02/05/2020

Moulins et étangs anciens co-existent sans problème avec le vivant dans les rivières réservoirs biologiques

L'administration française classe certaines rivières en "réservoirs biologiques" présentant un grand intérêt pour la faune aquatique alors que ces rivières possèdent des moulins, étangs et autres plans d'eau depuis fort longtemps. Dans le même temps, l'administration prétend que de tels ouvrages hydrauliques seraient incompatibles avec le vivant, au mépris de l'évidence d'une co-existence séculaire sans problème, et même dans certains cas de la création de milieux du plus haut intérêt écologique. Si les ouvrages avaient les effets délétères qu'on leur prête, aucun réservoir biologique n'existerait sur les rivières qui les hébergent. Dans le monde d'après le covid-19, ces contradictions et absurdités doivent cesser, surtout quand elles signifient des gabegies de destruction d'ouvrages anciens, au prix d'un argent public rare devant désormais être dédié aux questions essentielles. 


Un bief de moulin du Morvan (rivière Romanée), écosystème créé par l'homme mais favorable au vivant aquatique.

Un point que nous entendons au bord des rivières jalonnées d'ouvrages anciens de moulins ou d'étangs: l'incompréhension des propriétaires et des riverains face à une soi-disant mise en danger de la vie aquatique alors que l'ouvrage est présent de très longue date et que la vie est elle aussi toujours présente en amont, en aval et dans le bief ou la retenue. Et en effet : si vous mettez un poison dans un cours d'eau, la disparition de la vie est immédiate et visible. Si les ouvrages hydrauliques sont assimilés à des poisons, au bout de quelques années, décennies, siècles, l'effet devrait être le même. Or il n'en est rien. Non seulement il n'en est rien, mais la présence d'ouvrages n'est nullement incompatible avec une riche vie biologique, comme nous allons le voir.

Les réservoirs biologiques attestent de rivières jugées en bon état écologique
Les services de l'Etat définissent ainsi la notion de "réservoir biologique" pour une rivières :
Les réservoirs biologiques, au sens de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 (LEMA, art. L214-17 du Code de l'Environnement), sont des cours d’eau ou parties de cours d’eau ou canaux qui comprennent une ou plusieurs zones de reproduction ou d’habitat des espèces aquatiques et permettent leur répartition dans un ou plusieurs cours d’eau du bassin versant. Ils sont nécessaires au maintien ou à l’atteinte du bon état écologique des cours d’eau d’un bassin versant. (source)

La circulaire DCE no 2008/25 du 6 février 2008 précise :
"Le réservoir biologique n’a ainsi de sens que si la libre circulation des espèces est (ou peut être) assurée en son sein et entre lui-même et les autres milieux aquatiques dont il permet de soutenir les éléments biologiques. Cette continuité doit être considérée à la fois sous l’angle longitudinal (relations amont-aval) et latéral (annexes fluviales, espace de liberté des cours d’eau). C’est pourquoi les réservoirs biologiques sont une des bases du classement des cours d’eau au titre du 1o de l’article L. 214-17-I et qu’ils peuvent également être mis en continuité avec d’autres secteurs du bassin grâce aux classements au titre du 2o.
L’article R. 214-108 indique les communautés biologiques à considérer pour la définition des réservoirs biologiques, à savoir le phytoplancton, les macrophytes et phytobenthos, la faune benthique invertébrée et l’ichtyofaune. Cette liste fait référence directe à l’annexe V de la DCE (éléments de qualité pour la définition du bon état écologique).
Elle exclut explicitement la prise en compte directe des mammifères, des amphibiens et des oiseaux dans l’identification des réservoirs biologiques (ce qui n’exclut pas les milieux abritant ces groupes lorsqu’ils contribuent au maintien des communautés biologiques de l’annexe V de la DCE)."

On notera que c'est la continuité longitudinale de dévalaison qui était mise en avant.

A la suite du vote de la loi de 2006, il a donc été demandé de repérer ces réservoirs biologiques et d'en faire un motif de classement d'une rivière en "liste 1" de la continuité écologique.

Partant de cette logique, une rivière en réservoir biologique est une rivière qui, en l'état de l'examen de sa faune aquatique, présente selon l'administration une bonne qualité écologique et un bon potentiel de conservation du vivant.

Si les moulins et les étangs, présents depuis plusieurs siècles, avaient un potentiel de destruction des milieux et des espèces que leur prêtent certains fonctionnaires et lobbies, il ne devrait exister aucune rivière en réservoir biologique présentant de tels ouvrages. Et, puisque le moulin et l'étang sont censés bloquer les sédiments, réchauffer l'eau, empêcher l'auto-épuration, entraver la circulation, détruire les habitats, toutes les rivières présentant de tels ouvrages devraient être fortement dégradées au fil du temps, et n'être à l'arrivée que des déserts biologiques.

Il n'en est rien.


Le lac de Saint-Agnan (rivière Cousin), écosystème créé par l'homme mais favorable au vivant aquatique.

Exemple d'un bassin du Morvan, pourvu de nombreux ouvrages depuis un millénaire
Voici un exemple familier à nos lecteurs : le bassin versant du Cousin est classé en réservoir biologique (comme de nombreuses autres tête de bassin), zones en couleur orange.

Le bassin du Cousin-Trinquelin, réservoir biologique.

Or ce bassin comporte plusieurs dizaines de moulins qui sont tous fondés en titre, d'aussi nombreux petits étangs datant de l'époque du flottage du bois ou de la pisciculture vivrière et un lac créé à la fin des années 1960 à fin de réserve d'eau potable et de production hydro-électrique.

Le bassin du Cousin est donc l'héritier d'un millénaire de présence humaine sur le lit mineur sous forme d'ouvrages de retenue et dérivation.

Dans de telles conditions, si les ouvrages signifiaient le déclin de la faune, il serait impossible d'avoir classé le bassin du Cousin en réservoir biologique. Ce ne fut pas le cas. A dire vrai, même certains sites d'étangs de ce bassin sont classés en ZNIEFF (exemple) ou autres zones spéciales de conservation, ce qui indique combien les ouvrages et leurs annexes hydrauliques présentent de l'intérêt pour diverses espèces.

On notera que pour l'espèce repère du Cousin, la moule perlière, un article scientifique récent a montré que les biefs de moulin forment des secteurs de sauvegarde et que dans certaines situations de sécheresse, il peut être préférable de conserver autant d'eau dans le bief que dans le tronçon de la rivière, afin de préserver des colonies de moules (Sousa et al 2019; voir aussi Matasova et al 2013 sur la présence observée de moules perlières dans les biefs de moulins à bonnes conditions hydrauliques). On notera aussi que ces moules perlières sont présentes malgré plus d'un millénaire d'existence des étangs et moulins, donc leur éventuelle raréfaction est à rapporter à d'autres causes tenant à des changements plus récents d'usage ou de condition (même remarque que pour les écrevisses du Morvan).


Etang du Griottier-Blanc en Morvan (ru des Paluds), écosystème créé par l'homme mais favorable au vivant aquatique. 

On peut consulter la carte en ligne des réservoirs biologiques (exemple de Seine-Normandie). Chacun verra que beaucoup de ces rivières ou tronçons de rivières sont des zones comportant des moulins et étangs. Nous conseillons aux associations de mettre ce point en valeur, car il contredit totalement le jargon administratif et halieutique ayant inventé un impact très grave, alors que l'on parle le plus souvent de la simple variation locale de densité de quelques espèces d'eau vives ou de salmonidés, sans rapport aucun avec une destruction du vivant, bien au contraire.

Divertir l'attention sur les ouvrages, c'est être aveugle aux causes de la crise écologique
Cette réalité ne fait que traduire ce que nous répétons depuis des années : les ouvrages anciens ne représentent pas des dégradations majeures des cours d'eau et aucune recherche scientifique n'a montré que les obstacles à l'écoulement provoquent au premier titre la dégradation de l'état écologique DCE des masses d'eau ou une perte de biodiversité. Au contraire, toutes les recherches scientifiques menées avec assez de données quantitatives et qualitatives montrent que les pollutions et les usages des sols en lit majeur sont les causes premières de dégradation de l'eau, des berges, des faunes et des flores (voir cette idée reçue, voir Villeneuve et al 2015, Corneil et al 2018). Par ailleurs, un nombre croissant de travaux s'attachent à souligner l'importance des écosystèmes aquatiques créés par l'humain comme abritant aussi de la diversité biologique, que ce soit les étangs et petits plans d'eau (Davies et al 2008Wezel et al 2014Bubíková et Hrivnák 2018Four et al 2019), les canaux de dérivation (Aspe et al 2015Guivier et al 2019), les biefs de moulin (Sousa et al 2019a), les canaux d'irrigation (Sousa et al 2019b), les lacs réservoirs (Beatty et al 2017).

La dégradation des écosystèmes aquatiques s'est fortement accélérée depuis les années 1940-1950, et cela pour des causes connues :
  • pression démographique
  • mécanisation agricole, érosion de sols, drainage de zones humides
  • artificialisation des lits majeurs et suppression des annexes des rivières
  • explosion des polluants de synthèse qui se retrouvent en exutoire dans les rivières (fertilisants, pesticides, médicaments, additifs industriels, vernis, ignifuges, plastiques, ruissellement des produits de combustion des voitures, etc.)
  • surexploitation de l'eau pour les activités humaines, déficit des lits et des nappes, en particulier lors du stress estival de l'étiage
  • altération de nombreuses berges et ripisylves, perte des fonctions de régulation hydroclimatique locale des arbres et végétations
  • réchauffement climatique modifiant les régimes thermiques et les assemblages biologiques.
Les ouvrages ne figurent pas dans les impacts majeurs. Leur seul effet négatif notable (pour le cas des ouvrages infranchissables à toutes conditions) a concerné la migration vers l'amont de certaines espèces de poissons, ce dont on trouve trace dès l'Ancien Régime où des manoeuvres de vannes suffisaient en général à réguler ce problème. Bien des ouvrages anciens ont été conçus en connaissant ce problème, et il a été montré qu'ils ne bloquent pas les migrations d'espèces ayant de réels besoins de mobilité (voir Ovidio 2007, Newton et al 2017). Mais cette question de montaison est de toute façon négligeable à échelle des problèmes écologiques de l'eau et des milieux aquatiques comme des enjeux de la biodiversité.

La crise que nous subissons va amener à réviser les politiques publiques pour les recentrer sur l'essentiel. Le choix d'arrimer fortement l'écologie des rivières à l'hydromorphologie et l'hydromorphologie à la question des ouvrages en lit mineur et à la continuité en long a été une erreur, car ce n'est pas le premier enjeu pour l'eau et le vivant. Cela a du sens de mener des programmes de continuité en long dans quelques rivières où des migrateurs protégés peuvent revenir rapidement, mais ce n'est pas une priorité. Même au sein du poste continuité, les annexes latérales d'un cours d'eau et la qualité de ses berges sont des enjeux plus importants en création de zones à haute diversité et services rendus. Le choix de détruire les ouvrages anciens est quant à lui une gabegie et une erreur grave à l'heure où nous devons garder le maximum de moyens de gérer l'eau localement en phase de changement climatique.

Dans le monde d'après covid-19, il faut associer les ouvrages hydrauliques à l'écologie au lieu de les opposer. Car contrairement à la destruction dogmatique des moulins et étangs, la bonne information des propriétaires et la bonne gestion de ces ouvrages est un enjeu pour aider à protéger des biens communs.

30/04/2020

Des tonnes de micro-polluants liés aux plastiques sont charriées par le Rhône (Schmidt et al 2020)

Une équipe de chercheurs d'Aix-Marseille a quantifié pour la première fois les additifs aux plastiques présents dans le fleuve Rhône, comme les phtalates ou les bisphenols. Ces substances sont des reprotoxiques ou des perturbateurs endocriniens qui affectent la santé des organismes aquatiques, même à petites doses et avec des effets cocktail. Entre 5 et 50 tonnes ont été comptabilisés sur une campagne d'une année. Les chercheurs observent que ces polluants sont peu ou pas comptabilisés dans la surveillance des fleuves et estuaires par la directive européenne sur l'eau. Nous déplorons de longue date cette carence, les gestionnaires de l'eau ayant parfois développé en France des idées fantaisistes sur une "auto-épuration" des rivières au lieu de s'attaquer à la source des pollutions, notamment à tous les micro-polluants émergents. 


Les polluants comme les esters organophosphorés, les phtalates  et les bisphénols sont présents partout dans notre environnement depuis des décennies, et particulièrement dans les rivières. Ils proviennent des détergents, des peintures et vernis, des textiles, des emballages alimentaires et, tout particulièrement, des plastiques. La directive cadre européenne n'impose que peu de quantification de leur présence dans les eaux de surface, alors que des travaux nombreux ont montré leurs effets sur le développement et la santé des organismes.

Natascha Schmidt et ses collègues (U. Aix-Marseille, IRD, CNRS) ont quantifié sur un an les pollutions charriées par le Rhône et finissant dans la Méditerranée. "Les rivières sont connues pour être des vecteurs de débris plastiques (Horton et al 2017; Schmidt et al 2017), des contaminants hérités tels que les biphényles polychlorés (PCB) (Herrero et al 2018) et des contaminants considérés comme préoccupants, comme les pthtalates (Paluselli et al 2018a). Sánchez-Avila et al (2012) ont conclu que les rivières (ainsi que les usines de traitement des eaux usées) sont la principale source de micropolluants organiques, y compris les BP et les PAE, sur la côte nord-ouest de la Méditerranée."

Voici le résumé de leur travail :

"Nous présentons ici une étude approfondie (échantillonnage régulier sur 1 an) sur la présence de grandes familles d'additifs plastiques organiques dans les eaux de surface du Rhône. Les sources potentielles et l'exportation de contaminants sont également discutées. Un total de 22 échantillons en phase dissoute ont été analysés pour 22 additifs organiques principalement utilisés dans l'industrie plastique, y compris les esters organophosphorés (OPE), les phtalates (PAE) et les bisphénols (BP). Nos résultats indiquent que les PAE étaient la classe la plus abondante, avec des concentrations allant de 97 à 541 ng/L, suivis des OPE (85-265 ng/L) et des BP (4-21 ng/L). Parmi les PAE, le phtalate de diéthylhexyle (DEHP) était le composé le plus abondant, tandis que le TCPP (phosphate de tris (1-chloro-2-propyle)) et le TnBP (phosphate de tri (n-butyle)) étaient les OPE prédominants. Le bisphénol S était le seul BP détecté. On estime que 5 à 54 tonnes métriques par an d'additifs plastiques organiques dissous préoccupants sont exportés vers le golfe du Lion par le Rhône, qui est la principale source d'eau douce de la mer Méditerranée."

Des tonnes de polluants sont donc charriées par nos rivières et nos fleuves, sans que ce sujet fasse l'objet d'un suivi précis des autorités en charge de l'environnement. Il est dommageable d'avoir des politiques publiques fondées sur de telles carences de connaissances, en particulier quand ces politiques publiques doivent préciser l'origine de la perte de qualité écologique des rivières, des lacs, des retenues et des estuaires, afin de faire les bons choix d'intervention et d'investissement.

Référence : Schmidt N et al (2020), Occurrence of organic plastic additives in surface waters of the Rhône River (France), Environmental Pollution, 257, 113637

26/04/2020

Barrages mal gérés de l'Yonne, niveaux en baisse, faune en danger

Le manque d'eau commence à se faire sentir dans le centre et l'est de la France. Sur la rivière Yonne en amont de Paris, la mauvaise gestion des vannes des barrages entraîne une chute des niveaux et des premières mortalités piscicoles. Riverains, pêcheurs et naturalistes s'alarment du résultat et des risques pour les milieux. Un avant-goût de ce que donne la conjonction de la sécheresse et du non-maintien des lames d'eau par les ouvrages —voire dans la pire hypothèse de la destruction irréversible de ces ouvrages, comme cela a eu lieu sur de trop nombreux sites. Conserver une capacité à gérer les niveaux d'eau pour la société et pour le vivant doit impérativement devenir un axe de nos politiques publiques. 


Une page Facebook "Alerte rivières et canaux" a été lancée par des riverains et usagers inquiets, car les niveaux de l'Yonne sont extrêmement bas dans la région icaunaise. France 3 Régions s'est fait l'écho du problème.

Nous incitons nos adhérents de l'Yonne à rejoindre le groupe et à documenter des problèmes similaires en Bourgogne.



Extraits :

"Le manque de pluie se fait cruellement sentir dans les rivières. C’est encore plus le cas dans celles où la main de l’homme est nécessaire pour maintenir un niveau d’eau suffisant. L’Yonne est à certains endroits presque à sec depuis plusieurs semaines. Une réelle menace pour la faune et la flore. Un crève-cœur pour les icaunais soucieux de l’environnement. D’autant que certains d’entre eux ont l’impression que les pouvoirs publics ne prennent pas la mesure du problème et n’agissent pas, ou trop peu.

Parmi eux il y a David Rosse. Le milieu des rivières il connait bien, il a travaillé 6 ans dans un magasin de fourniture de pêche à Monéteau. Pour lui « le niveau d’eau actuel est inquiétant voir dramatique sur 130 kilomètres de Clamecy à Sens ».

Une situation qu’il n’accepte pas et qu’il attribue à une mauvaise gestion des cours d’eau. «Juste avant le confinement les rivières étaient assez pleines. Voies Navigables de France avait ouvert les barrages pour éviter les inondations. Depuis le confinement ils ont laissé ouvert et n’interviennent plus. J’ai l’impression que partout où les voies servent aux transports de marchandises on se soucie du niveau de l’eau, et que là où il n’y en a pas on s’en fout» pense-t-il.

Il ajoute : « J’ai essayé d’appeler tout le monde. J’ai contacté VNF, la préfecture et même le ministère de l’environnement. Personne ne m’a répondu ! Alors je me suis dit, si on veut faire bouger les choses on va devoir monter une page facebook »

Et c’est ce qu’il a fait le 20 avril dernier. Sur la page on trouve des photos de la rivière prises par une trentaine de contributeurs. Elles montrent le faible niveau d’eau à différents endroits du département comme à Augy, Dornecy ou encore Coulanges sur Yonne.



En haut de la page un mot est inscrit en lettre rouge majuscule. Le mot « ALERTE » que Davide Rosse estime employer sans exagération. « Si la situation perdure tous les poissons vont mourir et de ce fait les oiseaux aussi. En plus nous sommes en période de reproduction. Il faudra donc ensuite beaucoup de temps pour que certains bras retrouvent un écosystème aquatique ».

Pêcheurs et agriculteurs également inquiets
Parmi les plus préoccupés de la situation on trouve les pêcheurs. « C’est une catastrophe ! Il ne faudrait pas que ça s’aggrave d’avantage. Il faut que VNF remonte les barrages et qu’ils fassent vite » nous indique Didier Barbier, président de l’Union des Pêcheurs auxerrois.

« Avec le beau temps l’eau s’évapore et les poissons meurent. On m’a déjà signalé des poissons morts à plusieurs endroits ». Un constat difficile à accepter pour ce responsable associatif déjà privé, du fait du confinement, de l’ouverture de la pêche au brochet prévue le 25 avril.

L’inquiétude grandit aussi dans le monde agricole. Cette baisse de niveau risque d’avoir des répercutions sur l’abreuvage du bétail et sur l’arrosage des champs.

Les actions de VNF ralenties par le confinement
« Si on avait su les conditions météorologiques de ces 5 dernières semaines on aurait agi en amont, mais il y a 5 semaines on ne savait pas » reconnait Thierry Feroux, directeur opérationnel à VNF Centre-Bourgogne. (...)

Depuis début avril les interventions ont repris mais demandent plus de temps qu’avant le Covid. Il ajoute. «Sur l’Yonne nous avons une quarantaine de barrages qui nécessitent beaucoup de personnes. En ce moment c’est compliqué de réunir une dizaine d’agents en respectant les gestes barrières. Notre rythme d’intervention est largement plus lent qu’auparavant. Nous sommes déjà intervenus en amont d’Auxerre mais cela prend du temps. D’autant que lorsque l’on ferme un barrage cela assèche le bief à l’aval. Il faut donc attendre qu’il se remplisse pour fermer le précédent. Et comme en ce moment le débit de l’eau est faible cela prend plus de temps».

22/04/2020

Pour une relance économique cohérente avec les enjeux climatiques et énergétiques

Le Haut Conseil pour le climat demande au gouvernement de prioriser la dépense publique afin que la relance économique soit orientée partout où c'est possible en direction de la transition bas-carbone et de l'atténuation du changement climatique. Une telle orientation exige de notre point de vue la révision immédiate de certaines politiques publiques des rivières, avec en particulier le soutien clair à l'énergie hydro-électrique, la préservation de tous le milieux aquatiques et humides, y compris d'origine humaine, qui sont appelés à atténuer les effets attendus du changement climatique (canicules, sécheresses, crues). Les associations devront exiger que ces principes s'appliquent dans les SAGE et les SDAGE, mais également protéger des sites menacés par des chantiers de destructions qui dilapident l'argent public et nuisent à la résilience des territoires au cours de ce siècle. 



Le Haut Conseil pour le climat est une instance scientifique et technique créée par le gouvernement afin d'orienter les choix de la France pour la transition bas-carbone. Le dernier rapport du Haut Conseil, publié à l'occasion de la crise du covid-19 et de ses suites économiques, énonce des "principes pour une transition" (p. 13):

"A l’inverse des mesures prises dans le sillage de la crise de 2008, une « relance » qui prend sérieusement en compte les facteurs profonds de la situation actuelle sera plus un renouveau qu’une reprise et orientera vers une rupture plutôt qu’un rebond. Elle évitera les effets de verrouillage carbone pour les prochaines décennies. Elle renforcera le signal de la transition vers une économie décarbonée compatible avec les réponses aux enjeux de la santé et de l’emploi, qui seront légitimement, au quotidien, les préoccupations premières. La transition bas-carbone doit être accélérée pour que la France parvienne enfin au rythme de ses engagements : « le rythme de cette transformation est actuellement insu ffisant, car les politiques de transition, d'efficacité et de sobriété énergétiques ne sont pas au cœur de l’action publique ». Les demandes de certains acteurs économiques d’alléger les contraintes liées au climat ne sont pas une réponse, ni de court ni de long terme, aux enjeux. 

Quelques principes simples peuvent aider à prioriser la dépense publique d’un plan d’urgence : 

  • elle doit contribuer directement à une transition bas-carbone juste – atténuation, adaptation, réduction des vulnérabilités et renforcement des capacités de résilience ;
  • si elle est principalement affectée à un autre objet de dépense (notamment santé ou biodiversité), elle a un co-bénéfice climat en faveur de l’atténuation ou de l’adaptation ;
  • elle ne doit pas nuire et ne pas être incompatible avec les objectifs de l’accord de Paris, en écartant notamment tout effet de verrouillage carbone.

Par ailleurs, le besoin d’évaluation continue, qui aide à la redevabilité, doit être rappelé. Les recommandations du rapport du HCC sur l’évaluation des politiques climatiques demeurent valables alors que les outils – comme le budget vert, déjà mentionné – se développent et se perfectionnent. En outre, un usage plus opérationnel des indicateurs de bien-être (nouveaux indicateurs de richesse, indicateurs des objectifs de développement durable) permettra de mieux éclairer cette transition."

Les associations de défense des patrimoines des rivières et plans d'eau doivent demander aux préfets, aux parlementaires, aux élus locaux et aux gestionnaires de l'eau que ces principes soient pris en compte dans toute la programmation publique.

Cela exige notamment :
Référence citée : Haut Conseil pour le climat (2020), Climat, Santé, mieux prévenir, mieux guérir. Accélérer la transition juste pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques, 24 p.

A lire également
Pour un bilan carbone de la loi sur l'eau
Les moulins au service de la transition énergétique
Eau, climat, vivant, paysage : s'engager pour les biens communs

19/04/2020

Les poissons ne vivent pas que dans les lits mineurs des rivières (Manfrin et al 2020)

Une équipe de chercheurs allemands montre que les annexes latérales de la rivière - embranchements, tresses, bras morts, plans d'eau provisoires ou permanents - hébergent une riche faune de poissons. Ils soulignent que les politiques écologiques centrées sur le seul lit mineur et sa représentation en chenal unique sont à réviser, en intégrant tout ce qui se passe dans les milieux latéraux de la rivière. On ne peut que suivre ce sage conseil, en particulier dans les dizaines de milliers de biefs, sous-biefs et annexes hydrauliques des moulins. Ces masses d'eau présentent parfois depuis des siècles forment souvent des nouveaux écosystèmes hérités de l'histoire, avec une certaine abondance en poissons et autres espèces de milieux aquatiques et humides. Aucun chantier modifiant ces écoulements latéraux ne doit se tenir sans faire au préalable l'inventaire de cette biodiversité et sans choisir les options qui la préservent. 



Dans chaque bassin versant, la rivière est plus ou moins associée à des masses d'eau latérales, qu'elle irrigue de manière temporaire lors des crues ou de manière permanente dans certains bras d'eau. Des chercheurs allemands ont souhaité analyser la richesse fonctionnelle et endémique des poissons présents dans ces masses d'eau latérales.

Cette image montre les différents types de milieux étudiés, qui ont un gradient de connectivité :


Extrait de Manfrin et al 2020 

On voit des plans d'eau isolé en haut (mares, étangs, trous d'eau, etc.), d'autres connectés de manière occasionnelle, d'autres connectés en permanence (bras d'eau, bras morts, canaux).

Voici le résumé de cette recherche :

"Dans les plaines alluviales, de nombreux programmes de conservation se concentrent sur le chenal principal de la rivière en tant que plus riche en espèces. Les masses d'eau latérales des lits majeurs, qui contribuent largement aux processus fonctionnels des systèmes fluviaux, restent souvent négligés et exposés à des pressions anthropiques. Bien que le rôle de la connectivité hydrologique entre les masses d'eau latérales et le cours d'eau principal sur la composition taxonomique des communautés de poissons soit bien compris, les effets sur la composition des communautés fonctionnelles sont beaucoup moins étudiés.

Des données sur l'abondance des communautés de poissons ont été recueillies sur 152 sites de pêche électrique dans le chenal principal et les plans d'eau latéraux de la plaine d'inondation de la rivière Lippe (Allemagne), sur une période de 18 ans. Ces données ont été utilisées pour comparer les aspects taxonomiques, fonctionnels, de conservation et de pêche récréative le long du gradient de connectivité latérale de la plaine inondable.

La richesse en espèces de poissons a diminué le long du continuum latéral, du chenal principal de la rivière aux plans d'eau isolés des lits majeurs. En revanche, l'abondance relative des espèces menacées d'extinction et également des espèces non endémiques a augmenté le long de ce gradient, soulignant l'importance écologique et conservatrice des masses d'eau du lit majeur. La composition des espèces dans les masses d'eau des plaines d'inondation différait à travers le gradient de connectivité, montrant des assemblages distincts qui n'étaient pas simplement des sous-ensembles du chenal principal. La variabilité du cycle biologique et des stratégies alimentaires parmi les classes de connectivité latérale a confirmé l'importance de chaque classe de connectivité pour contribuer à la diversité fonctionnelle globale de la plaine inondable.

Cette étude met en évidence la nécessité de préserver la biodiversité taxonomique et fonctionnelle des poissons dans la plaine d'inondation en un seul hydrosystème intégré. 

Les mesures de conservation et de restauration devraient donc s'étendre pour inclure toute la zone de la plaine inondable et le spectre complet des masses d'eau du lit majeur connectés différemment, en plus du chenal principal de la rivière."

Discussion
La rivière encaissée dans son lit, comme on la voit familièrement, est largement une construction humaine. Comme l'ont montré les travaux en archéologie et histoire de l'environnement (par exemple Lespez et al 2015 en France), cette représentation de la rivière comme un lit à chenal unique et méandriforme correspond à un style fluvial tardif, consolidé après le Moyen Age en Europe, sans rapport avec ce que serait une rivière sans usage humain des bassins versants. La suppression des forêts, l'élévation de berges au fil des levées et des usages agricoles du lit majeur (cultures en plaines drainés et terrasses du lit majeur), les endiguements de protection urbaine, l'encaissement du lit par érosion jusqu'à la roche-mère d'un flot accéléré dans son chenal contraint sont des héritages de l'histoire.

La rivière ne déborde plus, ou de moins en moins, elle ne dessine plus des bras secondaires ni des tresses, elle perd ses annexes en lit majeur. Il résulte de cette évolution historique une discontinuité latérale avec une baisse de la biodiversité aquatique et humide des milieux adjacents du lit mineur. Les travaux de chercheurs avaient déjà montré que ces ruptures de continuité latérale ont des effets délétères sur la biodiversité beaucoup plus marqués que les ruptures de continuité longitudinale (voir Moog et al 1995 ; Ward et al 1999). Ce point a hélas été étudié dans peu de bassins.

Concernant la question des ouvrages hydrauliques sur laquelle travaille notre association, il convient de noter que de nombreux moulins présentent des annexes latérales (biefs) qui sont des équivalent fonctionnels à des bras de rivière, avec généralement un canal d'amenée lentique et un canal de fuite lotique, parfois des écoulements annexes (déversoirs) et des zones humides attenantes. En voici un schéma de principe :


Les écoulements des moulins vus comme annexes latérales du lit mineur de la rivière.

Le fait que ces écoulements soient d'origine artificielle n'ôte rien à priori à leur intérêt. Des travaux sur les canaux de dérivation (Aspe et al 2015Guivier et al 2019), les biefs de moulin (Sousa et al 2019a), les canaux d'irrigation (Sousa et al 2019b) ont montré que ces milieux anthropiques peuvent non seulement héberger la biodiversité aquatique ordinaire, mais aussi parfois des espèces menacées d'extinction.Aussi tous les chantiers sur les ouvrages de ces moulins qui risquent de mettre à sec les écoulements latéraux doivent être très encadrés : mesure préalable de la biodiversité faune et flore des biefs, sous-biefs et annexes, choix des solutions qui préservent la continuité latérale et la mise en eau de ces écosystèmes hérités de l'histoire.

Référence : Manfrin M et al (2020), The effect of lateral connectedness on the taxonomic and functional structure of fish communities in a lowland river floodplain, Science of the Total Environment  719, 137169