25/06/2016

La FNPF est-elle capable d'une approche responsable de la continuité écologique?

Au dernier congrès de la FNPF (Fédération nationale de la pêche), le président Claude Roustan a livré une nouvelle charge sur la continuité écologique. Objectif : essayer de remettre en cause auprès de Barbara Pompili, secrétaire d'Etat à la biodiversité, les (très modestes) avancées en cours pour une gestion plus équilibrée des rivières. Alors que beaucoup de pêcheurs soutiennent sur le terrain l'existence des étangs, des plans d'eau, des retenues et des biefs, la FNPF semble incapable d'une approche ouverte et concertée avec les autres usagers de l'eau sur ce dossier de la continuité écologique. Un tel intégrisme est-il compatible avec le rôle central que la loi donne à cette fédération et à ses antennes départementales? Nous en doutons. Extraits des propos de Claude Roustan et réponses. 


"Je ne reviendrai que sur un seul sujet : la continuité écologique. Je veux revenir sur cette notion car elle est assez symptomatique d’un acquis de la loi sur l’eau de 2006 et que l’on cherche à déstabiliser, à remettre en cause. Cette notion fait l’objet d’une tentative de remise en cause sans précédent pour différentes raisons sur lesquelles je ne reviens pas."
La "remise en cause" dont parle Claude Roustan, c'est le débat démocratique normal face à une réforme brutale et précipitée, allant très au-delà des souhaits du législateur, décidée pour l'essentiel en petits comités d'initiés, largement non financée dès qu'on sort des solutions simplistes de la destruction par pelleteuse en rivière. Claude Roustan a bien tort de ne pas revenir sur ces "différentes raisons" de la remise en cause des dérives constatées dans la mise en oeuvre de la continuité écologique :
  • une dépense publique considérable pour un gain écologique non garanti,
  • une réforme sans base scientifique sérieuse, davantage formalisée par des idéologues que par des chercheurs,
  • une absence récurrente de concertation avec les principaux concernés (propriétaires, riverains, usagers) dans les décisions amont,
  • une pression intolérable pour casser le patrimoine hydraulique du pays.
"Or, ces ruptures de continuité constituent à coup sûr une cause déterminante de la non atteinte du bon état écologique des eaux."
Cette affirmation sans preuve est un slogan éculé et depuis longtemps dénoncé. Aucun modèle n'a été mobilisé pour le classement de continuité écologique des rivières, ce qui est un scandale d'amateurisme et de confusion pour une politique publique. Les classements de 2012-2013 ont été construits par de supposés "experts" dont on ne connaît pas les travaux sur chaque rivière. Cela s'est fait :
  • sans publication scientifique, 
  • sans analyse modélisée des autres pressions des bassins versants, 
  • sans priorisation des sites d'intérêt pour la connectivité locale,
  • sans recours à l'histoire environnementale pour connaître la variabilité naturelle / forcée des biocénoses, 
  • sans croisement avec les données DCE,
  • souvent en excluant les grands barrages publics, malgré leurs impacts autrement plus manifestes que les seuils de moulin. 

Depuis la loi de 2006 et le classement de 2012-2013, des travaux de chercheurs comme Van Looy et al 2014 ou Villeneuve et al 2015 ont montré que la densité de barrage a un impact relativement faible sur les peuplements piscicoles utilisés comme bio-indicateurs de qualité pour la DCE (et parfois un impact positif sur la biodiversité du tronçon, en raison de la création de nouveaux habitats lentiques). D'autres chercheurs, comme Morandi et al 2014 ou Lespez et al 2015 ont montré que les opérations de restauration physique des rivières ont des protocoles scientifiques défaillants et/ou de mesures de succès largement subjectives.

Largement couvertes par les officiels de la pêche, ces pratiques sous-informées sont un scandale permanent que nous dénoncerons aussi longtemps que l'administration ne sera pas capable de rehausser le niveau de mise en oeuvre de la continuité écologique et de l'intégrer dans une vision plus large de la rivière, incluant l'ensemble des services rendus par les écosystèmes aménagés (et non pas la focalisation sur une sélection de poissons intéressant les pêcheurs, mais représentant une modeste partie de la biodiversité aquatique).

Nous espérons de ce point de vue que la création de l'Agence française pour la biodiversité va mettre un terme à une vision incomplète et biaisée des différentes approches de la conservation et de la restauration en rivière.
"Depuis la suspension de l’arasement des ouvrages de la Sélune dans la Manche, jusqu’à la jurisprudence qui semble admettre que le plus noble des classements à savoir en liste 1 de l’article L 214-17, aux annonces de la volonté de développer la production hydroélectrique, il faut admettre que les signaux envoyés aux propriétaires de ces ouvrages ne sont pas conformes au bien commun. (…) Ce mouvement a créé les conditions propices aux amendements que tout le monde connait et portés dans le cadre des projets de loi biodiversité et patrimoine. Un énième délai de mise en conformité a été accordé à tous ceux qui, depuis des années, diffèrent le respect de leurs obligations. Mieux on a cherché à poser le principe selon lequel tous ces ouvrages doivent être protégés par la législation sur les monuments historiques."
L'énergie bas carbone d'origine hydraulique fait partie des atouts mobilisés par la France pour engager la transition énergétique en vue de prévenir un réchauffement climatique dangereux pour les sociétés et les milieux. Le patrimoine des moulins est par ailleurs un héritage exceptionnel du dernier millénaire de notre histoire, témoin important du peuplement humain de chacune de nos vallées. Cela relève tout autant du "bien commun" et les fédérations de pêche — dont il faut tout de même rappeler que les adhérents tuent ou blessent des millions de poissons chaque année par loisir et dont les pratiques d'empoissonnement volontaire ou accidentel modifient depuis des siècles les populations piscicoles des rivières françaises — n'ont pas à prétendre au monopole en ce domaine. La littérature scientifique en conservation désigne au demeurant la pêche comme l'un des grands facteurs passés et présents de menace sur les milieux aquatiques : c'est un comble d'entendre des leçons de morale écologique de ce milieu qui, en raison d'une connivence historique avec l'administration en charge de l'eau, n'a jamais reçu la moindre évaluation scientifique indépendante de ses impacts.

Que Claude Roustan balaie donc devant la porte de sa Fédération avant de prétendre administrer des labels de "bien commun" avec une telle arrogance. L'appel à moratoire sur la continuité écologique est soutenu par des représentants des riverains, des moulins, des gestionnaires d'étangs, des forestiers, des agriculteurs, des hydro-électriciens, des grands acteurs de la protection du paysage et du patrimoine. Il a même été signé par des associations de pêche et des syndicats de rivière. Affirmer que ces instances, les 100.000 adhérents locaux directs, les 1400 élus qui les appuient sont des adversaires du "bien commun", c'est une posture insultante et irresponsable, indigne d'une grande fédération comme la FNPF.

De leur côté, les représentants officiels des pêcheurs ont refusé de signer la Charte pour une hydro-électricité durable en 2010, comme ils refusent aujourd'hui de signer une Charte des moulins qui reconnaîtrait la légitimité de l'existence du patrimoine hydraulique. Cette intolérance caractérisée face aux autres usages de l'eau rend difficile toute gestion durable, concertée et équilibrée de la rivière.
"Nous avons tous à cœur de défendre des moulins dès lors qu’ils ont un propriétaire, qu’ils ont un usage et qu’ils respectent le fonctionnement naturel des rivières qui les accueillent."
Ce n'est certainement pas le ressenti sur le terrain ni ce qui transparaît de la communication FNPF. Avec l'assistance de l'ancien Conseil supérieur de la pêche devenu Onema, les fédérations de pêche ont été les premières à promouvoir le discours de la destruction du patrimoine hydraulique comme choix prioritaire car le plus efficace pour la "renaturation" des cours d'eau (cette renaturation étant assez fantasmatique vu l'anthropisation plurimillénaire des milieux, dont la pêche est au demeurant l'une des dimensions). Pourtant, la majorité des pêcheurs de France s'intéresse aux carnassiers et aux "blancs" (cyprinidés), ils ne se retrouvent pas dans certains discours dogmatiques de la FNPF et des FDAAPPMA sur la disparition des retenues, laissant un filet  d'eau et quelques flaques à l'étiage. Localement, les AAPPMA sont de plus en plus souvent désolées de l'image dogmatique et brutale que renvoie l'appel de certains officiels de la pêche à effacer les ouvrages sous prétexte d'une continuité n'ayant parfois d'écologique que le nom.

Quant à défendre les moulins à la condition limitative qu'ils aient "un usage", c'est le diktat posé de manière arbitraire depuis 15 ans par les Agences de l'eau et la Direction de l'eau du Ministère de l'environnement. On connaît la chanson : la définition de l'usage est tellement restrictive que la plupart des sites sont condamnés (voir encore l'exemple récent du plan d'eau de Bessy-sur-Cure, dont les usages sont affirmés par des centaines de riverains y compris des pêcheurs appréciant ce lieu depuis toujours, ce qui est purement et simplement nié par l'Agence de l'eau).

Les pêcheurs et les moulins n'ont qu'un avenir commun : poser la légitimité de l'existence des ouvrages hydrauliques et travailler à définir des règles efficaces de gestion écologique, en fonction des besoins réels des tronçons. Si cette évidence est impossible à mettre en oeuvre au plan national et départemental en raison de postures institutionnelles et de dérives dogmatiques, c'est au plan local qu'il faudra développer des pratiques concertées. Nous y sommes pour notre part disposés.

24/06/2016

Le rapport Malavoi 2003: construction d'une idéologie administrative des ouvrages hydrauliques

Comment en est-on arrivé là? Cette question est souvent posée à propos de la politique publique de suppression des seuils de moulins menée depuis une dizaine d'années, particulièrement depuis le PARCE 2009 et le classement 2012-2013 des rivières à fin de continuité écologique. La réponse est évidemment complexe, car une planification administrative se nourrit de nombreuses influences dans son émergence. On peut néanmoins travailler à la généalogie intellectuelle de la destruction des ouvrages hydrauliques comme outil de restauration. En 2003, la Directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) est adoptée depuis peu, les Agences de l'eau sont en charge de son application au niveau des grands bassins hydrographiques. L'Agence de l'eau Loire-Bretagne commande à l'ingénieur Jean-René Malavoi un rapport sur la stratégie à adopter face aux seuils en rivière, essentiellement les ouvrages des moulins. Ce rapport Malavoi 2003 va apporter une contribution significative à l'idéologie administrative qui se met en place pour les 10 prochaines années, avec des éléments de langage qui seront répétés massivement par la suite. L'examen rétrospectif de ce document procure des enseignements utiles sur la base scientifique fragile qui a fondé le choix public contestable et contesté de "l'arasement des ouvrages sans usage".

Le rapport Malavoi 2003 est d'abord important pour sa date de publication. En 2003, la directive cadre européenne (DCE 2000) sur l'eau vient d'être adoptée. La gestion par bassin ("district") hydrographique ayant été retenue, les Agences de l'eau et les SDAGE deviennent les outils d'implémentation des politiques visant au bon état chimique et écologique au sens que l'Union européenne donne à cet état.

Une "idéologie administrative" en construction, désignation de l'ouvrage hydraulique comme adversaire du bon état écologique
Les Agences de l'eau, en phase avec le Ministère de l'Environnement, vont donc développer une certaine interprétation de l'écologie de la rivière. Cette interprétation transparaîtra dans les états de lieux devenus obligatoires pour le rapportage à la Commission européenne des progrès des objectifs de la DCE 2000. Le premier état des lieux DCE est réalisé en 2004. L'Agence de l'eau Loire-Bretagne et l'Agence de l'eau Rhône-Méditerrannée-Corse se singularisent alors en posant que l'hydromorphologie (impacts physiques sur les écoulements et sédiments) serait responsable de la moitié des dégradations de l'état écologique des masses d'eau.

Il s'agit à l'époque d'une affirmation sans preuve. Pour poser ainsi une causalité entre une famille de pressions et une famille d'indicateurs chimiques / biologiques, il faut un travail de modélisation scientifique préalable qui n'est pas réalisé. Et pour cause, les indicateurs de suivi du bon état DCE ne sont à l'époque pas tous normalisés – a fortiori ils ne peuvent pas être appliqués en routine pour évaluer des masses d'eau et nourrir des modèles d'interprétation. Dire que la moitié des rivières sont dégradées écologiquement (au sens de la DCE) en raison de la morphologie est donc une vue largement subjective, au mieux "à dire d'experts".

Une affirmation sans preuve, c'est généralement ce que l'on nomme une croyance ou une idéologie. Nous l'appelons ici l'idéologie administrative des ouvrages hydrauliques. Qui va la construire et la diffuser ? Les personnels experts de l'administration centrale (Direction eau et biodiversité du Ministère), des agences de l'eau, du Conseil supérieur de la pêche devenu Onema (Office national de l'eau et des milieux aquatiques) et travaillant avec les fédérations agréées de pêche et protection des milieux aquatiques, des bureaux d'études et agences conseil oeuvrant pour ces instances.

Un objectif clair: définir ce que sera la politique des seuils et petits ouvrages
Le rapport Malavoi 2003 est donc une brique dans ce dispositif. Son auteur, Jean-René Malavoi, a une formation scientifique en hydromorphologie fluviale (thèse doctorale sous la direction de Jean-Paul Bravard), un parcours d'ingénieur conseil privé (à l'époque du rapport 2003 à la société Area), avec des missions de conseil Agence de l'eau et Onema (J.R. Malavoi travaille aujourd'hui à la division hydraulique d'EDF). Il est auteur de manuels et guides techniques sur l'hydromorphologie fluviale, le transport solide, la restauration des rivières – dont la lecture est au demeurant agréable et instructive, voir par exemple ses Eléments d'hydromorphologie fluviale publiés par l'Onema en 2011).

Le rapport Malavoi 2003 répond à un objectif : définir la "stratégie d'intervention de l'Agence de l'eau sur les seuils en rivière". Le "seuil" y est clairement dissocié des autres ouvrages : "Les 'grands barrages' constituent une problématique particulière, totalement différente de celle évoquée dans le cadre des objectifs de l’étude. Le champ d’investigation de l’étude est donc limité aux ouvrages d’une hauteur dont l’ordre de grandeur est compris entre 35 centimètres et 5 mètres."

Malavoi rappelle les dimensions historiques, techniques, réglementaires, sociologiques des petits ouvrages en rivière, ainsi que leur typologie et leurs usages sur un échantillon de 403 ouvrages. La synthèse est au demeurant assez efficace, on la lira avec profit. Mais elle reste un survol sommaire, et elle est imprégnée de jugements de valeur implicites ou explicites. Par exemple en page 32 : "Très peu d’ouvrages ont aujourd’hui un usage économique. Bien que certains ouvrages assurent d’autres rôles ou fonctions, la majorité des seuils n’ont plus aujourd’hui aucune utilité." Pourquoi un ouvrage devrait-il se juger à cette "utilité" et pourquoi cette approche "utilitaire" ne devrait pas intégrer toutes sortes de critères non productifs ou non marchands (par exemple le plaisir, l'esthétique, le paysage, la culture)? Ce n'est pas réellement creusé.

Du coup, l'auteur parle de "paradoxe" : "alors même qu’une grande partie des seuils, faute d’entretien, se trouve dans un état laissant présager leur ruine à court ou moyen terme, de profondes réticences sont enregistrées face au retour à des conditions d’écoulement libre sur la plupart des rivières."

En réalité, ce "paradoxe" n'en est pas un : l'attachement des propriétaires à l'ouvrage hydraulique (et parfois des riverains à son plan d'eau) n'est tout simplement pas soluble dans les catégories dominantes de l'étude. Cette incapacité à comprendre le ressort de l'attachement aux ouvrages aurait dû déclencher un signal d'alarme et indiquer la nécessité d'analyses complémentaires, sous un angle davantage sociologique et géographique (Malavoi le signale incidemment). Ce ne fut pas fait à notre connaissance, au moins dans le bassin Loire-Bretagne (voir plus tard les travaux des équipes du projet Reppaval ou de certaines programmes du Piren sur d'autres bassins).

"Il est aujourd'hui admis…" le péché originel de la sous-information scientifique
Malavoi décline dans ce travail les trois grands effets physiques et écologiques des seuils, que l'on retrouvera copiés-collés à l'identique dans beaucoup d'autres documents administratifs ensuite : "les effets sur les flux d’eau, de matières solides, d’éléments divers des biocénoses aquatiques (poissons, invertébrés, plantes) - effets flux ; les effets liés à la présence d’une retenue d’eau en amont - effets retenue ; les effets liés à la présence d’une structure stabilisatrice (le seuil et son « génie civil ») - effets point dur."

Il est écrit en page 36 : "Il est aujourd’hui admis que les ouvrages transversaux en rivière ont un grand nombre d’impacts négatifs et un petit nombre, souvent fonction de conditions locales particulières, d’impacts positifs sur les écosystèmes aquatiques. Nous proposons donc de détailler, à partir de données bibliographiques et de nos propres connaissances, ces différents effets."

Le problème : la bibliographie du rapport (pages 133-134) ne comporte qu'une petite vingtaine de références, presque toute généralistes et pour beaucoup anciennes. En comparaison une "review" dans la littérature scientifique compte de l'ordre d'une centaine de références, uniquement des travaux scientifiques antérieurs revus par les pairs, pas de la "littérature grise". Cette dernière est formée de publications expertes mais sans processus de validation scientifique strict, comme justement le rapport Malavoi 2003 que nous commentons (plus généralement des rapports de bureaux d'études, d'administrations, d'ONG, etc.). Le niveau de confiance dans la littérature grise est faible : il peut s'y glisser des erreurs, des biais, des sur-interprétations, des généralisations, etc. C'est pourquoi la science se construit par des publications scientifiques de travaux de recherche, et pas ailleurs.

Au moment où paraît le rapport, les chercheurs commencent à s'inquiéter des échecs de la restauration physique des rivières
Par ailleurs, ce travail de 2003 sur la continuité écologique est publié à peu près au moment où, aux Etats-Unis, commence une vague scientifique de retours critiques sur les premières opérations de restauration morphologique. Les travaux très commentés du laboratoire de Margaret Palmer,  gérant la première base de données quantitatives sur ces chantiers en rivière (National River Restoration Science Synthesis project), en sont un exemple (voir une synthèse des éléments critiques de la littérature récente).

Depuis ce rapport, des chercheurs et universitaires ont critiqué la dimension trop généraliste de ces interprétations hydromorphologiques sur les seuils, et plus généralement sur l'histoire sédimentaire des bassins (par exemple la critique de Lespez et al 2015 sur la mauvaise application des "renaturations" morphologiques pour des rivières à basse énergie, alors que les concepts de cette renaturation sont souvent nés sur expériences des têtes de bassin ou de systèmes à forte capacité morphogène ; la critique de Morandi et al 2014 sur la sous-information scientifique des programmations et des suivis des opérations de restauration).

L'idéologie administrative des ouvrages hydrauliques se construit donc sur des données très partielles, en décalage avec la dynamique de la recherche. Le rapport Malavoi 2003 va instaurer un régime particulier de légitimation de l'action publique : des propos savants, des concepts opérationnels, une description "phénoménologique" générale de l'effet des ouvrages, mais pour autant:
  • aucune quantification de ces effets, 
  • aucune méta-analyse des résultats scientifiques, 
  • aucun ordre de grandeur de l'impact effectif des seuils sur les différentes populations biologiques, sur la granulométrie du substrat, sur la charge modifiée par  rapport à la charge totale du bassin de drainage, sur l'épuration chimique des intrants de type nutriments ou pesticides, etc.
On dit que les seuils ont un effet (ce qui est vrai), on décrit des mécanismes de cet effet (de manière exacte sur les principes généraux de l'hydraulique fluviale), mais on ne produit aucune appréciation quantifiée, aucun modèle pondérant l'impact des seuils par rapport à toutes les autres pressions.

Dégradation de l'information: de la science à la littérature grise, de la littérature grise aux slogans de programmation publique
On peut aussi télécharger sur la base eaufrance.fr une présentation en version courte de l'étude de Malavoi 2003. Le ton y est plus direct : la bonne solution pour les ouvrages qui n'ont pas un "intérêt collectif majeur" est "l'arasement". Les seuils sont une "priorité à intégrer dans les SAGE". La morphologie est un "risque majeur de non atteinte du bon état (DCE)".

Tous ces éléments de langage, désormais assénés comme autant d'évidences, seront au coeur du discours public Ministère / Agence / Dreal / Onema après l'adoption de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006.


Il y a donc une sorte d'entropie ou dégradation de l'information environnementale :
  • un expert synthétise une partie des travaux scientifiques pour des administratifs (première perte de la qualité de l'information par négligence de certains travaux non connus ou non cités par l'auteur, choix parmi les paradigmes des diverses écoles en sciences de la restauration et de la conservation, qui ne sont nullement homogènes, gommage des détails, des réserves et des nuances,  etc.);
  • des administratifs simplifient encore cette synthèse de l'expert pour les parties prenantes, les élus et les citoyens (seconde perte de la qualité de l'information, déformation du message pour le rendre simple et mobilisateur).

Les expertises détaillées sur les bassins versants ne sont pas menées, ou leurs conclusions sont négligées
Parallèlement, certaines bonnes résolutions du rapport Malavoi 2003 comme le fait d'"expertiser les impacts à l'échelle d'un bassin versant ou d'un axe" ne seront guère suivies d'effet – l'expertise étant généralement limitée à un comptage des seuils (ROE, taux d'étagement) sans aucun modèle d'impact ni aucun croisement avec les données sur l'eau et le bassin versant.

Il se trouve que JR Malavoi, dans le cadre d'une mission en 2006-2007 pour le syndicat de l'Armançon (BE Hydratec), a expertisé le bassin versant de ce cours d'eau. Ce travail plus ambitieux qu'un simple relevé des seuils aboutit à une conclusion qui ne corrobore pas du tout la supposée gravité des petits ouvrages pour la dynamique fluviale :

"Le bassin de l’Armançon présente environ 400 Km de rivières importantes : l’Armançon lui-même (200 Km) et ses principaux affluents et sous-affluents (Brenne, Oze, Ozerain et Armance). D’un point de vue géodynamique, ces rivières, bien que très influencées par les activités anthropiques (nombreux barrages, anciens rescindements de méandres et travaux divers liés notamment à la construction du canal de Bourgogne, nombreuses protection de berges « rustiques » (dominantes) ou très « lourdes » (plutôt rares) présentent une activité géodynamique assez importante. Les érosions de berges, plus ou moins actives selon les secteurs, sont à l’origine d’une charge alluviale importante qui garantit, malgré la présence de barrages « piégeurs d’alluvions », un équilibre sédimentaire. Cette fourniture de charge alluviale évite notamment les incisions du lit, dommageables pour les ouvrages d’art (ponts, digues, protections de berges sur des secteurs à enjeux). Cette activité géodynamique permet aussi le maintien de milieux intéressant du point de vue écologique : des habitats aquatiques diversifiés (en dehors des retenues générées par les seuils) ; un substrat alluvial indispensable pour les biocénoses aquatiques" (Malavoi 2007, 1, 190-191)

Il n'y a donc pas matière à nourrir une politique de restauration coûteuse ni à justifier un classement de continuité (activité sédimentaire correcte, habitats diversifiés). Mais qui va lire ces volumineux rapports ? Personne ou presque. On les enferme dans un tiroir et on préfère s'en tenir aux généralités comme celles du rapport Malavoi 2003, offrant des schémas cognitifs plus simples au risque d'être simplistes, voire faux.

Le problème est le même pour certains travaux de bureaux d'études: par exemple, aussi bien NCA 2014 sur la Cure à Bessy qu'Artelia 2016 sur la Brenne à Montbard ne parviennent pas à trouver d'effet sédimentaire significatif des seuils étudiés. C'est écrit noir sur blanc dans leurs rapports mais malgré cela, rien ne change dans la conviction des porteurs de projet. On reste dans la croyance en des idées générales et l'adhésion à des planifications pré-établies : si l'impact sédimentaire est mesuré comme faible, on dira que le seuil "nuit à l'auto-épuration" (sans mesurer pour autant la chimie des nutriments et contaminants, donc sans preuve), qu'il "nuit à la biodiversité" (sans mesurer pour autant la biodiversité de l'hydrosystème, donc sans preuve), etc. Comme toujours, l'idéologie fait feu de tout bois pour renforcer sa croyance, ignore les objections empiriques et sélectionne les seuls faits qui la corroborent.

Conclusion
Le rapport Malavoi 2003 a été une étape importante dans la construction intellectuelle de l'idéologie administrative des seuils de moulins. Le problème n'est évidemment pas dans la compétence scientifique et technique de son auteur, qui est indiscutable. Le problème réside dans l'exercice lui-même : on ne peut pas traiter une question aussi complexe que l'effet des seuils sur les cours d'eau et le choix d'une politique sur ces seuils par un seul rapport rédigé par une seule personne. C'est une expertise scientifique, collective et multidisciplinaire qui aurait dû être sollicitée, fondée sur un solide passage en revue de l'ensemble de la littérature scientifique, avec des mises en garde sur le niveau de robustesse des conclusions de la recherche. A notre connaissance, un tel document n'existe toujours pas en 2016. Quant à l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, elle a continué à développer des outils programmatiques sur des bases scientifiques quasi inexistantes, comme le taux d'étagement mis en avant à la fin des années 2000 puis adopté en 2016 par l'Agence de l'eau Seine-Normandie. Ainsi prospère l'idéologie administrative de l'effacement des ouvrages hydrauliques. Tôt ou tard, sa mise en oeuvre butera sur la réalité des résistances qu'elle suscite. Tôt ou tard, son caractère rudimentaire et parfois dogmatique fera l'objet d'une critique scientifique (des voix s'élèvent déjà). Le plus tôt sera le mieux, compte tenu du caractère irréversible de la destruction du patrimoine hydraulique hérité de siècles d'occupation des vallées.

Références : 
Malavoi JR - Area (2003), Stratégie d'intervention de l'Agence de l'eau sur les seuils en rivière, 134 p.
Malavoi JR - Hydratec (2007), Etude de la dynamique fluviale et des potentialités de régulation de l'Armançon, Rapport de phase 1, diagnostic.

A lire en complément
Du continuum fluvial à la continuité écologique: réflexions sur la genèse d'un concept et son interprétation en France
Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques"

A noter
L'Agence de l'eau Loire-Bretagne, pionnière dans les postures les plus agressives vis-à-vis des seuils et barrages, est aussi une Agence qui stagne depuis 10 ans sur la progression de l'état chimique et écologique des masses d'eau de son bassin. Elle est par ailleurs incapable de donner aux citoyens un état chimique des rivières dans l'accompagnement de son SDAGE 2016-2021. Cette allocation défaillante de l'argent public devrait faire l'objet d'un audit si l'institution veut corriger sa trajectoire problématique et conserver sa crédibilité.

22/06/2016

Agence de l'eau Seine-Normandie : l'insupportable dogmatisme de l'effacement

En réunion de concertation pour l'avenir du plan d'eau de Bessy-sur-Cure, nous nous sommes heurtés une nouvelle fois au dogmatisme de l'Agence de l'eau Seine-Normandie: financement des effacements à 80 voire 100 %, refus de financement des aménagements de franchissement dès lors que l'ouvrage n'a pas d'usage ou que son effacement est jugé possible. Le contentieux sur les ouvrages en rivières classées L2 sera la seule issue si l'Agence persiste dans cet intolérable chantage à la casse. Vous pouvez nous aider à nourrir le dossier de ce contentieux en nous communiquant des exemples de financement public de passes à poissons par des Agences de l'eau. Car l'arbitraire des choix opaques de chaque Agence a ses limites : face à la loi commune, les citoyens français n'ont pas à subir des inégalités de traitement devant des charges publiques.

On peut lire sur le site de l'Agence de l'eau Seine-Normandie la grille d'attribution des aides publiques dans le domaine de la restauration des rivières, et en particulier de la continuité écologique. Voici le barème :
Suppression d'obstacles à la libre circulation : subvention de 80%, subvention de 100% si actions PTAP
Dispositifs de franchissement : le financement de dispositif de franchissement est limité aux ouvrages avec usage dont l'effacement est impossible dans des délais raisonnables. En outre la mise en conformité d'un ouvrage à usage économique n'est pas éligible s'il fait l'objet d'une mise en demeure. Subvention de 40%, subvention de 60% et avance de 20% si actions PTAP.
En d'autres termes, dès lors qu'un effacement est possible et dès lors que l'ouvrage est jugé sans "usage", il n'y a pas d'aide pour des passes à poissons. Dans le cas de Bessy-sur-Cure, l'Agence considère que l'on peut remplacer la baignade par des points d'eau de petite profondeur, que l'on peut modifier les captages de la retenue, donc que l'effacement est possible. C'est ainsi la seule solution financée. Notons qu'à Bessy-sur-Cure, l'AESN maintient que le coût ridiculement faible de 50 k€ pour le dérasement d'un ouvrage de 120 m de long, avec de forts enjeux de riveraineté, de stabilité berge-bâti et de compensation d'usages lui paraît réaliste. Cette prétention fantaisiste est la condition pour dire que l'effacement a le meilleur coût-avantage quand, dans le même temps, on demande des passes à poisson pharaoniques pour des espèces n'en ayant guère besoin au regard de la qualité piscicole excellente de la masse d'eau.

Notre association va évidemment se plaindre de cette position dogmatique auprès des inspecteurs du CGEDD et de la direction administrative de l'AESN, qu'elle rencontre dans les prochains jours, ainsi qu'auprès du président du Comité de bassin Seine-Normandie dont la tolérance vis-à-vis de ces pratiques discriminatoires et destructrices est incompréhensible. François Sauvadet a déjà pris des positions publiques en faveur de la sauvegarde des seuils et barrages : nous lui demanderons de mettre ses actes en conformité avec ses convictions et de saisir l'instance délibérative de Seine-Normandie en vue de modifier ces arbitrages délétères.

En comparaison de cette incroyable pression à la destruction que subissent les riverains et propriétaires, rappelons la manière trompeuse dont le Ministère de l'environnement expose la question aux parlementaires inquiets de ces dérives :
"Le classement de cours d'eau en liste 2 nécessite que les ouvrages en place (seuils, barrages) soient adaptés, transformés ou parfois déconstruits, pour assurer le rétablissement des fonctionnalités écologiques (épuration, tampon de crues, habitats diversifiés support de biodiversité, etc.). Les ouvrages concernés font l'objet d'informations, de concertations, d'études multicritères, afin de rechercher la meilleure solution technique et financière."
Le cas de Bessy-sur-Cure montre que c'est du vent : les enjeux écologiques sont très faibles, le tronçon de rivière est en bon état DCE (excellent état piscicole), le plan d'eau a des usages sociaux, et malgré tous les éléments reconnus de cette "étude multicritères", le seul discours tenu par l'administration est : nous préférons déraser et vous serez fortement aidés en ce sens ; sinon débrouillez-vous, mais sachez que le dossier d'instruction sera sévère et le dispositif exigé coûteux.

Comment la parole publique peut-elle être crédible quand on dissimule aux parlementaires la réalité du terrain et le parti-pris en faveur de la destruction du patrimoine hydraulique? Qu'espère l'administration avec cette attitude brutale, sinon des rapports de plus en plus tendus sur les rivières classées?

Une base de données pour démontrer l'arbitraire au juge : vous pouvez nous aider
Nous avons ouvert une base de données des aménagements avec passes à poissons financés en Seine-Normandie et sur les autres bassins français. Nous demandons à nos lecteurs de nous envoyer leurs propres données s'ils ont bénéficié de subventions pour des aménagements de continuité écologique (construction d'un dispositif de franchissement sans usage industriel ou commercial du moulin).

S'il n'est pas mis fin à la prime actuelle à la casse, nous demanderons en effet au juge de constater et de condamner les inégalités devant les charges publiques sur le territoire national : face aux obligations nées d'une loi commune, certains bénéficient de l'aide publique et d'autres non, dans des cas parfaitement similaires. C'est évidemment inacceptable.  Merci par avance de nous aider à motiver cette future démarche en nous contactant pour recevoir notre formulaire standardisé d'information sur les chantiers de continuité financés par Agence de l'eau, quel que soit le bassin.

A lire (et faire lire à vos élus) en complément
Idée reçue #01 : "Le propriétaire n'est pas obligé d'effacer son barrage, il est entièrement libre de son choix"
Idée reçue #05 : "l'Etat n'a jamais donné priorité aux effacements des ouvrages hydrauliques en rivière"
Idée reçue #06 : "C'est l'Europe qui nous demande d'effacer nos seuils et barrages en rivière"

21/06/2016

Continuité écologique: les députés Valax et Bourdouleix posent les questions qui dérangent

Tandis que la Direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l'Environnement tente d'apaiser les parlementaires par des informations lacunaires et trompeuses, nombre d'entre eux savent parfaitement que les choses ne s'améliorent pas. Echec de la charte des moulins, progrès de la demande de moratoire sur l'exécution du L 214-17 CE, insistance sur les coûts exorbitants d'aménagements peu financés par les Agences de l'eau (au moins par certaines), désarroi des propriétaires privés ou publics menacés de destruction de leurs biens, interrogation sur le caractère raisonnable des choix français par rapport à la pratique des autres pays européens… la DEB ne pourra esquiver indéfiniment la réponse aux excès et outrances qu'elle a couverts dans la politique des ouvrages hydrauliques depuis le PARCE 2009 et le classement 2012. 




Depuis 2 ans, on doit atteindre la centaine de questions parlementaires sur le problème de la continuité écologique et des moulins. Le rythme ne faiblit pas et nous pouvons d'ores et déjà pronostiquer qu'il va reprendre de plus belle à la rentrée parlementaire de septembre, vu les effacements encore programmés malgré la demande de Ségolène Royal de les suspendre provisoirement.

Question N° 96142 de M. Jacques Valax (Socialiste, écologiste et républicain - Tarn )
M. Jacques Valax attire l'attention de Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat sur les moulins qui constituent des ressources économiques et énergétiques ainsi qu'un maillage territorial et un patrimoine culturel incontestable en France. La circulaire du 25 janvier 2010 qui prône soit l'effacement systématique des ouvrages issus des moulins, soit l'obligation d'équipement par dispositif de franchissement conduit à des dépenses exorbitantes pour leurs propriétaires privés ou publics. Sans remettre en cause le principe de continuité écologique, il semblerait nécessaire d'analyser l'efficacité réelle de la mise en œuvre de cette circulaire sur la qualité des milieux et surtout d'en assurer la faisabilité pour les maitres d'ouvrages qu'ils soient privés ou publics. Aujourd'hui, très peu de propriétaires privés sont capables de supporter financièrement le coût des modifications même si elles sont fortement subventionnées. Il souhaiterait donc connaître comment s'organisent les autres États de l'Union européenne sur ce dossier et lui demande de bien vouloir envisager de définir, en concertation avec toutes les parties prenantes, les conditions d'une mise en œuvre plus équilibrée de la continuité écologique afin de permettre également la sauvegarde des moulins à eau.

Question N° 95822 de M. Gilles Bourdouleix (Non inscrit - Maine-et-Loire)
M. Gilles Bourdouleix attire l'attention de Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat sur la destruction en cours des 60 000 moulins de France. Le 3e patrimoine historique bâti de France fait l'objet d'une application déraisonnée et excessive de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006, suite à l'application de la circulaire du 25 janvier 2010 dite « Borloo » qui prône l'effacement systématique des ouvrages et des seuils des moulins. Les moulins de France constituent des ressources économiques, énergétiques, un maillage territorial et un patrimoine culturel incontestable. Pourtant, l'administration refuse de considérer la valeur patrimoniale de ces usages en les réduisant à des « obstacles » à la continuité écologique. Or les propriétaires de moulins ne sont pas opposés au principe de la continuité écologique mais à l'application excessive qui en est faite. C'est pourquoi il est absolument nécessaire et urgent de trouver une solution entre la gestion équilibrée de la ressource en eau et la préservation du patrimoine. La réunion de travail conjointe entre les deux ministères (environnement et culture) n'a abouti à aucune solution concrète pour sauvegarder le patrimoine hydraulique. Alors qu'une nouvelle mission vient d'être demandée au CGEDD, actant ainsi l'échec des conclusions de la précédente mission dans les territoires, la situation continue de se dégrader (échec récent de la signature de la charte des moulins et demande d'un moratoire sur le classement des rivières). Il souhaite donc connaître ses intentions pour permettre une conciliation harmonieuse des différents usages de l'eau dans le respect du patrimoine et des obligations de la France dans le cadre de la DCE2000 et remédier enfin aux situations de blocage avec l'administration.

Conclusion
Les 12 fédérations et syndicats, 300 associations de terrain, 1000 élus locaux qui soutiennent déjà le moratoire sur la continuité écologique sont disposés à se battre pour que cesse la politique de destruction du patrimoine hydraulique de notre pays. Les solutions sont simples : reconnaissance non ambiguë de l'existence légitime des moulins et usines à eau ; choix d'aménagement conditionnés par la possibilité préalablement démontrée d'atteindre un objectif DCE sur une masse d'eau ou par la protection elle aussi démontrée d'une espèce réellement menacée ; financement public des dispositifs de franchissement piscicole et de transit sédimentaire. L'interpellation des élus, la dénonciation des pratiques administratives et la préparation des actions contentieuses collectives sur chaque rivière se poursuivront aussi longtemps que se poursuivra le déni du Ministère de l'environnement sur l'échec de la première mise en oeuvre de la continuité écologique et la nécessité de sa réforme en profondeur.

Le 25 juin, venez aux 4es Rencontres hydrauliques de notre association pour analyser les dernières évolutions de la politique de l'eau, affirmer la fierté des ouvrages hydrauliques et lancer la reconquête des rivières humaines face aux tenants des rivières "renaturés" à la pelleteuse !

19/06/2016

Bessy-sur-Cure : premiers arguments pour une sauvegarde du seuil et de son plan d'eau

L’association Hydrauxois a été saisie par ses adhérents de la commune de Bessy-sur-Cure afin de participer à la recherche d’une solution raisonnable et viable sur les aménagements des ouvrages hydrauliques formant le plan d’eau de la Commune. Il apparaît que les deux solutions actuellement avancées ne sont pas recevables : soit un effacement, qui soulève une vive opposition en raison du caractère structurant du plan d’eau ; soit un aménagement très lourd de franchissabilité, qui n’est pas solvabilisé en l’état des financements publics. Nous publions un extrait de notre premier rapport en défense des ouvrages de Bessy-sur-Cure, montrant notamment la force des enjeux patrimoniaux et sociaux du plan d'eau, en même temps que la faiblesse objective des enjeux écologiques sur la Cure aval. La destruction n'est pas une option, en particulier sur une rivière où les grands barrages (Crescent, Settons) sont sans projet de continuité piscicole et sédimentaire. 



Le caractère structurant de l’ouvrage et du plan d’eau de Bessy-sur-Cure
Le seuil de Bessy-sur-Cure a été régulièrement entretenu depuis les années 1980, comme le montrent l’historique précis des chantiers de l’Association de sauvegarde et les dons faits par l’Association à la Commune. Cet ouvrage hydraulique et ses abords ne peuvent être désignés comme étant en état d’abandon. Au contraire, en raison du fort investissement local dans la préservation du site, la perspective de sa destruction totale ou partielle est très mal vécue.

Nous contestons fermement le propos tenu par M. le Préfet sur le supposé état de «délabrement avancé» de l’ouvrage avancé dans son courrier du 04/12/2015. Voici les éléments d’appréciation du génie civil tels qu’ils ressortent du diagnostic NCA 2014 :


Ces observations ne permettent pas de conclure à un état de «délabrement avancé» : les besoins de reprises sur l’ouvrage sont assez classiques pour ce type de construction, conçue en «seuil poids» triangulaire ou trapézoïdal avec des organes mobiles de petites dimensions, et ces besoins s’inscrivent dans la gestion normale d’un ouvrage subissant régulièrement l’assaut des crues. Un chiffrage réaliste du coût des reprises nécessaires sera recherché par l’association et les riverains.

Le seuil  a une dimension « structurante » pour le site et la population, ce dont témoignent de manière convergente les observations suivantes (pour la plupart présentes dans le diagnostic NCA 2014, avec certains compléments) :

  • Le relèvement artificiel de la ligne d’eau par le seuil de Bessy favorise l’alimentation et le soutien de la nappe d’accompagnement. Deux captages d’eau (sur trois) sont dans l’emprise du remous liquide de la retenue et bénéficient de son soutien de nappe.
  • Le plan d’eau est associé à de nombreux usages locaux : pêche, baignade, canotage, aires de détente. Il fait l’objet d’une signalétique dans le village indiquant son intérêt pour les habitants et les touristes. 
  • Le plan d’eau bénéficie d’un fort attachement de la population locale, incarné par la pétition pour sa sauvegarde (environ 1100 signatures), l’existence d’une association dédiée à son entretien, la vive émotion suscitée dès 2011-2012 par l’hypothèse d’une destruction du site, la mobilisation associative et citoyenne en faveur du maintien du paysage actuel de retenue.
  • Les ouvrages représentent un potentiel énergétique qui pourrait être mobilisé dans le cadre fixé par la loi de transition énergétique et par les dispositions aujourd’hui soutenues par le Ministère de l’Environnement (territoires à énergie positive, appels d’offres sur les énergies bas-carbone). 
  • Plusieurs riverains se situant dans l’abord direct du remous liquide de la retenue ou du bras de dérivation ont exprimé leur souhait de voir préservée la valeur foncière de leur propriété (valeur directement liée à cette riveraineté du plan d’eau ou du bief en eau, au paysage qu’elle offre ou aux usages qu’elle permet).
  • La propriétaire et le bailleur ont manifesté leur attachement à la valeur historique et patrimoniale de l’ouvrage hydraulique, témoignage vivant du rôle de l’hydraulique dans l’occupation humaine de la vallée de la Cure.


Des générations d'habitants se sont baignées dans le plan d'eau du village, qui a été régulièrement entretenu. Les riverains et habitués n'acceptent pas que cet espace de vie et de loisir soit rayé de la carte pour des motifs écologiques assez secondaires au regard du bon état de la masse d'eau et de l'absence d'impacts graves démontrés. Voir les crédits photos en bas de cet article.

En complément de ces éléments, il convient aussi de souligner que l’évaluation du coût d’un chantier d’effacement à 50 k€ HT (NCA, rapport de phase 2, 2015) n’est pas réaliste. Outre les fortes contraintes (analyse et gestion des sédiments, consolidation des berges et bâtis menacés, mise en place d’un suivi, etc.) et la probable complexité juridique (risque de contentieux), ce type de chantier implique d’accompagner la disparition du site par des restaurations paysagères ainsi que des compensations ou indemnisations pour les tiers lésés. Le coût d’un effacement non «bâclé» à Bessy-sur-Cure se situerait donc plutôt entre 500 k€ et 1 M€. A titre d’exemples en cours sur la région : coût estimé de 1,3 M€ pour effacer deux ouvrages (2 et 0,8 m) à Montbard, Artelia 2016 ; sur un petit site isolé avec 1 m de chute, 30 m de largeur en seuil mobile (moins complexe qu’un seuil fixe, vannes déjà déposées), pas d’enjeu de riveraineté ni d’usage, coût de 95 k€ d’un effacement à Belan-sur-Ource, Sicec 2016.

A retenir : L’ouvrage hydraulique et le plan d’eau de Bessy-sur-Cure ne sont pas en état de ruine, de délabrement ni d’abandon. Ils ont un caractère manifestement structurant en raison des usages et représentations associés. Ce constat paraît exclure l’hypothèse de leur effacement au titre de la continuité écologique. 

Les impacts écologiques de l’ouvrage de Bessy-sur-Cure dans leur contexte

Impact sur les flux liquides : quasi-nul - Ces impacts sont reconnus par NCA comme négligeables par rapport à l’influence des grands barrages modifiant de manière substantielle l’hydrologie du bassin de la Cure et de l’Yonne.

Impact sur le transit sédimentaire :  négligeable - Il est reconnu que «les ouvrages ne modifient (…) que très peu la nature du substrat présent de l’amont et à l’aval de la zone d’étude. Le substrat dominant est de type sablo-graveleux avec un pavage caillouteux voire pierreux. Une légère diminution de la granulométrie du pavage peut être observée entre l’amont et l’aval des ouvrages » (NCA 2014). L’étude a mis en évidence une sédimentation régressive habituelle avec la présence d’un ouvrage (la retenue tend naturellement à se remplir de sédiments), mais pas de déficit notable à l’aval (pas d’érosion progressive) : « Cela met en évidence un déficit de transport solide qui peut se traduire par une érosion progressive en aval du seuil. Ce phénomène n’a pu être mis en évidence lors des reconnaissances de terrain.» (ibid.) Rappelons qu’en vertu des lois de l’hydraulique, un ouvrage de petite dimension a rapidement une influence quasi-nulle sur le régime sédimentaire : passé une phase de dépôt amont et érosion aval consécutive à la construction, le système atteint un nouvel équilibre où les crues assurent le transport solide par charriage et suspension. Les impacts des seuils de moulin sont sans commune mesure avec ceux des grands barrages qui ont une capacité de stockage sédimentaire de l’ordre du million de m3.

Impact sur la continuité piscicole : franchissabilité partielle - Les ouvrages ne posent pas de problème à la dévalaison des espèces, la continuité vers l’aval étant assurée dans de bonnes conditions en surverse ou en sous-verse par les différents points de passage (vannes, déversoirs, seuil). Concernant la montaison, les truites, brochets et anguilles adultes peuvent franchir les ouvrages à certaines conditions de hautes eaux ou, au contraire, de basses eaux (diagnostic NCA 2014). La franchissabilité est donc partiellement assurée, mais elle est altérée pour les espèces de petite taille ou les juvéniles.

Impact sur la physicochimie de l’eau : quasi-nul - Il est reconnu que l’eau de la Cure au droit du site et sur les stations de contrôle est en classe physico-chimique bonne ou excellente pour les critères DCE (MES,  O2 diss., DBO, DCO, nitrates, phosphates, pH, conductivité) «Les mesures réalisées mettent en évidence une eau conforme aux normes de la DCE sur les 3 stations de la Cure. Ces mesures ne mettent pas en évidence d’impact significatif des ouvrages.» (NCA 2014)

Dimension négligeable du seuil par rapport aux grands barrages, IPR excellent de la masse d’eau, peuplement historique à l’époque des moulins
Une opération de restauration physique de rivière représente des coûts publics souvent importants. Elle est susceptible de nuire fortement aux usages existants,  au cadre de vie des habitants, au patrimoine historique et paysager. Il en résulte qu’une telle opération doit être motivée par des gains écologiques significatifs (ou par une urgence démontrée) et qu’elle doit être proportionnée aux enjeux avérés. Outre les éléments rassemblés par NCA et précédemment rappelés, notre association souligne les points suivants.

- Les principaux « points noirs » en continuité piscicole, morphologie et thermie de la rivière Cure sont bien sûr constitués par les grands barrages (Settons, Crescent, Chaumeçon) qui ne sont pas dans les tronçons classés de la masse d’eau et qui ne font pas l’objet de projets d’aménagement (hormis une amélioration dans la gestion du débit réservé et du débit d’étiage, à effet relativement marginal par rapport à l’impact).

- Nous regrettons que NCA n’ait pas procédé à une analyse complète de biodiversité de la retenue : les poissons migrateurs et rhéophiles ne représentent que 0,2% de la biodiversité aquatique totale, les alternances lentiques-lotiques peuvent produire des gains de richesse spécifique (poissons, invertébrés, macrophytes) sur une masse d’eau, les milieux de retenues ont des intérêts pour des espèces non-aquatiques (oiseaux, mammifères), etc.

- Il a été montré par la recherche scientifique en histoire de l’environnement que les travaux des premiers icthyologues sont des sources recevables pour évaluer les trajectoires historiques de peuplement (voir Beslagic 2013 et la base Chips). En particulier, la monographie d’Emile Moreau sur les peuplements du bassins de l’Yonne (Moreau 1897, 1898) est considérée comme source fiable pour évaluer des abondances passées, complémentant ainsi les archives des pêches CSP-Onema. Le tableau ci-dessous montre les abondances à la fin du XIXe siècle, quand il y avait davantage de moulins sur le lit (dont celui de Bessy) qu’aujourd’hui. Principal enseignement : les espèces d’intérêt sont pour beaucoup assez ou très communes à l’époque où les moulins et leurs seuils étaient présents.


- L’Indice poisson rivière (IPR puis IPR+) est un indice normalisé, échantillonné par hydro-éco-région, servant à mesurer la qualité piscicole des masses d’eau pour le rapportage français à la Directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000). Entre 2008 et 2013, il y a eu 7 relevés IPR sur la Cure aval (Accolay, Voutenay-sur-Cure, Asquins). L’intérêt est que ces relevés ont été réalisés à l’amont (1) et à l’aval (6) du seuil de Bessy, ce qui permet que vérifier s’il y a dégradation sur le continuum fluvial. Tous les relevés IPR de la Cure aval sont dans la classe « excellente », c’est-à-dire la meilleure classe de qualité.


Il serait utile que l’Onema et la Fédération de pêche 89 produisent le détail des relevés piscicoles amont / aval afin d’analyser les densités de chaque assemblage et les scores internes constitutifs de l’IPR (richesse spécifique biomasse, composante de rhéophilie etc.). A noter : notre association ne considère pas la biotypologie de Verneaux 1976-77 (parfois utilisée par la DR Onema BFC et les FDPPMA) comme outil pertinent d’analyse, en raison des critiques faites depuis longtemps déjà sur la robustesse de sa construction hors du domaine franc-comtois (par exemple Wasson 1989) et surtout en raison des travaux Onema-Irstea réalisés à partir des années 2000 sur la zonation par hydro-écorégion et sur le nouveau panel statistique de référence des populations piscicoles. Ces points seront si nécessaire développés en accompagnement d’une future proposition de gestion et équipement du site.

Rappelons enfin que l’étude de phase 2 NCA 2015 a établi la franchissabilité partielle du pertuis de la vanne de décharge du moulin : « L’ouverture saisonnière du pertuis du moulin pour le scénario B offre une voie de passage préférentielle et franchissable pour une grande partie des espèces repères sur le cours d’eau (truite et brochet). Elle ne peut suffire toutefois à rétablir à elle seule la continuité piscicole de façon totale et satisfaisante à l’échelle du site compte tenu des autres voies d’eaux concurrentes existantes et de la sélectivité piscicole de l’ouvrage en configuration ouverte (difficultés de franchissement pour les petites espèces). »

La loi française ne demande pas une continuité «totale», mais une continuité pour les espèces «migratrices» à supposer que l’on démontre au préalable un déficit de migration entre l’amont et l’aval. En l’état des travaux de NCA, cette démonstration n’est pas apportée faute d’une analyse piscicole longitudinale et historique. Les éléments de ce chapitre montrent que la continuité partielle est avérée sur la masse d’eau.

A retenir : Au regard des éléments rassemblés par NCA et des compléments apportés par notre association, il apparaît que la rivière Cure est principalement impactée par des grands barrages sans projet actuel de franchissabilité piscicole et de transparence sédimentaire. Malgré cela, l’indice de qualité piscicole de la basse vallée de la Cure est de qualité excellente à l’amont comme à l’aval de Bessy-sur-Cure. Les impacts écologiques du seuil et du plan d’eau de Bessy-sur-Cure sont négligeables sur la granulométrie et la morphologie aval,  sur la physico-chimie, sur le flux liquide. Les seuls impacts notables concernent la franchissabilité des petites espèces rhéophiles et des juvéniles de truites ou de brochets, mais le bon IPR indique que cela ne nuit pas au compartiment piscicole du classement écologique DCE (dont la circulaire de 2013 rappelait l’objectif prioritaire d’atteinte). Ces données actuelles convergent avec les données historiques.  Ces éléments soulignent combien une solution radicale comme l’effacement ou une solution coûteuse comme des passes toutes espèces serait disproportionnée à l’enjeu réel du site de Bessy-sur-Cure. Au demeurant, aucun objectif tangible de gain écologique n’a été associé aux premières propositions NCA : or, c’est seulement sur la base d’indicateurs précis et garantis de résultats dans le compartiment biologique que l’on peut prendre des décisions.

Conclusion provisoire : et la suite ?
Ce premier rapport fait apparaître :
- un fort attachement des riverains et propriétaires à l’hydrosystème existant ;
- une dimension structurante de l’ouvrage et de son plan d’eau au regard des usages ;
- des enjeux écologiques très modestes ;
- une masse d’eau en bon état sur les compartiments de la DCE 2000 concernés par les impacts éventuels de l’ouvrage, en particulier sur l’état piscicole excellent (malgré la présence de grands barrages infranchissables et sans projet d’aménagement à l’amont).

L’association Hydrauxois souhaite que :
  • les parties prenantes s’accordent sur le caractère disproportionné et inadapté de l’effacement des ouvrages de Bessy-sur-Cure ;
  • le bureau d’étude NCA formalise un nouveau projet d’aménagement cohérent avec ces enjeux écologiques (très faibles) et patrimoniaux (très forts), par exemple une solution simple de franchissement (plan de gestion des vannages, avec option passe rustique sans dérasement à la condition suspensive d’un financement public).
Dans l’hypothèse où ce ne serait pas possible pour le BE NCA, l’association aidera les propriétaires et les riverains à formaliser une proposition en ce sens, qu’elle soumettra en leurs noms au service instructeur (et à l’Agence de l’eau). Il conviendra alors d’échanger sur la recevabilité de la proposition, dans le cadre habituel d’une procédure contradictoire.

Quoiqu’il en soit, nous suggérons de ne prendre aucune décision tant que le processus initié par Mme la Ministre de l’Environnement ne sera pas arrivé à son terme : examen des recommandations du CGEDD pour sortir des blocages de gouvernance et de financement de la continuité écologique, examen des choix éventuels du Ministère pour adapter la mise en oeuvre à ces recommandations.

Photos de Bessy dans cet article : Gérard Charpentier, Martine Poinsot, Michel Français, tous droits réservés.

Pétition : une pétition pour la sauvegarde du plan d'eau a été ouverte.  

16/06/2016

Sauvegarde des moulins: faut-il croire Ségolène Royal ou le site de son Ministère?

La Ministre de l'Environnement a plusieurs fois appelé à cesser la destruction des moulins. La loi sur l'eau de 2006 n'a jamais envisagé cette issue. La loi Grenelle de 2009 non plus. Mais le site du Ministère de l'Environnement, dans une mise à jour récente, promet toujours de nombreuses destructions d'ouvrages pour motif de continuité écologique. Cette idéologie administrative de l'effacement n'a aucune légitimité démocratique, et sa violence institutionnelle empêche désormais toute avancée sur la gestion concertée des ouvrages.

Ségolène Royal en février 2015 : "Les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins".

Ségolène Royal en novembre 2015: "Nous devons sauvegarder les petits moulins sur les rivières et produire de l'électricité".

Ségolène Royal en janvier 2016: "À la suite du débat parlementaire, j’ai donné instruction aux préfets de mettre un terme aux destructions de petits ouvrages et de moulins, dans l’attente d’un examen plus approfondi de la situation."

Loi de 2006 votée par les représentants des citoyens: "Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant."

Loi de 2009 votée par les représentants des citoyens: "l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude".

Mise à jour récente du site du Ministère de l'Environement: "Sur le plan écologique cependant, il est important de signaler que le gain apporté à la continuité et à l’hydromorphologie du cours d’eau, et donc à l’atteinte du bon état écologique, par la suppression totale ou quasi-totale d’un ouvrage, est sans commune mesure avec les autres types d’interventions. (…) C’est pourquoi cette solution est souvent mise en avant par les acteurs de la restauration de la continuité pour qu’elle puisse être étudiée et adoptée à chaque fois que cela est possible. (…) Compte tenu du nombre très important d’ouvrages dans les lits mineurs des cours d’eau (plus de 80 000 recensés officiellement en 2015) et du niveau de segmentation des cours d’eau et d’artificialisation de leur pente qui en découle, il est indispensable de supprimer un certain nombre d’ouvrages existants pour envisager d’atteindre le bon état."

Les choses sont donc limpides : une poignée de hauts fonctionnaires au sein du Ministère de l'Environnement continue de développer une idéologie administrative de la destruction des ouvrages hydrauliques, à l'encontre des textes de loi votés par les parlementaires, et maintenant des orientations publiques de leur ministre de tutelle.

Ce qui est tout aussi limpide : nous ne reconnaissons aucune légitimité démocratique (ni scientifique) à ces dérives d'interprétation visant à la destruction des ouvrages, et nous vous invitons à venir nombreux à nos prochaines rencontres hydrauliques du 25 juin, dont vous pourrez repartir avec cette banderole de résistance et de combat!


14/06/2016

Idée reçue #16: "L'évaporation estivale des retenues nuit fortement aux rivières"

La nouvelle idéologie administrative des ouvrages hydrauliques, mise en place au cours des années 2000, est désormais connue dans son mécanisme argumentaire: exagérer par tout moyen les impacts écologiques des seuils et barrages pour mieux justifier leur suppression (ou entraver leur construction). Soit le contraire de ce qu'une idéologie administrative antérieure, sans doute aussi excessive et autoritaire, avait promu à l'âge d'or des Ponts & chaussées. Dans les arguments souvent entendus: les retenues des seuils et barrages favoriseraient l'évaporation de l'eau en été, ce qui dégraderait de manière conséquente la rivière. Il est certain que l'eau s'évapore davantage en été. Mais quand on regarde les volumes concernés, il est non moins certain que cela représente de très faibles quantités : l'ordre de grandeur est de quelques dixièmes de millimètres à quelques millimètres de hauteur de lame d'eau, ou quelques centilitres à quelques dizaines de litres/seconde pour des bassins versants entiers.

Dans une analyse sur les prétendues "idées fausses" sur la continuité écologique, le Ministère de l'Environnement affirme
"Les retenues génèrent une évaporation forte d’eau en période estivale car une eau stagnante peu profonde se réchauffe beaucoup plus vite et plus fortement qu’une eau courante. Sur une longue durée d’ensoleillement, plus la surface d’eau exposée est importante plus les pertes par évaporation seront significatives."
Procédé habituel de la rhétorique manipulatrice: des adjectifs et des adverbes ("forte, fortement, importante, significative"), mais pas de chiffres ni d'ordres de grandeur. Dans une étude de 2003, sur laquelle nous reviendrons car elle a joué un rôle conséquent dans la construction de cette idéologie administrative des ouvrages hydrauliques, Jean-René Malavoi évoque la question de l'évaporation. Le contexte de l'étude est celui de Loire-Bretagne. L'auteur écrit:
"Les effets des ouvrages sur l’hydrologie d’étiage (hors problèmes de débit réservé dans les tronçons court-circuités) sont assez modestes car liés essentiellement à l’évaporation dans le plan d’eau amont. 
Ils sont donc plutôt faibles mais peuvent éventuellement être importants en région chaude où l’évaporation est forte. Si l’on prend un taux d’évaporation moyen pour le bassin Loire Bretagne de 100 mm par mois, de juin à septembre (soit 100 l/m2), un plan d’eau de 10 m de large sur 1000 m de long (configuration classique pour un petit seuil sur un petit cours d’eau) évapore environ 1 million de litres par mois, soit 0.4 l/s.
Cela peut sembler dérisoire à l’échelle d’un ouvrage, mais l’effet sur des dizaines de retenues successives devient très significatif.
A titre d’exemple, les 81 seuils recensés sur la Sèvre Nantaise représentent un linaire en remous de l’ordre de 110 kilomètres, soit une surface de l’ordre de 165 hectares pour une largeur moyenne de 15 mètres. 
L’évaporation en période estivale sur cette superficie atteint 64 l/s, soit de l’ordre de 10 % du débit d’étiage quinquennal à Clisson (QMNA 1/5 = 682 l/s)." (Malavoi 2003)
Le QMNA 5 désigne les débits d'étiage sévère, dont le temps de retour est en moyenne d'une année sur cinq. La valeur de 10% de ce QMNA5 est donc très faible, même dans l'hypothèse d'effet cumulatif envisagé par Malavoi. Quand la rivière a si peu de débit, avec généralement des assecs et des pertes en zones karstiques, une modeste lame d'eau ailleurs,  les hauteurs d'eau plus profondes des retenues peuvent jouer un rôle de refuge / ressource pour une partie de la faune et de la flore. Le meilleur moyen de mesurer ces effets, ce serait de procéder à des campagnes de contrôle des peuplements aux périodes d'étiage – ce que l'Onema ne juge pas utile de faire, à notre connaissance (ci-dessous, exemple de rivière "renaturée" en été...).



Autre donnée, plus récente : le rapport préliminaire Irstea-Onema sur les impacts cumulés des retenues (Irstea 2016). On peut y lire les observations suivantes :
"La question de l'évaporation issue des retenues est ignorée dans une partie des études consultées. Quand la question est traitée, l'impact est supposé correspondre à la différence entre l'évaporation de l'ensemble des retenues et l'évapo-transpiration induite par un couvert végétal (souvent une prairie) d'une surface équivalant à celles des retenues. Parmi ces études, citons :
- l'étude d'impact de la zone des Trois Rivières (Rhône-Alpes) : la perte nette annuelle par évaporation induite par les retenues (630 km2) est estimée à 200 000 m3, soit 0,3 mm par unité de surface ou 6L/s. En juillet, cette perte atteint 68 000 m3 soit l'équivalent d'une lame d'eau de 0,11 mm sur l'ensemble du bassin versant ou d'un débit de 26 l/s. Cette perte correspond à la différence entre l'évaporation de la retenue et celle d'une prairie.
- l'EVP Layon (Pays de Loire): la différence entre volumes évaporé et évapotranspiré est nulle en dehors des périodes sèches (novembre-avril). Pour la période estivale (Juin-Septembre), la différence est d'autant plus importante que les étés sont secs : en 2003 la différence a atteint 6,7 Mm3 sur l'année, dont 5,9 Mm3 pour la période estivale (en 2003, p59-60 rapport), soit l'équivalent d'une lame d'eau de 5,3 mm/an, ou de 4,7 mm sur la période estivale (territoire du Layon-Aubance 1259 km2).
- l'étude d'impact de la DREAL Pays de Loire (Nov 2012) sur le Layon : les pertes par évaporation sont estimées à 100 mm par surface unitaire de retenues, ce qui correspond à 3 % du volume d'eau capté par la retenue au moment de son remplissage." (Irstea 2016)
On constate dans ces exemples des variations de niveau de la lame d'eau quelques dixièmes de millimètre à quelques millimètres. Pour donner un ordre de grandeur, un habitant consomme en moyenne 1875 m3/an d'eau en France, tous usages personnels et professionnels du territoire confondus (source Eaufrance). Donc une perte annuelle de 200.000 m3/an (cas des Trois Rivières), c'est l'équivalent de la consommation d'une grosse centaine d'habitants. Soit une quantité quasi-négligeable sur des bassins versants autrement peuplés, surtout si l'on intègre l'afflux estival de la saison touristique et les autres usages d'irrigation plus intensifs en été.

La conclusion est donc claire : il est exact de dire qu'une retenue favorise l'évaporation, il est inexact d'affirmer que ce phénomène impacte "fortement" la quantité d'eau disponible sur un bassin versant. La quantité évaporée ne fait pas la différence par rapport au débit d'étiage, et l'intérêt d'avoir des zones d'eau profonde liées aux retenues doit être estimé par des analyses de terrain sur toutes les espèces animales et végétales, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La parole publique ruine la confiance des citoyens dans sa crédibilité en intentant des procès de si mauvaise foi aux ouvrages hydrauliques, alors que l'eau, l'air, le sol et le vivant sont si massivement altérés par ailleurs.

Références citées : Malavoi JR / AREA (2003), Stratégie d'intervention de l'Agence de l'eau sur les seuils en rivière (pdf), pp 37-38 ; Irstea (2016), Rapport préliminaire en vue de l'expertise collective sur les effets cumulés des retenues (pdf), pp. 19-20.

Illustration : filet d'eau du Vicoin à l'étiage, après effacement d'un seuil, opération présentée comme "exemplaire" par l'Onema. Pourquoi ne pas comparer les peuplements aquatiques (toutes espèces, pas que les poissons) dans les retenues et dans les écoulements libres lors des étiages sévères? Cela permettrait d'objectiver les choses, au lieu de véhiculer de généralités non réfutables. (Photo JM Pingault, tous droits réservés).

A lire en complément 
Idée reçue #10 : "Etangs et retenues réchauffent toujours les rivières et nuisent gravement aux milieux"

12/06/2016

Bourbre à Saint-André-le-Gaz: mobilisation contre un effacement d'ouvrage

La Fédération de pêche de l'Isère veut procéder à l'effacement partiel d'un ouvrage à Saint-André-le-Gaz en passant par une simple déclaration administrative, alors que les écoulements de la rivière Bourbre et du canal du Gaz seront modifiés sur plusieurs centaines de mètres. Les riverains, qui ne souhaitent pas échancrer le seuil, attendent au minimum une enquête publique pour faire valoir leurs droits. Et si possible une solution non destructive permettant de respecter les autres enjeux paysagers, patrimoniaux et aussi écologiques, avec une zone humide en partie alimentée par les pertes du canal. Mobilisation locale pour empêcher les travaux prévus dans quelques jours (mercredi 15 juin à 08:30) et intervention de notre association auprès de la Préfecture. Merci de diffuser cet article et de vous mobiliser pour aider les riverains à se défendre. Il est temps de dire non à la casse du patrimoine de nos rivières. 



Sur la rivière Bourbre, à Saint-André-le-Gaz (Isère), une étude de "restauration écologique du seuil d’alimentation du canal du Gaz" a été lancée en 2014 sous la maîtrise d'ouvrage de la Fédération départementale de pêche. Plusieurs fois remanié, ce canal date de l'Ancien Régime. Il a alimenté un moulin, une usine textile, une centrale hydro-électrique. Ces usages ont disparu au cours du XXe siècle. L'actuel ouvrage répartiteur est très modeste, avec une chute comprise entre 0,8 et 0,9 m (voir photo ci-dessus).

Prime au poisson, mépris du patrimoine: Onema et fédé de pêche dans leurs oeuvres
La rivière Bourbre n'est pas classée en liste 2 sur ce tronçon amont : il n'y a donc pas d'obligation réglementaire d'aménager. Trois scénarios ont été proposés, avec des variantes. L'Onema Lyon a demandé le franchissement des truites, mais aussi d'autres espèces y compris non migratrices comme le chabot. Il a été affirmé que les droits d'eau étaient abandonnés alors que la convention de 2003 avec le syndicat sur cet abandon était expressément suspendue à la réalisation d'autres travaux, qui n'ont pas été réalisés (donc les droits d'eau ne sont pas caducs).


Extrait du diagnostic Burgeap 2014, droit de courte citation

Le diagnostic piscicole indique un IPR mauvais, sans que les diverses causes de détérioration de la qualité de l'eau et de son peuplement aient été analysées par le bureau d'études ni la Fédération de pêche. On observe (image ci-dessus, cliquer pour agrandir) que les populations des pêches de contrôle sont soit constantes, soit en hausse entre 1999 et 2011. On observe aussi que des espèces rhéophiles sont déjà présentes (truite, chabot, loche franche…), même si l'habitat n'est manifestement pas optimal pour elles. On ne connaît pas l'état des populations à l'amont ou l'aval de la zone d'influence du seuil, donc l'ignorance est à peu près complète sur les enjeux réels de ce chantier (voir cet article sur les techniques usuelles de manipulation de l'information et de l'opinion dans les chantiers de destruction).

Ce sont les pressions habituelles observées sur nos cours d'eau : franchissement pour toutes espèces au lieu de limiter à des enjeux migrateurs réels, gains piscicoles minuscules qui intéressent éventuellement les pêcheurs mais ne répondent pas spécialement à l'intérêt général des citoyens ni à des enjeux environnementaux significatifs, diagnostics écologiques incomplets car centrés sur les seuls poissons et n'analysant pas l'ensemble des impacts anthropiques, pressions sur les riverains pour pousser à des solutions inutilement coûteuses, mise en avant de la démolition au service des poissons, mais au détriment de tous les autres enjeux liés à l'hydraulique ancienne.

Echancrer le seuil sur simple déclaration… pour éviter une enquête publique?
La Fédé de pêche et l'Onema ont écarté les choix non destructifs et se sont orientés vers une large échancrure, équivalent à un arasement partiel. Cette solution n'a pas l'assentiment des riverains pour plusieurs raisons : préférence pour le confortement et l'aménagement de l'existant, baisse prévisible du débit alloué au canal, risque de moindre alimentation d'une zone humide latérale en Znieff (gérée par une association locale).

Un accord semblait possible sur la base d'un débit minimum d'étiage garanti à 120 l/s dans le canal. Mais il n'a pas été donné suite à cette proposition – ce qui indique combien certains ne sont pas disposés à des solutions raisonnables et consensuelles.

Les riverains ont eu la mauvaise surprise de découvrir que le chantier a fait l'objet d'une simple déclaration à la Préfecture, au lieu d'une autorisation. Or, les dossiers "loi sur l'eau" sont stricts dans leur procédure, comme le savent tous les usagers. La Fédération de pêche aurait-elle un régime préférentiel dont ne jouit pas le commun des mortels confronté à la complexité des dossiers d'autorisation?

A la demande d'un riverain, l'association Hydrauxois a saisi la Préfecture, la Fédération de pêche et le greffe du Tribunal administratif pour faire savoir qu'elle jugeait le chantier non réglementaire, car un linéaire de plus 100 m (rivière et canal, tous deux classés "cours d'eau") sera modifié dans son profil en long : cela doit faire objet d'une autorisation administrative avec étude d'impact, analyse des droits des tiers, enquête publique (art R 214-1 et art R 214-6 Code envir.). Si la Fédération de pêche veut passer en force, un constat d'huissier sera réalisé. Une plainte avec demande de remise en état et dommages sera déposée s'il est vérifié que le profil d'écoulement est changé sur plus de 100 m et que les services instructeurs comme le maître d'ouvrage ont volontairement ignoré notre requête.

Nota : la destruction du seuil est actuellement prévue le mercredi 15 juin au matin. Si vous êtes dans la région et si vous pouvez venir mercredi matin pour exprimer votre refus de cette destruction inutile du patrimoine hydraulique, nous vous demandons de votre mettre urgemment en contact avec M. Yves Gonnet (yves.gonnet1 (at) orange.fr), qui vous donnera les informations locales sur le suivi des événements.

Illustrations : photographies Yves Gonnet, tous droits réservés.

Ajout du 14 juin 2016 : on nous informe que le chantier a été suspendu. La mobilisation prévue le 15 juin au matin l'est aussi, mais notre vigilance reste entière.

10/06/2016

Populations biologiques à l'amont et à l'aval de petits barrages (Mueller et al 2011)

La continuité écologique "à la française" vise à effacer le maximum d'ouvrages en rivière, tout en avançant des informations très lacunaires sur les enjeux biologiques associés aux seuils et barrages. Les citoyens étant mal informés, ils pensent parfois qu'un ouvrage détruit une bonne partie du vivant. Il n'en est rien. Nous revenons ici sur l'une des (rares) études consacrées à des ouvrages de petite dimension, avec analyse du périphyton, des macrophytes, des invertébrés et des poissons. On s'aperçoit que l'impact est observable, mais qu'il n'a pas du tout le caractère de gravité que lui attribuent en France les gestionnaires de rivière. La variation des habitats produit une variation des espèces amont/aval dans la proximité du seuil, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose pour la biodiversité. Seule une vision intégriste de la conservation (supprimer tout habitat anthropisé comme "dégradé") défend la nécessité de détruire préférentiellement les singularités que représentent  les seuils et barrages en rivière. Nous devons sortir de ces dogmes et exiger des diagnostics complets sur chaque rivière, afin que les citoyens jugent en toute connaissance de cause de l'intérêt de la dépense publique en continuité écologique.

Melanie Mueller, Joachim Pander et Juergen Geist (Université de Münich) ont analysé 5 sites sur des rivières allemandes (Günz, Leitzach, Moosach, Sächsische Saale, Wiesent), aux modules allant de 2,64 à 8,35 m3/s, dotés de barrages de petite dimension (hauteur de 1,3 à 4,2 m), la plupart construits au XXe siècle.

L'objectif des auteurs est d'analyser les modifications biologiques et morphologiques induites par les ouvrages, afin de produire des données pour la construction d'un indicateur multivarié d'impact. Ils ont pour cela procédé à 15 analyses amont et 15 analyses aval, dans une zone d'influence très proche du barrage (quelques centaines de mètres).

Nous n'entrerons pas dans le détail de leurs observations, qui intéresse surtout le chercheur ou l'ingénieur. Nous allons nous concentrer sur l'effet biologique pour les 4 communautés observées, périphyton (algues essentiellement, 129 espèces), macrophytes (18 espèces, 13 familles), macro-invertébrés (93 espèces, 51 familles) et poissons (27 espèces, neuf familles, et une espèce d'agnathe, lamproie).


Extrait de Mueler et al 2011, arti. cit., droit de courte citation

Ce graphique ci-dessus compare pour l'amont (gris foncé) et pour l'aval (gris clair) trois scores : la richesse spécifique (total des espèces), l'indice de Shannon (mesure de biodiversité incluant la précédente avec des correcteurs) et l'équitabilité ("evenness", permettant de vérifier si les espèces se répartissent égalitairement dans la diversité ou si l'une domine très largement la métapopulation). Les "boites à moustaches" exposent la valeur médiane et les quantiles 25-75%, les pointillés indiquant les valeurs minima et maxima.

On constate que :
  • les populations amont et aval diffèrent;
  • les médianes de la population amont sont plus faibles que celles de la population aval;
  • les différences restent néanmoins modestes car les scores se superposent largement sur l'ensemble de leur distribution, et les médianes sont généralement très proches (sauf certains cas comme les invertébrés en richesse spécifique ou les macrophytes en indice de Shannon).  

Un deuxième schéma donne la bêta-diversité, c'est-à-dire la comparaison des populations présentes dans les écosystèmes amont-aval. Un score de 0 indique qu'il n'y a aucune espèce commune (donc une diversité maximale entre les deux écosystèmes), un score de 1 indique la parfaite identité de deux assemblages.


Extrait de Mueler et al 2011, arti. cit., droit de courte citation.

Le point intéressant à observer ici, c'est que nous sommes loin de l'identité entre l'écosystème amont et l'écosystème aval. Cela tend à indiquer que la différenciation des habitats se traduit aussi par une différenciation des espèces présentes. En d'autres termes, un gain de biodiversité totale.

Discussion
Du point de vue de l'écologue, ces variations sont certainement significatives. Du point de vue du citoyen, elles paraissent assez triviales. On sait que les habitats à l'amont et à l'aval d'un barrage diffèrent, on s'attend à ce que les populations biologiques diffèrent aussi puisqu'elles ne rencontrent pas les mêmes conditions de milieu. Et alors? En quoi est-ce grave pour le vivant?

C'est tout le problème d'une certaine posture présente dans les sciences de la conservation et de la restauration depuis leur naissance dans les années 1980: à partir du moment où l'on trouve une différence entre un habitat anthropisé et un habitat non anthropisé (et par définition, on en trouvera toujours), on va considérer que la réhabilitation du premier est plus ou moins une nécessité.

Même si elle paraît scientifiquement argumentée (par des calculs, des mesures, etc.), cette injonction à "renaturer" n'a en soi rien de particulièrement scientifique: les écosystèmes naturels / artificiels sont différents, dire que l'un est "bon" et l'autre "mauvais" relève d'un jugement de valeur étranger à l'exercice de la science (voir Lévêque 2013, nous reviendrons dans d'autres articles sur la genèse d'une confusion présente dès le début des sciences de la conservation). Dans l'exemple de Mueller et al 2011 ici commenté, on voit bien que l'enjeu n'est pas de choisir entre un système quasiment dépourvu de vivant d'un côté, un système d'une grande richesse d'un autre : les communautés sont diverses, au sein de chaque biotope comme entre eux.

Aujourd'hui, cette vulgarisation des résultats de la recherche n'est pas faite, alors même qu'on engage des programmes de conservation ou de restauration généralistes, non pas centrés sur des espèces en danger critique d'extinction ou sur des "points chauds" de biodiversité, mais sur des reprofilages fonctionnels des bassins versants entiers. Ce qui a un coût considérable, des effets indésirables sur les usages de l'eau et sur d'autres facteurs d'intérêt écologique. Or, la société a le droit de se voir exposer les détails de ces programmes, d'obtenir la mesure de l'impact au départ et du gain écologique attendu, d'estimer si la dépense d'argent public est justifiée, de juger si l'état futur de l'hydrosystème renaturé est, ou non, préférable à l'état actuel de l'hydrosystème anthropisé.

Ceux qui entretiennent la société dans l'ignorance sur ces questions sont ceux qui profitent de cette ignorance. La dépense publique en écologie n'a pas à satisfaire des intérêts sectoriels ni à conforter des mandarinats locaux: elle doit améliorer la qualité écologique des milieux, pour cela déjà décrire leur état et comprendre leur dynamique, tout en intégrant les attentes sociales des riverains et usagers.

Référence : Mueller M et al (2011), The effects of weirs on structural stream habitat and biological communities, Journal of Applied Ecology, 48, 6, 1450-1461