des fonctionnalités coûteuses, sans enjeu dans le contexte.

19/03/2018

Interdire la pêche récréative? Les pêcheurs sur la sellette

Une pétition lancée par L214, Sea Shepherd, les Fondations Brigitte Bardot et 30 Millions d'amis est mise en ligne pour interdire la pêche récréative à Paris, une autre pour interdire la pêche du saumon en France, tandis que des associations naturalistes mettent en garde sur les effets délétères des déchets de pêche pour la faune sauvage.  L'ouverture de la pêche 2018 se fait sur fond d'une contestation inédite de ce loisir, qui soulevait jusque là une certaine indifférence bienveillante de l'opinion, voire parfois la sympathie de milieux écologistes. Quelques réflexions sur ce sujet, où la première étape nous semble déjà de considérer la pêche comme un impact et de ne plus lui confier le diagnostic écologique des milieux aquatiques, dont les enjeux excèdent l'approche halieutique et ses intérêts particuliers.



Voici deux ans tout juste, nous avions publié une tribune où, observant que le milieu des pêcheurs donne volontiers des leçons d'usage de la rivière à tout le monde, il ne saurait s'abstenir d'un recul sur ses propres pratiques, et travailler à les améliorer avant de critiquer celles des autres. Car eux aussi subiront le regard social. Ce temps semble arriver.

L214, Sea Shepherd, les Fondations Brigitte Bardot et 30 Millions d'amis ont lancé une pétition associée à une campagne affichage, en vue d'interdire la pêche récréative dans les départements où la consommation de poisson est interdite, donc où aucune finalité alimentaire ne peut être mise en avant. Une demande en ce sens va être déposée au Conseil de Paris.

La demande se fonde sur la souffrance animale : "Retirés brutalement de leur milieu, les poissons sont angoissés et souffrent de suffocation. Toute forme de pêche est potentiellement mortelle pour les poissons (…) A cela s'ajoutent les souffrances physiques liées aux lésions provoquées par l'hameçon, en particulier ceux qui possèdent un ardillon. Utilisée pour éviter un décrochage de l'hameçon, cette pointe provoque d'importants dégâts anatomiques lors de son retrait. Les lésions peuvent s'infecter et empêcher un poisson remis à l'eau de s'alimenter, causant son agonie". Les auteurs de l'appel réfutent l'idée que le "no kill" ou "catch and release" (remettre l'animal vivant à l'eau) serait une solution, car il ne règle pas le problème de la souffrance animale et provoque par ailleurs des lésions qui réduisent l'espérance de vie des poissons.

Outre cette capacité à souffrir, c'est le respect de l'animal comme disposant d'une vie pouvant être vécue qui est invoqué : "Comme les animaux vertébrés terrestres, les poissons ont un système nerveux central ; ils possèdent également des structures cérébrales homologues à celles présentes chez les mammifères pour le ressenti de la douleur. Il est donc aujourd'hui largement accepté que les poissons éprouvent la souffrance physique. Par ailleurs, ils ont des relations sociales complexes et peuvent communiquer entre eux de façon très élaborée. Ils possèdent une personnalité et sont capables de comportements et d'apprentissages sophistiqués : contrairement aux idées reçues, ils sont dotés d'une mémoire à long terme. Ils sont victimes d'un préjugé sur leurs capacités à éprouver des émotions car ils ne possèdent pas d'expression faciale et ne s'expriment pas vocalement, ce qui rend la lecture de leurs émotions difficile pour un humain".

Une autre motivation est la protection des espèces : "ces animaux peuvent aussi être menacés d'extinction : 15 espèces de poissons d'eau douce de France métropolitaine sont en danger, dont le Brochet et l'Anguille européenne".

Le Fédération nationale de la pêche en France (FNPF) a répondu en saisissant à son tour le Conseil de Paris (voir leur courrier). Elle met en cause "une campagne de déstabilisation visant à interdire la pratique de la pêche depuis début mars", qui est "orchestrée par un groupement d’associations de protection animale". Le ton est plutôt belliqueux. Son argument pour la pêche récréative : "Au-delà de la pratique d’un loisir, il s’agit d’une profession de foi envers les milieux aquatiques et leur biodiversité". La FNPF met en avant le rôle social de la pêche, son poids économique, son partenariat historique avec le ministère de l’écologie. Il est à noter que la fédération de pêche évite toute mention des principaux arguments des opposants, à savoir la question morale de la souffrance volontairement infligée à un animal sensible.


Que faut-il en penser?
La souffrance animale reste une question discutée dans le cas des poissons, même si la "balance des preuves" penche plutôt vers sa réalité. La biologiste Victoria Braithwaite a écrit un livre entier sur ce sujet rassemblant l'ensemble des expérimentations et observations suggérant que les poissons ressentent de la souffrance (Braithwaite 2010, sur le bien-être des poissons voir Braithwaite 2017). D'autres chercheurs ont objecté que les poissons ne ressentent pas l'équivalent humain de la souffrance, la détection inconsciente de stimuli nocifs (nociception) n'étant pas la douleur consciente au plan neurobiologique et psychologique (Rose et al 2014). Une équipe scientifique a défini 17 critères biologiques et comportementaux permettant d'évaluer l'existence d'une douleur chez les différents règnes, observant que les poissons remplissent la plupart des critères, au même titre que les mammifères ou les oiseaux (Sneddon et al 2014).

La science établit des faits, mais elle n'a de toute façon aucune autorité pour définir des morales et émettre des jugements de valeur (même si certains écologues ou biologistes tendent parfois à l'oublier, comme le relevait Christian Lévêque). Le rapport de l'être humain à l'animal est une question de civilisation qui excède la caractérisation neurobiologique de la douleur, laquelle apporte un élément d'information mais non de décision. On pourrait choisir de tolérer la pêche même si elle provoque une souffrance chez l'animal, ou au contraire de l'interdire même si elle provoque une douleur bénigne : ce sont les usages sociaux, les héritages culturels, les réflexions éthiques et les débats démocratiques qui en décident.

Les approches éthiques de la nature sont parfois séparées en vision biocentriste (le vivant a une valeur intrinsèque dont le respect s'impose à l'homme) ou anthopocentriste (l'homme reste l'arbitre de ses choix moraux sur le vivant selon ses intérêts, goûts ou valeurs). Les positions biocentristes se montrent en général soucieuses de la condition animale, ce qui peut inclure la condamnation de la pêche parmi d'autres activités de prédation. Ces positions posent quand même un problème de logique : ceux qui parlent au nom de la nature non humaine le font toujours à partir de leur vision (humaine) de cette nature. Ils n'échappent donc pas en dernier ressort à une fondation anthroposourcée de leur morale. (Le spectacle le plus étrange en ce domaine est certainement donné par certains pêcheurs spécialisés de saumons ou truites qui d'un côté affirment défendre la vie sauvage, des positions radicales en écologie voire une empathie avec les poissons, mais d'un autre côté réclament une sorte d'exception pour leur pratique, comme activité tolérée au sein de cette nature interdite à d'autres humains. Il n'est cependant pas nouveau que chacun voit midi à sa porte et que les pratiques marginales produisent parfois d'étranges constructions intellectuelles…)

Nombre de pratiques sont accompagnées de la souffrance et de la mort animales (élevage, chasse, pêche, corrida, expérimentation scientifique, etc.). Certaines sont très contestés, d'autres mieux acceptées. Nos sociétés modernes se montrent de plus en plus attentives à la question. Le débat est souvent celui de l'intérêt que l'on accorde à la pratique provoquant la souffrance, le stress ou la mort de l'animal. Par exemple, mener une expérience sur des souris en vue de mettre au point un médicament n'est pas la même chose qu'organiser des combats de chiens en vue de récolter l'argent des paris.

S'il existe une longue histoire de la réflexion philosophique sur l'animal, les débats sociétaux sur sa sensibilité et sa souffrance sont néanmoins assez récents. Sur le sujet, chacun peut déjà se construire une morale personnelle, par réflexion sur les rapports qu'il a envie d'avoir avec les animaux au regard des connaissances dont nous disposons. Mais avoir une répugnance personnelle envers telle ou telle pratique n'autorise pas à fonder son interdiction, ce qui rendrait nos sociétés peu vivables. Il paraît assez précoce de réclamer une position publique en la matière, qui suppose un certain consensus social à ce jour inexistant, tant sur la pêche que sur d'autres pratiques.

Considérer la pêche comme un impact et l'autonomiser de la gestion écologique des rivières
En revanche, les prises de position des associations ayant lancé l'appel à interdire la pêche rappellent une évidence qui avait été oubliée : les pêcheurs sont avant tout des usagers de la rivière, qui exploitent ses peuplements de poissons au bénéfice d'un loisir.

Cela pose un problème quand, jouissant de leur agrément public, les fédérations de pêche sont parfois chargées des diagnostics de rivière et promeuvent la "protection des milieux aquatiques" en centrant l'essentiel de leur réflexion sur les dimensions halieutiques et piscicoles. Or, ces dernières n'expriment pas tous les enjeux de biodiversité, et leur sont parfois contraires : introduction d'espèces étrangères au bassin, alevinage et déversement d'espèces d'élevage avec risque d'introgression génétique, diffusion de certains pathogènes par les matériels de pêche, destruction de milieux lentiques d'intérêt au nom d'une continuité centrée sur quelques espèces cibles de la pêche, etc.

Confie-t-on aux chasseurs le diagnostic et la gestion écologiques des forêts et des prairies? Le fait d'accorder parfois ces prérogatives aux pêcheurs pour les rivières et étangs est un héritage dépassé. Et désormais contesté.

Il faut y ajouter des problèmes de gouvernance : représentation automatique des pêcheurs dans des instances de concertation et décisions dont d'autres usagers ou d'autres associations (dont les naturalistes) sont exclus, conflit d'intérêt quand des élus locaux sont aussi dans les instances de pêche et doivent prendre des décisions au sein des syndicats de rivière, etc.

Pour toutes ces raisons, on doit autonomiser l'évaluation écologique des rivières de la pêche dans les années à venir et analyser l'impact de la pêche de manière indépendante, au même titre que les autres usages. Concrètement, il s'agira notamment d'exposer le problème aux élus et de donner désormais des avis défavorables à toute délégation d'études de rivière aux fédérations de pêche dans le cadre des SAGE, des contrats bassin ou des études GEMAPI. De même, la pêche est le seul usage qui n'avait jamais fait l'objet d'une évaluation scientifique de son impact par l'Onema (office biaisé par sa sympathie pour la pratique), et l'Agence française pour la biodiversité devrait mettre un terme à cette anomalie en étudiant la question. De ce point de vue, la campagne de L214, Sea Shepherd, Fondations Brigitte Bardot et 30 Millions d'amis a le mérite de mettre en évidence l'absence de consensus social sur la pêche et la nécessité d'une analyse critique de ses pratiques.

18/03/2018

Remarques sur l'instruction législative des 12-20 août 1790

Les droits d'eau fondés en titre des moulins et autres ouvrages hydrauliques ne sont pas nés en antériorité de l'abolition des privilèges par les décrets des 4-11 août 1789, comme on le croit parfois, mais par leur existence avant l'instruction législative des 12-20 août 1790, qui instaure l'obligation d'une autorisation départementale pour créer un ouvrage en cours d'eau non domanial. La lecture de cette instruction montre que les moulins et écluses étaient accusés d'inonder les parcelles du lit majeur - ce qui, aujourd'hui, équivaudrait plutôt à limiter le risque d'inondation aval et à favoriser l'émergence de zones humides!


L'instruction législative des 12-20 août 1790 est à l'origine de la distinction entre les droits fondés en titre et les droits fondés sur titre (c'est-à-dire sur autorisation administrative). L'abolition des privilèges et la vente des biens nationaux laissent une période de flottement après 1789 : les ouvrages hydrauliques ne sont pas collectivisés, mais relèvent désormais de la propriété privée. Il est présumé que leur droit est établi pour ceux qui existent, d'où la notion de droit fondé en titre pour tous les ouvrages présents au moment des décisions de l'assemblée constituante.

En revanche, à compter de le prise d'effet de l'instruction des 12-20 août 1790, la création d'un nouvel ouvrage hydraulique sur les cours d'eau ni flottables ni navigables est réglementée : son autorisation est désormais confiée à la police des eaux et forêts officiant dans chaque département sous l'autorité du préfet.

De là procède qu'un moulin (ou tout autre ouvrage) créé après le 20 août 1790 n'est plus fondé en titre, mais relève d'une autorisation formelle délivrée par la préfecture. Par suite des évolutions de la loi et de la jurisprudence, cette autorisation est sans limite de temps si elle été accordée entre 1790 et 1919 pour les puissances inférieures à 150 kW.

Si l'on revient à l'instruction législative des 12-20 août 1790, son chapitre 6 sur la question des ouvrages énonce :
"Elles [les administrations départementales] doivent aussi rechercher et indiquer les moyens de procurer le libre cours des eaux, d'empêcher que les prairies ne soient submergées par la trop grande élévation des écluses des moulins et par les autres ouvrages d'art établis sur les rivières, de diriger enfin, autant qu'il sera possible, toutes les eaux de leur territoire vers un but d'utilité générale, d'après les principes de l'irrigation."
On note d'abord que le "libre cours des eaux", et donc une certaine "continuité" avant la lettre, est valorisée par le législateur. Le libre cours de l'époque n'est pas tellement pensé en lien direct aux poissons - même s'il existe déjà diverses interventions du pouvoir monarchique pour réglementer la pêche et la gestion d'ouvrages sur certaines rivières. D'autres usages de l'eau sont aussi à l'esprit des constituants, comme par exemple le flottage, qui connaît son maximum historique au moment de la Révolution et dont Paris dépend pour son approvisionnement en bois de chauffage.

On observe ensuite que le risque d'inondation des parcelles à l'amont des retenues est dans les esprits. C'était une accusation régulièrement portée contre les ouvrages, comme le montrent de nombreux contentieux de riveraineté sous l'Ancien Régime. Ce rappel est intéressant à l'heure où l'on parle de prévention des crues par expansion dans le lit majeur... tout en supprimant des ouvrages pour que l'eau retrouve un cours plus rapide (voir cet article)! Ou encore de favoriser les zones humides, une préoccupation que n'avaient certes pas les acteurs de la Révolution puisqu'ils ont pris un décret d'assèchement des étangs (voir ce livre d'Abad 2006), en conformité à une tendance ancienne au draingage des marais, marécages et autres zones jugées peu favorables à la santé comme à l'agriculture (voir ce livre de Derex 2017 et des éléments dans Lévêque 2016).

On remarque enfin que la pensée des constituants est utilitariste : c'est le "but d'utilité générale" qui doit guider "toutes les eaux du territoire". Et en cette époque où famines et crises frumentaires sont encore fréquentes, l'usage agricole ("irrigation") compte parmi les priorités.

Illustration : paysage avec moulin à eau par François Boucher (1703-1770).

16/03/2018

Les amphibiens et leur protection en France, un enjeu pour les moulins, étangs et plans d'eau

L'administration française et certaines fédérations de pêche essaient de promouvoir un peu partout la destruction ou l'assèchement des étangs, lacs, plans d'eau, biefs et leurs zones humides attenantes. Ces choix, favorables à certaines espèces (poissons migrateurs), sont défavorables à d'autres. En particulier les amphibiens, qui sont des espèces menacées et protégées. Rappel de droit et quelques conseils à ce sujet.



Les amphibiens (grenouilles, crapauds, salamandres, tritons) sont des espèces menacées par la disparition et la fragmentation de leurs habitats depuis plusieurs siècles, ainsi que par la pollution, le changement climatique et l'expansion des pathologies liées à des espèces exotiques. Le drainage des zones humides et l'artificialisation des sols ont considérablement réduit les sites favorables à ces espèces.

Selon l'IUCN et ses listes rouges construites avec le Muséum d'histoire naturelle, la France compte 35 espèces d'amphibiens endémiques en métropole. Huit espèces d'amphibiens sont considérées comme menacées (soit 23%)

Ces espèces se rencontrent souvent dans des sites aujourd'hui à risque de destruction ou d'assèchement dans le cadre de la restauration de continuité longitudinale des rivières : étangs, biefs, zones humides annexes de ces sites (sur l'intérêt de ces milieux, voir par exemple Chester et Robson 2013, Wezel et al 2014, Kirchberg et al 2016).

La continuité latérale (inondation du lit majeur) davantage que longitudinale est un enjeu de premier plan pour les amphibiens (pour la biodiversité en général). Il faut toutefois mener une réflexion à ce sujet aussi, car un facteur défavorable est la présence de poissons. Le reprofilage systématique des annexes hydrauliques comme frayères à brochet (souvent promu aujourd'hui) ne sera ainsi pas optimal pour les amphibiens. Il faut donc favoriser également au long des cours d'eau des annexes intermittentes dont les entrées ne sont pas conçues pour favoriser le passage des poissons.

Il appartient aux propriétaires, riverains et associations de demander au gestionnaire et à l'administration de réaliser des campagnes d'observation et d'inventaire de ces espèces dans tout chantier mettant en péril des habitats favorables aux amphibiens. Le cas échéant de les réaliser eux-mêmes, les amphibiens étant observables à compter de la sortie de l'hiver (vers février mars). Par ailleurs, les maîtres d'ouvrage peuvent créer facilement des micro-habitats favorables aux amphibiens, en usant avec discernement de la présence de l'eau sur leurs propriétés.

La protection juridique des amphibiens
Au plan du droit, l'arrêté du 19 novembre 2007 a fixé les listes des amphibiens et des reptiles protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

Article 2
Pour les espèces d'amphibiens et de reptiles dont la liste est fixée ci-après :
I. - Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l'enlèvement des oeufs et des nids, la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel.
II. - Sont interdites sur les parties du territoire métropolitain où l'espèce est présente ainsi que dans l'aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants, la destruction, l'altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s'appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l'espèce considérée, aussi longtemps qu'ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l'altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques.

Urodèles
Salamandridés : 
Euprocte des Pyrénées (Euproctus asper) (Dugès, 1852). Euprocte corse (Euproctus montanus) (Savi, 1838). Salamandre noire (Salamandra atra) (Laurenti, 1768). Salamandre de Lanza (Salamandra lanzai) (Nascetti, Andreone, Capula et Bullini, 1988). Triton crêté italien (Triturus carnifex) (Laurenti, 1768). Triton crêté (Triturus cristatus) (Laurenti, 1768). Triton marbré (Triturus marmoratus) (Latreille, 1800).

Plethodontidés :
Spélerpès brun (Speleomantes [Hydromantes] ambrosii) (Lanza, 1955). Spéléomante de Strinati (Speleomantes [Hydromantes] strinatii) (Aellen, 1958).

Anoures
Discoglossidés : Crapaud accoucheur (Alytes obstetricans) (Laurenti, 1768). Crapaud sonneur à ventre jaune (Bombina variegata) (Linné, 1758). Discoglosse corse (Discoglossus montalentii) (Lanza, Nascetti, Capula et Bullini, 1984). Discoglosse peint (Discoglossus pictus) (Otth, 1837). Discoglosse sarde (Discoglossus sardus) (Tschudi, 1837).

Pélobatidés : Pélobate cultripède (Pelobates cultripes) (Cuvier, 1829). Pélobate brun (Pelobates fuscus) (Laurenti, 1768).

Bufonidés : Crapaud calamite (Bufo calamita) (Laurenti, 1768). Crapaud vert (Bufo viridis) (Laurenti, 1768).

Hylidés : Rainette verte (Hyla arborea) (Linné, 1758). Rainette méridionale (Hyla meridionalis) (Boettger, 1874). Rainette corse (Hyla sarda) (De Betta, 1857).

Ranidés : Grenouille des champs (Rana arvalis) (Nilsson, 1842). Grenouille agile (Rana dalmatina) (Bonaparte, 1840). Grenouille ibérique (Rana iberica) (Boulenger, 1879). Grenouille de Lessona (Rana lessonae) (Camerano, 1882).

Article 3 
Pour les espèces d'amphibiens et de reptiles dont la liste est fixée ci-après :
I. - Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l'enlèvement des oeufs et des nids, la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel.

Urodèles
Salamandridés : Salamandre de Corse (Salamandra corsica) (Savi, 1838). Salamandre tachetée (Salamandra salamandra) (Linné, 1758). Triton alpestre (Triturus alpestris) (Laurenti, 1768). Triton de Blasius (Triturus blasii) (de l'Isle, 1862). Triton palmé (Triturus helveticus) (Razoumowski, 1789). Triton ponctué (Triturus vulgaris) (Linné, 1758).

Anoures
Pélodytidés : Pélodyte ponctué (Pelodytes punctatus) (Daudin, 1803).

Bufonidés : Crapaud commun (Bufo bufo) (Linné, 1758).

Ranidés : Grenouille de Berger (Rana bergeri) (Günther, 1985). Grenouille de Graf (Rana grafi) (Crochet, Dubois et Ohler, 1995). Grenouille de Perez (Rana perezi) (Seoane, 1885). Grenouille des Pyrénées (Rana pyrenaica) (Serra-Cobo, 1993). Grenouille rieuse (Rana ridibunda) (Pallas, 1771).

A lire :
Guide ASPAS de protection des amphibiens
UICN, liste rouge des amphibiens et reptiles en France

Illustration : petite zone humide en contrebas d'un bief de moulin, hébergeant des amphibiens. Les propriétaires d'ouvrage hydraulique doivent se montrer attentifs aux espèces profitant des écoulements et de leurs annexes. Il est aussi possible de réaliser des optimisations favorables aux amphibiens (création de mares et plans d'eau séparés des poissons, creusement de sillons servant de zones humides et régulièrement alimentés en pied de bief). Les amphibiens cherchent des zones fraîches et humides, une faible profondeur en eau suffit à la reproduction pour la plupart.

14/03/2018

Casser les ouvrages hydrauliques sans aggraver le risque d'inondation? Nos décideurs vont devoir prendre leurs responsabilités

A Kerguinoui, les riverains du Léguer se plaignent que les modifications des ouvrages hydrauliques en lien à la continuité écologique ont aggravé les inondations. On leur dit qu'ils ont tort. A Poilley, le maire du village s'inquiète de l'effet des crues si les barrages de la Sélune venaient à être détruits. On lui dit qu'il a tort. Mais est-ce si sûr? La destruction d'ouvrages au nom de la continuité écologique aura-t-elle des effets négligeables et l'argent public est-il dépensé à bon escient? Ce n'est pas du tout l'avis de René Autelet, ingénieur conseil, dont nous publions une tribune avec son aimable autorisation. Détruire ou assécher un peu partout les retenues, les étangs, les canaux, les biefs, les plans d'eau alors que l'on vante les stratégies de rétention et d'expansion des eaux de crue lui paraît une complète contradiction de la part de nos décideurs. Car ces ouvrages ont aussi une fonction de gestion de l'eau, en crue comme à l'étiage, dont les Anciens usaient avec sagesse. Aucune étude n'a jamais simulé les variations d'inondation à échelle d'un bassin entier selon les hypothèses retenues pour la continuité écologique : il serait temps de le faire... avant de défaire!


Qui n'a jamais entendu dire par certains esprits chagrins que les politiques agricoles étaient incohérentes ?

À une certaine époque, nous nous gaussions entre étudiants du fait que tel ou tel agriculteur ait pu toucher, la même année bien sûr, une prime à l''abattage de ses pommiers et une autre à la replantation… de pommiers. Une blague semblable circulait sur la "prime à la vache", qui aurait financé en même temps l'abattage et la reconstitution du troupeau. Si notre jeunesse a pu excuser la propagation de telles allégations, sans les vérifier c'est bien normal, j'ai pu les répéter, pour rire, sans vraiment y croire.

Et pourtant, en cette deuxième année d'inondations catastrophiques, un article local paru dans l'une des régions les plus touchées, vient d'attirer mon attention et semer un doute affreux dans mon esprit. L'Eclaireur du Gâtinais dans son édition du mercredi 24 janvier 2018, sous le titre "Face au tumulte des eaux boueuses" annonce "qu'il faudra attendre deux ans avant que les premières actions soient entreprises et financées pour aménager des zones d'expansion des eaux en terres agricoles (afin de réduire l'impact des crues sur les zones habitées)".

Aménager des zones d'expansion des eaux en terres agricoles! C'est sidérant! Devons-nous rappeler que, depuis l'antiquité jusqu'au 19e siècle en passant par le moyen âge, des seuils, chaussées et moulins ont été aménagés tout au long des rivières du monde occidental, pour capter l'énergie d'une part, et indirectement pour réguler les crues ?

Devons-nous rappeler que depuis la transposition de La directive européenne 2000/60/ CE du 23 octobre 2000 en droit français, les services publics s'appliquent, au nom d'une interprétation abusive de la "continuité écologique", à détruire et à effacer toute retenue d'eau, travaux dantesques appliqués sur la plupart de nos rivières de France ?

Un observateur attentif pourra facilement remarquer que les ouvrages de retenue de l'ensemble de nos vieux moulins sont aménagés sur le même niveau que les prairies environnantes et souvent les surplombant légèrement. La moindre crue, concrétisée par un passage de l'eau au-dessus des murs provoque immanquablement le déversement sur les terres alentour, répertoriées de ce fait sous le nom de "prairies inondables".

La carte de Cassini, établie sur ordre de Louis XV au 18e siècle, fait l'inventaire des moulins de cette époque. Le 19e siècle fut riche de créations et nous pouvons constater que la grande majorité de nos rivières était parsemée de moulins à eau. A raison d'une retenue en moyenne tous les 2 km, voire 1,5 km sur certaines rivières, capable d'inonder ne serait-ce que 2 à 4 hectares, ne serait-ce encore que de 25 à 50 cm d'eau, et compte tenu du nombre de kilomètres de nos cours d'eau, il est facile de calculer que les 2 mètres d'eau qui ont sinistré Nemours en juin 2016 auraient été largement épongés… si du Betz à la Bezonde en passant par l'Ouanne, le Solin, le Puiseaux, le Vernisson, la Cléry ou le Loing, nos cours d'eau n'avaient été la proie des idéologues et de leur folie destructrice. Surtout si l'on ajoute à cela qu'une coordination aurait pu permettre de vider préventivement toutes les retenues existantes à l'annonce de fortes pluies.

Dans le concours de circonstances à l'origine des crues exceptionnelles de ces deux dernières années, c'est à cette cause déterminante que nous pouvons attribuer la grande part de responsabilité. C'est la raison pour laquelle face à l'omerta des services publics et au silence des médias, nous avons publié dans notre bulletin SITMAFGR n°106 de juillet-août 2016 l'article "Petits ruisseaux font grandes rivières…".

De même, dans l'excellent article de Loup Francart, publié dans La Propriété Privée Rurale n°415 de février 2012, nous pouvons lire : "L'administration, en imposant massivement les destructions d'ouvrages, va  reproduire les mêmes erreurs (…). En imposant des mesures sans avoir connaissance de l'impact qu'elles produiront, elle laisse les usagers (…) contraints de faire face (…) aux inconvénients générés par cette politique (…). Dans 20, 30, voire 50 ans, la France reconstruira sans aucun doute ces ouvrages...".

L'auteur ne pensait pas si bien dire, ni d'avoir raison si tôt. Les projets d'aménagements de zones d'expansion des eaux en terres agricoles sont déjà sur la table… et on en cherche le financement… en oubliant qu'il faudra et c'est normal indemniser aussi ces nouvelles terres agricoles que l'on prévoit de rendre inondables. Avec quel argent justement? Une "taxe inondation" sera-t-elle instaurée? Certaines communautés de communes y pensent sérieusement (l'Eclaireur du Gâtinais : article "Solidaires pour lutter contre les crues").

Pendant ce temps, des dizaines voire des centaines de milliers d'euros sont engloutis pour chaque ouvrage joyeusement détruit, somme à multiplier par des dizaines de chantiers sur chaque cours d'eau, à multiplier par le chiffre impressionnant de nos kilomètres de rivière, supérieur à 500 000!

Cette débauche d'incohérences dans l'utilisation de l'argent public est suffocante. Elle l'est également pour les propriétaires de moulins qui se défendent pour sauver leurs aménagements, sous le harcèlement permanent des techniciens de rivière et leurs commissions en tout genre.

"Faire et défaire, c'est toujours travailler", ce dicton populaire ne s'applique pas dans notre cas, car ce "défaire et faire" est totalement contre-productif, avec de l'argent public qui fait cruellement défaut par ailleurs. Une incitation à l'aménagement énergétique des moulins était possible, à l'instar de ce qui a été fait pour les capteurs photovoltaïques. Des solutions rationnelles répondant aux exigences de la continuité écologique existent. Détruire les obstacles, de façon irréversible, correspond à la pire des orientations.

L'histoire de "la prime à la vache", si elle n'est pas certaine, peut toujours faire rire, mais il y a bien plus grave et inquiétant…

Illustration : lors d'une crue, le bief d'un moulin (au premier plan) se remplit, puis commence à déborder sur la prairie d'inondation en contrebas. Ce mécanisme contribue à ralentir et diffuser l'onde de crue. Il a par ailleurs de l'intérêt pour la biodiversité. L'administration française a classé 20 000 ouvrages hydrauliques à traiter en 5 ans, avec comme solution de première intention la destruction de ces ouvrages, donc des équilibres hydrauliques en place. Aucune simulation à grande échelle n'a jamais été produite pour vérifier les effets cumulés de ces choix. Et dans le même temps, l'administration vante les mérites des champs d'expansion de crue en lit majeur... qu'elle incite justement à détruire sur argent public! On nage en pleine contradiction pour cette politique dogmatique, précipitée et décriée.

Cette tribune est originellement parue dans Sitmafgr Liaison n°115 - janvier-février 2018