31/08/2015

Pour quelques (petits) poissons rhéophiles de plus (Schmutz et al. 2015)

Stefan Schmutz et ses collègues (Université des sciences de la vie et des ressources naturelles, Vienne), en collaboration avec des confrères tchèques, allemands et suisses, ont analysé la réponse des populations de poissons à des opérations de restauration hydromorphologique. Ces travaux pouvaient concerner des reméandrements, des reconnexions, des élargissements de lit ou des petites modifications des écoulements (pas de suppression d'obstacles). Pour mener à bien cette analyse, 15 paires de rivières similaires, mais tantôt aménagées tantôt non aménagées, ont été comparées en Europe centrale et septentrionale. Les auteurs ont évalué le délai de réponse (entre 1 et 17 ans après la restauration), le niveau de qualité morphologique après travaux, la longueur du linéaire concerné. Sur les paramètres biologiques, ils ont mesuré la diversité de Shannon, la richesse spécifique, la richesse / densité de espèces rhéophiles (aimant le courant vif) et eurytopes (tolérantes à des conditions très différentes). Au sein des rhéophiles, ils ont distingué la taille des espèces concernées.


Principaux résultats (voir aussi image ci-dessus, cliquer pour agrandir) : 43 espèces ont été recensées (20 rhéophiles, 15 eurytopes, 8 limnophiles) auxquelles s'ajoutent 3 espèces exotiques. Onze paires de rivières sur quinze ont conservé le même type de communautés de poissons, une est passée de salmonidés à non-salmonidés, trois ont évolué en sens opposé.

La restauration morphologique a eu des effets significatifs pour 5 métriques (sur 13). La richesse spécifique ne s'est en moyenne améliorée que d'une espèce. La densité des seuls rhéophiles de petite taille (+ 24%) est significative après test du seuil de significativité (correction de Bonferroni). La diversité de Shannon-Wiener est sans changement notable, tout comme la densité totale. Sur la métrique ayant l'évolution la plus significative (densité du petits rhéophiles donc), aucune différence n'est trouvée selon l'importance du chantier de restauration. Un effet positif est trouvé pour des longueurs restaurées supérieures à 1,95 km (mais la variation est observée à partir de 3 sites sur 15 essentiellement). En terme de délai de réponse, les changements les plus importants sont notés avant 3 ans et après 12 ans et demi.

Les auteurs, après avoir rappelé la difficulté de cerner les effets exacts des restaurations écologiques de rivière, concluent notamment : "Notre étude démontre que le poisson répond de manière cohérente à des mesures de restauration hydromorphologique par une augmentation des rhéophiles et un déclin des eurytopes. Il semble y avoir une réponse non-linéaire à l'âge de la restauration, avec des effets positifs à court et long termes, mais moins prononcés à moyen terme. L'effet de la restauration augmente avec la qualité de l'habitat et la longueur du linéaire restauré. Cependant, la pratique et la technique actuelle de restauration ne permet pas une récupération complète des espèces perdues ou des densités de populations." Ils émettent ensuite diverses hypothèses à vérifier par un suivi scientifique plus rigoureux et plus large des restaurations de rivières.

Commentaires : quels coûts socio-économiques pour quels bénéfices environnementaux? 
Les résultats de S. Schmutz et al. sont assez représentatifs de ce que l'on trouve dans la littérature spécialisée en analyse de la restauration de rivière. Les assemblages de poissons sont modifiés, dans un sens généralement prévisible (on favorise des écoulements lotiques à habitats variés, on trouve davantage de rhéophiles inféodés à ce type d'habitats). Mais l'évolution est globalement modeste, même après un long délai.

Cela pose évidemment la question de la légitimité sociale des approches de la rivière. Un certains nombre d'experts, chercheurs, ingénieurs, techniciens et gestionnaires estiment tout à fait satisfaisants ce type de résultats. Il en va de même pour des usagers de tel syndicat de pêche ou des militants de telle association. Il reste que les opérations de restauration ont un coût important (nous en développerons un exemple prochainement) et que la conclusion souvent tirée de ce type de recherche ("aménageons de manière toujours plus ambitieuse des linéaires toujours plus longs") promet de faire exploser ces coûts. Or, quand on explique aux citoyens ce qui se cache derrière des termes savants et compliqués – et parfois volontairement compliqués pour étouffer le débat sous la parole dominante de quelques "sachants" –, le consensus est rarement au rendez-vous. Car on comprend que l'argent public ne sert pas à "sauver la rivière", comme certains sauveurs autoproclamés le revendiquent de manière fort excessive, mais d'abord à augmenter la densité locale de quelques espèces de poissons, dont beaucoup sinon toutes ne sont menacées ni sur la rivière, ni sur le bassin, ni sur leur aire de répartition européenne.

Qu'est-on prêt à sacrifier au juste pour de tels résultats? A budget limité (par définition), les autres dépenses de qualité de l'eau sont-elles prioritaires ou non par rapport à celles-là? Ces questions sont légitimes ; refuser ou éviter de les poser ne l'est pas.

Référence : Schmutz S et al (2015), Response of fish assemblages to hydromorphological restoration in central and northern European rivers, Hydrobiologia, e-pub, doi 10.1007/s10750-015-2354-6

Illustrations : extraites de l'article, tous droits réservés.

5 commentaires:

  1. Quelques petits poissons rhéophiles de plus, et des llimnophiles en moins c'est déjà pas si mal. C'est en tout cas encourageant pour tout ceux qui hésitent encore à restaurer ou à araser quelques retenues inutiles. Merci de produire ces infos

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    1. Comme le conclut l'article, l'appréciation de ces résultats est ouverte. Il n'est pas surprenant qu'elle soit variable : pourquoi tout le monde aurait-il la même vision de la rivière? Certains sont hypersensibles à la moindre dégradation du milieu, d'autres s'en contrefichent, la plupart se situent entre ces deux extrêmes. Tous paient des taxes sur l'eau qui financent pour l'essentiel la restauration.

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  2. Ces poissons rhéophiles ne sont-ils pas avant tout des indicateurs de bon fonctionnement? Il faut voir au delà de quelques poisson

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    1. "Indicateurs de bon fonctionnement" : il faudrait préciser cela. Les rhéophiles sont par définition les indicateurs des milieux qu'ils apprécient (zones à truites et à ombres chez Huet, le rhithral). Ce qui correspond à une certaine granulométrie de substrat, oxygénation de l'eau, pente et vitesse de courant, etc. Avoir davantage de rhéophiles signifie que l'on est davantage dans ces conditions. Schmutz et ail quantifient des effets de restauration, qui sont modestes. Après, la question posée dans le débat (pas dans le travail de Schmutz et al), c'est de savoir s'il est particulièrement grave d'avoir des habitats différents dans ces zones. Par exemple, certains ne supportent pas d'y voir une retenue derrière un seuil (qui a effectivement moins de rhéophiles sur son remous) même si à l'amont du remous et à l'aval de la chute il y des zones à écoulement non modifié. Si l'on raisonne en terme de fonctionnalités, le raisonnement ne devrait-il pas être : le tronçon dispose-t-il de zones propices au maintien de rhéophiles? Ce qui peut s'observer par des pêches de contrôle bien réparties. Alors que le raisonnement de certains est : par principe il faut supprimer toute divergence morphologique sur le linéaire. On peut se demander pourquoi au plan biologique (sans parler de la réalité socio-historique de la rivière, puisque celle-ci n'est pas un phénomène seulement naturel, depuis quelques millénaires déjà).

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  3. La DCE 2000 a créé ou renforcé des dispositions, avec trois principes à respecter dans le domaine de l’eau : la participation du public, la prise en compte des considérations socioéconomiques et l'obligation de résultats environnementaux (objectifs de “bon état” des milieux aquatiques à atteindre d’ici 2015, 2021 ou 2027). C'est forcément avec cet arrière-plan qu'il faut juger les interventions en rivière en Europe. La priorité, c'est le résultat pour l'environnement tel qu'on peut le mesurer et le rapporter (passer d'un état mauvais ou moyen à un état bon). Si l'on est déjà en bon état et qu'on a les moyens de viser le très bon état, tant mieux. S'il est démontré que la morphologie est condition de résultat, il faut agir sur ce compartiment. Mais dans les autres cas, c'est du luxe et l'argent qu'on dépense sur une mauvaise pression (= une pression non réellement dégradante de l'état) n'est pas investi plus utilement ailleurs. Cela se définit au cas par cas. Avec de la rigueur dans l'analyse de la rivière en son bassin et des sites en leurs fonctionnalités, rigueur qu'on ne retrouve pas toujours (on analyse des sites mais on ne rapporte pas le diagnostic à l'obligation DCE et à une probabilité de l'atteindre).

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