26/05/2025

Castor et humain, quels effets pour leurs petits barrages ? (Wohl et Inamdar 2025)

Alors que les castors sont réintroduits dans les cours d'eau de l'hémisphère nord et que la restauration des rivières s'oriente vers des analogues de barrages de castors construits par l'homme, il est pertinent de comparer les effets de ces structures naturelles avec ceux des petits barrages humains. Une étude récente publiée par Ellen Wohl et Shreeram Inamdar se penche sur cette question, comparant systématiquement les barrages de castors à quatre types de petits barrages humains afin d'évaluer leurs impacts respectifs sur les services écosystémiques.



Illustrations extraites de Wohl et Inamdar 2025, art cit.

La popularité croissante de la réintroduction des castors et de la construction d'analogues de leurs barrages (Beaver Dam Analogues - BDA) comme outils de gestion et de restauration des petites rivières soulève une question fondamentale : les petits barrages construits par l'homme, souvent dispersés dans le paysage (comme les barrages de moulins, les seuils de correction torrentielle ou les retenues agricoles), produisent-ils des effets écosystémiques similaires à ceux des barrages de castors ?. L'objectif principal de cette étude est de comparer systématiquement ces effets sur des processus clés tels que l'hydrologie, la dynamique des sédiments et des nutriments, l'habitat et la biodiversité, afin d'informer les gestionnaires et le public.

L'étude compare cinq types de petits barrages (<5m de haut en général):
  • Barrages de castors : Construits par Castor canadensis (Amérique du Nord) et Castor fiber (Eurasie). Ils sont souvent multiples, perméables, dynamiques, d'orientation variable et peuvent créer de vastes "prairies de castors" hétérogènes.
  • Analogues de barrages de castors (BDA) : Structures humaines conçues pour imiter les barrages de castors, souvent perméables. Leur usage est récent et vise la restauration.
  • Barrages de moulins : Historiquement construits pour l'énergie hydraulique, ils sont généralement imperméables. Beaucoup sont aujourd'hui en ruine ou ont été retirés.
  • Seuils de correction torrentielle (Check dams) : Utilisés pour contrôler l'érosion et stocker les sédiments, surtout en montagne et zones sèches. Ils peuvent être durables (béton, roche) ou temporaires (bois, fagots) et sont souvent construits en série.
  • Retenues collinaires / Étangs pour bétail (Stock ponds) : Remblais de terre construits en travers de petits cours d'eau (souvent éphémères) pour stocker l'eau, principalement en zones arides ou semi-arides. Ils sont généralement imperméables.
La comparaison s'effectue selon les effets de ces barrages sur:
  • Le bilan hydrique et la connectivité hydrologique tridimensionnelle (longitudinale, latérale, verticale).
  • Les sédiments.
  • La matière organique particulaire et le carbone.
  • Les nutriments (azote et phosphore).
  • L'habitat (diversité, abondance, connectivité).
  • Le biote (diversité et abondance des espèces).
L'analyse révèle des différences significatives entre les barrages de castors et les structures humaines, même si ce sont des moyennes masquant la nécessité d'analyse au cas par cas.

Hydrologie : Les barrages de castors et les BDA, grâce à leur perméabilité et leur structure, tendent à améliorer la connectivité hydrologique latérale (avec la plaine inondable) et verticale (échanges hyporhéiques, recharge de nappe) plus que les barrages humains imperméables..

Sédiments : Tous les barrages piègent les sédiments. Cependant, les barrages de castors et les BDA sont moins susceptibles de provoquer une érosion en aval, tandis que les barrages de moulins et les seuils peuvent entraîner une incision du lit. Les barrages de castors favorisent une aggradation de la plaine inondable.

Carbone et nutriments : Les barrages de castors créent des "points chauds" biogéochimiques. Ils favorisent généralement la séquestration du carbone  et la rétention/élimination de l'azote (N) et du phosphore (P), notamment via la dénitrification. Les barrages de moulins ont des effets complexes ; leurs sédiments peuvent stocker ou libérer N et P selon les conditions, et leur retrait peut entraîner des flux importants. Les données sont limitées pour les seuils et quasi inexistantes pour les stock ponds, bien que tous puissent potentiellement stocker C, N et P.

Habitat et biote : Les barrages de castors augmentent considérablement l'hétérogénéité des habitats (aquatiques, riverains) et, par conséquent, la biomasse et la biodiversité à l'échelle du paysage. Ils posent peu d'obstacles aux mouvements des organismes. Les BDA tentent de reproduire ces effets, mais avec un succès potentiellement moindre à ce jour. Les barrages humains, souvent imperméables et persistants, créent des habitats lentiques mais fragmentent fortement la connectivité longitudinale, limitant le passage des poissons. Ils peuvent parfois favoriser des espèces non natives.

L'étude conclut que les "prairies de castors" (complexes de multiples barrages) offrent les plus grands bénéfices écosystémiques. Les avantages des castors découlent de leur capacité à créer une mosaïque dynamique et hétérogène de barrages d'âges variés, perméables, qui maximisent la connectivité latérale et verticale, augmentant ainsi le stockage d'eau, de sédiments, de nutriments et de carbone, tout en favorisant la biodiversité. Les barrages humains, conçus pour être statiques et imperméables, n'offrent généralement pas la même complexité et les mêmes avantages écosystémiques, bien qu'ils puissent avoir une valeur locale (par exemple, habitat lentique rare, barrière aux espèces invasives).



Voici leur synthèse :

"Les barrages de castors, les analogues de barrages de castors, ainsi que les barrages de moulins et les seuils de correction torrentielle permettent à l'eau de s'écouler par-dessus le barrage, au moins pendant les hauts niveaux de la rivière. Les barrages de castors et les analogues de barrages de castors sont également susceptibles d'être au moins légèrement poreux et perméables et permettent ainsi un écoulement à travers le barrage. Les étangs de remblai sont typiquement des structures en terre et sont conçus pour être imperméables et résister au débordement. Les barrages humains sont couramment destinés à persister pendant des années, voire des décennies. Les barrages de castors individuels peuvent persister pendant des décennies mais sont plus susceptibles d'être utilisés seulement quelques années avant que les castors ne se déplacent vers un autre site dans le corridor fluvial. Une implication de cette fugacité est la présence de multiples barrages et étangs de castors abandonnés avec différents stades de remplissage et de qualité de l'eau qui augmentent l'habitat et la biodiversité. Les analogues de barrages de castors construits par l'homme, les barrages de moulins, les seuils de correction torrentielle et les remblais de terre sont destinés à créer un seul barrage avec une retenue d'eau, bien qu'il puisse y avoir plusieurs barrages en séquence le long d'un cours d'eau. Comme noté précédemment, les castors construisent des barrages avec diverses orientations par rapport à la direction générale aval, et beaucoup de ces barrages peuvent ne pas être sur le chenal principal. Les analogues de barrages de castors peuvent suivre ces motifs mais sont plus susceptibles d'être similaires aux autres barrages construits par l'homme en ce qui concerne leur présence en séquence sur le chenal principal. Comme noté concernant le passage des poissons, les barrages de castors sont plus susceptibles que les barrages construits par l'homme (à l'exception des analogues de barrages de castors) d'avoir des chenaux secondaires qui contournent le barrage et fournissent une connectivité hydrologique de surface au sein du corridor fluvial.

Un effet des barrages de castors avec une orientation et un emplacement variables est d'augmenter substantiellement la fragmentation (patchiness) du corridor fluvial. Les fragments (patches) sont des unités spatiales discrètes qui diffèrent des unités adjacentes. La fragmentation du corridor fluvial décrit l'hétérogénéité spatiale tridimensionnelle du corridor. Différents critères peuvent être utilisés pour délimiter les fragments. Dans les corridors fluviaux, les fragments diffèrent généralement en fonction de la topographie et de la communauté végétale, ce qui reflète l'histoire géomorphologique de l'érosion et du dépôt fluviaux, la granulométrie, l'humidité du sol et le temps de résidence du substrat sous-jacent. Les perturbations telles que les inondations et les incendies modifient la distribution des fragments dans le temps, comme l'exprime la mosaïque d'habitats changeante. La fugacité des barrages de castors individuels peut également créer une mosaïque d'habitats changeante, en particulier dans une prairie de castors.

Les barrages construits par l'homme autres que les analogues de barrages de castors sont susceptibles d'entraver le passage des poissons. Hart (2004), par exemple, a décrit des pêcheurs obtenant une législation pour retirer ou modifier les barrages de moulins qui empêchaient les poissons migrateurs d'atteindre leurs frayères dans l'Amérique du 18ème siècle. Cependant, les retenues associées aux barrages humains peuvent bénéficier à d'autres types d'organismes aquatiques. Les étangs de bétail dans les régions relativement sèches sont couramment construits sur des chenaux éphémères ou intermittents, et les étangs varient d'intermittents à pérennes. Les organismes aquatiques peuvent ne pas être présents dans ces réseaux fluviaux, ou les étangs peuvent créer des bassins refuges et des habitats supplémentaires pour des espèces aquatiques telles que les invertébrés et les amphibiens, et pour les oiseaux aquatiques. Les étangs de bétail peuvent fournir des avantages écosystémiques là où l'utilisation consomptive de l'eau ou le changement climatique dans les zones arides a réduit l'abondance d'eau stagnante et de zones humides dans les corridors fluviaux. Les retenues de moulins, même dans les régions avec une eau de surface abondante (par exemple, l'Angleterre), peuvent fournir un habitat lentique rare le long des corridors fluviaux et soutenir des populations d'organismes tels que les amphibiens qui préfèrent un tel habitat. Les retenues de moulins peuvent fournir des avantages écosystémiques là où l'ingénierie des corridors fluviaux dans les régions plus humides a réduit la présence de corridors fluviaux-humides naturels.

Chacun des cinq types de barrages considérés ici peut altérer les corridors fluviaux et les réseaux fluviaux de manière persistante pendant des décennies, voire des millénaires. Tant que les barrages eux-mêmes restent intacts, ils peuvent entraver le passage aval des matériaux et, dans certains cas, les mouvements longitudinaux des organismes. Une fois les barrages rompus, les sédiments accumulés restants peuvent altérer la morphologie du corridor fluvial et l'habitat en amont du barrage, ainsi que l'approvisionnement en solutés et en matières particulaires (sédiments, matière organique) vers les parties aval du réseau fluvial. La Figure 7 illustre conceptuellement l'ampleur relative et les avantages de ces altérations persistantes. Bien que les évaluations des avantages et des coûts dans cette figure soient qualitatives, elles sont informées par les connaissances disponibles telles que reflétées dans les articles évalués par des pairs résumés ici. Ces évaluations nous amènent à classer les petits barrages du généralement plus bénéfique (prairies de castors avec plusieurs barrages) au moins bénéfique (barrages de moulins), reconnaissant que les prairies de castors peuvent ne pas être bénéfiques sur certains sites pour les infrastructures et les propriétés humaines dans le corridor fluvial, et que les barrages de moulins peuvent être bénéfiques sur certains sites où ils entravent la migration amont des espèces envahissantes ou fournissent un habitat lentique dans le corridor fluvial."




Discussion
Ce travail montre qu'il reste très difficile de faire des comparaisons informées sur les effets des ouvrages hydrauliques. Par exemple, les auteurs disent qu'une différence majeure entre barrage de castor et barrage d'humain est que le second est perpendiculaire au flot alors que le premier a une orientation variable. Mais en réalité, les chaussées de moulin sont loin d'être toutes perpendiculaires au lit qu'elles barrent. De même, leur caractère non franchissable par des espèces migratrices est discutable, il dépend de la dimension, de la forme et de l'ennoiement relatif de l'ouvrage en période de hautes eaux. En outre, il est dommage de ne pas avoir étudié les étangs piscicoles de lit mineur, qui sont aussi un usage très répandu.  Les auteurs soulignent eux-mêmes d'importantes lacunes dans la recherche:
  • Le manque d'études sur les effets des retenues sur les cycles du carbone et des nutriments.
  • La nécessité de bilans hydriques et de carbone complets à l'échelle des tronçons de rivière affectés par ces barrages.
  • Une meilleure compréhension des effets des barrages de moulins sur l'hydrologie souterraine.
  • L'évaluation des effets cumulatifs de multiples petits barrages à l'échelle du bassin versant.
  • Le besoin de comparaisons plus directes entre les barrages humains et les barrages de castors concernant l'habitat et le biote.
Nous pourrions ajouter que, dans une logique non-naturaliste, les services écosystémiques ne se limitent pas aux effets sur les cycles naturels : les barrages humains ont évidemment l'avantage pour toutes les fonctions spécifiques qu'ils remplissent (fourniture d'énergie et d'eau, agrément culturel et paysager, usages ludiques et autres). 

On retiendra finalement de ce passage en revue par Ellen Wohl et Shreeram Inamdar que les ouvrages de moulins ont bel et bien certains avantages écosystémiques comparables à d'autres barrages naturels. Le principal défaut avancé est la rupture de continuité écologique longitudinale.

Référence : Wohl E, Inamdar S (2025), Beaver versus Human: The big differences in small dams, Wiley Interdisciplinary Reviews: Water, 12, e70019.

23/05/2025

La loi dit non, l’administration passe outre et le Conseil d'Etat valide…

Le code de l’environnement interdit explicitement les destructions d’ouvrages hydrauliques en rivières classées liste 2 de continuité écologique, mais le Conseil d’État valide le financement préférentiel de ces chantiers sur argent public. Un paradoxe juridique qui interroge la portée réelle de la volonté parlementaire aujourd'hui. Notre association et la FFAM ont maintenu un autre contentieux sur le même thème pour pousser le Conseil d'Etat à préciser comment un choix condamné par la loi peut se retrouver encouragé par une administration. Ce qui est, in fine, une vision curieuse de l'état de droit. Et une posture jugée méprisante par les riverains, qui n'apaisera pas les critiques nombreuses contre les choix de l'administration de l'eau. 


Le 25 mars 2025, le Conseil d'État a rendu une décision concernant les programmes pluriannuels d'intervention (PPI) des agences de l'eau, notamment en ce qui concerne le financement de la destruction d'ouvrages hydrauliques dans le cadre de la continuité écologique.

Contexte
Les agences de l'eau élaborent des PPI pour orienter leurs actions et financements en matière de gestion de l'eau. Ces programmes peuvent inclure des mesures visant à restaurer la continuité écologique des cours d'eau, notamment par la suppression ou l'aménagement d'ouvrages hydrauliques entravant la libre circulation des espèces aquatiques et le transport des sédiments.

Décision du Conseil d'État
Dans cette affaire, des requérants (dont Hydrauxois et la FFAM) contestaient la légalité d'un PPI de l'agence de l'eau Loire-Bretagne, arguant que le financement de la destruction d'ouvrages hydrauliques, tels que des moulins fondés en titre, était illégal, notamment au regard de la loi climat et résilience de 2021 ayant modifié le code de l'environnement, et en particulier les principes de mise en oeuvre de la continuité écologique.

Le Conseil d'État a rejeté ces arguments, confirmant que :
  • La légalité d'un PPI ne peut être remise en cause par une éventuelle illégalité du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) auquel il se réfère.
  • Le PPI peut légalement prévoir le financement de la destruction d'ouvrages hydrauliques dans le cadre de la restauration de la continuité écologique, y compris pour des moulins fondés en titre, dès lors que ces actions ne sont pas rendues obligatoires et respectent les droits des propriétaires.
Le paragraphe est pour le moins lapidaire, sinon obscur :
"Les dispositions de l'article L. 214-17, dans leur rédaction tant antérieure que postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 22 août 2021 précitée, ont pour objet de définir deux listes classant les cours d'eau en fonction de leur état écologique et des objectifs de continuité qui leur sont assignés et de fixer les obligations qui en résultent pour les propriétaires d'ouvrages implantés sur ces cours d'eau. En jugeant que ces dispositions, tout comme celles de l'article L. 214-18-1 qui y renvoient, ne pouvaient utilement être invoquées à l'encontre de la délibération de l'agence de l'eau du 4 octobre 2018 qui, approuvant son onzième programme d'intervention, n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier les critères de fixation de ces listes, non plus que les obligations qui incombent aux propriétaires des ouvrages concernés en vue de permettre la circulation des poissons migrateurs et le transport suffisant des sédiments, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt et ne s'est pas méprise sur la portée des écritures des requérants, n'a pas commis d'erreur de droit."

Cette décision confirme la possibilité pour les agences de l'eau de soutenir financièrement des opérations de suppression d'ouvrages hydrauliques, tout en soulignant l'importance de respecter les droits des propriétaires et de ne pas imposer de telles mesures de manière systématique.

Implications
L’arrêt du Conseil d’État du 25 mars 2025, qui valide la possibilité pour les agences de l’eau de financer la destruction d’ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique, soulève toujours selon nous une question de cohérence juridique. En effet, l’article L.214-17 du code de l’environnement, dans son 2°, dit clairement à propos des ouvrages sur rivières en liste 2 (contraignante) de continuité écologique: 
"Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des moulins à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages."
Or, l’arrêt du Conseil d’État semble admettre une lecture étonnamment souple, en tolérant les financements dès lors qu’ils reposent par exemple sur une démarche "volontaire" du propriétaire, comme l'avaient relevé le tribunal et la cour d'appel. Cette interprétation fragilise l’intention initiale du législateur, qui visait à protéger durablement ces ouvrages. Et d'où l'argent public devrait-il aider une démarche "volontaire" allant à l'encontre de la norme démocratiquement choisi? C’est pourquoi notre association (avec la FFAM) a engagé une procédure similaire contre le programme pluriannuel d’intervention de l’agence de l’eau Seine-Normandie. L’objectif est de porter à nouveau ce débat devant la juridiction suprême afin qu’elle précise, de manière plus argumentée, le fondement et les limites de cette jurisprudence.

Au-delà du cas particulier des ouvrages hydrauliques, cette lecture jurisprudentielle soulève une question plus large qui traverse aujourd’hui de nombreux débats : celui de l’état de droit. Le Parlement a clairement inscrit dans la loi une volonté de protection, mais l’administration en propose une lecture contraire et la juridiction administrative la valide. Face à ce décalage entre la lettre du texte voté et l’interprétation appliquée, que reste-t-il du sens démocratique de la norme? Le mouvement des ouvrages hydrauliques doit travailler à que la parole du législateur soit respectée. Si besoin, il faudrait bien traiter à la source le problème en changeant encore la loi et en précisant, cette fois sans déformation possible, que la continuité écologique doit se soumettre et non s'imposer aux autres priorités de l'eau. 

Quant aux administrations de l'eau, en décalage manifeste avec l'opinion majoritaire sur ce sujet, elles devraient songer à réviser une politique publique qui soulève de manière permanente et depuis 20 ans tant de contestations. 

Errare humanum est, perseverare diabolicum...

Source : Conseil d’État, 25 mars 2025, arrêt n° 487831

21/05/2025

Victoire en appel pour la centrale hydroélectrique de la Sallanche

Le 14 mai 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a rendu une décision favorable à la Régie de Gaz et d’Électricité de Sallanches (RGE) dans l’affaire du projet de centrale hydroélectrique sur la rivière la Sallanche, en Haute-Savoie. Ce jugement annule la décision du tribunal administratif de Grenoble, qui avait précédemment rejeté le projet en décembre 2022. Alors que certains acteurs continuent de s’opposer par principe aux ouvrages hydrauliques, la justice administrative tranche en faveur d’un projet localement maîtrisé, respectueux des normes écologiques. Le cas de Sallanches pourrait faire école pour les autres projets d’énergie hydro-électrique dans les territoires.


La petite centrale hydro-électrique objet du contentieux, photo RGE, droits réservés.

Le projet de centrale, porté par la RGE depuis 2018, prévoit une prise d’eau en amont du pont de la Flée, reliée à une centrale en contrebas par une conduite forcée enterrée de 4,1 km. L’arrêté préfectoral du 26 décembre 2019 avait autorisé sa réalisation et déclaré d’utilité publique l’établissement d’une servitude associée.

Ce projet a été attaqué par l’association France Nature Environnement (FNE) Auvergne-Rhône-Alpes, qui a obtenu gain de cause en première instance. Le tribunal administratif de Grenoble avait jugé que l’ouvrage portait atteinte à la continuité écologique de la rivière, classée en liste 1 et en réservoir biologique, et avait ordonné sa remise en état.

Les arguments avancés en appel
En appel, la RGE et le ministère de la Transition écologique ont contesté cette annulation, faisant valoir notamment :
  • que le débit réservé de 80 l/s (supérieur au seuil réglementaire de 40 l/s) garantissait le maintien de la vie piscicole et respectait les prescriptions de l’article L.214-18 du code de l’environnement ;
  • que l’impact sur l’hydrologie du réservoir biologique n’était pas démontré de manière suffisante ;
  • que les dispositifs prévus assuraient la continuité piscicole et le transport sédimentaire ;
  • que les procédures d’instruction et les études d’impact avaient été correctement menées, malgré les critiques de FNE.
De son côté, FNE a maintenu que le projet méconnaissait plusieurs dispositions du droit de l’environnement, portait atteinte à la biodiversité locale et n’était pas compatible avec les orientations des documents de gestion de l’eau.

La décision de la cour administrative d’appel
La cour a estimé que les éléments avancés par la RGE et le ministère étaient suffisamment fondés pour considérer que le projet :
  • ne portait pas atteinte de manière substantielle à la continuité écologique de la Sallanche ;
  • respectait les exigences réglementaires en matière de débit minimal, d’étude d’impact et de préservation des espèces protégées ;
  • entrait dans les dérogations admissibles prévues par les plans de prévention des risques naturels (PPRN) des communes concernées ;
  • ne nécessitait pas de dérogation spéciale pour les espèces protégées, les mesures d’évitement et de compensation étant jugées suffisantes ;
  • poursuivait une finalité d’intérêt public en contribuant à la production d’électricité renouvelable pour environ 2 800 foyers.
En conséquence, la cour a annulé le jugement du tribunal administratif et validé l’arrêté préfectoral. FNE a en outre été condamnée à verser 2 000 euros à la RGE au titre des frais de justice.

Une décision qui marque peut-être un tournant
Cette décision de la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit dans un contexte où l’opinion publique semble de plus en plus réceptive à une écologie de terrain, pragmatique, éloignée des postures dogmatiques. Le harcèlement juridique systématique mené par certains lobbies contre tout projet hydraulique – y compris ceux portés par des acteurs publics locaux, avec des objectifs de transition énergétique – a fini par produire l’effet inverse : une remise en question de leurs positions radicales.

Dans le cas des ouvrages hydroélectriques comme celui de la Sallanche, c’est une version dévoyée de l’écologie qui se dévoile, incapable de reconnaître les multiples services rendus par ces aménagements : production d’énergie renouvelable locale, soutien aux réseaux, maintien d’un débit d’étiage, respect de la continuité écologique par des aménagements intégrés. S’acharner à empêcher leur déploiement revient à priver les territoires de solutions concrètes face à la crise climatique.

Il faut désormais espérer un changement de culture dans la gestion de l’eau : un changement qui dépasse les jurisprudences ponctuelles - ici, le conseil d'Etat ou la cour européenne de justice peuvent encore être saisis par les plaignants - pour bouger les normes, les pratiques administratives et les arbitrages publics. La loi française et européenne, la planification environnementale, les subventions publiques, les procédures d’autorisation devraient cesser de décourager systématiquement les initiatives hydrauliques au nom d’une lecture rigide et dogmatique de la continuité écologique, au bénéfice d’une approche plus équilibrée, plus territorialisée, et surtout plus tournée vers l’avenir.

Source (pdf) : Cour administrative d’appel de Lyon, 3e chambre, 14 mai 2025, n° 23LY00401 et n° 23LY00426 

20/05/2025

Des millions d’euros de gabegie pour la destruction du patrimoine hydraulique de Figeac

Alors que les collectivités locales sont invitées à faire preuve de rigueur budgétaire et d'un usage responsable des ressources publiques, la ville de Figeac s’engage dans un projet démesuré et contesté de continuité écologique. Il s’agit de la destruction complète du site hydraulique du Surgié, pourtant emblématique du paysage figeacois et encore fonctionnel. Ce projet, qui pourrait approcher les 10 millions d’euros de dépenses publiques cumulées, est aujourd’hui contesté tant sur le plan démocratique que juridique.


Un patrimoine emblématique voué à disparaître
Le site du Surgié, situé sur les rives du Célé, est un espace de loisirs, de mémoire et de services. Il comprend un seuil (doté d’un clapet mobile), une digue filtrante, une prise d’eau potable (captage de Prentegarde), un moulin, un plan d’eau aménagé et des berges fréquentées par les promeneurs. Ce système hydraulique, modifié dans la seconde moitié du XXe siècle, stabilise le niveau de la rivière, alimente le captage d’eau et structure tout un pan du paysage urbain. Il a un potentiel de production hydro-électrique non négligeale, quoique sous-estimé (volontairement) par les services de l'Etat. 

En avril 2024, la municipalité a annoncé lors d’une réunion publique son intention de détruire entièrement cet aménagement : arasement du seuil, suppression de la digue, suppression du plan d’eau, reméandrage du cours du Célé, déplacement de la prise d’eau, renforcement de berges et création d’un parcours piéton sur plus de 13 hectares. Dans la foulée, un premier marché public a été lancé, sans véritable concertation ni évaluation indépendante des alternatives.

Un déni de démocratie environnementale
La décision d’engager ce vaste chantier a été prise sans débat préalable avec les riverains, sans étude comparative sérieuse des autres options, et sans véritable enquête publique. En mars 2025, le préfet de région a même décidé de dispenser le projet d’évaluation environnementale, considérant qu’il n’aurait pas «d’incidences notables».

C’est cette décision que l’association Hydrauxois, avec Les Moulins du Quercy et les Figeacois Vigilants, conteste aujourd’hui dans un recours gracieux envoyé au préfet. En effet, plusieurs éléments montrent que cette dispense est manifestement infondée :
  • Le site est situé dans une zone naturelle à forte biodiversité (ZNIEFF), fréquentée par des espèces protégées : oiseaux, poissons, amphibiens, loutres.
  • Les travaux auront lieu dans le lit de la rivière, impliquant forages, terrassements, enrochements, et démolition lourde.
  • Le risque d’inondation pourrait être aggravé, notamment par l’érosion régressive et la perte des effets tampons de la retenue.
  • Le plan d’eau actuel agit comme puits de carbone et zone refuge en cas d’étiage, des fonctions devenues vitales face au dérèglement climatique.
De plus, la surface d’intervention dépasse les 10 hectares, ce qui, selon la réglementation (rubrique 39 de la nomenclature environnementale), impose une évaluation environnementale systématique. Le recours rappelle que l’autorité préfectorale ne pouvait se limiter à un simple «examen au cas par cas».

Un contournement légal et des effets sous-évalués
Le courrier adressé au maire de Figeac par l’avocat de l’association rappelle que cette dispense d’évaluation constitue un vice de procédure majeur. Elle revient à contourner les obligations d’étude d’impact alors même que les travaux modifient profondément l’équilibre écologique, le régime hydrologique et les usages locaux. Un permis d’aménager est prévu ; la nomenclature environnementale exige dans ce cas un examen global.

Ce type de projets – présentés comme de la "renaturation" mais dissimulant une artificialisation – prolifère dans de nombreuses communes. Or, ici comme ailleurs, l’absence de débat démocratique, d’expertise contradictoire et de prise en compte des effets cumulatifs (plusieurs seuils ont déjà été détruits dans le bassin du Célé) est alarmante.



Ce que nous demandons
Hydrauxois, aux côtés des citoyens mobilisés, ne s’oppose pas à toute évolution du site, mais à la brutalité, à l’unilatéralité et à l’impréparation de la démarche actuelle. Pour un projet mobilisant près de 10 millions d’euros issus de l'agence de l’eau, de l’État, de la commune, de la région et de l’Europe, il est légitime d’exiger :
  • Une comparaison sérieuse des scénarios (entretien, modernisation, reconfiguration douce…)
  • Une étude d’impact complète, publique et contradictoire
  • Une vraie concertation locale, prenant en compte les usages, la biodiversité, l’histoire et les besoins futurs
  • Une cohérence climatique, en reconnaissant le rôle des retenues d’eau dans l’atténuation des sécheresses et de crues, la régulation du carbone, ainsi que l'urgence de développer l'hydro-électricité sur les sites existants
  • Une gestion responsable de l’argent public, à l’heure où les collectivités sont en tension financière
Le projet du Surgié ne doit pas devenir un exemple de plus de pseudo-écologie technocratique et déconnectée, sans lien aux urgences réelles de l'eau. Nous appelons tous les citoyens de Figeac et des environs à se mobiliser, à rejoindre les actions en cours et à demander un moratoire immédiat sur les travaux tant qu’une étude environnementale complète n’aura pas été menée.

18/05/2025

Une victoire judiciaire majeure pour l’étang de Bussières

La cour administrative d’appel de Lyon donne raison à l’association Hydrauxois : les travaux de destruction de l’étang ont été réalisés en violation manifeste du droit de l’environnement. Le préfet est désormais tenu de mettre en demeure la Fédération de pêche de l’Yonne de régulariser sa situation.

Destruction illégale d'un étang, lit colmaté sur plusieurs kilomètres, atteinte aux espèces protégées comme les moules, assèchement des marges humides de l'étang sans aucune étude d'impact... ces pratiques ont été couvertes par les services de l'Etat et la fédération de pêche, pourtant prompts à donner des leçons d'écologie à tout le monde. Hydrauxois mènera la procédure à son terme.

Rappel de la procédure
En 2017-2018, la Fédération de pêche de l’Yonne entreprend la vidange puis la destruction de la digue de l’étang de Bussières, situé sur la rivière la Romanée, sans déposer de dossier d’autorisation environnementale ni réaliser la moindre enquête publique. Ces travaux ont été subventionnés par l'argent public (agence de l'eau). L’administration valide ce chantier en trois temps : une dispense d’autorisation pour la vidange (10 octobre 2017), une autorisation pour travaux urgents sur la digue (5 décembre 2017) et un récépissé de déclaration pour la destruction de la digue (13 mars 2018). L’association Hydrauxois conteste ces décisions devant le tribunal administratif de Dijon, qui rejette sa requête en 2019. L’appel est rejeté en 2021, mais le Conseil d’État casse cette décision en 2024 et renvoie l’affaire à la cour d’appel de Lyon.

Décision de la cour d’appel de Lyon (14 mai 2025)
La cour administrative d’appel de Lyon donne entièrement raison à l’association Hydrauxois sur le fond.

Elle constate que les travaux réalisés constituaient une seule et même opération (effacement de l’étang) et dépassaient les seuils de la nomenclature IOTA pour :
  • la modification du lit mineur sur plus de 100 m (rubrique 3.1.2.0),
  • la destruction de frayères (3.1.5.0),
  • l’assèchement d’une zone humide de plus d’un hectare (3.3.1.0).
Elle juge que l’administration aurait dû exiger une demande unique d’autorisation et non valider ces travaux par des décisions éclatées et irrégulières.

Elle annule le jugement de première instance ainsi que les trois décisions préfectorales de 2017 et 2018.

Elle enjoint au préfet de l’Yonne de mettre sous un mois la Fédération de pêche en demeure de déposer un dossier complet de demande d’autorisation environnementale, sur la base de la législation en vigueur en 2018.

Enfin, elle condamne l’État à verser 2 000 € à Hydrauxois au titre des frais de justice.

Suite donnée par Hydrauxois
Fort de cette victoire, Hydrauxois engage plusieurs suites concrètes :
  • Un courrier au préfet sera adressé pour rappeler la gravité de la faute des services de l’État, l’exigence d’une exécution rapide de la mise en demeure, demander la remise en état du site.
  • Une relance de la plainte pénale contre la Fédération de pêche de l’Yonne sera déposée auprès du procureur de la République d’Auxerre pour travaux en rivière sans autorisation.
Cette décision marque une étape importante pour la défense des patrimoines hydrauliques et la bonne application du droit de l’environnement. Elle rappelle qu’aucune politique, fût-elle écologique, ne peut s’exonérer des règles élémentaires de légalité.