12/08/2016

Scandaleuses manoeuvres politiciennes: la protection législative du patrimoine hydraulique aura vécu… un mois

La loi "patrimoine" avait institué en juillet un principe général de protection du patrimoine hydraulique dans le cadre de la gestion durable et équilibrée de l'eau. Un mois plus tard jour pour jour, la loi "biodiversité" supprime cette disposition. Oui, vous avez bien lu, la défense du patrimoine hydraulique aura vécu 30 jours en France alors que la représentation nationale n'a évidemment pas changé dans l'intervalle… Retour sur cet incroyable chassé-croisé, qui a pour origine la pression des députés de la majorité de la Commission développement durable de l'Assemblée nationale – dont au passage M. Caullet, député-maire d'Avallon ayant entrepris de casser cet été (avec une certaine cohérence) les 3 ouvrages communaux de sa ville. Ce n'est que partie remise : ces joutes politiciennes ne changent pas les problèmes de fond de la continuité écologique, notamment l'intolérable et irrémédiable destruction des ouvrages hydrauliques anciens agrémentant le cours des rivières. Nous dénoncerons et combattrons ces pratiques sur le terrain, en attendant qu'une majorité parlementaire un peu moins doctrinaire et un peu plus pragmatique se rassemble pour engager les évolutions nécessaires sur la définition d'une gestion réellement durable et équilibrée de la rivière.



La loi "patrimoine, architecture et création", publiée le 8 juillet au Journal officiel, avait créé un nouvel alinéa pour l'article L 211-1 du Code de l'environnement.
Article 101
Le code de l'environnement est ainsi modifié :
1° L'article L. 211-1 est complété par un III ainsi rédigé :
«III.-La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.»
Il s'agissait d'une avancée importante puisque la protection du patrimoine des rivières était reconnue comme un élément structurant de la gestion durable et équilibrée de l'eau.

La loi "biodiversité", publiée au Journal officiel un mois plus tard, a choisi d'abroger purement et simplement l'article à peine créé :
Article 119
Le III de l'article L. 211-1 du même code est abrogé.
C'est assez extraordinaire, et assez déplorable disons-le pour l'image renvoyée au public de la vie parlementaire: les mêmes assemblées élues adoptent un texte en juillet… pour le supprimer en août. La loi est censée être l'expression patiemment mûrie de la volonté générale, la voilà qui devient jetable comme tout le reste.

Jeux politiciens à la Commission développement durable
Cette abrogation résulte de l'amendement n°458 déposé par Geneviève Gaillard au nom de la Commission développement durable de l'Assemblée nationale (voir notre lettre ouverte à Mme Gaillard qui connaît mal ses dossiers), une Commission présidée par Jean-Paul Chanteguet. L'exposé sommaire nous dit: "cette disposition va à l'encontre de la volonté de favoriser la restauration des continuités écologiques exprimée par les députés, volonté  qui s'est traduite par l'adoption en deuxième lecture puis en commission en nouvelle lecture d'un amendement de suppression de l'article 51 undecies A."

Donc si l'on comprend bien et si l'on se contente d'inverser l'ordre de la proposition pour révéler tout son sens, selon ces députés majoritaires de la Commission développement durable, la restauration des continuités écologiques doit aller à l'encontre de la préservation du patrimoine!

On ne sera pas surpris au passage que M. Caullet, député-maire d'Avallon engageant en ce moment-même la casse de 3 ouvrages de la ville situés en zone protégée ZPPAUP, soit l'un des votants de cet amendement… Nous avons signalé au commissaire-enquêteur l'absence de rapport des autorités en charge de la culture et du paysage dans le projet avalonnais de destruction. Nous verrons ce qu'il en est.

Même sans cette protection du patrimoine, les effacements peuvent être combattus
La loi est la loi, même dans de telles conditions ubuesques où elle change tous les mois: les moulins ont perdu cette bataille face à une volonté essentiellement politicienne de détricoter des choix opérés par le Sénat. Ce n'est que partie remise, les cartes seront rebattues en juin 2017 et la mise en oeuvre actuelle de la continuité écologique a de toute façon besoin d'une réforme profonde, allant au-delà de la nécessaire critique de la destruction lamentable du patrimoine des rivières.

Cette mésaventure doit nous faire redoubler d'ardeur à combattre chaque effacement sur le terrain, puisqu'après tout la loi offre déjà de nombreuses options pour cela, et que les dossiers d'effacement sont généralement défaillants sur plusieurs dispositions obligatoires (voir et surtout utiliser ce vade-mecum).

N'oublions que le premier problème de la mise en oeuvre de la continuité écologique, avec son acharnement à détruire des ouvrages très modestes, c'est déjà son incroyable légèreté dans le domaine où elle prétend tirer sa légitimité, à savoir l'écologie de la rivière. Les diagnostics complets ne sont pas faits, donc on détruit sans être raisonnablement capable de démontrer l'existence d'un bénéficie chimique, physique ou biologique pour la qualité de l'eau et des milieux. En particulier, les destructions ne garantissent pas le principe du "zéro perte nette de biodiversité", qui est inscrit dans la loi nouvelle de biodiversité et que nous aurons à coeur d'opposer à chaque chantier, dont ceux en cours sur l'Armançon, le Cousin et l'Ource.

La lutte continue, il faut déconstruire la machine à décerveler mise en place par les idéologues
Le travail de sensibilisation des parlementaires (mené essentiellement par la FFAM sur ce texte) n'aura pas été inutile. D'une part, l'article L 214-17 CE a malgré tout été modifié pour intégrer un certain niveau de protection du patrimoine hydraulique, mais de portée moindre que celle garantie de manière si éphémère par l'article L 211-1 CE (nous y reviendrons dans un article dédié). D'autre part, un grand nombre d'élus reconnaît désormais que la continuité écologique va trop loin, promeut des solutions disproportionnées, provoque le conflit et la division au bord des rivières.

Les casseurs du patrimoine gagnent encore dans les coulisses de certaines Commissions parlementaires comme dans celles des Agences de l'eau et quelques autres lieux discrets, mais ils sont en train de perdre la bataille de l'opinion face aux révélations progressives sur l'absurdité de la continuité écologique dans sa mise en oeuvre française, unique au monde par sa brutalité, son autoritarisme et sa précipitation.

Il faut être lucide et patient : face à l'incroyable machine à décerveler mise en place depuis 10 ans par certains cadres de l'administration et par certains lobbies, l'opinion parlementaire ne va pas se renverser en si peu de temps. De plus, ces questions ont une grande complexité technique et les élus sont vite dépassés car ils ne peuvent avoir une expertise approfondie du sujet. Ce qui les rend sensibles comme tout le monde à des exagérations, dissimulations, simplifications et autres biais par lesquels la continuité a tenté de s'imposer. Pour faire évoluer les avis des décideurs, il faut un lent travail d'information et d'argumentation, mené tant au niveau local qu'au niveau national.

Une gestion soi-disant "équilibrée" qui ignore le patrimoine, le paysage, l'histoire… ce déni démocratique n'aura qu'un temps
Enfin, le patrimoine et l'écologie sont des notions assez lourdes de sens et de portée, toutes deux d'intérêt général, pas vraiment des poids plumes symboliques. Les voir ainsi mises en balance en si peu de temps par la représentation nationale, dans un sens puis dans l'autre, est révélateur selon nous d'un malaise assez profond lié à la mise en oeuvre des politiques de l'environnement. Ces politiques cherchent encore leur équilibre, entre l'indifférence d'hier et certains excès d'aujourd'hui.

Il est stupéfiant que la "gestion durable et équilibrée" de l'eau n'inclut pas en France des notions comme le patrimoine, le paysage, la culture, l'agrément, notions qui représentent une part essentielle de l'expérience concrète des riverains. Ces riverains sont dans leur immense majorité insensibles au fait de savoir s'il existe un déficit local de juvéniles de cyprinidés rhéophiles, un changement de granulométrie de la charge solide sableuse et autres questions n'intéressant que des spécialistes, des questions d'enjeux écologiques tout à fait minuscules quand elles concernent les ouvrages de l'hydraulique ancienne des moulins et étangs. En revanche, ces riverains veulent une rivière agréable à regarder, à arpenter et à vivre, une rivière qui ne charrie pas des pollutions, une rivière qui ne se réduit pas partout à un filet d'eau à l'étiage sous prétexte qu'il faudrait "renaturer" chacun de ses mètres carrés, etc. La prétention de la gestion écologique de la rivière à ignorer voire combattre les enjeux de sa gestion hydraulique et paysagère est un coup de force qui ne passe pas.

La restauration écologique des masses d'eau, en particulier la destruction des ouvrages anciens, est actuellement fondée sur ce déni démocratique massif, avec en toile de fond une représentation biaisée de la rivière comme étant uniquement un fait naturel (éventuellement exploitée par des activités économiques) alors qu'elle est aussi et surtout pour les gens un fait historique, esthétique, social et récréatif. Cette confiscation de la rivière par une représentation minoritaire n'est pas durable. Voilà pourquoi la loi devra évoluer demain, ce qui doit se préparer dès aujourd'hui en travaillant avec les nombreux parlementaires lucides sur la réalité des enjeux.

12 commentaires:

  1. Ce qu'avait voté vos amis sénateurs comme R. Pointereau était ingérable, beaucoup d'ouvrages de moulins sont des ruines sans aucun intérêt historique mais nuisant aux milieux. Il faut évoluer un peu!

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    1. La loi "patrimoine" avait par définition été votée par l'ensemble de la représentation nationale, et non pas uniquement par des sénateurs comme vous le prétendez. Le lobby casseur est revenu à la charge par d'autres moyens, donnant lieu à cet épisode idéologique fort peu glorieux.

      Votre appréciation de l'absence de valeur historique des moulins n'engage que vous. Nous pensons au contraire que chaque ouvrage est un témoignage singulier de l'histoire de la rivière, dont l'éventuelle disparition demande de sérieux motifs pour agir. Si un bien est une "ruine", la police de l'eau prononce la déchéance du droit d'eau pour ce motif (très précis en jurisprudence) et oblige à remettre la rivière en l'état. Pas de souci pour vous.

      Le III du L 211-1 CE – dont nous travaillerons au rétablissement dès 2017, en en profitant pour inclure également la notion si importante pour les riverains de paysage – n'avait rien d'ingérable comme vous le prétendez. Il aurait eu pour conséquence d'obliger les gestionnaires à cesser la précipitation, à ne pas réduire la politique de la rivière aux seuls enjeux naturalistes et à enrichir chaque étude de cas d'un angle historique et culturel. Qui a peur de cette prudence et de cette amélioration de notre compréhension des bassins versants? A part quelques doctrinaires qui veulent imposer leurs vues, et quelques sachants hautains imaginant que leur connaissance des milieux aquatiques résume toute la rivière.

      Quant à "évoluer un peu", pourquoi pas. Tenez par exemple, pourquoi ne pas interdire complètement la pêche sur les rivières L1 et L2? Cette activité est après tout devenue archaïque depuis qu'on n'en a plus besoin pour se nourrir, mais elle perturbe les milieux aquatiques par des millions de prélèvements et empoisonnements chaque année. On pourrait demander aux députés Caullet, Gailard, Plisson, Vigier et quelques autres s'ils sont disposés à soutenir cette évolution vers plus de modernité…

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  2. Vous semblez découvrir les réalités de la politique, alors que certains de vos membres la pratiquent allègrement. Mince alors....

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    1. Selon les analyses des experts de la question, la "réalité de la politique" en démocratie est qu'un nombre croissant de citoyens s'en détournent car ils estiment leurs représentants déconnectés des enjeux vécus et enfermés dans une bulle protégée, bien loin des problèmes causés par les réformes ou les absences de réformes. Le spectacle d'une disposition législative votée en juillet et défaite en août n'est pas de nature à dissiper ce genre de malaise, bien au contraire. Mais après tout, quoi de plus normal pour la continuité écologique? Elle exemplifie ainsi son parcours institutionnel aussi chaotique que sa pratique de terrain, et trouve dans ces jeux d'écriture un nouveau reflet de sa triste réalité. Patience, patience, au moins le clivage est-il désormais clairement posé sur la question du patrimoine. Il est facile aujourd'hui de glisser à la va-vite un amendement, il sera plus difficile demain d'assumer le soutien à une politique active de destruction des sites anciens.

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  3. Si je comprends bien, la loi patrimoine avait par définition été votée par l'ensemble de la représentation nationale, mais la loi biodiversité n'a par définition été votée que par le lobby des destructeurs fanatiques?

    Effectivement, les riverains sont sans doute insensibles à un déficit local juvéniles de cyprinidés rhéophiles... Ah, vraiment, ces technocrates ont bien tort de faire la différence entre les espèces de poissons, après tout, c'est de la biodiversité. Et puis une carpe, c'est plus gros qu'une truite, donc ça fait plus de biomasse, donc c'est quand même beaucoup mieux!

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    1. "Destructeurs fanatiques", on ne sait pas, mais M. JP Chanteguet (président de la Commission DD de l'Assemblée) avait proposé en 2009 d'introduire l'effacement dans l'article 26 de la loi Grenelle. Sans succès à l'époque. Alors destructeur tout court, oui, certainement. (Quant à la démocratie de l'eau le même M. Chanteguet oppose une fin de non-recevoir à l'intégration des riverains et moulins dans le pilotage du principal contrat territorial de son département.)

      Sur la différence entre les espèces de poissons : les riverains sont en effet des idiots, ils ne comprennent rien de rien, heureusement que les technocrates éclairés sont là pour leur montrer l'avenir. Cet avenir radieux, c'est d'embaucher un Agent de la Biodiversité Conforme (ABC) sur chaque tronçon pour vérifier si le quota de chaque espèce est adéquat au regard de la Biotypologie Théorique Définitive (BTD) édictée par les grands savants de l'hydro-écologie qualitative appliquée, sur la base des fameux calculs de 1954 réalisés par cet inoubliable pilier du conseil supérieur de la pêche que fut Jules Fario. En cas d'écart à cette norme, c'est-à-dire en cas d'intolérable déviance face à la Nature de la Rivière Vraie (NRV), on procèdera à une exécution sommaire de seuil de moulin pour l'exemple, histoire de remettre au pas ceux qui ne comprennent pas la nécessité absolue de maintenir la rhéologie et la limnologie de chaque mètre carré – allons, soyons un peu "ambitieux" que diable, on en a les moyens –... de chaque centimètre carré, donc, de la rivière en son libre cours.

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  4. Vous devriez proposer une grille d'analyse des décisions parlementaires qui sont "par définition" une émanation de la représentation nationale, et de celles qui ne sont que l'expression d'un lobby.

    On pourrait aussi avoir pour lecture que l'article initialement adopté avait été introduit par un lobby, et que la modification adoptée dans le cadre de la loi biodiversité est une émanation de la représentation nationale... Ou que tout cela n'est que de la politique politicienne.

    Quand à la différence entre les espèces de poissons, je vous laisse la responsabilité de votre appréciation sur l'intelligence des riverains. A mon avis, si on leur explique correctement, ou qu'on utilise astucieusement des périphrases non-jargonnesques ou des synonymes d'un champ lexical compréhensible, enfin bref qu'on fait un peu de pédagogie et de vulgarisation (au vrai sens du terme, pas de propagande, soyez rassurés), ils peuvent comprendre ce qu'est un cyprinidé rhéophile. Ils conserveront leur droit de ne pas être d'accord sur l'intérêt qu'on accorde à ces espèces.

    Quant à votre délire, je reconnais votre amour de la dérision, et vous m'avez fait sourire. Soyez-en remercié. On pourrait aussi élire parmi les riverains et défenseurs des moulins des Conseils de la Sagesse et du Bon Sens Rural (CSBSR), dont la devise serait "Tout va bien, ne changeons rien, et ce qui ne va pas, c'est pas nous c'est les autres". Ces grands sages utiliseraient deux indicateurs simples et compréhensibles et donc forcément de bon sens pour mettre en oeuvre l'écologie aquatique du futur, débarrassée enfin de tout dogmatisme : la Biodiversité Vraie et Simple et Evidente (BVSE) ou son équivalent bourguignon, le Nombre d'Espèces (NE) et l'Ecart à la Situation d'Avant Quand Tout Allait Bien (l'ESAQTAB). Quant à tous ces pêcheurs, écologistes, fonctionnaires, techniciens de rivières, on les enverra reconstruire pierre par pierre tous les vieux moulins en ruine, ou on les fera pédaler pour faire tourner des turbines. Et comme il y aura plus de poissons partout, tout ce petit monde pourra se repentir de ses pêchés passés en mangeant du poisson tous les jours.

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    1. Sourires partagés pour nos "délires" respectifs.

      Sur le fond :

      - il y a tout de même une anomalie initiale (et une tendance permanente chez nos contradicteurs à faire oublier les anomalies fondatrices de ce genre), à savoir que les mêmes députés et sénateurs adoptent un texte en juillet pour l'annuler en août. Evidemment, chaque texte peut être désigné comme issu d'une certaine vision (donc de "lobbies" qui soutiennent cette vision) et de toute façon, comme écrit dans notre article, la loi est la loi. Nous soulignons simplement que les parlementaires ne s'illustrent pas à procéder ainsi dans la plus grande confusion intellectuelle : si l'amendement "patrimoine" du L 211-1 CE était mauvais dès l'origine, il ne fallait pas le voter du tout ni dans une loi ni dans une autre. Le faire supprimer après à peine un mois d'existence (donc sans jamais avoir pu constater qu'il posait le moindre problème d'application) relève d'un évident acharnement de certains élus. C'est évidemment leur droit, comme c'est le nôtre de le commenter, de l'indiquer à leurs collègues ainsi qu'à l'opinion, de militer finalement pour le retour de ce texte à l'occasion d'une prochaine législature.

      - il est simple en effet d'exposer ce qu'est un cyprinidé rhéophile et nous l'avons d'ailleurs fait. Egalement d'exposer factuellement les effets d'un ouvrage sur la vitesse, la largeur, la profondeur, le substrat. Le débat est (ou devrait être) : en quoi les effets physiques et biologiques (sur les rhéophiles ou autres) de cet ouvrage sont-ils importants / graves / de premier ordre pour la rivière et le vivant ? en quoi les services rendus par les écosystèmes sont-ils améliorés par un chantier ? à quels objectifs écologiques (ou autres) s'engage-t-on, avec quelle garantie de les atteindre et pour quels coûts / conséquences sur les autres dimensions du site ? Et finalement : oui ou non souhaitez-vous que la politique de l'eau s'engage sur cette voie, sachant qu'il y a grosso modo 100.000 obstacles à l'écoulement en France (dont un ou deux milliers franchement impactant). Sur les cas concrets où nous sommes intervenus, nous n'avons jamais rencontré un soutien massif de la population (ni même d'associations) à l'évidence de l'intérêt des aménagements proposés. (Bien sûr les "permanents" des comités de pilotage confidentiels sont d'avis contraire, et encore les officiels des pêcheurs sont souvent en contradiction avec leur base là-dessus). Ce serait peut-être différent sur un côtier breton ou normand avec plein de migrateurs bloqués, mais en tête bourguignonne de bassin, avec des rivières à pente plutôt prononcée qui ont des taux d'étagement assez modestes, des grands migrateurs (saumons, aloses, esturgeon) disparus d'assez longue date, s'ils ont jamais été présents sur une rivière donnée, et des autres (truites, chevesnes, barbeaux, lamproies de paner, brochets) pas spécialement perçus comme en danger local d'extinction (hors anguille), on ne voit pas trop l'enjeu. Allez dire aux riverains de biefs et plans d'eau de village que leur paysage familier va disparaître pour ces motifs d'écoulement et de différentiel de peuplement et vous verrez (comme vous pouvez d'ailleurs le voir à Bessy-sur-Cure, à Perrigny-sur-Armançon, à Semur-en-Auxois, à Is-sur-Tile, à Vonges, etc.). Nous attendons toujours les vastes expressions démocratiques des antennes locales de FNE pour réclamer à cor et à cri une rivière renaturée, attendue par des milliers de promeneurs orphelins ne supportant plus la vue même d'un ouvrage, sans compter les chiffres de vente des cartes de pêche dans lesdites rivières renaturées, chiffres ayant probablement explosé d'un facteur 10 sur les chantiers réalisés.

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    2. Entièrement d'accord avec vous sur votre analyse qualitative du travail législatif dans ce cas d'espèce. Quel que soit l'avis que l'on peut avoir sur le fond, il est ubuesque que le même parlement vote puis abroge à un mois d'intervalle un texte. La qualité (là encore indépendamment du fond) des deux derniers rapports parlementaires qui traitent de la continuité ne me rend pas vraiment optimiste pour l'avenir.

      Pour le reste, nous divergeons, et cela me semble être une divergence de fond, et je respecte votre point de vue. Je rappelle cependant que le classement en liste 2, qui induit des obligations réglementaires de mise aux normes, ne concerne qu'une minorité du linéaire des cours d'eau français. Ajouté à cela le fait que, bien que solution privilégiée du seul point de vue de l'écologie du cours d'eau, l'effacement n'a pas vocation à concerner tous les ouvrages (et en pratique n'est pas appliquée à tous les ouvrages), on est très loin d'une situation apocalyptique de volonté de destruction généralisée. Ce qui bien sûr n'exclut pas les désaccords locaux qui sont plutôt sains et qui sont la preuve qu'à défaut de fonctionner de manière optimale, notre démocratie permet à tous de s'exprimer.

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    3. Nous vous accordons qu'il n'y a pas "situation apocalyptique de volonté de destruction généralisée", mais pour chaque personne concernée, à tout le moins pour celles qui sont attachées à leur bien, c'est souvent une "petite apocalypse" de se voir du jour au lendemain en situation d'infraction et de vivre avec une épée de Damoclès suspendue au choi entre deux solutions également problématiques en l'état des arbitrages (la ruine physique du seuil ou la ruine économique du portefeuille, si l'on peut dire).

      Au-delà des cas particuliers, le débat démocratique concerne le régime de justification des mesures, sur le fond et sur la procédure.

      Du point de vue de la renaturation tendancielle (dans sa logique interne), le fait que les classements liste 2 soient limités à un certain linéaire (de l'ordre de 15.000 ouvrages quand même, soit environ 20% du ROE connu) est un accident, ou une contingence si l'on préfère : toutes les rivières ont vocation à connaître une restauration morphologique longitudinale (car leur proximité ou identité à un écoulement naturel est désirable en soi), on commence seulement par un échantillon (dont la sélection de 2012-2013 fut et reste opaque, tant dans ses critères objectifs que dans ses responsables et leur compétence). Ce point de vue est tout à fait honorable, quoique difficilement défendable selon nous dans sa pureté (une rivière "naturelle" dans un bassin versant "naturel" demanderait de changer l'agriculture, l'industrie, le transport, l'urbanisation, le loisir, en gros les habitudes humaines depuis la fin du Paléolithique…).

      Du point de vue de l'humanisation assumée (appelons ainsi notre angle qui valorise la rivière aménagée à diverses fins humaines), ce programme de renaturation ne coule pas de source car l'état naturel d'une rivière peut être moins désirable que son état aménagé. Non pas que les rivières soient toutes en bonnes conditions physiques, chimiques et biologiques : mais les actions sur les aménagements existants de ces rivières (ou aménagements futurs) doivent se décider au cas par cas, après constat d'un déséquilibre, identification de sa cause (généralement ses causes), coût raisonnable de la remédiation et consultation des citoyens concernés. La notion même de "bonnes conditions" (ou "état de référence" souhaité) appelle une discussion sans tabou ni raccourci, comme c'est hélas si difficile en écologie (ajoutons pour être complet : et sans pression opaque de lobbies économiques, comme c'est probablement encore plus difficile dans nos économies de marché !).

      A noter que les plus "raisonnables" de ces deux "camps" ne divergent pas des masses, les premiers admettent des compromis à la logique de renaturation et sa limitation à certaines fonctionnalités du milieu, les seconds admettent l'intérêt de la programmation écologique et de certaines formes de restauration… (c'est juste que dans le cas le plus souvent discuté sur ce site, on n'a pas envie d'être celui ou celle qui reçoit la mise en demeure d'effacer / de payer la facture de 50, 100 ou 150 k€. A dire vrai, qui en France a envie de recevoir une injonction de détruire sa propriété ou de payer dans cette proportion énorme? Sans demander des trésors d'empathie, chacun devrait être capable de concevoir que l'expérience n'est vraiment pas agréable, suscite de réactions fortes et a peu de chance de bien se passer jusqu'à son terme.)

      Il y a beaucoup de discussions de fond sur des sujet de ce genre, autour notamment de l'anthropocène, du caractère réversible ou non des impacts humains, du caractère durable ou non de la civilisation thermo-indusrielle moderne, de la place de l'homme dans le concept de nature (et finalement de ce concept de nature lui-même). C'est finalement dommage que l'on se braque sur des erreurs de psychologie et de méthodologie, surtout au regard de la temporalité des enjeux écologiques concernés.

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  5. Je vous rejoins, et je pense que quand le débat est placé à ce niveau, il peut avancer. Il me semble que la presque-convergence, ou la faible divergence, des acteurs raisonnables permet en pratique de faire avancer un certain nombre de dossiers, ce qui ne transparaît pas assez, à mon avis, dans vos publications.

    Les questions de fond que vous évoquez sont de bonnes questions, de même que le débat sans tabou sur l'état de référence est un vrai débat. Mais rappelons quand même que c'est la base de la DCE que de prendre en compte l'écart avec une situation de référence. Et que pour la DCE, cette référence est celle d'une situation peu ou pas perturbée par les activités humaines (annexe 5, 1-2, tableau 1-2, définition générale du bon état pour les éléments de qualité biologique : "Les valeurs des éléments de qualité biologiques applicables au type de masse d'eau de surface montre de faibles niveaux de distorsion résultant de l'activité humaine, mais ne s'écartent que
    légèrement de celles normalement associées à ce type de
    masse d'eau de surface dans des conditions non perturbées").

    Quand on regarde les choses avec une vision globale (ce qui n'est pas aberrant pour le législateur, ni pour l'administration qui applique la loi), avoir une ambition forte en matière de continuité sur 20% des ouvrages, ou 15-20% du linéaire ne me semble pas scandaleux. Il est compréhensible qu'un particulier concerné ne soit pas enthousiaste et s'oppose à des obligations qu'on lui impose. Mais il faudrait revenir ici au débat sur l'intérêt général et l'intérêt particulier. Dans d'autres domaines l'intérêt général justifie qu'on impose à divers acteurs, y compris des particuliers, des obligations qui ne sont pas gratuites (par exemple pour des questions de patrimoine et d'architecture).

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    1. On peut discuter paisiblement et constructivement sur les débats de fond... mais il faut déjà ôter le pistolet aujourd'hui placé sur la tempe des propriétaires d'ouvrage en rivière L2. C'est un prérequis, nous attaquerons les actions de cette politique tant qu'elle sera fondée sur la pression à l'effacement avec des délais déraisonnablement courts et des coûts démesurément élevés.

      "Il est compréhensible qu'un particulier concerné ne soit pas enthousiaste et s'oppose à des obligations qu'on lui impose. Mais il faudrait revenir ici au débat sur l'intérêt général et l'intérêt particulier. Dans d'autres domaines l'intérêt général justifie qu'on impose à divers acteurs, y compris des particuliers, des obligations qui ne sont pas gratuites (par exemple pour des questions de patrimoine et d'architecture)."

      Nous ne connaissons aucune réforme qui impose à une classe de particuliers des travaux d'un coût allant de 50 à 300 k€ (fourchette usuelle des seuils de moulins), parfois avec 0% de subvention du principal financeur public (politique de l'AESN par exemple). Y a-t-il un seul autre exemple en France? Il est tout à fait impossible d'avancer de manière constructive sur ce dossier tant que la prise en charge publique (AE-Région-Europe) ne sera pas de 90 à 100% des frais à engager pour les dispositifs de franchissement, sur tous les ouvrages sans usages professionnels. (Quant à ces derniers, on ne ne connaît pas beaucoup de professions qui doivent sacrifier parfois 2, 3 ou 5 ans de chiffres d'affaires (sur un contrat OA de 20 ans, au prix de marché ce serait 6 à 15 ans de CA) pour une réforme. Demande-t-on des sacrifices de cette proportion aux exploitants agricoles, par exemple? A -t-on des exemples concrets d'un exploitant agricole qui doit financer sur 2 à 5 ans de revenus de son activité une mesure antipollution?)

      "avoir une ambition forte en matière de continuité sur 20% des ouvrages, ou 15-20% du linéaire ne me semble pas scandaleux"

      Avoir de l'ambition n'est pas scandaleux, mais comme toujours, on demande des diagnostics (avant) et des résultats (après). Par exemple, effacer un ouvrage de 60 cm sur un tronçon de la Seine amont déjà en très bon état piscicole DCE et sans amphihalin, ce n'est pas de "l'ambition", c'est une dépense inutile et autant de moyens humains / financiers non disponibles pour des ouvrages ayant des enjeux migratoires bien plus évidents.

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