24/02/2017

Quand l'Agence de l'eau Loire-Bretagne confond dialogue environnemental et manipulation organisée

Les riverains ne partagent pas notre vision de la rivière, nous le savons mais nous allons les convaincre qu'ils sont dans leur tort par diverses stratégies de communication: telle est la philosophie d'un guide méthodologique édité par l'Agence de l'eau Loire-Bretagne en 2011 pour accompagner la restauration physique des rivières, et présenté aujourd'hui encore parmi les documents d'information de l'Agence en direction des gestionnaires de l'eau (syndicats, parcs). Sa lecture est édifiante. Elle traduit un problème majeur: le dialogue environnemental exige sincérité et équité, faute de quoi il dégénère en monologue autoritaire et produit le contraire de l'effet attendu. A l'heure où les projets inutiles et coûteux sont contestés un peu partout, où les citoyens tolèrent de moins en moins la confiscation du pouvoir réel de décision par des instances perçues comme lointaines et indifférentes, la puissance publique ne peut pas se comporter comme si la société était une variable passive d'ajustement à ses décisions intangibles. La restauration de rivière n'a d'avenir que dans la concertation vraie, qui inclut la co-construction des projets avec les intéressés, la capacité à reconnaître des erreurs et la volonté de concilier les attentes au bord des rivières.

En reconstruisant peu à peu l'histoire de la mise en oeuvre française de la continuité écologique, nous avions retrouvé la commande précoce par le bassin Loire-Bretagne d'un rapport sur les seuils en rivière, rapport à la tonalité très négative malgré sa construction assez superficielle en terme de données empiriques et de références scientifiques pertinentes pour la problématique des petits ouvrages (Malavoi 2003). La lecture d'une analyse critique de la restauration venue de la géographie et des sciences humaines (Germaine et Barraud 2013) nous a récemment conduit vers un autre texte, édité en 2011. Il s'agit cette fois d'un "guide méthodologique" de la même Agence de l'eau Loire-Bretagne intitulé "Restauration des cours d'eau: communiquer pour se concerter".

La date d'édition indique que ce guide accompagne le plan national d’action pour la continuité écologique (PARCE 2009), qui fut une sorte de répétition générale avant le classement des cours d'eau de 2012-2013, avec à l'échelle nationale 1200 ouvrages prioritaires à aménager à courte échéance. Le traitement de ces ouvrages hydrauliques du PARCE avait déjà été un échec ayant conduit à un rapport critique du CGEDD en 2012: loin de reconnaître le problème, l'administration est passée de 1200 à 20.000 ouvrages à traiter en 5 ans, véritable folie.

Une vision insincère de la concertation comme rapport de force et jeu d'influence
La lecture du guide de communication est édifiante. L'économie générale du texte consiste à reconnaître que la restauration physique des cours d'eau se heurte à des fortes résistances de la part des riverains et des usagers, mais que ces résistances doivent être surmontées par des stratégies de communication. Quand l'Agence de l'eau parle de "concerter", il ne s'agit donc pas de co-construire des projets avec les premiers intéressés : le but est de chercher le meilleur moyen pour imposer de manière verticale et descendante des orientations et des niveaux d'ambition déjà fixés à l'avance.

Cette gouvernance autoritaire et fermée, toutes les associations de moulins et riverains en ont ressenti le désagrément. Certaines d'entre elles l'ont exprimé dans une lettre ouverte à l'Agence Loire-Bretagne à l'occasion de la récente révision des SDAGE. Cette Agence de l'eau est d'autant moins fondée à  prétendre que ses orientations sont indiscutables que les résultats ne sont nullement à la hauteur des dépenses : absence de progrès de l'état écologique et chimique des rivières lors du SDAGE 2010-2015, voire régression des rivières en bon état ou en très bon état, pratiques antiscientifiques dans les commissions techniques et assertions fantaisistes sur les causes exactes de dégradation, stagnation dans lutte contre les nitrates, échec historique sur certains plans grands migrateurs portés depuis 40 ans par l'effort public… Ce n'est pas vraiment un bilan qui autorise à mépriser les riverains et usagers de l'eau ni à prétendre au caractère infaillible des choix programmatiques de l'Agence.

Mais il est vrai que les fonctionnaires des Agences de l'eau, qui représentent la voix de leur ministère de tutelle et qui sont les vrais artisans des programmations publiques, ont été encouragés dans cette brutalité et cette morgue par leurs supérieurs hiérarchiques. Un document de 2010 montrait déjà l'appel de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'Environnement à détruire 90% des ouvrages hydrauliques, à faire pression et à encercler les récalcitrants, soit évidemment une posture brutale aux antipodes des prétentions à la "concertation" (et allant très au-delà de ce que demandent les lois françaises en la matière). Avec le résultat que l'on sait: une réforme de continuité écologique devenue la plus contestée de toute la politique de l'eau.  Que les responsables de ce naufrage soient encore en place en 2017 est un mystère...

Communiquer pour (ne surtout pas) concerter, extraits
Voici donc quelques morceaux choisis de la langue de bois de ce guide de communication, assortis de traductions en bon français de leur signification.

"Localement, la politique de restauration des cours d’eau est impulsée dans le cadre de contrats territoriaux. Elle se heurte à des difficultés diverses : structuration des maîtrises d’ouvrage, intervention en domaine privé, financement des actions... De nombreux acteurs témoignent aussi des résistances de propriétaires ou de riverains. L’attachement au profil actuel, la difficulté à se représenter le paysage futur, la crainte d’une perte de patrimoine, de ne plus avoir d’eau en été et plus de poisson, la crainte d’inondations plus fréquentes ou plus graves... sont exprimés tour à tour par des associations de riverains, les amis des moulins, ou les pêcheurs – et c’est légitime."
Traduction : notre réforme comporte beaucoup d'inconvénients, il va falloir faire passer la pilule.

"Comment obtenir l’adhésion des riverains aux projets de restauration des cours d’eau ? C’est à cette question des élus et des techniciens que l’agence de l’eau Loire-Bretagne souhaite apporter des éléments de réponse. L’obligation de résultats introduite par la directive cadre sur l’eau fait de la restauration physique des cours d’eau, c’est-à-dire de la restauration de leurs fonctions naturelles, un volet essentiel des nouveaux Sdage. Les objectifs sont désormais chiffrés et ils sont ambitieux. Nous sommes dans une évolution ou une révolution par rapport aux politiques héritées de l’histoire : il s’agit bien de "repenser" les aménagements des cours d’eau."
Traduction : l'inquiétude du riverain ne pèse rien face à l'ambition des bureaucraties qui ont déjà tout décidé.

"Inutile de déployer une démonstration serrée du bien fondé d’un aménagement si l’on ne s’est pas accordé sur une représentation un tant soit peu partagée de la rivière ! Inutile d’en appeler à la directive cadre, au Sdage et aux fonctionnalités des milieux aquatiques si l’on n’a pas vidé les malentendus sur la rivière d’hier, d’aujourd’hui et de demain !"
Traduction : le gens ne partagent pas notre vision, il s'agit non de les écouter, mais de les convertir.

"Sur le terrain, cette nouvelle logique est confrontée à des perceptions et des pratiques structurées par des décennies de politiques de maîtrise de la rivière. Au-delà du changement d’aspect que les projets de restauration induisent — une rivière plus sinueuse, moins large, avec un débit plus variable et des zones d’érosion latérales — ce sont les rapports de l’homme à la nature qui sont ici potentiellement remis en cause."
Traduction : on a décidé entre nous de changer d'un claquement de doigt 5 millénaires de rapport humain à la nature.

"L’un des leviers identifiés lors des enquêtes de terrain pour modifier les perceptions des riverains est la mise en évidence d’une amélioration du cadre de vie ou d’un gain pour l’aménagement du territoire. L’identification de ce gain doit être recherchée très en amont du projet et si possible dès sa conception. En termes de communication, il va falloir évoquer le paysage, les fonctions récréatives, le développement touristique, et pas seulement fournir des explications relatives aux fonctions écologiques de la rivière. On parlera de la coulée verte, de l’architecture, de l’embellissement du paysage, de l’ouverture de promenades…" 
Traduction : difficile de valoriser socialement notre action, faites cependant des promesses ronflantes.

"Les demandes et les opinions des riverains sont généralement bien connues des porteurs de projet. Mais il peut exister des demandes sociales, souvent non exprimées, sur lesquelles le projet pourrait s’appuyer pour mettre en évidence son intérêt territorial. Attachées à des fonctions non directement utilitaires, elles peuvent être plus difficiles à repérer. Des enquêtes qualitatives auprès des habitants et des principaux acteurs du territoire peuvent être le moyen de les approcher."
Traduction : cherchez bien, vous allez dénicher quelques besoins marginaux qui justifient votre action.

"Pour asseoir le projet dans le territoire, il va falloir montrer qu’une rivière restaurée n’est pas une rivière perdue pour l’homme ! On peut y parvenir en valorisant les gains pour la qualité de la vie développés ci-dessus (voir le § Mettre en valeur le gain pour la qualité de vie). On peut également identifier les gains en termes de capacité auto-épuratoire, de protection des eaux brutes pour l’alimentation en eau potable ou de protection contre les inondations. Les projets de restauration comprennent ainsi potentiellement plusieurs dimensions. On peut vouloir restaurer les fonctions naturelles des cours d’eau et travailler de façon utilitaire."
Traduction : sortez le joker destruction d'ouvrage = auto-épuration, manipulation certes grossière  mais plus c'est gros et plus ça passe.

"En restaurant l’autonomie de la rivière on accepte une part d’imprévisibilité de son comportement local. Il y a donc rarement de certitudes. La gestion des aléas (sécheresse ou au contraire crue importante) peut également s’avérer problématique. (…) En termes de communication, cette incertitude est une source de fragilité pour l’acceptation sociale du projet. Elle ouvre en effet facilement la voie au scepticisme, voire à la controverse. « On sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on gagne ». « La rivière reprend toujours ses droits ». Cette incertitude est d’autant plus difficile à gérer si la rivière rend encore des services (pêche, prises d’eau d’irrigation, valeur paysagère…)."
Traduction : on fait prendre des risques aux gens et aux milieux, mais bien sûr ne le dites pas ainsi.

"Pour autant, il ne s’agit pas de nier l’incertitude, bien au contraire. Sa prise en compte incite au pragmatisme. Les porteurs de projet insistent sur la nécessité d’avancer pas à pas et de suivre régulièrement l’évolution de la rivière. « C’est la technique du pas à pas qui a été primordiale : faisons des essais (...). Les tests nous ont permis d’être plus sûrs de nous. » « Si cela ne marche pas, on reviendra en arrière.»"
Traduction : on ne sait pas vraiment ce qu'on fait, mais on promet (sans moyen humain et financier de tenir cette promesse) qu'on sera attentif sur chaque suivi.

"Du fait de cette incertitude, il est parfois dangereux de communiquer trop tôt sur l’exemplarité d’un projet, même si cet argument peut-être très mobilisateur. Cela nécessite a minima de consolider techniquement le projet et de s’entourer d’une expertise pointue. Et cette communication devra être articulée avec les messages relatifs aux risques naturels et aux gains pour le cadre de vie."
Traduction : ne vous vantez pas trop, le résultat sera peut-être nul.

"L’objectif est de montrer que l’évolution des politiques d’aménagement des cours d’eau n’est pas une mode qui reposerait sur un discours idéologique. Elle repose sur l’évolution des demandes sociales, des connaissances et des usages. Plus qu’un revirement par rapport au passé, la nouvelle approche entend corriger les excès des politiques passées."
Traduction : tout le monde fait de l'idéologie, sauf nous bien sûr.

"Le projet peut être une opportunité pour respecter la réglementation dans des conditions financières favorables, une partie des travaux pouvant être subventionnée de façon majorée, selon la nature du projet ou selon la date de prise de décision. Ce message est pertinent principalement auprès des élus et des propriétaires d’ouvrages."
Traduction : faites du chantage à la subvention, c'est très efficace.

"Eviter le débat idéologique sur l’hydroélectricité. Le projet de restauration peut remettre en cause l’usage « petite hydroélectricité ». Le porteur de projet peut alors être confronté à une argumentation plus générale basée sur des enjeux environnementaux : l’hydroélectricité est une énergie renouvelable et propre. Son développement participe à l’objectif national pour 2020 de 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie  finale, contre 13 % en 2009. Pour éviter que la question des microcentrales soit traitée sur un plan idéologique — biodiversité contre énergie renouvelable — et afin de rester dans le cadre d’une concertation, il peut être utile de mobiliser l’analyse économique. Elle permettra de relativiser le gain de production d’énergie escompté et de le rapporter au coût et à l’impact du maintien de l’artificialisation du cours d’eau. Elle pourra également mettre en balance la répartition des coûts et des bénéfices entre acteurs privés et acteurs publics."
Traduction : découragez par tout moyen l'exploitation énergétique, sachant que ce n'est pas de l'idéologie puisque c'est notre vision, forcément vraie et objective (voir plus haut).

"La concertation avec les riverains, les propriétaires fonciers directement concernés par le projet, les élus, les représentants associatifs et tous ceux qui sont potentiellement intéressés, est un passage obligé pour favoriser l’acceptabilité du projet et les négociations locales. Cette concertation peut prendre des formes très variées, du travail en groupe restreint d’acteurs, par filière ou par secteur (ouvrage par ouvrage) jusqu’à la réunion publique. Elle intervient à différents moments de la conduite du projet : en amont, pendant la phase de conception, avant les travaux au moment des négociations avec les acteurs locaux, pendant le chantier, voire après les travaux. Si l’intérêt de la concertation est évident pour tous, le risque de perdre en route l’ambition et la cohérence globale du projet n’est pas exclu. La concertation ne doit pas aboutir à un projet réduit à des opérations pilotes, là où l’acceptabilité locale pose le moins de problème ! Pour éviter cette dérive, le porteur de projet doit pouvoir assumer et porter sa vision du projet."
Traduction : pas d'erreur, la concertation est à sens unique et ne doit en rien aboutir à changer le projet.

"Tant que le projet n’est pas bien défini et clairement porté politiquement, mieux vaut s’abstenir d’organiser une réunion publique. En revanche cette période de maturation technique et politique du projet se prête bien à un travail de sensibilisation. C’est le moment d’intervenir sur les perceptions de la rivière et de préparer le changement. On communiquera donc, non pas sur le projet, mais sur l’identité de la rivière et son histoire dans le territoire."
Traduction : surtout pas de débat dans la phase de définition du projet, vu que les gens pourraient exprimer des objections.

"Une fois que le projet est bien avancé, qu’il a son assise politique, il faut prévoir une ou des réunions publiques pour le faire connaître au-delà du cercle des acteurs directement concernés. Ces temps d’échanges avec les habitants représentent l’aboutissement du travail de concertation préalable au sein de la structure porteuse et avec les riverains. Les incompréhensions ou les réticences vis-à-vis du projet sont alors levées ou fortement réduites et l’on pourra bénéficier du soutien de ces acteurs pour faire face à d’éventuelles oppositions."
Traduction : faites quand même une réunion pour assommer les gens de vos arguments, sans tenir compte des leurs.

"Les acteurs institutionnels — services déconcentrés de l’Etat (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement-DREAL), direction départementale des territoires), Onema, agence de l’eau, voire les services des grandes collectivités — sont bien souvent impliqués dès l’émergence du projet. Ils incitent la structure porteuse à définir et porter le projet de restauration de cours d’eau. Ils l’accompagnent dans son initiative par un appui technique et financier."
Traduction : tout cela vient de nos bureaucraties administratives, il s'agit cependant de faire croire que cela vient de la société

"Si les arguments liés à la réglementation fonctionnent bien vis-à-vis des institutionnels, c’est rarement le cas avec la presse. Evoquer la directive cadre sur l’eau n’est pas opportun quand la presse stigmatise le discours des « bureaucrates » contre les intérêts de la population locale ! On citera donc le cadre réglementaire dans lequel s’inscrit le programme, mais on n’en fera pas la justification unique du projet de restauration. On évoquera la vocation écologique du projet, mais on l’inscrira dans la vision plus large d’un projet de territoire – de territoire de vie. On ne parlera pas d’hydromorphologie, mais de redonner vie au cours d’eau. On se projettera dans l’avenir en montrant concrètement les bénéfices attendus."
Traduction : grande prudence avec la presse, il paraît qu'elle est encore libre dans ce pays.

"Proche de ses lecteurs ou auditeurs, la presse s’engage volontiers dans la défense des spoliés et des « petits riverains » face à l’administration. Certes les négociations de gré à gré n’ont pas à être portées sur la place médiatique. Mais le porteur de projet doit revendiquer clairement sa volonté de garantir le maintien des usages à chaque fois que possible, de rechercher des solutions acceptables par tous et il peut montrer les solutions qui ont été trouvées."
Traduction : cette presse libre défend les faibles, c'est à peine croyable.

"L’intérêt public enfin, la solidarité de bassin, la responsabilité assumée des acteurs sont autant de valeurs, non catégorielles, que chacun souhaite partager. Elles donnent au projet sa dimension humaniste, elles parlent de l’avenir, et les journalistes les porteront fréquemment avec plaisir."
Traduction : le journaliste est un peu idiot, il sera séduit par des voeux pieux.

"Les mots qui fâchent. Les termes d’arasement, démolition, destruction, suppression... d’ouvrages (de barrages, de seuils, de moulins...) suscitent souvent des réactions bloquantes. On les retrouve déformés par exemple dans l’évocation d’un « dynamitage ». « Ecologie » est également un terme qui crée un clivage plus qu’il n’explique le projet. En dehors de ces quelques mots qui peuvent réellement fâcher sur le terrain, on recommandera d’éviter les discours perçus comme technocratiques, soit parce qu’ils relèvent d’un registre technique, soit parce qu’ils renvoient à des logiques administratives, éventuellement lointaines, ainsi de la référence à la directive européenne cadre sur l’eau."
Traduction : dites que vous respectez l'ouvrage en le détruisant, les gens n'y verront que du feu.

Référence: Agence de l'eau Loire-Bretagne (2011), Guide méthodologique. Restauration des cours d'eau: communiquer pour se concerter, 60 p.

A lire en complément
La continuité écologique en temps de post-vérité et faits alternatifs…
Mystérieusement, les mêmes qui reconnaissent les problèmes associés à la mise en oeuvre de la restauration morphologique des rivières rédigent en 2017 une lettre ouverte à l'intention des députés et sénateurs pour affirmer que tout se passe globalement bien et que la contestation est marginale. On est hélas coutumier de ces pratiques orwelliennes où les objections argumentées sont ignorées au profit de la répétition en boucle des mêmes messages lénifiants. Encore un effort et l'action publique aura définitivement perdu sa crédibilité et sa légitimité sur ce dossier.

22/02/2017

La Commission européenne vise l'atténuation des impacts d'ouvrages hydrauliques, pas leur destruction

L'administration française tente par tous les moyens de justifier ses choix selon lesquels la continuité longitudinale serait un élément essentiel de qualité de l'eau, et la destruction des ouvrages la solution préférable pour rétablir cette continuité. Elle met volontiers en avant de soi-disant obligations européennes en ce domaine. Mais le Plan d'action (Blue Print) adopté en 2012 par la Commission européenne indique qu'il convient de chercher une atténuation des effets des ouvrages hydrauliques par des dispositifs de franchissement, dans le cadre d'une adaptation progressive. Rien à voir avec l'acharnement destructeur de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'Environnement ou des Agences de l'eau. L'Europe est raisonnable en ce domaine, comme le sont au demeurant les parlementaires français depuis 2006. C'est l'administration qui surinterprète et surtranspose lois et directives au service d'un programme excessif et conflictuel. 


Comme nous l'avions rappelé dans un précédent article, la directive cadre européenne 2000 se contente de citer la "continuité de la rivière" dans une de ses annexes, comme élément d'appréciation de son état écologique. Sachant que ladite continuité possède 4 dimensions (longitudinale, latérale, verticale, temporelle) et que l'essentiel de la littérature scientifique internationale concerne l'impact des grands barrages ou des endiguements des grands axes fluviaux (voir cet article sur l'histoire du "river continnum concept" en écologie).

En 2012, un Plan d'action pour la sauvegarde des ressources en eau de l'Europe (appelé "Blue Print") a été adopté la Commission européenne. Il définit les orientations de reconquête de l'état écologique et chimique des masses d'eau européennes.

Concernant le constat, la Commission européenne rappelle la diversité des pressions sur l'eau :
Les principales causes des effets négatifs sur l'état des eaux sont liées entre elles. Il s'agit notamment du changement climatique, de l'utilisation des sols, d'activités économiques telles que la production d'énergie, l'industrie, l'agriculture et le tourisme, mais aussi du développement urbain et de l'évolution démographique. Ces causes exercent une pression sous différentes formes: émissions polluantes, surexploitation des ressources en eau (stress hydrique), modification physique des masses d'eau et phénomènes extrêmes, tels que sécheresses et inondations, qui devraient augmenter si aucune mesure n'est prise. L'état écologique et chimique des eaux de l'UE s'en trouve donc menacé, de plus en plus de régions de l'UE risquent de connaître des pénuries d'eau et les écosystèmes aquatiques, qui rendent des services dont nos sociétés ont besoin, peuvent devenir plus vulnérables à ces types de phénomènes extrêmes. Il faut s'attaquer à ces problèmes pour préserver ces ressources indispensables à la vie, à la nature et à l'économie, et protéger la santé humaine. 
Cette énumération présente des manques — par exemple les espèces dites invasives ou exotiques, qui modifient la composition faunistique et floristique des milieux aquatiques, ou encore la pression de pêche, qui reste localement problématique pour certaines espèces menacées (saumons, anguilles). Elle comporte aussi des contradictions potentielles — par exemple, si les phénomènes extrêmes comme les sécheresses et les crues représentent des menaces croissantes pour les sociétés humaines, il sera difficile d'y répondre sans poursuivre à certain degré la modification physique des cours d'eau. Les solutions douces (comme la restauration de continuité latérale en champ d'expansion de crue) et vertueuses (comme les économies d'eau)  ne suffiront pas forcément à protéger les grands bassins urbanisés ni à répondre aux besoins agricoles en situation de changement climatique.

Concernant plus particulièrement la morphologie et la continuité, le Plan d'action de la commission européenne observe :
Si les évaluations de l'état écologique doivent encore être améliorées, il apparaît que la pression la plus courante sur l'état écologique des eaux de l'UE (19 États membres) provient de modifications des masses d'eau dues, par exemple, à la construction de barrages pour des centrales hydroélectriques et la navigation ou pour assécher les terres pour l'agriculture, ou à la construction de rives pour assurer une protection contre les inondations. Il existe des moyens bien connus pour faire face à ces pressions et il convient de les utiliser. Lorsque des structures existantes construites pour des centrales hydroélectriques, la navigation ou à d'autres fins interrompent un cours d'eau et, souvent, la migration des poissons, la pratique normale devrait être d'adopter des mesures d'atténuation, telles que des couloirs de migration ou des échelles à poissons. C'est ce qui se fait actuellement, principalement pour les nouvelles constructions, en application de la directive-cadre sur l'eau (article 4, paragraphe 7), mais il est important d'adapter progressivement les structures existantes afin d'améliorer l'état des eaux.
La pratique "normale" pour l'Europe ne consiste donc pas à privilégier la destruction comme solution de première intention – choix opéré par la seule administration française – mais l'atténuation des impacts des ouvrages par des dispositifs de franchissement. Par ailleurs, la Commission européenne parle d'une évolution raisonnée ("adapter progressivement"), en aucun cas d'une restauration brutale de continuité longitudinale consistant à classer des bassins versants avec des dizaines à centaines d'ouvrages pour en supprimer le plus grand nombre en l'espace de quelques années.


Pour l'évaluation de l'état écologique des eaux, la Commission européenne fonde ses jugements sur la base des rapportages qui lui sont faits par les Etats-membres. Elle prend soin de rappeler que ces évaluations doivent "encore être améliorées". Dans le cas de la France, l'hypothèse selon laquelle la moitié des masses d'eau serait altérée par la morphologie a été faite lors des premiers états des lieux de bassin de 2004-2005. A cette époque, les gestionnaires (Agences de l'eau responsables du rapportage) ne disposaient d'aucune base scientifique solide pour évaluer l'état des 10.000 masses d'eau superficielles françaises, en particulier elles n'avaient pas l'ensemble des mesures biologiques, physico-chimiques et chimiques indispensables à la caractérisation précise des pressions. Cette précipitation a conduit la France à s'engager imprudemment dans l'objectif de 2/3 des masses d'eau en bon état 2015, un but qui ne fut jamais atteint (nous sommes actuellement à 44% des masses d'eau en bon état, et l'Europe s'inquiète plutôt de la qualité chimique de nos rivières).

Aujourd'hui encore, le plus grand flou règne quand on attribue une variation d'état écologique à l'hydromorphologie. Car en fait, la morphologie concerne tous les processus influençant l'érosion, le transport et le dépôt des sédiments par l'eau, ce qui est vaste. Certains phénomènes de long terme, comme l'alternance de l'emprise et de la déprise agricoles sur les sols des bassins versants ou l'effet des grands aménagements hydrauliques du XXe siècle, sont loin d'être correctement caractérisés. Les milieux ne sont probablement pas en situation d'équilibre, c'est-à-dire qu'ils évoluent encore aujourd'hui sous l'effet des impacts passés. Cet ajustement dynamique fait du diagnostic morphologique des bassins un exercice difficile, surtout si l'on prétend statuer par rapport à un "état de référence" de l'eau et de ses milieux.

Gardons-nous donc d'un certain simplisme et d'une certaine précipitation dans le discours gestionnaire des rivières, en particulier pour l'écologie où interdépendance et complexité sont les maîtres-mots des phénomènes naturels que nous observons. L'Europe nous demande à bon droit d'améliorer l'état écologique et chimique de nos rivières et de nos nappes. Elle ne signe pas un blanc-seing à des logiques d'apprentis-sorciers.

Illustration : aménagement du Rhône et du port Edouard-Herriot, 1935, Compagnie nationale du Rhône (CNR) (source, creative commons). En Europe, la morphologie des cours d'eau a été progressivement modifiée par l'occupation humaine de tous les bassins versants, et le phénomène a connu une intensification au XXe siècle, le machinisme et la croissance permettant de multiplier petits et grands travaux hydrauliques à un rythme inaccessible aux époques antérieures.

21/02/2017

Sauvegarde de la Boivre: ce que les juges administratifs exigent d'un projet de restauration de rivière

Dans le projet annulé de restauration physique de la Boivre (voir cet article), les juges administratifs de Poitiers ont produit une décision très intéressante. Nous en détaillons ici les moyens juridiques, qui peuvent le cas échéant servir pour s'opposer à d'autres projets présentant les mêmes défauts de construction — car si l'administration devait persister dans sa position agressive et destructrice vis-à-vis des moulins et étangs, le maximum de chantiers futurs devraient faire l'objet de contentieux de la part des associations, propriétaires et riverains. Pour la Boivre, la préfecture a annoncé qu'elle ne ferait pas appel de ce jugement et le président du nouveau syndicat (Clain aval) a dit vouloir "retravailler en concertation". Dont acte, mais le principal enjeu de la concertation est simple: vu le coût inaccessible de la restauration physique  de rivière pour les particuliers et les petites collectivités, le financement maximal de l'Agence de l'eau (80-100%) a vocation à soutenir désormais les projets qui concilient le plus efficacement écologie, patrimoine, paysage, énergie et autres usages entrant dans la gestion équilibrée et durable de l'eau. La doctrine de la renaturation comme primauté programmatique des milieux aquatiques sur toute autre considération doit être abandonnée au profit d'une écologie plus inclusive, ouverte à la diversité et la complexité des situations locales, ainsi qu'à des diagnostics du vivant non limités à certains poissons. 

Nécessité d'une étude d'impact plus solide qu'une étude d'incidence
Un chantier ne peut pas être programmé sur la base d'études futures qui en détailleront les conditions et les effets, l'étude d'impact doit être complète lors du dépôt du dossier d'autorisation.
Considérant qu’aux termes de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, dans sa version alors en vigueur : « I. ― Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact. Ces projets sont soumis à étude d'impact en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement.»; qu’aux termes de l’article R. 122-2 du même code, dans sa version alors en vigueur : « I.-Les travaux, ouvrages ou aménagements énumérés dans le tableau annexé au présent article sont soumis à une étude d'impact soit de façon systématique, soit après un examen au cas par cas, en fonction des critères précisés dans ce tableau. » ; qu’à l’article 2 de l’arrêté attaqué, le préfet a délivré l’autorisation de réaliser des travaux visés aux rubriques 3.1.1.0 (obstacles à la continuité écologique), 3.1.2.0 (modification de profils en long ou en travers du lit mineur), 3.2.1.0 (entretien), 3.3.1.0 (assèchement ou remise en eau de zones humides), 3.1.5.0 (destructions de zones de frayères ou de croissance de la faune piscicole) ; qu’aux termes des dispositions précitées, le pétitionnaire était tenu de diligenter une étude d’impact sur ces travaux ; que l’étude d’incidence produite par le Syndicat d’aménagement de la vallée de la Boivre ne peut en tenir lieu, dès lors qu’elle renvoie à des études ultérieures, portant notamment sur « certains cas d’aménagement lourd », les « risques potentiels » liés au départ de fines lors des travaux, les incidences des travaux et des actions en elles mêmes sur les zones d’intérêt écologique et les actions concernant l’effacement ou l’aménagement des ouvrages hydrauliques, à diligenter lorsque les travaux autorisés seront définis avec plus de précision. 

Nécessité d'une demande de travaux complète et motivée
Même motif que précédemment mais sur la base d'un autre article du code de l'environnement.
Considérant qu’aux termes de l’article R. 214-6 du code de l’environnement, dans sa version applicable : « I.-Toute personne souhaitant réaliser une installation, un ouvrage, des travaux ou une activité soumise à autorisation adresse une demande au préfet du département ou des départements où ils doivent être réalisés. II.-Cette demande, remise en sept exemplaires, comprend : (...) 2° L'emplacement sur lequel l'installation, l'ouvrage, les travaux ou l'activité doivent être réalisés ; 3° La nature, la consistance, le volume et l'objet de l'ouvrage, de l'installation, des travaux ou de l'activité envisagés, ainsi que la ou les rubriques de la nomenclature dans lesquelles ils doivent être rangés ; (...) » ; 4° Un document : a) Indiquant les incidences directes et indirectes, temporaires et permanentes, du projet sur la ressource en eau, le milieu aquatique, l'écoulement, le niveau et la qualité des eaux, y compris de ruissellement, en fonction des procédés mis en oeuvre, des modalités d'exécution des travaux ou de l'activité, du fonctionnement des ouvrages ou installations, de la nature, de l'origine et du volume des eaux utilisées ou affectées et compte tenu des variations saisonnières et climatiques ; (...) d) s’il y a lieu, les mesures correctives ou compensatoires envisagées (...) ». Considérant que le dossier établi par le pétitionnaire ne fournit les informations requises par l’article précité que de façon très imprécise, comme il ressort de ses termes mêmes, selon lesquels : « la définition précise des travaux n’est pas l’objet du présent dossier. Il donne le cadre global des aménagements. Ces travaux seront précisés (sous la forme de scenarii) par l’intermédiaire d’études complémentaires » 

Nécessité d'une nouvelle délibération quand l'enquête publique a donné un avis défavorable
Un point souvent négligé (ce fut le cas à Tonnerre), quand le commissaire enquêteur donne un avis défavorable, il ne suffit pas de l'ignorer superbement en Coderst, il faut encore que les collectivités concernées (par la maîtrise d'ouvrage) procèdent à une nouvelle délibération à la lumière de l'avis du commissaire enquêteur. 
Considérant qu’aux termes de l’article L. 123-16 du code de l’environnement : «Tout projet d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale ayant donné lieu à des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête doit faire l'objet d'une délibération motivée réitérant la demande d'autorisation ou de déclaration d'utilité publique de l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement de coopération concerné. » ; qu’en méconnaissance de ces dispositions, l’organe délibérant du Syndicat d’aménagement de la vallée de la Boivre n’a pas délibéré pour réitérer sa demande après l’avis défavorable rendu le 21 avril 2014 par le commissaire enquêteur sur la demande de travaux au titre de la législation sur l’eau 

Nécessité de fouilles archéologiques préventives lorsque la DRAC a souligné une présomption d'intérêt sur des sites
Point rarement rencontré : l'avis de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) doit faire l'objet de prescriptions en sauvetage archéologique si nécessaire.
Considérant qu’aux termes de l’article R. 523-17 du code du patrimoine: « Lorsque des prescriptions archéologiques ont été formulées ou que le préfet de région a fait connaître son intention d'en formuler, les autorités compétentes pour délivrer les autorisations mentionnées à l'article R. 523-4 les assortissent d'une mention précisant que l'exécution de ces prescriptions est un préalable à la réalisation des travaux. Lorsque l'aménageur modifie son projet en application du 3° de l'article R. 523-15, les modifications de la consistance du projet indiquées par le préfet de région ont valeur de prescription. Si celles-ci ne sont pas de nature à imposer le dépôt d'une nouvelle demande d'autorisation, ou d'une demande de modification de l'autorisation délivrée, l'aménageur adresse au préfet de région une notice technique exposant le contenu des mesures prises. » ; qu’aux termes de l’article R. 214-16 du code de l’environnement, concernant les autorisations requises pour des opérations au titre de la loi sur l’eau : « Lorsque l'autorisation se rapporte à des ouvrages, travaux ou activités qui sont subordonnés à une étude d'impact, elle mentionne en outre que, dans le cas où des prescriptions archéologiques ont été édictées par le préfet de région en application du décret du 3 juin 2004 précité, la réalisation des travaux est subordonnée à l'accomplissement préalable de ces prescriptions. » ; que par sa lettre du 4 mars 2014, le directeur régional des affaires culturelles a relevé six ouvrages en zone A de présomption de prescriptions archéologiques où une autorisation de travaux du service régional de l’archéologie est nécessaire, et notamment les marais bordant le Moulin du Roy susceptibles d’avoir été occupés à l’époque préhistorique ; que, dès lors, l’arrêté du 5 août 2014 ne pouvait valoir autorisation au titre de la loi sur l’eau sans comporter des dispositions précisant que les travaux ne peuvent être entrepris avant l’achèvement des opérations relatives à l’archéologie préventive ; que le défaut de cette mention entache sa légalité ;

Nécessité d'une déclaration d'utilité publique pour divertir les eaux d'un chenal ancien
Moyen très intéressant : le juge considère que le chenal de dérivation (bief) étant ancien, il est assimilable à un cours d'eau non domanial et demande une déclaration d'utilité publique pour en altérer le cours (pas seulement une déclaration d'intérêt général). Donc les administrations qui classent aujourd'hui les biefs comme cours d'eau dans leur cartographie s'exposent à des contraintes fortes si elles veulent en modifier le débit.
Considérant qu’aux termes de l’article L. 215-13 du code de l’environnement : « La dérivation des eaux d'un cours d'eau non domanial, d'une source ou d'eaux souterraines, entreprise dans un but d'intérêt général par une collectivité publique ou son concessionnaire, par une association syndicale ou par tout autre établissement public, est autorisée par un acte déclarant d'utilité publique les travaux. » ; que, compte tenu de l’ancienneté du chenal d’amenée des eaux au Moulin du Roy, datant de l’époque médiévale, la distraction d’une partie de ses eaux vers le marais des Ragouillis constitue une « dérivation » au sens de l’article précité ; que dès lors, les travaux ne pouvaient être autorisés sans avoir été déclarés d’utilité publique ; que l’absence de cette déclaration entache la légalité de l’arrêté attaqué

Nécessité de maintenir un débit minimum biologique dans un bief hébergeant la vie 
Même logique que le moyen précédent : si le bief héberge du vivant, alors on ne peut pas l'assécher et empêcher d'y garantir les conditions de la vie en permanence (principe du débit minimum biologique). 
Considérant, par ailleurs, qu’aux termes de l’article L. 214-18 du code de l’environnement : « I.-Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite. (...) » ; qu’en méconnaissance de ces dispositions, l’arrêté attaqué autorise la dérivation d’une partie indéterminée des eaux de la Boivre du chenal d’alimentation du Moulin du Roy vers le marais des Ragouillis, sans prescriptions permettant de garantir la permanence de la vie dans ce chenal

Nécessité d'une conformité au PLU pour les affouillements et exhaussements
Si le plan local d'urbanisme prohibe les exhaussements ou affouillements du sol sur certaines zones, un chantier de "renaturation" (qui mobilise des sédiments et modifie des profils à l'engin mécanique) sera tout aussi bien concerné qu'un chantier de construction. 
Considérant qu’aux termes de l’article L. 123-5 du code de l’urbanisme, relatif aux plans locaux d’urbanisme : « Le règlement et ses documents graphiques sont opposables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de tous travaux, constructions, plantations, affouillements ou exhaussements des sols, pour la création de lotissements et l'ouverture des installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le plan. » ; que le marais des Ragouillis, où l’arrêté attaqué autorise des travaux d’affouillements, se trouve en zone N du plan local d’urbanisme de Montreuil-Bonnin, où sont interdits tous exhaussement ou affouillement du sol qui ne sont pas autorisés par un permis de construire ou d’aménager, et où ne sont autorisés que les aires de stationnement, les ouvrages nécessaires à l’irrigation, certains aménagements légers et les aménagements de constructions existantes, sous de nombreuses conditions ; que les travaux de remise en eau du marais des Ragouillis, n’entrant pas dans le champ de ces exceptions, ont été autorisés par l’arrêté attaqué en méconnaissance des dispositions du plan local d’urbanisme de la commune de Montreuil-Bonnin

Nécessité de justifier la non-atteinte aux intérêts entrant dans la gestion équilibrée et durable de l'eau
Ce considérant est rarement retenu: l'article L 211-1 CE fixant l'ensemble des usages de l'eau entrant dans sa "gestion équilibrée et durable", l'arrêté du préfet doit montrer que les intérêts liés à ces usages ne sont pas lésés. A noter que cet article L 211-1 CE a été récemment modifié et qu'outre l'agriculture, l'hydro-électricité, la pêche et divers usages, il inclut désormais également le stockage de l'eau et le respect du patrimoine hydraulique.
Considérant qu’aux termes de l’article L. 214-3 du code de l’environnement : «I.-Sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles. Les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1, les moyens de surveillance, les modalités des contrôles techniques et les moyens d'intervention en cas d'incident ou d'accident sont fixés par l'arrêté d'autorisation et, éventuellement, par des actes complémentaires pris postérieurement. » ; que l’autorisation de l’article 2 de l’arrêté attaqué ayant été donnée au titre de l’article précité, devait fixer les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement ; que l’absence de ces prescriptions entache sa légalité.

20/02/2017

Défiguration de la Boivre: le tribunal administratif annule le projet contesté

Le tribunal administratif de Poitiers vient d'annuler pour de multiples motifs le projet de destruction des ouvrages et de reprofilage du lit de la Boivre. Cette excellente nouvelle rappelle aux associations de propriétaires et de riverains la nécessité de porter sur le terrain judiciaire la défense des rivières et de leurs héritages. Améliorer la transparence piscicole et sédimentaire est légitime. Détruire le patrimoine hydraulique, le potentiel énergétique et le cadre de vie ne l'est pas. Aux syndicats, agences de l'eau et préfectures de proposer et financer désormais des choix constructifs, capables de concilier les enjeux et de susciter l'adhésion. 

La Boivre est une rivière d'une quarantaine de kilomètres qui naît dans les Deux-Sèvres et se jette dans le Clain au niveau de Poitiers. En mars 2014, l'enquête publique sur le contrat territorial "milieux aquatiques de la Boivre et de ses affluents" avait déjà soulevé une participation sans précédent au plan local.

L'Association de protection des propriétaires riverains de la Boivre avait souligné ses motifs d'inquiétude et de colère face à une modification massive du profil de la vallée et à la lourdeur des aménagements prévus : démantèlement de nombreux ouvrages, dérivation du cours actuel, aménagement d'abreuvoirs, recharge en granulats, création de passes à poissons, etc. Le coût, estimé à plus de 1,1 M€, avait aussi soulevé la colère des citoyens et de nombreux élus, face à des bénéfices écologiques paraissant pour le moins abstraits.

Finalement, une requête en annulation du projet avait été déposée au tribunal administratif de Poitiers par l'association et par la propriétaire du moulin du Roy, à Montreuil-Bonnin. Les juges viennent de donner raison aux plaignants. Parmi les points relevés :

  • les travaux à entreprendre ne sont pas détaillés assez précisément,
  • l'intérêt général est insufisamment caractérisé,
  • des opérations d'archéologie préventive auraient dû être prescrites sur certains sites,
  • la dérivation du moulin du Roy aurait dû faire l'objet d'une déclaration d'utilité publique,
  • les travaux dans le marais de Ragouillis sont incompatibles avec le plan local d'urbanisme,
  • plusieurs prescriptions fixées par le code de l'environnement ont été ignorées.

Comme souvent lorsqu'un dossier va en justice, on s'aperçoit que des obligations procédurales sont négligées par les syndicats et la préfecture... bien qu'ils prétendent évidement à la parfaite qualité de leur projet et au caractère rétrograde de ceux qui le contestent.

En dépit des innombrables conflits et protestations observés depuis 2009 comme de l'absence du moindre retour scientifiquement validé sur l'évolution globale de la biodiversité aquatique, un certain nombre de falsificateurs persistent à affirmer que la continuité écologique serait une franche réussite et qu'elle rencontrerait un large assentiment chez les propriétaires et riverains. Sur la Boivre, démonstration est faite qu'il n'en est rien pour ce qui est de la qualité de la gouvernance et de la rigueur du projet.

A lire : article dans la Nouvelle République

Pour vous défendre
Vade-mecum de l'association pour garantir le respect du droit lors des effacements d'ouvrages en rivière

19/02/2017

Pont-Audemer: l'Agence de l'eau Seine-Normandie fait-elle pression pour fermer une centrale hydro-électrique en production?

Le gouvernement, les parlementaires et les territoires sont mobilisés pour la transition énergétique bas-carbone, y compris d'origine hydraulique comme l'a montré le vote récent d'une loi pour protéger et valoriser les ouvrages en rivière. Mais l'administration en charge de l'eau suit-elle le mouvement? Un média en ligne nous apprend que l'Agence de l'eau Seine-Normandie serait prête à financer une opération visant à la fermeture d'une centrale hydro-électrique à Pont-Audemer (Eure), avec arrêt de la production pour rendre un barrage franchissable aux poissons. Certains évoquent une dépense d'argent public de l'ordre d'un million d'euros, sans compter le manque à gagner lié à la disparition de l'activité et le futur chantier. Cela alors qu'un industriel était disposé à reprendre le site. Ces informations sont-elles exactes? Comment justifier ces choix? Où peut-on lire l'analyse coût-bénéfice complète de cette opération appelée à être payée par les citoyens? Pourquoi ne pas concilier continuité écologique, énergie propre et activité économique, ce qui est le souhait massivement exprimé par les députés et sénateurs? L'Agence de l'eau Seine-Normandie doit garantir toute la transparence sur cette affaire. Nous vous communiquons les coordonnées des députés et sénateurs de l'Eure à cette fin. Merci de les interpeller: la vigilance citoyenne sera le seul moyen de clarifier les éventuels décalages entre arbitrages administratifs et choix démocratiques. 



La centrale de la Madeleine est la propriété de la société d'économie mixte Gédia. Elle est alimentée par un ouvrage autorisé, que l'Agence de l'eau Seine-Normandie souhaite néanmoins voir disparaître. Un industriel (Spepa) exploitant déjà des ouvrages dans la région s'est dit intéressé par la reprise de cette centrale, parfaitement fonctionnelle, et par la mise en conformité du barrage (passe à poisson). La centrale produirait 1,5 GWh à l’année pour 110 000 € de chiffre d’affaires. C'est la plus puissante du bassin, qui en comporte d'autres en activité. Rappelons que l'énergie hydraulique est une énergie locale très bas-carbone, en particulier quand les installations existent (pas de coût carbone de chantier).

Selon les informations données par Paris-Normandie, l'industriel aurait été écarté au profit d'un montage entre la mairie de Pont-Audemer et l'Agence de l'eau Seine-Normandie. Il proteste : "Quand j’ai entendu parler de cette vente, j’ai fait une offre de 1,20 M€ pour conserver l’activité. Quand la mairie de Pont-Audemer a été au courant, une offre supérieure de 50 000 € à la mienne a été formulée par la commune. Elle est entièrement financée par de l’argent public, les subventions de l’Agence de l’eau, bref, l’argent de nos impôts".

Déclaration d'André Berne, directeur territorial Seine Aval à l'Agence de l'eau: "La Risle a un potentiel extraordinaire en termes de poissons migrateurs. Sauf qu’un barrage fait encore obstacle à leur circulation. Comme le précédent propriétaire ne pouvait pas l’équiper d’une passe à poissons, qui était obligatoire, le choix fait par la collectivité a été celui du rachat et de l’enlèvement de l’ouvrage. Il s’agit d’une obligation réglementaire (...) Certes, cette énergie renouvelable n’émettait pas de CO2 mais il s’agit d’une toute petite centrale. Sa perte est un inconvénient mais nous allons améliorer la Risle de façon considérable."

Déclaration de Michel Leroux, maire de Pont-Audemer : "Ce rachat a été effectué en partenariat avec l’Agence de l’eau pour débloquer ce point de la Risle. Actuellement, il bloque l’accès de la totalité du bassin de la Risle aux poissons migrateurs mais aussi ses affluents : la Tourville, la Véronne, la Charentonne... En aval de ce barrage, l’espace de reproduction est surpeuplé (…) je trouve scandaleux que le privé ait gardé ce qui pouvait rapporter, les turbines, tout en redonnant au public, à la mairie, ce qui ne rapportait rien : les barrages. Sans doute y a-t-il besoin de retrouver des équilibres dans tout cela…"

Assez de belles paroles, de la clarté sur les faits et les chiffres !
Pour éclaircir cette situation qui paraît opaque, nous appelons donc nos lecteurs à saisir les élus de l'Eure, afin d'exiger la pleine transparence sur :
  • le coût du rachat de la centrale et le montage,
  • le coût lié à la cessation d'activité,
  • le coût lié à l'aménagement du barrage à fin de continuité,
  • le bilan carbone du projet,
  • l'estimation exacte du potentiel piscicole du chantier (sur le linéaire libéré entre ce barrage et le prochain barrage amont infranchissable, puisqu'en matière de continuité les coûts s'accumulent sur chaque ouvrage et un chantier ne libère qu'un tronçon, pas une rivière entière)
  • l'analyse coût-bénéfice de la solution retenue, en comparaison d'une solution alternative de passe avec maintien de la centrale.
Et en complément, il serait opportun d'obtenir de l'Agence de l'eau :
  • les sommes déjà dépensées pour les ouvrages hydrauliques du bassin de la Risle,
  • le nombre total d'ouvrages du bassin encore à aménager,
  • l'estimation du coût global de rétablissement de la continuité sur ce secteur (chantiers achevés et chantiers à venir).
Les belles paroles sur les potentiels extraordinaires nous intéressent nettement moins que des faits et des chiffres offerts au débat public en toute clarté et toute honnêteté.

Merci d'avance de prendre quelques minutes pour écrire aux parlementaires:
Lien pour écrire aux députés de l'Eure (aller au département et consulter l'adresse électronique)
Lien pour écrire aux sénateurs de l'Eure (aller au département et consulter l'adresse électronique)

Les élections approchent : les citoyens sont en ce moment intéressés par la capacité des élus à sortir de certains jeux de pouvoir et de la langue de bois qui les accompagne parfois, ainsi qu'à apporter les réponses au souci démocratique du bon usage de l'argent public.

Vous pouvez également écrire à la direction de l'AESN Seine-Aval. Dans le cadre du droit d'accès aux informations relatives à l'environnement, notre association va requérir les pièces complètes du dossier.

Nota : il se trouve que M. Ladislas Poniatowski, sénateur de l'Eure, siégeait à la commission mixte paritaire et a pris une part active dans le vote de l'article 3bis de la loi d'autonconsommation énergétique, incitant à préserver les ouvrages. Il sera certainement intéressé, comme les autres parlementaires, par les explications sur une dépense d'argent public éventuellement destinée à fermer une centrale hydro-électrique en production.

A savoir : en Bourgogne, la même Agence de l'eau Seine-Normandie a également exercé des pressions pour faire arrêter la production d'un moulin en autoconsommation sur le Cousin (Yonne), alors que le site n'est pas raccordé au réseau. De la tête à l'exutoire du bassin versant, une politique de pression en vue de détruire préférentiellement certaines catégories d'ouvrages serait-elle à l'oeuvre? Pourquoi l'Agence propose-t-elle 0% de subvention pour les passes à poissons ou rivières de contournement lorsqu'il a été montré qu'une destruction est "techniquement possible"? Cette politique très orientée et très variable de subvention respecte-t-elle l'égalité des citoyens devant les charges nées de l'exécution de la loi? L'association Hydrauxois a déjà prévenu les représentants de l'Agence : tous nos adhérents contraints à un chantier de continuité feront une demande écrite de subvention et tout refus de l'Agence fera l'objet d'un contentieux. Nous incitons nos consoeurs du bassin à faire de même, avec copie à leurs parlementaires.

Sur le même thème (autre rivière normande)
Touques : comment le lobby de la pêche à la mouche a survendu les bénéfices de la continuité écologique

17/02/2017

Protection des moulins: les parlementaires ont été très clairs... l'administration devra l'être aussi!

Nous publions ci-dessous les extraits des débats parlementaires lors du vote de la loi sur l'autoconsommation énergétique portant exemption de continuité écologique en liste 2. Les élus de tous les groupes sont clairs et consensuels dans leur motivation: ils veulent la protection et la valorisation, et non plus la destruction, des ouvrages hydrauliques anciens, produisant ou ayant un potentiel de production. Sous réserve d'un recours en annulation de la loi, l'administration doit maintenant respecter la volonté générale exprimée par les élus. Ce qui signifie : la Direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'Environnement doit intégrer la protection des moulins dans des textes d'application non ambiguës, sans chercher à multiplier les exceptions, les complications, les interprétations douteuses visant à réveiller la guerre avec les riverains ; les Agences de l'eau ne doivent plus donner priorité aux effacements quand ils concernent ce patrimoine hydraulique, donc financer d'autres solutions de continuité si nécessaire et travailler avec les comités de bassin pour redéfinir une doctrine programmatique en direction des ouvrages et de l'hydro-électricité ; les DDT(-M) doivent informer les propriétaires concernés de l'évolution de la loi et envisager avec eux les conditions réglementaires d'une reprise de la production; les établissement publics intercommunaux ou de bassins versants (syndicats, parcs) doivent intégrer cette perspective de valorisation dans leurs programmes de gestion et dans l'information du public. Nous avons déjà subi une grave dérive d'interprétation de la loi sur l'eau de 2006, ayant obligé à de multiples corrections législatives depuis un an. Nous n'accepterions pas qu'une nouvelle fois l'administration en charge de l'eau persiste dans une interprétation dévoyée de la continuité écologique, au mépris de la volonté si clairement affichée par les représentants élus des citoyens. 


Sénat
La source de ces extraits est ici.

Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat  - Je me félicite du travail mené par le Sénat, en particulier sur les moulins, qui sont au coeur de l'identité rurale française. Le Sénat, très attaché à la préservation de ce patrimoine, a su concilier les intérêts en jeu. J'attribuerai prochainement le résultat de l'appel d'offres petit électrique avec un lot spécialement réservé aux anciens moulins.

M. Jean-Claude Requier (groupe RDSE) - Enfin, la question des anciens moulins à eau : le Sénat est allé plus loin que la loi Montagne pour les préserver. La CMP a clarifié le dispositif. Nous sommes satisfaits ; le groupe RDSE approuve à l'unanimité les conclusions de la CMP.

Mme Anne-Catherine Loisier (groupe UDI-UC) - La CMP a aussi traité la question des moulins à eau, à la satisfaction de tous, pêcheurs comme associations de sauvegarde du patrimoine : elle a assouplit la règle de continuité écologique pour les moulins sur des cours d'eau classés en liste 2. Plusieurs milliers de petits ouvrages appartenant à notre patrimoine historique seront ainsi préservés qui, équipés, pourraient produire une puissance cumulée de près de 300 mégawatts. Il conviendrait néanmoins de clarifier la situation des moulins situés sur les cours d'eau classés dans la liste 1, ceux-ci ne présentant pas toujours une qualité ou un intérêt écologique qui mérite leur classement et une protection administrative accrue. On peut également s'interroger sur l'intérêt d'intégrer à cette liste des cours d'eau considérés comme réservoirs biologiques dont la définition est appliquée par l'administration de manière très extensive. À quand une révision de cette liste 1 ? Nous optimiserions le potentiel de ces moulins qui ont une utilité socio-économique tout en répondant aux défis écologiques. Le groupe UDI-UC, très attaché aux énergies renouvelables, votera naturellement en faveur de ce texte. 

M. Hervé Poher (groupe écologiste) -  L'article 3 bis était indispensable, incontournable, inévitable. Ayant longtemps fréquenté une agence de l'eau, j'ai connu des gens qui se battaient contre les moulins (Sourires) et d'autres, plus nombreux, qui les défendaient. Leurs arguments s'équilibraient... Le texte s'inscrit dans le prolongement naturel de la loi pour la transition énergétique. Le groupe écologiste votera pour.

Mme Delphine Bataille (groupe socialiste et républicain) - Je ne reviens pas sur le régime des moulins à eau, consensuel, qui concilie biodiversité, souci patrimonial et développement de la micro-hydroélectricité. (…) On ne peut qu'adhérer à ce texte qui marque des avancées sur le chemin de la transition énergétique. 

M. Daniel Chasseing (groupe Les Républicains) - Je suis bien sûr très favorable à ce projet de loi qui soutient l'autoconsommation, qui est favorable à la ruralité et qui crée un système énergétique mixte. Le Sénat avait voté un amendement sur les moulins contre l'avis du Gouvernement et du rapporteur. Depuis, le rapporteur a beaucoup travaillé et a fait adopter sa rédaction par la commission mixte paritaire. Des milliers de moulins, pour un potentiel de plus de 280 mégawatts (…) seront ainsi conservés. Ils subissaient l'hostilité -le mot est peut-être fort- de l'administration. Tous les moulins équipés pourront ainsi produire de la micro-électricité. 

M. Bruno Sido (groupe Les Républicains) - À mon tour de me féliciter de la préservation de milliers de petits moulins. À l'heure où l'on s'interroge sur l'application des lois, je m'étonne toutefois qu'il ait fallu réaffirmer qu'ils n'étaient pas un obstacle à la continuité écologique : nous l'avions déjà voté dans de précédents textes, notamment la loi sur l'eau.

Assemblée nationale
La source de ces extraits est ici.

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission mixte paritaire - Seule une disposition, adoptée au Sénat, ne faisait pas consensus à l’Assemblée nationale. La commission mixte paritaire a permis de trouver un accord – c’est sa raison d’être – dans l’article 3 bis du projet de loi. La disposition initiale du Sénat permettait aux moulins produisant de l’électricité de s’affranchir de toute règle administrative, ce qui remettait en cause le maintien de la continuité écologique et la défense de la biodiversité. Nous avons donc adopté, en commission mixte paritaire, une mesure limitant la dispense de règle aux moulins situés sur certains cours d’eaux. Il est en effet nécessaire de continuer à imposer des règles administratives aux moulins situés sur les cours d’eau présentant une qualité écologique et une richesse biologique particulièrement importantes.

M. Patrice Carvalho (Gauche démocrate et républicaine) - Nous nous réjouissons également du vote, au Sénat, d’une disposition sur les anciens moulins à eau situés en milieu rural, qui lève concrètement l’obligation de construire des passes à poissons. C’est une mesure de bon sens, qui, sans réellement nuire aux continuités écologiques, épargnera aux propriétaires des coûts exorbitants. On s’apprêtait à faire disparaître de petites surélévations, de quelques dizaines de centimètres, existant depuis trois siècles, et avec elles la biodiversité qui s’y était installée. Pour nous, il est primordial de préserver ces éléments essentiels de notre patrimoine culturel, plutôt que de les faire disparaître ou de les effacer, comme le souhaite l’administration.

M. Romain Colas (Socialiste, écologiste et républicain) - Le seul vrai problème résidait dans l’article 3 bis, relatif aux moulins à eau, qui vient encore d’être évoqué par notre collègue Carvalho. Mais, là encore, les parlementaires se sont entendus pour trouver un équilibre entre le développement de la micro-électricité et la continuité écologique des cours d’eau. L’élaboration de ce texte a été en tout point exemplaire.

M. Pascal Thévenot (Les Républicains) - Seul l’article 3 bis a donné lieu à un débat approfondi. Adopté au Sénat, cet article supprimait l’obligation de classement des moulins à eau. Les pêcheurs, notamment, ont fait part de leurs préoccupations quant aux conséquences de la suppression de toute réglementation. La CMP a entendu ces inquiétudes et est parvenue à une rédaction consensuelle. Ainsi, le champ d’application du texte voté par le Sénat est-il limité aux moulins situés sur des cours d’eau classés en liste 2, aux termes de l’article L. 214-17 du code de l’environnement. Les moulins situés sur les autres cours d’eau continueront d’être réglementés pour le maintien de la continuité écologique et la défense de la biodiversité.

16/02/2017

Pêcheurs : libérez-vous de vos oligarques !

La récente évolution de la réforme de continuité écologique, comme les précédentes, a été accompagnée par un intense lobbying de la pêche pour tenter de l'empêcher. Sans succès, le consensus politique en faveur de la préservation des moulins à eau est désormais massif. Les représentants officiels de la pêche, séduits par certaines sirènes intégristes des rivières sauvages, donnent une bien mauvaise image de leur loisir en persistant à promouvoir la casse, à dénigrer le patrimoine ou l'énergie, à se montrer agressifs envers d'autres usages de l'eau que le leur, à défendre finalement les positions les plus dogmatiques. Nombre de sociétés locales de pêche s'en désolent. Nous les appelons à saisir leurs fédérations départementales ou nationale, et à faire évoluer le discours de la pêche vers des positions moins intolérantes. Nous avons un avenir commun sur nos rivières, mais il sera fondé sur le respect mutuel.


Dans son intervention au Sénat le 15 février 2017, évoquant la nécessité de concilier des visions et des intérêts divergents, Mme Ségolène Royal a parlé des "préoccupations des pêcheurs" et non pas des "enjeux de la continuité écologique". Ce glissement lexical est révélateur. La continuité écologique a été portée avant tout par le lobby de la pêche, les élus sont les premiers à le savoir.

De fait, quatre représentants de la pêche et un représentant d'ERN-SOS Loire vivante (animateur du lobby Rivières sauvages) ont écrit au président du Sénat pour lui demander de ne pas adopter l'article 3bis de la loi sur l'autoconsommation énergétique. Le texte de ce courrier peut être consulté à ce lien

Ce courrier contient tous les poncifs du genre : développer des sources modestes d'énergie ne sert à rien (beau message en période de transition énergétique), les signataires seraient les seuls défenseurs de l'intérêt général (malgré l'écrasant consensus des parlementaires pour valoriser le patrimoine hydraulique comme atout des territoires), la réforme de continuité écologique se passerait formidablement bien (malgré les preuves accumulées du contraire depuis 5 ans), casser les ouvrages à la pelleteuse ou construire de coûteuses passes à poissons créerait forcément de la valeur et de la réussite (malgré l'absence généralisée d'analyse coût-bénéfice et d'évaluation en services rendus par les écosystèmes, et des retours critiques d'universitaires ayant étudié des cas concrets), etc.

Cette démarche illustre une réalité : la fédération nationale de pêche (FNPF) et une partie de ses fédérations départementales sont engagées dans une vision agressive, militante, biaisée de la continuité écologique. Leur objectif prioritaire est de détruire les ouvrages hydrauliques. Ils n'ont jamais exprimé le moindre intérêt pour la protection du patrimoine historique des rivières ou la promotion de l'énergie hydraulique au fil de l'eau. Ils n'ont jamais dit clairement que la casse des ouvrages, des retenues et des cadres de vie devait être abandonnée dès qu'elle rencontre une opposition des riverains concernés. Ils ont accompagné les plus modestes corrections de la réforme de continuité écologique par des communiqués tour à tour plaintifs et vindicatifs.

Ces instances officielles de la pêche ne veulent pas la concertation, mais la coercition ; elles ne veulent pas le dialogue, mais le monopole sur l'appréciation des enjeux ichtyologiques, voire écologiques (malgré des méthodologies douteuses) ; elles ne veulent pas une "gestion équilibrée et durable" de l'eau dans les conditions prévues par l'article L 211-1 de notre code de l'environnement, c'est-à-dire dans le respect des héritages et des usages attachés à la rivière, mais le sacrifice de tous les usages qu'elles estiment contraires à leurs propres intérêts, à leurs propres convictions, à leurs propres préjugés.


Cette dérive de la pêche est le fait de ses instances, nullement de sa base.

Il se vend 1,5 million de cartes de pêche en France chaque année, les adeptes de ce loisir populaire sont très loin d'être des enragés de la continuité écologique. Bien au contraire, les fédérations gèrent tout un patrimoine de plans d'eau artificiels (étangs, lacs) créés par des ouvrages hydrauliques. Les pêcheurs de "blancs" (cyprins) apprécient particulièrement les retenues de moulins et usines à eau. De nombreuses associations locales de pêche se désolent de la destruction des ouvrages hydrauliques qui menace parfois leur existence même en faisant disparaître les meilleurs coins (des exemples dans l'actualité sur la Moselle à Saint-Amé et à Bussang, sur l'Armançon, sur l'Yon).

Les plus lucides des pêcheurs observent sans grande difficulté que la pollution des eaux et des sédiments comme la baisse tendancielle de leur niveau forment les causes les plus évidentes de la raréfaction des poissons. Nombre d'anciens témoignent de leur abondance passée et ont vu de leurs yeux le déclin à partir de 30 glorieuses, comme sur ces rivières comtoises vidées en quelques décennies. La faute aux moulins déjà là depuis des siècles? Allons donc, quelques idéologues y croient ou feignent d'y croire, mais ce discours fumeux ne convainc personne. Il y a bien évidemment des cours d'eau à fort enjeu migrateur amphihalin, comme les fleuves côtiers. Il y a des défis reconnus et partagés comme le sauvetage de la souche unique du saumon Loire-Allier et de sa migration de 1000 km dans les terres. Il reste que sur l'immense majorité des rivières, la petite hydraulique n'est pas la cause de la raréfaction des poissons depuis quelques décennies et, pour certains assemblages pisciaires, les retenues et les biefs ont au contraire des effets positifs.

En raison des dérives des oligarques qui prétendent les représenter, ces pêcheurs sont aujourd'hui assimilés malgré eux à des casseurs. Ils s'en plaignent, et cela se comprend.

Mais il faut voir la réalité : tant que les instances de la pêche n'appelleront pas à développer une vision constructive de la continuité écologique, tant que ces instances se laisseront dériver vers les délires intégristes de la "rivière sauvage", tant que l'image sera donnée de certaines personnes prêtes à tout sacrifier pour avoir un peu plus de truites ou de saumons, cette assimilation des pêcheurs à des casseurs continuera. Et elle prendra même de l'ampleur.


Outre l'image négative de la casse, les pêcheurs doivent supporter celle de la dilapidation d'argent public en temps de crise. Les sommes de la continuité écologique ne sont pas anodines, surtout pas dans des territoires ruraux appauvris où l'argent manque pour tout. A notre connaissance, la pêche elle-même manque chroniquement de moyens pour les garderies, l'entretien des parcours et des berges, le suivi qualitatif des peuplements de poissons, l'évolution vers une gestion patrimoniale, l'animation en direction des jeunes et d'autres activités autrement plus légitimes que la propagande en faveur de la destruction du patrimoine, voire la maîtrise d'ouvrage de cette destruction.

Les pêcheurs sont aujourd'hui à la croisée des chemins. Leurs instances ont fait le pari d'une version maximaliste de la continuité écologique : c'est un échec, malgré le soutien d'une partie de l'administration de l'eau en faveur de cette orientation si peu consensuelle. Sortir de cette impasse impose de reconnaître clairement la légitimité de la petite hydraulique et de chercher ensemble des solutions constructives pour l'amélioration des populations piscicoles.

15/02/2017

Les moulins producteurs sont exemptés d'obligation de continuité écologique en rivière de liste 2

Dans le cadre des ratifications législatives d'ordonnances gouvernementales sur l'autoconsommation d'énergie renouvelable, les parlementaires viennent de créer un nouvel article dans le code de l'environnement (L 214-18-1 CE). Cet article dispose que les moulins équipés pour produire de l'électricité ne sont plus soumis à l'obligation de continuité écologique liée à un éventuel classement en liste 2 de leur rivière. Cette évolution, faisant suite à 3 autres retouches législatives en 8 mois, acte le caractère problématique de la continuité et exprime la recherche de solution par les parlementaires. Lors des débats, les élus ont exprimé avec force un consensus trans-partisan sur la nécessité de respecter les moulins comme patrimoine et comme source d'énergie. Mais pour tout dire, si l'intention des parlementaires est excellente, notre association est perplexe face à l'évolution choisie. Elle n'a pas tellement de sens du point de vue de la continuité, elle ne concerne qu'une minorité d'ouvrages et crée des inégalités peu compréhensibles selon leurs usages, elle passe à côté de certains problèmes essentiels : défaillance du financement public hors destruction et donc insolvabilité de la réforme, absence de justification scientifique des classements, caractère délirant du nombre d'ouvrages classés, même en intégrant le nouveau délai de 5 ans et en retirant les producteurs. Il faut donc prendre les récentes évolutions sur le patrimoine et l'énergie comme de premiers pas vers une remise à plat complète de la manière dont on restaure la continuité des rivières. Plus que jamais, propriétaires et riverains de tous les ouvrages en rivières classées L2 doivent rester solidaires en exigeant des solutions raisonnables, justes et publiquement financées dès qu'elles vont au-delà de l'ouverture de vannes en période migratoire.



Par le vote ce jour du Sénat après celui de l'Assemblée nationale la semaine passée, le parlement vient d'adopter le projet de loi ratifiant les ordonnances du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables. Au sein de ce texte de loi, un article (3bis) sur les moulins a été ajouté par le Sénat, puis validé en Commission mixte paritaire avec l'Assemblée nationale. En voici la rédaction.
Après l’article L. 214-18 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 214-18-1 ainsi rédigé:
« Art. L. 214-18-1. – Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l’électricité, régulièrement installés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l’article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l’autorité administrative mentionnées au même 2°. Le présent article ne s’applique qu’aux moulins existant à la date de publication de la loi n°  X du JJ/MM/AA ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables. »
Pour ceux qui ne seraient pas encore familiers de ces questions, lire au préalable cet article détaillant très précisément ce que dit (et ne dit pas) la loi sur la continuité écologique en rivière classée liste 2 (article L 214-17 CE).

Que signifie ce texte ?
Un moulin équipé pour produire de l'électricité en rivière classée liste 2 n'est plus soumis à l'obligation "d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs" telle que le prévoyait initialement le classement au titre de l'article L 214-17 CE. En d'autres termes, l'administration n'est plus fondée à exiger arasement, dérasement, passe à poissons, rivière de contournement ou autres dispositifs de franchissement.

Quelles sont les interprétations à préciser ?
Le cas des listes 1 et listes 2. Beaucoup de rivières sont classées à la fois en liste 1 et en liste 2. La rédaction du texte laisse entendre que les obligations résultant du 2° du I de l’article L. 214-17 CE sont effacées, sans que les obligations résultant du 1° disparaissent. Mais le classement en liste 1 n'impose pas d'équiper les ouvrage existants, seulement les nouveaux ouvrages. Il en résulte, selon l'interprétation que nous soumettrons aux préfectures, que les ouvrages en rivière L1-L2 comme les ouvrages en rivière L2 ne sont plus concernés par les obligations de continuité s'ils produisent.

Le cas des moulins en projet d'équipement. Le texte parle des moulins équipés pour produire, sans préciser s'il s'agit d'un équipement déjà en place ou d'un projet d'équipement. Dans les discussions entourant le projet de loi à l'Assemblée, au Sénat et en commission mixte paritaire, il apparaît clairement que les parlementaires ont souhaité protéger l'ensemble des moulins en liste 2.  Nous en déduisons qu'un moulin installé en liste 2 et présentant un projet de relance hydro-électrique (art R 214-18-1 CE) sera fondé dans le même temps à faire valoir l'exemption de continuité écologique du nouvel article L214-18-1.

Le cas des moulins utilisant l'énergie mécanique. Seule l'électricité est signalée comme vecteur d'énergie, alors que certains moulins utilisent encore la force mécanique pour produire (farine, huile, etc.). Par extension nous considérerons que cet usage énergétique traditionnel et renouvelable entre aussi dans le périmètre de la loi.

Le cas des ouvrages anciens de production n'étant pas des moulins. Le "moulin à eau" n'a pas de définition légale ni règlementaire en France. On peut supposer que la loi vise les ouvrages autorisés (fondés en titre ou réglementés), ce qui peut inclure par exemple des forges d'Ancien Régime ou de petites usines hydro-électriques du XIXe siècle.

Sur l'ensemble de ces précisions nécessaires, nous serons particulièrement vigilants car la Direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'Environnement est experte pour vider certaines lois de leur substance ou au contraire pour les surtransposer, avec des interprétations systématiquement nuisibles aux moulins depuis plus de 10 ans. Les circulaires ou décrets d'application de cette loi devront être examinés de très près.

Que doit faire un moulin producteur / en projet de production en liste 2 ?
Il peut signifier par courrier recommandé à la DDT(-M) que cette nouvelle loi l'exonère des obligations liées au classement de continuité écologique. Cette précision évitera à l'administration de relancer le maître d'ouvrage sur le dossier d'aménagement à déposer dans le délai de 5 ans initialement prévu par la loi (voir cet article important pour être en règle).

Notre association est bien entendu à disposition de tous ses adhérents pour les aider à monter un projet hydro-électrique en autoconsommation, un choix que nous soutenons depuis notre naissance et qui correspond à la destination historique des ouvrages hydrauliques.

Quels sont les problèmes de cette nouvelle disposition ?
L'essentiel n'est pas toujours traité, on recule les évolutions nécessaires. Les moulins producteurs représentent aujourd'hui de l'ordre de 5% des ouvrages en rivières classées. La nouvelle loi va éventuellement inciter à équiper, mais tous les maîtres d'ouvrage n'y sont pas disposés. Au-delà, la continuité écologique a comme principaux problèmes: insolvabilité des solutions de franchissement par coût exorbitant des travaux et défaillance des financeurs publics ; défaut de justification claire du classement dans beaucoup de tronçons sans grands migrateurs ni problèmes sédimentaires avérés ; problème de gouvernance avec exclusion des moulins et riverains de nombreuses instances de concertation ou programmation (comités de pilotage des contrats rivières, commissions locales de l'eau des syndicats, comités de bassin des Agences). La résolution de ces problèmes de fond est à nouveau repoussée.

Le choix d'exemption de tout aménagement est discutable, les usages autres que l'énergie sont ignorés, la confusion devient totale. La loi exonère les moulins producteurs de toute obligation de continuité. Notons d'abord que cette disposition n'a guère de sens au plan biologique ou morphologique: ce n'est pas parce qu'un moulin produit que son ouvrage n'a pas d'impact sur la continuité telle que la définit l'article L 214-17 CE. On ne comprend donc pas bien pourquoi un usage (énergie) exonère de continuité alors que d'autres (irrigation, agrément, pisciculture, etc.) ne sont pas dans ce cas. Il s'ensuit une inégalité manifeste des maîtres d'ouvrage de la même rivière devant la continuité écologique, certains étant obligés à des travaux et d'autres non, comme déjà aujourd'hui certains travaux sont financés publiquement et d'autres non.  Au final, quel est le sens de la continuité écologique si les discontinuités persistent un peu partout? On avait déjà de nombreux grands barrages qui avaient échappé au classement par un découpage administratif manquant autant d'honnêteté intellectuelle que de réalisme écologique. On a maintenant des moulins producteurs qui n'aménageront pas. Les moulins non-producteurs, qui ont parfois beaucoup investi pour restaurer les sites sans pour autant y remettre une génératrice, ne l'entendront probablement pas de cette oreille.

Et pour la suite ? Vers une refonte complète de la continuité
Délai de 5 ans, protection explicite du patrimoine hydraulique (et du stockage) dans le cadre de la gestion durable et équilibrée de l'eau, exemption des moulins producteurs… la continuité écologique a déjà connu quatre évolutions législatives en l'espace 8 mois (lois patrimoine en juillet 2016, biodiversité en août 2016, montagne en décembre 2016, autoconsommation en février 2017).

Cette instabilité est le reflet des nombreux problèmes soulevés depuis 2006 par la mise en oeuvre de cette réforme mal concertée et mal préparée : les parlementaires ont conscience de ces troubles nés de la destruction des ouvrages, du harcèlement des propriétaires et du mépris des riverains. Ils cherchent des solutions.

Mais les petites retouches n'améliorent pas les réformes mal conçues au départ, elles ne font que les rendre encore plus complexes et encore moins efficaces.

La continuité écologique a besoin d'une redéfinition complète de son périmètre, de sa gouvernance, de son financement et de sa méthode (voir quelques idées ici). Nous avons du travail pour informer les parlementaires de ces réalités et parvenir enfin à des solutions partagées par tous les acteurs. A tout le moins les acteurs qui ne défendent pas les positions intégristes (et désormais clairement déconsidérées) de destruction préférentielle du patrimoine hydraulique français.

Illustration : moulin producteur (autoconsommation) à Genay, sur une rivière classée en liste 2 (Armançon). L'ouvrage répartiteur ne sera plus soumis à l'obligation de continuité écologique. Ses voisins non-producteurs à l'amont et à l'aval ne vont pas manquer de demander : et pourquoi nous? D'autant que la rivière comporte un barrage VNF de 20 m de hauteur n'ayant déjà pas d'obligation de classement, ce qui rend assez absurde la prétention à faire circuler les migrateurs ou à gérer correctement la charge sédimentaire en traitant des petits ouvrages à très faible impact, voire impacts positifs (2e catégorie piscicole, rivière à cyprinidés qui bénéficient à certaines saisons des retenues).