12/09/2018

7500 propriétaires et riverains d'ouvrages hydrauliques menacés interpellent François de Rugy

En juin dernier, l'association Hydrauxois lançait une lettre-pétition au ministre de l'écologie pour cesser la politique publique de destruction des moulins, forges, barrages, étangs en France. Plus de 7500 propriétaires et riverains de ces ouvrages ont répondu à l'appel. Ils disent à François de Rugy leur désarroi, leur indignation et leur colère face à l'attitude de son administration, leur refus de voir disparaître le patrimoine de la rivière et leur attente des solutions promises par l'Etat lors du vote de la loi de 2006. Nous reproduisons ci-dessous cet appel et la lettre d'accompagnement envoyée au ministre. Les parlementaires en recevront copie. Nous demandons à nos lecteurs et associations correspondantes de saisir eux aussi leurs parlementaires en les informant de cette démarche et des problèmes sur chaque rivière, afin que le ministère de l'écologie mette fin sans délai aux dérives observées depuis le classement des rivières.



Monsieur le Ministre d’Etat

Recevez d’abord toutes nos félicitations et tous nos encouragements pour votre nomination à la direction du ministère de la Transition écologique et solidaire. Les défis de cette transition sont immenses, les réponses à ces défis sont complexes : votre engagement d’une vie sur la question n’est pas de trop pour vous guider dans cette tâche.

En juin dernier, notre association a lancé une lettre-pétition pour stopper la destruction des ouvrages en rivières (moulins, forges étangs barrages) : en l’espace de 3 mois, 7588 propriétaires et riverains de ces ouvrages ont signé cet appel. Nous vous écrivons en leur nom et nous reproduisons l’appel en post scriptum de ce courrier.

En janvier dernier, votre prédécesseur M Nicolas HULOT avait déjà reçu un appel à moratoire sur les destructions d’ouvrages signés par 1392 élus dont 36 parlementaires, 514 personnalités du monde économique, artistique, technique et scientifique, 349 associations représentant 110.000 adhérents directs.

M. HULOT et son cabinet n’avaient pas jugé nécessaire d’entendre les porteurs de cet appel.

Pourquoi une telle émotion ? Pourquoi un tel mouvement dans tous les territoires ? Pourquoi une telle division là où l'écologie devrait nous rassembler ?

Les propriétaires et riverains vous demandent de stopper les dérives que l’on observe aujourd’hui au bord de nos cours d’eau :

  • Des centaines de millions € d’argent public dépensés pour détruire au lieu d’aménager les ouvrages 
  • Des choix de liquidation de centrales hydro-électriques ou de sites à potentiel de production renouvelable totalement contraires à nos objectifs de transition bas carbone ni fossile ni fissile
  • Des lacs, étangs, plans d’eau, canaux, zones humides vidés, asséchés, détruits avec toute leur biodiversité, dans des opérations où le vivant est sacrifié aux seuls poissons migrateurs, cela bien souvent pour des motifs paraissant davantage halieutiques qu’écologiques


Les propriétaires et riverains vous demandent aussi – et nous savons toute votre sensibilité à l’équilibre des pouvoirs – que l’administration placée sous votre tutelle respecte davantage l’esprit et la lettre des lois que les parlementaires ont rappelé à de nombreuses reprises depuis 7 ans :

  • jamais la loi française et jamais les directives européennes n’ont demandé la destruction des ouvrages au nom de la continuité écologique et de la trame bleue, c’est la gestion et l’aménagement qui sont attendus, pas l’effacement ;
  • la « gestion équilibrée et durable » de l’eau inscrite dans la loi ordonne au nom de l’intérêt général que la continuité écologique respecte les autres enjeux, comme l’hydro-électricité, l’irrigation, la préservation de l’eau face au changement climatique, le patrimoine historique, culturel et paysager


Aussi nous ne pouvons plus accepter que des représentants de l’administration (DREAL, agences de l’eau, DDT-M, AFB) affirment encore en 2018 aux maître d’ouvrages communaux ou particuliers que seul l’effacement pur et simple des sites est d’intérêt public, et subventionné à hauteur de ses coûts inaccessibles. Cette distorsion de la lecture de la loi a induit une terrible crise de confiance dans la neutralité et l’objectivité de l’action publique portée par votre ministère sur ce volet précis de l’action en rivière.

Un dernier point qui explique le désarroi des riverains : en 2006 lors du vote de la loi sur l’eau, l’Etat s’était engagé à indemniser les sommes considérables que représentent les dispositifs de franchissement de type passes à poissons. Aujourd’hui, l’Etat renie sa parole et refuse d’appliquer les dispositions prévues dans le code de l’environnement. Le blocage est évidemment complet, des particuliers ou des petits exploitants ne peuvent tout simplement pas engager des dizaines à centaines de milliers € pour des dispositifs servant au bien commun, représentant déjà une servitude de surveillance et entretien.

Les ouvrages hydrauliques sont des atouts pour le vivant, pour la société, pour le territoire : nous sollicitons donc de votre sagesse un engagement à les protéger et à engager une continuité écologique positive, fondée sur des solutions financées qui améliorent le transit sédimentaire et piscicole là où c’est nécessaire de le faire, sans altérer le cadre de vie des riverains, la production énergétique, l’équilibre des milieux en place.

La sécheresse et la canicule 2018 ont encore montré la fragilité de la ressource en eau, et nous savons tous que les prévisions pour ce siècle sont pessimistes : le destin des ouvrages qui retiennent cette eau précieuse dans nos vallées depuis des décennies et parfois des siècles mérite toute votre attention. C’est aussi un engagement devant l’histoire, et pour les générations futures.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre d’Etat, l’expression de nos sentiments respectueux.



Appel
7588 riverains et propriétaires
refusent de détruire leur ouvrage hydraulique

Monsieur le Ministre d’Etat,

Votre administration en charge de l’eau a engagé en 2009 un plan d’action pour la restauration de continuité écologique des cours d’eau, et procédé en 2012-2013 au classement à cette fin de nombreuses rivières.

Plus de 20 000 ouvrages hydrauliques sont concernés en France.

Nous sommes propriétaires ou riverains d’ouvrages hydrauliques d’intérêt : moulins, forges, anciennes usines à eau, étangs, plans d’eau communaux.

Nous acceptons bien sûr de participer à l’amélioration des conditions de vie des poissons migrateurs menacés. Mais cette politique doit respecter les autres dimensions de la gestion équilibrée des rivières et de l’intérêt général au sein des territoires.

Nos ouvrages et leurs annexes ont ainsi de multiples atouts : agrément paysager, patrimoine historique, production énergétique, régulation hydrologique des crues et étiages, usages locaux, biodiversité des milieux lentiques, rives et zones humides.

Ces atouts ont été reconnus et maintes fois rappelés par les députés et sénateurs.

Nous constatons que ces atouts sont trop souvent niés, ignorés ou minimisés par l’administration en charge de l’eau, dont les priorités vont à la destruction des sites et au refus de financer à hauteur suffisante les aménagements « doux » de continuité (vannes, passes à poissons, rivières de contournement). 

Par la présente, nous sommes dans l’obligation de vous signifier que :

- nous déplorons la manière biaisée dont vos services instruisent la continuité écologique des cours d’eau,

- nous refusons de détruire les ouvrages hydrauliques dont nous sommes propriétaires ou riverains,

- nous contesterons si nécessaire en justice les pratiques de vos services si elles devaient persister dans le sens actuel d’une pression systématique à la destruction et d'une méconnaissance des atouts locaux des ouvrages, alors que ni les lois françaises ni les directives européennes n'ont prévu cette issue.

La continuité écologique agressive et destructrice n’est plus acceptable et n'est plus acceptée, comme l’ont déjà reconnu les rapports parlementaires et les audits administratifs de cette réforme.

Nous vous demandons en conséquence de mettre en œuvre une continuité écologique positive, fondée sur le respect des patrimoines naturel et culturel ainsi que sur la valorisation des sites.

07/09/2018

Dépenser 1 million d'euros pour casser une usine d'hydro-électricité très bas carbone?

Scandale à Pont-Audemer : l'Agence de l'eau Seine-Normandie envisagerait d'engager plus d'un million € d'argent public pour casser une usine hydro-électrique en état de fonctionnement. On marche sur la tête, alors que nous sommes très en retard sur nos objectifs d'électricité renouvelable ni fossile ni fissile. Le ministère de l'écologie doit ordonner à ses fonctionnaires de cesser cette gabegie contraire aux priorités de la France dans la transition  énergétique, et manifestement opposée à l'intérêt général. Les seuls bénéficiaires sociaux de ces mesures sont le lobby des pêcheurs de salmonidés qui, en Normandie, fait pression sur les services de l'Etat pour détruire tous les ouvrages. Mais on peut faire migrer des poissons sans effacer les seuils et barrages. Nicolas Hulot avait constaté que  notre maison brûle et que nous ne faisons rien : c'est pire en réalité, puisque l'Etat dépense des sommes et des efforts considérables pour détruire ou pour empêcher l'équipement du potentiel bas-carbone des rivières françaises. 


L'affaire est rapportée par le site Paris-Normandie. Le maire de la ville explique ainsi : "Je ne suis pas un spécialiste de la remontée des espèces, j’ai donc suivi les recommandations de l’Agence de l’eau en ce qui concerne les aménagements à prévoir pour rétablir la continuité écologique de ce que l’on appelle le nœud de la Risle. La ville est désormais propriétaire de ce barrage et n’a pas déboursé un seul centime. En effet, l’Agence de l’eau a financé, à 100 %, le rachat et les aménagements qui sont prévus".

Mais en fait, depuis 5 ans, les fonctionnaires de l'Agence de l'eau Seine-Normandie exercent un chantage financier à seule fin de mener un programme idéologique : détruire le maximum d'ouvrages. Un programme qui est soutenu en Normandie par le lobby des pêcheurs de saumons et truites de mer, seuls réels bénéficiaires sociaux de ces mesures (voir leur bilan sur la Touques,  leurs dérives sur la Dives, leur rôle dans la casse des barrages de la Sélune).

Richard Rodier co-signataire d’un courrier adressé la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de l’Eure avec une copie adressée au préfet et au sous-préfet de l’Eure, n'est pas du tout d'accord avec cette vision :

"contrairement à ce que l’Agence de l’eau indique pour faire voter la subvention qu’elle octroie à la ville et faire disparaître la turbine, aucun comité de pilotage n’a jamais décidé d’effacer le barrage, bien au contraire. Lors du comité de pilotage n°10, il a été simplement décidé de choisir le meilleur scénario en tenant compte du potentiel électrique qui doit absolument être conservé. Cette interprétation est très grave car ce mensonge présenté dans le dossier remis à la commission des aides a permis de débloquer 1,2 M€ ».

Selon le rapport du CGEDD 2016 sur les problèmes de la continuité écologique, l'agence de l'eau Seine-Normandie a déjà engagé la destruction de 75% des ouvrages hydrauliques dans les dossiers de continuité qu'elle a traités. Ce comportement est le symptôme d'une scandaleuse dérive de ses fonctionnaires : la loi n'a jamais demandé la disparition des ouvrages et la loi considère que la continuité écologique doit se rendre compatible avec l'intérêt général c'est-à-dire avec une "gestion durable et équilibrée" de l'eau, incluant les sources d'énergie bas-carbone.

Avec ses consoeurs, notre association va porter en cette rentrée une motion contre les pratiques injustifiables de l'agence de l'eau. Nous souhaitons que chaque lecteur observant ces pratiques en informe systématiquement son député et son sénateur, en leur demandant expressément de saisir du problème le ministre de l'écologie, François de Rugy. Les mesures doctrinaires et arbitraires de l'administration de l'eau cesseront quand elles seront clairement condamnées par le ministre de tutelle. Les citoyens n'ont plus à accepter la destruction du patrimoine hydraulique et du potentiel énergétique des rivières françaises au service de quelques idées extrémistes, minoritaires et déjà condamnées à de nombreuses reprises par les parlementaires.

Illustration : la Risle à Pont-Audemer, JacoNed travail personnel, CC BY-SA 3.0

04/09/2018

Ministère de l'écologie : le besoin d'une politique pragmatique et durable

Ce jour a vu la nomination du 6e ministre de l'écologie depuis la création de l'association Hydrauxois. Quelques réflexions sur la difficulté de ce ministère à définir un cadre stable et partagé pour les politiques de l'environnement. 


François de Rugy, nouveau ministre de l'écologie (source CC SA-BY-4.0).

Depuis sa création en 2012, notre association a connu 6 ministres de l'écologie (N. Bricq, D. Batho, P Martin, S. Royal, N. Hulot, F. de Rugy), pour seulement deux présidents et deux législatures. Nous regrettons cette instabilité politique, à plusieurs titres.`

D'abord, l'écologie est le domaine du temps long et des choix structurants dans de nombreux domaines : eau, énergie, agriculture, transport, logement, territoire, etc. Il est déplacé d'en faire un symbole de l'inconstance politique. Ensuite, il est forcément inefficace pour l'action publique d'avoir une valse trop rapide de ministres qui doivent s'installer avec leurs cabinets dans les lieux, prendre connaissance de dossiers généralement très techniques, identifier les acteurs, poser leurs visions, etc. Enfin, la volatilité de la direction politique laisse le champ libre à la haute administration comme seul élément stable pour définir les directions des choix publics. Or, comme nous l'avons analysé en détail sur le cas particulier des ouvrages en rivières, ces hauts fonctionnaires (qui ne sont pas élus) ont tendance à imposer leur propre idéologie sur les sujets qu'ils administrent, cela sans avoir à en répondre directement devant les représentants des citoyens. C'est très insatisfaisant au plan démocratique.

En quittant son poste après seulement 15 mois d'exercice, Nicolas Hulot a délivré un message assez désespérant, brossant le tableau d'un pouvoir qui serait soumis aux lobbies et qui ne pourrait prendre aucune des décisions nécessaires pour l'écologie, accusant les citoyens d'être trop indifférents aux questions de climat, de biodiversité et de pollution.

Ce diagnostic très sombre doit être pour le moins nuancé.

Concernant les lobbies, leur existence est indéniable, mais elle n'est pas anormale dans une démocratie contemporaine où, au-delà de l'élection définissant les grandes orientations publiques, les élus comme les fonctionnaires ont vocation à entendre le message des groupes organisés qui défendent des intérêts, des valeurs, des causes, des professions etc. Il faut d'ailleurs y intégrer aussi bien les lobbies qui soutenaient l'ancien ministre (ONG écologistes, industriels du renouvelable, du bio, de l'apiculture, etc.) et qui expriment soit les intérêts de secteurs économiques de la transition écologique, soit les avis de citoyens. Ce qui n'est pas acceptable, c'est le manque de transparence sur le rôle des lobbies et le manque de rationalité dans les choix publics. Nous l'avons par exemple souligné dans la politique de l'eau : le poids des lobbies agricoles explique le retard sur le traitement de certaines pollutions chimiques comme le poids du lobby pêcheur et de certains lobbies conservationnistes explique le choix aberrant de détruire un grand nombre de moulins et barrages. Dans l'un et l'autre cas, c'est la grande masse des riverains qui n'est pas entendue, c'est-à-dire que les pouvoirs publics écoutent certains lobbies au lieu d'entendre tous les groupes pertinents pour co-construire des politiques publiques.

Au regard des enjeux écologiques, Nicolas Hulot s'est plaint de la politique des "petits pas" et de la grande difficulté de son ministère à gagner des arbitrages face à ses collègues, notamment l'économie et les finances. En 1974, le premier ministre de l'environnement de l'histoire politique française, Robert Poujade, avait déjà décrit son poste comme le "ministère de l'impossible".

On peut se demander si Nicolas Hulot était réellement à sa place à la tête du ministère, ses multiples confessions aux médias de doutes et de déchirements depuis 15 mois suggérant que ce n'était pas le cas. L'écologie de gouvernement et de terrain est soumise à la contrainte du réalisme, contrairement à l'écologie de contestation qui peut se permettre d'avancer des idéaux sans avoir à vérifier leur partage par tous les citoyens, leur impact sur des secteurs économiques ou leur compatibilité avec les finances publiques. En devenant l'affaire de tous et non plus le combat d'une minorité, ce qui est une bonne nouvelle, l'écologie affronte forcément la complexité des sociétés, où tous les choix humains ne sont pas dictés par les seuls paramètres environnementaux. Il ne faut pas y raisonner en termes de victoires ou de défaites d'un "camp" contre un autre, mais plutôt en recherche des meilleurs compromis provisoires.

Notre expérience associative montre que les Français sont réellement intéressés par l'amélioration de leur cadre de vie, la défense de leur paysage, la promotion d'énergies nouvelles, la préservation de la biodiversité, la protection de la santé. Mais, assez logiquement, ils sont aussi soucieux d'enjeux comme la vitalité économique des territoires ou la préservation d'un pouvoir d'achat. Comme l'argent public est rare, les citoyens souhaitent aussi qu'il soit employé à bon escient : à la fois pour ne pas altérer davantage l'environnement et, quand cet argent public finance des projets écologiques, pour choisir les meilleures options.

La France souffre aussi d'un travers peu souligné par les commentateurs de la démission de Nicolas Hulot : la centralisation du pouvoir, le fonctionnement très vertical de l'administration, la concentration de l'attention médiatique sur des personnalités très en vue à Paris, la faible autonomie fiscale et décisionnnelle des collectivités tendent à dévitaliser la démocratie (qui devient une technocratie lointaine) et à augmenter la "conflictualité idéologique" dans les politiques publiques. Ce problème est particulièrement manifeste dans l'environnement : si certains défis sont globaux, les réponses et les actions sont toujours locales. On étudie la biodiversité, on lutte contre des pollutions et on cherche des sources d'énergie renouvelable dans des lieux donnés, pour une population donnée. Redéployer les politiques écologiques en faisant monter les compétences des régions et des intercommunalités, en donnant du jeu local à l'interprétation des directives et des lois, en assurant la participation accrue des citoyens aux décisions ultimes irait dans un sens plus favorable à l'appropriation des enjeux environnementaux.

François de Rugy, nouveau ministre, a défendu une "écologie pragmatique et concrète". Il a par ailleurs appelé dans le passé à une manière plus concertée et ouverte de gouverner. Il a enfin porté l'idée d'une France à l'énergie 100% renouvelables en 2050.  Nous aurons donc à coeur de lui soumettre dès ce mois de septembre la question de la continuité écologique et de la destruction des ouvrages hydrauliques, qui a donné lieu à toutes les dérives d'une (soi-disant) écologie dogmatique, autoritaire et irréaliste depuis 10 ans.

27/08/2018

La Romanée à sec en aval de Bussières

La rivière Romanée, affluent du Cousin, est à sec à l'aval de l'étang de Bussières, qui a été détruit par la fédération de pêche de l'Yonne l'hiver dernier, sur financement public à 80% mais sans aucune consultation ni même information des citoyens. Une rivière de pierres avec de-ci de-là quelques flaques chaudes et irisées… ce n'est certainement pas dans cette discontinuité hydrique radicale que la faune aquatique de la rivière trouvera un milieu idéal, en particulier les truites qui sont censées être l'espèce cible des pêcheurs. Rappelons que l'affaire de la destruction de l'étang de Bussières est actuellement en contentieux judiciaire et administratif, aucune étude d'impact et de biodiversité n'ayant été réalisée avant travaux, qui ont fait disparaître 5 ha de zones humides pour (soi-disant) "renanturer" la Romanée.


24/08/2018

La continuité sédimentaire passe-t-elle par l’arasement systématique des seuils? Une analyse critique

"La continuité amont-aval est un principe bien trop simplifié dans sa mise en œuvre actuelle ; elle devrait faire l’objet de réflexions plus approfondies alors que les projets de déséquipement des rivières sont massifs" : tel est le constat de Jean-Paul Bravard. Ce chercheur compte parmi les scientifiques internationalement reconnus qui ont construit depuis plusieurs décennies les outils de la gestion intégrée des bassins versants. Extraits de son analyse critique de la question sédimentaire au sein de la continuité, où l'auteur produit plusieurs propositions pour refonder les choix publics de continuité sur des priorités scientifiquement mieux établies. 


Un suivi sédimentaire et morphologique local après effacement de barrage, le retenue de Pierre Glissotte dans le Morvan (exemple extrait de Gilet et al 2018). 

Préconisations pour une gestion apaisée de la complexité

4.5.1. Classer les bassins hydrographiques et les cours d’eau actuels par rapport aux flux de sédiments grossiers
Les mesures prises en faveur de la continuité sédimentaires devraient prioritairement classer les rivières en fonction des critères suivants basés sur les principes des bilans sédimentaires:

  • Localisation des entrées sédimentaires dans le système fluvial et estimation des volumes concernés
  • Mesure des transits pour des débits de référence
  • Tendance du bilan depuis un siècle,
  • Perspectives pour les décennies à venir,
  • Exemples de seuils retenant réellement des sédiments utiles à l’aval,
  • Rôle éventuellement positif des seuils de moulins pour maintenir les matériaux dans le linéaire fluvial (à l’exception des barrages)
  • Eventuelle prise en considération des effets du changement climatique sur l’hydrologie et la mobilisation des sédiments du lit.

4.5.2. Promouvoir une recherche scientifique critique
Si la recherche se développe dans le champ des sciences humaines sur les aspects territoriaux et sociaux de l’acceptation de l’arasement de seuils (Barraud et Germaine, 2017), en revanche la recherche pratiquée dans le champ du milieu physique reste encore trop limitée. Une des raisons est que les sources de financement sont réduites et que les chercheurs, sauf exceptions notables, sont contraints de se tourner vers d’autres sujets.

Il conviendrait de multiplier :

  • La recherche sur les liens existant entre les arasements envisagés et l’espace latéral (berges et plaine alluviale) ou « espace de bon fonctionnement ». Cette intégration des perspectives (le chenal et la plaine alluviale/lit majeur) est nécessaire avant toute décision réfléchie.
  • Des recherches fondamentales, c’est-à-dire non finalisées, seules capables de faire avancer des questions dans une perspective scientifique. La question des bilans sédimentaires à plusieurs échelles est la plus importante. Celle des héritages du passé qui pèsent aujourd’hui sur les choix : L. Lespez et al. (2015) interrogent la naturalité des rivières normandes. Les défrichements et les seuils anciens ont favorisé les débordements, donc la sédimentation sur la plaine. ils ont contribué à la chenalisation pendant des siècles. Il ne s’agit pas d’étudier la dégradation cumulative des écosystèmes mais celle de systèmes complexes dans lesquels les héritages sédimentaires interagissent avec les processus (le système déstocke depuis un siècle). La restauration naturelle de rivières à faible énergie est à peu près inaccessible ; il n’est pas possible, faute de disposer d’une énergie suffisante d’espérer « travailler avec la rivière ».
  • L’analyse scientifique de retours d’expérience devrait être menée dans les règles après des arasements de seuils. La procédure en vigueur est souvent minimale quand elle est demandée. Les suivis doivent avoir une durée suffisante et concerner des éléments diversifiés.

4.5.3. Préconisations en matière de conciliation de politiques en apparence contradictoires
Un des aspects fondamentaux du succès de la gestion à venir sera la capacité des gestionnaires à réussir à donner de la cohérence à des politiques qui, dans l’espace des fonds de vallées, paraissent contradictoires et mènent parfois à des conflits. Le « forcing » fait sur la continuité pose la question de la compatibilité de cette dernière avec d’autres démarches :

  • La ralentissement dynamique des crues - La suppression des obstacles transversaux abaisse la ligne d’eau pour le débit moyen et réduit plus ou moins le débit des eaux inondantes à la surface du lit majeur (OCE, 2013). Or des recherches ont été effectuées depuis le milieu du XIXe siècle pour démontrer le bienfait des obstacles dans ce domaine (des seuils, indépendamment des barrages réservoirs ou barrages à pertuis). Des ingénieurs d’état ont encouragé la construction de seuils dans le bassin de la Loire et les Cévennes après la crue de 1856 pour favoriser des débordements dans les hauts bassins et contribuer à réduire les crues. Plus récemment, cette politique a été recommandée par le CEMAGREF à partir de 1992: il s’agit des pratiques du « ralentissement dynamique des crues », les débordements organisés réduisant la vitesse et le volume d’une onde de crue (Oberlin, 1994 ; Desbos, 1997 ; Oberlin & Poulard, 2002 ; CEMAGREF, 2004 ; Degoutte, 2009 ; Poulard et al., 2009). Le ralentissement dynamique s’est d’ailleurs trouvé en contradiction avec la politique du MEDD qui dans les années 1990 a financé la lutte contre les inondations au moyen du nettoyage des chenaux; les encombrements n’étaient-ils pas une forme de version naturaliste du ralentissement dynamique ? Nettoyer les embâcles d’une rivière, c’est aussi supprimer des habitats potentiels (et naturels...), c’est une démarche d’ingénieur.
  • La production énergétique à partir de ressources renouvelables – Afin de réduire les émissions à effet de serre et la dépendance de la Communauté européenne à l’égard des importations d’énergie, la CE a publié la Directive n° 2009/28/CE du 23 avril 2009 ; celle-ci encourage la production d’hydroélectricité, l’eau étant une ressource renouvelable. Les énergies de ce type devraient en principe représenter 20% de la consommation de la Communauté d’ici à 2020. Différentes formules de production sont possibles et l’accroissement de l’efficacité énergétique des ouvrages existants est recommandé. La politique de continuité écologique et les pressions qui s’exercent en sa faveur s’accommodent mal de la transformation de moulins en microcentrales, même si les techniques adoptées sont censées réduire ou supprimer les dommages occasionnés aux espèces (vis d’Archimède, turbines à larges pales et vitesse lente).
  • Plans d’eau et écologie - Les plans d’eau aménagés, notamment les étangs retenus par des seuils ou des chaussées, sont considérés de manière négative dans le cadre du rétablissement de la continuité. Leur réhabilitation passe par leur étude en temps qu’écosystèmes lentiques complexes ou « limnosystèmes » (Touchart et Bartout, 2018). De nature géographique, le limnosystème valorise des biocénoses à gradient vertical du cycle biosynthèse- biodégradation ; les biocénoses des étangs contrastent avec les biocénoses des milieux lotiques à gradient longitudinal. Eléments de nature lentique, les étangs (tout comme les lacs) sont considérés comme étrangers au système fluvial stricto sensu et à la continuité érigée en principe théorique. Que faire par exemple du Lac Léman dans le continuum rhodanien ? Les étangs sont cependant une composante pleine et entière des hydrosystèmes, dotée de vertus propres en matière écologique et porteuse de biodiversité. Touchart et Bartout montrent qu’ils interagissent avec les écosystèmes lotiques d’amont et d’aval ; et en tant qu’isolats favorisant l’endémisme, ils interagissent avec l’ensemble du réseau hydrographique. Les étangs sont aussi un type d’anthroposystème riche, diversifié et porteur d’une histoire (l’archétype en est le système des étangs de la Dombes dont on imagine mal la remise en question).
A télécharger

20/08/2018

Combler les lacunes des connaissances dans la restauration de rivière (Zingraff-Hamed 2018)

Dans une thèse doctorale venant d'être soutenue et ayant donné lieu à 5 publications scientifiques revues par les pairs,  Aude Zingraff-Hamed étudie la restauration de rivière, en particulier ses dimensions sociales, le suivi de ses résultats écologiques et ses particularités en milieu urbain. Dans l'introduction de cette thèse, la doctorante revient sur les lacunes de nos connaissances dans la restauration de rivière, telles qu'elles sont aujourd'hui reconnues par la communauté des chercheurs. La recherche menée pour la thèse montre notamment que des objectifs sociaux, économiques et écologiques peuvent entrer en conflit. Cela pose diverses questions. Pourquoi a-t-on choisi de planifier et financer en France, à hauteur de centaines de millions € par an, des interventions systématiques en rivière alors même que la connaissance scientifique sur les effets de ces interventions est encore reconnue comme en construction ? Pourquoi joue-t-on aux apprentis sorciers sur des mesures qui changent substantiellement, parfois sur des vallées entières, les écoulements en place, les paysages, les berges et les usages au lieu de procéder d'abord à des expérimentations pour confirmer certaines hypothèses de travail et vérifier l'absence d'effets secondaires indésirables? Extraits. 




Extrait de l'introduction : lacunes des connaissances en matière de restauration de rivière

"Une première lacune est la caractérisation et la définition des projets qui devraient être davantage axées sur, et adaptées aux, pratiques. Les projets de restauration sont nombreux et variés mais ont été regroupé dans un désir d’unité de la communauté scientifique sous le même terme de restauration de rivière (river restoration) (SER 2004). Cependant, de nombreuses sous-catégories existent, comme par exemple réhabilitation, renaturation, et revitalisation. De nombreuses définitions de ces actions ont été formulées se recoupant et étant utilisées différemment selon le contexte linguistique et culturel des projets (Morandi 2014). La confusion résultante a engendré des biais qui mettent en danger la comparaison des projets et les processus d’apprentissage par les expériences passées. La communauté scientifique et les praticiens ont formulé un besoin accru pour une caractérisation et une définition des différents types de projets basés sur des exemples pratiques et intégrants une approche socio-écologique (Jenkinson et al. 2006; Bernhardt et al. 2007a). Quelles sont les différents types de restauration de rivière ? La recherche doctorale s’intéressera dans un premier temps à la définition et caractérisation des différents types de projets de restauration se basant sur un inventaire des pratiques.

Une seconde lacune concerne les bases de données existantes qui sont incomplètes. L’écologie de la restauration est une science expérimentale qui évolue grâce au partage d’expérience. C’est pourquoi, un grand effort a été fourni afin de recenser les projets de restauration (Bernhardt et al. 2005; Jenkinson et al. 2006; Nakamura et al. 2006; Bernhardt et al. 2007b; Brooks & Lake 2007; Kondolf et al. 2007; Feld et al. 2011; Morandi & Piégay 2011; Aradóttir et al. 2013; Barriau 2013; Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014; Kail et al. 2016; Muhar et al. 2016; Speed et al. 2016). Cependant, Jenkinson et Barnas (2006) ont souligné que les bases de données ne recensent qu’une petite proportion de l’effort global. Malgré de nombreux fonds européens dédiés à la création de bases de données publiques (par exemple REFORM ou RiverWiki) et de grands moyens humains déployés, les bases de données restent incomplètes et ces inventaires sont marqués par une grande différence entre les pays européens. Cette recherche doctorale participera à combler ce manque.

Une troisième lacune est le manque de connaissance sur les restaurations de rivières urbaines. Alors qu’aux États-Unis, les restaurations en milieu urbain attirent les efforts et moyens (Bernhardt et al. 2005; Hassett et al. 2007), ils sont particulièrement faiblement représentés au sein des bases de données européennes. La recherche en laboratoire urbain est particulièrement importante parce que la population mondiale croît rapidement et les aires urbaines à forte densité vont absorber une majeure partir de cette croissance (U.N 2014). Alors qu’en 1952, la plus grande ville était New York (U.S.A) avec à peine huit millions d’habitants, en 2001, dix-sept étaient plus peuplées qu’elle et elles étaient quarante-quatre en 2010. En 2030, 85% de la population d’Europe et d’Amérique du Nord vivra en milieu urbain (U.N 2014). Cette croissance démographique couplée à celle des aires urbaines n’est pas sans répercussion sur les espaces naturels. L’urbanisation a d’ores déjà engendré des dégradations écologiques majeures, et les rivières urbaines sont davantage touchées par l’impact anthropique que leur tronçons ruraux (EEA 2012; Yuan et al. 2017). Leurs dysfonctionnements sont caractéristiques et ont été nommées urban river syndrom (Walsh et al. 2005). De plus, malgré un intérêt croissant des populations citadines pour les rivières urbaines (Bethemont & Pelletier 1990; Brown 1999; Booth et al. 2004; Bonin 2007; Akers 2009; Castonguay & Samson 2010; Costa et al. 2010; Romain 2010a; Romain 2010b; Kehoe 2011; Brun & Simoens 2012; PUB 2012; Mahida 2013; Chou 2016; Smith et al. 2016; Wantzen et al. 2016), celles-ci sont particulièrement difficiles à restaurer (Bernhardt et al. 2005; Bernhardt et al. 2007a). La recherche sur les rivières urbaines reste peu développée (Moran 2007; Francis 2012), mais à cause de ses particularités, les résultats de recherches menées en milieu rural sont difficilement extrapolables au milieu urbain. Ainsi une recherche spécifique devrait constituer un apport intéressant pour la science. Quelle sont les particularités des restaurations en milieux urbain ? Cette étude doctorale va établir la différence de pratiques en fonction du contexte géographique, soit urbain ou rural, comparant des projets réalisés dans un même contexte législatif et culturel.

Une quatrième lacune traitée dans cette étude est qu’alors que les rivières sont reconnues comme un système socio-écologique, peu de considération a été accordée à l’identification des forces motrices sociétales des projets de restauration. La dégradation écologique des écosystèmes et la perte relative en services écosystémiques ont été définies comme les principales forces motrices des projets de restauration (Galatowitsch 2012). Cependant, l’effet de forces indirectes telles que morale, idéologique, politique, démographique et économique n’a été que supposé (Clewell & Aronson 2006; Baker et al. 2014) et peu d’attention a été accordé à leur identification et à l’estimation de leur influence sur les pratiques de la restauration (Eden & Tunstall 2006; Grêt-Regamey et al. 2016; Parr et al. 2016). Quelles sont les forces motrices sociétales de la restauration ? Cette étude s’intéresse à l’impact les forces motrices législative, politique, culturelle et idéologique sur les pratiques de la restauration.

Une cinquième lacune concerne l’évaluation du succès des projets. Elle est une condition nécessaire pour comprendre les expériences passées et apprendre d’elles. La revue littéraire expose les six limitations majeures des procédures d’évaluation actuelles : 1) les données sont manquantes ou partielles car peu de projets réalisent un suivi (Bernhardt et al. 2005; Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014); 2) L’utilisation d’une référence historique est utopique (SER 2004; Moss 2008; Dufour & Piégay 2009; Josefsson & Baaner 2011; Belletti et al. 2015; Bouleau & Pont 2015), et les sites de références sur le même cours d’eau sont souvent inexistants (Morandi et al. 2014; Bouleau & Pont 2015); 3) Les indicateurs biologiques ont un pouvoir limité pour expliquer les causes de succès et d’échec (Niemi & McDonald 2004; Friberg et al. 2011; Smucker & Detenbeck 2014); 4) Les indicateurs utilisés ne sont pas représentatifs des objectifs de la restauration (Pickett et al. 1997; Meyer et al. 2005; Walsh et al. 2005; Morandi et al. 2014) et les indicateurs sociaux sont manquants (Rogers & Biggs 1999; Chiari et al. 2008; Jaehnig et al. 2011; Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014); 5) Lorsqu’une évaluation est réalisée, elle est faite sur le court terme (Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014), mais les espèces nécessitent de plus longues périodes pour se rétablir (Haase et al. 2013; Morandi et al. 2014; Kail et al. 2015); et 6) Les zones rivulaires ne font pas partie de la zone de suivi (Januschke et al. 2011; Morandi et al. 2014). Les praticiens nécessitent une méthode qui dépasse ces limites et évalue les conflits potentiels. La modélisation des habitats utilisant la méthode CASiMiR et présentée dans cette étude. Elle est un outil prometteur pour combler les lacunes existantes.

Enfin, l’évaluation écologique des projets de restauration n’est pas réaliste si elle ne considère pas les aspects sociaux (Wortley et al. 2013) et plus particulièrement les interactions décrites par le concept de système socio-écologique (Berkes & Folke 1998; Berkes et al. 2003; Ostrom 2009; Hinkel et al. 2014). L’interaction des hommes avec l’écosystème fluvial a conduit à la dégradation des habitats. Ainsi, la pression des usages devrait être intégrée à l’évaluation des projets afin d’identifier les conflits et de formuler des solutions. Cette étude doctorale va aborder le cas de deux usages, soit les usages récréatifs et productifs, c’est-à-dire la production d’énergie hydro-électrique. Elle traite des deux questions suivantes : Est-ce que les usages récréatifs limitent le succès écologique des projets de restauration ? Est-ce que la diminution de l’exploitation de la ressource pour produire de l’énergie accroît les résultats de la restauration morphologique des rivières ?"

Référence : Zingraff-Hamed A. (2018), Urban River Restoration : a socio-ecological approach, Technische Universität München - Université de Tours

13/08/2018

Quand la cigogne noire colonise une retenue de moulin

Moins connue que sa cousine blanche, la cigogne noire est un oiseau migrateur qui recolonise depuis quelques années les forêts de Champagne et Bourgogne. Parmi ses habitats : les retenues de moulins et zones humides annexes de faible profondeur, où elle trouve une nourriture abondante. Exemple à Saint-Broing-les-Moines, en Châtillonnais.


Cigogne noire juvénile en pêche, film LPO.

La cigogne noire (Ciconia nigra) est un oiseau migrateur qui, lors de son séjour en Europe après un hivernage africain, fréquente les forêts à vieux arbres, proches de ruisseaux, étangs et zones humides. Elle se nourrit d'insectes, de poissons et d'amphibiens.

Après voir quasiment disparu de nos contrées, la cigogne noire est de retour en France, et notamment en Châtillonnais (Côte d'or), sur le territoire du futur parc national des forêts de Champagne et Bourgogne.

On peut voir dans les photos ci-dessous l'un des coins qu'elle vient coloniser chaque année : la zone humide de fond de vallée formée par la retenue du moulin de Saint-Broing-les-Moines, dans la vallée de la Digeanne. Plusieurs cigognes y ont été baguées ces dernières années, dans le cadre du réseau de suivi visant à mieux comprendre l'écologie et la biologie de l'espèce. "Elles viennent dans la retenue tôt le matin et en fin de journée, pour chasser les poissons et grenouilles", nous expliquent les propriétaires.




On observera au passage que lors de l'enquête publique sur les ouvrages de Prusly et Villotte sur l'Ource, un fonctionnaire de l'ONF a jugé bon indiquer au commissaire enquêteur que les moulins auraient des effets potentiellement négatifs pour la cigogne noire. Nous l'avions par la suite contacté deux fois pour avoir accès à des résultats de recherche ou d'observation démontrant ses dires, mais sans aucun succès… A Saint-Broing en tout cas, le moulin crée un vivier très apprécié par cet oiseau migrateur. Et donc un espace à protéger.

Rappel : même pour des espèces d'oiseaux plus communes, les moulins peuvent devenir refuge LPO. Les oiseaux d'eau sont généralement nombreux autour de la retenue, de la chute, du bief ou des rigoles de déversoir.

10/08/2018

Un effet positif des barrages sur l'abondance et la diversité des poissons depuis 1980 (Kuczynski et al 2018)

Analysant plus de 300 relevés de poissons dans des rivières françaises entre 1980-1993 et 2004-2012, trois chercheurs montrent des déclins de population (abondance, unicité) influencés par la saisonnalité des températures et par les espèces invasives. En revanche, ils observent que la fragmentation des cours d'eau par les barrages a été associée à des gains dans cette période. Ce résultat de recherche ne corrobore pas vraiment le dogme public faisant des ouvrages hydrauliques un problème majeur pour la biodiversité des rivières et imposant la continuité en long comme un enjeu de premier plan pour la gestion des bassins versants. Se serait-on trompé en faisant en France de la suppression des barrages une priorité nationale et en centrant l'effort public de biodiversité sur quelques espèces de poissons migrateurs? Aurait-on sous-estimé l'intérêt des nouveaux écosystèmes créés par l'homme, notamment en situation de changement climatique? Alors que nous traversons des épisodes caniculaires mettant le vivant à rude épreuve, préfiguration extrême de la nouvelle normalité climatique de ce siècle, analyser sérieusement tous les effets des ouvrages hydrauliques devrait être un impératif. Nous avons besoin de données, pas de dogmes.

Lucie Kuczynski, Pierre Legendre et Gaël Grenouillet (Laboratoire Evolution et Diversité  Biologique, Université de Toulouse, CNRS, ENFA, UPS, Toulouse ; Université  de Montréal) ont entrepris d'étudier l'évolution des assemblages de poissons dans les rivières françaises entre les années 1980 et le début des années 2010.

Voici une traduction du résumé de la recherche tel que le propose les auteurs.

"Objectif: En réponse au changement climatique, les déplacements de la distribution des espèces résultant des extinctions locales, des colonisations et des variations de l'abondance des populations peuvent conduire à des réorganisations au niveau de la communauté. Ici, nous évaluons les changements au fil du temps dans les communautés de poissons des cours d'eau, quantifions la mesure dans laquelle ces changements sont attribuables au déclin ou à l'augmentation de la population, et identifions leurs principaux facteurs.

Lieu: France.

Période: 1980-2012.

Principaux taxons étudiés: espèces de poissons de rivière.

Méthodes: Nous avons utilisé des données de surveillance de l'abondance pour quantifier les changements de composition et de caractère unique (uniqueness) de 332 communautés de poissons des cours d'eau entre une période historique froide (1980-1993) et une période contemporaine chaude (2004-2012). Ensuite, nous avons utilisé une procédure de moyennage des modèles pour tester les impacts des facteurs liés au climat, à l'utilisation des sols et à la densité des espèces non indigènes et leurs effets d'interaction sur la réorganisation de la communauté.

Résultats: Nous avons observé une homogénéisation biotique au fil du temps dans les communautés de poissons des cours d'eau, bien que certaines communautés aient connu une différenciation. Les changements dans la composition résultent principalement de déclins de la population et ont été favorisés par une augmentation de la saisonnalité de la température et de la densité des espèces non indigènes. Les déclins de population ont diminué avec la fragmentation et les changements de densité des espèces non indigènes, tandis que les augmentations de population ont été négativement influencées par les changements dans les précipitations, et positivement par la fragmentation. Nos résultats prouvent que les changements environnementaux peuvent interagir avec d'autres facteurs (par exemple, en amont et en aval, l'intensité de la fragmentation) pour déterminer la réorganisation de la communauté.

Principales conclusions: Dans le contexte des changements globaux, les réorganisations des assemblages de poissons résultent principalement du déclin des populations d’espèces. Ces réorganisations sont structurées spatialement et entraînées par des facteurs de stress climatiques et humains. Nous soulignons ici la nécessité de prendre en compte plusieurs composantes du changement global, car l'interaction entre les facteurs de stress pourrait jouer un rôle clé dans les changements en cours en matière de biodiversité."

L'abondance des poissons, mesurée par pêche électrique à méthodologie comparable, a été mesurée en densité par 100 m2. La diversité a été analysée par un indice spatiale de contribution locale à la diversité bêta (LCBD)et un indice temporel de la même biodiversité (TBI).


Extrait de Kuczynski et al 2018, art cit.

Le graphique ci-dessus montre les coefficients de pente des modèles moyennés pour les gains (e toutes espèces, f espèces natives) et pour les pertes (g toutes espèces, h espèces natives), pour la fragmentation seule (FRAG), croisée aux précipitations (FRAGxPREC) ou aux densités d'expèces non natives (NNDxFRAG). Corrélation positive non significative (gris clair, e) pour les gains, mais corrélation négative significative (noir, g) pour les pertes.



Extrait de Kuczynski et al 2018, art cit.

La courbe ci-dessus montre l'influence positive de la fragmentation sur les gains de poissons (courbe incluant aussi les précipitations).

Les chercheurs observent à ce sujet :

"Outre le changement climatique, les activités humaines représentent une menace pour les communautés fluviales, de plus en plus importante à de nombreux égards, notamment la dégradation et la destruction de l’habitat (Wilcove, Rothstein, Dubow, Phillips et Losos, 1998). , 2007). Nos résultats ont démontré que les pertes d’abondance de la population étaient fortement reliées à la fragmentation. Les réservoirs, en atténuant la variabilité environnementale (Leroy-Poff, Olden, Merritt et Pepin, 2007), peuvent limiter les déclins de population. De plus, Martínez-Abraín et Jiménez (2016) ont proposé que les réservoirs, et plus généralement les systèmes naturels modifiés par les activités humaines, peuvent servir d'habitat de substitution aux populations en déclin, leur permettant d'habiter dans des conditions suboptimales et donc de limiter leur déclin."

Autre facteur possible faisant que le déclin est contrebalancé par la fragmentation, formulé à titre d'hypothèse par les auteurs : "Les déclins de population depuis 1980 ont été plus marqués dans les sections en aval des rivières, où de plus grands changements ont eu lieu dans la composition de la communauté. Deux hypothèses non exclusives pourraient expliquer ce modèle. Premièrement, les changements les plus importants observés en aval pourraient résulter du fait que les sections en aval sont les plus touchées par les activités humaines (Meybeck, 1998), et cet effet anthropique favorise le réarrangement des assemblages (McKinney, 2006). Deuxièmement, les tronçons en amont sont moins accessibles que les tronçons en aval en raison du nombre plus élevé d'obstacles faisant office de barrières géographiques entre les tronçons de cours d'eau (Rahel, 2007)." 

Les chercheurs concluent qu'il faut prendre en considération différents stresseurs et leurs influences réciproques pour comprendre la dynamique actuelle de la biodiversité des poissons en situation de changement climatique.

Discussion
Le rôle positif des retenues sur la biomasse de poissons et sur la diversité bêta de leurs assemblages viendra éventuellement comme une surprise pour ceux qui désignent la fragmentation des cours d'eau par les barrages comme un (sinon le) problème écologique majeur des milieux aquatiques, et qui poussent à la destruction du maximum de ces ouvrages. En fait, les barrages ont des effets négatifs (observés dans de nombreuses monographies) sur la densité locale de certaines espèces de poissons spécialisées (rhéophiles, lithophiles, non adaptés aux retenues lentiques et leurs substrats) ainsi que sur des poissons pratiquant des migrations à longue distance (tendant à se raréfier vers l'amont à mesure que des obstacles les séparent du milieu marin). Pour les plus grands barrages, le régime de débit naturel se trouve aussi modifié par le jeu des retenues et lâchers d'eau, cela sur de longues distances. Mais la vie ne s'écrit pas en noir et blanc, et ces ouvrages hydrauliques peuvent également avoir des effets positifs, notamment en situation de changement climatique : surface et volume en eau plus importants toutes choses égales par ailleurs (en particulier aux étiages), créations d'habitats lentiques s'ajoutant aux habitats lotiques originels persistant en amont et aval des retenues, protection contre certaines espèces invasives ou des épizooties.

Les barrages et leurs annexes (retenues, canaux) forment des "nouveaux écosystèmes" (voir Backstrom et al 2018), créés par l'homme mais pas dénués de vivant. Au long de leur histoire, leur impact sur les espèces peut être variable. En particulier si d'autres pressions (changement climatique, espèce invasive) s'exercent sur le même bassin. Un barrage va initialement perturber le tronçon sur lequel il est installé, mais il sera ensuite le lieu d'une trajectoire singulière avec une ré-organisation du vivant autour du nouvel hydrosystème : seul l'examen de la biodiversité en place permet de mesurer ces effets, leurs évolutions spatiales et temporelles, leurs interactions avec les autres changements du bassin.

L'écologie de la restauration peut se donner comme idéal de nier l'existence de ces nouveaux écosystèmes créés par l'homme, pour revenir à une nature sans impact humain (renaturation, ré-ensauvegement) avec des faunes d'espèces endémiques telles qu'elles étaient aux temps pré-industriels, voire pré-agricoles dans certains cas. Mais cette posture, répandue dans le milieu français de la gestion des milieux aquatiques, n'a selon nous guère de réalisme dans des zones densément et anciennement peuplées comme l'Europe. Les impacts humains sont présents de longue date, cumulés, ils ne vont pas cesser à brève échéance par un mystérieux recul de la démographie, de l'agriculture, de l'industrie, de l'urbanisation, des divers usages humains de l'eau pour la navigation, le tourisme, l'énergie, l'irrigation, l'eau potable. La plupart des espèces de poissons exotiques introduites s'installent durablement dans les milieux. Les effets diffus du changement climatique devraient modifier sur plusieurs siècles les conditions hydrologiques et thermiques, donc les écotypes des rivières (voir Laizé et al 2017). Dans ces conditions nouvelles de ce que l'on a proposé de nommer l'Anthropocène, il paraît donc vain de regarder l'avenir en espérant recréer le passé, ou même le conserver à l'identique en dehors de certaines zones protégées car encore très peu impactées.

Là où des ouvrages hydrauliques existent, il convient d'analyser sans a priori leurs effets en observant les assemblages de poissons (mais aussi d'autres espèces) sur le cours d'eau et ses affluents, en particulier de le faire dans des périodes représentatives des conditions climatiques attendues au cours de ce siècle (par exemple des épisodes de crues, de canicules, d'assecs sur certains tronçons). Ce n'est pas le cas aujourd'hui, notamment pas sur la question de la biodiversité : nous le regrettons. La politique française de continuité a été trop inspirée d'exigences halieutiques anciennes des lois de 1865 et 1984, ainsi que d'une lecture un peu trop dogmatique de ce thème. Faisons donc de l'écologie en nous inspirant des recherches récentes, en laissant s'exprimer différentes approches possibles, et en débattant sans préjugé des rivières que nous voulons pour demain.

Référence : Kuczynski L et al (2018), Concomitant impacts of climate change, fragmentation and non‐native species have led to reorganization of fish communities since the 1980s, Global Ecology and Biogeography, 27, 2, 213-222

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06/08/2018

Restauration morphologique de rivières anglaises : résultats décevants sur les invertébrés (England et Wilkes 2018)

Deux chercheurs anglais montrent qu'une restauration morphologique de rivière, incluant des arasements de déversoirs, des changements de substrats et des créations de microhabitats, n'a pas produit les résultats attendus sur la diversité structurelle et fonctionnelle des invertébrés. Le cas n'est pas isolé car la communauté scientifique débat depuis deux décennies déjà des réussites et échecs de la restauration des milieux aquatiques. Dommage que les pouvoirs publics français en aient fait une politique massive, précipitée et parfois arrogante, au lieu de travailler à des expérimentations locales pour distinguer les bonnes des mauvaises pratiques. Et préciser leur coût pour les citoyens en proportion de l'évolution des services rendus par les écosystèmes. 

Comment se comportent les rivières après restauration morphologique, sur le compartiment des macro-invertébrés (insectes, nématodes, crustacés…)? La question se pose à la communauté scientifique, à mesure qu'ont été développées des expérimentations visant à modifier les propriétés physiques (écoulements, sédiments, habitats) et non seulement chimiques (pollutions) des rivières.

Judy England et Martin Anthony Wilkes ont répondu à cette question par l'analyse de deux petits cours d'eau du bassin de la Lee, au nord de Londres. "Les chantiers sélectionnés pour l’étude sont situés sur des rivières de basse altitude et de basse énergie (altitude 75 m; pente 0,003), en substrat calcaire. Ces projets de restauration des cours d’eau ont été choisis parce qu’ils incorporaient des mesures de restauration morphologique couramment appliquées dans les systèmes fluviaux tempérés, l’élimination des retenues, le rétrécissement des chenaux trop élargis et l’introduction de gravier." Il est intéressant de noter que sur les deux rivières (Rib et Mimram), les opérations comprenaient des arasements de déversoirs et réduction de retenues (mesure très répandue en France pour ses vertus attendues sur les milieux).

Les chercheurs ont comparé sur une rivière un site de contrôle (naturel), un site de retenue abaissée et un site de morphologie sédimentaire optimisée ; sur l'autre un site de contrôle avec deux voies différentes pour modifier le substrat de fond. Dans chaque tronçon analysé, 10 échantillonnages de macro-invertébrés ont été réalisés sur la Rib, avant la restauration, puis 2 et 3 ans après ; 5 sur la Mimram, avant restauration, puis 1 et 2 ans après.

Ont été étudiés : la diversité spécifique (indice de Simpson D), la densité (individus par m2), la richesse taxonomique, et 5 indices de fonctionnalités fondés sur des traits (FRic, FDiv, FDis, FEve, FEnt).

Bien que le habitats se soient améliorés dans le sens prévu par les porteurs de projet, la réponse du vivant à ce changement est moins claire : les résultats ne sont pas à hauteur des hypothèses faites d'une pleine restauration de la diversité fonctionnelle et structurelle.

Le schéma ci-dessous montre les évolutions de la complexité structurelle (diversité de Simpson, abscisses) et de l'intégrité fonctionnelle (ordonnées), avant la restauration (à gauche, a et c) et après la restauration (à droite, b et d), rivière Rib en haut et Mimram en bas. Les cercles indiquent le contrôle, les carrés et triangles les différentes restaurations.



England et Wilkes 2018, art cit, droit de courte citation

Voici la conclusion des chercheurs :

"Cette étude a démontré que, après les mesures de restauration morphologique, le «rétablissement», tel que défini par les indices d'assemblage, était largement incomplet et incohérent en terme taxonomique / fonctionnel. Ainsi, notre hypothèse n'est pas étayée par le fait que FDiv, FDis, FEve et FEnt [traits de fonctionnalité] augmenteraient, reflétant l'établissement d'une plus grande qualité et complexité de l'habitat. Ces résultats sont cohérents avec d'autres études qui indiquent une réponse variable des invertébrés benthiques aux mesures de restauration morphologique (par exemple, Friberg et al 2014; Jähnig et Lorenz 2008; Leps et al 2016; Palmer et al 2010). et que les indices de diversité traditionnels peuvent ne pas constituer une mesure appropriée de la qualité hydromorphologique (Feld et al 2014). Verdonschot et al (2016) ont constaté que le manque général d'effet de la restauration sur la composition et la diversité des microhabitats pourrait être un facteur clé expliquant le manque de réponse dans les comparaisons globales des paramètres sélectionnés de macro-vertébrés examinés. Ils ont également conclu que plusieurs des relations de traits fonctionnels qu’ils ont trouvées n’ont pas été détectées à l’aide des paramètres taxonomiques. Cela souligne l'importance de considérer les indices fonctionnels en plus des indices structurels, et est soutenu par nos résultats.

Cette étude a révélé une tendance générale à la ressemblance  au fil du temps entre les occurrences de taxas entre zones traitées et contrôles, mais à la fin de la période d'étude, les communautés des premières traitement n'étaient qu'à 60% similaires aux groupes témoins. Cela indique également que le «rétablissement», défini en termes d’identité  de structure d’espèce et d'assemblage, était en grande partie incomplet, ce qui pourrait refléter le délai relativement court de la surveillance et le retard dans le rétablissement écologique (Jones and Schmitz 2009; Winking et al 2014). Bien que l'âge de la restauration soit un facteur crucial à prendre en compte lors du suivi des résultats de la restauration des communautés riveraines (Bash et Ryan 2002), ce n'est peut-être pas la raison ultime du manque de succès (Leps et al 2016)  et les effets de la restauration peuvent disparaître (Kail et al 2015). La perte d'effets de la restauration est souvent associée à une restauration non durable qui ne fonctionne pas selon des processus naturels (Beechie et al 2010); à l'influence combinée de la qualité hydromorphologique locale et régionale (Leps et al 2016) ou à la non prise en compte des processus de bassin versant (Gurnell et al 2016b)."

Discussion
Le travail d'England et Wilkes vient après de nombreux autres qui soulignent les résultats ambivalents et difficiles à prédire des restaurations écologiques de rivière (cf références ci-dessous en exemple). Il avait été montré en France que plus le suivi scientifique des opérations est rigoureux, moins les gains écologiques sont évidents (Morandi et al 2014). Manière de dire que l'autosatisfaction souvent affichée par le gestionnaire public est un trompe-l'oeil pour le citoyen, qui est fondé à demander des analyses plus complètes. La plupart des travaux d'hydro-écologie quantitative menés en France et en Europe montrent que les premiers prédicteurs de la dégradation biologique (invertébrés ou autres) sont les usages des sols du bassin versant (au premier chef l'agriculture), et qu'une action locale aura de bonnes chances de rester sans effet majeur faute d'une prise en compte des autres échelles (tronçons, bassins). L'apport quantitatif en eau, l'état des berges et les flux entrants (polluants, sédiments fins) vont contraindre l'effet éventuellement bénéfique de diversifications locales d'habitats. Il ne faut donc pas attendre de miracles de la seule restauration physique locale et, surtout, il faut réfléchir à la priorisation des investissements écologiques.

La difficulté à garantir l'efficacité des chantiers de restauration hydromorphologique n'est pas en soi un scandale : il est normal d'expérimenter dans un domaine où l'on a quelques hypothèses théoriques mais encore peu de retours empiriques, surtout face à la diversité des hydrosystèmes et à la complexité des impacts pesant sur eux, à diverses échelles spatiales et temporelles. Le but est de comprendre ce qui donne ou non des résultats, ainsi que de mesurer l'évolution des services rendus par les écosystèmes. Le problème vient quand, ignorant ce caractère expérimental et la prudence qu'il impose, une politique publique entend systématiser des travaux financés par l'impôt et imposés aux riverains. C'est hélas le cas en France de certains compartiments de l'ingénierie hydromorphologique, comme la destruction contestée des petits ouvrages de rivière au nom de la connectivité en long.

Référence : England J., MA Wilkes (2018), Does river restoration work? Taxonomic and functional trajectories at two restoration schemes, Science of The Total Environment,
618, 961-970.

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01/08/2018

Le Doubs à sec, une discontinuité écologique radicale...

Depuis quelques jours, le Doubs est à sec entre Pontarlier et Morteau. On évoque des élargissements de failles qui, dans ces zones karstiques, engouffrent l'eau vers le sous-sol. Ces failles étaient jadis gérées, quand les moulins et usines à eau avaient besoin de conserver de l'eau en étiage, comme le rappelle un riverain connaisseur de la rivière. Les assecs du Doubs ne sont pas une nouveauté : on en trouve mentionnés dans les années 1980, et plus récemment dans les années 2000. Cette discontinuité hydrique, qui entraîne la mortalité de milliers de poissons, risque de s'aggraver avec les effets thermiques et hydrologiques du changement climatique. Les gestionnaires de rivière doivent intégrer les évolutions à long terme comme les contraintes locales dans leurs choix actuels d'aménagement et dans la définition de leurs priorités. 


Film de France 3 sur l'assec de 2018.

On trouve dans les Annales scientifiques de l'Université de Besançon: Géologie (1980, p. 16) la mention : "en étiage, le Doubs est à sec depuis la sortie de Pontarlier jusqu'à Ville du Pont ; seul un tronçon situé entre la confluence du Drugeon et le pont d'Arçon coule encore".

Plus récemment, en 2009, le Doubs était à sec en début d'automne au niveau de Villiers-le-Lac, et l'on pouvait franchir la frontière franco-suisse à pied (ci-dessous, extrait du journal L'Impartial du 7 octobre 2009).



31/07/2018

Justifier un choix de continuité pour les truites communes

Suffit-il de montrer qu'un obstacle bloque la montaison de truites communes pour établir qu'une intervention sur argent public est nécessaire et urgente? C'est ce que suggèrent deux ingénieurs de recherche de l'Irstea dans la dernière livraison de la revue Sciences Eaux & Territoires. Or, il n'en est rien, car le débat sur la continuité a permis de préciser depuis quelques années les attentes des riverains sur ce compartiment de l'action en rivière. Si la fragmentation d'un cours d'eau limite la mobilité en long mais n'est pas pour autant une entrave à la survie des populations de truites dans ses différents tronçons, l'investissement n'est pas prioritaire. Une circulation non optimale n'est pas en soi un motif suffisant pour dépenser et pour nuire à d'autres usages établis (ce qui n'empêche pas des actions volontaires, lorsque les conditions de financement et de gouvernance sont réunies). Les chercheurs doivent donc affiner les grilles de priorisation des interventions s'ils veulent les rendre légitimes pour les riverains.

Nous avions évoqué les travaux de Céline Le Pichon, ingénieur de recherche Irstea en hydro-écologie, à propos d'une recherche récemment publiée (voir Roy et Pichon 2017 )

Avec Evelyne Talès, elle revient dans la dernière livraison de la revue Sciences Eaux & Territoires sur les enjeux de la trame bleue, en particulier sur la caractérisation d'un besoin de continuité écologique. Les deux auteurs introduisent ainsi leur démarche : "Pour que la trame bleue soit fonctionnelle, il est important de diagnostiquer l’effet de la fragmentation des cours d’eau sur les poissons pour restaurer de manière efficace la continuité écologique. Une méthode consiste à utiliser les outils de biotélémétrie pour identifier la capacité des poissons à franchir les ouvrages existants et leurs aménagements et évaluer ainsi l’efficacité de la restauration. Un cas d’étude est présenté concernant le suivi de populations de truite dans des petits cours d’eau de têtes de bassins en Ile-de-France."

S'ensuit l'expérimentation sur deux petits cours d’eau de têtes de bassin, l’Aulne et la Mérantaise (Parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse) pour évaluer le comportement des truites vis-à-vis des ouvrages naturels et anthropiques, ainsi qu'analyser les capacités des individus à recoloniser les secteurs amont.


Exemple donné par Le Pichon et Talès 2018 sur le sivi de mobilité d'une truite de 41 cm face à des obstacles de différentes tailles.

Il est observé : "Certains seuils pouvant être franchis périodiquement au gré des variations de hauteur d’eau, ne constituent pas des obstacles permanents, au moins pour les individus de grande taille. Il est avéré dans notre étude que les truites sont empêchées de gagner des zones potentielles de fraie en amont des obstacles. Les observations par télémétrie indiquent que certaines se sédentarisent au pied des obstacles alors que d’autres ayant un gite plus en aval, s’y présentent temporairement, en particulier lors des migrations de reproduction. Ces observations indiquent clairement que la présence d’obstacles ne leur permet pas d’explorer l’intégralité du cours d’eau et les contraint à se reproduire dans le linéaire accessible. L’impact négatif des ouvrages sur les populations de truite est donc avéré dans ces cours d’eau."

Ce point devrait cependant être le début de l'enquête, et non sa conclusion.

Que des ouvrages fragmentant la rivière réduisent l'espace de mobilité de certaines espèces de poissons est une évidence peu contestée. La question est de savoir l'effet de cette fragmentation sur des populations cibles de l'intervention envisagée : tout impact négatif n'est pas en soi un déclencheur d'action, surtout quand l'action n'a rien d'anodin (ce qui est le cas des chantiers de continuité, de manière générale des chantiers affectant les écoulements en place d'une rivière et les propriétés riveraines).

Ainsi, dans les cas où la restauration de continuité écologique crée des conflits d'usage et des interrogations citoyennes sur le bon usage de l'argent public de l'eau, elle doit justifier plus en détail de sa nécessité. Dans l'exemple envisagé ici, il faudrait répondre à diverses questions :

  • l'action en faveur d'une espèce répandue (Salmo trutta fario), non inscrite sur la liste rouge des espèces menacées de l'IUCN, souvent issue d'introduction par l'homme de souches d'élevage, est-elle une priorité d'engagement des fonds publics et pour quelles raisons par rapport à d'autres enjeux de biodiversité sur des espèces vulnérables voire au bord de l'extinction?
  • comment s'établit la démographie de la truite sur les cours d'eau analysés, ses structures de populations ? En particulier, la situation fragmentée permet-elle la survie de sous-populations dans les différents tronçons séparés par des ouvrages peu ou pas franchissables?
  • a-t-on documenté sur les cours d'eau un risque d'extinction dans des situations de pression extrême (canicule, assec) ? Et indépendamment du facteur "ouvrage", que sait-on de ce risque à horizon 2050 et 2100 selon les évolutions climatiques projetées sur la zone?
  • subsidiairement, quels effets ont les ouvrages sur la biodiversité et la biomasse totales des poissons au-delà de la truite? 

S'il s'avère que la sauvegarde de la truite est un élément clé de la biodiversité locale, que cette sauvegarde est gravement mise en péril par une fragmentation et que l'investissement dans le salmonidé a du sens malgré le réchauffement attendu, alors il peut y avoir une raison d'investir l'argent public dans des choix de continuité ciblés sur cette espèce, sous réserve d'examen coût-bénéfice avec d'autres alternatives pour obtenir le même résultat. Mais si ces conditions ne sont pas remplies, il vaut mieux reconsidérer l'usage de cet argent public dans des choix qui auront davantage d'effets sur la quantité et la qualité de l'eau et de ses milieux vivants.

Comme le gouvernement semble s'orienter vers une logique de priorisation des enjeux de continuité, ces questions risquent de devenir importantes dans un proche avenir, pour améliorer la rationalité des choix publics environnementaux.

Référence : Le Pichon C, Talès E (2018), Note méthodologique - Évaluer la fonctionnalité de la Trame bleue pour les poissons, Sciences Eaux & Territoires, 25, 68-71

28/07/2018

Cincle plongeur et martin pêcheur souffrent-ils du Theusseret?

Un ouvrage hydraulique est-il toujours mauvais pour les cincles plongeurs et les martins pêcheurs, comme l'affirme un ornithologue suisse militant pour la destruction de l'ouvrage hydraulique du Theusseret? Ce n'est pas ce que disent tous les travaux sur ces espèces. Autant vérifier par des inventaires avant de faire (et dire) n'importe quoi pour justifier les modes du moment. 


Dans l'affaire du barrage du Theusseret, objet d'un lobbying intense des pêcheurs de truites en vue de sa destruction, un ornithologue de l'association le Pélerin (M. Martial Farine) répète à qui veut l'entendre que la roselière du site serait sans intérêt et que l'ouvrage nuirait aux oiseaux (voir Est républicain, 24 juillet 2018 ; le Quotidien jurassien, 21 juillet 2018). Un argument est que "si on supprime le barrage, cincle plongeur ou martin pêcheur reviendront". Ce qui laisse entendre qu'ils ont disparu du Doubs franco-suisse à cause des barrages.

Un lecteur nous a fait parvenir quelques liens suggérant que le tableau n'est pas aussi noir et manichéen que l'entendent ces propos militants.

Selon cette référence du Muséum National d'Histoire Naturelle (avec l'Onema), le martin-pêcheur n'est pas signalé comme importuné par les ouvrages :

"Les rives des cours d'eau, des lacs, les étangs, les gravières en eau, les marais et les canaux sont les milieux de vie habituels de l'espèce. La présence d'eau dormante ou courante apparaît fondamentale à la survie du Martin-pêcheur » et son installation est principalement dépendante de la richesse en poisson et de la pureté de l’eau."

Sur le cincle plongeur, cette référence de la Trame verte et bleue n'est pas trop pessimiste sur le rôle d'un ouvrage hydraulique :

"Le Cincle plongeur est l’oiseau typique des cours d’eau rapides et limpides coulant sur un lit de graviers ou de roc (Anonyme 1, à paraître ; Dubois et al., 2008 ; Géroudet, 2010 ; Rushton et al., 1994). Il recherche les secteurs accidentés de rapides, de chutes, les berges abruptes, chevelues de racines et sapées par le courant (Géroudet, 2010). Le voisinage des barrages, des scieries, des moulins, des ponts est particulièrement apprécié pour le site du nid (Géroudet, 2010). Les petits lacs sont aussi visités et il peut s’y reproduire (Géroudet, 2010) à condition de trouver à proximité des sections de cours d’eau rapides (com. pers. Hourlay, 2012)".

Ces observations rejoignent celles de propriétaires d'ouvrages, qui rapportent régulièrement la présence de ces oiseaux aux abords de leur bien.

Evitons donc de raisonner par des affirmations sans preuve et des généralités à charge. Nous proposons que le site du Theusseret et sa roselière fassent l'objet d'une évaluation objective de leur biodiversité aviaire (et autre). De manière générale, que les inventaires de biodiversité des ouvrages hydrauliques et de leurs abords deviennent la norme avant d'intervenir sur ce compartiment des rivières et de perturber les écosystèmes anthropisés, en place de longue date et hébergeant eux aussi du vivant.

Illustration : Cinclus cinclus (La Malène, Lozère - France), Jean-Jacques Boujot travail personnel CC 2.0

25/07/2018

Une majorité de Français veut accélérer l'hydro-électricité plutôt que l'éolien, le solaire ou le nucléaire

Le journal Actu Environnement révèle les résultats de l'enquête qualitative sur la programmation énergétique nationale, menée auprès d'un panel de 400 citoyens représentatifs de la population. Les Français trouvent les choix de l'Etat peu compréhensibles, font confiance aux collectivités, veulent réduire la part du nucléaire et placent la nécessité d'accélérer l'hydro-électricité devant celle de l'éolien terrestre et du solaire. Nicolas Hulot va-t-il continuer la politique déplorable consistant à détruire les barrages et les seuils de moulin au lieu de les équiper? Ce choix a été imposé de manière autoritaire par des bureaucraties et des lobbies, au mépris de l'avis des riverains des ouvrages en place. Il est temps de tourner la page.

Le débat public sur la Programmation pluriannuelle de l'énergie a donné la parole à 400 citoyens représentatifs de la population.

Quelle opinion en ressort ?


Les choix de transition énergétique ne paraissent ni cohérents ni compréhensibles pour une large majorité. Et le retard est observé.


Les Français pensent que les collectivités ont un rôle à jouer et que les régions n'en font pas assez.



Une large majorité veut réduire le nucléaire assez rapidement et ne pas relancer massivement la filière.



Une majorité de Français souhaite développer l'hydro-électricité, qui arrive devant l'éolien terrestre et le solaire en terme d'attente. On observe en revanche qu'une forte minorité (39%) veut cesser l'hydro-électricité, qui est plus clivante, comme l'éolien et le bois.

Conclusion : la politique de destruction sans retour des ouvrages hydrauliques, au lieu de leur aménagement écologique et de leur équipement énergétique, ne reçoit pas de soutien majoritaire dans la population. Idem pour les nombreuses complications et entraves que l'administration en charge de l'eau place dans la relance des moulins, occasionnant des coûts non réalistes et des délais démotivants, donc aggravant le retard français dans la transition énergétique. Cette politique décriée a été décidée en petits comités, contre l'avis des parlementaires ayant rappelé à l'ordre de nombreuses fois le ministère de l'écologie, sans entendre les attentes majoritaires des riverains sur la plupart des sites. Le gouvernement actuel a été élu sur la promesse de réduire la fracture entre les attentes des citoyens et les choix de l'Etat : on attend donc que cette promesse soit tenue au bord des rivières.