24/06/2020

Sauver le lac de la Roche-Qui-Boit de la destruction sur ordre de l'administration

Des riverains associés sous le nom "Les loutres de la Roche-qui-Boit" appellent Elisabeth Borne, ministre de l'écologie, à stopper la destruction du barrage et du lac sur la Sélune, qui héberge notamment le mammifère aquatique protégé. Ils lancent une pétition en ligne: soutenons-les contre les insupportables casseurs des patrimoines des rivières françaises. Nous devons tourner la page de cette continuité écologique destructrice qui provoque partout des assèchements de milieux, des conflits sociaux et des gabegies économiques. 



Texte de la pétition:

Sauver l'habitat de la Loutre d'Europe en baie du Mont Saint Michel !

À l'heure où les enjeux liés à l'environnement, la biodiversité, sont de plus en plus présents dans les débats publics, la présence de la loutre d'Europe, espèce protégée, dans le lac de la Roche-qui-Boit mais aussi au pied du barrage de la Roche-qui-boit jusqu'au moulin de Quincampoix.. est confirmée et rendue publique en Juin 2019 par arrêté préfectoral - source 

Cette information cruciale n'a été communiquée ni à Chantal Jouanno au ministère de l’environnement en 2009 ni à Nicolas Hulot en 2018 lorsque la décision fut prise d'araser les barrages de la Sélune.

L'un des arguments phares sur laquelle s'appuie cette décision est l'impossibilité pour les poissons migrateurs de circuler librement. Tout cela omettant totalement l'existence d’un piégeage permettant de répondre à la montaison des poissons présents à l'aval de la Roche-qui-Boit, piégeage analogue à ce qui existe depuis 10 ans sur la Garonne - voir la vidéo 

Au delà d'être devenu l'habitat naturel de la loutre, le lac de la roche-qui-boit se trouve être un véritable atout face aux différentes menaces liées au réchauffement climatique. Ce lac est plurifonctionnel. Il répond à la sécurité des sécheresses et de certaines inondations. En effet, les barrages ont l'avantage de ralentir les inondations et d'être utiles pour les prévenir - un petit rappel historique. De plus, l'appauvrissement des sols agricoles, l’arasement des talus et l'urbanisation grandissante depuis plus d'un siècle place plusieurs villages alentours, habitants, agriculteurs, ouvriers, intérimaires, entreprises, bétails sous la menace de crues et de glissements de terrains qui seraient plus importants et plus violents si le barrage n’existait pas. Et tout cela sans compter toute la faune et la flore qui se sont parfaitement réapproprié ce nouvel écosystème créé par le barrage et qui sont aujourd'hui condamnées à disparaître. Ce n'est pas seulement la loutre, c'est tout cet écosystème que nous cherchons à préserver, tout ce qui se développe depuis tant d'années autour de celui ci. 

La biodiversité est aujourd'hui notre meilleure assurance vie !

La loutre animal protégé 
Il serait tout à fait paradoxal d'amener cette affaire au pénal dans l'espoir de réussir à faire classer le lac de la Roche-qui-Boit, habitat des loutres d'Europe, au patrimoine historique, culturel et solidaire. En effet en France la loi est claire : Détruire ou enlever les œufs ou les nids des animaux des espèces protégées, Mutiler ces animaux, les tuer ou les capturer, et perturber intentionnellement ces animaux dans leur milieu naturel est passible de 3 ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende.
Dans le cas où l'infraction serait commise au cœur d'un parc naturel, l'amende est doublée. Sur le plan pénal les entreprises, ouvriers, intérimaires qui participeraient à la destruction de l’habitat de la loutre risquent gros (bande organisée) 
« Le fait de commettre les infractions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 415-3 du présent code en bande organisée, au sens de l'article 132-71 du code pénal, est puni de sept ans d’emprisonnement et 750 000 € d'amende. » - Source

La police judiciaire de l'environnement
Plus que jamais nous devons faire preuve de solidarité et notamment envers la nature. Aidez nous à faire entendre cet appel au Ministère de la Transition Écologique et Solidaire et ainsi à préserver le lac et le barrage de la Roche-Qui-Boit et leur précieuse biodiversité.

Pour plus d'informations ou pour toute demande n'hésitez pas à nous contacter : lesloutresdelarochequiboit@gmail.com 

Pour signer cette pétition et soutenir la défense de la Roche-Qui-Boit, c'est ici

20/06/2020

Qui va définir les services environnementaux justifiant des paiements? (Kolinjivadi 2020)

Les paiements pour services environnementaux (ou écosytémiques), dits PSE, sont à la mode en Europe et émergent en France. La collectivité paie un propriétaire car il adopte des pratiques favorables à l'environnement. Mais dans le forum de la revue Water Alternatives, un chercheur belge souligne que ce procédé est opaque, voire injuste : des bureaucraties expertes tendent à prédéfinir et normaliser ce qu'est un service sans tenir compte des liens intimes que des populations entretiennent avec l'eau ou le sol sur chaque territoire, donc sans intégrer la manière dont les services sont vécus et définis. Nous traduisons ici ce texte intéressant pour le public francophone. Il rappelle que pour beaucoup de chercheurs en sciences humaines et sociales, il n'existe pas de nature coupée de l'humain, mais toujours une nature appréciée et interprétée par l'humain. C'est vrai dans les rapports Nord-Sud, comme rappelé ici, mais aussi bien au sein de chaque société du Nord et du Sud. Nous suggérons que le monde des moulins et étangs, très sensible à cette notion de lien historique et social, réfléchisse aux implications des PSE. Après tout, bien gérer un ouvrage hydraulique et ses dépendances, n'est-ce pas aussi rendre des services aux environnements locaux? Au nom de quoi des experts le nieraient si demain cette réalité est perçue, montrée et revendiquée? Les acteurs des rivières doivent développer ces réflexions nouvelles, car nous entrons dans une période de redéfinition locale et globale des biens communs comme l'eau ou la biodiversité, mais aussi d'évolution de leur gestion. 


Roselière dans l'étang-retenue d'un moulin de l'Ource (21). Cet hydrosytème hérité du Moyen Age héberge de nombreuses espèces (dont la cigogne noire, protégée), contribue à la qualité des milieux aquatiques, permet des agréments locaux. Pourquoi ne pas considérer qu'une gestion attentive de ce type d'ouvrages hydrauliques justifierait de services écosystémiques? Et qui doit en juger si l'on commence à définir des paiements pour de tels services? 

La conditionnalité comme dépossession? 
L'injustice socioculturelle des «paiements pour services écosystémiques» (PSE)

"Les «paiements pour services écosystémiques» (PSE) [NDT : en français, souvent appelés paiements pour services environnementaux] ont été salués comme des accords volontaires visant à indemniser les individus pour les «services écosystémiques» (désormais SE) qu'ils fournissent à d'autres. Le PSE vise à aligner les avantages privés et publics de la conservation et a été particulièrement populaire comme mécanisme pour améliorer la qualité de l'eau en encourageant les pratiques d'utilisation des terres qui réduisent la sédimentation ou la contamination des sols aux frontières des zones agricoles. Les PSE dans les bassins versants fonctionnent le plus souvent en encourageant les utilisateurs des terres à adopter des pratiques d'utilisation spécifiques qui protégeront les sols (par exemple, retirer les terres en pente de la production ou le reboisement pour empêcher l'envasement des réservoirs), ou la qualité des eaux souterraines (par exemple, en limitant l'utilisation de nitrates pour préserver la potabilité de l'eau de source). Les paiements sont souvent déterminés en égalant ou en dépassant le coût d'opportunité économique du changement de pratiques d'utilisation des terres. Les paiements sont généralement distribués individuellement aux ménages participants ou, dans certains cas, aux communautés d'utilisateurs des terres, comme dans le cas du programme mexicain de paiement des services hydrologiques. 

L'évaluation des projets de PSE repose sur la notion de "conditionnalité", ce qui signifie que les paiements aux utilisateurs des terres dépendent de la preuve que le SE (par exemple, une meilleure qualité de l'eau) a été atteint ou, plus fréquemment, que l'utilisation convenue des terres selon les pratiques qui servent de base à l'accord a été mise en œuvre. Que les projets de PSE atteignent ou non leurs objectifs, le cadre de ces accords et les relations homme-nature qu'ils représentent ont de nombreuses ramifications cachées, et même insidieuses. Ce sont ces préoccupations que cette intervention aborde.

Les relations sociales intimes entre les gens et leur territoire
Dans son essai de 2014, "Qu'est-ce que la terre?" l'anthropologue Tanya Murray Li a écrit sur la façon dont la «terre» est assemblée en «ressource» par un réseau sophistiqué de scientifiques, d'investisseurs, de techniciens, de responsables gouvernementaux et d'acteurs non gouvernementaux. Grâce aux efforts de ces experts, la «terre» et «l'eau» deviennent des ressources tangibles à gouverner par l'attribution de droits de propriété. Pourtant, la terre, et en fait l'eau, ne sont pas des objets solides qui peuvent être, selon les mots de Li, enroulés comme une natte. Ils offrent ce qu'elle appelle des «opportunités» [affordance] ou des relations sociales intimes entre les gens et leur territoire. Ces opportunités reflètent la notion d'abondance et elles sont imprégnées de cultures qui ont généré des interactions significatives avec l'environnement vivant et non vivant, à des moments et des endroits spécifiques, et à travers des histoires de mémoire collective transmises depuis des temps immémoriaux. Un attachement ou un sentiment d'appartenance à la terre et aux eaux crée des identités sociales, qui à leur tour façonnent les possibilités infinies qu'offre la terre. Tout comme la matérialité fluide de l'eau elle-même, les opportunités qui caractérisent les relations homme-nature sont toujours émergentes, toujours transformantes, mais toujours présentes.

Lorsque les avantages de la terre ou de l'eau pour les personnes sont définis comme des services écosystémiques (SE) «d'approvisionnement», «régulateurs» ou «culturels», un certain degré de cette intimité et de la fluidité matérielle et sociale des relations homme-nature devient fixé artificiellement dans le temps et l'espace. Bien que cela puisse être fait pour des raisons politiques et économiques, les relations émergentes de ces "opportunités" sont disciplinées en catégories stériles rendues lisibles pour cartographier et attribuer des valeurs monétaires à des bassins versants plus "multifonctionnels". Les résultats écologiques sont ensuite évalués par la modélisation technique et la manipulation de ces catégories SE abstraites et proclamés comme une "science" à part entière, approuvés et légitimés par le biais de forums scientifiques et politiques comme le Groupe d'experts intergouvernemental sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Dans le processus, la diversité épistémologique et ontologique est réduite à des constructions sociales faciles à catégoriser comme SE. Cette objectivation est largement imposée par un lien entre des universitaires du Nord, des agences d'aide multilatérale et des consultants financés par le Nord. Cela signifie que l'injustice et l'iniquité dans les politiques de "services écosystémiques" seront à la base de leur fonctionnement, plutôt que quelque chose qui peut être résolu par une conception et une mise en œuvre plus inclusives.

Le PSE va encore plus loin dans cette violence épistémique. Après avoir déjà présumé que les SE sont des réalités scientifiques objectives qui peuvent être identifiées, mesurées, cartographiées et accordées sans équivoque, les systèmes de PSE tentent d'engager des négociations entre les utilisateurs des terres et de l'eau en introduisant des incitations idéalement alignées sur le coût d'opportunité économique de leur "livraison." Ce qui a commencé comme une reconnaissance des formes intimes de connexion et de relations avec la terre et l'eau se termine par leur objectivation en tant qu'ES et, par la suite, l'échange de ces valeurs par des incitations économiques.

Cela ne signifie pas que les paiements ne peuvent pas être avantageux. Ils peuvent l'être s'ils engendrent de nouveaux types de relations sociales qui se fondent sur l'intendance de la terre et de l'eau. Les facteurs qui conduisent à ces résultats potentiellement positifs refléteront la manière dont les incitations répondent aux besoins individuels et collectifs des utilisateurs des terres et de l'eau. Cependant, en supposant que des paiements peuvent être effectués pour "fournir" efficacement des moyens de subsistance, on n'apprécie pas le déroulement dynamique des relations homme-nature qui sont continuellement mises en place. De telles relations ne peuvent pas être "livrées" car elles sont immédiatement modifiées dès qu'elles sont objectivées et inscrites dans une transaction PES conditionnelle. Une bonne analogie ici est l'amitié. Une amitié émerge souvent spontanément de l'attention et de l'affection. Mais que se passe-t-il si une amitié n'est faite pour "exister" qu'à la remise conditionnelle d'une liste de contrôle de ce qui compte comme amitié? Cette amitié changerait sûrement son caractère dans le second par rapport au premier.

Ainsi, la question se pose alors: si les SE sont créés par un cadre d'experts externes qui tentent de traduire les ressources foncières et l'eau profondément situées et souvent intangibles en "ressources" plus facilement manipulables, par exemple, "la gestion des bassins versants", alors qu'arrive-t-il aux affinités qui se perdent dans cette traduction? Qu'arrive-t-il aux régimes fonciers coutumiers fonciers et hydriques qui impliquent diverses manières de connaître la terre et l'eau, et qui ne peuvent pas être compris comme des "ressources" économiquement excluables ou rivales comme le sont des constructions comme les crédits de carbone ou les permis d'échange de la qualité de l'eau? Ainsi, l'impératif d'exiger la conditionnalité dans les PSE modifiera inévitablement les opportunités qui façonnent et sont elles-mêmes façonnées par les pratiques socioculturelles. Cette altération peut risquer de déposséder les gens de ces avantages ou elle peut en générer de nouveaux; mais leur caractère changera inévitablement malgré tout.

Des experts "externes" déterminant les services ou une autonomie culturelle?
Cette nuance est à peine reconnue par les théoriciens du PSE, qui restent déterminés à privilégier la stricte conditionnalité écologique à la «prestation des SE» par-dessus tout, avec peu de considération pour l'équité sociale ou la justice. La perversité de la conditionnalité réside dans la séquence: a) identifier d'abord les avantages de la nature pour des personnes spécifiques (plus souvent déjà prédéterminés comme SE par des "experts" externes) et ensuite b) licencier efficacement ces mêmes personnes en exigeant que les avantages de cette nature soient prioritaires avant tout pour assurer la soi-disant efficacité écologique des PSE. Cela est particulièrement problématique lorsque les catégories de SE ne sont même pas à discuter dans des mécanismes de financement durable à grande échelle financés par le Nord comme le Fonds vert pour le climat. Les mécanismes de financement internationaux comme REDD + qui tentent de «regrouper» les SE, pour la séquestration du carbone, la qualité de l'eau et la biodiversité, tournent déjà et traitent des SE abstraits, limitant la discussion uniquement à la manière dont la conditionnalité peut être réalisée plus efficacement.

Les SE peuvent en effet servir d'outil pédagogique pour illustrer à quel point les usages de la terre et de l'eau sont plus que ce qui semble à première vue. Mais pour certaines personnes, en particulier les communautés autochtones qui ont maintenu des relations relativement harmonieuses avec leurs terres et leurs eaux, cette reconnaissance et cette codification n'ont pas besoin d'être explicitées - et surtout pas par les "experts" du Nord. En plus de perpétuer les héritages coloniaux peu recommandables dans la hiérarchisation des connaissances occidentales sur les autres, cela peut avoir l'effet contre-intuitif de réifier les relations socio-écologiques qui existent, qui existent. De telles relations n'ont pas besoin d'être expliquées et simplifiées dans des récits occidentaux, et encore moins regroupées en paiements conditionnels alignés sur les coûts d'opportunité économiques.

Si les érudits et les praticiens de (P)SE sont prêts à céder leur place ici, ils pourraient en venir à percevoir comment les négociations incitatives sont monnaie courante pour les utilisateurs des terres et de l'eau naviguant constamment entre le désir d'une plus grande autonomie culturelle sur leurs terres et leurs eaux et les impératifs des ouvertures de l'État et du marché, qui les obligent à considérer les opportunités de la terre et de l'eau comme des «ressources». Une plus grande attention aux premiers peut aider à identifier comment les incitations peuvent favoriser une plus grande cohésion sociale et une meilleure appropriation de la génération d'opportunités nouvelles sur la terre et l'eau. Cependant, tant que la communauté (P)ES continuera de poursuivre ce dernier, l'injustice et l'iniquité dans ces programmes et politiques seront à la hauteur.

Vijay Krishnan Kolinjivadi

Vijay est chercheur post-doctoral à l'Institut des politiques de développement (IOB) de l'Université d'Anvers (Belgique). Écologiste de formation et titulaire d'un doctorat sur les dimensions sociopolitiques de la gestion intégrée des ressources en eau, ses recherches se concentrent sur les intersections de l'économie écologique et de l'écologie politique pour comprendre la complexité socio-écologique. Il effectue des recherches théoriques et empiriques sur les initiatives des PSE depuis plus d'une décennie.

Référence: Li, T.M. (2014), What is Land? Assembling a resource for global investment. Transactions of the Institute of British Geographers 39, 4, 589-602.

Source de ce texte (anglais) Les intertitres sont de la rédaction.

A lire également venant du Water Alternatives Forum
Hydrocratie, une dérive autoritaire de la gestion écologique des rivières?

16/06/2020

"Les experts sont formels"... mais quels experts? Au service de quels pouvoirs, quelles idéologies, quels intérêts?

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la politique française de destruction des moulins et étangs a été décidée sans aucune analyse scientifique approfondie de ces patrimoines, leurs usages, leurs milieux, leurs enjeux de riveraineté. Dans un schéma idéal, un pouvoir politique réunit tous les experts d'un sujet, avec les représentants des citoyens concernés, pour prendre des décisions avisées et informées. Si les données manquent, elles font l'objet de programmes scientifiques de recherche. Mais cela ne se passe pas ainsi en France. Des experts administratifs ont prétendu détenir le seul savoir légitime pour faire de la démolition des ouvrages en rivière une politique d'Etat se disant fondée sur "la" science. Or c'est faux, une petite fraction seulement des connaissances a été mobilisée pour appuyer cette politique, avec des biais constants en faveur d'une seule dimension des rivières ayant été érigée en dogme. Comme beaucoup de citoyens, nous perdons confiance dans une parole publique incapable de reconnaître ses préjugés et ses limites. L'organisation de l'expertise, son rapport au décideur et à la société doivent changer: nous vivons en démocratie, pas en expertocratie.  La conséquence est que les associations de riverains et protection des patrimoines menacés doivent désigner et interpeller le pouvoir là où il est réellement: chez ceux qui fabriquent des normes sans passer par le suffrage démocratique.



Comme l'ont fait remarquer de nombreux observateurs en France, la crise du covid-19 a aussi été une crise de l'expertocratie d'Etat. Elle n'avait pas vu venir le risque d'une pandémie malgré des signaux d'alerte avec les variantes de la grippe et les syndromes respiratoires type SRAS ou MERS. Elle a tenu des discours assez contradictoires sur la nécessité de porter le masque pour se protéger, ce qui était évident en Asie depuis longtemps mais n'a été reconnu qu'à reculons en France. Elle a montré une certaine lourdeur et complexité dans la réponse aux événements, conduisant finalement à des solutions plutôt coûteuses et mal vécues. Les traitements de la maladie ont pour leur part donné lieu à des controverses à rebondissement entre scientifiques.

Il est difficile de prévoir et gérer les crises. Et même de gouverner hors des crises. Le problème: loin d'avoir l'humilité de le reconnaître, l'expertocratie administrative française se pique d'une excellence assortie d'une certaine arrogance, répugne à reconnaître ses erreurs et prétend au monopole du savoir légitime en choix publics. Cela ne date pas d'hier, la monarchie avait déjà déjà créé des corps d'experts pour justifier ses choix... dont les eaux et forêts.

Nous rencontrons ce même problème dans la politique de l'eau, menée aux dires d'experts que certains observateurs ont appelé une "hydrocratie". Des savoirs écologiques incomplets ont ici été érigés en dogmes. Des paradigmes ont été choisis sans réel débat et sans recul critique. La question est évidemment importante, car l'écologie définit des politiques publiques appelées à se déployer au cours de ce siècle : de mauvaises bases ne produiront qu'un mauvais édifice. Hier, à l'époque des 30 glorieuses, les mêmes experts d'Etat appuyaient par "la science" des options productivistes et polluantes dont on nous dit qu'elles sont mauvaises. Mais en ce cas, pourquoi les croire aujourd'hui? Pourquoi ne pas faire l'hypothèse que les préconisations actuelles sont aussi erronées que celles d'hier, quoiqu'encore justifiées par le même argument d'autorité de "la science"?

Un mot d'abord sur l'expertocratie d'Etat. Qu'y a-t-il derrière cette expression un peu abstraite?

En France, une expertocratie administrative peu débattue et peu transparente
La France présente un système politique très centralisé (jacobin) fondé sur l'idée que les ministères, leurs cabinets, leurs directions administratives centrales et leurs antennes territoriales (dans cet ordre hiérarchique) doivent mener la politique du pays dans tous les domaines. Dans cet idéal de gouvernement, les choix ne sont pas réalisés par des compromis empiriques locaux et les enseignements sur les réalités observées — des tests qui se généralisent s'ils sont réussis ou sont abandonnés s'ils échouent —, mais à partir de la définition rationnelle d'un intérêt général par un petit nombre de personnes estimant avoir une vue englobante des réalités. Ces personnes, ce sont les "experts" dont nous parlons (parfois aussi nommés les "sachants" sur ce site).

Les experts construisent un certain discours de la réalité et informent les décideurs par ce discours. En général, les politiques qui ont de nombreux dossiers à traiter et ne peuvent creuser par eux-mêmes chaque sujet s'appuient sur l'expertocratie administrative en France.

Dans la politique des rivières, nous avons un personnel administratif qui se pose ainsi en détenteur du savoir légitime public, opposable aux tiers (élus, usagers, citoyens). Ce point commence à être traité par des chercheurs en sciences humaines et sociales, ainsi qu'en sciences de l'environnement, dont les conclusions sont assez convergentes (lire par exemple les livres de Germaine et Barraud 2017, Bravard et Lévêque 2020, les articles de Dufour et al 2017, Sneddon et al 2017, les thèses de De Coninck 2015, Zingreff-Hamed 2018, Perrin 2018, Drapier 2019)

Les experts prétendant au monopole de la représentation "sachante" de la rivière sont en particulier:
  • des personnels de la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) au ministère de l'écologie et de ses services déconcentrés (DREAL de bassin, DDT-M)
  • des personnels des agences administratives spécialisées (agence de l'eau, OFB office de la biodiversité)
  • des acteurs qui gravitent autour de ce pouvoir administratif, notamment car ce pouvoir étendu en France a la capacité de sélectionner ses interlocuteurs privilégiés, d'attribuer des agréments d'utilité publique et de débloquer des financements pour asseoir ses politiques (par exemple ONG, associations comme la pêche ou la gestion des migrateurs, bureaux d'études privés, syndicats de rivière, mais aussi une partie des dotations de laboratoires de recherche en université, EPST ou EPIC).

Le système français de fabrique des normes par des expertises administratives, cas de la continuité dite écologique des cours d'eau. En bleu, le coeur du système. Il dispose d'un pouvoir réglementaire et financier. Il informe les élus sur des sujets techniques où ces élus n'ont généralement pas de temps ni de compétence à analyser le fond, donc accordent a priori confiance aux conclusions. Mais cette expertocratie en vase clos induit diverses dérives : confusion entre science et croyance, simplification de savoirs pour soutenir des orientations de programmes publics, tendance à l'endogamie intellectuelle, au biais de sélection des données et au biais de conformité collective, résistance au changement si des choix sont contestés, non confrontation aux citoyens qui subissent les conséquences des choix opérés, etc.

Experts et chercheurs: pas le même rôle, mais des passerelles
Si les experts ont une formation scientifique ou universitaire, ce ne sont pas pour autant des chercheurs, qui eux produisent de la connaissance à partir de canons méthodologiques (généralement) plus rigoureux. L'expert se distingue notamment du chercheur car il est en lien direct avec un pouvoir de décision, avec les contraintes de ce pouvoir. L'expert décide à un moment donné de la connaissance mobilisable pour l'action, alors que le chercheur considère la connaissance comme non finie, toujours incomplète et en construction.

Il faut noter que des chercheurs participent à l'expertise d'Etat dans le domaine de l'eau. Mais l'expertocratie ne va pas retenir tout ce que dit le chercheur, ni surtout convoquer tous les chercheurs pertinents pour un domaine. Un scientifique est (généralement...) prudent dans ses assertions, et la science s'exprime de plus en plus souvent de manière collégiale, en précisant ses niveaux de certitude et les limites d'application des connaissances. Quand on lit bien les avis de chercheurs s'exprimant es qualités (en engageant leur fiabilité par rapport à leurs pairs et à la société), on observe le plus souvent des mises en garde sur le manque de données, le manque de robustesse de certaines conclusions, le manque de convergence de tous les scientifiques, la nécessité de travaux supplémentaires. Nous avions montré un exemple de tensions sur le cas de la Loue, quand des chercheurs et des experts ont exprimé quelques divergences dans les échanges, notamment dans la tentation des experts de vouloir affirmer des conclusions sans base très solide. Les réserves des chercheurs sont gommées par les nécessités de l'expertocratie au service du politique : il faut trancher en vue de la décision, taire les hésitations, insister sur des points présentés comme des croyances fortes non contradictoires.

Dans un des seuls rapports de synthèse sur l'impact des petits ouvrages (Souchon et Malavoi 2012, Le démantèlement des seuils en rivière, une mesure de restauration en vogue, Onema-Irstea, 96 p. non disponible en ligne à date), on peut lire par exemple (p. 24) :
"Si les impacts des barrages sont relativement bien connus, il existe assez peu d’études et de publications scientifiques concernant les effets des seuils. Un article récent (Cziki et Rhoads, 2010) indique clairement le besoin urgent de recherche scientifique sur les impacts physiques et écologiques de ces petits ouvrages"
Concrètement, cela signifie que la recherche ne peut pas se prononcer : aucun scientifique sérieux ne prétend donner des orientations robustes sur un sujet dont il reconnaît qu'il est très peu étudié. Les auteurs de cette synthèse listent et commentent des travaux qui concernent pour l'essentiel des barrages, et les quelques cas rares de suivis scientifiques sur des seuils ne permettent certainement pas de généraliser. Au demeurant, le même texte conclut (p. 76) sur "la reconnaissance de la spécificité de chaque bassin tant d’un point de vue physique, chimique ou écologique. La complexité des systèmes et la mise en place des méthodes d’analyse diverses se traduisent par des difficultés pour développer des approches génériques."

Pourtant, une note de la DEB du ministère de l'écologie comme plusieurs agences de l'eau dans leurs SDAGE décrètent que l'effacement est forcément la meilleure solution a priori et qu'il doit bénéficier du soutien maximal en argent public. L'expertocratie filtre et retient ce qu'elle a envie de retenir... tout en prétendant qu'elle est neutre, objective, "fondée sur la science".

Enfin, comme l'a observé un chercheur hydro-écologue ayant participé lui-même à des travaux d'expertise, l'écologie n'est pas toujours à l'aise avec les frontières entre la neutralité scientifique d'une démarche de connaissance et des points de vue plus subjectifs sur ce que devrait être la qualité de la nature et des cours d'eau (voir Lévêque 2013). L'écologie de la conservation en particulier se présente à sa fondation comme une science engagée sur son objet (protéger le vivant selon une certaine vision de la nature), ce qui ne favorise pas toujours le recul et la neutralité des méthodes, ou celle des conclusions.

La politique de destruction des ouvrages, exemple de dérive de l'expertocratie
Sur la question des ouvrages hydrauliques, il existe une expertocratie française et européenne. La seconde travaille dans le cadre de la direction générale de l'environnement de la commission européenne et de l'agence européenne de l'environnement (sur les problèmes de construction de la DCE par une expertise très limitée et une logique d'efficience par métrique, voir Loupsans et Gramaglia 2011, Bouleau et Pont 2014, Bouleau et Deuffic 2016). Nous nous concentrerons ici sur les choix français.

Qu'avons-nous observé depuis les années 2000?

- L'expertocratie d'Etat a choisi un paradigme d'orientation - la rivière comme phénomène naturel, biophysique, devant être lue à travers l'écologie - ce qui l'a privée de la complexité de son objet (la rivière est aussi une construction sociale et historique, un rapport de pouvoirs, on ne peut la réduire à sa naturalité). La même expertocratie pouvait défendre encore une génération plus tôt le paradigme fort différent de la rivière comme ressource exploitable. Un problème est justement que par cohérence de sa politique et de ses services, l'administration d'Etat et ses antennes territoriales cherchent à faire primer une seule vue.

- L'expertocratie d'Etat a pris une orientation normative à effet concret - l'ouvrage hydraulique est mauvais, il doit idéalement disparaître - et elle a incité l'ensemble des instances concernées à prendre cette seule direction. L'organisation en silo des administrations pousse à ces logiques mono-directionnelles, l'expertise des administrations de l'écologie ignorant ce que peuvent dire celles de la culture, par exemple.

- L'expertocratie d'Etat a fondé sa décision sur le choix sélectif de certaines connaissances (en halieutique et en écologie de la conservation surtout), elle a évacué (c'est-à-dire ignoré, minimisé, signalé mais sans en inférer de changement) toutes les autres connaissances qui pouvaient affaiblir son message, de même qu'elle a sous-estimé les réserves de prudence dans la science (par exemple sur les échecs nombreux en restauration morphologique, ce qui aurait dû induire une phase expérimentale plus rigoureuse avant de généraliser).

- L'expertocratie d'Etat a ignoré les objections et critiques venant du terrain, présumées être l'expression d'intérêts particuliers ou de savoirs non légitimes, risquant de mettre en cause le simulacre de consensus nécessaire à la communication publique.

- L'expertocratie d'Etat a tenu des discours à géométrie variable en raison des poids des lobbies avec qui elle est en discussion, opposant aux ouvrages anciens (moulins, étangs) un strict discours naturaliste de retour à une forme antérieure de rivière libre sans humain, mais se gardant d'opposer la même rigueur aux usages qui ont totalement artificialisé et parfois pollué les bassins versants. Cela alors même que cette dimension de bassin versant est reconnue depuis longtemps comme la clé de compréhension des hydrosystèmes et de leurs dynamiques.

- L'expertocratie d'Etat a mis en avant des arguments douteux voire faux (auto-épuration des rivières, par exemple), organisé des omissions volontaires (biodiversité hors poissons migrateurs ou biodiversité des milieux anthropisés, par exemple) et de manière générale négligé le fait qu'il n'existe que très peu de recherche de terrain avec données suffisantes sur les moulins, étangs et autres patrimoines anciens ayant créé des milieux depuis plusieurs siècles.

- L'expertocratie d'Etat a souvent requis le même personnel qui s'occupe du même sujet depuis 10, 20, 30 ans parfois (notamment autour des questions d'halieutisme et de poissons migrateurs), entraînant un conservatisme des croyances de groupe au sein des administrations, un manque de réactivité à l'évolution des sciences et un biais de confirmation interne par défaut d'ouverture sur la société au-delà des interlocuteurs choisis.

- L'expertocratie d'Etat a organisé le financement de tout ce qui pouvait conforter son message, plutôt que financer des contre-expertises ciblées à protocole ouvert et co-construit pour tester si son choix est réellement robuste.

Le résultat de tout cela est que sur les rivières comme un peu partout ailleurs, l'expertocratie s'est coupée de la société sur la question des ouvrages hydrauliques. Elle a divisé et conflictualisé les acteurs (satisfait certaines fractions de la société et braqué d'autres). Elle est devenue inaudible et non crédible car perçue comme un pouvoir biaisé qui défend sa propre logique sans être capable de débats sincères.



L'argument circulaire des "résultats démontrés" et la négation des données que l'on ne veut surtout pas mesurer
On pourrait répondre qu'après tout, cette confiscation de l'expertise d'Etat par une certaine approche disciplinaire correspond à une demande sociale (davantage d'écologie) et à des résultats tangibles. On met alors en avant que le démantèlement des ouvrages hydrauliques mène bel et bien à l'apparition de nouveaux habitats à la place des retenues et au retour local de certaines espèces, dont les poissons migrateurs.

Ce point sur la restauration des migrateurs demande à être vérifié à long terme, car certaines actions menées pendant plusieurs décennies ont des mauvais bilans à date (par exemple le saumon de l'axe Loire-Allier) et les chercheurs ne trouvent pas forcément de signaux clairs sur l'évolution des migrateurs en France depuis 35 ans (voir Legrand et al 2020). Toutes choses égales par ailleurs, effacer une barrière physique à la migration favorise la migration (c'est un truisme), mais rien ne dit que les barrières concernées (surtout celles des ouvrages anciens) soient le premier problème à long terme de ces espèces par rapport au réchauffement, à la pollution, à la surpêche, aux invasives, à l'introgression génétique, à la baisse de la ressource en eau pour le vivant au bénéfice des usages humains de l'eau. L'abondance passée des migrateurs dans la nature du 15e ou du 10e siècle ne peut de toute façon pas être la référence dans la nature du 21e siècle, qui n'a plus les mêmes paramètres physiques, chimiques et biologiques.

Mais le caractère incertain des résultats est presque secondaire. Le problème est surtout que ce raisonnement est circulaire : l'expertise définit ce qu'il faut entendre par un bon résultat, elle fixe les métriques de calcul de ce seul résultat, elle conclut le cas échéant que le résultat est atteint.

Dans le cas des démantèlements d'ouvrage, de nombreuses choses ne sont justement pas mesurées car l'expertocratie a évacué ces mesures (soit de bonne foi par spécialisation disciplinaire, soit de mauvaise foi pour asseoir une autorité politique).

Par exemple, on ne mesure pas aujourd'hui en routine:
  • la biodiversité bêta et gamma à échelle tronçon et bassin (et non site),
  • la perte en espèces lentiques des retenues et en espèces résidentes des biefs (canaux),
  • les espèces animales et végétales autres que les poissons, dont certaines pourtant protégées et menacées,
  • la rétention annuelle totale d'eau du bassin (surface et nappe) avec ou sans ouvrages,
  • la valeur historique et archéologique des sites,
  • l'appréciation paysagère des sites et rivières par les riverains,
  • le bilan carbone des opérations,
  • le bilan chimique des opérations en épuration de polluants et remobilisation de sédiments pollués,
  • la valeur foncière des parcelles riveraines avec ou sans plan d'eau,
  • l'analyse coût-avantage de la même dépense publique pour d'autres postes, par exemple la continuité latérale et création de zones humides au lieu de la continuité longitudinale.
Une partie de ces éléments non mesurés aujourd'hui relève aussi de l'écologie et du rapport des citoyens à la nature vécue. Une autre partie relève des dimensions multiples de l'eau, non réductible à un phénomène biophysique ni à une dévotion naturaliste.

En ne mesurant pas tout cela, on évacue la possibilité d'un débat démocratique sur ces grandeurs inconnues. On choisit de mettre en avant certains non-humains (le saumon, la truite, l'anguille, le libre flot...) en ignorant d'autres non humains vivants (la libellule, le brochet, le crapaud, l'aulne...) ou non vivants (le barrage, la chute, le plan d'eau...). Le choix d'un paradigme naturaliste et spécialisé évacue la réalité de la société qui, au mieux, ne doit plus perturber une nature idéale telle qu'elle serait... sans humain!

Des chercheurs ont commencé à analyser ces carences des expertises administratives en France (voir par exemple Dufour et al 2017, Perrin 2019), mais sans évolution notable des pratiques.

La révision de l'expertise est une urgence pour refonder la confiance dans la parole publique
Nous devons changer en profondeur cette manière de construire les choix publics en France. Non pas qu'il existe une solution magique pour ne jamais se tromper ou pour satisfaire toutes les options :  justement, c'est une erreur fondatrice de l'expertocratie d'Etat, croire qu'il existe une seule vision de la hiérarchie des problèmes, une seule solution définissable a priori et un seul concile d'experts pour déterminer cela.

Pour revenir à une politique des rivières apaisée, et retrouver confiance dans la parole des autorités publiques, il faudra plusieurs conditions.

Une expertise collégiale et multidisciplinaire : on s'enferme à penser que l'écologie est affaire des écologues, l'agriculture des agronomes, l'économie des économistes etc. La réalité est complexe et hybride, l'approche par les savoirs doit l'être aussi. Un ouvrage hydraulique par exemple intéresse l'hydrologue, l'écologue, le limnologue, le sociologue, l'historien, le géographe, l'économiste, le juriste. Et plus encore les complexes d'ouvrages au sein d'un bassin versant. Avant de décider sur l'ouvrage hydraulique, ces savoirs sont requis et organisés si les données manquent. Cela n'a jamais été le cas en France, ou de manière totalement marginale par rapport aux budgets de la seule dimension écologique au sens biophysique.

Une expertise démocratisée et participative : quand on vise des décisions qui changeront la vie des citoyens, on écoute les citoyens, on analyse leurs expériences et leurs idées. Non seulement leurs associations, mais aussi des citoyens tirés au sort qui évitent le biais des acteurs sociaux engagés mais non représentatifs de la réalité sociale. Les bassins versants doivent avoir des assemblées de délibération réellement actives (ayant des enjeux de décision, non de simple enregistrement) et mener des travaux de type "jurys citoyens". La recherche scientifique appliquée dialogue avec la société sur l'objet d'application de cette recherche, en écoutant les objections et en y répondant de manière informée, non par argument d'autorité.

Une expertise non court-termiste : tant que nous serons dans une logique d'urgence où d'innombrables décisions doivent être prises très vite, sur la base de métriques chiffrées et faciles à cocher, il sera impossible d'avoir un travail serein. On voit ce travers partout : personne ne prend de recul car il faut aller toujours plus vite, les informations produites n'ont pas le temps d'être lues et assimilées, les échanges se réduisent à des positions superficielles, donc souvent conflictuelles. La programmation publique (française comme européenne) doit être plus modeste dans ses ambitions, mais du même coup plus solide et durable dans sa conception.

Une expertise locale et globale : un problème n'a pas qu'une solution, même si cette idée déplaît à la culture d'uniformité de l'administration française (voire parfois des citoyens français). En écologie, c'est assez évident : le vivant est fait de lieux et de liens, tout est contexte, différence et contingence, on doit d'abord étudier les milieux pour comprendre leur état et leur dynamique. Ce n'est pas depuis un centre unique que se prennent toutes les évaluations, mais sur chaque terrain cohérent avec le périmètre des décisions que l'on veut prendre. Pour autant, l'expertise n'est pas un exercice arbitraire: elle a aussi de bonnes pratiques et des méthodologies. Donc les analyses locales doivent avancer en s'informant mutuellement et en enrichissant des référentiels communs.

Une expertise transparente et responsable : enfin, l'expertise ayant acquis un poids considérable dans la décision démocratique des sociétés complexes, elle doit engager aussi sa responsabilité en pleine transparence. L'expert ne peut avoir un pied dans la politique en assumant que son savoir est orienté vers des décisions ayant des conséquences sur l'existence des citoyens et un pied hors de la politique en affirmant qu'il est neutre, indemne de toute préférence, faisant juste un travail de calcul. Il doit donc être non seulement possible, mais même tout à fait courant d'interroger l'expert dans le débat démocratique, en particulier de lui demander des explications sur ses travaux dans des enceintes de délibération publique.

En attendant que ces bonnes pratiques se répandent, les associations des riverains et des ouvrages hydrauliques doivent sensibiliser les élus aux carences démocratiques de l'expertise administrative des rivières et aux contradictions de celle-ci. Il existe en France une remise en question de plus en plus large de la confiscation du pouvoir par une technostructure qui n'est plus capable d'entendre son pays. Hélas, notre expérience sur les rivières appuie ce diagnostic. Ne nous trompons de sujet : ce n'est pas telle politique ou telle autre qui est devenue un problème sur les rivières (et d'autres domaines sans doute), mais le fait que la politique s'est inscrite dans l'expertise elle-même sans que cela fasse l'objet d'information sincère des citoyens et de débat démocratique sur les choix des experts.

14/06/2020

L'état écologique des cours d'eau a régressé depuis le dernier SDAGE Loire-Bretagne, un échec majeur

Le bassin Loire-Bretagne a été pionnier pour engager des démantèlements de barrages en vue de faire revenir des saumons... qui ne sont généralement jamais revenus dans les tête de bassin de Loire et d'Allier, sauf sous forme de saumons d'élevage subventionné aux frais du contribuable. Ce même bassin tout acquis depuis 30 ans au dogme de la destruction des ouvrages hydrauliques vient de publier les résultats catastrophiques de son état des lieux des rivières et autres masses d'eau. Ainsi, les rivières en bon état écologique DCE sont 24% seulement en 2019, en baisse de 2 points par rapport au bilan quinquennal précédent. L'état chimique ne parvient toujours pas à être mesuré correctement de l'aveu de l'agence de l'eau. Et tout cela pour plus de 300 millions € de dépenses publiques par an. Au lieu de détruire des ouvrages, l'agence de l'eau doit urgemment mobiliser ces moyens sur ce que toute la littérature scientifique désigne comme causes majeures de dégradation de l'eau et des milieux: usages des sols du bassin versant, pollutions chimiques, excès de prélèvement de la ressource.  



L'agence de l'eau Loire-Bretagne a — discrètement — publié l'état des lieux de ses eaux de surface et eaux souterraines, noyé au sein d'un compte-rendu des délibérations de son comité de bassin.

Les résultats sont franchement mauvais par rapport aux objectifs de la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE 2000).

- 24 % seulement des cours d'eau sont en bon ou très bon état écologique, alors que l'objectif était 100% en 2015 (prorogé 2021, prorogé 2027);

- les cours d'eau sont notamment déclassés en raison du carbone dissous COD (46 %), du phosphore (phosphore total pour 33 % et PO4 3- pour 19 %), des pesticides (29%), du taux de saturation en oxygène (32 %) et l'oxygène dissous (23 %), des nitrates (7,5 %);

- l'état chimique est toujours mal caractérisé, 20 après l'adoption de la DCE, l'agence reconnaissant : "force est de constater que si de gros progrès ont été faits depuis maintenant 15 ans, il est encore impossible de définir un état chimique avec certitude" ;

- dans la présentation assez obscure qui est en faite, il est ressort que des polluants ubiquistes comme les HAP (résidus de combustion) ou le mercure atteignent un niveau déclassant de qualité dans la plupart des mesures réalisées. De même, une contamination généralisée des sédiments par l'un ou l'autre des polluants hydrophobes (plomb, nickel, cadmium, DEHP, 4-ter-octylphénol et certains hydrocarbures aromatiques polycycliques) est observée.

- les cours d'eau en bon état écologique étaient estimés à 26% voici 5 ans, 24% aujourd'hui. L'agence de l'eau explique cela par de meilleures mesures... ce qui n'explique rien, sinon que les chiffres avancées manquaient de rigueur.

A ce triste bilan, les rédacteurs de cet état des lieux préparatoire du SDAGE 2022 ajoutent des assertions générales fantaisistes sur les ouvrages hydrauliques, ne prenant aucun enseignement des travaux de recherche publiés depuis 10 ans à ce sujet, continuant à véhiculer diverses assertions inexactes et trompeuses, dressant un portrait à charge dénué de toute mesure de terrain et de toute référence scientifique.

Ce comportement est proprement scandaleux, l'expertise administrative égare ici les élus et les citoyens.

Alors que le gouvernement a demandé une "politique apaisée de continuité écologique", un certain nombre de fonctionnaires de l'eau ne changent manifestement rien de leurs mauvaises habitudes et de leurs mauvais choix ayant donné de si piètres résultats. L'association Hydrauxois et ses consoeurs de la CNERH préparent donc une saisine du préfet, du comité et des parlementaires de bassin Loire-Bretagne pour faire constater ce problème manifeste et exiger une préparation du SDAGE 2022 montrant un minimum de rigueur intellectuelle.

Aujourd'hui, 35 associations sont en contentieux contre le programme d'intervention 2019-2024 de cette agence, qui dilapide l'argent public à détruire des ouvrages hydrauliques pendant qu'elle ne parvient à aucun résultat face aux eaux polluées et à l'état écologique dégradé.

Source : Comité de bassin, séance plénière du 12 décembre 2019, Etat des lieux du bassin Loire-Bretagne, 6-366

A lire sur le même thème :
En Seine-Normandie, plus des deux-tiers des cours d'eau et des nappes en mauvais état chimique et écologique

11/06/2020

Huit siècles dans la vie d'un ruisseau français (Leblé et Poirot 2019)

Des fouilles et analyses d'archéologie préventive ont permis de mettre en évidence huit siècles d'évolution du fond de vallon autour d'un ruisseau de Tremblay-en-France. Cette recherche montre des variations importantes du lit, des berges, de la nappe et de l'hydraulique de surface, tenant aux occupations humaines successives, mais aussi au changement climatique lors de la phase du Petit Âge glaciaire. De tels travaux rappellent que nos cours d'eau de l'aire européenne sont des co-constructions de l'humain et du non-humain, ce que certains nomment une "socio-nature" ou une "nature hybride". Cela rend assez douteux et simplistes les discours publics actuels sur la "renaturation" de ces cours d'eau - comme s'il existait un seul modèle de nature idéale du passé à retrouver - ou sur l'existence d'un "état de référence" de ces cours d'eau par rapport auquel nous pourrions juger, dans l'absolu, de leurs propriétés physiques et écologiques. 

Photo extraite de Leblé et Poirot 2019, art cit.

Dans les années 2010, une opération d’archéologie préventive est menée au lieu-dit Chemin des Ruisseaux à Tremblay-en-France, dans le département de la Seine-Saint-Denis. Les travaux d'extension d'une entreprise y avaient révélé les vestiges d'une occupation médiévale très dense sur le versant de la vallée.

Geoffrey Leblé et Agata Poirot ont publié une analyse de l'occupation du lieu, en particulier de la morphologie du lit et des berges. L'étude du remplissage sédimentaire a mis en évidence six grandes séquences de dépôts, chacune ayant façonné la topographie et l’identité du fond de vallon. Ce schéma montrent les profils de fond de vallon qui se sont succédés dans le temps :

Extrait de Leblé et Poirot 2019, art cit.


Les six séquences organisent l'histoire du fond de vallon depuis le Moyen Age.

La séquence 1 indique les plus bas niveaux alluviaux, "un environnement de dépôt très humide, mais plus bas de près de deux mètres que la surface actuelle, et daté immédiatement après la principale phase d’occupation du site (Moyen-Âge central)". La sédimentation alluviale se réalise au gré de dépôts argileux qui colmatent le fond de la vallée, sans doute principalement le fait de l’aménagement anthropique. On ne peut exclure une occupation de type moulin ou pêcherie à cette époque.

La séquence 2 est datée par radiocarbone du XVIe au XVIIe siècles, soit pendant le Petit Âge Glaciaire (période froide dans l'Hémisphère Nord, surtout en Europe). Elle est "marquée par une nouvelle dynamique alluviale puisque le méandrage du ruisseau a laissé des traces jusque dans le transect étudié. L’incision observée en coupe n’est pas de nature anthropique comme on l’a cru à première vue, mais bien d’origine naturelle." Les années froides du petit Âge glaciaire européen sont marquées par des hivers très humides, connus pour avoir "profondément et durablement modifié les cours d’eau de plus faible énergie".

La séquence 3 a enregistré un dépôt limoneux en bas et argileux en haut, signalant un environnement hydraulique déconnecté du courant principal. Ce peut être lié aux grandes crues ont affecté le Bassin parisien au cours du XVIIe et du XVIIIe siècle. "Ces épisodes de débordement interviennent préférentiellement lorsque le lit de la rivière est encombré, aussi on peut supposer que l’entretien des berges n’était pas régulier au cours de cette période."

Les séquences 4 à 6 sont marquées surtout par la remontée du niveau de la nappe phréatique.

La séquence 4 a enregistré deux épisodes colluviaux successifs, probablement à peu de temps d’intervalle : "La présence de sédiments très calcaires pourrait être la marque de labours profonds en amont de la pente, ou bien de la mise en place massive du marnage et du chaulage comme en Sarthe au XVIIIe siècle. Au niveau régional, les XVIIIe et XIXe siècles apparaissent comme la période d’érosion la plus importante, liée à l’essor des cultures extensives et aux hivers rigoureux".

Les sédiments de la séquence 5 indiquent quant à eux "une adaptation de la nappe phréatique à la présence d’une importante quantité de sédiments qui encombrent le lit, sous la forme d’une remontée nette de la nappe". Il y a eu alors "un rehaussement significatif du lit mineur du Sausset, et donc un exhaussement de la nappe phréatique". On peut y lire la matérialisation physique du lit majeur sur un versant voué à l’agriculture. La séquence 6 est essentiellement constituée de remblais contemporains.

Les auteurs concluent notamment : "les conséquences du Petit Âge Glaciaire peuvent être facilement appréciées au sein de tels contextes, et la mise en œuvre d’études sédimentaires plus complètes et systématiques pourraient permettre à terme d’évaluer les débits moyens des crues qui ont sévi à cette période. Dans le contexte de déstabilisation climatique rapide que nous connaissons, ces connaissances pourraient être utiles pour l’anticipation des risques au niveau local et régional".

Discussion
Cette étude rappelle que la morphologie des bassins versants et des cours d'eau évolue sans cesse dans le temps, et que l'on ne peut s'abstraire des occupations humaines pour la comprendre. Elle pose d'intéressantes questions quand on applique ses enseignements aux politiques publiques de l'eau menées en France et en Europe.

Comme on le sait, les pouvoirs publics en charge de l'écologie des milieux aquatiques ont adopté en France un paradigme de la "renaturation" ou "restauration de la nature", de manière assez peu débattue, essentiellement sous l'influence d'experts ayant une représentation biophysique de la nature. Mais de quelle "nature" parle-t-on ici, alors que les paramètres d'évolution du ruisseau sont sous influence humaine de longue date (et le restent bien entendu, à diverses échelles de temps et d'espace)? Pareillement, la directive cadre européenne sur l'eau - conçue en comité assez restreint dans les années 1990, avec des experts partageant le même type d'approche biophysique - a affirmé que l'on devait juger un cours d'eau selon un "état de référence" adossé à l'état de milieux très peu ou pas anthropisés. Mais là encore, que signifie cette référence dont l'humain serait exclu ou quasi-exclu? En quoi doit-on s'y référer si les cours d'eau ont une existence sociale autant que physique? De fil en aiguille, quelles réalités biologiques et morphologiques retient-on comme "dans la norme", quelles réalités humaines exclut-on comme "hors de la norme"?

Quand un pouvoir veut s'exercer en minimisant les contradictions, il a parfois recours à un procédé que l'on nomme la naturalisation : laisser entendre qu'une option est "dans la nature des choses", c'est dire qu'on ne peut pas vraiment s'y opposer puisqu'il en est ainsi. L'idéal du cours d'eau naturel agit parfois de la sorte pour ses promoteurs : que leur vision soit la seule vision que l'on puisse avoir puisque telle serait la "vraie" nature du cours d'eau. Nous devons identifier, dénoncer et renverser ce procédé rhétorique partout où il s'exerce : il n'y a jamais que des choix humains. La renaturation en est un, bien sûr, mais parmi d'autres, ni plus ni moins légitime en soi que d'autres. Et loin d'être l'apanage d'experts décidant seuls des règles, de tels choix doivent toujours se justifier démocratiquement, en particulier quand ils impliquent dépenses publiques et contraintes normatives.

Référence : Leblé G., A. Poirot (2019), Rythmes d’évolution d’un fond de vallon du Moyen-Âge à l’époque moderne : étude géoarchéologique de la haute vallée du Sausset (Tremblay-en-France), Géomorphologie : relief, processus, environnement, 25, 1, 69-78.

10/06/2020

Le syndicat des énergies renouvelables appelle à une relance bas-carbone, avec l'énergie des rivières

Dans un dossier venant de paraître et adressé aux décideurs, le syndicat des énergies renouvelables (SER) appelle à la relance énergétique bas-carbone. C'est un marché de 300 milliards d'euros, dont une bonne part est perdue aujourd'hui en importation d'énergie fossile, ce qui est mauvais pour la stabilité du climat comme pour la balance commerciale. Parmi les énergies renouvelables à soutenir : l'énergie de l'eau, présente sur le linéaire exceptionnel de 500 000 km de cours d'eau que compte notre pays. Extraits du document.

Extraits du SER

La crise sanitaire qui frappe la planète depuis plusieurs mois va générer des bouleversements majeurs. L’économie française est violemment impactée et il faudra du temps pour que l’ensemble des indicateurs socio-économiques retrouvent une trajectoire positive. 


Cette situation particulièrement difficile nous donne néanmoins, collectivement, une opportunité inédite : celle d’ancrer les choix économiques, politiques et énergétiques dans la transition énergétique et d’en faire le levier essentiel du redémarrage de l’économie.

Depuis plusieurs semaines, les différentes formes d’énergies renouvelables ont démontré leur très grande résilience sur le plan technique. Leur caractère décentralisé a participé de manière importante à la sécurité d’approvisionnement du pays dans des conditions sanitaires et de sécurité satisfaisantes.

Dans les prochains mois et années, les énergies renouvelables permettront d’apporter des réponses concrètes aux trois objectifs qui doivent orienter le plan de relance : 
favoriser la création d’emplois et de valeur ajoutée dans nos territoires ; 
décarboner notre économie (en particulier dans les secteurs de l’industrie, du bâtiment et de la mobilité), seule garantie de générer des emplois et des activités durables  ; 
et développer la filière industrielle des énergies renouvelables en France.

Sur la base d’un marché intérieur solide, les entreprises françaises seront, par ailleurs, mieux armées pour l’export sur un marché annuel représentant près de 300 milliards d’euros (...)

Hydro-électricité

Mesure 1
Garantir la pérennité et faciliter le développement du parc hydroélectrique.

  • Donner de la visibilité aux acteurs de la filière sur les modalités et perspectives de mise en concurrence et de prolongation des concessions hydroélectriques ;
  • Lancer des procédures d’octroi par mise en concurrence de nouvelles concessions sur sites vierges ;
  • Réévaluer toute mesure visant ou conduisant à brider les capacités de flexibilité de l’hydroélectricité de façon à les limiter pour faciliter l’insertion des autres énergies renouvelables.
  • Réintroduire la possibilité d’autoriser en procédure simplifiée les activités hydro accessoires d’une activité principale déjà autorisée ;
  • Accélérer la mise en œuvre des rénovations des centrales de moins de 4,5MW en publiant au plus tôt l’arrêté fixant les conditions du complément de rémunération pour ces installations ;
  • Accompagner la mise en œuvre des dispositions de l’article 43 de la loi énergie-climat permettant des augmentations de puissance, sans prolongation de la durée de la concession, pour faire des travaux sur les aménagements hydroélectriques un levier d’entrainement de l’écosystème industriel de PME et ETI de la filière ;
  • Sensibiliser les préfets à l’instruction rapide des projets EnR, en particulier aux lauréats des Appels d’Offres CRE, pour permettre leur construction au plus tôt.

Mesure 2
Mieux concilier hydroélectricité et continuité écologique, dans la droite ligne du plan de politique apaisée de restauration de la continuité écologique.

  • Systématiser les démarches d’analyses coût-efficacité sur les mesures préconisées ;
  • Mettre en œuvre et sécuriser juridiquement la priorisation des mises en conformité des ouvrages ;
  • Étudier les possibilités de révision de classement des cours d’eau, au cas-par-cas et sur la base de critères scientifiques.

Mesure 3
Éviter la caducité des autorisations de travaux régulièrement accordées avant le début des mesures de confinement et permettre leur exécution hors des périodes et délais prescrits, dès la reprise de l’activité et pour une durée supplémentaire d’une année.

Source : SER 2020, Les énergies renouvelables : un levier de la relance économique 

Commentaire
L'association Hydrauxois considère que la priorité doit être donnée à l'équipement des ouvrages en place. Il existe au moins 20 000 moulins pouvant être relancés (voir le travail de recherche de Punys et al 2019) et des milliers de barrages ayant d'autres usages (eau potable, irrigation, navigation, loisirs, régulation de crue), mais pas d'équipement hydro-électrique. Avant d'envisager de nouvelles constructions et artificialisations, c'est d'abord l'équipement de ces sites présents depuis longtemps, ne créant pas de nouveaux impacts sur les riverains ou sur le vivant, qui doit être soutenu. Il serait fort peu écologique de continuer la politique actuelle qui consiste à détruire des ouvrages existants et leurs milieux — dont certains ont acquis de la biodiversité — pour en construire d'autres. C'est aux antipodes de l'esprit de sobriété et de ré-usage qui est censé être à l'oeuvre dans une transition énergétique. De surcroit, les moulins et usines à eau historiques se sont souvent installés dans des lieux les plus propices à l'usage énergétique, comme l'a observé la recherche (voir Edgeworth 2018), donc il serait assez aberrant de ne pas profiter de cette continuité historique.

Un autre besoin est la visibilité des politiques publiques sur le soutien durable à la filière de petite hydro-électricité. Le prix des équipements - qui est un obstacle sur des marchés trop restreints - ne peut baisser que s'il existe une perpective de développement assurée sur un grand nombre de sites, permettant notamment de relancer des lignes de production standardisée de turbines, de roues, de vis ou d'hydroliennes. Les atermoiements des choix publics et la complexité inutile (pour les sites en place) des dossiers nuisent considérablement à ce développement industriel et commercial depuis 10 ans.

09/06/2020

La députée Magne rappelle au gouvernement que la loi encourage la petite hydro-électricité

Le gouvernement ne cesse de proclamer sa vertueuse intention d'engager pleinement la France sur la voie de la transition bas-carbone... mais son administration ne poursuit pas toujours cet effort. C'est le cas en particulier de la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, qui continue l'incroyable politique à contre-emploi de destruction des barrages hydro-électriques déjà en place dans le pays. Mais aussi, trop souvent, de découragement des relances de moulins par des demandes kafkaïennes venant d'agents administratifs ne cachant pas parfois leur franche hostilité. La députée Marie-Ange Magne vient de demander à la ministre Elisabeth Borne de clarifier ce point. Si les parlementaires ont inscrit la promotion de la petite hydro-électricité dans la loi, c'est pour que le gouvernement et son administration appliquent pleinement cette loi, et non cherchent à s'en détourner au mépris de la volonté exprimée par les représentants élus des citoyens. Notre pays doit cesser de mettre des bâtons dans les roues de ses moulins!


Installation d'une turbine à côté d'une roue, dans la chambre d'eau d'un moulin. Partout en France, particuliers et collectivités se déclarent intéressés par l'énergie de l'eau, un des atouts du pays dans la transition bas-carbone. Mais les dossiers doivent être facilités au plan réglementaire, et non bloqués par des complexités administratives sans fin dont notre pays a le secret.

Lors du vote de la loi énergie et climat à l'automne 2019, les députés et sénateurs ont clairement demandé que la petite hydro-électricité soit intégrée dans les stratégies bas-carbone de la France. C'est désormais écrit noir sur blanc dans le code de l'énergie, article L 100-4 : "pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs (..) d’encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité"

Le gouvernement avait à l'époque donné un avis négatif à cette disposition, ce qui indique la puissance des lobbies travaillant près du cabinet du ministre de l'écologie (voir ce texte sur François de Rugy et ce texte sur Emmanuelle Wargon). Mais il n'a heureusement pas été suivi par sa propre majorité parlementaire. Nous connaissons la chanson : les lobbies de la destruction des moulins et barrages préfèrent échanger directement avec les administrations non élues, ce qui leur évite le débat parlementaire où ils sont systématiquement mis en minorité du fait du caractère radical et conflictuel de leurs vues. Car de l'avis de la plupart, c'est une idée absurde de dépenser un argent public rare à détruire des ouvrages hydrauliques pouvant avoir de nombreux intérêts. 

Dans une question posée à Elisabeth Borne, ministre de l'écologie, la députée Marie-Ange Magne s'inquiète de la mise en oeuvre de cette nouvelle loi énergie et climat, en particulier la disposition sur la petite hydro-électricité. En voici le texte.

Question N° 30174 de Mme Marie-Ange Magne 
Mme Marie-Ange Magne attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la mise en œuvre des dispositions de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 sur l'énergie et le climat relatives au développement de la production d'hydroélectricité. La loi a ainsi modifié l'article 100-4 du code de l'énergie qui dispose désormais que « pour répondre à l'urgence écologique et climatique », il est opportun que la politique nationale « encourage la production d'énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité ». De nombreux propriétaires de moulins cherchent ainsi à valoriser leurs installations en déposant des dossiers pour des projets de petite hydroélectricité. Malheureusement, les délais d'instruction par les services compétents sont souvent très longs et les démarches administratives fastidieuses. De plus, les études demandées par l'administration sont parfois excessives en termes de coût pour l'exploitant, condamnant ainsi sa rentabilité. Pourtant, le développement de la petite hydroélectricité peut être un élément essentiel dans l'accroissement de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Elle souhaiterait ainsi connaître les mesures envisagées par le Gouvernement afin de lever les freins administratifs et faciliter le développement de ces projets pour « encourager la petite hydroélectricité ».

Rappelons quelques points de droit :

  • un ouvrage de moulin ou petite usine hydraulique autorisé (fondé en titre ou sur titre) n'a pas à déposer une nouvelle demande d'autorisation, la loi reconnaît son existence (article L 214-6 code environnement, précisé par jurisprudence constante du conseil d'Etat protégeant les droits d'eau),
  • l'administration demande un "porté à connaissance" au préfet (article R 214-18-1 code environnement), qui peut être un simple courrier avec présentation des travaux prévus, et ne doit pas s'engager dans des frais inconsidérés de bureaux d'études (les complications dont parle la députée, lorsque des services instructeurs n'ayant aucune envie réelle d'instruire une relance font des demandes totalement disproportionnées sur des sites déjà en place, autorisés, alors qu'il n'y a impact hydrologique et morphologique par rapport à l'existant),
  • le préfet ne peut exiger au seul motif d'une relance hydro-électrique la mise en oeuvre de la continuité écologique en montaison (il peut l'exiger si la rivière est par ailleurs classée au titre de l'article L 214-17 code environnement, ce qui induit cette obligation légale, mais la production d'électricité est normalement cause de dérogation telle que le stipule la loi dans l'article L 214-18-1 code environnement),
  • la continuité en dévalaison doit être assurée, par le débit minimum biologique ou débit réservé (article L 214-8 code environnement) et par des protections ad hoc au niveau de l'entrée de la chambre d'eau si la relance concerne une turbine rapide (évitement de la mortalité des poissons par une grille et une goulotte de dévalaison si besoin).

L'un des motifs pour lesquels l'association Hydrauxois a requis au conseil d'Etat l'annulation de la note technique dite de "politique apaisée de continuité écologique" est le refus dans cette note de considérer que toute relance hydro-électrique d'ouvrage autorisé en rivière est recevable par l'administration, ce qui est contraire à la loi française sur la transition énergétique comme aux directives européennes sur ce thème.

Il ne peut y avoir d'apaisement avec le monde des petits ouvrages hydrauliques si l'administration est toujours dans une culture de déni de leur existence et de leurs vocations diverses, dont celle de produire de l'énergie. A l'heure où tout le monde clame la nécessité de baisser l'énergie fossile (encore 70% des usages finaux en France) pour la remplacer par des solutions électriques à source renouvelable (dont l'énergie de l'eau), c'est tout de même un comble d'avoir encore des fonctionnaires en charge de l'écologie qui freinent cette ambition nationale. Notre pays doit cesser de mettre des bâtons dans les roues de ses moulins!

A lire en complément
Dossier complet sur les moulins au service de la transition énergétique

06/06/2020

L'impact sédimentaire des moulins et petits ouvrages anciens de rivière a été surestimé (Peeters et al 2020)

Une équipe franco-belge de chercheurs a étudié l'impact sédimentaire des déversoirs anciens sur une petite rivière de Wallonie, le Bocq. Pas moins de 74 ouvrages sont présents sur la rivière, les plus anciens datant du 14e siècle. L'analyse montre que l'impact des déversoirs est très limité spatialement, volumétriquement et en nature des sédiments concernés. Le vieillissement des structures tend à restaurer des transits complets. Ce résultat n'est en rien une surprise pour les riverains de ces ouvrages, qui constatent au fil des crues que le transit des sédiments n'y est pas bloqué. C'est une contradiction scientifique supplémentaire des dogmes de l'administration française sur le soi-disant impact grave des moulins et étangs de nos bassins versants.


Les études sur les grands barrages ont montré que ceux-ci modifient la morphologie de la rivière, notament en retenant des grands volumes de sédiments de toutes dimensions (des vases aux blocs rocheux) dans leurs réservoirs. Mais ces barrages ont des propriétés spécifiques : haute dimension, grand volume de retenue, ancrage sur toute la largeur du lit majeur. Qu'en est-il est des petits ouvrages (moulins, étangs, seuils anti-affouillement) qui sont bien plus nombreux sur les rivières?

Pour le savoir, Alexandre Peeters et ses collègues (université de Paris-CNRS et de Liège UR SPHERES) ont étudié une petite rivière de Wallonie (Belgique), le Bocq. Sa pente est de 2% en moyenne, sa puissance de 30 W/m2. Les ouvrages de cette rivière, dont certains datant du 14e siècle, sont caractéristiques des sites anciens que l'on trouve sur les cours d'eau européens (cf image ci-dessus, extrait de Peeters et al 2020 art cit).  La hauteur des ouvrages va de 40 à 230 cm. Les vannes, quand elles sont présentes, ne sont pas souvent manoeuvrées en raison de l'absence d'usage. Certaines ont disparu.

Voici le résumé de leur travail :

"La restauration du transfert actif de la charge de fond dans les rivières touchées par l'homme a reçu une attention croissante ces dernières années, notamment en réponse à la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE), qui exige que la continuité des rivières ne soit pas perturbée par des caractéristiques anthropiques telles que les barrages ou les déversoirs. 

La rivière Bocq (233 km2), un cours d'eau à gradient modéré en Wallonie, en Belgique, possède une ressource hydraulique qui était auparavant largement exploitée avec 74 déversoirs (jusqu'à 2,3 m de haut) sur 43 km. Nous avons examiné les effets de sept anciens déversoirs abandonnés sur le transport de la charge de fond pour trois types de déversoirs différents (définis par la présence et la position du système d'écluse). 

Premièrement, les estimations de volume de la charge de lit stockée dans les réservoirs indiquent que, malgré leur vieillesse, les réservoirs n'étaient pas complètement remplis (entre 25 et 50% remplis par rapport à la capacité volumique du réservoir) et n'ont pas beaucoup évolué depuis 1989-1990. Deuxièmement, l'analyse de la granulométrie du matériau du lit en amont, en aval et à l'intérieur des réservoirs, et les mesures directes du transport des sédiments (particules de scories et cailloux marqués PIT) ont démontré que la charge de fond continue d'être transportée hors du réservoir, même si le piégeage sélectif d’éléments plus grossiers a été observée à l’intérieur du réservoir. Des particules dans la plage de la médiane peuvent passer sur la crête des déversoirs, mais les éléments les plus grossiers ont tendance à rester dans les réservoirs. Cet effet de piégeage est atténué lorsque le déversoir a des vannes de chasse ouvertes ou effondrées qui facilitent le transfert de la charge de fond. Cela indique que les déversoirs agissent comme des barrières qui laissent passer la charge de fond, bien que le cadre géomorphologique individuel joue un rôle principal dans la détermination de la continuité locale des sédiments. 

Ces résultats suggèrent que la connectivité de la rivière est moins affectée qu'on ne le pensait initialement et qu'elle est susceptible d'augmenter au fil du temps à mesure que les vieux déversoirs tombent progressivement en ruine. Cela doit être reconnu lors de la planification des projets d'élimination des obstacles."

Dans leur travail, les auteurs détaillent :

"Les vieux déversoirs abandonnés dans cette étude n'agissent pas complètement comme des pièges à sédiments, et une grande partie de l'approvisionnement grossier en charge de fond peut passer à travers les déversoirs et continuer à être transportée hors du réservoir. Cela a été démontré en estimant les volumes de sédiments stockés dans sept réservoirs, qui n'étaient pas complètement remplis (entre 25 et 50% par rapport à la capacité volumique du réservoir). Ce volume n'a pas beaucoup évolué depuis 1989-1990 pour les trois déversoirs étudiés en détail. De plus, l'analyse de la granulométrie du matériau du lit et l'évaluation des concentrations de particules de scories menées en amont et en aval des réservoirs suggèrent que la charge du lit continue d'être transportée hors du réservoir, à l'exception des clastes plus grossiers piégés dans la partie centrale du réservoir. La partie en aval des réservoirs présentait une rampe à sédiments en pente douce qui facilitait le passage de sédiments de fond de lit plus fins sur la crête du déversoir."

Les chercheurs concluent : "sur 74 déversoirs présents le long du cours de 43 km de la rivière Bocq, seuls 34 d'entre eux représentent encore un obstacle potentiel à la continuité de la charge de fond. Nos résultats indiquent que ces 34 barrières potentielles ne perturbent pas complètement le transfert de la charge de lit. À tout le moins, ils l'empêchent partiellement en raison d'un ralentissement du transport de la charge de lit et d'un piégeage sélectif des éléments les plus grossiers. Par conséquent, l'évaluation de l'effet cumulatif des déversoirs sur la connectivité des rivières à plus grande échelle est une tâche complexe."

Discussion
Les résultats d'Alexandre Peeters et des co-auteurs ne sont pas une surprise pour les riverains des moulins et autres petits ouvrages hydrauliques des rivières. L'examen visuel de ces ouvrages montre que les variations sédimentaires sont très localisées et que les lits aval de la rivière ne sont pas dénués de charge de fond à diverses granulométries. En période de crue, ces ouvrages sont en général noyés et contournés par le flux liquide portant cette charge solide. Leurs réservoirs, de volume modeste, ne sont que partiellement remplis. L'ensemble de ces caractéristiques ne suggère en rien une altération grave des fonctionnalités physiques de la rivière. Par ailleurs outre le diagnostic de site, ce sont les pratiques sur les bassins versants qui changent aussi la charge et la nature des sédiments venant à la rivière. Des reprises forestières ou au contraire des artificialisations (constructions, cultures) vont modifier le flux des sédiments, à diverses échelles de temps, ce qui suppose une étude dynamique et historique du bassin versant (voir le texte de Jean-Paul Bravard, spécialiste de cette question).

Les conclusions de cette recherche sont évidemment très éloignées de la tentative de diabolisation des petits ouvrages hydrauliques par l'administration française et par certains lobbies. On a dit aux élus et aux riverains que ces ouvrages avaient des impacts graves sans jamais mesurer (sauf exception) la réalité sédimentaire et sans relativiser sa portée. Encore moins en s'interrogeant sur les finalités de l'action publique, les métriques superficielles et jargons autoréférents d'une certaine écologie d'Etat remplaçant le débat démocratique sur ce que les riverains attendent finalement d'un cours d'eau. Sortons au plus vite de ces errements, qui mènent à dépenser de l'argent public sur des enjeux écologiques mineurs ou inexistants, mais aussi à détruire un patrimoine d'intérêt pour beaucoup.

Référence : Peeters A et al (2020), Can coarse bedload pass through weirs?, Geomorphology, 359, 107131

A lire également :

02/06/2020

Les parlementaires observent que la continuité écologique des rivières n'est pas apaisée pour les moulins

Trois députés et sénateurs ont posé des questions écrites à Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, sur le sort réservé aux moulins et autres ouvrages hydrauliques. Cette actualité parlementaire suggère que la continuité dite "écologique" n'est toujours pas "apaisée", comme le voulait le plan du gouvernement lancé à la va-vite en 2018. Et pour cause : la haute administration refuse de reconnaître explicitement la valeur des ouvrages en rivière (énergie, patrimoine, économie locale, paysage, rétention d'eau, milieux aquatiques et humides) donc l'absence d'intérêt général à financer sur argent public une politique de destruction, malgré les protestations permanentes de riverains et élus depuis 10 ans. C'est devenu un véritable point noir dans les politiques d'écologie, qui ont besoin d'efficacité et de consensus, non de gabegie et de conflit. A l'heure où le pays traverse une crise sanitaire, économique et sociale, avec besoin de territoires qui valorisent toutes leurs ressources, un changement de doctrine et de méthode s'impose pour dépasser les erreurs des années 2000 et 2010. Mais il n'est toujours pas au rendez-vous. 


Image Ouest-France, DR

Valoriser le patrimoine hydraulique des rivières
Question n° 29774 de M. Pascal Brindeau, député
M. Pascal Brindeau attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la valorisation du patrimoine hydraulique des rivières françaises. Depuis le début de la crise sanitaire, les petites centrales hydroélectriques ont continué à produire de l'énergie bas-carbone, les moulins ont repris ou augmenté la production locale de farine et d'huile face aux difficultés d'approvisionnement, mettant en lumière l'importance des moulins, retenues, barrages, canaux et de tous les ouvrages hydrauliques que comptent les cours d'eau français. Or, depuis des années, le patrimoine hydraulique français est particulièrement menacé et beaucoup d'ouvrages sont détruits par décision des représentants de l'État ou des agences de l'eau, alors même que ces ouvrages sont acteurs de la transition écologique, qu'ils favorisent les circuits courts et la production locale, qu'ils contribuent à retenir et répartir l'eau tout au long de l'année et qu'ils apportent des zones refuges pour le vivant aquatique. La pesanteur administrative et le manque d'autonomie locale semblent aller à l'encontre d'une politique de l'eau qui serve l'intérêt général et la préservation de la biodiversité. Parmi les mesures urgentes à mettre en place pour préserver et valoriser le patrimoine hydraulique des rivières françaises, il semble indispensable de prendre sans attendre un moratoire sur la destruction des ouvrages hydrauliques et de se montrer enfin à l'écoute des associations locales très engagées pour la mise en place de solutions adaptées aux réalités de terrain et aux impératifs environnementaux. Il souhaite donc connaître les mesures envisagées par le Gouvernement pour la préservation et la valorisation du patrimoine hydraulique des rivières françaises.

Démolition d'un patrimoine centenaire et de ses zones humides
Question écrite n° 14382 de M. Jean-Marie Janssens, sénateur
M. Jean-Marie Janssens attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la question de la préservation et de la sauvegarde des moulins à eau. Selon l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), l'écoulement nécessaire pour préserver la biodiversité serait empêché par plus de 60 000 obstacles dont les barrages, les moulins à eau et les écluses, mettant en péril la continuité écologique des espèces et des sédiments entre les cours d'eau. Au nom de cette politique de continuité écologique, la destruction de centaines de moulins à eau est ainsi envisagée, synonyme de démolition pure et simple de notre patrimoine français. Dans le département du Loir-et-Cher, un moulin construit il y a près de 400 ans est ainsi menacé de destruction, alors même qu'il n'a jamais suscité la moindre controverse. Cette politique s'avèrerait en réalité désastreuse pour la sauvegarde et la protection des zones humides, véritables viviers de la faune et de la flore dans nos territoires. Ce sont en effet des milliers d'écosystèmes qui se retrouveraient menacés par ces destructions indirectes de milieux sauvages qui entraînent des ruptures d'équilibres naturels. Enfin, ces destructions de moulins entraveraient le développement de la microélectricité, générant pour certains moulins, des ressources économiques et énergétiques importantes. Aujourd'hui, trente-trois associations ont déposé des recours contre les propositions d'arasement, d'effacement, au nom de la continuité écologique. Il souhaite savoir si le Gouvernement entend empêcher la destruction des moulins à eau et faire évoluer la politique de continuité écologique pour la rendre plus respectueuse du patrimoine culturel français et de la biodiversité.

Blocage et manque de bon sens de l'administration
Question écrite n° 15101 de M. Jean Louis Masson, sénateur
M. Jean Louis Masson attire l'attention de Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur le fait que le moulin de Fouligny (Moselle) est un des rares moulins à eau qui continue à fonctionner dans l'est de la France. Depuis plus de cinq siècles, il fournit une farine qui est particulièrement appréciée par les boulangers lorrains. Or le propriétaire de ce moulin doit faire des aménagements et depuis plusieurs années, il se heurte au blocage des services de l'État, lesquels ne veulent pas comprendre qu'un moulin à eau doit se situer en bordure d'une rivière et donc en zone humide. C'est toute la différence avec un moulin à vent, qui lui, doit se trouver en haut d'une colline. Dans la mesure où ce moulin fonctionne depuis plusieurs siècles et que comme tout moulin à eau, il est confronté aux variations de débit de la rivière, il lui demande s'il serait possible de faire preuve d'un peu de bon sens, faute de quoi plusieurs emplois qui existent depuis des siècles et une activité artisanale faisant partie du patrimoine historique seraient amenés à disparaître.