30/03/2019

Les discontinuités des rivières, un phénomène antérieur à l'être humain

Continues, les rivières? Pas tant que cela. Dans un monde imaginaire où la nature serait laissée à elle-même sans intervention humaine, beaucoup de rivières seraient en réalité des courses d'obstacles : barrages d'embâcles et de castors, chutes, cascades et seuils de pierres, pertes et assecs à l'étiage... les discontinuités sont partout. En particulier dans les têtes de bassin versant, là où les fortes pentes forment parfois des linéaires infranchissables pour remonter le courant et où des rivières peu larges à débit peu prononcé s'obstruent plus facilement que dans les larges écoulements des plaines alluviales. Aussi faut-il se garder d'idéaliser une nature de carte postale, comme le font certains gestionnaires. Et se ré-interroger sur la nécessité de traiter les discontinuités artificielles ajoutées par l'être humain. Car toutes ces singularités hydrologiques font des gagnants et des perdants pour le vivant, ce que seul un examen local de la biodiversité révélera.



Lorsqu'ils ont créé le concept de "continuum fluvial" en 1980,  Robin L Vannote et ses collègues n'avaient pas spécialement pour idée que toute rivière présente un transit parfaitement libre pour les sédiments et les espèces. Leur réflexion consistait à observer que les cours d'eau connaissent une variation continue de l'énergie cinétique du courant et de l'énergie biochimique des nutriments / proies entre la source et l'embouchure.

Mais dans la réalité, une rivière peut présenter des discontinuités locales, qui sont particulièrement marquées dans les têtes de bassin versant. Elles peuvent être de nature géologique, rhéologique, hydrologique. Et forment autant de singularités. En voici quelques exemples.

Cascades et cataractes - Pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres de haut, elles sont formées lorsque le lit rencontre une paroi verticale ou à forte pente.

Chutes et sauts - Hautes de quelques mètres, ces discontinuités sont créées par amas de gros blocs rocheux entravant le lit

Seuils - Des blocs et grosses pierres en travers créent des petits sauts d'écoulement de quelques dizaines de centimètres, suffisant à décourager les espèces de poissons sans capacité de saut.

Rapides et torrents - Les accélérations de l'écoulement sur plusieurs dizaines à centaines de mètres en raison d'une forte pente locale peuvent créer une barrière de franchissement pour les espèces faiblement nageuses.

Pertes et assecs - Dans les régions calcaires, mais parfois ailleurs aussi, les rivières deviennent intermittentes en été ou dans les périodes de sécheresse.

Barrages de castors - Ces rongeurs aquatiques, qui ont une espèce américaine et une espèce européenne, construisent des retenues dans les eaux peu profondes des petites et moyennes rivières.

Barrages d'embâcles - L'état naturel d'une berge et d'un milieu adjacent à la rivière est généralement boisé (ripisylve), ce qui entraîne régulièrement des chutes de troncs et branches formant barrages.

Hautes de quelques dizaines de centimètres à près de 1000 mètres, dégradables en quelques mois à quelques millions d'années, les discontinuités font donc partie des répertoires naturels de la morphologie des rivières. Elles peuvent provoquer des naissances d'espèces (spéciation) en bloquant les échanges génétiques entre des populations. Elles induisent des singularités, des changements, des transitions qui sont autant d'opportunités pour le vivant. Au fil des millénaires, les sociétés humaines ont créé de nouvelles discontinuités : chaussées de moulins, digues d'étangs, écluses de canaux, puis tardivement des grands barrages. Dans une perspective d'écologie intégrative où la rivière est le produit d'une histoire naturelle dont l'intervention humaine est une étape, et non une anomalie, il faut la regarder comme un milieu portant les traces de tous ses héritages.

25/03/2019

Les poissons des fleuves français reflètent déjà clairement le changement climatique (Maire et al 2019)

Analysant 40 ans de données sur la Loire, la Meuse, le Rhône, la Seine et la Vienne, des chercheurs montrent que les assemblages de poissons de nos fleuves reflètent déjà les effets du changement climatique, avec une tendance au remplacement des espèces septentrionales par des espèces méridionales mieux adaptées aux eaux chaudes. Il faut aussi noter que sur cette période, la biomasse et la richesse spécifique des poissons ont augmenté, sans que les exotiques (non endémiques en France) ne prolifèrent, mais avec des espèces non-locales (absentes des premiers relevés) plus nombreuses. Les peuplements de nos rivières changent donc, et plus rapidement que nous ne le pensions. Cela devrait inspirer des réflexions aux gestionnaires des bassins ayant parfois tendance à espérer un retour vers un "état de référence" du milieu calculé sur les siècles passés, mais aussi à sous-estimer l'importance des variations hydro-climatiques dans nos choix d'aménagement pour l'avenir des rivières.

Lors de l'implantation des centrales nucléaires françaises à compter des années 1970, EDF a engagé une campagne de mesure systématique des populations de poissons à l'amont et à l'aval des exutoires des centrales. Ces données très homogènes, dont les plus anciennes commencent en 1979, permettent un suivi longitudinal de qualité de la faune pisciaire. Onze sites sont concernés en France sur la Loire (Belleville, Chinon, Dampierre, Saint-Laurent), le Rhone (Bugey, Cruas, Saint-Alban, Tricastin), la Meuse (Chooz), la Vienne (Civeaux) et la Seine (Nogent).

Anthony Maire, Eva Thierry, Martin Daufresne (Laboratoire national d'hydraulique et environnement, EDF) et Wolfgang Viechtbauer (Université de Maastricht) ont utilisé cette base de données pour étudier l'évolution des assemblages de poissons en lien au changement hydroclimatique.

Un total de 923 418 poissons individuels de 40 espèces différentes a été échantillonné pendant toute la période de surveillance (1979-2015). Cela représentait en moyenne 26 383 ± 12 738 individus et 30 ± 2 espèces par station.

Six espèces migratrices anadromes (Alosa alosa, Alosa fallax fallax, Alosa fallax rhodan- ensis, Lampetra fluviatilis, Liza ramada et Petromyzon marinus) ont été exclues de l'analyse car les lieux et techniques d'échantillonnage n'étaient pas pertinents pour évaluer leur présence.

Pour caractériser les poissons, les chercheurs ont utilisé l'abondance totale par densité de capture de pêche (CPUE), la diversité spécifique (nombre d'espèces), l'équitabilité (proportion relative des différentes espèces dans la diversité), les espèces non-locales (absentes des premiers relevés) ou exotiques (non endémiques en France).

Du point de vue géographique et climatique (rapport à la latitude), les espèces de poissons ont été classées en septentrionales, méridionales ou intermédiaires selon les limites connues de leur répartition.

Enfin, les données de température et de débit de l'eau ont été analysées. Elles montrent une nette tendance à la hausse des températures de l'eau (en haut) et à la baisse des débits (en bas) :

Extrait de Maire et al 2019, art cit.

Anthony Maire et ses collègues résument ainsi leurs principales observations :

"Des tendances générales significatives ont été mises en évidence respectivement à la hausse pour la température de l'eau et à la baisse pour le débit au cours de la période d'étude. Parallèlement, la densité de nombreuses espèces a augmenté, entraînant une forte augmentation de la richesse en espèces (environ + 50%) et de l'abondance totale des poissons (environ quatre fois), mais sans tendance significative en termes d'équitabalité des espèces. De forts changements dans la composition des espèces ont été observés au cours de la période d'étude, avec une tendance générale à la hausse dans l'abondance relative des nouveaux arrivants (c'est-à-dire des espèces non échantillonnées pendant les premières années de l'enquête), tandis que la tendance de l'abondance relative des espèces exotiques était non significative. De plus, le changement le plus important sous-jacent aux changements de communauté était le remplacement des espèces septentrionales par les espèces méridionales."

Le schéma ci-dessous (cliquer pour agrandir) donne les courbes de ces tendances.



Changements temporels en métrique des assemblages de poissons. Les 7 premières années (1979-1985) sont représentées en gris en raison de la moins bonne représentativité de la valeur moyenne pour cette période. Extrait de Maire et al 2019, art cit.

Les chercheurs font observer : "Les augmentations globales observées de la richesse en espèces et de l'abondance totale sont cohérentes avec les tendances sous-jacentes au niveau de chaque espèce, ce qui montre les nombreuses espèces ayant connu une augmentation de la densité au cours de la période étudiée. Des relations similaires entre les tendances au niveau des espèces et des communautés avaient déjà été observées ou prédites pour les poissons d'eau douce en France (Buisson et al 2008; Daufresne et Boët 2007; Poulet et al 2011), ainsi que pour d'autres taxa dans des zones fluviales similaires (par exemple, macroinvertébrés  Floury et al 2013). La tendance de la richesse en espèces d’environ +50% au cours des 4 dernières décennies était même du même ordre de grandeur que l’augmentation moyenne prédite, allant de 50% à 68% d’ici 2080, sur la base de modèles de répartition future de 30%. espèces de poissons dans les rivières françaises (Buisson et al 2008). Conformément aux résultats actuels, la même étude a également prédit que de nombreuses espèces bénéficieraient d'un futur climat plus chaud, ce qui entraînerait des changements substantiels dans la composition des espèces au sein des communautés". En revanche, les auteurs soulignent que le réchauffement de l'eau et la diminution du débit devraient être défavorables pour d'autres taxa que les poissons.

Cette étude a examiné les tendances de la température et du débit de l'eau en tant que principaux facteurs susceptibles de modifier la composition des communautés de poissons d'eau douce. Mais d'autres changements environnementaux sont susceptibles de s'être produits localement au cours de la même période, pouvant avoir contribué aux variations biologiques observées.

Les chercheurs remarquent à ce sujet : "Outre les tendances hydroclimatiques, les changements dans la qualité de l'eau, et en particulier dans les concentrations de phosphore, ont probablement eu une influence considérable sur les populations aquatiques suite aux améliorations apportées au traitement des eaux usées (Durance & Ormerod 2009; Floury et al 2017). Plusieurs études ont démontré que l'amélioration de la qualité de l'eau avait des conséquences écologiques pour divers organismes du réseau trophique, tels que le phytoplancton (Larroudé et al 2013) et les macroinvertébrés (Floury et al 2013) dans la Loire ou les poissons dans diverses grandes rivières. aux États-Unis (Counihan et al 2018) et probablement aussi en France (Poulet et al 2011). Néanmoins, si les réponses écologiques de nombreuses régions, évaluées par exemple par une méta-analyse, se révèlent être similaires et tendant généralement dans la même direction (par exemple, changement dans la répartition des espèces par la tendance à remonter vers le pôle), alors on peut présumer avec confiance que des facteurs globaux tels que comme le changement climatique sont impliqués (García Molinos et al 2018). Pris ensemble, ces résultats mettent en évidence le rôle central du changement climatique dans les tendances observées et ses profondes implications pour les écosystèmes d'eau douce."

Enfin, les chercheurs concluent à la nécessité de tester différentes hypothèses d'adaptation des poissons au changement climatique. Il s'agit notamment de comprendre si les espèces à fort taux de reproduction (stratégie r) seront avantagées par rapport aux espèces à faible taux (stratégie K) et si la réduction de la taille corporelle (trait universellement observé en réponse au réchauffement) se vérifie aussi chez les résidents des rivières.

Référence : Maire A et al (2019), Poleward shift in large-river fish communities detected with a novel meta-analysis framework, Freshwater Biology, 1–14.

23/03/2019

Le castor eurasien décide de construire ses barrages selon la hauteur d'eau de la rivière (Swinnen et al 2019)

Champions de la discontinuité écologique, les castors sont connus pour leur capacité à construire des barrages et retenues qui modifient l'environnement local de la rivière. Mais parfois, ils se contentent de bâtir aussi des huttes, des abris ou des terriers, sans édifier d'ouvrages hydrauliques en travers des lits. Une équipe de chercheurs belges a comparé les facteurs écologiques dans 15 territoires de castor avec des barrages (32 ouvrages) et 13 autres territoires sans barrages. Leur principale conclusion, convergente avec une précédente étude suédoise : dans 97% des cas, la profondeur de l'eau est le paramètre décisif pour prédire les rivières qui auront des barrages. Les castors s'engagent dans la construction d'ouvrage avec une haute probabilité là où la lame d'eau est inférieure à 68 cm. Aujourd'hui, le castor se ré-implante dans tous les territoires d'Europe dont il avait été chassé : cela signifie que les rivières de tête de bassin versant ont vocation à être de nouveau fragmentées par leurs nombreux barrages. Cette fragmentation a des avantages écologiques reconnus.


Le castor eurasien (Castor fiber) était autrefois répandu dans les forêts et vallées fluviales boisées d'Europe et d'Asie. Mais sa chasse excessive pour la fourrure, la viande et le castoréum a causé un déclin massif et il ne restait au XXe siècle qu'environ 1200 castors d'Eurasie au sein de 8 petites populations reliques. Les translocations, la propagation naturelle et la réduction de la prédation ont permis une expansion des populations, qui atteignent aujurd'hui jusqu'à un million d'individus. Les castors sont de nouveau présents dans la majeure partie de leur ancienne aire de répartition.

"Les castors sont souvent considérés comme des ingénieurs des écosystèmes car ils peuvent modifier, maintenir ou créer des habitats en modulant la disponibilité des ressources biotiques et abiotiques pour eux-mêmes et pour les autres espèces" rappellent Kristijn R. R. Swinnen  et ses collègues des universités d'Anvers et de Gand. Les castors abattent des arbres, construisent des barrages, assemblent des abris et creusent des terriers, dans le lit des rivières et sur leurs berges.

La technique la plus connue et la plus spectaculaire du castor est la construction de barrages coupant le lit des rivières.

Les chercheurs belges rappellent ainsi le rôle des barrages dans la stratégie de vie des castors : "Bien que les barrages remplissent plusieurs objectifs, ils augmentent tous le niveau d'eau en amont du barrage, créant ainsi une retenue pour les castors. Cette retenue leur permet de construire un terrier ou une hutte avec une entrée sous-marine, ce qui réduit les risques de prédation (Gurnell 1998, Hartman et Axelsson 2004, Rosell et al 2005) et peut être utilisé pour cacher de la nourriture pour l'hiver (Hartman et Axelsson 2004, Beck et al 2010). De plus, l’augmentation du niveau d’eau associée aux barrages de castor peut modifier la position du bord de la retenue, facilitant ainsi l’accès aux sources de nourriture, car les castors préfèrent chercher leur nourriture à moins de 10 m de l'eau (Nolet et al 1994, Hartman et Tornlov 2006)."

Mais cette option du barrage n'est pas systématique. Si les castors peuvent être présents dans divers environnements lentiques et lotiques, des petites rivières et des étangs aux grandes rivières et aux lacs, les ouvrages ne sont pas pour autant construits dans tous leurs territoires.

Qu'est-ce qui détermine le choix de construire ou non ces barrages et retenues de castors?

Les scientifiques ont collecté des données sur tous les territoires de castor connus en Flandre, 3 territoires adjacents dans la région wallonne de Belgique et un territoire aux Pays-Bas. La population de castors de cette région se répartit dans 71 territoires au moment de l'étude (2017), avec un potentiel estimé de 924 territoires de castor (la réintroduction en Belgique ne date que de 2003 et la colonisation par les castors ne fait que commencer). Les chercheurs ont sélectionné 15 territoires à barrages et 13 sites témoins sans barrages.

Dans un précédent travail, Hartman et Tornlov (2006) avaient étudié l'influence de la profondeur et de la largeur du cours d'eau sur la construction de barrages de castor en Suède. Ils ont pu établir une distinction entre les sites de hutte et de barrage dans 93% des cas. Les chercheurs ont testé l'importance de ces paramètres dans un paysage différent et ont inclus 5 paramètres environnementaux supplémentaires : vitesse du cours d'eau, distance entre barrage, terrier, hutte et végétation ligneuse la plus proche, hauteur des berges. Ces nouveaux paramètres différaient significativement entre les sites de barrage et les sites témoins, mais ils n'augmentaient pas pour autant la puissance de l'arbre de classification.

Ainsi, les chercheurs concluent : "le meilleur arbre de classification n'incluait que la profondeur de l'eau, avec une classification correcte de 97% avec un seuil de profondeur de 68 cm, ce qui indique que d'autres paramètres entraînent une amélioration négligeable des résultats de la classification".

Enfin, dans la zone étudiée, les barrages de castor ont augmenté le niveau d'eau en moyenne de 47 ±21 cm, ce qui est presque identique à la 46 ± 21 cm rapporté par Hartman et Tornlov (2006). En ce qui concerne le risque d'inondation, en moyenne, le point le plus bas de la rive n'est que de 25 cm plus haut que le niveau d'eau en amont du barrage.

Discussion
Le fait que la hauteur d'eau soit le critère discriminant de construction des barrages du castor eurasien suggère qu'à mesure de sa recolonisation de nos vallées, le rongeur aquatique va reprendre ses constructions dans les zones boisées des têtes de bassin versant, là où l'on trouve des rivières et ruisseaux de faible profondeur.

Kristijn R. R. Swinnen  et ses collègues rappellent l'intérêt des barrages et retenues de castors : "Bien que la construction de barrages puisse être incompatible avec d'autres types d'utilisation des terres, la présence de castors et de leurs barrages peut également être intégrée à la politique actuelle de restauration écologique des rivières (Pahl-Wostl 2006). Le rôle essentiel des barrages de castor dans le maintien et la diversification des cours d'eau et de l'habitat riverain a été reconnu (Rosell et al 2005, Pollock et al  2018). Les castors peuvent augmenter la rétention d'eau, le débit de base et la recharge des eaux souterraines; diminuer les débits de pointe; augmenter la rétention de sédiments; et influer sur la température de l'eau, le cycle des éléments nutritifs, les contaminants et la géomorphologie (Rosell et al 2005, Pollock et al 2018). En outre, les castors peuvent modifier l’abondance et la richesse en espèces de plantes, invertébrés, amphibiens, reptiles, poissons, oiseaux et mammifères (Collen et Gibson 2001, Rosell et al 2005, Dalbeck et al 2007, Nummi et Hahtola 2008, Stringer et Gaywood 2016)."

Contrairement à certaines idées reçues que véhicule une écologie administrative ("continuité écologique"), la parfaite connectivité en long et la non-fragmentation des lits mineurs ne sont donc pas spécialement l'état naturel des rivières en tête de bassin versant. Outre les castors, les barrages spontanés d'embâcles par chute de troncs sont aussi fréquents dans ces cours d'eau, avec des temps de décomposition pouvant être longs. Pour le petite histoire, l'administration française considère qu'un "obstacle à la continuité écologique" commence à partir de 20 cm, soit deux fois moins que la hauteur moyenne des barrages de castors. La police de l'eau risque d'être débordée par les contrevenants!

Références : Swinnen KRR et al (2019), Environmental factors influencing beaver dam locations, The Journal of Wildlife Management, 83, 2, 356-364

Illustration : en haut, la courbe et le profil de ce barrage (établi sur un petit cours d'eau près d'Olden, dans la région de Jämtland en Suède) le rendent similaire à celui qui aurait été fait par un ingénieur, par Lars Falkdalen Lindahl, CC BY-SA 4.0 ; ci-dessous, barrage de castor dans le Parc national de Lahemaa (Estonie), par Athanasius Soter Domaine public

19/03/2019

La FFAM demande au ministère de l'écologie de cesser son double langage et d'arrêter la casse des ouvrages

La Fédération française des associations de sauvegarde de moulins (FFAM) a exprimé au Comité national de l'eau son regret qu'après 18 mois de négociation, les désaccords majeurs entre l'administration du ministère de l'écologie et les moulins n'ont pas réellement trouvé d'issue. Nous saluons cette démarche lucide. Si le ministère refuse de poser clairement le respect des moulins, étangs, plans d'eau et autres éléments du patrimoine des bassins comme la base de toute politique de continuité, les défenseurs de ce patrimoine n'ont rien à attendre d'une pseudo-concertation en forme de répétition des mêmes dogmes et de poursuite des mêmes erreurs.



Depuis 18 mois, le Comité national de l'eau (CNE) s'est réuni à la demande de Nicolas Hulot, dans le but de donner suite aux nombreuses critiques et dérives de la continuité écologique :
En 2018, une pétition de 7500 propriétaires et riverains d'ouvrages menacés a signifié au ministère le refus de toute pression à la destruction de sites. Par ailleurs depuis deux mois, les pétitions et marches pour le climat accusent le gouvernement de freiner la transition bas carbone, ce qui est effectivement le cas quand on casse sur argent public des outils de production hydro-électrique (Sélune, Pont-Audemer, des centaines d'ouvrages détruits, de nombreux projets de relance énergétique découragés par des demandes aux coûts et aux enjeux totalement disproportionnés : cet exemple aux Eyziescet exemple à Argentrécet exemple au Bugue, etc.).

Dans ce contexte, tout le monde attendait des gestes forts du ministère de l'écologie.

Nous avions rappelé dans un courrier au CNE en date du 10 avril 2018 les 2 conditions assez simples d'une continuité écologique apaisée:
  • la reconnaissance claire par l'Etat du droit d'exister de tout ouvrage hydraulique autorisé et le rappel explicite à tous les services administratifs que le but de la continuité n'est pas de casser ces ouvrages, seulement de les aménager là où c'est nécessaire,
  • le financement public des dispositifs de continuité dont on sait depuis 150 ans (première loi échelle à poissons de 1865) qu'ils sont trop coûteux pour des petits exploitants ou des particuliers, donc qu'ils condamnent le maître d'ouvrage à la ruine économique s'ils sont imposés.
Sans même débattre des désaccords de fond sur les représentations de la rivière, de la biodiversité, de l'écologie et des connaissances à leur sujet – désaccords très nombreux –, ces deux éléments sont la base de l'application formelle de la loi, da la réussite opérationnelle de la continuité comme du respect moral des interlocuteurs.

Ces deux points élémentaires n'ont pas été retenus.

On propose de multiplier les complexités dans une réglementation qui en comporte déjà trop.

On  contourne l'essentiel dans un luxe de détails peu utiles si la base d'un accord solide est absente.

On cherche à définir des ouvrages prioritaires pour concentrer sur eux seuls l'effort public, mais sans exempter les autres d'obligation de travaux, en laissant les maîtres d'ouvrage à eux-mêmes.

On continue surtout dans la duplicité et le double langage : pendant que les discussions du CNE se tiennent, les services de l'Etat siégeant aux agences de l'eau programment la prime à la casse des ouvrages hydrauliques pour la période 2019-2024. Ce que les associations de Loire-Bretagne et Seine-Normandie vont contester en justice, ouvrant un nouveau cycle contentieux.

Il y a des gens sincères dans le processus de discussion du CNE.

Mais ce n'est manifestement pas le cas de certains services de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie :
L'administration centrale jacobine serre aujourd'hui les rangs face au pays en colère.

Elle devrait plutôt admettre ses erreurs et sortir une fois pour toutes d'un mode de gouvernance autoritaire en faillite : venir chez les citoyens avec l'intention manifeste de les menacer en vue de détruire leur bien était, est et sera toujours une violence insupportable dans une démocratie.

Si elle devait persister, la politique de destruction du patrimoine de rivières par le ministère de l'écologie et par les fonctionnaires travaillant sous ses ordres ne ferait qu'ajouter du désespoir, de la colère et du conflit dans un pays où les tensions sont déjà partout extrêmes.

Nous saluons donc la mise au point nécessaire de la FFAM. Et nous appelons les services centraux de l'Etat à apporter les révisions qu'appelle la politique des ouvrages hydrauliques, afin de retrouver la confiance et le dialogue indispensables à cette politique.

14/03/2019

L'agence de l'eau Loire-Bretagne reconnaît les échecs de la continuité écologique... mais fonce dans le mur en ne changeant rien!

Le programme d'intervention 2019-2024 de l'agence de l'eau Loire-Bretagne va faire l'objet d'un recours contentieux en annulation de la part des associations de moulins et riverains, comme celui de Seine-Normandie. Le motif en est que ces agences continuent de payer la casse des barrages et moulins avec l'argent des contribuables, malgré le bilan lamentable de cette politique décriée. Dans le cadre de la procédure, nous nous sommes procurés le compte-rendu préparatoire de ce programme d'intervention en Loire-Bretagne : il faut rappeler que les moulins et riverains sont exclus des débats, n'étant pas représentés en comités de bassin et ne recevant pas les projets de résolution pour une concertation en amont. Dans ce document, l'agence de Loire-Bretagne reconnaît explicitement tous les problèmes de la restauration hydromorphologique (premier poste budgétaire, avant celui des pollutions agricoles ou celui des pollutions domestiques), et en particulier les problèmes de la continuité : manque de prévisibilité des résultats, coûts financiers importants, opposition majoritaire des premiers concernés (riverains et maîtres d'ouvrage), effets négatifs sur les propriétés. Et quelle est la réponse de la bureaucratie de l'eau? On continue de plus belle pour 5 ans! Mais cette gouvernance aberrante et autoritaire est en faillite partout en France : les citoyens ne supportent plus ces gabegies et ces harcèlements des administrations publiques pour des projets inutiles, voire néfastes. 


Depuis 10 ans, la politique de destruction des barrages imposée par l'administration produit des conflits et des divisions au bord des rivières. L'Etat est dans le déni massif de cette réalité, préférant financer des lobbies pour prétendre que sa politique répond à une demande sociale forte et à un intérêt écologique majeur, ce qui est faux (source).

Voici quelques exemples des "freins relatifs aux mesures de restauration hydromorphologique des cours d'eau" relevés dans le document de l'agence de l'eau Loire-Bretagne.

Pifométrie : impossibilité de prévoir les effets des mesures
L’hydroécologie est, de manière générale, un domaine complexe. Le lien entre certaines interventions sur le seul milieu physique, qui souvent n’est pas le seul à être altéré, et la réponse biologique, qui généralement répond à une multiplicité de facteurs anthropiques et naturels, est difficile à mettre en évidence, a fortiori à prévoir.
Les référentiels scientifiques et techniques en termes de typologie de travaux de restauration hydromorphologique sont encore relativement récents et les retours d’expérience existent, mais sont encore insuffisants pour bien prévoir leur efficacité et, surtout pouvoir adapter les modes d’intervention aux contextes locaux pour mieux garantir cette efficacité.

Apprentis sorciers : pas de réel retour sur la pertinence écologique vu le temps de réponse
Les temps de réponse de l’hydrosystème fluvial aux actions de restauration sont variables, très aléatoires dans le temps et dans l’espace, en fonction du type de cours d’eau et de la taille du bassin versant, et ceci indépendamment de l’efficacité intrinsèque de la restauration. Ceci rend difficile l’appréciation de la pertinence – au sens de l’amélioration effective de l’état écologique - des programmes de mesures mis en œuvre.

Tant pis pour le climat : incompatibilité avec la politique publique bas carbone (hydro-électricité)
Des convergences sont à rechercher avec d’autres directives européennes (directive inondation, directive énergies renouvelables, etc.), ce qui peut avoir des incidences sur la réalisation des projets de restauration. Ces incidences peuvent être négatives (réduction du niveau d’ambition, allongement des délais), ou positives (projet à plusieurs objectifs).
Le cas de la Directive énergies renouvelables, dont un des objectifs est le développement de l'hydroélectricité est un exemple significatif des difficultés à faire converger de manière cohérente les politiques publiques, celles-ci étant le plus souvent abordées de manière sectorielle. En effet, les installations hydroélectriques peuvent sur certains territoires avoir un impact majeur sur les milieux aquatiques rendant d'autant plus complexe la mise en œuvre efficace de mesures de restauration de l'hydromorphologie. Par exemple, le relèvement des débits réservés ou la mise en œuvre de régimes hydrologiques plus naturels en aval des grands barrages, s'accompagnent le plus souvent d'une moindre efficacité énergétique.

Gabegies et matraquage économique : coûts financiers excessifs, désengagement des acteurs
Les coûts peuvent conduire à revoir le niveau de l’objectif poursuivi ou à répartir l’effort sur plusieurs plans de gestion et ce d'autant plus que ces dépenses représentent des engagements difficiles dans le contexte économique actuel malgré les aides accessibles.
Par ailleurs, certains acteurs se désengagent progressivement des co-financements des projets de restauration et le 11e programme de l’agence de l’eau Loire-Bretagne est élaboré dans un contexte général de baisse des moyens financiers et humains.

Déni démocratique : forte opposition des riverains à la destruction des ouvrages et des paysages
La faible acceptation de ces interventions et la multitude de propriétaires concernés rendent le travail de concertation long et complexe à la fois pour des opérations ponctuelles et pour les opérations de restauration ne relevant pas d'une obligation réglementaire des propriétaires.
Les interventions de restauration le long des berges touchent à la propriété foncière et sont, dans la plupart des cas, d’abord perçues par les propriétaires privés ou exploitants des parcelles concernées comme allant à l'encontre de leurs intérêts (restauration de la mobilité latérale et donc érosion des parcelles riveraines, augmentation de l'inondabilité sur des secteurs où les lits ont été recalibrés...). Par ailleurs, les riverains sont majoritairement attachés aux ouvrages en lit mineur (moulins, vannages, etc.) et au paysage fluvial pour leurs usages socio-économiques, d'agrément et leur valeur patrimoniale. Les projets de restauration hydromorphologique rencontrent dès lors souvent une opposition de riverains, laquelle s'est structurée et renforcée ces dernières années, ce qui n'avait pas été perçu lors de la définition des précédents programmes de mesures.

Nous rappelons que la politique de continuité écologique, avant tout héritière de demandes halieutiques (non écologiques en soi) centrées sur quelques poissons appréciés de certains pêcheurs, a de nombreux impacts négatifs quand elle est orientée sur la disparition des sites comme c'est le cas aujourd'hui :

  • elle détruit le potentiel hydro-électrique bas carbone donc contrevient aux engagements énergétiques et climatiques de la France,
  • elle détruit des retenues, lacs, étangs, canaux et zones humides favorables au vivant,
  • elle détruit le patrimoine historique et paysager des rivières françaises façonnées depuis 1000 ans par les moulins et étangs,
  • elle laisse des rivières à sec ou à très faible tirant d'eau en été, ce qui va s'aggraver avec le changement climatique,
  • elle représente un coût public considérable qui doit être redirigé d'urgence vers la lutte contre les pollutions diffuses, la mise aux normes des assainissements et des gestions d'eaux pluviales, l'accompagnement vers une agriculture durable,
  • elle est sous-informée scientifiquement et conçue de manière simpliste, car elle a été envisagée pour optimiser la rivière au bénéfice de quelques espèces de poissons sans intégrer la complexité du vivant, l'évolution spatiale et temporelle de la biodiversité, la dynamique hydroclimatique et la diversité des représentations sociales.
La destruction des ouvrages hydrauliques doit être combattue en dehors des cas rares de sécurité et salubrité prévus par la loi, ou bien lorsqu'il y a consensus local des riverains et propriétaires pour engager un autre projet paysager. Seuls des aménagements non destructeurs (vannes, passes à poissons) sont utiles et d'intérêt général, là où il existe un besoin réel sur des espèces rares et menacées dans leur cycle de vie. Avec, bien sûr, le devoir de bonne gestion des ouvrages.

Source : Comité de bassin Loire Bretagne, Séance plénière du 28 novembre 2018.

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