23/02/2016

Questions sur la politique des ouvrages hydrauliques du Sicec

Outre les problèmes réglementaires d'effacement d'ouvrages sur simple déclaration et sans abrogation préalable du droit d'eau, la politique du Sicec (Seine amont en région châtillonnaise) sur les ouvrages hydrauliques a besoin de quelques clarifications. Nous le montrons ici encore à travers trois chantiers mis en avant sur le site du syndicat. De nombreuses questions se posent. Quels sont les bénéfices réels (mesurés, objectivés, quantifiés) de ces chantiers sur les milieux? Le Sicec peut-il montrer qu'il propose au moins autant d'aménagements que d'effacements, c'est-à-dire qu'il n'obéit pas sans réflexion au dogme de la destruction des seuils et barrages notoirement promu par l'Agence de l'eau Seine-Normandie et l'Onema? Des missions essentielles comme la prévention des crues, et inondations, la protection des berges et ripisylves, la lutte contre les pollutions, la valorisation des territoires par leur rivières et plans d'eau sont-elles déjà assurées avec un tel degré de satisfaction que l'on peut se permettre de dépenser pour démanteler jusqu'à la dernière pierre le petit patrimoine rural? Ces questions, nous les posons aux animateurs du syndicat comme aux élus de son Comité syndical. Tout le monde vante la "démocratie de l'eau" : alors créons de vrais débats démocratiques, et publions d'abord les faits et chiffres qui permettent la tenue correcte de ces débats.

Sur le site du Contrat Sequana géré par le Sicec (syndicat intercommunal des cours d'eau du Châtillonais), nous lisons les assertions suivantes : "Le programme de travaux du SICEC continue, dans les semaines à venir, 3 seuils en état de dégradation avancée seront démontés et les sites réaménagés. Le seuil des Ecuyers sur la commune de Chatillon sur Seine ; le seuil de la scierie de Cosne ; le seuil du « vieux moulin » de Beaunotte". Le site donne trois photos des ouvrages, voir capture d'écran ci-dessous. Cette attitude du Sicec continue de poser problème.

Si les ouvrages sont en "dégradation avancée", voire en "état de ruine" (titre), dénués de leurs vannes, de taille modeste, ils ne représentent pas d'impact majeur en terme de continuité écologique puisqu'ils n'entravent ni le transit sédimentaire ni le franchissement piscicole de manière significative. De même, ils ne posent pas de problème de sécurité. Dans ce cas, l'intervention sur ces seuils est une dépense d'argent public à peu près inutile, qui relève le cas échéant de l'acharnement à faire disparaître complètement les traces des ouvrages (y compris pertuis, radier ou culée, pas seulement les vannes). Vu la dimension modeste des trois ouvrages, on ne comprend pas l'obsession qu'il y a à les démanteler ainsi jusqu'à la dernière pierre, ni à mettre en valeur cette opération (c'est un des quatre articles de l'année 2015 sur le site du Contrat Sequana, on suppose donc qu'il n'est pas anodin pour le syndicat d'informer les citoyens sur ce chantier).

Si les ouvrages représentent en revanche un obstacle à l'écoulement au sens administratif, s'il est démontré que les espèces d'intérêt de la Seine ne peuvent les franchir, la situation est différente et leur mise aux normes dans le cadre du classement des rivières L 214-17 CE est exigible. Mais dans ce cas, les chantiers n'ont rien d'anodin et ne sauraient être bâclés. Le Sicec doit déposer un dossier complet d'autorisation (et non une déclaration) car les travaux de destruction de ces seuils modifient selon toute probabilité le profil de la rivière sur plus de 100 m de longueur (sinon, ils ne seraient pas des obstacles à l'écoulement), et peuvent occasionner divers troubles aux tiers et aux milieux propres à ce genre de chantiers (par exemple, pollution des eaux et colmatage des substrats dont frayères, par les sédiments remobilisés).

En d'autres termes, on ne peut pas jouer sur les 2 tableaux : prétendre d'un côté que ce sont des seuils présentant un impact important sur les milieux et justifiant une dépense, prétendre d'un autre côté qu'une simple déclaration suffit car les ouvrages ruinés sont quasi-inexistants. Enfin, "dégradation avancée" ou pas, le Préfet  doit publier des arrêtés de déchéance du droit d'eau ou du règlement d'eau de ces ouvrages, puisqu'ils sont légalement autorisés et que les droits des tiers doivent être préservés dans le cadre de leur consistance légale.

Plus globalement, il existe des centaines de seuils en zones classées au titre de la continuité écologique sur la Seine, l'Ource et leurs nombreux petits affluents de tête de bassin. Certains de ces seuils ont des dimensions autrement plus importantes que les 3 ouvrages offerts à la destruction par le Sicec. Cela pose de nombreuses questions.
  • Pourquoi dépenser l'argent public sur des seuils manifestement modestes et sans grand effet hydrodynamique ou hydrobiologique, alors même qu'il y a tant de besoins d'aménagement sur des barrages plus conséquents, et que nous savons tous que ni les propriétaires ni les communes ne sont solvables à hauteur des coûts exorbitants des mises aux normes de la continuité écologique?
  • Si le Sicec, les financeurs de l'Agence de l'eau Seine-Normandie et les ingénieurs de l'Onema ont réellement la qualité des milieux en tête, où sont consultables leurs études de modélisation du bassin versant sequanien montrant qu'ils agissent réellement sur les sites prioritaires pour ces milieux, avec des gains mesurés sur des linéaires d'intérêt, et non pas dans un saupoudrage obscur de petites opérations superficielles, discontinues et sans grand effet?
  • Si ces opérations sont vraiment importantes pour les milieux, où sont les relevés de qualité biologique des eaux avant / après et les analyses coûts-avantages montrant que la dépense publique s'est traduite par des gains justifiés au regard de l'intérêt général des riverains comme du respect des obligations réelles de la France vis-à-vis des  différentes directives européennes? Le seul exemple d'Essarois n'était pas vraiment convaincant sur le bénéfice halieutique issu d'une dépense publique conséquente, pas plus au demeurant que l'effacement de Nod-sur-Seine sur un tronçon à la qualité piscicole déjà bonne, voire excellente au regard des critères européens de contrôle DCE 2000…
Enfin, un syndicat de rivière a de nombreuses missions car les rivières ont de nombreux enjeux : prévention des crues et inondations, protection des berges et des ouvrages d'art, gestion des embâcles et atterrissements, entretien des ripisylves, lutte contre les pollutions diffuses en eau courante et en nappe, agrément paysager au service des communes adhérentes…
  • Ces missions, et tant d'autres sont-elles correctement assumées pour toutes les communes adhérentes du syndicat ? 
  • Y a-t-il un budget à ce point confortable que l'on peut se permettre de dépenser de l'argent à détruire le petit patrimoine technique et rural du Châtillonnais, ce qui suppose au préalable que les besoins essentiels pour la rivière et les riverains sont déjà tous satisfaits? 
Nous souhaitons que les élus portent nos interrogations au syndicat.

PS : le Sicec a été créé le 29 décembre 2010 par arrêté préfectoral. Nous avons demandé par courrier électronique (et nous demandons publiquement ici) à l'équipe dirigeante de nous donner les statistiques des travaux supervisés ou organisés par le syndicat dans le domaine précis de la continuité écologique appliquée aux ouvrages hydrauliques, pour les années 2011-2015. A savoir, dans les 5 ans écoulés:
  • nombre total de chantiers réalisés sur ouvrages; 
  • répartition des solutions choisies (dérasement, arasement, dispositif de franchissement, gestion des vannes, statu quo); 
  • hauteur de chaque ouvrage et coût total du chantier (y compris coût de l'étude préalable et du suivi post-intervention si pertinent). 
Sans cette élémentaire transparence qui doit caractériser toute action publique, il sera impossible d'avoir une vision d'ensemble de la stratégie du syndicat en continuité écologique et gestion des ouvrages, du caractère équilibré de ses choix et de leurs coûts pour la collectivité. Nous nous engageons bien sûr à publier les chiffres qui nous seront communiqués.

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21/02/2016

La continuité écologique comme voie de fait? Le scandale de l'effacement de Nod-sur-Seine continue

L'effacement de l'ouvrage Floriet à Nod-sur-Seine n'avait aucun intérêt écologique. Il a en revanche un certain intérêt juridique : effectué sur simple déclaration, sans aucune protection particulière pour les milieux, sans que le droit d'eau ait été préalablement annulé par arrêté préfectoral, il témoigne de la grande légèreté procédurale du syndicat et de l'administration dès lors que l'on détruit le patrimoine hydraulique. Interpellée en novembre dernier, la DDT 21 nous a répondu trois mois plus tard. Nous sommes en désaccord complet avec les termes de cette réponse.  Quand on sait comment les maîtres d'ouvrage sont actuellement assommés par les moindres détails dès qu'ils veulent entretenir ou rénover leur bien, on ne peut qu'être indigné par le double standard de l'administration : aucune mesure, aucune preuve, aucune démonstration ne nous est opposée, alors que plusieurs témoins ont constaté les centaines de mètres de profil en long modifié sur la Seine et que nous avons pris le temps de formaliser un rapport détaillé. Nous portons donc l'affaire au Préfet et à la Ministre, en attendant de la porter devant juridiction s'il y a matière contentieuse. 

Nous avions exposé au service de Police de l'eau de la DDT 21 les problèmes entourant l'effacement de l'ouvrage Floriet à Nod-sur-Seine, opération par ailleurs inutile au plan des milieux (impact faible,  IPR de la rivière indiquant une qualité bonne ou excellente, vannes déjà retirées par le syndicat Sicec). En particulier, nous avions devant témoins pris un certain nombre de mesures sur site montrant que, de toute évidence, le chantier de destruction avait entraîné une modification du profil de la rivière sur environ 500 m, ce qui aurait dû impliquer une autorisation, une étude d'impact et une enquête publique. Mais le syndicat Sicec a agi sur simple déclaration.

Nous avons reçu la réponse de la DDT 21, que l'on peut consulter sur ce lien.

Il est fait état d'une visite sur site le 20 janvier 2016 constatant un "processus d'érosion latérale sur une centaine de mètre à l'amont", sans aucun élément de preuve (ni photographie, ni relevé, ni mesure). Ce constat est rapporté à l'article L 211-1 CE, qui n'est pas le texte réglementaire que nous avons invoqué dans notre requête (mais bien le R 214-1 CE sur les dossiers IOTA et le R 214-6 CE sur les autorisations). Ce constat ne répond pas non plus à nos observations ni basiquement à notre demande, qui concerne la méthode choisie par la Sicec et la police de l'eau pour définir le profil en long au droit de l'ouvrage à effacer.

De la même manière, le courrier affirme que "la remobilisation des sédiments s'est opérée de manière naturelle et dans des volumes peu importants". Là encore, ce sont de simples affirmations sans quantifications, qui ne répondent pas à notre demande sur une éventuelle analyse chimique de ces sédiments remobilisés (ni de leur volumétrie).

Enfin, le courrier admet que l'arrêté préfectoral d'abrogation du droit d'eau de l'ouvrage n'est toujours pas paru : en d'autres termes, on a détruit un ouvrage légalement installé (au sens du L 214-6 CE). Sauf erreur, cela s'appelle une voie de fait.

Donc pour résumer, la DDT 21 admet que le Sicec a :
  • effacé un ouvrage ayant encore une existence légale au moment de sa destruction;
  • modifié le profil en long et en travers de la rivière sans document exposant la mesure de cette modification,
  • remobilisé des sédiments en quantité inconnue sans analyse chimique de leur contenu ni analyse biologique de leurs effets sur les milieux,
  • le tout sur une rivière dont l'IPR (point de mesure adjacent au chantier) était de bonne qualité au sens de la DCE 2000. 
Connaissez-vous un seul propriétaire d'ouvrage hydraulique qui pourrait se permettre une telle légèreté dans ses travaux en lit mineur? Nous, non.

Bien entendu, cette réponse n'est pas acceptable. La DDT ne règle aucune question de fond lié à cet effacement (évaluation du profil, des sédiments, des frayères, des risques pour les milieux), pas plus qu'elle nous ne transmet le dossier de demande du Sicec (lequel refuse de son côté de nous répondre, montrant le peu d'estime qu'il a pour les riverains dès lors qu'ils interrogent ses pratiques). Dans toute cette affaire, il n'y a pas le commencement du début d'une démonstration sur l'un des points essentiels pour l'interprétation de la règlementation, à savoir la zone d'influence de l'ouvrage et de son effacement, qui définit soit une déclaration (moins de 100 m de linéaire) soit une autorisation (plus de 100 m).

En conséquence :
  • nous allons saisir M. le Préfet et Mme la Ministre de l'Ecologie, ainsi que nos élus locaux, de cette affaire qui témoigne de notre point de vue de la partialité et de la subjectivité du contrôle administratif, du caractère bâclé des effacements d'ouvrage et du mépris dans lequel on tient la concertation avec les associations de riverains et propriétaires;
  • nous allons demander de recevoir l'ensemble des déclarations administratives du Sicec relatives aux projets d'effacements votés en réunion syndicale ou inscrits dans la DIG du 11 juin 2015 (ainsi que les relevés des mesures prévues à l'article 17 de cette DIG) ;
  • nous confions bien entendu l'ensemble des éléments de cette procédure à notre avocat qui, selon les réponses de Mme la Minitsre, de M. le Préfet et du syndicat, décidera des suites à donner.


Rappelons pour conclure ce qui est le lot quotidien de notre action associative :
  • les propriétaires d'ouvrages hydrauliques font l'objet de demandes extrêmement méticuleuses et parfois exorbitantes dès qu'ils veulent curer leur bief ou leur retenue, entretenir leurs vannes, restaurer leurs seuils ou modifier leurs turbines, mais à côté de cela, le syndicat Sicec détruit un ouvrage ayant encore son droit d'eau et modifie 500 m de profil sur une simple déclaration. Et M. le Sous-Préfet de Montbard osait nous parler de "l'impartialité de l'Etat" sur ces questions : cette impartialité n'existe plus sur les questions environnementales liées aux rivières, et cette dérive de l'Etat de droit ne prépare certainement pas des rapports pacifiés entre les riverains, l'administration et les syndicats  ;
  • quand on demande des documents aux fédérations de pêche (exemple du rapport sur l'Ource de la fédé 21), aux syndicats (exemple des documents afférents à Nod-sur-Seine au Sicec), aux Agences de l'eau (exemple des relevés DCE 2000 sur le bassin), il faut dans beaucoup de cas plusieurs courriers, parfois des menaces d'aller à la CADA pour obtenir ces pièces publiques relatives à l'environnement auxquelles tout citoyen devrait avoir accès sur simple demande;
  • nous avons réclamé à la DDT 21 dès février 2013, à l'occasion de la parution de notre premier rapport sur la continuité écologique en Côte d'Or,  la tenue d'une vraie concertation sur la continuité (avec tout le monde autour de la table – DDT, Onema, Dreal, Agences, propriétaires, associations), mais elle n'est jamais venue, malgré plusieurs relances à la Préfecture ;
  • nous n'avons pas plus été conviés aux réunions de concertation sur la nouvelle cartographie des cours d'eau lancée en 2015, de sorte que si les biefs y sont inclus par l'administration, c'est encore par le contentieux qu'il faudra agir, faute d'une concertation digne de ce nom.
Cette attitude vis-à-vis des citoyens engagés dans l'action associative est antidémocratique, hautaine, insupportable. Un certain "petit monde de l'eau" n'a aucune envie d'être bousculé dans le confort de ses pratiques opaques en cercle fermé partageant les mêmes croyances et les mêmes intérêts. Ces personnes et ces structures relèvent pourtant de services publics ou assimilés, payés par l'impôt pour leurs salaires, dotations ou subventions. Aussi longtemps que leur comportement de déni et de mépris continuera, nous le dénoncerons publiquement. Quant à la politique de continuité écologique et de gestion des ouvrages hydrauliques, elle court à l'échec tant que ces mauvaises pratiques ne seront pas rectifiées. Nos associations ne peuvent certainement pas appeler leurs adhérents et sympathisants à valider une politique publique qui légitime des manipulations d'opinion comme des interprétations à géométrie variable des règles et des faits.

Post scriptum : quelques exemples de demandes administratives observées sur nos rivières. Un propriétaire veut curer les rejets venant des travaux de la commune dans son bief, on lui oppose la nécessité de procéder à des analyses chimiques à ses frais (et de prendre la responsabilité des sédiments s'ils sont pollués) ; un propriétaire veut mettre une roue décorative dans son bief sans aucun changement du lit ni de la consistance légale, on lui demande un dossier détaillé aux cotes ; un propriétaire veut changer les pelles en bois de ses vannes, on lui dit qu'il faudra envisager une pêche électrique de sauvegarde dans son bief ; un propriétaire a un chantier de passes à poissons, la police de l'eau vient demander à l'entreprise de changer de quelques centimètres des plots de fond en béton déjà posés. Des exemples comme ceux-là, il y en a des centaines en France, et de plus aberrants encore tant l'administration est devenue pointilleuse pour le moindre chantier sur un moulin ou sur ses organes hydrauliques. Quand la même administration laisse un syndicat bâcler un effacement, opération autrement traumatique pour l'équilibre en place des milieux, c'est tout simplement insupportable. Il en va de même lorsque des riverains de l'Ource constatent sur plusieurs biefs une forte mortalité piscicole liée à l'ouverture forcée des vannes pour débit minimum biologique, et que l'administration ne procède à aucune enquête sérieuse et nie l'existence d'un problème écologique. Le respect de l'Etat de droit découle de la garantie qu'ont les citoyens de sa neutralité, de son équité et de son impartialité. Si ces conditions ne sont plus remplies, s'il faut engager des procès longs et coûteux pour faire reconnaître un arbitraire local, si la règlementation atteint de tels niveaux de complexité que son interprétation devient totalement incertaine et variable d'un endroit l'autre,  la porte est ouverte à toutes les dérives.

19/02/2016

Nos rivières se dépeuplent ! Les inquiétudes publiques... du XIXe siècle

Les rivières se dépeuplent, les poissons s'y font rares, les migrateurs régressent partout, les pollutions sont nombreuses, les ouvrages hydrauliques et leurs turbines ont des impacts délétères… ces propos ne viennent pas du dernier bulletin de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie, mais des comptes-rendus du Sénat et de la Chambre des députés en 1880. En cette fin de XIXe siècle, une Commission de repeuplement des eaux a mené une enquête sur l'état des rivières. Nous publions ci-dessous quelques extraits de ce travail, assortis de commentaires. 

Cri d'alarme : les poissons disparaissent

Tous les rapports des ingénieurs, toutes les dépositions reçues, tous les renseignements recueillis sont unanimes sur ce point : tous les cours d'eau sont appauvris. (…) Les cours d'eau non navigables ni flottables, dont la pêche appartient aux riverains, peuvent être, à peu près partout, considérés comme presque complètement ruinés. A de rares exceptions près, la pêche n'y est l'objet d'aucune surveillance; et ils sont à ce point de vue laissés tout à fait à l'abandon. (…) Presque partout les ingénieurs, les pêcheurs et les fermiers des pêches s'accordent à reconnaître qu'il y a une diminution considérable de poisson, surtout pour les espèces précieuses, saumons, truites, etc.

Quelles espèces de poissons, ayant existé autrefois, ont disparu ou diminué?

Le saumon a complètement disparu d'un très grand nombre de rivières secondaires du bassin de la Loire, de la Seine et du Rhin. Il a presque disparu, ou du moins ne se rencontre plus que rarement dans les rivières, même assez importantes, comme la Moselle et la Meuse, où il se trouvait autrefois en assez grande abondance. Enfin, même dans les fleuves et les rivières profondes, où il n'est pas arrêté par les barrages, le nombre de saumons que l'on pêche a considérablement diminué.

Il en est de même pour l'alose et la lamproie, et, en général, pour toutes les espèces migratrices, dont quelques-unes, comme l'esturgeon, par exemple, ont presque complètement disparu dans les fleuves et ne se rencontrent plus guère qu'à peu de distance des embouchures. L'anguille seule se trouve encore dans tous nos cours d'eau. Cependant, sur bien des points, on se plaint également de sa diminution.

Parmi les espèces sédentaires, aucune n'a complètement disparu, mais beaucoup sont devenues plus rares. La diminution porte surtout sur les espèces les plus précieuses : la truite et l'ombre. Partout on signale la rareté de plus en plus grande de ces poissons dans des eaux qu'ils fréquentaient autrefois; et, même dans les cours d'eau où ils se trouvent encore comme espèce dominante, on signale une diminution considérable. La lotte est aussi devenue beaucoup plus rare et, sur quelques points, semble tendre à disparaître. Après ces espèces, celles dont la diminution est plus particulièrement signalée sont : la carpe de rivière, la chevaine et le barbeau.

Sur plusieurs points on constate, au contraire, une augmentation du nombre des brochets, et souvent aussi des perches, augmentation qui coïncide sur tous les points où elle est signalée avec une diminution des autres espèces.

(…) L'écrevisse se trouvait autrefois à peu près dans tous les cours d'eau de France, dont les eaux ne sont ni trop profondes, ni trop limoneuses; elle se développe mieux dans les bassins calcaires comme celui de la Meuse, par exemple, que dans les eaux silicieuses. Elle a disparu d'un certain nombre de cours d'eau, soit par suite de l'altération des eaux, soit par suite d'une pêche excessive, soit enfin par suite d'épidémie, comme celle qui, depuis deux ans, dévaste tout le nord-est de la France.


Passes à poissons des barrages : inutiles pour les ingénieurs, indispensables pour les pêcheurs

Malgré les dispositions de l'article 1er de la loi du 31 mai 1865, il n'y a encore qu'un nombre très restreint de barrages qui soient munis d'échelle à poisson. D'après les états fournis par le ministère, il en a été construit, depuis quinze ans, cinquante-quatre en tout. Une dizaine d'autres sont en construction.

En général, MM. les ingénieurs des ponts et chaussées semblent peu favorables à l'établissement d'échelles, et dans les nombreux rapports que nous avons sous les yeux, nous voyons que si quelques-uns, se plaçant au point de vue des intérêts piscicoles, déclarent que l'établissement d'échelles leur semble indispensable dans les barrages d'une certaine hauteur, en revanche la majorité des ingénieurs affirme que, soit à raison du peu d'élévation des barrages, soit à raison de l'existence de pertuis fonctionnant en hautes eaux, ou de l'ouverture partielle en hautes eaux des barrages à aiguilles, les poissons migrateurs peuvent toujours remonter, tout au moins à certaines époques, et même en toute saison pendant la manoeuvre des vannes ; et par ces motifs, ils semblent peu disposés à conseiller la construction d'échelles.

Nous devons dire que toutes les dépositions des pêcheurs et des particuliers, qui se trouvent au dossier, sont sur ce point en contradiction formelle avec les dires de la majorité de MM. les ingénieurs; et que toutes affirment que les barrages étanches arrêtent à peu près complètement la remonte du poisson. Le fait constaté de la disparition progressive des poissons migrateurs, dans la plupart des affluents des fleuves, semble du reste prouver qu'un grand nombre de barrages ne permettent pas la remonte du poisson. (…)

Première cause du dépeuplement : les excès de la pêche

Tous les rapports s'accordent à indiquer, comme première et principale cause du dépeuplement des rivières, la pêche incessante qui s'y exerce et qu'a rendu plus active la cherté croissante du poisson. Toutefois, il semble que la pêche, exercée dans les limites de la loi et avec les engins permis, n'est pas considérée généralement comme une cause sérieuse de destruction.

Des plaintes assez vives sont cependant formulées contre l'abus de la pêche à la ligne : le nombre excessif des pêcheurs, le profit qu'en tirent ceux qui connaissent cette pêche et en font un métier, les réclamations des adjudicataires qui se plaignent de la concurrence qui leur est faite ainsi sur les lots qu'ils ont loués, prouvent, dit-on, la nécessité de restreindre ce droit. D'autres, au contraire, considèrent la pêche à la ligne "tenue à la main" comme inoffensive, sinon même comme utile; la pêche à l'amorce vive, notamment, détruit les espèces voraces et par conséquent favorise la multiplication des autres espèces; ils demandent en conséquence l'extension de ce droit.

Mais s'il y a divergence sur ce point, en revanche, toutes les dépositions recueillies, sans exception, sont d'accord pour déclarer que la principale et la plus active de toutes les causes de destruction, c'est la pêche avec des engins ou par des procédés prohibés, le braconnage de nuit et surtout la pêche en temps de fraie.

Sur ce point, les plaintes sont tellement unanimes, tellement et depuis si longtemps répétées, qu'il est inutile d'insister. Notons seulement que, parmi les procédés destructeurs, outre la pêche de nuit et la pêche sur les frayères, on signale la pêche délictueuse qui se fait dans les canaux d'irrigation, les canaux et les biefs d'usines que l'on peut mettre à sec par une brusque manoeuvre de vannes ; puis les filets fixes et les nasses que certains usiniers placent dans leurs ouvrages d'eau; enfin, - et au sud de la Loire, les plaintes sont générales sur ce point – l'empoisonnement des eaux par la chaux, la coque du levant, etc. (…)


Aménagement industriel et agricole : des pressions délétères

L'aménagement industriel des eaux, en dehors des faits de braconnage auxquels il donne occasion, est par lui-même une cause de destruction que relèvent presque tous les rapports. 

En effet, d'abord à certaines époques le jeu des vannes amène de brusques variations de niveau qui détruisent le frai ; les turbines broyent un grand nombre de poissons qui y sont entraînés ou qui viennent se réfugier dans les ouvrages d'eau ; ensuite un grand nombre d'usines déversent dans la rivière des déjections acides, corrosives ou chargées de détritus nuisibles qui empoisonnent les eaux des rivières sur une certaine étendue. Dans certains départements industriels, comme le Nord, l'Aisne, etc., le poisson a à peu près complètement disparu des cours d'eaux, et les ingénieurs estiment même qu'il est inutile d'essayer de les repeupler.

Les canaux et rivières navigables ont différentes causes de dépeuplement qui leur sont spéciales. La première que signalent tous les ingénieurs, c'est le clapottement produit par le passage des bateaux, surtout des bateaux à vapeur, ce qui, joint aux variations du niveau produites sur certains points par les écluses, empêche 1 éclosion ou détruit les frayères de certaines espèces et tue même les alevins. La seconde est la fréquence des mises à sec pour réparations, et l'absence, en ce cas, de refuges pour l'alevin. Enfin la troisième consiste dans le curage des rivières, l'enlèvement des herbes et la suppression des retraites du poisson.

Du reste, en général, la canalisation d'une rivière, en supprimant les rapides où frayent certaines espèces (notamment la truite et l'ombre), fait disparaître ces espèces ; c'est ce qui est arrivé dans le Doubs canalisé, par exemple. Sur quelques rivières endiguées, comme la Saône, le Doubs, on attribue aussi un effet nuisible. au point de vue de la reproduction du poisson, aux digues qui empêchent les eaux de se répandre librement dans les prairies. Enfin on se plaint de l'absence d échelles a poissons dans les barrages, ce qui arrête les poissons migrateurs qui venaient frayer dans les cours d'eau supérieurs. La plupart des rapports d'ingénieurs contestent, comme on l'a dit plus haut, l'utilité de l'établissement de ces échelles ; mais ils sont, sur ce point, en désaccord avec tous les autres déposants.

L'aménagement des eaux et leur emploi pour l'agriculture est aussi, sur plusieurs points, une cause de destruction du poisson. Les canaux d'irrigation, notamment, où le poisson se plaît, et qui devraient être une cause puissante de multiplication, sont, au contraire, une cause active de diminution par la façon dont s'opère la mise à sec, et parce qu'ils fonctionnent, ainsi que nous le verrons, comme véritables pièges pour le poisson. Le curage des ruisseaux et la taille des rives à arêtes vives détruisent les retraites et les frayères. Le faucardage des herbes, surtout au printemps, entrave la reproduction de certaines espèces et nuit à la conservation du poisson.

Enfin, sur certains points, notamment dans Saône-et-Loire, la Côte-d'Or, dans la Charente, la Bretagne, etc., on considère le rouissage du chanvre dans les cours d'eau, surtout dans les basses eaux d'été, comme un véritable empoisonnement M. l'ingénieur de la Côte-d'Or attribue la même effet au lavage des moutons. L'emploi de la chaux et des engrais chimiques dans l'agriculture est considéré, par M. l'Ingénieur de Saône-et-Loire comme rendant les eaux d'égout nuisibles aux alevins.

Quelques commentaires

Il est intéressant d'observer que, à 130 ans de distance et avec constance, un certain alarmisme règne dans la préoccupation publique sur les rivières. Les cours d'eau des générations précédentes semblaient toujours plus poissonneux. Illusion ou réalité? Difficile de trancher tant que l'on ne dispose pas d'études proprement scientifiques et pluridisciplinaires (histoire, archéologie, génétique) visant à analyser les trajectoires de peuplement sur nos bassins et leurs différentes populations piscicoles. Une baisse démographique importante laisse notamment diverses traces moléculaires dans le pool génétique des populations (voir par exemple cet article), nous avons donc des moyens d'affiner notre compréhension de cette évolution récente.

Autre point notable : il va de soi pour le contemporain du XIXe siècle que la pêche est le premier facteur de dépeuplement des eaux. Certaines études récentes ont aussi montré que la pêche est l'un des premiers paramètres d'évolution de ce peuplement au gré des introductions d'espèces à fin halieutique (voir par exemple le travail de Gertrud Haidvogl et ses collègues sur le Salzach). Il est tout à fait anormal que la pêche soit l'une des seules activités n'ayant pas fait l'objet d'une analyse scientifique systématique et indépendante de ses impacts cumulés et actuels. Cela tient au fait que le lobby pêcheur se présentant désormais comme "protecteur des milieux aquatiques", il existe une sorte de présomption d'innocuité. Mais nos connaissances ont besoin de progrès sur ce point, malgré les jeux de pouvoir qui voudraient les entraver.

Les ouvrages hydrauliques apparaissent comme une vraie préoccupation au XIXe siècle, de même que la canalisation des cours d'eau. La loi de 1865 avait instauré le principe de passes à poissons sur les rivières désignées comme d'intérêt. De façon assez amusante, les experts de l'époque (ingénieurs des ponts et chaussées) sont plutôt hostiles à ces passes, alors que les riverains en voient l'intérêt : les postures se sont inversées depuis! On sait que la loi de 1865 a eu (déjà) le plus grand mal à entrer dans les faits, comme le rappellent les conclusions du rapport parlementaire (et d'autres travaux ultérieurs). Sur les ouvrages installés, il fallait une expropriation par Conseil d'Etat et une indemnité ; sur les nouveaux ouvrages, les préfectures ne se pressaient pas d'imposer ce qui était perçu alors surtout comme une entrave à l'industrie.

Enfin, on voit poindre en 1880 les préoccupations liées aux rejets de l'industrie et à la modification agricole des bassins versants : ces pressions-là n'en sont pour l'essentiel qu'à leur début, et vont connaître une très forte intensification au XXe siècle.

Source : Annales du Sénat de la Chambre des députés, session extraordinaire de 1880, vol II, Imprimerie et librairie du Journal officiel, Paris 1881.

Illustrations : pêcheurs du Rhin (gravure de C Lallemand 1858) ; barrage de Dhenne, Canal du centre (Saône-et-Loire, Côte d'Or, Doubs, Yonne, Nièvre : vues photographiques / P. Mougel, A. H. Collard, Colombier, photogr. 1873)

16/02/2016

Pollution des eaux françaises et européennes par les pesticides (Stehle et Schulz 2015)

Notre association avait déjà recensé un précédent travail de Sebastian Stehle et Ralf Schulz montrant que les effets des pesticides sur les milieux aquatiques sont sous-estimés dans le monde (voir cet article). Dans une nouvelle publication, les deux chercheurs allemands affinent leur travail sur la zone européenne, et tirent la sonnette d'alarme. Plus du tiers des eaux de surface et plus de 90% des sédiments dépassent les doses admissibles pour l'environnement. En France, plus des trois-quarts des concentrations mesurées scientifiquement sont au-delà des normes réglementaires de la directive Pesticides de 2009. Ces résultats jettent le trouble sur la qualité de nos mesures actuelles de l'état chimique des eaux et signent l'échec de la politique hexagonale aussi bien que communautaire. Cessons donc les épouvantails, gadgets et diversions comme la continuité écologique appliquée aux ouvrages modestes des rivières, et dressons plutôt un vrai bilan scientifique de nos choix pour la qualité de l'eau.

Les terres agricoles couvrent 40% de la surface terrestre totale de l'Europe des 28, soit 174,1 millions d'hectares. Les pesticides, qui représentent un marché européen de 11 milliards €, sont d'un usage omniprésent dans une agriculture désormais hautement industrialisée. Ces pesticides regroupent plusieurs familles selon leur cible : herbicides, fongicides, insecticides. Stehle et Schulz focalise sur cette dernière famille, connue pour ses impacts sur les milieux vivants, en particulier les milieux aquatiques.

Quoiqu'en dise le rassurant discours ambiant sur le contrôle de qualité des eaux, les auturs reconnaissent que nous sommes en réalité face à un manque patent de données : il n'existe aucune information scientifique solide sur les concentrations d'insecticides relevées sur le terrain (c'est-à-dire les eaux des surfaces cultivées) en fonction des concentrations maximales acceptables (RAC pour regulatory acceptable concentrations) telles que l'Europe les a définies au plan réglementaire. La nouvelle directive européenne "Pesticides" (n°1107/2009) pose un enjeu évident de mise en application : ses procédures d'autorisation sont-elles protectrices et effectives ? Quels impacts ont réellement les insecticides sur les milieux aquatiques?

Pour tenter d'y répondre, les chercheurs ont procédé à une méta-analyse de 165 études scientifiques publiées dans la période 1972-2012 et ayant reporté des mesures réelles de concentrations d'insecticides (MIC) dans les eaux de surface et/ou dans les sédiments. Les mesures de 23 molécules insecticides (dont 15 actuellement autorisées) ont ainsi été rassemblées sur 1566 points de mesure. Elles se répartissent dans les quatre types de composés actifs : les organochlorines, les organophosphates et carbamates, les pyrethroïdes et les néonicotinoïdes.


Extrait de Stehle et Schulz 2015, droit de courte citation. Ratio entre dose mesurée et dose acceptable, pour les eaux de surface (en bleu) et les sédiments (en marron). On voit que dans les cas extrêmes, le facteur de dépassement franchit les 10^3 et peut même atteindre les 10^5. Presque toutes les analyses sédimentaires sont au-dessus de 1.

Les principaux résultats sont les suivants :
  • 44,7% de mesures montrent des concentrations supérieures aux doses maximales acceptables;
  • le chiffre est de 37,1% pour les eaux de surface (qui dépassent la dose d'un facteur pouvant atteindre 125750) et atteint 93% pour les sédiments (facteur maximal de 31154);
  • l'analyse temporelle des MIC relevés sur 40 ans montre que le risque ne décroît pas dans le temps;
  • les systèmes d'eau courante (45,4%) sont plus concernés que les systèmes estuariens (37,5%) et les petits bassins versants davantage que les grands (90% des dépassements de RAC en bassin de moins de 1 km2 contre 75% des dépassements sur des bassins de plus de 10 km2);
  • la France atteint 76,1% de doses maximales acceptables dépassées (46 études);
  • au total 135 pesticides commerciaux différents ont été relevés dans les analyses (chiffre dont on sait qu'il est inférieur aux plus de 400 substances circulant dans nos rivières et répertoriées par le CGDD 2011 et CGDD 2014).
La conclusion des chercheurs est claire : les procédures européennes n'empêchent nullement le dépassement des doses admissibles de pesticides en rivière et il en résulte des dommages conséquents pour la biodiversité aquatique. Leur précédent travail avait montré que cette biodiversité peut être réduite de 29% par des dépassements modestes des taux considérés comme sûrs pour l'environnement. La présence de multiples molécules dans la plupart des MIC augmente de surcroît la probabilité de risque pour les milieux. Les données scientifiques de terrain comme de laboratoire manquent à ce sujet, en particulier pour les néonicotinoïdes dont le mode d'action est différent des autres classes d'insecticides.

Pour conclure
Récemment, l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse reconnaissait que 150 pesticides différents sont retrouvés dans les rivières de ses bassins. L'Agence de l'eau Loire-Bretagne, quant à elle, admet ne pas être capable de dresser un bilan chimique de ses masses d'eau. Ces mêmes Agences (vite suivies par leurs consoeurs) ont été les premières en 2004 à prétendre que les ouvrages hydrauliques sont une cause majeure de dégradation de la qualité biologique et chimique de l'eau, cela alors même que les mesures les plus élémentaires ne sont pas menées sur chaque masse d'eau et que les chercheurs, comme Sebastian Stehle et Ralf Schulz, admettent que nous sommes encore bien loin d'être capables de faire un bilan scientifique complet des altérations de la biodiversité aquatique.

Plus que jamais, il faut cesser ces impostures bureaucratiques et les arbitrages opaques des comités de bassin, dresser un bilan objectif de nos masses d'eau (incluant toutes les métriques DCE 2000, qui vont d'ailleurs se renforcer d'ici 2018 pour le bilan des substances chimiques prioritaires), choisir les mesures susceptibles de restaurer les rivières et les nappes en adressant les vrais impacts, qui ne sont certainement pas les seuils, barrages ou digues. La politique française de l'eau est un échec : il est humain d'avoir failli, il serait diabolique de persévérer dans les impasses actuelles.

Référence : Stehle S, R Schulz (2015), Pesticide authorization in the EU-environment unprotected?, Environ Sci Pollut Res Int., 19632-19647

15/02/2016

Les sept familles de l'écologie des rivières

L'écologie des rivières et milieux aquatiques est loin d'être un long fleuve tranquille. Comme discipline scientifique, vision du monde ou encore mode de gestion du territoire, cette écologie regroupe en fait des visions très différentes de ce que sont (ou devraient être) les milieux naturels et les rapports que l'homme entretient avec eux. Sur un mode léger, après avoir observé les postures des uns et des autres dans notre activité associative et dans l'actualité, voici les 7 familles de cette écologie, leurs convictions profondes et leurs déclinaisons dans le cas particulier de la continuité écologique appliquée aux ouvrages en rivière.



Les intégralistes - Cette famille (que nous ne qualifions pas d'intégristes pour ne pas verser inutilement dans la polémique) a comme horizon l'intégrité de la nature par élimination du maximum d'influence anthropique. Il s'agit idéalement de restaurer une nature "pré-humaine", laissée à ses équilibres spontanés. Le modèle est par exemple certains coeurs de parc naturel où toute activité est interdite. Même si l'horizon est intenable (il faudrait supprimer l'espèce humaine ou la ramener à une population très faible de type paléolithique), cette famille a une conviction et une direction claires : on doit soit interdire soit effacer tout aménagement humain de la nature.
Vision de la nature : "un paradis sur Terre"
Vision de l'homme : "un bourreau à châtier"
Politique des ouvrages hydrauliques : "rasons-les tous!"

Les conservationnistes - Cette famille peut être vue comme une version modérée des intégralistes. Elle n'en a pas la radicalité conceptuelle et admet que la présence humaine change les milieux. Mais elle pose comme nécessité de conserver les biotopes épargnés ou peu altérés par les impacts anthropiques, également de conserver le maximum d'espèces en commençant par les plus menacées. Comme chez l'intégraliste, les croyances du conservationniste valorisent implicitement ou explicitement la vertu d'une nature vierge dont nous avons reçu en héritage une biodiversité à préserver et transmettre avec un minimum de perte.
Vision de la nature : "un être si fragile"
Vision de l'homme : 'un berger à éduquer"
Politique des ouvrages hydrauliques : "effaçons dès que nous pouvons"

Les fonctionnalistes - Cette famille est plus proche d'une écologie technique et scientifique ne répugnant pas à l'ingénierie des milieux. Elle assume que l'homme modifie de longue date les systèmes naturels, également que cet état de fait a peu de chance de changer à horizon prévisible. Pas de nostalgie d'une nature sauvage, donc, mais une pragmatique de la restauration ciblée : il s'agit d'identifier les fonctions les plus essentielles des milieux d'une part, de prioriser les activités humaines les plus réformables d'autre part, pour finalement agir à l'intersection de ces deux ensembles, là où l'on peut améliorer des milieux avec un minimum de coût pour un maximum d'efficacité.
Vision de la nature : "un beau mécanisme"
Vision de l'homme : "un gestionnaire rationnel"
Politique des ouvrages hydrauliques : "aménageons ou effaçons après calcul"

Les équilibristes - Cette famille gère les questions écologiques (qu'elle connaît mal) avec un souci premier d'équilibre et de prudence. Plus proches de terrain, peu sensibles aux abstractions, inquiets des solutions radicales comme des conflits ouverts, les équilibristes sont plutôt partisans de la moindre action et de la préservation des situations établies, avec quelques mesures à la marge pour satisfaire symboliquement les uns et les autres. Ils se méfient des grands programmes venus de loin et préfèrent les petites réformes entre acteurs locaux.
Vision de la nature : "une affaire locale"
Vision de l'homme : "une partie prenante"
Politique des ouvrages hydrauliques : "concilions les usages"

Les lobbyistes - Cette famille est un peu à part, car elle est formée des professionnels des luttes d'influence. Conséquence inévitable des systèmes technocratiques et marchands, le lobbyiste peut aussi bien agir au nom d'une croyance morale ou idéologique que d'un intérêt matériel ou sectoriel. Il n'est pas tant intéressé par les questions de fond que par les progrès de son groupe et les gains de pouvoir. Son expertise est donc orientée dans la défense de "la Cause", avec une préférence pour les jeux d'ombre des commissions plutôt que les débats ouverts de l'agora.
Vision de la nature : "un outil d'influence"
Vision de l'homme : "un animal calculateur"
Politique des ouvrages hydrauliques : "selon l'avis de mon groupe"

Les artificialistes - Cette famille est le pôle opposé des intégralistes. Assumant les conséquences de l'Anthropocène, elle considère que les milieux naturels sont presque tous en réalité des milieux artificiels car remodelés par l'homme en fonction de ses besoins (ou des conséquences indirectes de ses actions pour ses besoins). Elle n'en déduit ni remords ni regret, et considère que le vivant s'adaptera à cette nouvelle donne. De toute façon, les capacités humaines de modelage de ce vivant (biologie de synthèse, ingénierie bio-génétique) vont changer radicalement le cours de l'évolution et effacer l'idée même d'une distinction nature-artifice.
Vision de la nature : "une idée dépassée"
Vision de l'homme : 'un démiurge inspiré"
Politique des ouvrages hydrauliques : "aménageons autant que de besoin"

Les jmenfoutistes - Notre jeu des 7 familles est biaisé car au grand dam des six autres, cette famille est finalement majoritaire dans la population. Elle n'a pas envie de s'ennuyer avec des questions compliquées, elle ne sait pas vraiment ce que signifie "écologie aquatique" et, à dire vrai, cela fait parfois bien longtemps qu'elle n'a pas vu une rivière….
Vision de la nature : "bof"
Vision de l'homme : "moi je"
Politique des ouvrages hydrauliques : "cela veut dire quoi?"

Illustration : prise d'eau de moulin sur une rivière morvandelle. La politique de l'eau et des ouvrages hydrauliques est le lieu actuel où se confrontent des visions très différentes de la rivière. Une diversité de points de vue tout à fait normale, mais qui débouche sur le conflit si la concertation démocratique n'est pas correctement organisée.

05/02/2016

Protection des ouvrages hydrauliques comme patrimoine culturel: les intégristes ne veulent pas en entendre parler

Les parlementaires ont décidé de protéger le caractère patrimonial des ouvrages hydrauliques, en accord avec les déclarations récentes de la Ministre de la Culture et de la Ministre de l'Ecologie comme avec les innombrables requêtes des associations de propriétaires, de riverains, de protection du patrimoine local, excédées par les campagnes de destruction de seuils, digues et barrages. Mais c'en est trop pour certains idéologues de la Fédération nationale pour la pêche (FNPF), de France Nature Environnement et de quelques autres destructeurs acharnés du patrimoine hydraulique de notre pays. Ceux-là sont incapables d'accepter une vision plurielle de la rivière et ils sont les premiers responsables de l'incitation aux dérives administratives en matière de continuité écologique. Aujourd'hui, ces groupes de pression mobilisent des parlementaires pour essayer d'organiser la régression dans l'extrémisme de la "renaturation" intégrale et de la négation de la culture. La Fédération Française des Associations de sauvegarde des Moulins appelle tous ses adhérents à contacter leurs sénateurs en vue de défendre certains amendements essentiels de la loi sur le patrimoine, en cours d'examen. Nous reproduisons ci-dessous ce message de la FFAM et nous appelons également nos lecteurs à envoyer un courrier à leur sénateur

De quoi est-il question ? La Commission des affaires culturelles a adopté les dispositions suivantes. Après l'article 33 du projet de loi, un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Les systèmes hydrauliques et leurs usages font partie du patrimoine culturel, historique et paysager protégé de la France.
II. - Le code de l'environnement est ainsi modifié :1° L'article L. 211-1 est complété par un III ainsi rédigé :« III. - La gestion équilibrée de la ressource en eau doit également permettre d'assurer la préservation du patrimoine, notamment hydraulique, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux protégés en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme. » ;2° L'article L. 214-17 est complété par un IV ainsi rédigé :« IV. - Les mesures résultant de l'application du présent article sont mises en oeuvre dans le respect des objectifs de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine mentionné au III de l'article L. 211-1. »

Ce sont ces dispositions – que nous considérons pour notre part comme très modestes par rapport à l'enjeu global de la défense du patrimoine hydraulique de notre pays – qui sont aujourd'hui contestées.



Message de la FFAM
Examen du projet de loi « patrimoine » en séance publique au Sénat le 9 février : sauvons le patrimoine des moulins de France ! 

La Fédération Française des Associations de sauvegarde des Moulins (FFAM) demande aux sénateurs de garantir les avancées obtenues en commission

La Fédération Française des Associations de sauvegarde des Moulins se félicite de l’adoption en commission au Sénat de l’article 33 bis permettant d’inscrire dans la loi, le caractère patrimonial des moulins et des usages hydrauliques et d’empêcher les destructions systématiques des moulins.

Rappelons que les moulins sont le troisième patrimoine de France, après les églises et les châteaux. Au nom de la continuité écologique, les seuils des moulins ont été systématiquement détruits par idéologie dogmatique et aberrations administratives. A tel point que la ministre de l’Environnement a récemment demandé aux préfets de faire preuve de plus de discernement dans les opérations menées par les services de l’eau, reconnaissant les abus menés jusqu’à présent. 

Aujourd’hui, la reconnaissance d’un mécanisme de protection dédié pourrait enfin voir le jour au Sénat ! Pourtant, certains sénateurs demandent la suppression de ces dispositions, au mépris des avancées obtenues, au nom d’une hypothétique mission de concertation. Ce nouveau comité « Théodule » ne fait que brasser du vent ! C’est un cache misère pour pallier les déficiences de l’administration. 

Il faut s’en remettre au législateur et préserver un texte ambitieux, efficace et juste, tel que l’est aujourd’hui le projet adopté par la commission des affaires culturelles!

C’est pourquoi, la FFAM appelle solennellement les sénateurs à confirmer les avancées obtenues en commission, s’ils veulent pouvoir assurer à leurs concitoyens qu’ils défendent utilement les territoires. Ces dispositions actuelles sont par ailleurs compatibles avec les dispositions sur la loi biodiversité, auxquelles elles fournissent un complément utile. 

Ne revenons pas sur les progrès obtenus! Ne revenons pas sur la parole donnée aux moulins! 

Vous vous êtes engagées, Mesdames les ministres à trouver une solution aux problèmes qui menacent un patrimoine historique.

L’article 33 bis, apporte la solution! 

Illustration : la tristement célèbre destruction du barrage du moulin de La Motte en amont de Quimperlé, sur une rivière (Ellé) en bon état écologique et avec un recrutement correct de saumons. Malgré le référé d'un riverain, la Fédération de pêche du Finistère est passée en force, au terme d'une procédure où elle a découragé le propriétaire et les élus intéressés de ré-exploiter l'énergie de l'eau au droit du site. Cet extrémisme qui se prétend défenseur de l'intérêt général mais qui ne défend jamais qu'une vision particulière de la rivière et des intérêts sectoriels du loisir pêche, nous ne le supportons plus.  

04/02/2016

Effacement des ouvrages de l'Orge: le commissaire-enquêteur dit non

Le Syndicat mixte de la Vallée de l'Orge a présenté un dossier de déclaration d'intérêt général (DIG) en vue de démanteler 7 ouvrages sur l'Orge aval. Le commissaire-enquêteur a rendu un avis défavorable. Nous déplorons souvent la légèreté des enquêtes publiques, mais la vigilance remarquable du commissaire sur ce dossier doit être soulignée. Les conclusions de son rapport pointent nombre de carences observables sur la plupart des projets actuels d'effacement.

Le rapport du commissaire-enquêteur peut être téléchargé à cette adresse. On lira en particulier les pages 22 et suivantes de ce document. Le commissaire déplore notamment :
  • l'absence de motivation légale des démantèlements (ni la DCE 2000 ni la loi ne les demande);
  • l'absence d'estimation du gain écologique et chimique;
  • l'absence d'alternative à l'effacement;
  • l'absence de réunion de l'ensemble des propriétaires en vue d'organiser une vraie concertation;
  • l'absence d'étude géologique de risque lié au changement de niveau d'eau (aucun bureau n'a voulu prendre cette responsabilité!);
  • l'absence de bilan inondation;
  • l'absence de justification des coûts (incluant les effets indirects et les droits de propriété des riverains).
Le Ministère de l'Ecologie et le Parlement commencent à modifier le régime intenable de la continuité écologique "à la française", dont les motivations scientifiques sont faibles, les coûts économiques exorbitants et les effets patrimoniaux désastreux. Cependant, les projets d'arasement et dérasement déjà lancés sont encore nombreux sur nos rivières.

Cet exemple des clapets de l'Orge doit inciter toutes les associations et tous les propriétaires à s'engager dans les enquêtes publiques en vue de faire valoir une vision équilibrée de la rivière, mais aussi d'exiger la prise en compte de tous les risques et tous les coûts liés aux effacements.

Chacun peut utiliser librement les argumentaires disponibles sur notre site, notamment les textes suivants à mettre en avant face à un projet de destruction ou démantèlement:

Ces données juridiques, techniques et scientifiques doivent être systématiquement opposées à l'administration et aux syndicats de rivière dans les études diagnostiques, les études d'impact, les enquêtes publiques des DIG ou des documents d'incidence associés à des autorisations préfectorales. Ces dernières années ont montré que la vigilance associative paie face aux dérives administratives de la continuité écologique : cette vigilance doit se maintenir et se renforcer, pour éviter la disparition irrémédiable du patrimoine historique et du potentiel énergétique de nos cours d'eau, ainsi que pour prévenir les altérations de leurs équilibres écologiques actuels.

29/01/2016

Amendements à l'article L-214-17 CE: la continuité écologique commence timidement à se réformer

Le Sénat vient d'adopter dans le cadre du projet de loi sur la biodiversité deux amendements à l'article L 214-17 du Code de l'Environnement. Ces amendements ont pour objet d'une part de privilégier l'aménagement à l'effacement chaque fois qu'une analyse coût-avantage en démontre l'intérêt ; d'autre part d'accorder un délai supplémentaire de trois ans pour les propriétaire ayant engagé les premières démarches de mise en conformité. Nous les reproduisons ci-dessous en même temps que les prises de parole de Ségolène Royal, où la Ministre de l'Ecologie confirme son souhait clair de "mettre un terme aux destructions de petits ouvrages et de moulins". La Ministre annonce également sa volonté de saisir les agences de l'eau afin d'envisager un régime différent de financement. L'Assemblée nationale doit encore voter le texte définitif de la loi. 

Premier amendement : « Dans le cadre de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau visée à l’article L. 211-1, ces règles visent la conciliation du rétablissement de la continuité écologique avec les différents usages de l’eau, en particulier le développement de la production d’électricité d’origine renouvelable. À cette fin, elles privilégient les mesures d’aménagement ou de gestion des ouvrages à chaque fois que le bilan entre les coûts et les avantages desdites mesures en comparaison d’une mesure d’effacement le justifie. »

Mme Ségolène Royal, ministre. La discussion porte sur le juste équilibre entre la restauration de la continuité écologique sur les cours d’eau classés, d’une part, et l’utilisation des ouvrages existants, le coût d’arasement de ces ouvrages et les conséquences de leur suppression, d’autre part.

Les technologies ont évolué. Nous en avions débattu ici lors de l’examen de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. En particulier, la problématique de la disparition des moulins, ce patrimoine français, avait été évoquée.

À la suite du débat parlementaire, j’ai donné instruction aux préfets de mettre un terme aux destructions de petits ouvrages et de moulins, dans l’attente d’un examen plus approfondi de la situation.

Il est effectivement apparu qu’il était parfaitement possible de concilier, en recourant à des techniques nouvelles, la restauration de la continuité écologique, notamment au bénéfice des poissons, et le maintien de l’activité de petite hydroélectricité.

Dans cette perspective, j’ai publié un cahier des charges dans le cadre de l’appel d’offres pour la petite hydroélectricité, visant à concilier la production d’énergie renouvelable et la protection des milieux aquatiques, ainsi qu’un projet de charte sur l’utilisation des moulins.

Deuxièmement, une instruction a été adressée à tous les préfets pour mettre un terme aux destructions de moulins et de petits barrages et remettre à plat les dossiers, afin d’identifier les sites où il a été possible de concilier l’utilisation des petits ouvrages de production d’hydroélectricité et la restauration des continuités écologiques.

Troisièmement, j’ai confié au Conseil général de l’environnement et du développement durable une mission sur les sites conflictuels. En effet, certaines destructions d’ouvrage, du fait de leur coût exorbitant, n’ont pu être réalisées ou l’ont été avec des conséquences encore plus destructrices pour l’environnement que le maintien des installations.

Quatrièmement, l’action des syndicats de rivière est encouragée dans le cadre de la mise en œuvre de la nouvelle compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations.

Enfin, les subventions de l’agence de l’eau sont mobilisées. Elles peuvent représenter de 30 % à 80 % des objectifs.



Second amendement : «Lorsque les travaux permettant la réalisation des obligations découlant du 2° du I n’ont pu être effectués dans le délai de cinq ans susvisé, mais que le dossier relatif aux propositions d’aménagement ou de changement de modalités de gestion de l’ouvrage a été déposé auprès des services de police de l’eau, le propriétaire ou à défaut l’exploitant de l’ouvrage dispose d’un délai supplémentaire de trois années pour les réaliser.»

Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement émet un avis de sagesse bienveillante… Le dispositif de ces amendements prévoyant explicitement que seuls les propriétaires ou exploitants ayant effectivement déposé leur dossier auprès de l’autorité administrative pourront bénéficier d’un délai supplémentaire, les autres ne pourront s’en prévaloir.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, de nouvelles techniques sont disponibles. Ainsi, dans ma région, j’ai fait réaliser l’aménagement d’un petit barrage qui devait être arasé : une solution permettant de concilier restauration de la continuité écologique et production d’hydroélectricité a été trouvée. Ce petit barrage produit aujourd'hui l’électricité nécessaire à une commune de 5 000 habitants. Il convient d’identifier et de diffuser les bonnes pratiques. À cet égard, j’ai demandé aux préfets de mettre fin aux arasements, notamment à la destruction des moulins, et de prendre en considération les nouvelles techniques.

Le problème étant avant tout d’ordre financier, je vais réfléchir à une réforme des subventions des agences de l’eau, afin que les propriétaires soient fortement incités à effectuer les travaux dans un délai assez bref, en recourant à des solutions permettant de trouver un juste équilibre entre le maintien des ouvrages et de leur fonction agricole ou énergétique et la restauration de la continuité écologique. Je suis convaincue que, dans la plupart des cas, des solutions de conciliation peuvent être trouvées, pour peu que l’on mette en place les moyens financiers d’accompagnement nécessaires. Je vais saisir les agences de l’eau à ce sujet.

Nos commentaires
Ces amendements comme les commentaires de Mme la Ministre vont dans la bonne direction, à savoir une évolution de la réforme de continuité écologique dans le sens d'un plus grand respect des ouvrages hydrauliques. C'est donc un désaveu supplémentaire des choix administratifs autoritaires et agressifs effectués depuis le Parce 2009 et la classement 2012-2013. Par souci de cohérence, il serait souhaitable que les discussions sur la mise en oeuvre de la continuité écologique ne se poursuivent pas avec les mêmes hauts fonctionnaires de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie, fonctionnaires aujourd'hui désavoués pour leurs partis-pris, et pour les troubles considérables que ces préjugés ont suscité et suscitent encore au bord des rivières.

On exprimera toutefois des réserves importantes sur ces amendements:
  • il est dommage que le terme "effacement" ait été introduit dans le Code dont il était absent jusqu'à présent. Députés et sénateurs n'avaient jamais demandé d'araser ou déraser les ouvrages hydrauliques en 2006 (loi sur l'eau et les milieux aquatiques) comme en 2009 (loi de Grenelle);
  • l'analyse-coût-avantage (ACA) doit impérativement faire l'objet d'une concertation et d'une "normalisation" pour sa mise en oeuvre. Nous voyons en effet couramment passer des supposées ACA qui surévaluent les bénéfices écologiques et sous-évaluent les divers avantages des ouvrages (potentiel énergétique, réserve d'eau, soutien de nappe, paysage, patrimoine, culture, etc.). Tous les services matériels et immatériels rendus par les ouvrages doivent être intégrés dans l'ACA, de même que la valeur foncière du droit d'eau (sa compensation en cas d'altération ou suppresion) et le potentiel de production énergétique. Nous allons travailler à une grille d'analyse réaliste et équilibrée, et nous encourageons les parties prenantes du débat national à en exiger la construction collective, pour éviter l'arbitraire des services instructeurs (comme des bureaux d'études privés dont chacun sait qu'ils tendent à conclure dans le sens souhaité par leur principal financeur public — les Agences de l'eau);
  • le délai de trois ans est bienvenu pour certains maîtres d'ouvrage engagés dans le processus de mise en conformité, mais notre position reste celle d'un moratoire. En effet, nombre de travaux même préparatoires ne sont pas engagés sur la mise en conformité des ouvrages, en raison du nombre irréaliste d'ouvrages classés et du blocage lié à la volonté prioritaire d'effacer, ou d'imposer des dispositifs hors de prix à faible subvention, décourageant les maîtres d'ouvrages de s'engager ; l'administration ne satisfait toujours pas à son obligation (inscrite dans la loi) de proposer des règles motivées de gestion et équipement; les problèmes de fond (absence de justification écologique sérieuse, absence de financement public des aménagements à coûts exorbitants) se poseront dans 3 ans comme ils se posent aujourd'hui. 
La continuité écologique n'a pas besoin de mesurettes symboliques, mais d'une évolution substantielle de sa gouvernance, de ses méthodes, de ses financements.

Illustration : extrait d'un clip de propagande Onema-Agence de l'eau, où les ouvrages hydrauliques sont réduits indistinctement à des altérations morphologiques et piscicoles. Tant que l'on n'aura pas un diagnostic scientifique du poids réel des petits ouvrages sur la qualité des milieux et tant que les différentes dimensions de ces ouvrages (paysage, patrimoine, culture, énergie) ne seront pas assumées comme relevant elles aussi d'un intérêt général à préserver, la mise en oeuvre de la continuité écologique sera conflictuelle.

21/01/2016

Mission parlementaire Dubois-Vigier: trop en retrait par rapport aux problèmes de la continuité écologique

Les députés Françoise Dubois et Jean-Pierre Vigier viennent de présenter leur rapport de mission parlementaire sur les continuités écologiques aquatiques. Ce document contient certains éléments positifs, comme la demande à l'Etat de chiffrer les coûts réels de la continuité écologique ou la proposition de prioriser les enjeux sur les rivières avec présence attestée de grands migrateurs. Mais le rapport est dans l'ensemble en retrait par rapport aux problèmes rencontrés sur le terrain, notamment les coûts exorbitants pour les particuliers et les petites exploitations comme le refus de la majorité des propriétaires de détruire leurs ouvrages face à des enjeux environnementaux très modestes. De même, la politique de continuité écologique ne peut pas continuer sans un audit scientifique de ses méthodes et de ses résultats. Nous ferons savoir aux élus que cette absence d'écoute persistante sur les problèmes de fond entrave toute mise en oeuvre apaisée de la réforme. 

Voici tout d'abord la liste des orientations et propositions du rapport présenté par les deux élus.
Orientation n°1 : définir les priorités sur les grands cours d’eau migrateurs 
– Introduire un niveau de priorité supplémentaire au sein de la liste 2, réservé aux cours d’eau sur lesquels sont présents les grands migrateurs.
– Garantir un financement intégral des travaux de restauration des continuités écologiques aquatiques sur les cours d’eau classés « grands migrateurs ».
– Baisser la fiscalité sur les aménagements favorables à la continuité écologique. 
Orientation n°2 : Coordonner la gouvernance locale 
– Généraliser l’élaboration de SAGE à l’ensemble des cours d’eau.
– Généraliser la constitution des établissements publics d’aménagements et de gestion de l’eau (EPAGE) essentiels à l’élaboration et à la mise en œuvre partenariale avec les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) de la politique de l’eau dans les bassins. 
Orientation n°3 : Renforcer la protection des poissons migrateurs
– Mettre en place une politique de gestion des prédateurs compatible avec la présence des migrateurs, en particulier le silure.
–Mettre en place une politique de gestion de la pêche (amateur et professionnelle) compatible avec la protection et la valorisation des populations de migrateurs, qui limite les méthodes susceptibles d’entraîner des captures accidentelles.
– Renforcer les opérations de contrôle de la pêche sur les cours d’eau où sont présents des poissons migrateurs.
– Garantir un niveau de qualité de l’eau dans les zones de reproduction compatible avec les exigences biologiques des espèces de migrateurs visées.
– Améliorer la compréhension des effets de l’anthropisation des cours d’eau sur les poissons migrateurs afin de garantir une restauration durable de leurs populations.
– Soutenir les programmes de recherche destinés à améliorer l’efficacité des passes à poissons et à réduire les coûts d’installation et d’entretien.
– Permettre aux investissements d’avenir de financer des actions destinées à protéger la biodiversité, notamment dans le domaine de la recherche et du développement. 
Orientation n°4 : Mieux communiquer sur le sujet des continuités écologiques aquatiques 
– Lorsqu’une opération d’aménagement ou d’effacement est envisagée, diffuser une fiche pédagogique rappelant les retombées positives attendues de l’opération.
– Sensibiliser les élus locaux aux enjeux liés à la restauration des continuités écologiques aquatiques afin de donner une impulsion nouvelle à cette politique publique.
– Accroître le soutien financier aux associations impliquées dans la sensibilisation des publics scolaires aux enjeux de la continuité écologique aquatique. 
Orientation n°5 : Garantir un meilleur accompagnement des propriétaires d’ouvrages 
– Permettre aux notaires d’informer les acheteurs de moulins de leurs devoirs en matière d’entretien de l’ouvrage.
– Créer, au sein des directions départementales des territoires, une unité capable, sur demande, d’entretenir les ouvrages en lieu et place des propriétaires. 
Orientation n°6 : Acquérir l’information indispensable à la planification des opérations d’aménagements et se donner les moyens de les réaliser 
– Créer une base de données recensant l’ensemble des travaux de restauration des continuités écologiques aquatiques menés en France et évaluant leur coût. Cette base de données pourrait être gérée par les agences de l’eau. Outre son caractère informatif, elle renforcerait le partage d’expériences.
– Estimer le coût global des travaux de restauration des continuités écologiques nécessaires pour atteindre les objectifs en matière d’atteinte du bon état écologique des eaux.

Points positifs
  • Le rapport Dubois-Vigier reconnaît certains dysfonctionnements de la politique de l'eau, en particulier l'incapacité de l'administration à chiffrer le coût de la réforme et à en garantir le financement. Qu'on en soit à ce niveau de carence d'information dix ans après la Lema 2006, six ans après le Parce 2009 et quatre ans après le classement des rivières aurait pu être jugé plus sévèrement. 
  • Il est acté qu'avec 15.000 ouvrages à aménager en liste 2 et seulement 600 ouvrages aménagés par an en métropole, le délai de 2017 ne peut être tenu. Il faudrait un rythme six fois plus rapide pour arriver au résultat attendu. On en est très loin, d'autant que seuls les ouvrages les plus "simples" ont été aménagés à ce jour (accord du maître d'ouvrage et des riverains, financement disponible pour la solution retenue).
  • La volonté de recentrer la continuité écologique sur les axes grands migrateurs nous paraît une bonne chose. Les élus sont réalistes et demandent à l'avance que ce recentrage se fasse sur des cours d'eau où la présence des poissons est avérée (et non potentielle, comme le défendent souvent les services instructeurs). Mais il faut que la création d'une nouvelle liste prioritaire grands migrateurs se traduise par un déclassement des listes 2 non prioritaires (où, par exemple, l'aménagement pourrait devenir volontaire et non obligatoire).
  • L'action sur les notaires (transfert de droit d'eau, information des devoirs des propriétaires) est nécessaire, le CGEDD l'avait préconisé en 2012 déjà... sans effet, comme la plupart des recommandations jamais suivies par le Ministère. 
  • Il est appréciable que l'impact de la pêche commence à être reconnu, même si nous sommes loin de la demande d'une vraie analyse scientifique de ses effets passés et présents (demande déjà formulée en réunion à la Direction de l'eau et de la biodiversité, mais non reprise par le Ministère et l'Onema, probablement en raison du poids du lobby FNPF dans la politique de l'eau).
  • Il est également opportun que les élus rappellent le caractère non-automatique des effacements et demandent des efforts accrus pour des dispositifs de franchissement plus efficaces et moins coûteux.

Points négatifs
  • Le rapport reprend de manière non critique bien des éléments sur la continuité écologique n'ayant qu'une base scientifique faible, et un certain nombre d'idées reçues. Par exemple, il est encore prétendu que les barrages nuisent à l'auto-épuration des cours d'eau, ce qui est contredit par de nombreuses recherches. Quand va donc cesser la langue de bois de certains fonctionnaires et gestionnaires?
  • Plus généralement, le rapport évite la question centrale de l'analyse coût-avantage de l'ensemble de la réforme (pas seulement de tel ou tel projet local), notamment la faible probabilité que les démantèlements de masse changent l'état écologique et chimique des rivières au sens de la DCE 2000. Là aussi, on aurait pu espérer des attentes parlementaires nettement plus fermes sur l'impératif de rationalité, d'efficience et de transparence des politiques publiques.
  • Il est tout à fait paradoxal de souhaiter la défragmentation des cours d'eau et de craindre l'impact des espèces invasives (l'effacement pose problème de ce point de vue, comme nous l'avons montré). 
  • Certains coûts avancés (par exemple le coût annuel d'entretien des passes à poissons selon une étude LOGRAMI-Lyonnaise des eaux) sont disproportionnés pour les petits aménagements et donnent une image déformée de la réalité. 
  • Le problème économique est très euphémisé : les solutions non destructives de continuité sont inabordables pour les petits ouvrages particuliers, qui forment plus de 80% des cibles du classement des rivières. Le problème reste entier, et le refus des effacements (seule solution efficacement subventionnée) n'est pas acté comme une réponse sociale forte aux choix centralisés et autoritaires du Ministère ou des Agences de l'eau.
  • Il est totalement irréaliste de vouloir confier aux DDT-M (services instructeurs de l'administration déconcentrée) une mission de maîtrise d'ouvrage a fortiori de maîtrise d'oeuvre par délégation.
  • La position des représentants des riverains, des moulins et des ouvrages hydrauliques est soit passée sous silence, soit caricaturée. Nous n'acceptons pas le slogan vide selon lequel la réforme souffre d'un problème de compréhension et de pédagogie : la continuité écologique est fort bien comprise, et elle n'est pas acceptée pour ce qu'elle est, en particulier quand elle s'adresse à l'hydraulique ancienne et modeste des moulins à eau.
  • Le rapport oublie largement tous les aspects négatifs de la continuité écologique sur le patrimoine, sur le paysage, sur le potentiel énergétique, sur les usages locaux des ouvrages et sur la valeur foncière des propriétés affectées. Et inversement, il néglige les services rendus par les écosystèmes aménagés. Autant dire qu'il laisse de côté la plupart des motifs d'opposition sur le terrain.
Au final, on voit que les points négatifs sont plus nombreux et plus importants que les points positifs. Les élus ont fait un seul déplacement de terrain (en Sarthe) pour rencontrer des moulins et, de toute évidence, ils n'ont pas assez enquêté sur les problèmes rencontrés par les propriétaires et riverains (nous leur avions proposé une audition et une visite, ils n'ont pas donné suite). Pourtant, ces problèmes sont désormais abondemment couverts par les médias, comme ils sont reconnus par certaines Agences de l'eau. Ils sont proclamés par les 1000 élus et 250 institutions soutenant le moratoire sur le classement des rivières, soit 120.000 personnes déjà représentées au bord des cours d'eau classés. La réforme de continuité écologique est inapplicable en l'état : ce qui aurait dû être le principal message de la mission Dubois-Vigier reste inaudible dans leur rapport.

Illustration : ouvrage fondé en titre sur l'Ignon. Les moulins et petites usines à eau sont largement majoritaires sur les rivières classées en liste 2, sans nécessairement d'enjeu migrateur immédiat et sans impact sédimentaire notable. Rappelons que l'essentiel de la littérature scientifique sur la continuité écologique concerne l'impact des grands barrages, et non de la petite hydraulique.

17/01/2016

Effacement de Nod-sur-Seine: simple déclaration et pas d'enquête publique malgré 500 m de rivière modifiés

L'effacement du barrage de Nod-sur-Seine (voir ici et ici) fait partie des opérations à peu près inutiles dont sont friands les syndicats de rivière (ici le Sicec) et l'administration (DDT, Onema, Agence de l'eau). La qualité piscicole de la Seine au droit du tronçon (mesurée par IPR) est bonne ou excellente dans les relevés disponibles, ce qui ne montrait pas d'urgence particulière à intervenir au motif d'améliorer ce compartiment. Et l'ouvrage offrait des profils intéressants, notamment une profonde fosse de dissipation aujourd'hui recouverte des sédiments remobilisés. A notre grande surprise, le syndicat a procédé à une simple déclaration pour cette opération, alors que plus de 500 m de profil de rivière sont changés. Nous attendons de l'administration une explication. Le syndicat n'a quant à lui jamais répondu à nos courriers...

A l'occasion d'une réunion de concertation chez un adhérent ayant des problèmes de niveau légal de retenue, M. le Sous-Préfet de Montbard nous avait garanti la totale impartialité de l'Etat sur le dossier des ouvrages hydrauliques. Nous lui avions alors signalé que nous ne doutions pas de cette impartialité, mais que nous nous permettrions de la mettre à l'épreuve prochainement. C'est chose faite avec une demande d'information envoyée le 17 novembre 2015, et à ce jour sans réponse.

Nous avons exposé les faits comme il est reporté ci-dessous. Le principal problème : cette destruction d'ouvrage ayant modifié le biotope local et le profil de la rivière sur plus de 100 m (ainsi que les frayères) n'a fait l'objet que d'une déclaration simple, pas d'une autorisation. Donc pas d'enquête publique. Petite destruction de complaisance entre amis qui partagent la même idéologie?  Nous attendons que la Préfecture se positionne clairement sur ce dossier, d'autant que plusieurs autres effacements sont programmés en 2016 par le Sicec, avec dans certains cas de fortes interrogations de riverains sur l'avenir des écoulements.

Dans ce cas de Nod-sur-Seine, nous n'avons pas non plus trouvé trace de l'arrêté préfectoral abrogeant le droit d'eau ou le règlement d'eau, d'analyse chimique des sédiments renvoyés à l'aval de la rivière, d'estimation des espèces invasives, de bilan des nutriments avant/après ni bien sûr d'objectifs de résultat. Les mêmes gestionnaires et fonctionnaires affirmant que les ouvrages ont des impacts font comme si les effacements des ouvrages n'en avaient pas, alors que ces opérations sur lit mineur modifient un équilibre local établi de longue date. Le cas de Nod-sur-Seine a tout d'un chantier à la sauvette qui permet de baisser artificiellement les charges des opérations d'effacement pour prétendre ensuite qu'elles sont en moyenne moins coûteuses à la collectivité que les aménagements (ou le statu quo quand l'ouvrage n'est manifestement pas un problème grave pour les milieux.)

Les faits
A l’automne 2014 a été envoyée à la DDT 21 par le SICEC une déclaration relative aux travaux d’effacement de l’ouvrage Floriet à Nod-sur-Seine : cf récépissé dossier n° 21-2014-00110.

Il est fait état d’un régime de « déclaration » au titre de l’article R 214-1 C Env. 3.1.2.0 : « Installations, ouvrages, travaux ou activités conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau, à l'exclusion de ceux visés à la rubrique 3,1,4,0 ou conduisant à la dérivation d'un cours d'eau sur une longueur de cours d'eau inférieure à 100 m. Le lit mineur d'un cours d'eau est l'espace recouvert par les eaux coulant à pleins bords avant débordement. »

Nous contestons que l’effacement de l’ouvrage Floriet à Nod-sur-Seine implique une modification du lit mineur sur moins de 100 m, tant au regard des résultats visibles du chantier survenu depuis qu’au regard des mécanismes de l’hydrodynamique fluviale appliqués au cas analysé.

Notre demande
Nous demandons au SICEC une copie du dossier de déclaration (pour comprendre le calcul et la modélisation effectués) et le cas échéant une copie du contrôle DDT ou Onema ayant validé l’instruction.

Nous souhaitons si besoin (pour ce cas, pour les effacements programmés et pour nos adhérents) que la DDT précise la notion de « profil en long » et les méthodes de calcul de ce profil dans un dossier loi sur l’eau.

Nos observations
L’influence d’un ouvrage sur le profil en long concerne aussi bien la ligne d’eau et d’énergie que le substrat de la rivière. Cette influence regarde la zone amont et la zone aval. La suppression d’un ouvrage provoque un abaissement de la ligne d’eau,  un phénomène d’érosion régressive avec réactivation de l’érosion latérale amont et un phénomène de sur-alluvionnement aval, associé à la reprise du transport de charge solide (JR Malavoi et D Salgues, Arasement et dérasement de seuil, Onema et Cemagref 2011).

Une influence de moins de 100 mètres sur le profil en long (fond, berge, ligne d’eau) est rarissime pour un ouvrage hydraulique sur les rivières du Châtillonais, dont les pentes sont relativement faibles (le plus souvent entre 0,2 et 0,8%, cf profil IGN et données in SICEC – FDAAPPMA 21, Etude des peuplements macrobenthique et piscicoles de la Seine et de ses affluents au regard de la qualité physique et chimique de l'hydrosystème, 2011).

A titre d’exemple, un ouvrage de seulement 40 cm sur une rivière de pente 0,5% a une influence de l’ordre de 100 m sur le linéaire de la rivière (env. 80 m amont en remous liquide et solide, env. 20 m aval en déficit sédimentaire).


Illustration n°1 : ouvrage avant effacement
L’examen de l’ouvrage Floriet avant effacement (ci-dessus) montre que les vannes de l’ouvrage avaient été retirées, mais que le seuil et radier résiduels représentaient une hauteur que l’on peut estimer visuellement supérieure à 1 m par rapport à la ligne d’eau. Le seuil était de type poids avec une face aval en pente, la chute visible sur l’image étant la partie basse du seuil (on voit la partie haute sous le bajoyer).

Il a été rapporté en réunion du comité syndical (octobre 2015) que la chute résiduelle avait suffi à creuser une fosse de 5 m à l’aval, ce qui indique la persistance d’une activité érosive au niveau du site (pas de comblement de la fosse). Il a été projeté à l’occasion de la même réunion un profil en long, mais nous n’en disposons pas.


Illustration n°2 : berge exondée à l’amont de l’ancien ouvrage, estimation de la hauteur de ligne d’eau due au seuil
Après effacement de l’ouvrage et visite sur site, les strates exondées de la berge sont interprétables en raison de l’absence de crue depuis les travaux. Au niveau de l’ancien seuil, env. 20 m à l’amont, on observe une hauteur d’env. 1,43 m en eau au-dessus du niveau du lit exhaussé (env 1,95 m au-dessus de la ligne d’eau actuelle en étiage, au moment de la photographie, ligne d’eau non représentée sur l’illustration).

Cette observation est cohérente avec l’illustration n°1 et confirme que l’ouvrage résiduel n’était pas une chaussée de quelques centimètres ou dizaines de centimètres.

Au regard de la pente de la Seine en sortie de Nod-sur-Seine, on peut estimer que l’ouvrage avait une influence amont de l’ordre de 500 m et une influence aval de l’ordre de 100 m.


Illustration n°3 : persistance des exondations de berge et atterrissements de remous solide à plus de 300 m de l’ouvrage
Cette image montre les bords de la rivière à une distance d’environ 330 m de l’ancien ouvrage, au niveau du méandre le plus marqué de la rivière sur la zone, cf localisation sur carte IGN. On observe sur chacune des rives des anciens niveaux exondés sans reprise végétative et des systèmes racinaires à nu. On observe également en substrat des atterrissements en amas à granulométrie grossière (sables, graviers) caractéristiques du remous solide des ouvrages hydrauliques.

Cela confirme l’estimation réalisée précédemment : la zone d’influence de l’ouvrage excède très largement les 100 m, donc l’effacement impacte le profil en long sur une distance elle aussi supérieur à 100 m. La partie aval n’est pas examinée ici.  

Conclusion
La DDT doit préciser le régime des travaux en rivière influençant le profil en long ou en travers. Il est nécessaire pour nous de comprendre comment l’estimation de moins de 100 m d’impact sur le profil en long a été calculée par le SICEC et validée par la DDT.

C’est important au regard du chantier de Nod-sur-Seine, même si celui-ci est désormais réalisé, mais aussi au regard des autres projets d’effacement inclus dans la DIG de juin 2015 ou de ceux votés en comité syndical SICEC d’octobre 2015.

En effet, un régime d’autorisation (et non de déclaration) implique une étude d’impact sur l’environnement (protection des milieux) et sur la sécurité (droit des tiers), ainsi qu’une enquête publique. Or, la plupart des ouvrages de Seine amont ont une influence qui dépasse les 100 m de linéaire et qui justifie cette procédure: au demeurant, cela explique l’intervention du syndicat sur ces sites, faute de quoi ils seraient négligeables et sans objet réel de restauration de continuité comme de recréation d’habitats.

Les associations Hydrauxois et Arpohc préparent à l’intention du SICEC, de la DDT 21, de la DR9 Onema et de l’Agence de l’eau S-N un guide juridique et technique relatif à l’ensemble des points de contrôle afférents à tous les projets d’effacement. Ces projets sont très loin d’être neutres et, au-delà de l’objectif initial de restauration de continuité longitudinale, ils peuvent présenter des effets adverses sur les milieux et sur les droits des tiers. Ces incidences sont à estimer et, si besoin, à corriger.

Nous attendons d’être davantage associés à ces projets, en conformité avec le souci de concertation et d’impartialité exprimé par les autorités préfectorales, ainsi qu’avec le niveau d’ambition du financeur (Agence de l’eau) souhaitant que les travaux subventionnés par l’argent public soient irréprochables.

Enfin, il se peut que le SICEC, les services instructeurs de l’Etat et nos associations n’aient pas la même définition de ce qu’est un profil en long. Si le malentendu provient de là, c’est tout aussi important de le savoir car nos adhérents peuvent avoir des projets modifiant la rivière et il est indispensable pour eux de comprendre précisément ce qui relève de la déclaration ou de l’autorisation.