08/01/2021

La France échoue à assurer la qualité écologique et chimique de ses eaux

Les agences des grands bassins hydrographiques français s'apprêtent à adopter leur dernier programme d'action (SDAGE) avant la date-butoir de 2027 où la directive européenne sur l'eau de 2000 exigeait le bon état chimique et écologique de 100% des masses d'eau. Or, les états des lieux des bassins publiés au cours de l'année 2020 révèlent un échec majeur : nous sommes entre 23% et 50% des cours d'eau et plans d'eau en bon état écologique. Avec même des régressions par rapport à 5 ans plus tôt, car l'Europe s'est montrée plus exigeante sur la prise en compte de certains polluants. Pourquoi en sommes-nous là? 


Dans le rapport n° 271 (2004-2005) déposé le 30 mars 2005 en préparation de la loi sur l'eau de 2006, les parlementaires observaient "des résultats concrets mitigés" de la politique publique de l'eau depuis 1964:
"Face à ces enjeux communautaires [de la directive eau 2000], et malgré le dispositif mis en place par les lois sur l'eau ou la pêche du 16 décembre 1964, du 29 juin 1984 et du 3 janvier 1992, force est de constater que la situation en France n'est pas entièrement satisfaisante, même si par certains de ses aspects la directive cadre sur l'eau est inspirée en partie du modèle français.
En effet, la qualité des eaux n'atteint encore pas le bon état requis par la directive du fait des pollutions ponctuelles ou surtout diffuses insuffisamment maîtrisées, qui compromettent la préservation des ressources en eau destinées à l'alimentation humaine et les activités liées à l'eau ainsi que l'atteinte du bon état écologique des milieux.
L'objectif de bon état écologique des eaux n'est atteint actuellement que sur environ la moitié des points de suivi de la qualité des eaux superficielle"
50 à 77% des eaux en état écologique moyen à mauvais
Quinze ans après ce constat, il est temps que nos parlementaires se réveillent: dans le dernier état des lieux des SDAGE (schéma des agences de l'eau) réalisé en 2019 en vue de l'adoption des futurs SDAGE 2022, un seul bassin français atteint les 50% des cours d'eau et plans d'eau en bon état écologique cités dans ce rapport de 2005, la plupart des autres en sont loin.
  • En Adour-Garonne, l'état écologique des cours d'eau et plans d'eau est bon ou très bon dans 50% des cas.
  • En Artois-Picardie, l'état écologique des cours d'eau et plan d'eau est bon ou très bon dans 23% des cas.
  • En Loire-Bretagne, l'état écologique des cours d'eau et plans d'eau est bon ou très bon dans 24% des cas.
  • En Rhin-Meuse, l'état écologique des cours d'eau et plan d'eau est bon ou très bon dans 29% des cas.
  • En Rhône Méditerranée, l'état écologique des cours d'eau et plan d'eau est bon ou très bon dans 48% des cas.
  • En Seine-Normandie, l'état écologique des cours d'eau et plans d'eau est bon ou très bon dans 32% des cas.
Ces données doivent encore être rapportées à l'Europe et validées par la Commission dans le suivi de la Directive eau 2000. Aucun des grands bassins français ne dépasse le bon état écologique de la moitié de ses eaux cité dans le rapport de 2005, la plupart sont entre le quart et le tiers. Or, la directive cadre européenne (DCE) 2000 sur l'eau exige en théorie 100% des masses d'eau ayant le bon état écologique et chimique en 2027.

Outre l'état écologique, qui mesure certains polluants spécifiques, il y a également dans le jargon de la DCE l'état chimique qui en mesure de nombreux autres. Or, si l'on tient compte des polluants dits "ubiquistes", c'est-à-dire présents un peu partout comme les résidus de combustion HAP, la plupart des masses d'eau ne sont pas non plus en bon état chimique. Certaines restent lourdement polluées. Et les substances surveillées ne représentent qu'une fraction des toxiques qui circulent réellement dans les eaux.

Pourquoi de si piètres résultats?
Vingt ans après l'adoption de la directive cadre sur l'eau, bientôt 60 ans après la création des agences de bassin, ce médiocre résultat pose question. 

Une partie des causes se situent dans le fait que la DCE 2000 a construit une hypothétique "condition de référence" de la masse d'eau bâtie sur les rivières et plans d'eau ayant le moins d'impact humain, ce qui est manifestement une condition très difficile à atteindre dès lors qu'il a des occupations humaines dans les bassins versants. Le choix était donné aux pays européens de classer les masses d'eau comme "fortement modifiées" (c'est-à-dire fortement changées par les activités humaines passées et présentes)ou "artificielles", mais la France a refusé d'y recourir dans 90% des cas. Elle se retrouve donc avec des objectifs hors de portée en ayant classé ses masses d'eau comme "naturelles", ce qui impose des objectifs beaucoup plus ambitieux. Bizarrement, le gestionnaire public de l'eau pointe que les rivières ont de nombreuses pressions humaines, et depuis longtemps, mais il refuse de qualifier en ce cas la rivière comme anthropisée, ce qu'elle est de manière objective. L'illusion que tous les impacts disparaîtraient rapidement doit être levée, car les chiffres disent le contraire et la faible progression de ces chiffres depuis 20 ans ne laisse aucun doute sur l'impossibilité d'atteindre les objectifs de 2027. Un certain nombre de chercheurs suggèrent que la directive européenne 2000 a été adoptée sur la base d'une erreur majeure de perspective concernant la naturalité des cours d'eau et plans d'eau, avec des métriques "technocratiques" qui pourraient objectiver cette naturalité ou des mesures qui permettraient aisément de la restaurer (voir par exemple récemment Linton et Krueger 2020, ou précédemment Bouleau et Pont 2015).

Une autre partie des causes de l'échec tient dans la conduite des politiques publiques, en lien aux intérêts privés représentés dans les comités de bassin. L'affaire de la continuité écologique destructrice en a donné l'exemple depuis 10 ans. Environ 10% des budgets des agences de l'eau filent dans la destruction aberrante des moulins et étangs d'Ancien Régime, parfois de grands barrages, alors que les données scientifiques et les témoignages des riverains convergent pour dire que l'eau et ses milieux se sont nettement dégradés au cours des 30 glorieuses pour d'autres causes: montée brutale des pollutions agricoles, industrielles, domestiques, curage et recalibrage des lits, drainage des zones humides et suppression des annexes latérales, extraction des granulats et incision, artificialisation et érosion des sols. Dans les études d'hydro-écologie quantitative (Dahm 2013, Villeneuve 2015, Villeneuve 2018), où l'on compare avec un minimum de sérieux les causes de dégradation biologiques, ce sont toujours les usages du bassin versant qui sont les premiers corrélats du mauvais état, pas la densité des ouvrages transversaux (seuils, barrages). Et encore ces études manquent de données solides sur les polluants qui circulent dans les eaux. 

Mais le juge est partie dans cette affaire: cette vaste dégradation de l'eau après la Seconde Guerre mondiale a malheureusement été accompagnée (voire dans certains cas financée) par les agences de bassin entre les lois de 1964 et 1992. Le changement de cap opéré à partie des lois de 1992 puis de 2006 est lent à opérer, et le subterfuge de la destruction des ouvrages hydrauliques sert trop souvent de cache-misère à la difficulté d'agir pour changer les pratiques. Pire encore, cette diabolisation des retenues survient quand le changement climatique s'accélère: en faisant filer le plus vite possible l'eau à la mer, en supprimant les diversions d'eau, on baisse les recharges de nappes et on augmente le risque d'assec. Comme les lits ont déjà souvent creusés par des extractions, calibrages et curages en excès, les bassins versants risquent de subir avec une sévérité accrue les sécheresses et canicules à venir.

Redéfinir la politique publique de l'eau
Les parlementaires sont les élus des citoyens ayant en charge le contrôle de l'action publique du gouvernement et de son administration. Ils doivent se saisir d'un sujet qui a été trop longtemps confisqué par des experts administratifs discutant en vase clos avec des lobbies, pour des résultats insatisfaisants et un risque d'amendes à la clé, comme la France en a déjà été menacée sur le dossier des nitrates.

D'ores et déjà, il est certain que la France n'atteindre pas en 2027 les objectifs supposément contraignants de la directive européenne sur l'eau 2000. Il est aussi certain que les rivières françaises ne vont pas retrouver en l'espace d'une ou deux générations une "condition de référence" représentant un état qu'elles pouvaient avoir quand il y avait beaucoup moins d'habitants et que la société industrielle moderne n'existait pas. Il est enfin probable que le changement climatique va intensifier la pression sur les ressources en eau de la société et les milieux naturels. Nous avons donc besoin de prendre le temps d'une réflexion de fond sur l'eau, au lieu d'une fuite en avant dans des métriques qui révèlent notre impuissance et des politiques qui dispersent voire dilapident l'argent public sans réelle priorisation. 

3 commentaires:

  1. Beaucoup d'inexactitudes et d'approximations dans votre article. d'abord le pourcentage des masses d'eau en bon état comprend à la fois des masses d'eau naturelles et des masses d'eau fortement modifiées (probablement celle que vous avez désignées sous le terme de "fortement anthropisées"). Ces dernière ne sont astreintes qu'à un objectif de "bon potentiel" qui se différencie du "bon état" par la prise en compte des irréversibilités d'origine anthropiques.
    Dans le bassin Rhône Méditerranée, les 48% comprennent donc à la fois des "masses d'eau naturelles" atteignant le "bon" ou le "très bon état" DCE ou des Masses d'eau fortement modifiées atteignant "le bon potentiel". La "médiocrité" des résultats que vous dénoncez ne s'explique donc pas par un soit disant choix Français de limiter de façon délibéré le nombre de masses d'eau "fortement anthropisées" contrairement à ce que vous prétendez.
    Les résultats "moins mauvais" des bassins Adour Garonne et Rhône Méditerranée s'expliquent en partie par la présence de montagnes élevées dans leur territoire qui a, très relativement, préservé les cours d'eau de montagne de la pression humaine.
    Enfin, au moins dans le Bassin Rhône Méditerranée, la quasi totalité (plus de 95% avec une légère différence selon que l'on considère ou non les ubiquistes) des masses d'eau "cours d'eau" sont dans le bon état chimique : ce n'est donc pas a priori la qualité de l'eau qui est la cause des résultats médiocres dont il faut chercher la cause ailleurs et s'orienter vers d'autres pressions : prélèvements excessifs, obstacles à la continuité, morphologie, perturbations hydrologiques... Certes on peut discuter la signification de ces faits (par exemple prise en compte insuffisante des micropolluants dans le référentiel DCE) mais vous devriez intégrer ces informations (et d'autres d'ailleurs que vous semblez ignorer totalement) avant de pérorer sur les résultats de nos bassins dans l'application de la DCE.

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    1. Les données au public ne distinguent pas les masses d'eau dites naturelles ou fortement modifiées ou artificielles (données différenciées qui sont fort difficiles à trouver à notre connaissance). Les états dit "bons" sont donc les agrégats bon état ou bon potentiel.

      Les masses d'eau fortement modifiées (pas anthropisées, effectivement, nous corrigeons) et les masses d'eau artificielles n'ont pas les mêmes objectifs que les autres dites naturelles. (MTES : "Le potentiel écologique d'une masse d'eau artificielle ou fortement modifiée est défini par rapport à la référence du type de masses d'eau de surface le plus comparable. Par rapport aux valeurs des éléments de qualité pour le type de masses d'eau de surface le plus comparable, les valeurs du bon potentiel tiennent compte des caractéristiques artificielles ou fortement modifiées de la masse d'eau.")

      Vous ne répondez donc pas à notre point : pourquoi reconnaître que les masses d'eau sont fortement modifiées (= votre propos même sur les changements hydrologiques, morphologiques etc.) et ne pas en tirer la conséquence, à savoir les classer ainsi?

      Hypothèse de l'ignorance : les fonctionnaires connaissaient mal l'historicité et l'état des cours d'eau, leur niveau de modification au fil des siècles, c'est une erreur d'appréciation au moment d'opérer la classification DCE. OK, l'erreur est humaine, en ce cas on l'admet et on corrige.

      Hypothèse de l'idéologie : les fonctionnaires savaient très bien qu'en classant "naturelle" et non pas "modifiée" ou "artificielle" une masse d'eau, ils disposaient d'un levier de pression plus important du fait des objectifs (qui se révèlent hors-sol, comme ce raisonnement est hors-sol). Si on refuse de corriger le classement (hypothèse précédente), alors on est dans l'idéologie.

      Concernant l'état chimique du bassin RMC, d'une part nous n'avons pas détaillé la chimie pour chaque bassin, d'autre part le rapport d'état des lieux de RMC 2020 (EDL 2019) fait état de nombreuses pollutions :
      https://www.eaurmc.fr/upload/docs/application/pdf/2020-06/rapportetatdeseaux-situation2019.pdf

      Sur les HAP il est écrit : "Les substances les plus toxiques rencontrées dans les cours d'eau sont de loin les Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques (HAP). Leurs concentrations dans le milieu ont été divisées par 4 au cours des dernières années, mais elles restent encore en moyenne 15 fois supérieures aux normes admises pour la protection de l’environnement."

      Sauf erreur, quand on est 15 fois au-dessus des NQE, on n'est pas en bon état chimique.

      PS : changez de ton si vous souhaitez que vos prochains message anonymes soient publiés. Vous trompez et méprisez peut-être votre monde en comité de bassin, pas ici. Les réactions de déni comme les vôtres indiquent l'urgence que les politiques reprennent le dossier et le mettent au clair.

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  2. https://theconversation.com/en-europe-plus-dun-million-de-barrages-menacent-la-survie-des-poissons-152151

    https://amber.international/european-barrier-atlas/

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