05/08/2019

Genèse de la continuité des rivières en France (3) : la loi de 2006

La loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 a introduit en droit français la notion de "continuité écologique", en particulier la continuité en long sur des rivières classées à cette fin pour assurer la circulation des poissons et le transit des sédiments. L'examen des discussions autour du texte de loi montre que les parlementaires n'avaient nulle volonté de détruire en masse des barrages, chaussées et digues afin d'engager une hypothétique "renaturation" des rivières. La loi vise simplement à gérer, le cas échéant équiper des ouvrages, cela sur des grands axes migrateurs. La conflictualité de la continuité en long naîtra quelques années plus tard d'une dérive antidémocratique au terme de laquelle des fonctionnaires non élus –l'administration centrale de l'eau et de la biodiversité, ses représentants en agences de l'eau, les experts de l'Onema (devenu OFB), les programmateurs d'établissements territoriaux de bassin – décident d'ajouter des dispositions absentes de la loi, notamment l'incitation administrative et la prime financière à la destruction des ouvrages pour un retour à une "naturalité" assez fantasmatique de la rivière. Cette trahison du texte et de l'esprit de la loi de 2006 a aussi révélé les jeux de pouvoir au sein de la puissance publique, montré l'influence de certains lobbies au ministère de l'écologie et alimenté la rupture de confiance des citoyens vis-à-vis des décideurs centraux, perceptible de manière diffuse dans tout le pays et sur de nombreux sujets. Nous ne sommes pas sortis aujourd'hui de cette défiance, faute d'un ré-équilibrage des pouvoirs, d'une transparence des décisions, d'une réelle concertation démocratique et d'une redéfinition de la doctrine publique des rivières.


Le vote de la loi sur l'eau de 2006 a installé la "continuité écologique" dans le droit français. Comme nous l'avions montré, cette introduction s'est faite dans la trajectoire des lois de 1865 et de 1984, qui concernaient avant tout certaines espèces spécialisées de poissons, dont celles prisées par une fraction des pêcheurs de loisir (salmonidés) aux lobbies très actifs auprès des services de l'Etat. Une autre sensibilité de la société, écologiste (au sens idéologique et non scientifique), s'opposait aussi aux barrages et à la poursuite de l'artificialisation des rivières, notamment à la suite des combats de Loire Vivante dans les années 1980. Enfin la directive cadre européenne sur l'eau de 2000, transposée en droit français en 2004, avait introduit dans ses annexes la notion de "continuité de la rivière": il est très exagéré de dire que la DCE 2000 accorde une grande importance à ce sujet, d'autant que cette continuité a quatre dimensions (longitudinale, latérale, verticale, temporelle) et qu'elle ne se réduit pas au problème des poissons migrateurs, mais le thème était dans l'air au début des années 2000.

Il est intéressant de se pencher dans les archives du vote de cette loi de 2006, en particulier les dispositions de continuité écologique (création de l'article L 214-17 code de l'environnement)

Aménager des ouvrages pour protéger certains grands axes de poissons migrateurs: le projet de loi de 2005 est réaliste
La présentation du projet de loi n° 240, déposé le 10 mars 2005 pour sa première lecture au Sénat, énonce ainsi :
"L'article 4 [codifiant le L 214-17 CE] a pour objet de faciliter le «décloisonnement» écologique des cours d'eau. Il réforme les procédures de classement des rivières réservées au titre des poissons migrateurs avec pour objectifs majeurs : la préservation des cours d'eau quasi-naturels qui constituent une référence du très bon état des eaux et la protection des grands axes migrateurs tels que Loire, Dordogne, Garonne, Gave de Pau...
Il instaure une procédure unique de classement des cours d'eau au titre du cloisonnement écologique inscrite au code de l'environnement, et abroge l'alinéa correspondant de l'article 2 de la loi de 1919 ; cette nouvelle procédure a pour conséquence l'interdiction de nouveaux ouvrages et l'aménagement des règles de gestion des ouvrages existants.
Les classements existants à l'échelle des bassins seront réexaminés de façon à renforcer la cohérence du dispositif, notamment pour respecter les exigences de la directive cadre en matière de continuité biologique et de «bon état». L'ensemble des activités susceptibles d'avoir des impacts sur la morphologie et le régime hydraulique des cours d'eau devront être prises en compte.
La procédure de classement définie par décret en Conseil d'État prévoira une large concertation, notamment avec les organismes représentatifs de la pêche et les gestionnaires des ouvrages concernés."
On voit donc que :
  • c'est la "protection des grands axes migrateurs" qui est visée, et non la renaturation complète de dizaines de milliers de km de cours d'eau fort éloignés de ces axes,
  • un "aménagement des règles de gestion" est envisagé afin d'assister les grands migrateurs, certainement pas une destruction du patrimoine hydraulique du pays,
  • une "large concertation" devait associer les gestionnaires des ouvrages, ce qui ne fut jamais le cas pour l'immense majorité d'entre eux (les industriels de l'hydro-électricité ne représentent qu'une petite partie des ouvrages en rivière).
Ce projet de loi rappelle la première formulation du texte (qui sera modifiée par l'examen parlementaire) :
"Art. L. 214-17. I. - Aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages constituant un obstacle à la continuité écologique des cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux qui sont en très bon état écologique ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire. La continuité écologique est caractérisée par un transport suffisant des sédiments et par la circulation des espèces vivantes.
« Le renouvellement de la concession ou de l'autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux est subordonné à des prescriptions permettant d'assurer le très bon état écologique des eaux ou la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée.
« II. - Les ouvrages situés sur des cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer un transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs sont gérés, entretenus et, le cas échéant, équipés selon des règles définies avec l'autorité administrative."
Les ouvrages en liste 2 (obligation de continuité) devront être "gérés, entretenus et, le cas échéant, équipés" dans l'esprit du législateur, mais en aucun cas détruits ni même systématiquement équipés de passes à poissons ou autres dispositifs.

La formulation définitive de la loi votée en décembre 2006 demandera "une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant."

Députés et sénateurs ne souhaitaient en rien détruire les ouvrages, mais les gérer ou les équiper sans nuire au développement de l'hydro-électricité
Le rapport n° 271 déposé le 30 mars 2005 par Bruno Sido, au titre de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, exprime le point de vue des sénateurs.

On y lit notamment :
"les ouvrages situés sur les cours d'eau sur lesquels il est nécessaire d'assurer un transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs devront être gérés, entretenus et, le cas échéant, équipés selon des règles définies avec l'autorité administrative. Dans la pratique, cela signifie que les ouvrages hydrauliques situés sur ces cours d'eau devront comporter des dispositifs d'ouverture (des vannes de fond par exemple) afin de laisser passer les sédiments à des intervalles réguliers.
(...) Les préjudices liés à cette réforme ne pourront donner lieu à indemnisation que dans la mesure où les nouvelles obligations feraient peser sur l'exploitant de l'ouvrage une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général qu'elles poursuivent.
Votre rapporteur note que ces nouvelles dispositions permettront de rationaliser les classements existants en les faisant établir à une échelle plus pertinente, celle de l'unité hydrographique. Elles autoriseront ainsi le déclassement de cours d'eau pour lesquels l'application de ces critères ne présentait que peu d'intérêt et renforceront la protection des cours d'eau en bon état écologique."
Les sénateurs actent l'esprit de la loi et parlent d'ouverture de vannes, tout en rappelant que l'indemnisation des charges créées sera nécessaire si la dépense est exorbitante pour le maître d'ouvrage. Il est aussi souligné que la loi permet de déclasser des rivières classées suite à la loi pêche de 1984, dont l'application avait été dans l'ensemble un échec (déjà en raison des coûts des passes à poissons).

Le rapport n° 3070 déposé le 3 mai 2006 par André Flajolet (Assemblée nationale) commente à son tour le projet de loi amendé par les sénateurs après première lecture. Ce rapport ne mentionne pas la continuité écologique dans ses attendus généraux (elle est donc secondaire pour les parlementaires) : "Il semble en outre nécessaire de distinguer trois moyens de répondre aux besoins en eau dans notre pays : la protection qualitative de la ressource, qui vise à éviter qu'une pollution des eaux disponibles ne les rende impropres à la consommation, un développement quantitatif de la ressource, qui doit permettre de rendre disponible une quantité de masse d'eau présente dans la nature, et enfin le renforcement de l'épuration des eaux usées."

On y lit notamment :
"L'article 4 concerne deux problématiques distinctes, celle du classement des cours d'eau, et celle du débit réservé. Il vise tout d'abord à réviser les critères de classement des cours d'eau, en prévoyant que sur un certain nombre de cours d'eau, aucune autorisation ou concession ne pourra être accordée à des ouvrages nouveaux ci ceux-ci compromettent la continuité écologique dans le cours d'eau. Il précise également que sur d'autres cours d'eau, les ouvrages devront être gérés et équipés selon des règles établies par l'autorité administrative, afin de garantir le transport des sédiments et la circulation des poissons migrateurs amphihalins. S'agissant du débit réservé, débit minimal maintenu dans la rivière et mesuré au droit de l'ouvrage, le projet de loi réaffirme les objectifs affichés dans la loi sur l'eau de 1992, afin de garantir le respect des objectifs de la directive cadre sur l'eau. Le Sénat a profondément modifié cet article afin d'en atténuer les effets potentiellement négatifs sur le développement de l'hydroélectricité. En ce qui concerne le classement des cours d'eau, les critères retenus ont été affinés, afin de ne pas «geler», par l'application de règles trop générales, l'implantation d'ouvrages, ou de ne pas alourdir de manière trop importante les obligations pesant sur ces ouvrages. En ce qui concerne le débit réservé, le Sénat a souhaité prendre en compte la contribution essentielle de certains ouvrages à la production d'hydroélectricité pour prévoir des règles plus souples susceptibles de garantir la capacité de modulation immédiate de l'offre électrique à laquelle ils concourent."
Donc là encore, les députés actent de la nécessité de gérer ou d'équiper des ouvrages en ayant soin de pas geler l'hydro-électricité et ne pas alourdir la gestion des ouvrages.



L'incroyable dérive de l'administration et des lobbies: un plan de destruction systématique des ouvrages se met en place en 2009
Par la suite, à l'encontre de l'esprit et du texte de la loi, l'administration en charge de l'eau et de la biodiversité a transformé cette "continuité écologique" en une véritable machine de guerre pour détruire les ouvrages hydrauliques :
  • plan d'actions pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau (Parce) en 2009, avec introduction arbitraire de la notion de "dénaturation des cours d’eau" et désignation de l'ouvrage en rivière comme problème en soi (donc à éliminer si possible), 
  • classement de 2011-2012  aboutissant à l'obligation de traiter plus de 20 000 ouvrages en 5 ans seulement, très loin de l'esprit initial des "grands axes migrateurs" puisque les têtes de bassin versant se retrouvent massivement classées en liste 2 malgré l'absence de grands migrateurs et aucune pression d'extinction connue sur les truites communes,
  • circulaire d'application du classement de 2013 indiquant que  "la mesure préférable à prendre, quand elle est techniquement possible, est la suppression de l’obstacle par réalisation de brèches, ouverture, arasement, dérasement complet de l’ouvrage lui-même",
  • les 9e puis 10e programmes d'intervention des agences de l'eau (définis par des fonctionnaires répondant de la tutelle du ministère de l'écologie) donnent la prime financière à l'effacement d'ouvrages hydrauliques, certaines agences (comme Seine-Normandie) allant même jusqu'à refuser toute aide publique à une autre solution si l'ouvrage n'est pas "structurant" (soit en fait un ouvrage public dans la majeure partie des cas),
  • multiplication des complexités administratives et des coûts économiques pour entraver au maximum la relance hydro-électrique des ouvrages (décret de juillet 2014 créant le "porté à connaissance" des fondés en titre au préfet, arrêté de septembre 2015 imposant des contraintes hors-sol au pétitionnaire), cela afin de converger vers la disparition du site comme solution la plus "sage" pour le propriétaire privé ou communal.
Le contraste avec les échanges parlementaires de  2006 est saisissant : l'administration de l'eau et de la biodiversité a totalement ignoré le texte et l'esprit de la loi en donnant la prime à la démolition plutôt qu'à la gestion, en alourdissant au maximum les contraintes du gestionnaire et en décourageant partout l'hydro-électricité.

Il importe de bien comprendre que tous ces actes réglementaires ou programmatiques ultérieurs à la loi de 2006 relèvent du choix idéologique d'une administration non élue: c'est une dérive antidémocratique permise par le pouvoir exorbitant dont jouissent le gouvernement et l'administration centrale d'Etat en France, au point de réécrire à leur convenance le sens des lois, comme on l'observe très précisément ici dans le cas (non isolé) de la continuité.

Face à cette idéologie de la destruction sortie du chapeau des fonctionnaires de l'eau, la réponse des propriétaires et riverains a été (logiquement) la multiplication des conflits et contentieux. Un grand nombre d'associations et de collectifs ont d'ailleurs émergé dans cette phase 2009-2013 (c'est le cas pour Hydrauxois), de sorte qu'un effet paradoxal des dérives administratives a été un regain d'intérêt pour les ouvrages en rivière dont la disparition était espérée par certains.

Outre des audits administratifs du CGEDD en 2012 et en 2017 ayant critiqué la mise en oeuvre de la loi de 2006 par les gouvernements successifs, les parlementaires ont déjà été obligés de recadrer l'action du ministère de l'écologie dans des lois en 2015 (loi rappelant le soutien d'étiage, l'usage de la ressource et la protection du patrimoine comme entrant dans la gestion durable de l'eau, créant un délai supplémentaire de 5 ans) et en 2017 (loi exemptant les ouvrages producteurs, protégeant le patrimoine). En décembre 2015, face à des interpellations permanentes de députés et sénateurs indignés par la destruction d'ouvrages dans leurs circonscriptions, Ségolène Royal écrit aux préfets de France pour leur demander de suspendre tout effacement contesté.

L'administration française doit changer sa doctrine des ouvrages hydrauliques et cesser ses abus de pouvoir
En 2018, la gouvernement a adopté un plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique qui reste tout à fait insatisfaisant, puisque l'administration centrale d'Etat prétend y avaliser son idéologie de renaturation des rivières, se contentant en réalité de prioriser les moyens de l'Etat et des agences de l'eau sur des ouvrages à la priorité arbitrairement définie par elle. Ces manières ne sont pas acceptables tant elles sont loin des analyses de blocage faites depuis 2009, et elles ne sont logiquement pas acceptées par les associations mobilisées sur le sujet. Nicolas Hulot puis François de Rugy avaient espéré "blanchir" leur administration au bénéfice de l'alternance de 2017 et couvrir les critiques de fond des parlementaires comme celles des audits administratifs: ce sera encore un échec, Elisabeth Borne héritant d'un dossier qui n'est pas apaisé du tout.

La continuité écologique ne sera apaisée que dans le respect de la loi de 2006, et de l'ensemble des dispositions sur l'eau :
  • les ouvrages hydrauliques légalement installés sont légitimes et l'incitation à leur destruction relève de l'abus de pouvoir (sauf exceptions prévues par la loi); 
  • la continuité écologique doit d'abord se concentrer sur des axes à grands migrateurs, sans prétendre reprofiler des dizaines de milliers de kilomètres de rivières ; 
  • les ouvrages concourent de diverses manières à la gestion équilibrée et durable de l'eau (valorisation de la ressource, soutien d'étiage, recharge de nappe, atténuation de crue, patrimoine culturel, agrément paysager, énergie bas carbone, création de zones humides, épuration de certains intrants); 
  • leur impact sur certains poissons spécialisés ou sur le transit local de sédiments doit être corrigé de manière proportionnée à l'enjeu, à condition que cet enjeu soit déjà objectivé et qu'il réponde à un intérêt général (non pas simplement varier des densités locales d'espèces, mais protéger des espèces clairement menacées sans mettre d'autres en danger); 
  • la politique publique doit élargir sa réflexion au-delà des enjeux purement halieutiques des siècles passés et prendre en compte la biodiversité réelle des sites (peu importe leur origine naturelle ou artificielle), sans se limiter aux poissons et sans verser dans une idéologie de la renaturation dont les attendus sont douteux, les coûts élevés et les résultats incertains. 
Députés et sénateurs auront très probablement à légiférer de nouveau sur l'eau dans les années à venir. Le mouvement des ouvrages hydrauliques - que ce soit des barrages, des moulins, des étangs, des plans d'eau, des retenues et canaux d'irrigation, des éléments du patrimoine rural - doit non seulement les informer des enjeux des rivières, mais aussi penser l'avenir des ouvrages à la lumière de la protection des biens communs que sont l'eau, le climat, le vivant, le paysage et le patrimoine. Une réflexion des parlementaires sur la responsabilisation et la représentation des ouvrages de particuliers (majoritaires) ainsi que sur leur intégration dans les délibérations sur la vie des rivières serait bénéfique.

Illustration : peu après le classement des rivières, destruction de la chaussée du moulin de La Motte sur l'Ellé (2013), par l'action coordonnée du lobby des pêcheurs de salmonidés et de leurs comparses au sein de l'ancien conseil supérieur de la pêche (l'Onema, devenu AFB puis OFB), avec la tolérance de la DDT-M et l'argent public de l'agence de l'eau Loire-Bretagne, cela au nom de mesures de destruction jamais envisagées dans la loi de 2006. Ces images désolantes se sont multipliées et ont nourri la colère face aux abus de pouvoir de lobbies à agrément public (comme les fédérations de pêcheurs) et d'administrations, avec le constat d'une violence institutionnelle et d'une dépossession brutale de la capacité des riverains à décider de leur cadre de vie. Aucune continuité ne sera "apaisée" sans dénonciation explicite de telles pratiques, sans reconnaissance de la légitimité de principe de tous les ouvrages autorisés et sans association étroite des riverains aux choix sur les rivières.

A lire également
Genèse de la continuité des rivières en France (1) : la loi de 1865
Genèse de la continuité des rivières en France (2) : la loi de 1984

03/08/2019

Une pêche aux aloses au pied du moulin, en 1835

Les moulins du début du XIXe siècle n'empêchaient pas l'alose feinte du bassin rhodannien de suivre son cycle de vie entre la mer et les fleuves. Le peintre Garneray a immortalisé une belle scène de pêche au pied d'un moulin de l'Hérault, en 1835. A l'époque, l'alose feinte remontait jusqu'en Bourgogne.

(Cliquer pour agrandir)

Ambroise Louis Garneray (1783-1857) fut corsaire, peintre, dessinateur, graveur et écrivain. On lui doit des peintures de marine, mais aussi toute une série de "pêche" dont cette pêche aux aloses, huile sur toile de 1835. Un catalogue d'époque dit que cette vue est "prise en amont de la ville d'Agde sur la rive gauche de l'Hérault". Il pourrait s'agit du moulin des évêques, bâti en 1175 et ayant connu de multiples ré-aménagements jusqu'à nos jours (voir Nepipvoda 2018). La toile montre une dizaine de pêcheurs qui ont étendu filets et nasses à l'exutoire d'un moulin à deux roues. D'autres s'affairent sur la chaussée empierrée à blocs grossiers du moulin. L'espèce concernée serait l'alose feinte du Rhône (Alosa Fallax rhodanensis), une sous-espèce d’Alosa fallax. Endémique au bassin méditerranéen, elle vit en mer et remonte dans les cours d’eau pour se reproduire. Elle parcourait à l'origine l'axe rhodanien jusqu'au lac du Bourget et au bassin Saône-Doubs (voir Lebel et al 2001), où elle est encore documentée en première partie de XXe siècle. Les grands barrages du Rhône ont par la suite limité sa répartition aux portions aval des fleuves côtiers.

Merci à Christian Lévêque qui nous a signalé lors des rencontres estivales de l'association cette belle oeuvre, que l'on peut voir reproduite avec d'autres dans son livre sur la mémoire des fleuves et des rivières.

01/08/2019

L'écologie aquatique face aux nouveaux écosystèmes de l'Anthropocène (Mooij et al 2019)

Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs ayant développé un modèle du lac Victoria revient dans une publication récente sur la nécessité d'acter la réalité des nouveaux écosystèmes aquatiques créés par l'humain au fil de l'histoire, mais aussi de prendre en compte les effets de l'Anthropocène sur les dynamiques accélérées du vivant. C'est une tendance de fond en écologie scientifique, s'opposant à certaines visions du 20e siècle qui voyaient la nature comme une référence stable dans le temps et un phénomène susceptible de revenir facilement à son état antérieur après perturbation.  Cette idée est dépassée mais elle irrigue encore des textes de programmation publique, comme la directive cadre européenne sur l'eau. Nous avons besoin d'une révision des concepts et des pratiques en écologie de l'eau.

Les modèles mathématiques sont désormais des outils essentiels pour construire nos connaissances sur les relations complexes de causalité entre activités humaines et impacts environnementaux, afin de les traduire en hypothèses et scénarios de développement durable. Les modèles climatiques en sont un exemple connu. On voit aussi émerger des modèles hydro-écologiques. Wolf M Mooij et ses collègues ont développé à partir de l'étude du lac Victoria le modèle PCLake, d'abord pertinent pour des lacs peu profonds, puis généralisé aux lacs profonds, et en cours d'extension sur des zones humides.

Les auteurs exposent "trois défis majeurs" pour améliorer l'applicabilité de tels modèles d'écosystème aquatique (des modèles écologiques en général) au développement durable en période de changement environnemental mondial :
"Le premier défi découle de la notion selon laquelle si le changement de société entraîne un changement environnemental, il conduira finalement à des réponses adaptatives chez les organismes et les espèces par le biais d'une dynamique éco-évolutive. Deuxièmement, étant donné que chaque espèce résout le 'puzzle adaptatif' d’une manière unique ou peut s’éteindre, cela entraînera de nouvelles interactions entre espèces et une nouvelle dynamique écosystémique. Troisièmement, non seulement les écosystèmes mais aussi les sociétés montrent des réponses non linéaires et parfois hystérétiques au stress, conduisant à une dynamique socio-écologique compliquée. Ces défis sont logiquement organisés selon un axe de complexité qui va des individus aux sociétés entières."
Ce schéma montre que les espèces répondent à des changement selon deux régimes, l'un comportemental (au cours de la vie de l'individu et de la population locale), l'autre évolutif (par micro-évolution faisant bifurquer la trajectoire de l'espèce).


Les auteurs remarquent : "Les systèmes biologiques ont deux mécanismes fondamentalement différents pour s'adapter aux conditions environnementales changeantes: par l'adaptation écologique ou évolutive. Au sein du domaine écologique, les organismes peuvent réagir à des conditions locales changeantes, par le biais de leur comportement et de leur plasticité phénotypique, à des échelles de temps différentes, ou en évitant ces conditions changeantes par le mouvement ou la migration. Les communautés d'espèces peuvent réagir aux conditions locales changeantes en procédant au tri des espèces ou en évitant ces conditions en modifiant leur aire de répartition. Aucune de ces réponses ne nécessite d'évoluer en modifiant la constitution génétique d'organismes ou d'espèces, mais la plupart de ces réponses créent de nouveaux régimes de sélection et peuvent donc conduire à une microévolution. Cette microévolution peut alors à son tour invoquer de nouvelles réponses écologiques conduisant à une dynamique éco-évolutive."

Autre enjeu de l'Anthropocène : les interactions rapidement changeantes entre espèces.


Les chercheurs commentent : "Les interactions entre les espèces dans les réseaux trophiques ont évolué dans des conditions relativement stables de l’Holocène, et se modifieront radicalement en raison des changements rapides de l’environnement mondial dans l’Anthropocène. Par exemple, les espèces envahissent (1), remplacent potentiellement d’autres espèces (2), disparaissent (3), ont des réponses phénotypiques différentielles menant à une inadéquation trophique (4), ou s’adaptent en exploitant une nouvelle ressource (5), toutes conduisant à nouvelle dynamique des écosystèmes."

Un point soulevé par les scientifiques retient notre attention : la dynamique des nouveaux écosystèmes et le changement de paradigme dans la recherche en écologie.

Wolf M Mooij et ses collègues soulignent ainsi : "Reconnaître l'émergence de nouveaux écosystèmes stimulera une nouvelle approche de la gestion et de la modélisation des écosystèmes. Jusqu'à récemment, la restauration écologique était la vision dominante selon laquelle nous devions essayer de préserver autant que possible la biodiversité et les zones naturelles de la Terre qui se sont développées pendant le climat relativement stable de l'Holocène et qui étaient toujours en place au début de la grande accélération. Dans ce paradigme, il semblait logique de centrer nos modèles d'écosystème et de paysage sur la nature telle qu'elle était jadis. Une compréhension complète des changements en cours dans l'Anthropocène a donné lieu à une vision radicalement différente de la restauration écologique et à l'émergence du concept de nouveaux écosystèmes. Les nouveaux écosystèmes font partie de l’environnement et de la niche humains, y compris les zones urbaines, suburbaines et rurales, mais se déploient également là où la plupart des espèces endémiques se sont éteintes, qu’elles soient ou non dues aux invasions d’exotiques. En l’absence d’analogues naturels, les modèles pourraient servir de réalité virtuelle pour estimer ce qui serait possible au sein de nouveaux écosystèmes."

Discussion
Les politiques européennes de l'eau, rassemblées dans la directive cadre européenne 2000, ont introduit voici 20 ans la notion d'un "état de référence" d'une rivière ou d'un lac : ce à quoi devrait ressembler la biologie, la physique, la chimie de la masse d'eau. Cette démarche s'inscrit dans la nécessité pour toute technocratie voulant poser une norme d'avoir une métrique de mesure de la normalité et de l'écart à la normalité. Mais on peut bien sûr se demander s'il existe la moindre "normalité" dans l'évolution du vivant et si le rôle d'une autorité bureaucratique est de statuer sur cette normalité.

Au-delà de sa dimension politique, cette idée de l'état de référence d'un milieu est surtout issue d'une recherche en écologie du 20e siècle qui a été largement dépassée au cours des 3 dernières décennies (lire par exemple Bouleau et ont 2014, 2015; Alexandre et al 2017; Lévêque 2017; Backstrom et al 2018 ; Evans et Davies 2018). Ainsi :
  • l'influence humaine sur le vivant est bien plus ancienne qu'on le croyait, elle est observable dès le néolithique et des milieux perçus comme "vierges", "sauvages", "naturels" ne le sont pas en réalité. Avec des changements globaux comme la modification du régime thermique et hydrologique (changement climatique) ou l'introduction continue de nouvelles espèces sur tous les continents (globalisation), il est manifeste que le cadre ancien de représentation est inadapté à nos réflexions;
  • le vivant est aussi plus dynamique qu'on ne le pensait, il ne tend pas spontanément vers un état d'équilibre stable (le "climax" comme on l'appelait) mais il s'ajuste plutôt en permanence à des changements locaux ou globaux (la vie n'est pas "à l'équilibre" au sens où les milieux que nous voyons sous nos yeux, et qui paraissent parfois stables, répondent en réalité à divers changements déjà impulsés, dont la période d'action va du jour au siècle voire au millénaire);
  • la dynamique du vivant est non-linéaire et non-réversible, l'imaginaire physique du pendule qui revient à son état initial lorsqu'on cesse une action (imaginaire irriguant le modèle "pression-impact-réponse") n'est pas adapté à la réalité biologique et écologique (à la fois parce qu'il y a un très grand nombre de paramètres en interaction dans un écosystème, faisant émerger des réponses chaotiques, et parce que les propriétés biologiques sont capables de mutations, comme si le pendule ne se contentait pas de répondre à une poussée mais changeait sa forme et sa masse selon les poussées).
Les limites de "l'état de référence" et de la "restauration" d'écosystèmes dans un état antérieur sont probablement celles qui s'opposeront aussi en partie à l'objectif de Wolf M Mooij et de ses collègues d'obtenir des modélisations vraiment opérationnelles. On peut certes mieux décrire la complexité, mais de là à la dompter dans un modèle pour affirmer au décideur qu'un état futur d'un écosystème est prédictible, il y a un pas qui éveille notre scepticisme. Nous sommes plus vraisemblablement condamnés à prendre des décisions en situation structurelle d'incertitude sur leurs conséquences dès qu'on s'éloigne un peu dans le temps. Ce qui devrait nous pousser à débattre du régime de ces décisions en écologie, et à y ré-affirmer le rôle premier de la société.

Référence : Mooij WM et al (2019), Modeling water quality in the Anthropocene: directions for the next-generation aquatic ecosystem models, Current Opinion in Environmental Sustainability, 36, 85–95

29/07/2019

Députés et sénateurs engagent la France à développer la petite hydro-électricité

Malgré l'opposition du gouvernement, le sénat et l'assemblée nationale ont appelé la politique énergétique et climatique de la France à "encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité". Ce choix des élus est une avancée pour la transition bas carbone, avec des dizaines de milliers de sites déjà en place qui sont susceptibles d'être relancés, pourvu qu'ils rencontrent désormais le soutien et non le frein de l'administration en charge de l'eau. Le parlement acte par ce texte les avis exprimés par la commission nationale du débat public lors de la discussion de la programmation énergétique avec les citoyens en 2018, la décision récente de 2019 du conseil d'Etat soulignant que la petite hydro-électricité est d'intérêt général aussi bien les directives de l'Union européenne appelant à développer cette hydro-électricité, y compris des puissances modestes en autoconsommation. Ce choix peut être lu comme un désaveu manifeste (venant après plusieurs autres) de l'idéologie de la destruction des ouvrages hydrauliques au nom de la continuité en long, alors que de nombreuses solutions permettent de faire circuler des poissons migrateurs sans altérer le patrimoine hydraulique français. La politique de l'eau ne peut plus se permettre d'opposer stérilement l'énergie, la biodiversité, la patrimoine, mais doit les concilier.  


La "petite loi" énergie et climat avait pour but de traduire dans le droit la programmation pluri-annuelle de l'énergie de la France, et ses objectifs visant à la neutralité carbone en 2050. Le respect des accords de Paris demande une baisse des émissions carbone de la France dès 2020, cela de manière soutenue et continue pendant 30 ans. Toutes les ressources en énergie du territoire vont devoir être mobilisées pour relever collectivement ce défi.

Dans l'ultime session d'examen et discussion par la commission mixte paritaire de l'assemblée nationale et du sénat, dont les travaux se sont achevés la semaine dernière, un texte de consensus a été adopté par les deux chambres.

Au terme de ce texte, l'article L 100-4 du code de l’énergie sera modifié de la sorte :
"Pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique nationale a pour objectifs (...) 4° D’encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité".

La loi sera définitivement votée à la rentrée de septembre, en conformité obligatoire au texte venant d'être adopté en commission mixte paritaire.

C'est un progrès important, puisque l'ensemble des arrêtés de programmations politico-administratives relatives à l'eau et à l'énergie (SDAGE, SAGE, SRADDET, PCET, etc..) devra désormais prendre en compte cette orientation.

Nous remercions vivement les nombreux parlementaires qui ont réclamé et soutenu cette évolution. Nous déplorons que François de Rugy (devant l'Assemblée nationale) et Emmanuelle Wargon (devant le Sénat) aient pris des positions négatives sur cette nécessité de soutenir l'énergie hydraulique, et en particulier la petite hydro-électricité. Il est dommage que le pouvoir exécutif, à nouveau mal conseillé par sa haute administration de l'eau, persiste dans des schémas qui ne sont plus pertinents face à l'évolution des enjeux écologiques et énergétiques.

Ce choix de soutenir l'hydro-électricité est un choix de bon sens :
  • il existe 25 000 sites que l'on peut relancer en France
  • l'hydraulique a le meilleur bilan carbone quand elle se produit à partir de sites déjà en place (avec un minimum de génie civil), 
  • la relance des sites existants (chaussées de moulins et forges, petits barrages, digues, écluses...) ne crée pas de nouveaux impacts sur la rivière, sa morphologie, ses habitats en place, 
  • l'énergie hydraulique jouit d'une bonne insertion paysagère et d'un soutien social, en particulier dans les communes rurales où les moulins sont nombreux.
Le vote de la commission mixte paritaire est un désaveu supplémentaire de l'idéologie de la destruction des ouvrages hydrauliques, qui se trouve régulièrement contestée, amendée ou contredite par les parlementaires depuis 5 ans, et cela de manière transpartisane à chaque fois. C'est également un désaveu des arbitrages défavorables de l'administration lors des relances de moulins, forges ou autres sites anciens, qui ont été condamnés par le conseil d'Etat en 2019 dans l'arrêt moulin du Boeuf, mais qui sont aussi condamnés à terme par la directive européenne sur l'énergie de décembre 2018, appelant tous les Etats-membres à accélérer et simplifier l'hydro-électricité, y compris en autoconsommation (donc en petites puissances).

Notre pays ne veut pas voir disparaître ses ouvrages hydrauliques, mais les ré-engager dans une trajectoire énergétique et écologique : ce message doit être entendu.

La prime actuelle à la destruction des ouvrages hydrauliques susceptibles de produire de l'énergie est désormais anachronique : la direction de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'écologie, les services instructeurs de l'Etat, les agences de l'eau, les syndicats et parcs en charge de la GEMAPI ont vocation à intégrer rapidement cette approche et à cesser d'accorder des avantages ou des priorités à des solutions visant à démolir les chaussées et barrages. Cette orientation conflictuelle était non seulement contraire au déploiement rapide de la production bas-carbone sur toutes les rivières françaises, mais elle était aussi contestée pour ses nombreux impacts négatifs sur le patrimoine, le paysage, l'agrément, la disponibilité de l'eau, la régulation des crues et étiages, la préservation des milieux aquatiques et humides installés autour des sites anciens.

Les associations et syndicats devront s'assurer après l'adoption définitive de la loi à la rentrée que ces nouvelles directions énergétiques nationales sont suivies d'effet dans la politique de l'eau, en signalant à leurs préfets comme à leurs parlementaires les éventuels freins à la relance de la petite hydro-électricité.

Illustration : le moulin de Lugy, Hauts-de-France, DR

26/07/2019

La négation des réalités écologiques de terrain continue et s'aggrave dans le suivi des chantiers d'effacement d'ouvrages

Les experts publics (Irstea, OFB, agences de l'eau) viennent de proposer un guide de suivi des chantiers de restauration hydromorphologique. Ce guide est d'abord un aveu: depuis 10 ans, les agences de l'eau dépensent plusieurs centaines de millions € chaque année sur ce compartiment de la morphologie des rivières sans pouvoir apporter la moindre garantie scientifique de résultat, et cela alors que les retours critiques sur ces résultats très inégaux ont déjà 15 ans dans la recherche internationale. Les apprentis-sorciers ont trompé les décideurs et les citoyens en prétendant aux vertus garanties de leurs chantiers. Ce guide est ensuite biaisé en ce qui concerne le suivi avant-après des destructions d'ouvrages hydrauliques (continuité en long): les auteurs préconisent de nier purement et simplement la biodiversité et les fonctionnalités de tous les espaces aquatiques et humides qui sont dérivés de l'ouvrage (biefs et annexes). C'est donc kafkaïen : on propose une mesure qui, par elle-même, ne pourra qu'aboutir à un soi-disant résultat "positif", cela sans aucune certitude qu'il n'y a pas eu en fait une perte nette de milieux et d'espèces d'intérêt. C'est moins de la science qu'une idéologie de certification des choix publics.  En tout cas, on est toujours très loin de la continuité "apaisée". Mais les citoyens s'informent désormais et ils ne se laisseront pas duper par de telles méthodes, construites par une expertise fermée aux publics concernés. 


Des experts des agences de l'eau, de l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) et de l'AFB (désormais OFB pour Office français de la biodiversité) viennent de publier un "Guide pour l'élaboration de suivis d'opérations de restauration hydromorphologique en cours d'eau".

Les chantiers concernés par le guide sont de sept types : reméandrage ; suppression d’ouvrage en travers ; contournement de plan d’eau (hors dispositif de franchissement piscicole type passe à poissons, rustique ou non) ; remise dans le talweg ; reconstitution du matelas alluvial ; suppression des contraintes latérales ; modification de la géométrie du lit (changemments locaux de faciès et profils) sans modification de l’emprise foncière.

Les auteurs observent en introduction que la littérature scientifique donne des conclusions ambivalentes :

"la littérature scientifique, notamment par le biais d’études de cas ou de méta-analyses, se penche sur la question des trajectoires suivies, d’une part par l’hydromorphologie, d’autre part par les communautés biologiques, suite à une opération de restauration. Ces travaux révèlent une grande variabilité dans ces trajectoires. Ainsi, les travaux menés dans le cadre du programme Reform, de Kail et al. montrent que la restauration a en moyenne des effets positifs sur les communautés biologiques, mais que les réponses sont très variables d’un site à l’autre. Les travaux menés par Roni et al. indiquent quant à eux qu’il est difficile de conclure sur l’efficacité des techniques, malgré les 345 études analysées." 

Deux remarques à ce sujets :
  • les auteurs sont encore loin de recenser tous les retours d'expérience en hydromorphologie, dont beaucoup sont fort critiques sur l'absence de résultats et l'absence de sérieux dans le suivi, malgré l'importance des sommes investies (voir quelques exemples ici),
  • les auteurs admettent que le suivi scientifique est défaillant en France... alors même que de nombreux chantiers sont engagés depuis 10 ans (10 à 20% des dépenses des agences de l'eau, soit des centaines de millions € par an) et que l'on prétendait au décideur public que l'Onema réalisait déjà des suivis attestant la qualité des choix opérés (comme nous l'avions montré, ces suivis étaient tout à fait défaillants car dénués de rigueur, cf références en bas d'article).
Précisons les choses : nous n'affirmons nullement que toutes les issues des chantiers sont négatives ou sans intérêt, simplement qu'il n'y a pour le moment pas de garantie. Or, on parle là de dépense d'argent public et, dans certains cas, de contraintes lourdes pour les riverains avec des options écologiques ayant des désavantages sur d'autres dimensions de la rivière et de ses usages.

Les résultats des "restaurations" mettront en fait des années voire des décennies à s'établir, certains seront bons mais d'autres médiocres, certains auront même des effets négatifs (comme favoriser des invasives, des assecs etc.). Nous demandons donc que soit reconnu le caractère encore très expérimental de tels chantiers, et qu'ils soient limités à des tronçons pour analyse avant-après au lieu que d'être généralisés comme des outils soi-disant routiniers et maîtrisés de la gestion de rivière. Ce qu'ils ne sont pas. L'argent public manque pour soutenir l'objectif n°1 de dépollution chimique des eaux et des rives (imposé par la directive cadre européenne de l'eau à peine d'amende), mais aussi pour financer une politique sérieuse de réserves de vie sauvage susceptibles d'héberger la biodiversité en crise (la cour des comptes européennes a critiqué la gestion des Natura 2000 et des outils de la directive HFF par la France). L'administration de l'eau ne peut pas continuer à dépenser ainsi sans discernement et sans méthode.

Effacements d'ouvrages : le déni organisé des milieux en place !
Par ailleurs et plus gravement, dans le suivi des effacements d'ouvrage en travers au nom de la continuité en long, les auteurs persistent à proposer de mauvaises méthodes. Ils considèrent en effet qu'il suffit d'échantillonner en amont et en aval de la retenue effacée, tout en veillant particulièrement à la "recolonisation des espèces rhéophiles au détriment des limnophiles" :


Figure extraite du guide citée en référence.

Or :

  • c'est une tautologie de dire que recréer un habitat lotique sera favorable aux espèces lotiques (mais défavorable aux espèces lentiques), la collectivité paie pour la sauvegarde de la biodiversité, pas pour des changements de détail de peuplements locaux (le score à mettre en avant pour valider ou non la dépense serait celui de la diversité bêta des stations, pas de la spécialisation lotique),
  • cette méthode de mesure ignore l'un des intérêts des ouvrages, en particulier de moulins, à savoir la création d'habitats dérivés (biefs et annexes).

Ce schéma expose le problème :



Nous sommes donc obligés de constater que l'écologie de la restauration en France persiste dans le déni de valeur des écosystèmes artificiels, selon une idéologie que nous avons déjà dénoncée et qui conduit selon nous à de mauvais choix dans le cas de la continuité en long. Les experts publics produisent des métriques qui servent d'abord à valider des choix publics, mais pas à établir une connaissance complète et objective des milieux en place qui sont perturbés par des chantiers.

Nous ne parviendrons pas à une continuité "apaisée" et à des échanges sereins entre parties prenantes sans sincérité intellectuelle. Elle fait défaut dans cette démarche pour ce qui concerne les destructions d'ouvrages et de leurs milieux associés.

Référence : Rolan-Meynard M. et al (2019), Guide pour l’élaboration de suivis d’opérations de restauration hydromorphologique en cours d’eau, Agence française pour la biodiversité, Collection Guides et protocoles, 190 pages

A lire en complément
Idée reçue #08 : "Les opérations de restauration écologique et morphologique de rivière ont toujours de très bons résultats"
Recueil d'expériences de l'Onema: un bon aperçu du manque de rigueur en effacement des ouvrages hydrauliques 
Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau 

Exemples d'habitats de moulin négligés par la méthode OFB-Irstea-Agences de l'eau (milieux risquant la mise à sec si l'ouvrage est arasé ou dérasé)