15/02/2021

Le conseil d'Etat annule la redéfinition de l'obstacle à la continuité écologique, nouvelle déroute de l'administration

L'association Hydrauxois et ses consoeurs - FFAM, FDMF, FHE, EAF, ARF, Union des étangs de France - viennent de remporter une victoire juridique décisive contre la direction eau et biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie: le conseil d'Etat annule la redéfinition de l'obstacle à la continuité écologique imposée par le décret du 3 août 2019. Au terme de cette manoeuvre de la DEB, tout devenait un obstacle à la continuité écologique, il était impossible de construire un barrage ou de réparer une chaussée de moulin ou d'étang sur une rivière classée au titre de la continuité écologique. Mais ce décret des hauts fonctionnaires de l'écologie était entaché d'illégalité et se trouve annulé : le conseil d'Etat exige d'examiner les ouvrages au cas par cas et refuse de les interdire a priori (même en liste 1) s'ils sont conformes à la circulation des poissons et sédiments. Dans le même arrêt, le conseil d'Etat déboute la fédération de pêche FNPF et France Nature Environnement de leur requête contre la prise en compte des rivières à débits atypiques. Explications.

Par décret du 3 août 2019, le ministère de la Transition écologique et solidaire avait entrepris de redéfinir l'obstacle à la continuité écologique de manière très extensive. Nous avions souligné dès sa parution le caractère grotesque de cette nouvelle définition, faisant qu'un barrage naturel d'embâcles ou de castors deviendrait un problème selon cet excès manifeste de pouvoir venant de la haute administration. Plus concrètement, ce décret visait à empêcher la construction d'une centrale hydro-électrique, même si le barrage est conçu pour laisser circuler des poissons et des sédiments. Pareillement, il devenait impossible de restaurer une chaussée de moulin ou d'étang qui aurait été ébréchée jadis. Plusieurs propriétaires (dont un membre de l'association Hydrauxois) se sont déjà vus opposer le nouvel article R 214-109 code environnement issu de ce décret de 2019, cela afin d'interdire leurs projets de relance de sites.

Le conseil d'Etat vient d'annuler le décret du ministère de l'écologie, qui était bel et bien un excès de pouvoir. Un de plus.

La motivation avancée par le conseil d'Etat est simple :

"En interdisant, de manière générale, la réalisation, sur les cours d’eau classés au titre du 1° du I de l’article L. 214-17, de tout seuil ou barrage en lit mineur de cours d’eau atteignant ou dépassant le seuil d’autorisation du 2° de la rubrique 3.1.1.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1, alors que la loi prévoit que l’interdiction de nouveaux ouvrages s’applique uniquement si, au terme d’une appréciation au cas par cas, ces ouvrages constituent un obstacle à la continuité écologique, l’article 1er du décret attaqué méconnaît les dispositions législatives applicables."

Cela signifie donc que la continuité écologique telle que définie par la loi, en particulier par l'article L 214-17 CE, renvoie à des propriétés fonctionnelles précises (sur les poissons, les sédiments) qui s'apprécient au cas par cas, mais non à un interdit de principe.

C'est une défaite juridique notable pour les tenants de la "rivière sauvage" essayant depuis des années de surinterpréter la loi sur l'eau de 2006 et de diaboliser l'existence même de l'ouvrage hydraulique humain, vu comme un problème en soi.

Nous reviendrons dans un prochain message sur la signification politique de cette décision du conseil d'Etat, alors que les parlementaires examinent la loi Climat et résilience devant comporter des mesures sur les hydrosystèmes et sur les énergies renouvelables. 

D'ores et déjà : un grand merci aux adhérents et aux soutiens de notre association, qui nous aident par leurs cotisations à mener ce travail de protection des ouvrages hydrauliques et de promotion d'une écologie raisonnée des cours d'eau. Deux autres contentieux sont en cours d'examen au conseil d'Etat, contre le décret scélérat du 30 juin 2020 autorisant la destruction d'ouvrages et de milieux sur simple déclaration, contre la circulaire du 30 avril 2019 de continuité dite "apaisée" créant un régime à nos yeux illégal de rivière prioritaire. 

Le combat continue !

Voici les premières explications de Me Jean-François Remy, avocat de l'association.

"Par décision rendue ce jour sur une requête introduite par mon Cabinet pour le compte notamment de France Hydro Electricité, de la Fédération Française des Associations de Sauvegarde des Moulins – FFAM, de la Fédération des Moulins des France – FDMF, de l’Association des Riverains de France – ARF et d’Hydrauxois, le Conseil d’Etat vient d’annuler l’article 1er du décret ministériel du 3 août 2019, qui avait durci la définition de l’obstacle à la continuité écologique prévue à l’article R 214-109 du Code de l’environnement.

Pour mémoire, à compter de la date d’entrée en vigueur de ce décret porté par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité/Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, étaient notamment considérés comme un obstacle à la continuité écologique, dont la construction est interdite sur un cours d’eau classée en Liste 1 au titre de l’article L 214-17 du Code de l’environnement :

- Tout ouvrage en lit mineur d’un cours d’eau d’une hauteur supérieure à 50 cm, qu’il barre ou non l’ensemble de la largeur du cours d’eau, à la seule exception des ouvrages à construire pour la sécurisation des terrains de montagne pour lesquels il n’existe pas d’alternative,

- Tout ouvrage de prise d’eau ne restituant à l’aval que le débit réservé ou débit minimum biologique une majeure partie de l’année,

- Toute remise en état d’un barrage de prise d’eau fondé en titre notamment, dont l’état actuel pouvait être considéré comme ne faisant plus obstacle à la continuité écologique.

Ce décret condamnait une part majeure du potentiel de développement de l’énergie hydraulique en sites nouveaux et en rénovation sur des sites existants, dont une grande part est située sur les cours d’eau classés en Liste 1, et par ailleurs condamnait un nombre conséquent de moulins anciens à une démolition « naturelle » et inéluctable de leurs ouvrages dont la remise en état était interdite.

Conformément à ce que nous avions soutenu en requête, le Conseil d’Etat a notamment retenu que le Gouvernement ne pouvait valablement considérer :

- Qu’un ouvrage en lit mineur présentant une hauteur de 50 cm au moins est nécessairement un obstacle à la continuité écologique au sens de l’article L 214-17 du Code de l’environnement.

Rappelant ses décisions adoptées au titre des deux précédentes tentatives de définition restrictive de la continuité écologique réalisées par circulaires ministérielles partiellement annulées de 2010 et 2013, le Conseil d’Etat confirme qu’un tel critère absolu ne peut légalement être retenu, la loi ainsi que les débats parlementaires prévoyant que le critère d’obstacle à la continuité écologique doit être apprécié au cas par cas.

A ce titre, la méconnaissance par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité de la loi, de la volonté du législateur et enfin de la jurisprudence du Conseil d’Etat est santionnée.

- Que la restitution à l’aval d’un ouvrage de prise d’eau du seul débit réservé ou débit minimum biologique serait nécessairement un obstacle à la continuité écologique, dans la mesure où – précisément – le débit minimum biologique prévu à l’article L 214-18 du Code de l’environnement a pour objet de permettre de garantir la vie, la circulation et la reproduction du poisson.

A ce titre, la méconnaissance de la loi par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité est également sanctionnée.

L’ensemble de ces dispositions étant liées, le Conseil d’Etat annule dans le même temps le II. de l’article R 214-109 du Code de l’environnement qui concernait la remise en état des barrage de prise d’eau fondés en titre.

Cette décision, qui est sans recours, est d’application immédiate.

Dans ces conditions :

- Les dispositions de l’article R 214-109 du Code de l’environnement modifiées par le décret du 3 août 2019 cessent de produire effet à compter de ce jour.

- Toute décision administrative fondée sur les dispositions de l’article R 214-109 du Code de l’environnement en vigueur depuis le 3 août 2019 et jusqu’à ce jour est entachée d’illégalité, son annulation pouvant être sollicitée devant le juge administratif si le délai de contestation court toujours ou encore si un recours a déjà été engagé.

Dans les autres cas (délai de recours dépassé ou recours déjà jugé définitivement), il est possible de saisir le Préfet d’une demande de retrait de la décision qui serait fondée sur ces dispositions  au visa de l’article L 243-2 du Code des relations entre le public et l’administration.

- Il est à nouveau possible de déposer une demande d’autorisation environnementale pour la création et/ou la modification d’un ouvrage hydraulique sur un cours d’eau classé en Liste 1, sous réserve que le projet ne soit pas de nature à constituer un obstacle à la continuité écologique, cette existence d’un obstacle à la continuité écologique devant à nouveau donner lieu à une appréciation au cas par cas.

Pour conclure, il est précisé que le recours formé par la Fédération Nationale de Pêche ainsi que France Nature Environnement, qui visait l’article 2 du décret (création d’un nouveau cas de cours d’eau atypique pour les cours d’eau de type méditerranéens) est quant à lui rejeté." 

Référence : Conseil d'Etat, arrêt nos 435026, 435036, 435060, 435182, 438369, décision du 15 février 2021

Dans la Vienne, l'argent public sert à assécher les étangs et plans d'eau

Pour satisfaire le dogme de la continuité écologique, l'Établissement public territorial du bassin de la Vienne verse des subventions publiques aux propriétaires volontaires pour supprimer leurs étangs. Pourtant, la littérature scientifique montre que les réseaux de plans d'eau sont favorables à la biodiversité et rendent des dizaines de services écosystémiques. Pourquoi la gestion de l'eau et du vivant est-elle obsédée par la question de la continuité et du retour de l'écoulement rapide? Est-ce une démarche scientifique, un choix d'intérêt général, une mode intellectuelle ou une requête de certains lobbies? N'avons-nous pas mieux à faire de l'argent du contribuable qu'assécher des milieux aquatiques à l'heure du changement climatique, de la transition énergétique et de la nécessité de développer des circuits-courts en économie?


On dénombre 24.500 étangs sur le périmètre du bassin de la Vienne, dont 4.900 dans le département de la Vienne. L'EPTB Vienne propose, à partir de ce mois de février 2021, d'apporter une aide financière de 1.000 à 2.000 € aux propriétaires d'étangs de plus de 500 m2, souhaitant supprimer leur plan d'eau (voir cet article, voir la plaquette de l'EPTB).

Les citoyens l'ignorent souvent, mais cette stratégie d'assèchement des étangs et plans d'eau est une vieille obsession de la puissance publique en France. Voici plusieurs siècles, on nommait "dessicateurs" ceux qui souhaitaient voir disparaître marais et étangs, des zones humides suspectées d'être improductives et malsaines (voir Abad 2006Morera 2011, Derex 2017). On estime que 80 à 90% des zones humides naturelles ont ainsi été asséchées par des drainages et canalisations au fil des derniers siècles, avec le soutien de l'Etat ou de pouvoirs publics locaux. Les zones humides artificielles des étangs et plans d'eau créés par les humains vont-elles connaître à leur tour ce triste destin? Que restera-t-il comme milieu en eau sur les bassins si nous en éliminons les retenues, canaux et diversions? Quand la rivière exutoire "sans obstacle" se dépêchera d'emporter l'eau vers l'aval, sans que chaque bassin profite pleinement de cette eau, aurons-nous une meilleure situation pour la société et pour le vivant? 

Le problème, c'est qu'il existe désormais une littérature scientifique de plus en plus abondante démontrant que les plans d'eau, étangs et lacs peu profonds ont des effets positifs sur la biodiversité, sur la préservation de la ressource, sur l'épuration et de manière générale sur les services écosystémiques rendus à la société. Nous publions ci-dessous quelques exemples de publication de recherche de ces dix dernières années. 

La question est donc la suivante : l'EPTB de la Vienne a-t-il procédé à une étude scientifique sérieuse de ces milieux aquatiques avant de dépenser l'argent public à les détruire? A-t-on comparé sur le terrain la rétention d'eau d'un plan d'eau et de la même zone sans plan d'eau en situation de sécheresse météorologique? A-t-on mesuré la densité, la biomasse et la diversité locale (alpha), de bassin (bêta) et régionale (gamma) des végétaux, des insectes, des mammifères, des oiseaux, des amphibiens attachés aux plans d'eau, et pas seulement de certains poissons d'eau vive? 

La recherche affirme que les réseaux de plans d'eau ont aussi de nombreux effets bénéfiques pour le vivant et la société

Les lacs et plans d'eau peu profonds rendent jusqu'à 39 services écosystémiques à la société (Janssen et al 2020)
Une recherche passant en revue la littérature scientifique montre que les plans d'eau peu profonds (lacs, étangs) peuvent rendre jusqu'à 39 services écosystémiques différents aux riverains, incluant la protection de biodiversité, l'épuration de l'eau, la régulation des débits ou les loisirs. Ces services écosystémiques varient selon les différents états stables que peuvent prendre ces plans d'eau dans leur cycle de vie, en particulier leur niveau trophique (charge en nutriments). Même des milieux eutrophes conservent des intérêts environnementaux. "Les services écosystémiques des lacs peu profonds que nous avons identifiés pourraient être liés à 10 objectifs du développement durable (ODD) différents, notamment la faim zéro (ODD 2), l'eau propre et l'assainissement (ODD 6), les villes et communautés durables (ODD 11) et l'action climatique (ODD13)".

Les réservoirs d'eau alpins, milieux artificiels aidant à conserver la biodiversité (Fait et al 2020)
Une équipe scientifique suisse montre que les réservoirs artificiels d'eau dans les montagnes alpines servent aussi de refuge à la biodiversité, en l'occurrence celle des libellules et des coléoptères aquatiques. Le changement climatique peut rendre ces équipements précieux pour le vivant. Loin d'opposer le naturel à l'artificiel, ces chercheurs soulignent que nous devons plutôt réfléchir à des règles de gestion écologique de plans d'eau d'origine humaine. "Ces plans d'eau peuvent être encore améliorés par certaines mesures respectueuses de la nature pour maximiser les avantages pour la biodiversité, notamment la revégétalisation des marges ou la création d'étangs adjacents. L'ingénierie écologique doit être innovante et promouvoir la biodiversité d'eau douce dans les réservoirs artificiels."

La valeur écologique des petits plans d'eau doit être reconnue et préservée (Bolpagni et al 2019)
Etangs, lacs, plans d'eau, canaux, tourbières, mares, marais... de nombreux petits systèmes d'eau lentiques et stagnants sont présents dans les bassins versants, nourris tantôt par les pluies, les nappes ou les cours d'eau. Ils attirent moins l'attention que les rivières et grands lacs : pourtant, leur apport en écologie est essentiel, notamment dans les bassins versants impactés par l'agriculture ou l'urbanisation. Ce passage en revue de la littérature scientifique récente (2004-2018) souligne le rôle de ces petits plans d'eau dans la biodiversité, l'épuration des polluants, le refuge face au changement climatique. Les chercheurs appellent à une évolution de la directive-cadre européenne sur l'eau pour intégrer cette réalité dans la gestion publique. "Il est maintenant généralement admis que l’échelle du bassin versant est l’échelle spatiale (unique) appropriée de l’intervention de restauration lorsqu’un rétablissement durable d’un écosystème dégradé est visé. À cette échelle, les petits plans d'eau apparaissent comme l'un des composants les plus importants de la régulation de l'équilibre de l'eau et des flux de matières, en particulier des cycles du carbone et des éléments nutritifs, ainsi que du contrôle des pesticides et des polluants par purification biologique".

Une zone humide naturelle évapore davantage qu'un étang, contrairement aux idées reçues (Al Domany et al 2020)
Cette étude de quatre chercheurs de l'université d'Orléans sur un site à étang artificiel et zone humide naturelle du Limousin montre que le bilan hydrique d'un étang en terme d'évaporation est meilleur que celui de la zone humide. Les scientifiques soulignent que leur observation va à l'encontre des discours tenus par certains gestionnaires publics de l'eau, qui militent aujourd'hui pour la destruction des retenues et canaux au nom de la continuité écologique, de la renaturation ou du changement climatique. "En termes de politique française de l’eau et d’aménagement du territoire limousin, la préconisation d’effacer les étangs en arguant de leurs effets supposément négatifs dont la diminution de la ressource en eau mérite donc d’être fortement nuancée et de s’appuyer sur plus de données scientifiques rigoureuses."

Plans d'eau et canaux contribuent fortement à la biodiversité végétale (Bubíková et Hrivnák 2018)
A partir de 100 points de mesure dans un bassin versant, concernant des milieux aquatiques naturels aussi bien qu'artificiels, deux chercheurs slovaques montrent que les plans d'eau et canaux hébergent une forte biodiversité végétale. "Le nombre le plus élevé d'espèces au niveau local et régional a été trouvé dans les plans d'eau et les canaux. Les petits cours d'eau sont les habitats ayant la plus faible diversité locale et régionale, et le plus petit nombre d'espèces uniques ou sur la liste rouge (..) aucune des mesures de diversité utilisées n'a montré de différence statistiquement significative entre les types d'habitats. Ainsi, nous pouvons affirmer que tous les types de plans d'eau contribuent à la diversité des macrophytes à un degré comparable à l'échelle générale dans le paysage d'Europe centrale."

Mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion des bassins hydrographiques (Hill et al 2018)
Une équipe de 11 chercheurs appelle à une prise en compte urgente des mares, étangs et petits plans d'eau dans la politique des milieux aquatiques. Au cours des années 2000, la recherche a montré que ces milieux, souvent moins présents à l'esprit des gestionnaires et décideurs que les rivières et les lacs, abritent pourtant une biodiversité plus importante par unité de surface. "La contribution significative des trame de mares et étangs à la biodiversité aquatique locale et régionale peut être attribuée à (i) les petits bassins individuels de chaque système, produisant des conditions environnementales idiosyncratiques et une complexité de l'habitat, conduisant à l'hétérogénéité de l'habitat à l'échelle du paysage (Davies et al 2008), (ii) la valeur des plans d'eau anthropiques (par exemple mares de fermes) pour augmenter la superficie d'habitats aquatiques disponible pour la vie sauvage, (iii) la fourniture d'habitats de refuge pour les communautés aquatiques, en particulier quand les zones humides naturelles ont été largement converties en fermes ou rizières (Takamura 2012, Chester & Robson 2013)"

Les étangs piscicoles à barrage éliminent les pesticides (Gaillard et al 2016)
Une équipe de chercheurs lorrains montre que les étangs construits par barrage sur un cours d'eau sont efficaces pour éliminer des pesticides, avec des taux pouvant atteindre 100% sur certaines molécules. Cette efficacité pourrait être supérieure à celle des zones humides reconstruites, en raison d'un temps de résidence hydraulique plus long. "En vue de maintenir la continuité écologique des cours d'eau, la suppression des barrages est actuellement promue. Avant que des actions en ce sens soient entreprises, une meilleure connaissance de l'influence de ces masses d'eau sur la ressource, incluant la qualité de l'eau, est nécessaire"

Etudier et protéger la biodiversité des étangs piscicoles (Wezel et al 2014)
Les eaux lentes ou stagnantes sont-elles si défavorables au vivant? Pas dans le cas des étangs piscicoles de la Dombes, dont les chercheurs ont montré l'existence d'une biodiversité d'intérêt à l'échelle régionale, avec parfois la présence d'espèces menacées. Les libellules contribuent le plus fortement à la biodiversité régionale (41%), les amphibiens et macrophytes le moins (16 à 18%)."Dans l'ensemble, la richesse spécifique pour un seul étang ou au niveau de la région (alpha et gamma respectivement) semble être relativement élevée pour l'ensemble des groupes étudiés, bien que l'on ait une situation de masses d'eau riches en nutriments (...) Certains étangs abritent un grand nombre d'espèces peu fréquentes et quelques espèces en danger, indiquant que la conservation de la biodiversité des étangs piscicoles doit être définie à échelle régionale".

Les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013)
Deux chercheurs ont procédé à un passage en revue de la littérature scientifique récente et internationale sur les masses d'eau artificielles, en milieu rural comme urbain. Il en résulte que l'origine artificielle des plans d'eau, canaux et autres hydrosystèmes issus de l'action humaine ne les empêche pas d'héberger de la biodiversité, en particulier de servir parfois de refuges à des espèces endémiques. Les auteurs appellent les gestionnaires à se montrer plus attentifs à ces masses d'eau et à identifier les propriétés qui favorisent leur rôle de refuge. "Les masses d'eau artificielles doivent être gérés en même temps que les plans d'eau naturels environnants en tant que mosaïque d'habitats pour les espèces d'eau douce. Il convient de prêter attention aux schémas de biodiversité bêta dans les masses d'eau."

La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)
Un travail mené par 5 chercheurs anglais dans un paysage agricole ordinaire a montré que les mares, les lacs et les étangs abritent autant et parfois davantage d'espèces de plantes et d'insectes, notamment des espèces plus rares. Même les fossés ne sont pas à négliger comme zones de refuge ou de croissance de certaines espèces. "Ces types de petites masses d'eau ont souvent été oubliées dans la protection de biodiversité et bénéficient rarement des statuts de protection accordés à des masses d'eau plus importantes. Les résultats de cette étude, confortés par d'autres travaux de biodiversité comparative incluant des petites masses d'eau, suggèrent que cela peut être un oubli considérable et une opportunité manquée. En particulier, la contribution remarquable des petites masses d'eau à la biodiversité aquatique régionale signifie qu'ils peuvent avoir un rôle dans la stratégie de protection des biotes aquatiques".

11/02/2021

Aux sources de la Seine, on tourne la page de la casse brutale et absurde des ouvrages en rivière

Après dix ans de harcèlement des ouvrages hydrauliques en vue de les faire disparaître, la nouvelle équipe du syndicat Sequana, dirigée par Philippe Vincent, entend tourner la page de la continuité écologique destructrice pour ouvrir celle de la continuité "apaisée". Nombre de chantiers avaient fait disparaître des chutes, retenues, étangs et biefs de ce magnifique pays en tête du bassin de la Seine. Or, les ouvrages hydrauliques, remontant aux cisterciens du Moyen Âge pour les plus anciens, présentent de formidables atouts pour le développement durable du territoire, qui vient d'être en partie intégré au parc national des forêts de Champagne et Bourgogne. 


Photo extraite du journal Le Châtillonnais et l'Auxois, droits réservés. 

Dans son édition du 4 février 2021, le journal le Châtillonais et l'Auxois publie un entretien avec Philippe Vincent, le nouveau président du syndicat (Epage) Sequana. Cet établissement regroupe 126 communes de Côte d'Or, Yonne et Haute-Marne en charge de la gestion des cours d'eau et milieux aquatiques du bassin versant amont de la Seine, qui s'étend des sources de la Seine jusqu'à la limite avec le département de l'Aube.

Les associations Hydrauxois et Arpohc, suivies de consoeurs comme l'association des riverains de Chamesson, ont eu des rapports difficiles avec Sequana comme avec d'autres syndicats en tête de bassin bourguignonne de la Seine et de l'Yonne. 

L'agence de l'eau Seine-Normandie, la DDT et l'Office français de la biodiversité (ex Onema) ont mené dès le début des années 2010 une campagne agressive visant expressément à la destruction des ouvrages hydrauliques. Loin de s'y opposer, la précédente équipe du syndicat adoptait ce discours sans esprit critique, voire avec une volonté de renaturation et ré-ensauvagement des milieux allant très au-delà des termes de la loi. La même chose fut observée avec le syndicat SMBVA sur l'Armançon, plus au sud du département de la Côte d'Or. La dimension historique et énergétique des ouvrages était négligée, leurs milieux en eau n'ont fait l'objet d'aucune étude sérieuse de biodiversité hors le seul prisme des poissons migrateurs et rhéophiles. Les propriétaires se sont vus offrir des ponts d'or public pour détruire les ouvrages et assécher les biefs (jusqu'à 100% de prise en charge, avec divers travaux d'aménagement en sus) alors qu'ils étaient l'objet d'une instruction hostile et de subventions très faibles voire nulles s'ils désiraient conserver les ouvrages hydrauliques, les retenues et les biefs en eau. Sur les bassins de la Seine et de l'Ource, de nombreux ouvrages ont été détruits à contre-coeur, car c'était la seule solution financée. Mais c'est aussi sur ce bassin que Gilles Bouqueton et sa compagne, soutenus par nos associations et par une cagnotte de citoyens donateurs, ont obtenu après 7 ans de lutte obstinée une victoire décisive au conseil d'Etat en 2019 (arrêt moulin du Boeuf). Les conseillers ont condamné sur toute la ligne des pressions illégale menées par les représentants du ministère de l'écologie. 


Cela relève aujourd'hui du passé, en tout cas pour ce qui est de la politique syndicale. La nouvelle équipe de l'Epage Sequana entend désormais prendre au mot la "continuité apaisée" telle qu'elle est officiellement promue par le ministère de l'écologie. Et l'apaisement signifie que l'on ne regarde plus les moulins, forges et étangs comme des adversaires de l'écologie, mais comme des partenaires du territoire.

Le président de Sequana précise ainsi :"Les effacements d'ouvrages sont liés à une politique environnementale. La loi qui régit ces actions n'oblige pas l'effacement mais l'aménagement pour respecter la continuité écologique et les débits minimums biologiques. Un ouvrage n'ayant plus aucun usage pourrait effectivement être supprimé. Mais il faut être très prudent. Un ouvrage quel qu'il soit a eu une utilité et aujourd'hui avec les assecs de ces dernières années, toutes les retenues d'eau auront une action sur l'écoulement de nos cours d'eau et donc une préservation de la ressource. Autre point important souvent négligé, la prise en compte des aspects patrimoniaux et sociétaux, paysager et historiques concernant ces ouvrages, mais également tous les monuments, lavoirs... au fil de l'eau qui fait que notre territoire est aujourd'hui Parc National".

Il entend également rouvrir le dossier de certaines dépenses votées par la précédente équipe, mais ne correspondant pas à l'intérêt général du Châtillonnais et à la protection de la ressource en eau : "Aujourd'hui, nous avons une problématique importante liée à l'effacement de l'étang de Rochefort-sur-Brevon. Le propriétaire vient d'accepter l'effacement, la commune semble d'accord, mais nous pensons que cet argent public serait mieux investi dans l'alimentation du réseau d'eau potable que dans ce projet sur un bien privé aux bénéfices discutables en termes de continuité écologique. Nous allons revenir très rapidement sur ce sujet".

Rappelons qu'à Rochefort-sur-Brevon, véritable petit joyau du patrimoine sidérurgique du Châtillonnais, le syndicat Sequana proposait de dépenser 80 000 euros d'argent public pour détruire des radiers de vannages et réduire considérablement la superficie de l'étang, cela alors que l'aménageur reconnaissait que la rivière Brevon présente des éperons rocheux naturels qui la rendent de toute façon infranchissable aux poissons... Pourquoi cette gabegie? Pourquoi l'administration avait-elle classée la rivière en 2012 en "liste 2" au titre de la continuité écologique? Ce sont toutes ces incohérences qui excèdent les riverains, alors que l'argent public est si rare et que l'eau renvoie à de multiples enjeux d'intérêt général. 

Les associations félicitent la nouvelle équipe du syndicat Sequana, et entendent mobiliser les propriétaires d'ouvrages hydrauliques au service des projets de territoire. Face à la sévérité croissante des assecs comme à la brutalité des crues, à la nécessité de développer l'énergie locale bas-carbone, au besoin de protéger les milieux aquatiques et les zones humides, beaucoup de travail nous attend. Les moulins, forges, étangs et plans d'eau du territoire sont des atouts à valoriser, en particulier avec le création du parc national des forêts des Champagne et Bourgogne, impliquant un tourisme de qualité et de proximité à inventer. 

07/02/2021

Des barrages en rivières alpines et pré-alpines ont des effets intéressants sur la température et les invertébrés (Petruzziello et al 2021)

Une équipe de chercheurs italiens a comparé des tronçons de rivières alpines et pré-alpines selon la présence ou l'absence de barrages. Contrairement aux idées reçues, les barrages réservoirs de tête de bassin ont montré des conditions favorables au maintien d'une température fraîche et à la diversité biologique des familles de macro-invertébrés. Cet effet ne se retrouve pas pour les barrages au fil de l'eau, dont l'impact est cependant faible car leur température reste proche de celle des tronçons naturels. Les ouvrages (réservoir ou fil de l'eau) tendent aussi à augmenter la productivité trophique et disponibilité des matériaux organiques. Etudier les milieux sans préjugé sur leur caractère "sauvage" ou "modifié" permet d'objectiver les réalités et de prendre les bonnes décisions à leur sujet. On espère que l'administration française de l'eau se convertira à cette démarche, au lieu d'instruire à charge le dossier des ouvrages hydrauliques... 



Les zones étudiées et comparées dans l'étude, sur les rivières Goglio et Sanguigno (Lombardie), de l'amont vers l'aval. Extrait de Petruziello et al 2021, art cit

L'étude d'Antonio Petruzziello et de ses collègues a été réalisée dans les vallées alpines du Goglio dans le nord de l'Italie. Le Sanguigno est le principal affluent gauche du Goglio. Les deux cours d'eau ont été sélectionnés car ils diffèrent principalement par la présence de réservoirs de haute altitude : le Goglio se caractérise par la présence de cinq réservoirs qui régulent le débit, tandis que le régime d'écoulement de Sanguigno est considéré comme "vierge" (il sert dans la recherche comme système de référence). Les réservoirs de haute altitude sont utilisés à des fins hydroélectriques et ne libèrent qu'un débit environnemental minimum dans le Goglio. En aval du confluent de Goglio et Sanguigno, les activités anthropiques dans le bassin versant deviennent plus importantes, avec la présence de peuplements urbains et de centrales hydroélectriques au fil de l'eau. La diversité des 7 sites étudiés de l'amont avers l'aval permet donc diverses comparaisons : zone vierge, zone à réservoir seul, zone à centrale au fil de l'eau et activités humaines, zone avec très peu de pollutions sur le versant (amont) et zone avec davantage de pollutions (aval). 

Nous traduisons ici la conclusion des chercheurs, qui ont étudié la température, l'hydrologie, les débris organiques et les macro-invertébrés des différentes zones : 

"La présence de centrales hydroélectriques (réservoirs de haute altitude ou centrales au fil de l'eau) modifie l'écosystème fluvial au regard de tous les aspects étudiés dans cette étude: composition des communautés de macroinvertébrés, dégradation de la matière organique et régime thermique.

Les communautés de macroinvertébrés qui habitent des sites vierges sont généralement moins diversifiées que dans d'autres sites et plus spécialisées pour les environnements hautement rhéophiles en raison de la forte influence des événements à haut débit. Dans notre étude de cas, le tronçon soumis à l'effet de barrage à haute altitude a montré les meilleures conditions pour la plupart des familles de macroinvertébrés en raison de l'abondance de nourriture (en particulier particules grossières de matière organique CPOM et bois mort) et la réduction du stress dû aux événements de débit élevé. Nous n'avons identifié aucune famille qui pourrait être considérée comme représentative de conditions non perturbées. Le manque observé de taxons représentatifs pour les sites non perturbés pourrait également être dû à la résolution taxonomique grossière (c'est-à-dire au niveau de la famille) et l'identification au niveau de la sous-famille pourrait avoir produit des réponses spécifiques différentes. Cela mettrait en évidence l'importance d'une résolution systématique et la nécessité de développer des mesures à échelle de communautés capables d'évaluer correctement ce type d'altérations.

Les communautés de macroinvertébrés dans le tronçon soumis à des altérations hydrologiques et chimiques ont été caractérisées par l'abondance de familles qui peuvent tolérer des conditions perturbées telles que les Leuctridae, Limoniidae et Simuliidae, soulignant que, comme souvent rapporté dans la littérature, les altérations dues aux charges polluantes anthropiques sont plus faciles à identifier que les altérations dues aux altérations hydrologiques.

La disponibilité de la matière organique est positivement affectée par les barrages à haute altitude. Dans les sites vierges, les sacs de feuilles étaient souvent retirés du lit de la rivière, ce qui réduisait la disponibilité de cette source de nourriture pour la communauté des macroinvertébrés. À l'inverse, les processus de dégradation ne semblaient être que légèrement modifiés par la présence du réservoir de haute altitude car les mailles et le temps de séjour étaient les deux seuls facteurs ayant un effet significatif sur les taux de rupture. De plus, nos résultats soulignent que l'apport estival de CPOM dans les cours d'eau de tête de bassin peut être une source alimentaire importante, comparable à l'apport hivernal de feuilles récemment tombées. Cela peut être d'une grande importance dans les sites vierges où les effets d'événements à haut débit raccourcissent le temps de séjour de la matière organique.

Le régime thermique est profondément modifié par les barrages à haute altitude et moins influencé par les conditions météorologiques. Les conséquences écologiques des altérations thermiques doivent être spécifiquement étudiées, en particulier avec des expériences de mésocosme ou des études de cas idéales qui permettent de démêler l'effet du régime thermique et du régime d'écoulement sur les populations biologiques. Ces altérations rendent les tronçons de cours d'eau moins soumis aux effets du changement climatique et surtout aux canicules qui deviennent de plus en plus fréquentes et intenses dans les milieux alpins et pré-alpins. Les réservoirs atténuent l'influence atmosphérique sur la température de l'eau des cours d'eau tandis que les sites au fil de l'eau la renforcent dans les tronçons détournés. Là où ces deux altérations étaient présentes, le régime thermique du cours d'eau était plus similaire à celui naturel que les tronçons soumis à un seul type d'altération et profondément influencés par les conditions météorologiques.

Cette recherche a fourni des éléments pour une meilleure compréhension de l'impact des retenues fluviales sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes fluviaux. Ces éléments peuvent être d'une grande utilité dans la planification des stratégies de gestion visant à protéger la qualité environnementale des cours d'eau affectés par la présence de centrales hydroélectriques, avec une référence particulière à l'importance croissante du changement climatique."

Ce schéma montre les variations de température des tronçons. 


On observe que les tronçons de cours d'eau bénéficiant de lâcher d'eau des barrages ont des conditions plus fraîches en été (mais moins froides en hiver).

Ce schéma montre la répartition des familles d'invertébrés aquatiques selon les tronçons. 


Comme l'exposent les chercheurs dans l'abstract de leur travail, "les tronçons altérés par des réservoirs de haute altitude ont les meilleures conditions pour la plupart des familles de macro-invertébrés en raison de conditions de débit plus stables".

Discussion
Une rivière modifiée par des ouvrages hydrauliques ne montre pas les mêmes propriétés chimiques, physiques et biologiques qu'une rivière non modifiée. Mais au-delà de ce constat trivial, est-ce un problème pour le vivant ou pour la société? Peut-on se contenter de généralités en présumant que toute modification est mauvaise car s'écartant d'une référence naturelle? Quelles sont les conséquences de nos choix sur les ouvrages dans une période marquée par un changement thermique et hydrologique rapide en lien au réchauffement climatique? 

La réponse à ces questions n'est pas tranchée, contrairement à ce qu'affirment en France des administrations et des lobbies ayant décidé que les ouvrages hydrauliques représentaient un problème majeur et justifiaient une politique de destruction sur argent public, contrairement au choix pluriséculaire d'aménager les cours d'eau. La manière dont la société juge les ouvrages hydrauliques dépend étroitement des métriques que l'on choisit pour les étudier. Si ces métriques sont conçues dès le départ pour calculer une différence entre un milieu naturel et un milieu modifié, puis pour qualifier de "mauvaise" cette différence, alors de toute évidence, on conclura très souvent que l'ouvrage est "mauvais". Si ces métriques sont neutres de jugement, si elles actent que la nature est aussi bien formée de zones vierges que de zones modifiées par les humains, si elles intègrent tous les paramètres par lesquels une société évalue son environnement et des riverains leur cadre de vie (non seulement écologiques, mais aussi sociaux et économiques), alors on s'obligera à observer les différences sans préjugé et à débattre démocratiquement de leur intérêt.

Référence : Petruzziello A et al (2021), Effects of high-altitude reservoirs on the structure and function of lotic ecosystems: a case study in Italy, Hydrobiologia, epub, doi.org/10.1007/s10750-020-04510-9

03/02/2021

L'Etat français condamné pour préjudice du fait de son action climatique insuffisante

Des associations regroupées sous le label l'Affaire du siècle, soutenues par 2,3 millions de citoyens, ont engagé un contentieux contre l'Etat français pour son incapacité à tenir les objectifs climatiques des lois et traités signés par lui. Par un jugement du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris reconnaît l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique. Il juge que la carence partielle de l’Etat français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité. Si le jugement de première instance doit encore être confirmé jusqu'au conseil d'Etat, c'est déjà une excellente nouvelle pour les associations de protection des ouvrages hydrauliques menacés de destruction et pour les syndicats d'hydro-électricité: les entraves à la relance énergétique voire les démantèlements de sites producteurs par des administrations sous la tutelle du ministère de l'écologie pourront être poursuivies en justice sur cette base nouvelle. La priorité donnée au climat signifie que la destruction du patrimoine hydraulique, de son potentiel énergétique et de ses milieux aquatiques doit cesser.


En mars 2019, les associations Oxfam France, Notre Affaire à tous, Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France ont introduit des requêtes contentieuses afin de faire reconnaître la carence de l’Etat français dans la lutte contre le changement climatique, d’obtenir sa condamnation à réparer le préjudice écologique et de mettre un terme aux manquements de l’Etat à ses obligations (voir notre précédent article).

Dans son jugement rendu le 3 février 2021, le tribunal souligne d'abord que "le préjudice écologique invoqué par les associations requérantes doit être regardé comme établi", en rappelant les conclusions du GIEC et de  l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique. Le retard pris dans la baisse des émissions carbone accentue des impacts attendus :  accélération de la perte de masse des glaciers, aggravation de l’érosion côtière, risques de submersion, augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, tels que les canicules, les sécheresses, les incendies de forêts, les précipitations extrêmes, les inondations et les ouragans - "risques auxquels sont exposés de manière forte 62 % de la population française".

Le tribunal note ensuite que par ses engagements internationaux (convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, accord de Paris), européens (Paquet énergie climat) et nationaux (Charte de l'environnement dans la Constitution, diverses lois de programmation énergétique), l'Etat s'est engagé lui-même à des objectifs contraignants:
"Il résulte de ces stipulations et dispositions que l’État français, qui a reconnu l’existence d’une « urgence » à lutter contre le dérèglement climatique en cours, a également reconnu sa capacité à agir effectivement sur ce phénomène pour en limiter les causes et en atténuer les conséquences néfastes. À cet effet, il a choisi de souscrire à des engagements internationaux et, à l’échelle nationale, d’exercer son pouvoir de réglementation, notamment en menant une politique publique de réduction des émissions de gaz à effet de serre émis depuis le territoire national, par laquelle il s’est engagé à atteindre, à des échéances précises et successives, un certain nombre d’objectifs dans ce domaine." 
Le tribunal souligne que la France ne respecte pas les objectifs carbone qu'elle s'est fixée sur la période 2015-2018, le fait de fixer de nouveaux objectifs plus ambitieux à horizon 2030 n'étant pas de nature à justifier le non-respect des engagements déjà actés :
"la circonstance que l’État pourrait atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990 et de neutralité carbone à l’horizon 2050 n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité dès lors que le non-respect de la trajectoire qu’il s’est fixée pour atteindre ces objectifs engendre des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, qui se cumuleront avec les précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans, aggravant ainsi le préjudice écologique invoqué". 
Au final, les juges retiennent que :
  • l’Etat doit être regardé comme responsable d’une partie du préjudice dès lors qu’il n’a pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre,
  • les demandes de réparation pécuniaire des associations sont rejetées,
  • la réparation en nature du préjudice écologique est retenue, un supplément d’instruction est cependant prononcé, assorti d’un délai de deux mois fin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’Etat pour réparer le préjudice causé ou prévenir son aggravation,
  • le préjudice moral est reconnu avec versement de la somme d’un euro demandée par chacune des requérantes.
Notre commentaire
L'Etat français souffre d'un problème manifeste : il passe son temps à s'engager avec une haute ambition sur tous les sujets à la fois, en supposant que "l'intendance suivra" et que des moyens permettront de poursuivre tous ses objectifs en même temps. Pas de réflexion à long terme, pas de priorité, une accumulation de traités, directives, lois et règlements dans tous les sens. Au bout d'un moment, cette manière de gouverner ne tient plus et cogne dans le mur de la réalité : l'Etat est tenu par les actes auxquels il appose sa signature, il est l'objet de contentieux venant tant de l'Union européenne que de ses propres citoyens s'il ne respecte pas ses engagements. 

Dans le cas du climat, notre association et toutes ses consoeurs soulignent depuis 10 ans l'erreur manifeste et l'aberration intellectuelle consistant à mener une politique de démantèlement des barrages et usines hydro-électriques, de destruction et assèchement des retenues et des canaux, alors même que la prévention du réchauffement climatique et l'adaptation à ses effets exigent tout le contraire : préserver les ouvrages, équiper les ouvrages en production énergétique, améliorer les ouvrages en gestion de l'eau. 

Un Etat qui détruit le patrimoine hydraulique et le potentiel hydro-électrique de son pays en pleine phase de transition énergétique et adaptation climatique est devenu inaudible et illégitime. Nous appelons toutes nos consoeurs associatives et syndicales, tous les collectifs riverains, tous nos adhérents et sympathisants à s'engager pour la protection de sites hydrauliques menacés, à développer des projets de relances énergétiques et à promouvoir des rivières durables dans le cadre de la transition écologique. A la lueur de cette jurisprudence nouvelle, nous appelons également les fédérations nationales de moulins, les associations nationales de riverains et les syndicats de petite hydro-électricité à envisager avec nous l'ouverture d'un contentieux contre le ministère de la transition écologique et solidaire, dont les arbitrages sur les ouvrages en rivière aggravent la crise climatique et mènent à des résultats que le tribunal administratif de Paris vient de condamner. 

Source : jugements n°1904967, 1904668, 1904972, 1904976/4-1 du tribunal administratif de Paris, 3 février 2021